François S.: avis, sermons 404

404

MERE PAULE-JERONYME DE MONTHOUX, Nevers Décembre 1620-1621 (XXVI,339) cf XIX,365

La prise d'habit doit se faire à la grille du choeur. - Vanité et discrétion. - Les mères et les filles s'appellent "Seurs ". - Conduite à tenir à l'égard des malades. - On peut admettre des Novices d'un autre Ordre ; pour les Professes, il faut une dispense de Rome. - N'appeler le médecin que pour la vraie nécessité. - Avis touchant les Pères spirituels. - Raisons qui peuvent dispenser du jeûne. - Demander ce dont on a besoin est plus parfait que de se laisser à " la providence des Superieurs ". - Murmures contre la Supérieure. - Ce que la destinataire doit faire au début de sa charge, soit pour les séculiers, soit pour les Soeurs. - Ne pas s'exempter facilement de l'Office. - Attitude au parloir. - Les prétendantes opiniâtres et négligentes ne doivent pas être reçues. - Confiance aux Pères Jésuites. - Exercer les veuves. - Attirer doucement les Soeurs qui sont dans la peine. - Quelques autres points d'observance.
Tenes vostre courage en Dieu, vives saintement en sa Providence, res-jouisses vous d'avoir quelque chose a meriter pour luy, car en cela consiste le vray estat des enfans de sa Bonté.
Quand les filles n'ont que 14 ans, il y a peu a dire pour les recevoir, si d'ailleurs elles sont bien conditionnées ; et quand les filles ont fait leur essay dans la Maison on ne les fait pas sortir pour leur donner l'habit, ains tout cela se fait a la grille, parce qu'il a esté treuvé plus a propos pour eviter la presse et se conformer aux autres.
Pour celles qui ont la voix bonne et en tirent trop de complaysance il sera tres bon de les priver parfois de tenir les premiers rangs en telles charges, si ce sont filles qui ayent l'esprit fort a supporter la mortification; mais neanmoins il y en a auxquelles il est besoin de donner quelque complaisance au chant des Offices pour les y encourager, en les portant tous-jours de referer tout a Dieu en mortifiant la vanité. On ne peut donner une regle absolue sur ce sujet ; le tout depend de la prudence de la Superieure.
Quant a celles qui desirent les premiers rangs et charges parce qu'elles sont anciennes, en cela la Superieure doit faire selon qu'elle le jugera pour le mieux, sans avoir esgard a telles faiblesses ; car c'est en cela ou il faut rompre et mortifier la volonté et propre estime, sans faire semblant de rien. Faire le tout prudemment et suavement ; la Constitution n'est-elle pas pour cela, affin de rompre les affections et attachemens aux charges ?
Pour les meres et filles qui sont Religieuses, je vous respons en un mot qu'elles se doivent appeller Seurs tout ainsy comme les autres ; mais je ne treuve pas bon qu'on en reçoive facilement ensemble, si ce n'estoyent filles ou femmes extraordinaires et de grande considération.
Pour les malades qui semblent ne prendre playsir a parler des choses bonnes, il faut en cela suivre la discrétion, car il ne les faut pas importuner, mais suavement leur dire de tems en tems quelque chose de bon, sans faire des longs discours. Et faut qu'en l'infirmerie l'ordre soit de lire au tems de la lecture au moins un quart d'heure ; non pas que les malades le facent, si cela les incommode, mais quelqu'autre en leur presence. Et pour leur traittement, il faut user de prudence pour leur faire recevoir les viandes, sans toutesfois tesrnoigner d'appreuver leur douilletterie, car il faut les gouverner comme malades, et néanmoins, imperceptiblement, les tenir en sousmission et obéissance. Il y en a qui tesmoignent la faiblesse du sexe, car si on les veut un peu tenir en devoir au tems de leurs maladies, elles se mettent au descouragement, s'imaginant d'estre abandonnées de Dieu et des créatures ; que s'il leur semble que la Superieure n'ayt essayé que c'est d'estre malade, elles prendront plus mal ce qui viendra d'elle : et nean- moins le support ne procede que de la grace de Dieu, quoy que l'expérience y serve en quelque façon pour la connoissance de cette infirmité.
