Thérèse EJ, Poésies 2500

Note d'introduction à la POESIE N 25

MES DESIRS AUPRES DE JESUS CACHE DANS SA PRISON D'AMOUR

- DATE: automne (?) 1895 . - COMPOSEE POUR: Soeur Saint-Vincent de Paul, à sa demande. - PUBLICATION: HA 98 (Sous le titre Mes désirs près du Tabernacle); sept vers corrigés. - MELODIE: Par les chants les plus magnifiques. ou bien Glose de Sainte Thérèse, « Je me meurs de ne point mourir ».

Dans ce poème eucharistique, liturgique, Thérèse ne laisse pas l'inspiration prendre son vol. C'est une méditation au ton très sobre, axée sur les objets du culte traités comme des mots ou des images de l'Ecriture. Dans la dernière strophe seulement, elle laisse éclater amour et enthousiasme.
La foi de Thérèse lui fait découvrir le moyen de réaliser ses « désirs »: « Mais je puis... » Elle n'a pas à « envier » la clef du tabernacle, la lampe, la pierre d'autel, les vases sacrés. Elle a, elle "est" incomparablement plus que ces objets inanimés. C'est comme victime, même si le mot n'est pas prononcé, que l'« épouse » s'associe au sacrifice, avec « ravissement ».

Note 1. Cf. MSA 31,2v; PN 19,1 PN 24,28 LT 189 et LT 201,2v; PRI 7.

Note 2. Jésus caché dans l'hostie, au tabernacle, est un thème favori de la sainte du Dieu caché; cf. LT 140; nombreuses reférences en PN et RP.

Note 3. Première des trois annonces de la « passion » de Thérèse sous le symbole de la « grappe », avec RP 5,2r
et MSA 85,2v (armoiries).

Note d'introduction à la POESIE N 26

LES REPONS DE SAINTE AGNES

- DATE: 22 janvier 1896. - COMPOSEE POUR: Mère Agnès ds Jesus, prieure, pour sa fête. - PUBLICATION: HA 98 ( Cantique de sainte Agnès): onze vers corrigés. - MELODIE: Le Lac ou bien Hymne à l'Eucharistie.

Resplendissante comme une fiancée toute parée pour son Epoux, telle nous apparaît Thérèse à travers ce poème. Il conclut une année de paix, d'amour et de lumière. Ce même 21 janvier 1896, elle remet à Mère Agnès son premier cahier autobiographique. En des styles différents, le Manuscrit A et le présent poème ne chantent qu'un même Magnificat.
Poème de fiançailles. En le lisant, on pense tout de suite à la page émerveillée du Ms A où Thérèse rapporte la prophétie d'Ezéchiel (texte qu'elle emprunte d'ailleurs au Cantique spirituel de Jean de la Croix, Explication de la strophe XXIII): « Alors que le temps était venu pour moi d'être aimée » - c'était en 1887 - « Il a fait alliance avec moi et je suis devenue sienne... Il a étendu sur moi son manteau... m'a revêtue de robes brodées, me donnant des colliers et des parures sans prix... Oui, Jésus a fait tout cela pour moi » (MSA 47,1r ).
En 1887, ce n'était encore que l'aube des fiançailles. Aujourd'hui, en 1896, après l'année de plénitude qui s'achève, les fiançailles spirituelles sont accomplies dans le secret. Bientôt va se faire entendre le « premier appel », tragique, certes, puisqu'il s'agit d'une hémoptysie, mais joyeux « comme un doux et lointain murmure annonçant l'arrivée de l'Epoux » (cf. MSC 5,1r ).
Thérèse l'indique explicitement dans le titre: elle traduit les Répons de l'office de sainte Agnès. La liturgie de la jeune martyre (morte vers 305) remonte à une haute antiquité: VIIe-VIIIe siècles. Thérèse s'est assimilé le texte au point d'en revivifier le symbolisme de l'intérieur, comme on le constate en établissant une synopse linéaire du poème avec ses divers modèles (cf. Poésies, II, pp. 180ss). La transcription de Thérèse est d'une qualité particulière. Il faudrait observer comment les mots se transforment, des modèles au poème; comment, par une admirable organisation poétique, Thérèse fait son miel de toutes les images éparses dans le texte latin, pour déployer cette grande vision au mouvement harmonieux.

Note d'introduction à la POESIE N 27

SOUVENIR DU 24 FEVRIER 1896

- DATE: 24 février 1896. - COMPOSEE POUR: Soeur Geneviève, lors de sa Profession, à sa demande. - PURLICATION: HA 98 (Sous le titre Doux souvenir); cinq vers corrigés. - MELODIE: « Sur terre, tout n'est pas rose ».

