François S.: avis, sermons 504

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Conseils à la même\b 1615-1616 (XXVI, 277)

Excellence du sommeil amoureux entre les bras du Sauveur. - La Mère de Chantai doit demeurer enla remise de tout elle-même à Notre-Seigneur et coopérer à sa grâce. - Que faire à l'oraison. - Délaisser sa vie et ses affaires au bon plaisir de Dieu.
Cet amour simple de confiance et cet endormissement amoureux de vostre esprit entre les bras de ce Sauveur comprend excellemment tout ce que vous alles cherchant ça et la pour vostre goust.
Demeures en la tranquille résignation et remise de vous mesme entre les mains de Nostre Seigneur, sans toutesfois laisser de cooperer courageusement et diligemment a sa sainte grace par l'exercice des vertus es occasions qui s'en présenteront. Demeures en cette simple et pure confiance filiale aupres de Nostre Seigneur, sans vous remuer nullement pour faire des actions sensibles ni de l'entendement, ni de la volonté.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Demeures la en repos, en esprit de tres simple et amoureuse confiance. Et ceci se doit prattiquer non seulement a l'orayson, ou il faut aller avec une grande douceur d'esprit, sans dessein d'y faire autre chose quelconque, ains seulement pour estre a la veuë de Dieu dans cette simple remise et repos en luy et comme il luy plaira ; se contenter d'estre en sa presence, encor que vous ne le voyies, ni senties, ni sçauries représenter, et ne vous enqueres de luy de chose quelconque sinon a mesure qu'il vous excitera. Ne retournes nullement sur vous mesme, ains soyes la pres de luy ; non seulement, dis je, il faut prattiquer cette simplicité et abandonnement en l'orayson, mays en la conduite de toute la vie, rejettant et delaissant toute vostre ame, vos actions, vos succes, vos affaires au bon playsir de Dieu et a la mercy de son soin. Il faut tenir l'ame ferme en ce train.

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Derniers avis :\b Annecy, 6 juin 1616 (XXVI, 278)

Simplicité de l'amour, remise de soi-même eu Dieu. - Tout recevoir de sa main et ne vouloir que lui.
En ce jour de saint Claude, mémorable a nostre Congregation(1),je ramasse ainsy tout ce que je vous ay dit, pour l'abbreger : Soyes fidèlement invariable en cette resolution, de demeurer en une tres simple unité et unique simplicité de la presence de Dieu, par un entier abandonnement de vous mesme en sa tressainte volonté, et toutes les fois que vous treuveres vostre esprit hors de la, ramenes l'y doucement, sans faire pour cela des actes sensibles de l'entendement, ni de la volonté ; car cet amour simple de confiance et cette remise et repos de vostre esprit dans le sein paternel de Nostre Seigneur et de sa Providence, comprend excellemment tout ce que l'on peut desirer pour s'unir a Dieu. Demeures donq ainsy, sans vous en divertir pour regarder ce que vous faites ou feres, ou ce qui vous adviendra, en toute occurrence et en tout evenement.
Ne philosophes point sur vos contradictions et afflictions, mais receves tout de la main de Dieu, sans exception, demeurant douce, patiente et acquiesçant en tout tres simplement a sa sainte volonté.Que toutes vos paroles et actions soyent accompaignees de douceur et simplicité. Quand vous appercevres que quelque soin ou desir naistra en vous, remettes le en Dieu, ne voulant seulement que luy et l'accomplissement de sa sainte volonté, luy laissant le soin de tout le reste.
Demeures en la tressainte solitude et nudité avec Nostre Seigneur Jesus Christ crucifié.
Faites bien cecy, ma tres chere Mere, ma Fille. Mon ame, mon esprit vous benit de toute son affection, et Jesus soit Celuy qui face de vous, par vous et pour luy sa tres adorable volonté. Amen, amen

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Baronne de Chantal 3 mai 1604\b (XXVI, 188)

La perfection n'est autre chose que la charité. - Qu'est-ce qui la produit. - La prière, les Sacrernents, l'exercice des vertus : moyens pour l'acquérir. - Les trois vertus de Religion, quoique non vouées, rendent parfait. - Les degrés de l'obéissance par rapport à ceux à qui on la rend. - Exemple de Jésus-Christ. - Obéir aux commandements de Dieu et des supérieurs, aux conseils évangéliques suivant sa vocation, aux inspirations de la grâce. - L'obéissance dans les choses agréables, dans les indifférentes et dans les difficiles.
Nostre Dieu nous commande d'estre Partaitz (Mt 5,48); mais en quoy consiste la perfection ? C'est chose asseuree quelle n'est autre chose que la charité, qui comprend l'amour de Dieu et du prochain. Neanmoins, selon la commune façon d'entendre, on n'appelle pas parfaitz tous ceux qui ont la charité, ains seulement ceux qui l'ont en un degré sublime et eminent ; c'est a dire ceux qui ont un amour de Dieu et du prochain fort excellent.
Puis donq que nous sommes obligés d'aspirer a la perfection, il est requis de connoistre les moyens propres pour l'acquérir, et tout ensemble les actions qu'elle produit en nous, qui n'est qu'une mesme chose ; car tout ainsy que le grain du froment produit la plante et la plante produit le grain, ainsy les saintz exercices produisent la perfection et la perfection fait naistre les saintz exercices. Puisque la perfection de l'ame consiste en la charité, et la charité est le don principal du Saint Esprit, le premier moyen pour obtenir la perfection, c'est de la demander humblement, instamment et continuellement a Dieu par prieres et meditations ; le deuxiesme, c'est l'usage des Sacremens, car ilz sont les canaux par lesquelz Dieu distille en nous la grace, charité et perfection ; le troisiesme, c'est l'exercice des vertus en general.
Mais parce que ce troisiesme moyen est si ample, je le reduiray en cette sorte : Les trois vertus des Religieux sont les trois plus signalés instrumens pour acquerir la perfection et les trois plus grans effectz d'icelle. Or, ces trois vertus ou voeux estant gardees, quoy que non vouees, elles rendent l'homme parfait ; il faut donq tascher a les acquerir en tous les degrés qu'elles ont.

