F. de Sales, Lettres



OEUVRES COMPLETES DE SAINT FRANÇOIS DE SALES.

PARIS. — IMPRIMERIE DE BETHUNE ET PLON, RUE DE VAUGIRARD, 36.

OEUVRES COMPLÈTES DE SAINT FRANÇOIS DE SALES,

ÉVÊQUE ET PRINCE DE GENÈVE;

ORNÉES DE SON PORTRAIT ET D'UN FAC SIMILE DE SON ÉCRITURE, TIRÉ D'UN FRAGMENT INÉDIT.

NOUVELLE ÉDITION COLLATIONNÉE ET AUGMENTÉE.

TOME TROISIÈME.

PARIS.

BÉTHUNE, ÉDITEUR,

RUE DE VAUGIRARD, 36. MDCCCXXXVI.

PREFACE.


Il n'est pas besoin, d'un long discours pour faire l'éloge des Lettres de S. François de Sales ; personne n'ignore que c'est dans ces lettres qu'un homme se montre tel qu'il est, que c'est dans l'abandon d'une correspondance étendue qu'il laisse percer son caractère, ses sentiments, ses désirs, ses bonnes ou mauvaises passions; en un mot, c'est dans les lettres qu'on met au jour les pensées les plus intimes de son âme. Il est impossible de se déguiser lorsqu'on écrit à une foule de personnes de qualités différentes et sur des sujets divers, surtout quand on écrit à ses amis intimes. Mais ce ne sont pas seulement les sentiments qui paraissent dans les lettres, c'est encore, quand elles traitent de matières scientifiques, la perspicacité d'esprit, et la bonne doctrine ; ou bien l'ignorance et la légèreté de jugement quand on n'a ni science ni pénétration. Voilà d'où vient qu'on recherche avec tant d'ardeur la correspondance des hommes célèbres pour les prendre, pour ainsi dire, sur le fait. On aime à voir l'homme apparaître sans nul déguisement; on aime à voir les éloges exagérés, les flatteries outrées des courtisans, ou des amis, disparaître devant cette lumière éclatante, pour le réduire à sa juste valeur.

S. François de Sales n'a rien à perdre à cette épreuve, elle lui est au contraire toute favorable. La publication de ses Lettres a dû lui gagner beaucoup de partisans, supposé qu'il n'eût pas tout le monde pour lui, ce qui est bien difficile à croire, car, de quelque côté qu'on l'envisage, il se fait aimer et admirer tout à la fois. Dans ses lettres aux gens du monde, il leur donne des avis dictés par une profonde sagesse ; il leur fait aimer une religion dont les premiers abords paraissent sévères à des personnes habituées à toutes les aises de la vie, et qui n'aiment guère à se gêner. Il sait les adoucir avec prudence, en leur nimontrant la vérité sous un jour qui la leur rend aimable.

Dans ses lettres aux savants, il découvre le fond de sa grande doctrine, de la justesse et de la pénétration de son esprit ; dans celles qu'il adresse aux religieuses, il traite en maître consommé toutes les questions les plus difficiles de la vie spirituelle.

Dans toutes, en général, on remarque sa sainteté, l'élévation et la noblesse de ses sentiments, la beauté de ses pensées, présentées toujours avec un style doux, naïf et entraînant ; son zèle ardent pour la gloire de Dieu et pour étendre l'empire de Jésus-Christ dans tous les coeurs, sa foi forte et éclairée, sa piété angélique, et son amour pour Dieu, qui le brûlait de ses plus vives ardeurs.

Aussi ses Lettres sont sans contredit sa meilleure Vie : c'est là qu'on apprend à le connaître tel qu'il est ; là on n'a pas à craindre de déguisement, nul ne porte plus loin que S. François de Sales la naïveté et la franchise de ses paroles ; aussi aucun panégyriste ne peut remplacer par ses éloges le recueil de ses Lettres, véritable trésor de la science, de la sagesse et de la charité qui se trouvaient cachées dans son âme : c'était comme une source abondante qu'il laissait couler continuellement ; tout le monde pouvait y puiser sans crainte, les abords n'en étaient interdits à personne ; sa douceur attirait continuellement les âmes auxquelles il se plaisait à communiquer ses richesses, dont peut-être il était le seul à ne pas connaître l'étendue, tant son humilité lui dérobait la vue de son mérite ! Mais heureusement que Dieu, qui l'avait donné à son Église pour être une de ses lumières, empêcha que son humilité ne tint constamment sous le boisseau les connaissances qu'il possédait, en lui donnant le désir d'être utile, à toutes sortes de personnes.

Le recueil des Lettres de S. François de Sales a été successivement augmenté par les éditeurs : la reconnaissance et la vénération pour ce grand saint engagea toutes les personnes qui avaient eu le bonheur d'en recevoir quelques-unes à les communiquer au public, afin que ses leçons de sagesse pussent profiter à tout le monde.