On s'attendrait à un tout autre poème pour la profession de Céline, qui est une très grande joie pour Thérèse, mais celle-ci n'a pas été chargée du cantique de communauté et n'a pu composer qu'une « bribe » qu'elle donne en cachette à sa soeur. Mais celle-ci a été abondamment pourvue par Thérèse de compositions en prose et souvenirs divers: longue description des fêtes du Ciel (LT 182), parchemin armorié du « Contrat d'alliance de Jésus avec Céline » (LT 183), relique de Mère Geneviève (LT 184) et bientôt pour sa prise de voile, image calligraphiée (LT 185). Au milieu de cette profusion, la poésie fait piètre figure.

Note d'introduction à la POESIE N 28

LE CANTIQUE ETERNEL CHANTE DES L'EXIL

- DATE: mars 1896. - COMPOSEE POUR: Soeur Marie de Saint-Joseph (à sa demande?) pour sa fête. - PUBLICATION: HA 98; sept vers corrigés. - MELODIE: Mignon regrettant sa patrie.

Sans s'arrêter aux infirmités psychologiques de sa compagne (comme Jésus le fait pour elle, elle oublie « la grande misère » de cette soeur), Thérèse ne parle que d'« amour » à cette disciple de bonne volonté, dont elle va bientôt devenir la « seconde » à la lingerie.
Le poème reste pauvre, même s'il est précieux de savoir que Thérèse vit à la lettre ce qu'elle chante au nom de la dédicataire.

Note d'introduction à la POESIE N 029 -

QUIL NOUS EST DOUX...

- DATE: 30 avril 1896. - COMPOSEE POUR: Soeur Marie de la Trinité pour sa profession les deux derniers couplets: à Mère Marie de Gonzague. - PUBLICATION: Poésies, 1979. - MELODIE: O Coeur de notre aimable Mère.

Autant, sinon plus, que pour soeur Geneviève, la réussite de la novice est dans une large mesure l'oeuvre de Thérèse, comme elle en a témoigné elle-même (cf. LT 187; et Une novice de sainte Thérèse, par P. Descouvemont, Cerf, 1985).
Noblesse et ferveur se retrouvent dans ce chant qui est celui du « plus grand amour » - « vie pour vie » - en réponse à l'immolation de Jésus. Il ne reste plus à la nouvelle professe qu'à « se consumer chaque jour » Saint Jean de la Croix sera son maître.
Il faut lire d'un trait cette poésie, la suivante, les billets LT 187 et LT 188, et le poème du 31 mai (PN 31): expressions variées d'une unique passion d'amour.

Note 1. La colombe qui entre dans « l'arche » (le Carmel), en « sort », y rentre à nouveau: autant d'images pour évoquer l'itinéraire tourmenté de Marie (cf. PN 11).

Note 2. Le grand élan du premier vers, avec son exigence (réclamer) pour obtenir «la dernière place » est bien thérésien; cf. LT 243 et MSC 36,2v .

Note 3. Derrière l'immolation de la profession religieuse se profile à coup sûr, dans l'esprit de Thérèse et de Marie de la Trinité, l'Offrande de cette dernière à l'Amour miséricordieux, avant même la fin du noviciat ( 1/12/1895).

Note 4. Le Carmel de Lisieux, que Mère Marie de Gonzague a enrichi de treize « hosties » (professes) pendant ses vingt-deux ans de priorat, entre 1874 et 1902.

Note d'introduction à la POESIE N 30

GLOSE SUR LE DIVIN

- DATE: 30 avril 1896. - COMPOSEE POUR: Soeur Marie de la Trinité, pour sa profession. - PUBLICATION: HA 98; six vers corrigés. - MELODIE: pas d'indication.

Nul n'a parlé comme Marie de la Trinité de l'amour de sa maîtresse pour son Père Jean de la Croix, dont Thérèse transpose ici, parfois textuellement, la Glose sur le divin d'après la traduction des carmélites de Paris.
« Par Amour, je veux bien », c'est sa réponse héroïque face aux plus lourdes épreuves: hier, dans cette grande peine de famille («bien vouloir tout ce que Jésus veut», LT 87); aujourd'hui, alors qu'elle entre dans la nuit, « sans Lumière et dans les Ténèbres »; bientôt aux prises avec la dernière agonie « Oui, mon Dieu, tout ce que vous voudrez », CJ 30.9. Telle est la puissance de l'Amour.
Pareil contexte confère à ce petit poème, par ailleurs très proche de son modèle, une authenticité, une intensité émouvantes. Mais Thérèse est seule alors à en connaître la signification, car elle porte son épreuve « dans le silence et l'espérance ».
En le remettant à sa destinataire, au jour de sa profession, elle lui fait seulement remarquer « la pensée qui lui plaisait le mieux (...): l'Amour sait tirer profit de tout: du bien,. du mal qu'il trouve en nous » (str. 3, 1-4; cf. LT 142 et MSA 83,1r ). Cette certitude est le puissant moteur de leur course sur la « petite voie ». Fautes d'une jeune carmélite encore fragile, épreuve purificatrice d'une sainte en route vers son achèvement, tout peut être assumé et dépassé dans une confiance absolue en l'« Amour consumant et transformant » (LT 197, écho du dernier vers de Jean de la Croix).

