Bernard sermons 7112

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CENT-DOUZIÈME SERMON. O mon âme, rentre dans ton repos.

(Ps 104,7)


L'âme travaille et se repose dans sa conscience, car il y a une conscience bonne, mais qui n'est point tranquille; il y en a une tranquille sans être bonne; il s'en trouve une troisième sorte qui n'est ni bonne ni tranquille et une quatrième qui est bonne et tranquille. La conscience tranquille sans être bonne est la conscience de ceux qui pèchent dans l'espérance et se disent intérieurement que Dieu ne se met pas en peine de nous; c'est la conscience des jeunes gens surtout. Celle qui est bonne sans être tranquille, c'est la conscience de ceux qui, étant enfin revenus à Dieu, repassent leurs années dans l'amertume de leur âme. La conscience ni bonne ni tranquille est celle des hommes qui désespèrent de leur salut en songeant à la multitude de leurs péchés. Enfin celle qui est bonne et tranquille est celle qui a assujetti la chair à l'esprit et qui se montre pacifique au milieu de ceux qui baissent la paix. Celle-là est le lit de l'âme. C'est là, en effet, qu'elle goûte le repos, mais un repos encore imparfait, car pour qu'il fût parfait, il faudrait que sa conscience fût non-seulement bonne et tranquille, mais encore en pleine sécurité. Aussi le Psalmiste continue-t-il en ces termes: «Car il a délivré mon âme de la mort, mes yeux des larmes et mes pieds de toute chute (Ps 114,8):» De la mort, en nous donnant une bonne conscience; des larmes, en nous la donnant tranquille et bonne; de la chute, en nous la donnant pleine de sécurité.







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CENT-TREIZIÈME SERMON: «Purifiez-moi, Seigneur de mes fautes cachées, et préservez votre serviteur des fautes des autres .»


(Ps 18,13)
Il y a trois choses cachées: les actions illicites, les intentions mensongères, et les affections impudiques. Les actions mauvaises souillent la mémoire, les intentions mensongères souillent la raison ou l'esprit, et les affections impudiques souillent la volonté. La mémoire se purifie par la confession, l'esprit par la lecture et les affections ou la volonté par l'oraison. Vous serez pur des fautes d'autrui, si vous n'insultez point le pécheur, si vous ne vous éloignez point de lui, si vous ne consentez point à son péché, si vous ne fermez point les yeux sur sa faute. Il est de la justice de n'y point consentir, et même de vous y opposer avec énergie; la force demande que vous ne vous éloigniez point et que vous supportiez au contraire avec patience les fautes du prochain; la tempérance, que vous ne l'insultiez point, et même que vous compatissiez à son malheur pour le diriger; la prudence que vous ne fermiez pas les yeux sur ses fautes et que vous fassiez en sorte de faire cesser le mal.




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CENT-QUATORZIÈME SERMON.



La paix du corps résulte de l'ordre et de la mesure de toutes ses parties. La paix de l'âme irraisonnable vient du repos bien ordonné de ses appétits. La paix de l'âme raisonnable naît de l'accord de la pensée et de l'action. La paix du corps et de Pâme provient d'une vie bien ordonnée et du salut de l'être animant. La paix de l'homme et de Dieu est dans l'obéissance bien ordonnée par la foi, sous la loi éternelle. La paix des hommes est toute dans une concorde bien ordonnée. La paix d'une maison, dans la concorde bien ordonnée de ses habitants; dans le commandement et dans l'obéissance, il en est de même de la paix de la cité. La paix de la cité céleste est l'accord bien ordonné et bien unanime de jouir de Dieu et de vivre en lui. La paix de toutes choses est la tranquillité de l'ordre, et l'ordre consiste dans la disposition qui donne aux choses semblables et aux dissemblables la place qui leur appartient.





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CENT-QUINZIÈME SERMON: «Que l'homme monte au haut de son coeur, et Dieu sera exalté.»