Suit maintenant vostre demande, ma Seur, si on peut recevoir des Religieuses d'un autre Ordre ? Il est certain qu'on le peut, pourveu qu'elles ne soyent pas Professes ; si elles le sont, on ne le peut sans dispense de Rome. Pour les recevoir, il leur faut faire poser leur habit et les faire habiller honnestement et modestement selon leur qualité ; on n'y doit point faire de différence, voire mesme il les faut mieux espreuver que pas un'autre.
Il ne faut pas appeller le medecin que pour la vraye necessité et tous-jours avec dispense pour chaque malade, si ce n'est que l'on fust bien pressé ; l'on ne leur doit parler des filles que fort discrettement et en sorte que la modestie y soit observee.
Touchant les Peres spirituels, il est malaysé d'en donner une regle ; les difficultés que vous aves sceu estre arrivees ailleurs vous ont fait faire cette demande. La prudence est icy grandement nécessaire pour traitter avec eux comme il faut, mais tous-jours avec humilité et douceur, en tenant néanmoins la regle droitte et ferme pour ce qui est de l'observance des Regles et de l'esprit de la Visitation.
Du jeusne, j'approuve grandement que personne ne s'en dispense de soy mesme ; mays si l'on en a besoin, il en faut laisser le soin a ceux qui ont charge de nous. Et si l'on vous remet a vostre choix, prenés le jeusne, car il est mieux de ne flatter pas le cors que de l'attendrir, si ce n'est pour les raysons suivantes : si le jeusne vous rend chagrine ou donne des estourdissemens de teste, ou bien si l'on est travaillé de quelquedouleur, il n'y a -point de doute que l'on ne doit pas jeusner si cela accroist la douleur; car l'Église ordonne le jeusne pour macerer un peu ceux qui sont sensuelz et pour faire pénitence ; mais ceux qui en reçoivent de l'incommodité qui empesche l'esprit de ses fonctions, l'on en peut dispenser, mais non pas de soy mesme. Si en prenant quelque petite chose l'on peut mieux porter le jeusne, l'on le doit faire sans scrupule ; mais si une fille ne peut supporter du fruit ou de la resinee, l'on peut luy donner un oeuf au tems qu'il est permis d'en manger. Mais de manger autant pesant que feroit une poire, il ne seroit pas a propos, d'autant qu'un oeuf est fort leger ; si ce n'est que l'on ne se peust pas passer a si peu, car alhors l'on peut manger davantage : la discrétion doit gouverner le tout. Il y a plus de perfection a demander ses nécessités que de se laisser a la providence des Superieurs, qui ne doivent pas se lasser a observer celle ci et celle la. La Superieure doit donner rondement et franchement les soulagemens aux Seurs, mais elle les doit rendre simples a les demander. Pour celles qui sont tendres, il faut mespriser leur mal et se moquer d'elles mesmes: mais néanmoins, si l'on connoist qu'elles en ayent nécessité, il les faut soulager gracieusement.
Si une Seur murmurait contre la Superieure, treuvant a redire a ses actions, il ne faudroit en façon quelconque luy en rien tesmoigner ; mais si le murmure estoit d'importance, il faudroit prier une de celles qui les auroit ouy, d'advenir celle qui auroit murmuré, en particulier, sans luy donner a connoistre que la Superieure en sçache rien.
Quand les séculiers parlent a la Superieure de sa charge, il ne faut pas qu'elle dise beaucoup de paroles d'humilité, mais seulement qu'elle seroit bien ayse qu'on luy enseignast et que l'on ne l'y a mise que pour apprendre.