EXEMPLE DE L'OBEYSSANCE

L'obeyssance a trois degrés en ce qui concerne les personnes a qui nous rendons obéissance. Le premier degré, c'est d'obeyr aux Superieurs et [à ceux] qui ont du pouvoir sur nous, comme peres, meres, maris, Prelatz : donq le filz doit obeyr a son pere avec la mesme souplesse qu'un Novice d'une Religion fort reglee feroit a son Superieur ; et est une niayserie de s'imaginer qu'on obeyroit bien a un Superieur de la Religion qu'on auroit choisie, si on ne peut obeyr aux Superieurs que Dieu mesme et la nature nous a donnés.
Le 2. degré, c'est d'obeyr a nos compaignons et a ceux qui nous sont esgaux ; et ce degré se prattique en se rendant doux et facile a la volonté de nos compaignons. Contre ce degré pechent tous les espritz opiniastres, contentieux et sujetz a leurs volontés.
Le 3. degré, c'est d'obeyr aux inférieurs, s'accommodant aucunement a leurs desirs entant qu'ilz ne sont point mauvais, avec une [douce] condescendance; et a ce degré est contraire l'authorité impérieuse et desdaigneuse que l'on prend sur les inférieurs. La prattique de ce degré rend nostre coeur doux, humble et gratieux aux commandemens des supérieurs, aux volontés des compaignons et aux desirs et prieres des inférieurs. L'exemple de cette obeyssance est en Jesus Christ, qui obeit non seulement a son Pere eternel et a sa sainte Mere, mais aussi a saint joseph et aux statutz et coustumes de l'Eglise (Lc 2,22). Nostre Dame obeit a saint Joseph et aux autres. Et cela est ordonné par l'Apostre (Rm 13,5), qui veut que nous soyons sujetz a un chacun pour 1'amour de Dieu.
Cette mesme obédience a troys autres degrés, selon les choses esquelles il faut exercer l'obeyssance. Le 1. est d'obeyr aux commandemens de Dieu et des supérieurs; et ce degré d'obeyssance est nécessaire a un chacun, car qui ne l'observe peche mortellement, quand il s'agit de quelque chose d'importance. Et a ce degré est formellement contraire la desobeyssance.
Le 2. degré, c'est d'obeyr aux conseilz, chacun selon sa vocation : comme de demeurer vefve quand on l'est; de rechercher celuy qui nous a offencés, par caresses et courtoysies; d'ayder ceux qui en ont quelque besoin, encores qu'ilz ne soyent pas en grande nécessité. Et a ce degré est grandement contraire la tepidité et froideur.
Le 3. degré, c'est d'obeyr aux inspirations et mouvemens intérieurs que l'on reconnoist tendre a la plus grande gloire de Dieu, et ce, apres les avoir examinés ou fait examiner. Et a ce degré est contraire l'inadvertance et mespris de nostre intérieur. La prattique de ce troisiesme degré fait qu'en tout et par tout nous nous conformons a Dieu et a sa sainte volonté. L'exemple en est en Nostre Seigneur qui fit toute sa vie tout ce qui visoit plus a la gloire de son Pere eternel (Jn 8,50), de la glorieuse Vierge Marie, sa Mere, et de tous les Saintz.
L'obedience a encores troys autres degrés, prins de la facilité ou difficulté que nous avons en l'obeyssance. Le1. est lhors qu'on nous commande quelque chose aggreable, comme seroit de ne point travailler les festes, de chanter en musique, ou quelque autre chose semblable, laquelle de soy mesme nous est aggreable ; et en cela il n'y a pas grande vertu en obeyssant, mais il y a bien du grand vice en des-obeyssant.
Le 2. c'est quand on nous commande des choses indifferentes, c'est a dire choses qui de soy mesme ne sont ni aggreables ni desaggreables, comme seroit de se promener, de porter tel ou tel habit; et lhors la vertu de l'obeyssance est grande, et le vice aussi de la des-obeyssance bien grand.
Le 3. est quand on nous ordonne de faire des choses aspres et difficiles, comme de pardonner aux ennemis, souffrir patiemment les afflictions, ou faire quelque autre chose qui soit fort contraire a nostre inclination ; et lhors le merite est extrêmement grand en obeyssant, et le peché moins grand en des-obeyssant. La prattique de ces trois degrés fait que nous obeyssons entièrement, soit en choses grandes, soit en choses petites. L'exemple en est en Nostre Seigneur, qui en tout a voulu que le vouloir de son Pere se fist, mesme en la Passion (Jn 4,34 Jn 5,30 Jn 6,38 Mt 26,39 Ph 2,8).
1. - Le 6 juin 1610, en la fête de Saint Claude, l'Institut de la Visitation a commencé dans la petite maison de la Galerie.