(Ps 43,7)
Il y a un coeur élevé, un coeur humble et un coeur qui tient le milieu entre les deux premiers. Le Prophète dit: «Pécheurs, revenez à votre coeur (Is 46,8).» Le premier pas que fait un pécheur, est celui de l'esclave, c'est de tendre à un coeur humble auquel il est traîné par le jugement. Le second: est celui d'un mercenaire, il le conduit au coeur qui tient le milieu, il y est appelé par le conseil. Le troisième est celui d'un fils, et c'est vers un coeur élevé qu'il tend, il est attiré par le désir. C'est alors que Dieu est exalté, c'est-à-dire est au dessus du coeur, attendu que, pouvant être saisi par la raison, il est désiré par l'affection et par l'amour. Or remarquez bien que ces pas en avant ou ces ascensions se font dans le coeur, ce qui fait dire au Prophète: «Il a disposé des ascensions dans son coeur dans cette vallée de larmes (Ps 83,6).» Mais il arrive quelque fois que l'homme intérieur excède la raison et se trouve ravi au dessus de lui-même, c'est ce qui s'appelle un ravissement d'esprit. Nous disons donc qu'il y a quatre degrés dans l'ascension. Le premier conduit au coeur, le second est dans le coeur, le troisième part du coeur, et le quatrième est au dessus du coeur. Au premier, on craint le Seigneur, au second, on en tend le conseiller, au troisième; on désire l'époux, et au quatrième, on voit Dieu.





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CENT-SEIZIÈME SERMON: «Si donc vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, recherchez ce qui est dans le ciel.»

(Col 3,1)
Il y a deux morts et deux résurrections. La première mort est celle de l'âme et la seconde, celle du corps. La mort de l'âme est la séparation de Dieu, celle du corps est la séparation de l'âme. La première est l'oeuvre du péché, et la seconde en est la peine. De même, la première résurrection est l'oeuvre de l'avènement humble et caché du Christ, la seconde, celle du corps, le sera de son avènement glorieux et public. L'âme invisible a été créée à l'image de Dieu, c'est ce qui fait dire à l'Écriture: «Dieu a fait l'homme à son image et à sa ressemblance (Gn 1,26).» Il l'a fait droit; aussi l'extérieur de l'homme, je veux dire son corps, se montre-t-il droit dans sa forme, ayant la vie et le sens, afin que par cet homme extérieur et visible, nous comprenions l'homme intérieur et invisible , celui qui a été créé droit dans sa volonté, vivant dans sa connaissance sensible, dans lion amour. Et, de même que le corps, c'est-à-dire, l'homme extérieur, recouvrera le sens et la. vie à la résurrection, ainsi dans la résurrection, Pâme, j'entends l'homme intérieur, recouvre la vie et le sens aussi, c'est-à-dire la connaissance et l'amour. Que la connaissance soit l'amour, la Vérité même nous l'atteste quand elle dit: «Telle est la vie éternelle, c'est de vous connaître , vous qui êtes le Dieu vivant, et de connaître celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ (Jn 17,3).» Et que l'amour soit le sens, voici d'où je le conclus. De même que l'homme intérieur ne se discerne pas dans sa vie, parce qu'il vit également dans tout ce qui est lui; dans le sens, ail contraire, il se manifeste en cinq endroits bien connus, dans la vue, dans le goût, dans Fouie, dans l'odorat et dans le toucher, car il sent d'une manière dans l'oeil, et d'une autre manière dans la bouche; et ainsi des autres sens. Ainsi en est-il de l'homme intérieur. S'il ne se discerne point dans la connaissance, il se discerne dans l'amour, et de même que l'homme extérieur se manifeste par cinq sens , ainsi l'homme intérieur est affecté par cinq attributs invisibles de Dieu, par sa vérité, sa justice, sa sagesse, sa charité et son éternité. En effet, il est affecté d'une manière par sa justice qu'il aime à cause de sa douceur, et d'une autre manière par sa vérité qu'il aime à cause de sa liberté; il est affecté d'une façon par la charité qu'il aime à cause de sa vertu, et d'une autre façon par son éternité, qu'il aime à cause de sa sécurité.







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CENT-DIX-SEPTIÈME SERMON.