Il faut, au commencement de sa supériorité, qu'elle soit condescendante a contenter la curiosité des espritz, en leur respondant asses familierement selon les demandes que luy feront les séculiers, et mesrne aux Seurs de dedans, ayant un grand soin de les contenter ; et en cet abord il faut qu'elle donne une grande estime des Constitutions et qu'elle aye un grand soin de tenir les Seurs dans l'estroitte observance des menües choses, comme de lever ses habitz, fermer les portes apres soy, en leur faysant concevoir la sincérité des Constitutions qui n'obligent point a peché quand il n'y a point de négligence.
Il faut que la Superieure ayt une grande discrétion pour ne pas s'exempter des Offices, estant au parloir, si ce n'est qu'elle soit avec des personnes de respect, ou affligees, ou quelque affaire de la Mayson; alhors il faudroit patienter ; mais les autres, il leur faut dire humblement que c'est l'heure de l'Office ; hors de ce tems la, il s'y faut assujettir autant que l'on le requerra. Elle pourra lever le voyle devant les seigneurs de l'Eglise, devant les Evesques, devant les Princes et grans seigneurs. Il faut entrer au parloir tous- jours le voyle baissé, mesme devant les femmes, et s'il n'y a point d'homme on le peut lever. Il ne faut point donner a manger au parloir et ne toucher que rarement la main des séculiers.
L'on doit prendre garde de ne point rejetter des filles pour des choses legeres ; mais il faut prendre garde aussi de n'en point recevoir de celles qui sont opiniastres et negligentes a se corriger de leurs defautz et tout ensemble malicieuses ; mais si l'on voit qu'elles eussent [assez] de force a se surmonter, il faut alhors user de patience, en leur donnant du tems a se surmonter et corriger. Il ne faut pas que la Superieure s'informe des pechés particuliers lhors que les prétendantes luy rendent conte de l'histoire de leur vie ; la Directrice leur doit apprendre de le rendre ainsy : J'ay esté autrefois adonnee a la vanité, ayant beaucoup perdu de temps a cela ; j'ay esté sujette a la cholere ou a l'humeur melancholique. La Maistresse doit tout dire a la Superieure, quoy que la prétendante ne voulust pas ; mays la Superieure ne doit en façon quelconque en donner rien a connoistre a la Novice de le sçavoir.
L'on peut parler librement aux Peres Jesuites et leur faut donner une grande confiance, mais avec beaucoup de respect. L'on leur peut mesme parler en particulier, quand quelque Seur en a nécessité.
Il faut exercer les vefves, pour spirituelles qu'elles soyent, a la simplicité de la Communauté, mesme des exercices intérieurs.
La Superieure doit escouter les peynes abjectes des Seurs comme celle qui n'y pense pas, et pour les Seurs qui en sont en peyne et celles qui ne les disent pas, il faut charitablement leur aller au devant ; tout de mesme a celles qui sont trop tardifves a rendre conte, les attirer doucement.
L'on ne doit laisser lire des livres ou sont des autres Regles, affin que cela ne serve de tentation ; mesme il y en a qui ne permettent pas de lire les Chroniques de saint François a cause de cela.
La Superieure peut donner, s'il y a des commodités a la Mayson. Il faut eviter deux extrémités : d'estre trop liberale et aussi trop retenue. Il sera bon de s'informer s'il y a des pauvres, affin de les assister de quelque chose.
C'est a son choix de rendre conte ou a un Pere, ou au Confesseur, ou a son Ayde, et rien du tout si elle ne veut.
Si le Confesseur demandait souvent de parler a une Seur, il la faudroit mettre en quelque office qui l'occupast, affin d'avoir dequoy s'excuser.
La Superieure, en visitant les lavettes des Seurs, ne doit point lire les lettres du Pere spirituel ni de nostre Mere de Chantal ; mais pour les autres, elle les peut lire si elle veut.
Revu sur un ancien Manuscritconservé à la Visitation de Bourg-en-Bresse.