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Méditation sur Passion

Dijon avril 1604 ; Rose Bourgeois, Abbesse Puy-d'Orbe ? (XXVI,174)

MEDITATION MISE EN FORME ET ESTENDUE AU LONG

J'ay choysi un mistere qui est des plus beaux et fertiles, et sur lequel néanmoins je ne diray que fort peu au prix de ce qui s'en pourroit dire. C'est le mistere de l'elevation de Jesus crucifié sur le mont de Calvaire, et praesuppose que c'est [un vendredi].
Apres donques que le soir au paravant j'auray pensé ou leu l'histoire, et auray praeparé en gros les pointz de la meditation ainsy quilz sont couchés ci bas, le matin estant arrivé et estant prest, prenant de l'eau benite, faysant le signe de la Croix et mis a genoux au lieu de la priere, je commenceras a mediter en cette sorte :
La presence de Dieu
Je me representeray et mettray une vive apprehension en mon esprit que Dieu est véritablement present a toutes choses, mais spécialement a mon coeur et a mon entendement, ou il est comme coeur de mon coeur et l'ame de mon ame. Cela fait, je commenceras a m'humilier et faire l'invocation.
Humble invocation
Et donques, diray-je, cette mer de perfections, cet abisme de bonté, non seulement m'environne de tous costés, mais se communique par une vraye presence et tres entierement a ce coeur desloyal, a cett'ame felonne ! Helas, mon Dieu, mon Seigneur, il me semble que mon coeur, ainsy profondément meslé et uni de toutes.pars a vostre divine presence, n'est autre chose qu'un vil et venimeux crapaut qui nage, se supporte et maintient dans une mer de bausme tres praetieux. Helas, comme peut vivre une si chetifve creature emmi cette infinie Essence et en une si intime présence de vostre immense bonté ?
Mais, Seigneur, puisque vous m'i aves receu et que je suis nay, nourri et maintenu dans les entrailles de cette vostre presence, hé, mon bon Dieu, ne me rejettes point de vostre sainte face (Ps 1,13) ; permettes a ce misérable coeur quil respande ses indignes pensees et ses chetifves affections dans le sein de vostre miséricorde et quil prononce ses afflictions devant vous (Ps 141,3). Vous m'aves commandé de vous invoquer et promis que vous m'exauceries (Ps 80,8 Ps 101,3 Ps 137,3 Is 58,9) mon Dieu, mon Sauveur, me voyci vostre indigne servante, me soit fait selon vostre parole (Lc 1,38). Esclaires sur mov vostre face sacree (Ps 30,17 Ps 118,235), et tenes mes yeux fichés sur les vostres, affin que je puisse considérer vos merveilles (Ps 118,18) et vous en loüer, benir et adorer.
Proposition du mistere
Il me semble que parmi cette grande foule de gens qui accourent de toutes pars de la ville de Hierusalem pour voir crucifier mon Sauveur, je me treuve au mont de Calvaire, en un lieu un petit plus esloigné que les autres, mais aussi plus advantageux et relevé, d'ou je voy plus aysement le triste et cruel spectacle de la crucifixion. Mon Sauveur couronné d'espines estoit desja tout nud couché sur le bois de la croix, et les bourreaux l'avoyent desja serré et cloué pieds et mains sur iceluy ; et commencent, avec des instrumens propres et destinés a cet effect, a relever petit a petit ce saint Crucifié en l'air, pour ficher et planter la croix au lieu et dans le trou fait a cett'intention.
Maintenant je voy, ce me semble, en l'air, le haut bout de la croix et le saint escriteau : Jesus de Nazareth, Roy des Juifz (Jn 19,19). Soudain apres cela, je descouvre la teste couronnee d'espines, delaquelle les yeux regardent ores au Ciel avec une grande reverence, ores sur l'assistance avec une amoureuse compassion ; et semble qu'avec ses regars, il aille puisser (sic) la miséricorde coeleste dans le sein de son Pere, pour en arrouser ceux-la mesme qui le crucifioyent. Sa bouche, toute meurtrie des coups de la nuit, tenant un profond silence, n'est ouverte que pour jetter des souspirs amoureux sur le peuple, en la presence du Pere aeternel. Je voy quant et quant son divin estomach, et sous son tetin gauche un perpétuel mouvement de son coeur qui pantele et trémousse d'amour et fait un'inflammation en cet endroit si grande, quil me semble tout vermeil de ce costé-la. Je descouvre l'un' et l'autre main attaché (sic) et les deux pieds aussi, qui, comme quatre ruisseaux d'une mesme source, versent continuellement un sang le plus beau, clair et vermeil qui fut onques au monde. Et enfin, voyla la croix qui tumbe dans le creux auquel elle doit estre fichee et donne une secousse au cors qui y est pendu, au moyen de laquelle les playes s'agrandissent et plusieurs goustes de sang s'espluyent esparsement ça et la sur les plus proches, dont la plus part les ostent avec indignation et ne leur semble jamais asses tost quilz s'en puissent laver.
Voyla ce que je m'imagine de voir, tout conforme a l'histoire.