Note d'introduction à la POESIE N 31

LE CANTIQUE DE SOEUR MARIE DE LA TRINITE

- DATE: 31 mai 1896. - COMPOSEE POUR: Soeur Marie de la Trinité, pour sa fête. - PUBLICATION: HA 98 Sous le titre J'ai soif d'amour; six vers corrigés. - MELODIE: pas d'indication.

Cette poésie à l'accent très fort est une sorte de dialogue mystique, où l'on discerne en transparence la voix de Jésus et la réponse de Thérèse, et qui laisse une impression assez dramatique qu'exprime bien le titre choisi pour l'Histoire d'une Ame, « J'ai soif d'amour ».
Thérèse sait que la mort est proche, et la nuit descend sur son âme. Mais Jésus « reste avec elle » sur le chemin obscur, dans cette montée de « la colline » du Calvaire. Comme aux pèlerins d'Emmaüs, Il lui redit: « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît pour entrer dans la gloire? » Et sa « parole de flamme brûle le coeur » de Thérèse. Il ne sera pas d'autre voie pour elle: l'amour et la mort. Alors, elle «réclame» la souffrance: le « mépris » d'abord, dont la «petite voie» assurera la ressemblance; la « soif » du Crucifié, « soif d'amour inextinguible, qui implore comme en un râle, et éveille en elle une soif semblable; le « martyre d'amour » enfin que redit inlassablement la dernière strophe, pathétique comme une préfiguration de l'agonie de Thérèse. On y lit à la fois l'amour le plus absolu et l'angoisse, une espérance passionnée qui frise la désespérance.
Dans son expression flamboyante et dramatique, cette strophe passionnée et son refrain font songer à la Vive Flamme de Jean de la Croix: « Les profondes cavernes du sens » (Explication du v 3 de la st. III).

Note d'introduction à la POESIE N 32

MON CIEL A MOI

- DATE:7 juin 1896. - COMPOSEE POUR: Soeur Saint Vincent-de-Paul, à sa demande. - PUBLICATION: HA 98; trois vers corrigés. - MELODIE: Hymne à l'Eucharistie.

Une poésie un peu mélancolique, mais éclairée d'un sourire et pleine de confiance, pour répondre sans doute aux « pensées » de la destinataire. Le « regard plein d'amour de Jésus, le « coeur à coeur » avec Lui dans l'oraison qui se fait intercession pour l'Eglise, « l'union d'amour » dans l'Eucharistie transformante, la « ressemblance » filiale, le « total abandon » sur le Coeur du Père, l'inhabitation de « la Trinité Sainte » dans le coeur aimant, sont ainsi chantés tour à tour, en des alexandrins souvent d'une belle fermeté.
Thérèse cependant y glisse discrètement (et nommément), au début et à la fin, l'évocation de sa propre « épreuve de la foi » (unique mention dans les écrits). Continuer envers et contre tout « sourire » au Dieu qui se cache (« redoubler de tendresses », PN 45,4; lui faire « toutes sortes de compliments », CJ 6.7.3, ce sera sa réponse jusqu'au dernier soir .

Note 1. Première apparition de l'expression rendue célèbre par le MSB 3,2v et MSB 4,2v .

Note 2. On ne trouve qu'ici cette belle expression, souffle étant toujours synonyme, pour Thérèse, de légèreté et de fraîcheur printanière.

Note 3. Ce mot n'avait pas reparu dans les poésies depuis PN 3 (d'avril 1894); il reviendra sept fois ensuite (PN 38,4-6 PN 42,1-3 PN 44,9 PN 52,1-4).