L'âme fidèle a son paradis, mais son paradis spirituel non terrestre, un paradis par conséquent plus délicieux et plus secret que celui-ci. Dans ce paradis-là, l'âme trouve des délices comparables à celles qu'on goûte dans les trésors. Il en sort quatre sources qui sont la vérité, la charité, la vertu et la sagesse, c'est à ces sources que l'âme fatiguée, va puiser une eau salutaire. Or, l'âme de l'homme est sujette à quatre sortes de maladies, de vices, ce sont la crainte, la concupiscence, sa propre iniquité et l'ignorance. En effet, vaincue par la crainte, elle est portée au mal, attirée par la concupiscence, elle glisse vers le vice, et poussée par sa propre iniquité, elle se met volontairement à sa remorque, séduite enfin par l'ignorance, elle tombe dans le vice. C'est aux âmes que ces maux travaillent et qui en gémissent, que le Prophète adresse ces paroles consolantes: «Vous puiserez avec joie de l'eau aux fontaines du Sauveur (Is 12,3).»La pusillanimité qui provient du vice de la crainte, est guérie par l'eau de secours qui s'écoule de la source de force; la concupiscence des voluptés temporelles a pour remède l'eau des désirs puisée à la source de la charité; contre la malice de notre propre iniquité, il y a l'eau des jugements qui coule de la fontaine de,la vérité; et contre les erreurs de l'ignorance, l'eau des conseils qui jaillit de la source de la sagesse. Mais de plus, c'est avec joie que se puise cette eau, en sorte que l'âme, qui, jusqu'alors, gémissait sous le poids de ses vices, se réjouit à présent de l'acquisition des vertus, car elle obtient dans l'eau des conseils, la prudence, dans celle du secours, la force, dans l'eau des désirs, la tempérance, et dans celle des jugements, la justice. Aussi dans l'adversité, la force chasse la pusillanimité; dans la prospérité, la tempérance réfrène la luxure, dans l'action, la justice exclut l'iniquité, et dans le doute, la prudence, mais l'ignorance en garde. Rafraîchie par ces eaux, et ornée de ces vertus, l'âme peut s'étendre et comprendre, avec tous les saints, quelle est la longueur et la largeur, la hauteur et la profondeur (Ep 3,18). Ces quatre points de Dieu, peuvent être embrassés à deux bras, qui sont le véritable amour et la véritable crainte; celle-ci embrasse sa hauteur et sa profondeur, celui-là sa charité et sa vérité. En effet, on craint Dieu parce qu'il peut tout par sa puissance, et on le craint sincèrement, parce que rien n'échappe à sa sagesse. On l'aime parce qu'il est la charité même, et on l'aime véritablement parce qu'il est la vérité, je veux dire l'éternité.





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CENT-DIX-HUITIÈME SERMON: «Demeurez dans les voies du Seigneur et interrogez ses sentiers.»

(Lm 6,10)
C'est demeurer dans les voies du Seigneur, que de. garder toutes les observances corporelles du bon propos qu'on a formé. Mais comme les pratiques corporelles ne servent pas à grand'chose, selon ce que dit saint Paul, le Prophète ajoute: «et interrogez ses' sentiers éternels,» c'est-à-dire, désirez mener la vie des saints pères et vous trouverez la voie, marchez-y. C'est avoir trouvé la voie, que de. rentrer dans son coeur, et c'est y marcher que de disposer des degrés dans son coeur (Ps 83,6). Or le premier degré, en montant, c'est la contrition de cette voie, le second, la confession, le troisième, l'affection, le quatrième, l'abandon des biens de la terre, le cinquième, le renoncement à notre propre volonté, le sixième, l'humble sujétion de notre volonté, le septième, la persévérance.




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CENT-DIX-NEUVIÈME SERMON.


Il y a trois choses à considérer dans le mystère de l'incarnation: la forme de l'humilité, .la preuve de l'amour, le mystère de la rédemption. La forme de l'humilité nous est donnée par les vagissements de l'enfant, par l'endroit où il se trouve, la crèche où il repose et les langes dont il est enveloppé. La preuve de l'amour se trouve dans sa mort charitable; car» personne ne peut avoir un amour plus grand, que celui qui donne sa vie pour ses amis (Jn 15,13),» Le mystère de la rédemption nous découvre la triple puissance de la divinité, qui a fait d'abord quelque chose de rien, qui a renouvelé ce quelque chose devenu vieux, et qui a rendu perpétuel ce qui n'était que temporaire.



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CENT-VINGTIÈME SERMON.