405

SUPERIEURES VISITATION1615-1622 (XXVI, 345)

Grand honneur d'être appelées à la conduite des âmes ; comment faut-il s'en acquitter ? - Les Supérieures doivent suivre les voies de Dieu et non les leurs. - Qualités de l'homme intérieur. - Comment agir avec les inférieures revéches et orgueilleuses. - Suivre l'esprit de douceur et cultiver surtout les âmes. - Souhaits du Saint aux Supérieures.
Puisque c'est le haut point de la perfection chrestienne de conduire les ames a Dieu, l'aymant qui a attiré Jesus Christ du Ciel en terre pour y travailler et consommer son oeuvre dans la mort et par la Croix, il est aysé de juger que celles qu'il employe a cette fonction se doivent tenir bien honnorees, s'en acquittant avec un soin digne des espouses de Celuy qui a esté crucifié et est mort comme un Roy d'amour, couronné d'espines, parmi la trouppe de ses esleus, les encourageant a la guerre spirituelle qu'il faut soustenir icy bas pour arriver a la celeste Patrie promise a ses enfans.
Ainsy, mes cheres Filles, celles que Dieu appelle a la conduite des ames se doivent tenir dans leurs ruches mystiques ou sont assemblées les abeilles celestes pour rnesnager le miel des saintes vertus, et la Superieure, qui est entre elles comme leur roy, doit estre soigneuse de s'y rendre presente, pour leur apprendre la façon de le former et conserver. Mais il faut travailler cette oeuvre et cette sainte besoigne avec une entiere sousmission a la sainte Providence, puisant dans le sein du Pere celeste les moyens convenables a cet employ.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Puisque vous tenes, mes cheres Filles, la place de Dieu dans la conduite des ames, vous deves estre fort jalouses de vous y conformer. Observes ses voyes et non les vostres, soustenant fortement son attrait dans chacune, en leur aydant a le suivre avec humilité et sousmission, non a leur façon, mais a celle de Dieu que vous connoistres mieux qu'elles tant que l'amour propre ne sera pas aneanti, car il fait souvent prendre le change, et tourner l'attrait divin a nos manieres et suites de nos inclinations.
Portes tous-jours a cet effect sur vos levres et par vos langues le feu que vostre ardent Espoux a apporté en terre (Lc 12,49) dans les coeurs, a ce qu'il consomme tout l'homme extérieur, et en reforme un intérieur (Ep 3,16 Ep 4,22 Col 3,8), tout pur, tout amoureux, tout simple et tout fort a bien soustenir les espreuves et exercices que son amour luy suggereraen leur faveur, pour les purifier, perfectionner et sanctifier.
Mais si quelques unes se rendoyent contraires a cette conduite, vous pourries, prenant sujet de les y exercer, leur faire voir leur ignorance, leur peu de rayson et de jugement de s'amuser aux présomptions et fauses imaginations que produit la nature depravee; combien l'esprit humain est opposé a Dieu, dont les secretz ne sont revelés qu'aux humbles (Mt 11,25 Lc 10,21) ; qu'il n'est pas question, en la Religion, de phi- losophes et de beaux espritz, mays de graces et de vertus, non pour en discourir, mais pour les prattiquer humblement ; leur faysant faire et ordonnant des choses difficiles a faire et comprendre et qui soyent humiliantes, pour les destacher insensiblement d'elles mesmes et les engager a une humble et parfaitte sousmission a l'ordre des Superieures, lesquelles aussi doivent avoir une grande discretion a bien observer le tems, les circonstances et les personnes.
Serves vous volontier des conseilz, lhors qu'ilz ne seront point contraires au projet que nous avons resolu, de suivre en tout l'esprit d'une suave douceur et de penser plus a l'intérieur des ames qu'a l'extérieur ; car en fin, la beauté des filles du Roy est au dedans (Ps 44,14), qu'il faut que les Superieures cultivent, si elles n'ont elles mesmes ce soin, crainte qu'elles ne s'endorment dans leur chemin et ne laissent esteindre leurs lampes par négligence ; car il leur seroit dit indubitablement comme aux vierges folles se présentant pour entrer au festin nuptial : je ne vous connois point (Mt 25,11).
Je vous recommande a Dieu pour obtenir ses saintes graces dans vos conduites, affin que, tout a son gré et par vos mains, il façonne les ames, ou par le marteau, ou par le ciseau, ou par le pinceau, pour les former toutes selon son bon playsir, vous donnant a ce dessein des coeurs de peres, solides, fermes et constans, sans omettre les tendresses de meres qui font desirer les douceurs aux enfans, suivant l'ordre divin qui gouverne tout avec une force toute suave et une suavité toute forte (Sg 8,1).

406

PASTEURS DE L'EGLISE, Conduite des - (XXVI, 96)