Note d'introduction à la POESIE N 33

CE QUE JE VERRAI BIENTOT POUR LA PREMIERE FOIS

- DATE: 12 juin 1896. - COMPOSEE POUR: Soeur Marie du Sacré-Coeur, à sa demande, pour sa fête, - PUBLICATI0N: HA 98 (sous le titre Mon espérance); six vers corrigés, - MELODIE: pas d'indication,

« Bientôt, voler, voir, aimer »: c'est le voeu passionné de Thérèse en juin 1896, ce qu'exige son amour, ce qu'elle « veut ». Il y a un mois, la Vénérable Mère Anne de Jésus qui la visitait en songe lui a dit: « Oui, bientôt, bientôt, je vous le promets ».
« Rayon de grâce au milieu du plus sombre orage », ce songe trouve un écho dans la présente poésie, pleine de ferveur, mouvementée, tendue vers l'au-delà, avec une certaine angoisse ou mélancolie sous-jacente. Le « bientôt, bientôt » que Thérèse répète avec joie attise l'envie de déchirer les voiles. « Bientôt », ce ne sont plus les ailes de la colombe qu'elle demandera comme le psalmiste pour « voler et se reposer », mais « les propres ailes de l'Aigle Divin » (MSB 5,2v ). « Bientôt », elle « verra ».
Le « sourire », le « Coeur », la « Face » du Bien-Aimé (str. 3), c'est un amour à la fois humain et surnaturel qui s'exprime ici. Un amour qui est source de « martyre », et sans doute faut-il donner toute sa force à ce mot jailli spontanément (str. 4). Comme une fiancée impatiente, Thérèse souffre le martyre par cet amour de Jésus qui ne peut s'épanouir encore en sa présence. Elle n'en soupire que plus ardemment vers ce ciel où elle pourra « aimer sans mesure et sans lois » (remarquer la force de l'expression).

Note 1. Un mot rare chez Thérèse qui confirme le ton passionné de la strophe.

Note 2. Un affectueux reproche à Jésus qui la laisse si longtemps « sur la rive étrangère » - son « unique martyre », car, à côté de cela, les souffrances d'ici-bas ne comptent pas pour Thérèse: ce n'est pas le désir d'en être délivrée qui la fait « soupirer » vers le ciel.

Note d'introduction à la POESIE N 34

JETER DES FLEURS

- DATE: 28 juin 1896. - COMPOSEE POUR: Mère Agnès de Jésus, pour sa fête (Pauline). - PUBLICATION: HA 98; trois vers corrigés. - MELODlE: Oui, je le crois, elle est immaculée.

Chaque soir de juin 1896, Thérèse et les cinq jeunes soeurs du noviciat se retrouvent après complies, autour de la croix de granit du préau. Elles recueillent les pétales au pied d'une vingtaine de rosiers et les lancent vers le Crucifix. Le rite symbolique est de nature à plaire à Mère Agnès de Jésus.
Malgré quelques trouvailles, le texte n'a pas de grandes prétentions poétiques. Sa grâce virgilienne, la tendresse de l'expression, le charme des images donnent un peu le change sur la force réelle du symbole, si riche dans le cas présent. Peut-être aussi la sensibilité du lecteur s'agace-t-elle des stéréotypes associés l'image de Thérèse (« jeter des fleurs », « rose effeuillée », évoquant irrésistiblement la statue Saint-Sulpice, « petits anges ») dont ce poème est un des lieux privilégiés. Il serait dommage que cela fasse négliger une poésie essentielle du répertoire thérésien, d'autant que le symbole plonge ses racines dans l'enfance de Thérèse (MSA 17,1r ).
L'étape ultime de toute sa vie d'amour sera chantée dans Une Rose effeuillée (PN 51). L'annonce imagée de sa mission posthume, « une pluie de roses » (CJ 9.6.3 ), dévoile - ou mieux, ne devrait pas voiler - l'unique ambition de Thérèse, au ciel comme sur la terre: aimer Jésus et le faire aimer.

Note 1. Thérèse cite ces vers 3-4 en CJ 14.9.1. La « rose printanière » est alors elle-même à quinze jours de la mort.

Note 2. Un désir très ancien chez Thérèse (cf. LT 74 LT 95 LT 115 LT 134), un geste qui s'apparente à celui de Véronique (cf. LT 98).

Note 3. Cf. MSB 4,1r /v et CJ 6.8.8.

Note 4. Beau vers racinien qui évoque le Ps 44, 12 inversé (Ps 45,12)

Note 5. Première des onze mentions de « lutter » dans les Poésies et Récréations pieuses, jusqu'à mars 1897; cf. Poésies, II, p. 260. Elles ont presque toujours une visée apostolique. Ce vocabulaire guerrier est l'écho affaibli de la pièce très militante, Le Triomphe de l'Humilité (RP 7), Jouée quelques jours auparavant (21/6/1896).

Note d'introduction à la POESIE N 35

A NOTRE-DAME DES VICTOIRES

- DATE: 16 juillet 1896. - COMPOSEE POUR: elle-même et le Père Roulland. - PUBLICATION: HA 98; dix-huit vers corrigés. - MELODIE: pas d'indication.