Meditation
Je considère premièrement celuy qui est ainsy pendu et eslevé, et voy par l'escriteau, que c'est Jesus de Nazareth, Roy des Juifz. Est ce donques, ce dis-je, ce grand Jesus qui a tant fait de miracles, de sermons et d'actes vertueux tout le tems de sa vie ? Est ce pas la le Filz de Dieu aeternel, qui est Maistre du Ciel et de la terre ? et comment donques est-il pendu en croix ? Ne pouvoit-il pas mourir de mille sortes de mortz plus honnestes, plus doulces et supportables, puis qu'il voulait mourir ? O quil faut bien dire que cette mort a quelque secrette beauté, puisqu'elle a esté choysie par le Filz de Dieu mesme ! O quelle admiration sera ou peut estre digne de cette merveille ?
Je considère le maintien du Sauveur, auquel je voy une extreme douceur et debonaireté. Ses yeux ne sont nullement effarouchés par les douleurs, ni enflammés par les injures. Hé, que cet Aigneau est benin ! Qui me donnera la grace que, parmi les travaux et injures, je puiss'estre de mesme ? Je considère ce grand silence en toute cett'eslevation. Ce n'est pas faute d'haleyne, car il en a bien pour souspirer; ce n'est pas faute de sujet, car il a bien dequoy se plaindre ; ce n'est pas faute d'auditeurs, car il en est environné ; ce n'est pas faute d'estre interrogés (sic), car un chacun crie apres luy, qui ceci, qui cela. Pourquoy donques se taist il, sinon pour tesmoigner sa mansuétude et douceur ? Helas que je suis misérable ! pour peu qu'on me touche, je crie, je me plains, je ne finis jamais mes lamentations, je ne rencontre personne a qui je ne communique mes regretz.
Je considère ce coeur si plein d'amour a l'endroit de ceux mesme qui le crucifient. O feu admirable et sacré qui enflammés. cette poitrine, mon Dieu, que vous estes ardent ! Le vent des tribulations accroist vos flammes, la glace de vos persécuteurs vous eschauffe, et le torrent des persecutions donne force a vos ardeurs. Quand sera ce que mon coeur sera embrasé de ce celeste feu de charité et que j'aymeray mes ennemis ? Ah, que je suis bien esloigné de cette sainte flamme ! Une goute de l'eau de mesdisance, un seul vent de quelque petite injure estaint soudainement toute mon amitié et la convertit en glace et nege.
Je considère pourquoy mon Sauveur souffre tant de tormens ; dont je treuve plusieurs raysons -1.Pour obéir a son Pere ; c'est pourquoy en sa premiere parole il l'apelle Pere. (Lc 23,34) O saint enfant d'obéissance, o obéissance vrayement filiale ! Helas, comme suis-je si presumptueux et temeraire d'apeller Pere celuy auquel je n'ay jamais bien obei, et comm'obeirois-je jusques a la mort, (Ph 2,8) moy qui n'obeis pas seulement jusques a la souffrance d'une petite parole fascheuse ou d'un regard traversé ?
2. Pour effacer mon Peché et mon iniquité. (Ps 1,4) Mon iniquité, donques, est bien grande, puisqu'il faut tant de peyne a l'effacer. O que je suis misérable de m'y tant et si souvent abismé et veautré (sic). O que je suis chetif d'en avoir tant avalé, car je suis bien de ceux-la qui, comme dit la sainte Parole (Jb 15,16), boivent l'iniquité comme l'eau ! Mais puisqu'il vous a pleu, o ma douce Esperance, souffrir ces peynes et travaux pour me nettoyer de mes iniquités, je veux respirer en vostre bonté. Et considérant mes fautes passees, o Seigneur, je vous supplie, en vertu de ces peynes, de les effacer entièrement ; si que, comm'une nüee dissipee n'empesche plus les rayons du soleil de venir esclairer et eschauffer la terre, ainsy jamais plus mes pechés ne puiss'empescher la douceur de vostre regard miséricordieux sur ma pauvre et langoreus'ame. Et pour le regard des mauvaises habitudes et inclinations qui tormentent mon ame, helas, Seigneur, permettes-moy que je vous die . Lavés, lavés de rechef ce coeur qui, comme vase immonde, retient encor l'odeur de l'infecte liqueur de peché ; lavés encor, Seigneur, et nettoyes tous-jours (Ps 1,4), jusques a ce quil soit affranchi de ceste senteur si fascheuse.
3. Pour me retirer de l'enfer. O Dieu, que vos peynes sont bien contraires aux miennes ! Vous patisses pour me sauver, et jusques a present, pourquoy ay-je souffert que pour me perdre ? Helas, si j'ay couru, si j'ay veillé, si j'ay eu aucun soin cuysant, n'a ce pas esté pour la vanité, pour l'ambition, pour la vengeance?
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Revu sur les Autographes conservés à la Visitation de Milan et en l'église Saint-Thomas, de Venise.