Comment un Supérieur doit sortir de la lecture et de la méditation. - Ne pas négliger le bon exemple. - Quel doit être l'abord de ceux qui commandent. - Leur attitude envers ceux qui les visitent. - Les " malades hon- teux " et les remèdes pour les grandes maladies de l'âme. - Suivre une multiplicité de conseils est chose dangereuse.
Un Superieur ne [devroit] sortir de la lecture des saintes Lettres, ni de la meditation, que comme un capitaine sort du camp, pour voir en passant l'armee ennemie, affin de reconnoistre ce qu'on y fait, pour en tirer du prouffit.
[Il devroit] ressembler aux pasteurs, qui paissent les aigneaux, encores qu'ilz ne leur donnent ni laict ni laine. Il ne devroit jamais negliger le moindre exemple pour edifier le prochain, parce que tout ainsy qu'il n'y a si petit ruysseau qui ne meine a la mer, il n'y a trait qui ne conduise l'ame en ce grand ocean des merveilles de la bonté de Dieu. L'abord des personnes qui commandent doit estre comme l'entree de la boutique d'un chirurgien, ou l'on ne fait que relever la moustache, anneler les cheveux et faire la barbe. Ilz doivent s'accommoder avec ceux qui les viennent visiter, comme saint Jean, lequeln'ordonnait aux soldatz qui le venoyent treuver au desert sinon de garder les commandemens de Dieu (Lc 3,14). Et comme en une chambre particuliere l'on panse les malades honteux, l'on met le feu et le fer a des playes, l'on tire le tronçon d'une espee du ventre ou la basle du cors, en cette façon le Superieur, apres avoir reconneu la disposition de ceux avec lesquelz il traitte, doit entrer plus avant, et leur tirer de l'ame des vielles habitudes, et par la représentation des horribles conditions du peché, apporter le fer et le feu d'enfer ou les legeres saignees ne servent de rien. Et en effect, il y a des meschans dont les exces pour estre passés en coustume treuvent que le repentir est un crime, l'amendement lascheté et l'innocence une honte et une pure niayserie.
On ne se doit point tant embrouiller la teste d'advis ni en multiplicité de conseilz ; les livres sont plus croyables et moins ïnteressés que ceux en qui nous avons confiance, et il faut prendre garde que les autres se trompans ne nous abusent aussi, et ne sortent d'avec nous comme la guespe, apres avoir laissé son aiguillon.


500

Lettre à Sainte Jeanne de Chantal

Baronne de Chantal Sales 15-20 avril 1610
( " Escrit sur mes tablettes en avril 1610 ") (XXVI, 241)
Ne pas faire de réflexions sur les choses qui arrivent. - Dans les sécheresses, s'humilier. - Comment reprendre le prochain.- Le voyageur dans un na vire et le soin du pilote.
Pour toutes les choses qui vous arriveront, n'alles point [en] rechercher la cause (il suffit que Dieu la sçait), mais simplement humilies vous devant Dieu, supportant la contradiction avec douceur, sans réflexions.
Au tems des sécheresses, humilies vous, et au tems des sentimens et veüe de vostre misere, jettes vous au plus profond des entrailles de la miséricorde divine.
Mortifies vous en ces petites saillies contre les imperfections du prochain, les reprenant avec l'esprit de douceur.
N'ayes point soin de vous mesme, non plus qu'un voyageur qui s'est embarqué de bonne foy sur un navire, qui ne prend garde qu'a se tenir et vivre dans iceluy, laissant le soin de prendre le vent, tendre les voiles et faire voguer, au pilote sous la conduitte duquel il s'est mis.

501

\BMère de Chantal\b : 1613-1615 (XXVI, 269)