Plutôt que de la poésie, de la prose rimée; mais cette page représente un aspect important de la vocation de Thérèse. La fraternité avec le P. Roulland, qui s'embarque le 2 août pour la Chine, réactive puissamment sa flamme missionnaire et apaise provisoirement ses grands désirs d'efficacité apostolique. Elle sera « apôtre » et - « quel espoir! » - « martyre » par procuration; mieux, par cette « communion des saints » qui se révèle de plus en plus à elle.
Tout cela met de l'huile sur le feu. Bientôt ses désirs sont cause d'un « véritable martyre » (MSB 3,1r ). Il faut lire à la suite ce poème et la lettre incandescente du 8 septembre 1896 (Ms B) pour mesurer les progrès de cet incendie d'amour. Il ne lui suffit plus d'être associée « aux oeuvres d'un missionnaire ». Pour satisfaire des « désirs plus grands que l'univers », il lui faut s'approprier « les actions de tous les saints », « embrasser tous les temps et tous les lieux ». Une seule solution: « être l'Amour... au Coeur de l'Eglise », jusqu'à l'holocauste absolu.
« Une course de géant », vraiment en ces trois mois de l'été 1896.

Note 1. Thérèse a reçu de grandes grâces de Notre-Dame des Victoires, dont elle a visité le sanctuaire à Paris (cf. MSA 29,2v; MSA 56,2v; cf. aussi LT 244; CJ 7.8.3; et les grandes familles missionnaires d'alors confient à celle-ci leur apostolat. Le P. Roulland a célébré une de ses premières messes à Notre-Dame-des-Victoires. Sa congrégation (les Missions Etrangères de Paris) l'invoquait sous les titres de « Reine des Vierges, Reine des Apôtres, Reine des Martyrs » que reprend ici Thérèse.

Note 2. Cf. MSC 32,1r , MSC 33,1r /v; LT 189 LT 193, etc.

Note 3. Pensée de Thérèse d'Avila, Chemin de la Perfection, chap.X cf. LT 198.

Note 4. Le sort des enfants morts sans baptême l'a préoccupée très jeune; cf. DE, p. 445. « Faire baptiser les petits enfants » est un de ses projets posthumes; cf. CJ 13.7.17; ; PN 44,10.

Note 5. L'écriture penchée et grossie de ce vers, les points d'exclamation et la ligne de points de suspension disent l'enthousiasme de Thérèse à cette perspective.

Note 6. Illustration de la « communion des saints » où chacun
reflète la grâce de l'autre; cf. déjà LT 182 et LT 185, et bientôt MSB 2,2v et MSB 4,1r . Idée reprise avec insistance à l'infirmerie: CJ 13.7.12 ; 15.7.5, etc.

Note d'introduction à la POESIE N 36

JESUS SEUL

- DATE: 15 août 1896. - COMPOSEE POUR: Soeur Marie de l'Eucharistie, à sa demande,
pour sa fête et son premier anniversaire d'entrée au Carmel. - PUBLICATION: HA 98, deux vers corrigés . - MELODIE: Près d'un berceau.

Thérèse excelle à se mettre à la place d'autrui tout en s'exprimant pleinement. Dans Jésus seul, il est facile, certes, de reconnaître la grande passionnée de Jésus de l'été 1896; mais on peut tout aussi bien y lire une biographie spirituelle de Marie de l'Eucharistie.
A cette époque, Thérèse vit des semaines d'une exceptionnelle densité spirituelle. Sans être aussi opaque qu'elle le deviendra en 1897, sa « nuit » la rejette avec plus de passion que jamais vers la Personne de Jésus. Le 6 août, elle s'est consacrée à la Sainte-Face (avec deux novices) en une prière tout amoureuse (PRI 12). Combattante avec le P. Roulland, qui vient de partir pour la Chine, elle retrouve dans Isaie, avec des harmoniques renouvelées, les beaux textes de l'enfance spirituelle (cf. LT 196). Elle aspire de plus en plus à « aimer comme un petit enfant ». Autant de désirs véhéments et contrastés qu'elle intègre en la simplicité d'une vocation unique (cf. Ms B.).
Le poème parle le langage de l'amour humain, à la manière du Cantique des cantiques. Par un de ces renversements dont Thérèse a le secret, la dernière strophe incite à une attitude bien différente de celle du départ. Au début, la créature proposait son amour comme à la cantonade: « Qui pourra? », « Quel coeur voudra? » Elle découvre maintenant un Coeur d'une tendresse plus débordante encore que le sien: un amour qui se fait pauvre, suppliant, qui « mendie » les soupirs et les larmes de sa créature. On ne résiste pas à pareil amour, on lui « abandonne tout ».
L'amour pour « Jésus seul » est le programme proposé par Thérèse à la générosité de Marie de l'Eucharistie, à mi-chemin entre le « repos » du premier cantique pour sa cousine (PN 21) et le violent « combat » du chant de profession (PN 48). L'antithèse « enfant-guerrier » est soulignée par la graphie italique que Thérèse réserve aux mots importants. C'est le vocabulaire du MSB 2,2v et de LT 194.