Les ministres de Jésus-Christ ont trois ministères; un ministère de servitude, un de charité et un autre de dignité. Le ministère de servitude, c'est la mortification de la chair; celui de charité, c'est la dévotion de l'esprit; celui de dignité, c'est la consécration du corps de Jésus-Christ. Le premier s'accomplit dans l'affliction, le second dans la joie, et le troisième dans l'humilité. Le premier est un sacrifice de crainte, le second, d'amour, et le troisième, de louange.



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CENT-VINGT ET UNIÈME SERMON.

Nous sommes à l'école du Christ, où nous apprenons deux choses, l'une de lui notre seul et véritable maître, l'autre de ses ministres. Ses ministres nous enseignent la crainte, et lui, l'amour. Voilà pourquoi quand le vin manque, il ordonne à des serviteurs d'emplir d'eau les urnes (Jn 2,7), et tous les jours encore, la charité se refroidissant, les serviteurs du Christ remplissent les urnes, je veux dire les âmes des hommes, d'eau, c'est-à-dire de crainte. C'est avec raison, que la crainte est représentée par l'eau, car si l'eau éteint le feu, la crainte éteint la luxure, et de même que l'une purifie le corps de ses souillures, ainsi la crainte purifie l'âme des siennes. Remplissons donc, nous aussi, de cette eau, nos âmes, car quand on craint, on ne néglige rien. Or on peut dire que l'âme en qui ne se remarque aucune négligence est véritablement pleine. Mais comme l'eau est pesante, c'est-à-dire comme la crainte ne va point sans quelque peine, il faut nous approcher de celui qui change l'eau en vin, c'est-à-dire qui change la crainte et son tourment en amour, si nous voulons entendre la leçon qu'il fait lui-même sur l'amour. En effet, il dit: «Voici mon commandement, c'est que vous vous aimiez les uns les autres (Jn 15,12).» C'est comme s'il disait: Je vous ordonne bien des choses par la bouche de mes ministres, mais voilà ce que je vous ordonne en particulier et de ma propre bouche. Et ailleurs il dit encore: «Voici en quoi on connaîtra que vous êtes mes disciples, c'est si vous vous aimez les uns les autres (Jn 13,34).» Ainsi, pour nous montrer disciples de la vérité, il faut que nous nous aimions les uns les autres; soyons même trois fois attentifs sur nous dans cet amour, car c'est Dieu même qui est amour (1Jn 4,8),» et nous lui devons tous nos soins pour qu'il naisse, qu'il grandisse, et qu'il se conserve. Or, il naît quand vous rompez votre pain pour votre ennemi, et que vous lui donnez à boire, car, en agissant ainsi «vous amassez des charbons ardents sur sa tête (Rm 12,20).» Les charbons ardents ce sont les oeuvres de la charité; et elles sont amassées sur le diable qui est la tête de tous les méchants, pour le faire disparaître et leur faire une autre tête qui est Dieu, la charité même. Il grandit quand vous venez au secours de ceux qui sont dans le besoin, quand vous prêtez à celui qui vous demande à emprunter, quand vous ouvrez enfin votre coeur à votre ami. Il se conserve quand, dans vos paroles et dans vos actions, vous donnez à vos amis ce qu'ils désirent, bien que ce ne soit pas des choses qui semblent nécessaires. Il se conserve encore et même il grandit par un bon visage, par une douce parole, par un gai concours, quand un acte charitable, accompagné de bonne humeur, confirme la charité que le visage seul et les bonnes paroles indiquaient; car la preuve de l'amour est dans les oeuvres (S. Gregor. in Homil. Pascha).





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CENT-VINGT-DEUXIÈME SERMON.

«Pour vous, lorsque vous jeûnez, parfumez-vous la tête et lavez-vous le visage (Mt 6,17).» Le Seigneur s'exprime ainsi à cause de deux vices qui corrompent ordinairement le jeûne, je veux dire la vaine gloire et l'impatience. En nous ordonnant de nous laver le visage, il veut que nous ayons une intention pure, car, de môme que la beauté du corps réside dans la figure, ainsi, la beauté de tout ce que fait l'âme consiste dans l'intention. Par l'action de parfumer la tête qui a pour résultat d'adoucir ce qui était rude, il nous ordonne de conserver dans le jeûne la douceur de l'esprit. Notre intention sera pure si dans toutes nos actions nous nous proposons soit l'honneur de Dieu, soit l'utilité du prochain, soit enfin le bien de notre conscience.