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Crucifiement -Présidente Brulart 15 avril 1604 - (XXVI, 180)- (cf XII, 269 et 261 note1)

Proposition du mistere
Il me semble que parmi cette grande foule de gens qui accourent de toutes pars de la ville de Hierusalem pour voir crucifier Nostre Seigneur, je me treuve au mont de Calvaire, en un lieu un petit plus esloigné que les autres, separé et relevé, qui me le rend advantageux pour voir et considérer a part moy ce triste et cruel spectacle. La crucifixion est faite; c'est a dire, la croix estant couchee sur la terre, Nostre Seigneur est estendu sur icelle tout nud et despouillé, et les bourreaux l'ont serré et cloué pieds et mains la dessus. Maintenant donques, des ce lieu la, je m'imagine que je voy relever ce saint Crucifié en l'air, petit a petit, et que la croix est fichee et plantee dans le trou fait a cette intention.
Voyla le mistere proposé en gros par l'imagination, laquelle a logé en mon coeur un lieu propre pour voir et bien considérer tout ce qui se passe. Les deux parties du mistere sont l'eslevation et le plantement de ce saint arbre. Il reste que je poursuive a considérer les particularités par lesquelles ma volonté puisse estre excitee a produire beaucoup de bonnes saintes affections et résolutions : et cela, c'est la meditation.

MEDITATION

Je considere ce que Nostre Seigneur souffre en ce mistere, tant extérieurement qu'interieurement. Extérieurement : par cette eslevation son cors est tout entièrement supporté sur ses pieds et ses mains cloués, dont advient que les playes s'agrandissent et la douleur se rend immense. Quand la croix tumbe dans le trou préparé auquel elle est fichee, le Sauveur recoit une secousse effroyable, qui augmente de nouveau lés playes et donne comme un coup d'estrapade a tous ses nerfs et tendons ; de tous costés le sang pleut et distille ; l'air et le vent froid saysissent tout ce cors eslevé, penetrant dans les playes, et le font presque transir et pasmer. Ses oreilles n'entendent que blasphesmes, ses yeux ne voyent que la furie de ceux qui le tuent, et en tous ses sens il endure des douleurs insupportables. Mays ce n'est rien de cela au prix des douleurs de son coeur, qui, languissant de l'amour des ames, voit une si grande perte de personnes, et sur tout de ceux qui le crucifient.
Affections
Ah ! qui sera ce tigre qui ne pleurera voyant cet innocent, ce jeune Roy, le Filz de Dieu, endurer tant de peynes ? EIles sont des-ja bien grandes et capables de tenir a couvert tous les hommes du monde contre l'indignation du Pere éternel. Hé, je vous prie, de grace, mes amis, relevés bellement cette croix, et fiches la si doucement, que ses playes ne s'agrandissent point et que la secousse n'en soit pas si grande. Hélas, nul n'est si dénaturé que voyant un criminel sur la roue, n'en ayt compassion. Hé donques, mon ame, n'auras tu pas compassion de ton Sauveur qui souffre tant ? Si jamais tu fus touchée de commisération sur la nudité d'aucun pauvre emmi la rigueur de l'hyver, ne dois tu pas compatir a ce pauvre Roy, qui est exposé tout fin nud sur cet arbre ? Si jamais quelque pauvre ulceré te fit pitié, regarde, je te prie, celuy-la, auquel tu ne verras, de la plante des pieds jusques a la teste, aucun lieu qui ne soit tout gasté de coups (Is 1,6). Hé, vois ce coeur affligé de tant de pechés que le peuple commet ; et si ton coeur ne s'afflige avec luy, il faut que tu ne l'ayes pas de chair, mais de pierre, et plus [dur] que le diamant mesme.
De la commisération ou compassion naist ordinairement le desir de secourir celuy auquel nous compatissons ; partant, a la precedente affection j'adjouste celle-cy :
O qui me donnera la grace que je puisse en quelque façon donner allègement a mon Sauveur affligé ! Hé, que ne m'est-il loysible de prendre mes habitz plus praetieux pour couvrir vostre nudité ! que n'ay je du bausme excellent pour en oindre vos playes ! que ne suis je pres de vous sur la croix pour soustenir vostre cors en mes bras, affin que la pesanteur ne dechirast pas si fort les playes de vos pieds et de vos mains ! Mais sur tout, que ne puis je empescher les pecheurs de tant offenser vostre coeur, qui ne feroit que se jouer de toutes les peynes de vostre cors, si pour icelles les pecheurs pouvoyent estre amendés ! Que ne suis je quelque excellent et fervent prédicateur pour leur annoncer la penitence ! O comme ne dirois je aux iniques : Ne veuillés plus vivre iniquement ; et aux delinquans : Ne relevés plus les cornes (Ps 74,5) de vostre fierté et felonie !
Mais, o Seigneur, pourquoy m'amuse-je a ces desirs, desquelz je n'ay la force d'en prattiquer un seul ? Comme vous donnerais je mes habitz praetieux, moy qui n'en donnay jamais un vil et usé a vos pauvres ? Sur la croix vous ne me les demandes pas, et je vous les offre ; en vos pauvres vous me les demandes, et je les refuse ! O vaynes et misérables offres qui ne se font qu'en apparence, et en effect ne sont que mocqueries. Comme vous respandrois- je du bausme sur vos playes, puisque je ne respandis jamais un verre d'eau pour vos pauvres (Mt 10,42 Mc 9,40) ? Comme voudrois je vous supporter en croix, puisque je ne fuis jamais rien tant que les croix ? Et quel prédicateur de penitence, moy qui n'en fais point, et qui contribue tous les jours, plus que nul autre, au desplaysir que les pechés vous donnent ?
Resolution O Seigneur, ayes mercy de moy, et je me propose de par ci apres vous estre plus fidelle. Non, ce ne seront plus desirs, ce seront effectz. Je soulageray le pauvre, je feray penitence et cesseray de pecher. J'instruiray les desvoyés, et diray a mon coeur et aux autres : Voules vous estre plus cruelz a l'endroit de vostre Sauveur que ne sont les vautours a l'endroit des colombeaux ? ilz n'en deschirent ni devorent jamais le coeur. Voules vous bien estre si acharnés a l'encontre du beni Colombeau qui niche sur la croix, que de deschirer son coeur avec les dens de vos impietés ? Seigneur, ah, doresnavant je consoleray par effect le pauvre et empescheray le peché.
CONSIDERATION
Je considère la maniere avec laquelle Nostre Seigneur souffroit en ce mistere, et cette maniere est double. Exterieurement : avec un grand silence, les yeux doux et benins, qui regardent par fois au Ciel, dans le sein de la misericorde du Pere, quelquefois sur le peuple, auquel il procure la grace de cette miséricorde, sa bouche n'estant ouverte en ce mistere que pour jetter des souspirs de douceur et de patience. Il me semble que je voy en sa poitrine l'endroit du coeur qui pantele et trémousse d'amour, et fait une inflammation si grande que tout cet endroit me semble rougissant.
Il souffre patiemment, volontairement et amoureusement. Mais, helas, misérable que je suis, qui ne sçaurois souffrir un mot sans crier, sans me plaindre, sans faire du bruit au logis ; jamais le ne finis mes lamentations, je les estens et respans par tout.
Et si quelquefois je tiens contenance, mais mon coeur comme se comporte-il ? il semble qu'il s'enflamme de colere, d'impatience, de vengeance et de douleur. Resolution
Mais doresnavant, o mon ame, je veux que nous soyons patiens, doux et gracieux, et que jamais l'eau de contradiction ne puisse esteindre le feu sacré de la charité (Ct 8,7) que nous devons au prochain.