Note d'introduction à la POESIE N 37

( Cette même note est valable pour PN 38 et 39.)

« - (POUR JEANNE ET FRANCIS LA NEELE) - »

- DATE: 21 août 1896. - COMPOSEES POUR: M. et Mme La Néele, pour la fête de Jeanne:
PN 37 pour les deux èpoux,
PN 38 pour Jeanne,
PN 39 pour le docteur Francis La Néele,à sa demande. - PUBLICATION: Poésies, 1979. - Aucune indication de mélodies.
Thérèse est requise de versifier pour la fête de Jeanne La Néele: un compliment malicieux (PN 37), une prière confiante, réconfortante pour sa cousine, qui souffre tant de ne pas avoir d'enfant (LT 131 LT 150 LT 152 LT 178 LT 255, etc.), et un acrostiche bien frappé pour Francis, le « Savant Docteur », le médecin chrétien au caractère chevaleresque, consacré « défenseur de l'Eglise ».


Note d'introduction à la POESIE N 40

« - LES SACRISTINES DU CARMEL - »

- DATE: début novembre 1896. - COMPOSEE POUR: Soeur Marie-Philomène de Jésus, à sa demande, et les autres sacristines. - PUBLICATION: HA 98 (Cantique pour les Sacristines du Carmel et pour les Soeurs chargées de l'office des Pains d'autel); cinq vers corrigés. - MELODIE: pas d'indication.

On évoquerait volontiers ici quelque chose comme une échelle de Jacob, pour cet échange mystérieux entre le ciel et la terre, dont les sacristines sont les agents inlassables, qui s'exprime en des strophes pleines de douceur, entre ciel et terre.
Douceur discrète de la « femme au foyer », si l'on ose dire: épouse « plus heureuse qu'une reine » (str. 3), dont le coeur reste attentif à son Epoux, tandis que ses mains travaillent avec diligence pour lui. Douceur discrète de la carmélite aussi, associée à l'apôtre à la place qui est sienne, celle d'accompagnatrice cachée. Dans l'un et l'autre cas, auxiliaire devenue semblable à celui qu'elle seconde.
A ce signalement répond parfaitement la première destinataire de la poésie, soeur Marie-Philomène, qui a demandé à son ancienne compagne de noviciat de lui composer quelques couplets à chanter dans la solitude.
Sur un ton très modeste, la seconde partie (str. 7-10) apporte une réponse à l'apparent défi du Manuscrit B: Thérèse y proclamait, entre autres aspirations brûlantes, son désir du sacerdoce, irréalisable du fait des circonstances. Ici elle chante sa manière concrète d'avoir part sans délai à la « mission sublime du Prêtre ». « Transformée » en Jésus par l'Eucharistie, « changée » en Lui, ne devient-elle pas un « autre Christ », comme on aime alors à définir le prêtre? Et elle montre la part qu'elle prend à la Mission, à la Pénitence, à l'Eucharistie.
Aucun complexe d'infériorité, par conséquent vis-à-vis des « hommes », des prêtres. Aucune présomption non plus: pour Thérèse, c'est Jésus qui agit avec la collaboration des hommes... et des femmes.
Une belle image pour conclure ce poème très intime: le « ciboire » se dilate aux dimensions infinies du ciel, qui n'est plus seulement « peuplé » d'élus (PN 24,16), mais « comblé ». Pas de « places vides » (LT 135). Dans ce but, Thérèse va « lutter sans cesse » (PN 45,6). Au ciel même, pas de repos usqu'à ce que « le nombre des élus (soit) complet » (cf.CJ 17,7).

Note d'introduction à la POESIE N 41

« - COMMENT JE VEUX AIMER - »

- DATE: fin 1896. - COMPOSEE POUR: Soeur Saint-Jean de la Croix, à sa demande. - PUBLICATION: HA 98 (Sous le titre Encore un chant d'amour); quatorze vers corrigés. - MELODIE: Credo d'Herculanum, « Je crois au Dieu ».

Un poème qui semble jaillir d'un trait sous la richesse du flux intérieur, pour une soeur assez secrète, une « épouse fidèle » (3,7), trop rigide sans doute, mais qui demande volontiers conseil à Thérèse. Celle-ci l'entraîne à sa suite, avec ces verbes si thérésiens (réjouir, plaire, charmer, consoler), la str. 2 comme un brasier ardent et calme, la str. 3 plus mouvementée par le désir et l'approche de la mort, de l'Epoux vraiment « Sauveur » dans cette admirable finale: « Viens, tout est pardonné », précédant le repos ineffable sur le coeur de Jésus: car « tu m'as beaucoup aimé ».