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CENT-VINGT-TROISIÈME SERMON.

1. «Conduisez-vous selon l'esprit et vous n'accomplirez point les désirs de la chair (Ga 5,16).» Il y a des hommes qui se conduisent. selon la chair et qui n'ont qu'un souci, savoir comment ils pourront éviter les ennuis de la chair. Ce sont ceux qui, tout en approuvant la vertu, veulent toutefois éviter absolument tous les ennuis de la chair, ne savent point résister à ses concupiscences mauvaises. C'est à eux que l'Apôtre dit: «conduisez-vous selon l'esprit, c'est-à-dire, cessez de vous préoccuper des moyens d'échapper aux ennuis de la chair. Dans cette vie, l'esprit a deux degrés, le supérieur et l'inférieur. Au degré inférieur, l'homme se conduit. selon son esprit, mais au degré supérieur, c'est selon l'esprit de Dieu qu'il se dirige. Il est au degré inférieur quand, rentré dans son coeur, il est plein d'inquiétude au sujet de ses affections, et se reproche tout ce qu'il sait contraire â la vertu. A ce degré, il offre à Dieu, par la componction , le sacrifice d'un esprit troublé et d'un coeur humilié. Mais en montant de ce degré au degré supérieur, il commence à songer aux bienfaits de Dieu, puis, se tournant du côté des actions de grâces, il offre à Dieu, par la dévotion, un sacrifice de louange. A l'un et à l'autre degré, il voit Jésus-Christ, mais au premier degré, il le voit crucifié et, au second, couronné de gloire et d'honneur. C'était au premier que se trouvait Isaïe quand il disait: «Et nous l'avons vu, et il n'avait plus ni aspect, ni beauté (Is 53,2).» Mais il était au second quand il s'est écrié: «J'ai vu le Seigneur assis sur un trône élevé (Is 7,1).» Remarquez de plus que dans le premier cas, il dit: nous avons vu,» tandis que dans le second, il dit: «j'ai vu;» c'est que l'un est commun à beaucoup en môme temps, c'est. le fait des pécheurs; l'autre n'est propre qu'à un petit nombre, ce n'est le fait que du Prophète; aussi l'Apôtre dit-il «Nous ne connaissons le Christ qu'en partie, et même nous ne le connaissons que crucifié; nous ne prophétisons aussi qu'en partie, car nous ne le voyons point encore tel qu'il est (1Co 13,9). Mais nous savons que lorsqu'il aura apparu, nous serons semblables à lui, attendu que nous le verrons tel qu'il est (1Jn 3,2).» Le Prophète vit donc, mais non point d'un oeil prophétique, le Seigneur assis sur un trône élevé, c'est-à-dire sur la nature angélique, et haut, c'est-à-dire, sur la nature humaine: car, c'est lui qui relèvera le pauvre de sa poussière et l'indigent de son fumier; pour le faire asseoir avec les princes et lui faire occuper un trône de gloire. «Et toute la terre était remplie de sa majesté (Is 7,3).» Toute la terre, dit-il, cela veut dire tous les corps des élus qui seront pleins de sa majesté quand il transformera notre corps, tout vil et abject qu'il est, et le rendra conforme à son corps glorieux (Ph 3,21).» Et ce qui était au dessus de lui, remplissait le temple (Is 6,1).» Quand les hypocrites et ceux qui, étant invités, refusent de venir, seront jetés dans les ténèbres extérieures, les humbles et ceux qui sont soumis à Dieu rempliront le temple, car il sauvera le peuple des humbles, et il humiliera les yeux des superbes (Ps 17,28).