CONSIDERATION

Je considère pourquoy il souffre : pour obeir a son Pere. O obéissance admirable et filiale ! Mais quel effronté suis- je, d'oser appeller Dieu mon Pere, auquel je n'ay jamais porté le respect filial ; et comme obeirois-je jus)ques a la mort (Ph 2,8), que je ne le puis pas mesme jusques a la souffrance d'une petite parole fascheuse et d'un regard traversé ? Mais doresnavant, venes, o tribulations et desplaysirs ; que venant de la part du Pere eternel, je vous recevray de bon coeur, et beniray le calice d'obéissance.
Mon iniquité est donques bien grande : o que je suis miserable de m'y estre si souvent abismé ! O Seigneur, qui me délivrera de ce labyrinthe, si ce n'est vous ? O ja ne vous playse de permettre que j'y retombe plus si lourdement. O peché tres abominable, je ne te verray jamais d'un costé que, plustost que de me souiller en tes ordures, je ne me jettasse en cent mille tourmens. Resolution
Pour me retirer de l'enfer, helas, et pour me delivrer de perdition, que vous souffres ! Et que je souffre pour m'y engager ! Tout ce que j'ay souffert jusques a present n'a esté qu'a ma perte. Ah ! non, vous me voules sauver, Seigneur; que vostre volonté soit faite (Mt 6,10). Je suivray vostre dessein et monteray. Non, je ne descendray plus.

DIEU SOIT BENY !