Confiance et abandon - Garder son âme ferme - Simplicité des enfants - Pas d'empressement - Toute à Dieu
Prosterné, ce me semble, en quelque petit recoin du mont de Calvaire ou Nostre Seigneur me voit, je vous escris ces lignes, ma tres chere Mere, pour vostre soulagement, comme un abbregé des résolutions plus convenables a vostre advancement devant Dieu.
Je repete ce que si souvent je vous ay dit : que, non seulement en l'orayson, mays en la conduitte de vostre vie, vous deves marcher en l'esprit d'une tres parfaitte et tres simple confiance en Dieu, entièrement remise et abandonnée a son bon playsir, comme un enfant innocent qui se laisse aller a la conduitte et direction de sa mere.
Secondement : Et pour bien marcher ainsy a la mercy de l'amour et du soin de ce cher souverainement aimable Pere, tenes souëfvement et paysiblement vostre ame ferme, sans permettre qu'elle se divertisse a se retourner sur elle mesme, ni a vouloir voir ce qu'elle fait ou si elle est satisfaitte ; car, ma chere Mere, nos satisfactions ne sont point aymables devant les yeux de Dieu, ains seulement elles aggreent a nostre propre amour. Le Sauveur de nostreame inculque si souvent la simplicité des petitz enfans (Mt 18,2), que nous la devons aymer tres particulièrement. Or, ces petitz enfans innocens ayment leurs meres qui les portent, avec une extreme simplicité : ilz ne regardent nullement ce qu'elles font, ni ne font point de retours sur eux mesmes ni sur leurs satisfactions, ilz les prennent sans les regarder ; ilz tetent avec avidité et ne regardent point si ce lait est meilleur une fois que l'autre, car tandis qu'il y en a, ilz le prennent tout de bon, sans autre curiosité. En cela donq nous devons ressembler aux petitz enfans. Comme encor en cette douce oysiveté par laquelle ilz ne se soucient point d'aller, ains ayment mieux estre portés ; et quand ilz commencent a vouloir aller, ilz commencent aussi a souvent tomber et trebuscher es choses qu'ilz rencontrent. Bienheureux sont ceux qui ne veulent pas tous-jours faire, voir, considérer, discourir !
Ma tres chere Fille, il faut accoyser nostre activité d'esprit, puisque nous voyons manifestement que Dieu nous appelle a cette unique, tres simple attention de confiance. De cette activité d'esprit et du soin que nostre amour nous suggere d'avoir de nostre coeur et de ce qu'il fait, provient l'inquiétude de nostre coeur lhors que nous appercevons soit de loin, soit de pres, quelques tentations ou de la foy ou de quelques autres vertus que nous chérissons fort, ou mesme quand nous craignons de perdre la douceur et consolation : c'est pourquoy il faut simplifier nostre esprit, et ayant abandonné et quitté tout ce qui desplaist a Dieu, demeurer en paix dans nostre barque, c'est a dire faire en paix les exercices de nostre vocation. Et ne nous empressons point de nostre advancement ; car, comme ceux qui sont en une barque ou il y a bon vent, sans remuer tirent au port, aussi ceux qui sont en une vocation bonne, sans s'embe- soigner de leur prouffit, prouffitent et s'advancent perpetuellement. Que s'ilz n'ont pas la satisfaction de voir leurs progres, ilz ne doivent pas pour cela s'alangourir, car ilz sont certains qu'ilz ne laissent pas de s'advancer.

502

Conseils à la même\b : £[1613-1616 ] (XXVI, 271)

Les petites vertus. - Tout faire pour Dieu. - Garder la paix et reposer dans le sein de la Providence.
Je desire que vous soyes extrêmement humble et petite a vos yeux, douce, condescendante et simple comme une colombe (Mt 10,16) ; que vous aymies vostre abjection et la prattiquies fidellement, employant de bon coeur toutes les occasions qui vous arriveront pour cela.
Dites beaucoup en vous taisant, par la modestie et esgalité.
Supportés et excusés fort le prochain, et avec une grande douceur de coeur.
Faites toutes choses pour Dieu, unissant ou continuant vostre union par de simples regards ou escoulemens de vostre coeur en luy.
Ne vous empresses de rien, faites toutes choses tranquillement, en esprit de repos. Pour chose que ce soit, ne perdes vostre paix intérieure, quand bien tout bouleverserait ; car, qu'est ce que toutes les choses de cette vie en comparaison de la paix du coeur ?
Recommandes toutes choses du tout a Dieu, et vous tenes coye et en repos dans le sein de sa paternelle Providence.
Prenés bon courage et vous tenes humble devant la divine Providence.
Ne desires rien que le pur amour de Nostre Seigneur.

503

SIMPLICITÉ, ABANDON ET AMOUR DU PROCHAIN\b jeudi-Saint, 31 mars 1616 (XXVI, 272)