2. «Des séraphins se tenaient au dessus, l'un avait six ailes, et l'autre en avait également six (Is 6,2).» Les séraphins, les ardents, représentent ceux qui servent Dieu dans la, ferveur, ceux que le Seigneur trouve vigilants, et qu'il établira sur tous ses biens. «L'un avait six ailes et l'autre en avait également six: «Parce que, non-seulement les prélats, mais aussi les inférieurs ont des ailes et sont des séraphins, s'ils sont fervents: «Avec deux de ces ailes ils se couvraient la tête, et avec deux autres ils se couvraient les pieds, et avec les deux qui restaient ils volaient (Is 6,2).» Les âmes ferventes ont des ailes pour voler, ce sont la crainte et l'espérance, car les êtres qui volent tantôt montent et tantôt descendent. Or, par l'espérance on s'élève, attendu qu'on habite dans les cieux. Aussi, quelques-uns de ceux qui s'élèvent ainsi disent-ils: «Notre vie est dans le ciel (Ph 3,20).» Par la crainte on descend, car c'est en condescendant aux faibles qu'on les relève, en réfléchissant sur soi-même, et en craignant d'être tenté aussi (Ga 4,1) «Avec deux de leurs ailes ils se couvraient les pieds.» Or, les pieds ce sont les affections, car c'est par elles qu'on se joint au prochain. Mais comme il est blessé de deux manières, d'abord par un excès de sévérité qui abat les faibles, et en second lieu par un excès de bonté qui consent à leurs vices, les séraphins les voilaient de deux de leurs ailes; c'est-à-dire de l'aile de la considération de notre propre fragilité contre un excès de sévérité, et de l'aile du zèle de la rectitude contre un excès de bonté. «De deux de leurs ailes ils voilaient leur tête.» La tête, c'est l'intention de la contemplation, ou l'intellect spirituel. Les séraphins la voilent de deux ailes à cause des ennemis à cause de la vaine gloire, et de l'orgueil caché; ils ont une aile contre la vaine gloire, c'est l'amour de la vérité, et une autre contre l'orgueil, c'est le goût de l'humilité.





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CENT-VINGT-QUATRIÈME SERMON.

1. La parole de Dieu (a) doit opérer deux effets, guérir les âmes vicieuses et exciter les bonnes. Or, j'appelle vicieuses non pas toutes celles en qui est un vice, mais celles qui consentent volontairement au mal et ne résistent point autant qu'elles le pourraient. C'est à ces âmes que s'adresse la Vérité même dans le saint Évangile, quand elle dit: «Mettez-vous promptement d'accord avec l'adversaire, pendant que vous êtes avec lui dans le chemin, etc (Mt 5,25).» Jale ne dit point avec le vice, mais avec l'adversaire: Or, cet adversaire n'est autre que la parole de Dieu, qui est sans cesse en opposition avec le mal. C'est se mettre d'accord avec elle, que de dire avec le Prophète: «Et mon péché est toujours contre moi (Ps 50,4).» J'appelle bonnes non point les âmes parfaites, mais les âmes qui commencent à le devenir; bien qu'elles aient encore du vice, cependant elles ne sont point d'accord avec lui, elles luttent contre lui. Ces âmes peuvent souvent faire des chutes par faiblesse ou par ignorance, selon ce qui est écrit: «Le juste tombe sept fois (Pr 24,16),» mais parce qu'ilsont de la bonne volonté, ils se relèvent par elle; car c'est par la volonté que l'âme est bonne, attendu que de tous les biens qui se trouvent naturellement dans l'âme, tels que une bonne intelligence une vaste mémoire, une raison éveillée et tous les autres biens de l'âme, il n'y a que la volonté qui rende l'âme bonne ou mauvaise selon qu'elle est bonne ou mauvaise elle-même. Mais comme, selon la remarque de Job, «l'homme ne demeure jamais dans le même état (Jb 14,2),» car il avance ou il recule; il faut avancer dans cette bonne volonté, attendu qu'elle est la voie même dont le Prophète a dit: «Voilà la voie, marchez-y (Is 30,11),» et dont le Psalmiste parlait quand il disait: «Heureux l'homme qui attend de vous, ô mon Dieu, le secours dont il a besoin, et qui dans cette vallée de larmes médite dans son coeur des moyens de s'élever (Ps 83,6),» dans son coeur dit-il, c'est-à-dire dans sa volonté.

a Ce passage se trouve reproduit dans le livre VII des Fleurs de Saint Bernard, chapitre XIII. On lit encore quelques autres du même sermon au chapitre onze du même livre.