602

Rose Bourgeois, Abbesse du Puits-D'Orbe 9.10.1604 (XXVI, 194)

(Voir XII,333 et 342)

MEDITATION SUR L'ELESVATION DE JESUS-CHRIST CRUCIFIE

Proposition du mistere
Je m'imagine et il me semble que parmi cette grande foule de gens qui accourent de toutes pars pour voir crucifier le Sauveur, je me treuve sur le mont de Calvaire, en un lieu un peu plus esloigné que les autres, separé et relevé, et par conséquent plus advantageux pour voir et considérer a part moy ce triste et cruel spectacle. Je m'imagine de plus, que le crucifiement est des-ja fait, c'est a dire, la croix estendüe sur la terre; que Nostre Seigneur, despouillé, tout fin nud, a esté attaché par les bourreaux sur icelle, cloüé et serré pieds et mains. Maintenant, donques, m'estant logé par imagination en ce lieu que j'ay dit, je m'ima gine outre cela que je voy relever ce saint Crucifié tout vivant en l'air, et que la croix est fichee et plantee en terre dans le creux qui a esté fait a cette fin. Voyla le mistere proposé en gros, lequel a deux parties l'eslevation de la croix, et le plantement d'icelle. Il reste que je poursuyve a considérer les particularités qui peuvent esmouvoir ma volonté aux saintes affections et resolutions : et cela est la meditation