Le P.de la Rivière est le premier à avoir publié cet écrit dans sa Vie de notre Saint (liv III, ch.32, p.351, 1625) ; il l'adresse aux Visitandines avec ce titre : "Exercice de l'abandonnement de soy-même entre les mains de Dieu, donné aux mesmes Dames." On le trouve également dans les Vrays Entretiens Spirituels (1629), intercalé dans le 12eEntretien : De la Simplicité (VI,217)
Comment marcher en esprit de simplicité. - Ne pas faire des retours sur soi-même. - Exemple des petits enfants. - Les " amantes spirituelles " se " purifient et ornent " pour plaire à I'Epoux céleste. - Leur préparation n'est pas longue ni empressée, mais fidèle et amoureuse. - Avis de saint François d'Assise. - Imiter le Sauveur sur la croix. - Les inquiétudes de notre coeur et l'avancement dans la perfection. - Rien ne peut ébranler celui qui se remet au bon plaisir de Dieu. - Regarder le prochain dans la poitrine du Sauveur. - La présence ne peut rien ajouter " a un amour que Dieu a fait, soustient et maintient ". - Vivre et mourir comme il plaira au " coeur souverain " de Notre-Seigneur. - Arrêter l'inconstance de l'esprit humain par la force des anciennes résolutions.
En ce saint jour anniversaire auquel nous celebrons la memoire de nostre Redemption, je vous escris ces lignes, ma tres chere Fille, comme un abbregé des résolutions plus convenables a vostre advancement au pur amour de Nostre Seigneur crucifié.
Non seulement en l'orayson, mays encor en la conduitte de vostre vie, marches invariablement en esprit de simplicité, abandonnant et remettant toute vostre ame, vos actions et vos succes au bon playsir de Dieu, par un amour de parfaitte et tres absolue confiance, vous delaissant au soin et a la mercy de l'amour eternel que la divine Providence a pour vous. Et pour cela, tenes vostre ame ferme en ce train, sans permettre qu'elle se divertisse a faire des retours sur elle mesme pour voir ce qu'elle fait ou si elle est satisfaite. Helas ! nos satisfactions et consolations ne satisfont pas aux yeux de Dieu, ains elles contentent seulement ce misérable amour et soin que nous avons de nous mesme, hors de Dieu et de sa considération.
Les enfans, certes, que Nostre Seigneur nous inculque devoir estre le modelle de nostre perfection (Mt 18,3), n'ont ordinairement aucun soin, sur tout en la presence de leurs pere et mere ; ilz se tiennent attachés a eux, sans se retourner a regarder ni leurs satisfactions ni leurs consolations, qu'ilz prennent a la bonne foy et en jouissent en simplicité, sans curiosité quelconque d'en considérer les causes ni les effectz, l'amour les occupant asses sans faire autre chose. Qui est bien attentif a plaire amoureusement a l'Amant celeste n'a ni le coeur ni le loysir de se retourner sur soy mesme, son esprit tendant continuellement du costé ou l'amour le porte.
Cet exercice d'abandonnement continuel de soy mesme es mains de Dieu comprend excellemment toute la perfection des autres exercices, en sa tres parfaitte simplicité et pureté, et tandis que Dieu nous en laisse l'usage, nous ne devons point le changer.
Les amantes spirituelles, espouses du Roy celeste, se mirent voyrernent de tems en tems comme des colombes qui sont aupres des eaux (Ct 5,12) tres pures, pour voir si elles sont bien ageancees au gré de leur Amant ; et cela se fait es examens de conscience, par lesquelz elles se lavent, se purifient et ornent au mieux qu'elles peuvent, non pour se satisfaire, non pour desir de leur progres au bien, non pour estre parfaittes, mais pour obeir a l'Espoux, pour la reverence qu'elles luy portent, pour l'extreme desir qu'elles ont de luy donner contentement, elles se lavent, se nettoyant purifient et ornent au mieux qu'elles peuvent. Mays n'est ce pas un amour bien pur, bien net et bien simple, puisque elles ne se purifient pas pour estre pures, elles ne se parent pas pour estre belles, ains seulement pour plaire a leur Amant, auquel si la laydeur estoit aussi aggreable, elles l'aymeroyent autant que la beauté. Et si, ces simples colombes n'employent pas un soin ni fort long, ni aucunement empressé a se laver et parer ; car la confiance que leur amour leur donne d'estre grandement aymees, quoy qu'indignes (je dis la confiance que leur amour leur donne en l'amour et en la bonté de leur Amant), leur oste tout empressement et desfiance de ne pas estre asses belles ; outre que le desir d'aymer, plustost que de se parer et praeparer a l'amour, leur retranche toute curieuse sollicitude et les fait contenter d'une douce et fidele préparation faite amoureusement et de bon coeur.