2. Le premier degré de cette voie, c'est la droiture de la volonté; le second, c'est la force de volonté; le troisième est la dévotion de la volonté, et le quatrième sa plénitude. Au premier degré, l'âme, par la pensée, est d'accord avec la loi de Dieu; mais comme la chair se révolte, elle ne peut trouver la force de faire le bien qu'elle approuve; elle fait même bien souvent par faiblesse le mal qui lui répugne (Rm 7,16). Pourtant elle est droite, puisqu'elle est d'accord avec sou adversaire, et déteste en elle-même ce qu'il réprouve. Au second degré, l'âme, non-seulement ne fait plus le mal qui lui répugne, mais encore elle opère volontiers et avec force, sinon sans peine, le bien, qu'elle aime, et dit avec le Prophète: «C'est à cause des paroles tombées de vos lèvres que je me suis appliquée à suivre vos voies, bien que dures et pénibles (Ps 16,4).» Au troisième degré, son coeur se dilate, elle court dans la voie des commandements de Dieu, et y trouve des délices pareilles à celles qu'on goûte dans d'immenses trésors. La peau, ointe de l'huile de la grâce spirituelle, et sachant que «Dieu aime celui qui donne d'un coeur joyeux (2Co 9,7),» se porte avec joie à toute sorte de biens et s'écrie avec le Prophète David: «Seigneur, j'ai couru dans la voie de vos commandements, quand vous avez dilaté mon coeur (Ps 119,32).» Au quatrième degré sont les anges qui font le bien, mais un bien complet, toujours aussi facilement qu'ils veulent. L'âme peut bien aspirer à ce degré, mais elle ne peut y atteindre tant qu'elle est dans son corps, parce que ce corps l'appesantit. Celui qui n'a pas encore la volonté droits, doit savoir que c'est une intention charnelle qui fait obstacle. Celui qui l'a droite, mais sans force, peut être sûr que l'obstacle vient d'une mauvaise habitude. Celui qui a la volonté dévouée, mais non encore pleine, doit être persuadé que ce qui l'arrête, c'est l'habitation terrestre de son âme. Quant à l'homme dont la volonté est vicieuse, qu'il prie et qu'il dise: «Que votre volonté soit faite sur la terre comme dans le ciel (Mt 6,10), en se regardant comme étant lui-même la terre. Celui qui a une volonté droite, a le ciel, car il y a autant de distance entre une volonté droite et une volonté vicieuse, qu'entre le ciel et la terre. Que celui qui a une volonté droite mais faible, fasse cette prière-là, et s'applique le mot terre; quant à celui qui l'a forte, c'est à lui que s'applique le mot ciel. Et ainsi des autres, en sorte que l'âme tende toujours à monter; car de même que celui qui demeure dans une mauvaise volonté est condamné, ainsi celui qui, dans les autres volontés, ne s'efforce point d'avancer est digne de réprimandes.





CENT-VINGT-CINQUIÈME SERMON.

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1. «Glorifiez Dieu et portez-le dans votre corps (
1Co 6,20).» Ailleurs, l'Écriture dit encore: «La sagesse a été justifiée par ses fils (Mt 11,19),» et dans l'oraison dominicale. nous disons: «Que votre nom soit sanctifié (Mt 6,9).» Le Christ, la vertu de Dieu a et la sagesse de Dieu, est justifié, est sanctifié et glorifié par ses fils. Disons d'abord comment la sagesse est justifiée par ses fils. «Dieu flagelle tout enfant qu'il aime (He 12,6),» Mais aux premiers coups de fouet, alors qu'il est encore esclave sous la loi de Dieu et ne sait point comment il sera enfant de Dieu, il murmure, se déclare innocent et appelle Dieu cruel. C'est que, si c'est le Christ, la vertu de Dieu qui se montre à lui, ce n'est point sa sagesse, car le fouet ne lui fait sentir que la puissance de sa vertu, il ne sent pas encore la douceur de la sagesse qu'il goûte par son intelligence. Jésus-Christ «atteint fortement,» par le fouet celui qui se trouve dans cet état, mais, «il le dispose doucement (Sg 8,1),» par l'intellect quand il lui suggère la pensée de l'Apôtre, «de se réjouir dans les tribulations (Rm 5,3),» et lui fait connaître que «l'affliction produit la patience, la patience, l'épreuve, l'épreuve, l'espérance et que l'espérance ne trompe point.» Alors, il sait qu'il n'est plus puni comme un esclave, mais instruit par le fouet, comme un fils qui sait recevoir l'héritage. Il se confesse pécheur et dit que Dieu est juste et justifie ainsi en lui-même la mère sagesse.