Note d'introduction à la POESIE N 42

« - ENFANT, TU CONNAIS MON NOM - »

- DATE: décembre 1896. - COMPOSEE POUR: Soeur Marie de Saint-Joseph, à sa demande. - PUBLICATION: HA 98 (sous le titre A l'Enfant Jésus); trois vers corrigés. - MELODIE: « Où vas-tu quand tout est noir? »

Encore un poème sur commande, où Thérèse joue du balancement entre « l'enfant » et « l'orage », avec le petit Jésus apaisant la tempète... L'enfant qui dort (ou plutôt ne dort pas...) pendant l'orage fait partie des archétypes de l'enfance. Jésus, lui, veut dormir comme plus tard dans la barque... Un jeu subtil.
Cette douce incantation est particulièrement adaptée à la destinataire, une compagne à l'humeur tempétueuse, dont Thérèse a entrepris l'apprivoisement. Car cette violente est aussi une tendre, que des mots enfantins désarment bien mieux qu'un raisonnement. Des couplets comme ceux-ci pouvaient transformer une mer orageuse... en mère câline, berçant « tendrement » la « petite tête blonde » de l'Enfant qui s'abandonne à elle pour l'amener à s'abandonner à lui.

Note d'introduction à la POESIE N 43

« - LA VOLIERE DE L'ENFANT JESUS - »

- DATE: Noël 1896. - COMPOSEE spontanément, pour la Communauté au soir de Noël. - PUBLICATION: HA 98; quatre vers corrigés. - MELODIE: Au Rossignol.

Une belle image donne son envol à ce « Noël des oiseaux », qui file un peu longuement la comparaison de la volière et du Carmel. Mais pour une récréation de grande fête on peut se permettre des débordements... Chaque oiseau chante ici dans son registre propre: colombe, alouette, roitelet, pinson. Comme l'oiseau de l'Evangile, « qui ne sème ni ne moissonne », la carmélite reçoit « tout de la main » de Jésus; d'où sa gaieté et son abandon, et sa consécration à « l'unique nécessaire, aimer ». A la fin, « tous les oiseaux » libérés prennent ensemble « leur essor vers le ciel », où ils poursuivent leur chant de louange.
Dix ans plus tôt, une volière égayait « la pauvre mansarde » de Thérèse (MSA 42,2v ); au Carmel, les oiseaux continuent à peupler ses rêves (MSA 79,1r ); pendant l'été 1896, avec le Ms B. la valeur symbolique de l'oiseau prend une dimension nouvelle, signe par excellence d'unité dynamique, et même si « s'envoler n'est pas en son petit pouvoir », comme l'oiseau est chant autant que vol, au coeur même de la tempête, des épreuves du corps et de l'âme, Thérèse ne renoncera pas à chanter (str. 10; cf. PN 52,15 et MSB 5,2v ).

Note 1. Cf. MSB 5,2v et PN 3,53-54.

Note 2. Cf. MSB 5,1r /v .

Note d'introduction à la POESIE N 44

« - A MES PETITS FRERES DU CIEL - »

- DATE: 28 décembre 1896. - COMPOSEE: spontanément, pour elle-même. - PUBLICATION: HA 98 (Sous le titre A mes petits frères du Ciel, les Saints Innocents); quatre vers retouchés. - MELODIE: La rose mousse, ou bien Le fil de la Vierge.

Depuis l'été 1896, où elle a redécouvert les plus beaux textes sur l'enfance, Thérèse pense beaucoup aux Innocents. Pendant sa retraite de septembre, elle peint, en double exemplaire, une image souvenir de ses quatre petits frères et soeurs morts bébés. Au verso, elle transcrit des versets scripturaires très significatifs (cf. Ima 5 et 6 EDV 2). A leur lumière, les couplets de cette poésie proclament la miséricorde gratuite, voire scandaleuse, déployée en faveur d'enfants qui n'ont jamais eu l'usage de leur volonté, et pour qui « le Sauveur » seul « a remporté la victoire » Il y a dix ans, ses « petits frères du ciel » avaient libéré Thérèse du tourment des scrupules ( MsA 44,1r ); aujourd'hui leur exemple lui épargne l'angoisse des « mains vides » (cf. CJ 23.6.1).
Dans un « excès d'amour » (MSA 4,2v ), Thérèse va même jusqu'à « souhaiter la mort » à beaucoup de petits baptisés, non pas d'abord « pour qu'ils aillent au Ciel » mais pour offrir à Jésus ces « fleurs fraîches écloses » qui ont sa préférence...
On notera que Thérèse n'est pas dupe de son imagerie, un peu trop longuement filée (cf. CJ 21/26.5.9); c'est à un univers spirituel, radieux de fraîcheur, de lumière et de joie, que nous renvoient fleurs, enfants et monde stellaire.