MEDITATION

Je considère que le doux Sauveur souffre tant exterieurement qu'interieurement. En l'extérieur, a mesure qu'on l'esleve, son cors s'incline, pese et se supporte tout entierement sur ses pieds et ses mains cloüés, dont les playes s'agrandissent et la douleur se rend immense. Quand la croix tumbe dans le trou preparé, le Sauveur en reçoit une secousse et comme un coup d'estrapade qui augmente de nouveau ses playes et ses douleurs ; ce qui fait pleuvoir et distiller le sang de tous costés. Estant eslevé en l'air et le vent froid saysissant ce cors tout ulceré et deschiré des coups de la nuit, le fait presque transir et pasmer. Pour l'intérieur, ce coeur tout languissant d'amour se fend de detresse a la veüe d'une si grande perte de gens, et sur tout de ceux qui le crucifient ; et il me semble qu'il die : Helas, tant d'ames pour la vie desquelles je veux mourir dessus ce bois, se perdront elles aeternellement ?
Affections
Hé, qui sera ce tigre qui ne fondra en larmes sur ce jeune Roy, le plus doux de tous les hommes, (Nb 12,3) vray Filz de Dieu, et qui est si mal traitté ? Helas, nul n'est si denaturé qui voyant un criminel sur la roüe, pour criminel qu'il soit, n'en ayt compassion : hé donques, mon ame, mourras tu point de compassion de voir ton Sauveur qui souffre tant ? Voy ce coeur tant affligé pour les pechés du monde ; et si ton cceur ne s'afflige avec luy, faut il pas qu'il soit plus dur qu'un diamant ?
O qui me fera la grace que je puisse en quelque façon soulager mon Sauveur en cette affliction ? Hé, que ne m'est il permis de le couvrir de quelque habit praetieux, de respandre sur ses playes quelque bausme excellent et supporter entre mes bras la pesanteur de ce cors ! Et vous qui releves cette croix, alles y tout bellement, je vous supplie, et ne la rejettes pas si rudement dans le creux, affin que la secousse ne soit pas si grande pour ce pauvre Patient. Helas, ses playes sont des-ja bien grandes et capables de tenir a couvert les pechés du monde contre l'indignation du Pere aeternel ! O Dieu, que ne suis je quelque excellent et fructueux praedicateur, pour au moins empescher que ce divin coeur ne fust tant offensé par tant d'iniquités ! O comme je dirois : Ne veuilles plus vivre iniquement, et ne releves plus les cornes (Ps 84,5) de vos meschancetés pour les ficher dedans ce coeur des-ja tant affligé !
Mais, o mon Dieu, pourquoy m'amusé-je a ces desirs, moy qui n'ay presque pas la force d'en prattiquer un seul ? Vous ne me demandes pas sur la croix mes vestemens, et je vous les offre ; vous me les demandes en vos pauvres qui sont vos membres, et je vous les refuse. Je n'en donnay jamais un seul, pour vil et usé qu'il fust ; et comment vous donnerois-je les proetieux ? Comment respandrois-je du bausme sur vos playes, puisque j'ay bien de la peyne a respandre un verre d'eau pour vos pauvres (Mt 10,42 Mc 9,40) ? Hé, quel praedicateur de penitence, moy qui n'en ay point encor fait, et qui contribue tous les jours plus qu'aucun autre aux desplaysirs que vous donnent les pechés ! O vains et miserables desirs, o offres inutiles, puisqu'elles ne sont qu'en apparence, et qu'en effect ce ne sont que mocqueries.
Resolutions
Ne cesseray je pas en fin de vous estre infidelle, mon Sauveur et mon Dieu ? O non, ce ne seront plus désormais d'inutiles desirs, ce seront des effectz ; ce ne seront plus des paroles, ce seront des oeuvres. Je me resous de soulager les pauvres, de faire penitence, d'y sernondre les autres. je me diray a moy mesme, et puis aux autres : Serons- nous plus cruelz au Sauveur que les vautours ne le sont aux colombes ? ilz n'en deschirent jamais le coeur. Serons- nous si acharnés contre le saint Colornbeau qui niche sur l'arbre de la croix, que de massacrer et deschirer son coeur avec les malheureuses dens de nos impietés ? Ah, Seigneur, ah ! je seray doresnavant impitoyable en la resolution que je fay d'ayrner et de secourir les pauvres, qui sont vos membres, et de procurer mon amendement et celuy des autres.
Voyla une considération bien au long estendue, avec les affections et résolutions ; je passeray maintenant et legerement sur les autres et ne feray que les marquer.
Je considère la maniere avec laquelle le Sauveur souffre en ce mistere. Pour l'extérieur : voyes le grand silence de cette divine bouche, qui n'est ouverte que pour jetter de doux et paysibles souspirs ; ses yeux gratieux et benins regardoyent quelquefois le Ciel avec grande reverence, quelquefois ilz se tournoyent du costé du peuple qu'ilz regardoyent avec beaucoup de compassion ; et il me semble que je voy en sa poitrine, du costé gauche, son coeur qui pantele et trémousse d'amour, avec tant d'inflammation, que tout cet endroit me semble rougir.
Pour l'intérieur, il souffre volontairement, patiemment, amoureusement.
Affections
O miserable que je suis, qui ne sçaurois souffrir un mot sans replique, qui pour la moindre affliction fais sans cesse des plaintes et les respans aux oreilles de tout le monde. Et si quelquefois je tiens contenance a l'extérieur, que devient mon coeur en l'intérieur ? il s'enfle de rancune, il s'enflamme de colere, d'impatience et de vengeance.
Resolutions
Et doresnavant, donques, je vous embrasse, o sainte Croix ; je vous jure fidelité, o benite vertu de patience. jamais, non jamais, mon Sauveur, l'eau de contradiction n'esteindra le feu de la charité (Ct 8,7) que je doy au prochain.
Je considère pourquoy il souffre, et j'en treuve plusieurs raysons.
Premierement c'est pour obeir a Dieu son Pere. O obéissance admirable et vrayement filiale ! O que vous merites bien d'avoir un tel Pere, puisque vous luy rendes une telle obéissance ! Mais ne suis-je pas bien effronté d'appeller ce mesme Dieu mon Pere, luy estant si desobeissant ? Et comment obeirois-je jusques a la mort (Ph 2,8), puisque je n'obeis pas mesme jusques a la souffrance d'une petite parole fascheuse et d'un regard de travers ? O je veux changer d'humeur, et pour l'amour de mon Sauveur je veux boyre cy apres tous les calices qu'il me présentera.
2. Il souffre pour effacer mon peché. Mon iniquité est donques bien grande : helas, que je suis misérable de m'y estre si souvent abismé ! O peché tres abominable, je ne te verray jamais d'un costé que je ne me jette incontinent de l'autre, quand il y auroit tous les tourmens du monde a souffrir ; non, je ne veux plus me souiller en tes miserables ordures.
3. Il souffre pour nous tesmoigner son amour envers nous. O donques, que son amour est grand ! Helas, Seigneur, je ne sçay pas si j'ay aucun amour ; mais si j'en ay, il est si misérable qu'il s'assouvit d'une seule larme, et il croit s'estre bien fait paroistre quand il a jetté quelques souspirs. Hé, bon Dieu, que je desire et que je proteste de vouloir cy apres vous aymer et vous donner tout mon coeur.
Je considère encor la forme particuliers de ce mistere, qui est l'eslevation. Et pourquoy donques eslever mon Sauveur, sinon parce qu'il veut estre l'estendart de mon ame ? O traistre et desloyal soldat que je suis ! Combien de fois ay-je abandonné cette enseigne pour suivre celles du monde. Ah, maintenant, mon Dieu, je vous jure et prometz une nouvelle fidelité.
Actions de grâces et offrande
Mon Dieu, mon Sauveur, je vous remercie de la grace que vous m'aves faite, m'ayant permis de jetter mes yeux sur vostre divine Majesté en cette mienne meditation, et je vous rens mille actions de graces de toutes les peynes et souffrances que vous aves endurees en tout ce sacré mistere; et sur tout je vous remercie de l'amour qui vous les a fait souffrir, et de cette tres miséricordieuse intention que vous eustes d'appliquer a mon ame en particulier les merites que vous y aves acquis. Hé, mon Dieu, je vous supplie et conjure par toutes ces peynes, ces vertus et merveilles que vous y prattiquastes, de me fortifier en vostre service, d'esteindre en moy mon amour propre et de m'abismer dans le vostre. Faites, o mon Dieu, que vostre sang serve de ciment pour cimenter en mon ame les affections et résolutions que vous m'aves donnees. Hé, Seigneur, que vous soyes tout mien, comme je veux estre doresenavant tout vostre.
O Pere aeternel, je vous offre toutes ces peynes et afflictions de vostre Filz mon Sauveur, ses vertus, ses merites et son sang ; et en vertu de tout cela, et de l'intercession de sa Mere, de toute vostre Cour coeleste, de l'Église son Espouse et de tous vos fideles qui combattent icy bas en terre, je vous demande vostre sainte et paternelle benediction pour mon coeur, et vostre speciale assistance pour vostre Eglise, pour les chefz d'icelle, pour les princes chrestiens, pour mes parens, amis et bienfacteurs, pour les desvoyés, pour le soulagement des ames du Purgatoire. Ah, Seigneur, convertisses les pecheurs, fortifies les poenitens et perfectionnes les justes. ,Pater, Ave.

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François S.: avis, sermons 504