2. Mais à quoi bon confesser ses péchés sous le fouet, si on ne s'en éloigne par la sainte continence? Selon ce qui est écrit: «Soyez saint, selon que moi-même je suis saint (Lv 19,2):» en sorte que, tel est le père, tel soit le fils; de cette manière, le nom du Père sera sanctifié dans la sainteté de ses enfants. C'est ce que nous demandons tous les jours dans la prière, afin que, en même temps que notre Père se plaint en ces termes de plusieurs de ses enfants qu'il trouve mauvais et déréglés, «tous les jours mon nom est blasphémé à cause de vous au milieu des nations (Is 52,5 et Rm 2,24),» il soit aussi sanctifié à cause des saints. Mais, n'allez pas penser que j'invente que la sainteté est la continence, écoutez, en effet, ce que l'Apôtre dit aux Thessaloniciens: «La volonté de Dieu est votre sanctification (1Th 4,3).» Mais de peur que, par ce mot, sanctification, vous entendiez autre chose que la continence, prêtez l'oreille à ce qu'il dit après «C'est-à-dire, que vous vous absteniez de la fornication et que chacun de vous sache posséder le vase de son corps dans la sanctification.» Aussi, appelons-nous saints ceux que nous trouvons fermes dans le voeu de continence, renonçant, non-seulement aux actions illicites, mais encore s'abstenant de toutes paroles impudiques. Voilà pourquoi il est écrit: «Le sage demeure comme le soleil, et le sot change comme la lune (Qo 27,12).»

a Ce passage et quelques autres encore de ce sermon se trouvent au livre VIII des Fleurs de saint Bernard, chapitre X, et dans le livre 6, chapitre XVII du même ouvrage.


3. Mais comme un fils sage est la gloire de son père, il faut que, non-seulement il sanctifie sa mère, la sagesse par la stabilité de la continence, mais encore qu'il la glorifie par le fruit des bonnes oeuvres, selon ce mot de la Vérité même dans l'Évangile: «Que votre lumière luise devant les hommes, afin que, voyant vos bonnes oeuvres, ils glorifient votre père qui est dans les cieux (Mt 5,16).» Et le Psalmiste, voulant nous peindre le fils de, la sagesse, nous dit: «Heureux l'homme qui est accessible à la compassion et qui prête à ceux qui sont dans le besoin (Ps 112,5).» Voilà une définition du sage aussi juste que courte. En effet, il est heureux au milieu des fouets en confessant son péché, et se réjouit de le voir effacer par la tribulation. Il a pitié de son âme en plaisant à Dieu par la beauté de la continence; il prête au prochain le fruit d'une bonne oeuvre. Voilà le juste, l'homme qui rend à chacun ce qui lui appartient, à Dieu, la confession, à soi-même, la miséricorde et au prochain, la justice. Voilà aussi comment les fils de la sagesse la justifient par la confession des péchés, la sanctifient par le bien de la continence et la glorifient par la fructification des bonnes oeuvres. Le premier coup que porte la crainte de Dieu s'adresse à la négligence, attendu que la crainte porte à se tenir sur ses gardes. Si la négligence l'emporte, elle engendre la curiosité. Car, tandis que la terre de notre coeur, laissée inculte par la négligence, ne produit que des ronces et des épines, L'âme qui ne trouve plus de repos en elle est contrainte de se répandre au dehors. Voilà comment la curiosité sort du coeur, elle est combattue par la piété. La piété c'est le culte de Dieu: or, c'est dans le coeur que nous honorons celui que nous savons habiter dans notre coeur. Si la curiosité n'est réfrénée, elle amène l'expérience du mal, car lorsque l'âme se répand au dehors sur beaucoup d'objets, elle trouve facilement l'occasion de goûter quelque plaisir dangereux. Contre l'expérience du mal arrive la science qui nous apprend quelle chose il est sûr ou dangereux d'expérimenter. Mais si l'expérience du mal l'emporte, elle engendre la concupiscence, et la concupiscence passe en affection du coeur.




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