Note 1. Il n'est pas question d'enfants-martyrs dans ce poème; c'est Jésus, et non le persécuteur, qui cueille ses lys. La référence de HA 98 aux Saints Innocents est donc inexacte.

Note 2. Cf. LT 124.

Note 3. Cf. LT 182, qui renvoie à la Prière embrasée de Jean de la Croix.

Note 4. Pour Thérèse et Céline, il y aura mieux encore que les « genoux » des Elus: ceux de Jésus lui-même... Cf. LT 211, billet contemporain de PN 44; et PN 18,54.

Note 5. Une ravissante invention poétique pour l'idée que le royaume de Dieu est donné aux petits et non pas aux savants...

Note 6. Ces images cosmiques sont d'autant plus fortes qu'il s'agit de petits enfants; cf. RP 2,7r .

Note 7. Cf. CJ 5.7.3.

Note 8. Cf. RP 2,6v .

Note 9. Thérèse « réclame » beaucoup dans les Poésies (PN 12,8 PN 17,5 PN 24,11 PN 28,4 PN 29,8 PN 31,2 PN 35,4 PN 36,1 PN 41,2 et ici

Note d'introduction à la POESIE N 45

« -- MA JOIE! -- »

- DATE 21 janvier 1897. - COMPOSEE POUR: Mère Agnès de Jésus, pour sa fête; - PUBLICATION: HA 98 (Ma Paix et ma Joie); quatorze vers corrigés. - MELODIE: Où vas-tu, petit oiseau?

« Toute mon âme est là », dit simplement Thérèse en remettant Ma Joie! à Mère Agnès pour sa fête, au moment où elle aborde les passes les plus terribles de son épreuve de la foi et bientôt de l'agonie. Derrière une expression et des images apparemment naïves, c'est une attitude de foi et un combat mystique qui se jouent et s'expriment, sans recherche artistique, mais avec une intensité intérieure et une force vitale surprenantes. Chaque mot pèse son poids d'expérience et de maturité, et le déroulement des strophes nous fait vraiment pénétrer « l'âme » de Thérèse.
Ce poème annonce déjà la page fameuse de juin 1897: « Seigneur, vous me comblez de joie par tout ce que vous faites » (MSC 7,1r ), même si, en janvier, cette joie est encore un acte de foi très volontaire.
Il ne suffit pas à Thérèse de croire à la joie, d'accepter la souffrance, de cacher ses larmes, de sourire à Jésus qui se dérobe: sa joie est de « lutter sans cesse » pour enfanter des élus. Cette notation brève n'en colore pas moins tout le poème: inconsciemment, Thérèse laisse échapper que tous ses paradoxes et ses antithèses, elle les a « voilés sous des fleurs » et que sa joie, c'est une dure lutte incessante attisée par le feu de l'amour (6, 3; 7, 5-6).

Note 1. La deuxième strophe poursuit le paysage apparemment idyllique de la première, mais l'interrogation des vv. 3-4 montre ce que cette gaieté a, sinon de forcé, du moins de voulu. Dans les vv. 5-8, le voile se déchire (cf. MSC 4,2v et MSB 4,2v )

Note 2. L'épreuve de la foi; cf. PN 32,5-8.

Note 3. Un vers d'une grande bravoure, que Thérèse signera par toute sa conduite jusqu'à la mort. Après la « nuit de la vie » (PN 12, 9, 3 ; 13, 18, 1 ), elle est vraiment dans la nuit noire: « nuit de la terre » (PN 48, 4, 3 ), « nuit de la foi » (PN 54, 15, 8 et aussi 54, 16, 2).

Note 4. Cf. LT 141+ , et PN 11,3, 5 ; 13, 5 ; 31,4 ; 54,6 ; MSC 3,1r .

Note 5. Cf. Jean de la Croix, Cantique spirituel, Explication des str. et XXI: « Pour ce qui regarde la vie ou la mort, sa volonté est parfaitement soumise et abandonnée à celle de Dieu... dans un parfait abandon au plaisir divin »; ou la Vive Flamme, Explication du vers: « Achevez enfin, si c'est votre volonté. » Nombreuses notations dans les Derniers Entretiens sur cet abandon de Thérèse devant la vie ou la mort, parce que « c'est ce qu'Il fait que j'aime » (CJ 27.5.4).

Note d'introduction à la POESIE N 46


Thérèse EJ, Poésies 2500