Et pour conclure ce premier point, saint François envoyant ses enfans aux chams, en voyage, leur donnoit cet advis en lieu d'argent et pour toute provision : jettes vostre soin en Nostre Seigneur et il vous nourrira (Ps 54,23). Je vous en dis de mesme, ma tres chere Fille, ma Mere : jettes bien tout vostre coeur, vos prétentions, vos sollicitudes et vos affections dans le sein paternel de Dieu, et il vous conduira, ains portera ou son amour vous veut.
Oyons et imitons le divin Sauveur qui, comme tres parfait Psalmiste, chante les souverains traitz de son amour sur l'arbre de [la] croix; il les conclud tous : Mon Pere, je remetz et recommande mon esprit entre vos mains ( Lc 23,46). Apres que nous aurons dit cela, ma tres chere Mere, que reste-il, sinon d'expirer et mourir de la mort de l'amour, ne vivant plus a nous mesme, mais Jesuschrist vivant en nous (Ga 2,19)
Alhors cesseront toutes les inquiétudes de nostre coeur, provenantes du desir que l'amour propre nous suggere et des tendretés que nous avons en nous et pour nous, qui nous fait secrettement empresser a la queste des satisfactions et perfections de nous mesme ; et, embarqués dans les exercices de nostre vocation, sous le vent de cette simple amoureuse confiance, sans nous appercevoir de nostre progres nous le ferons grandement, et sans aller nous avancerons; sans nous remuer de nostre place, nous tirerons païs, comme font ceux qui singlent en haute mer sous un vent propice.
Alhors tous les evenemens et varietés d'accidens qui surviennent sont receuz doucement et souefvement : car, qui est entre les mains de Dieu et qui repose dans son sein, qui s'est abandonné a son amour et qui s'est remis a son bon playsir, qu'est ce qui le peut esbransler et mouvoir ? Certes, en toutes occurrences, sans s'amuser a philosopher sur les causes, raysons et motifz des evenemens, il prononce de coeur ce saint acquiescement du Sauveur : Ouy, mon Pere, car ainsy a il esté aggreé devant vous (Mt 11,26).
Alhors nous serons tout destrempés en douceur, en suavité envers les Seurs et les autres prochains, car nous verrons ces ames la dans la poitrine du Sauveur. Helas ! qui regarde le prochain hors de la, il court fortune de ne l'aymer ni purement, ni constamment, ni esgalement ; mays la, qui ne l'aymeroit ? qui ne le supporterait ? qui ne souffrirait ses imperfections ? qui le treuveroit de mauvaise grace ? qui le treuveroit ennuyeux ? Or, il y est ce cher prochain, ma tres chere Fille, dans le sein et dans la poitrine du Sauveur ; il y est comme tres aymé et tant aymable, que l'Amant meurt d'amour pour luy. Quand sera ce que cet amour naturel du sang, des contenances, des bienséances, des correspondances, des sympathies, des graces, sera purifié et reduit a la parfaitte obeissance de l'amour tout pur du bon playsir de Dieu ? Quand sera ce que cet amour de nous mesme ne desirera plus les présences, les tesmoignages et significations exterieures, ains demeurera pleinement assouvi de l'invariable et immuable asseurance que Dieu luy donne de sa perpetuité ? Que peut adjouster la presence a un amour que Dieu a fait, soustient et maintient ? Quelles marques peut on requerir de perseverance en une unité que Dieu a creé ? La distance et la presence n'apportera ni n'ostera jamais rien a la solidité d'un amour que Dieu a luy mesme formé.
Sur ces fondemens, abandonnons et delaissons-nous nous mesmes dans le fond du coeur percé de Nostre Seigneur. Soit fait de nous et en nous selon le bon playsir royal de ce coeur souverain, auquel, par lequel et pour lequel nous voulons vivre et mourir ainsy et comme il luy plaira, sans reserve et sans exception quelcomque.
Fait le jeudi Saint, l'an 1616.
VIVE Jesus qui est mort pour nostre coeur ! et qu'a jamais nostre coeur meure pour revivre éternellement de la mort de son amour.
Il faut arrester l'inconstance de l'esprit humain en l'instabilité et changement de nos sentimens et imaginations par la force de nos premières résolutions, puisque Dieu a establi une invariable et indissoluble fermeté.
Revu en partie sur le Manuscrit de Nancy et en partie sur l'Autographe conservé à Turin, Bibliothèque royale.


François S.: avis, sermons 404