Pour ajouter quelque chose à ce trésor déjà si précieux, nous avons fait des recherches qui n'ont pas été tout-à-fait infructueuses, nous annonçons avec plaisir que nous sommes assez heureux pour pouvoir ajouter à notre édition quelques lettres inédites, ainsi que quelques fragments d'écrits qui n'ont pas encore vu le jour.

Voici l'ordre que nous avons suivi pour le classement des lettres : 1° celles qui ont des dates ; 2° tout ce qui est sans date ; 3° les lettres adressées aux gens du monde.




FRAGMENT DU PANÉGYRIQUE DE SAINT FRANÇOIS DE SALES.

PRONONCÉ DANS UNE ÉGLISE DES RELIGIEUSES DE LA VISITATION DE SAINTE-MARIE; PAR M. BOSSUET, ÉVÊQUE DE MEAUX.

(Tome XIV des Sermons, p. 5I—54 ; Paris, 1808, in-12.)

Je trouve dans ces derniers siècles deux hommes d'une sainteté extraordinaire, saint Charles Borromée et François de Sales. Leurs talents étaient différents, et leurs conduites diverses; car chacun à reçu son don par la distribution de l'esprit : mais tous deux ont travaillé avec même fruit à l'édification de l'Église, quoique par des voies différentes. Saint Charles a réveillé dans le clergé cet esprit de piété ecclésiastique. L'illustre François de Sales a rétabli la dévotion parmi les peuples. Avant saint Charles Borromée, il semblait que l'ordre ecclésiastique avait oublié sa vocation, tant il avait corrompu ses voies ; et l'on peut dire, mes soeurs, qu'avant votre saint instituteur, l'esprit de la dévotion n'était presque plus connu parmi les gens du siècle. On reléguait dans les cloîtres la vie intérieure et spirituelle, et on la croyait trop sauvage pour paraître dans la cour et dans le grand monde. François de Sales a été choisi pour l'aller chercher dans sa retraite, et pour désabuser les esprits de cette créance pernicieuse. Il a ramené la dévotion au milieu du monde ; mais ne croyez pas qu'il l'ait déguisée pour la rendre plus agréable aux yeux des mondains, il l'amène dans son habit naturel, avec sa croix, avec ses épines, avec son détachement et ses souffrances, en l'état que l'a produit ce digne prélat, et dans lequel elle nous paraît en son Introduction à la vie dévote; le religieux le plus austère la peut reconnaître, et le courtisan le plus dégoûté, s'il ne lui donne pas son affection, ne peut lui refuser son estime.

Et certainement, chrétiens, c'est une erreur intolérable qui a préoccupé les esprits, qu'on ne peut être dévot dans le monde. Ceux qui se plaignent sans cesse que l'on n'y peut pas faire son salut, démentent Jésus-Christ et son Évangile. Jésus-Christ s'est déclaré le Sauveur de tous; et par-là il nous fait connaître qu'il n'y a aucune condition qu'il n'ait consacrée, et à laquelle il n'ait ouvert le chemin du ciel; car, comme dit excellemment saint Jean-Chrysostome (1), la doctrine de l'Évangile est bien peu puissante, si elle ne peut policer les villes, régler les sociétés et le commerce des hommes. Si pour vivre chrétiennement, il faut quitter sa famille et la société du genre humain, pour habiter les déserts et les lieux cachés et inaccessibles, les empires seront renversés et les villes abandonnées. Ce n'est pas le dessein du Fils de Dieu : au contraire, il commande aux siens de luire devant les hommes (Mt 5,16). Il n'a pas dit dans les bois, dans les solitudes, dans les montagnes seules et inhabitées, il a dit dans les villes et parmi les hommes : c'est là que leur lumière doit luire, afin que l'on glorifie leur Père céleste. Louons donc ceux qui se retirent; mais ne décourageons pas ceux qui demeurent; s'ils ne suivent pas la vertu, qu'ils n'en accusent que leur lâcheté et non leurs emplois, ni le monde, ni les attraits de la cour, ni les occupations de la vie civile.

(1) In Ep. ad Rom. Hom. xxvi, n. 1, t. ix. p. 717.






FRAGMENTS DE LETTRES DE FÉNELON.



Le jour de saint François de Sales est une grande fête pour moi. Je prie aujourd'hui de tout mon coeur le saint d'obtenir de Dieu pour vous l'esprit dont il a été lui-même rempli. Il ne comptait pour rien le monde. Vous verrez par ses Lettres et par sa Fie, qu'il recevait avec la même paix et dans le même esprit d'anéantissement les plus grands honneurs et les plus dures contradictions. Son style naïf montre une simplicité, aimable, qui est au-dessus de toutes les grâces de l'esprit profane. Vous voyez un homme qui, avec une grande pénétration, et une parfaite délicatesse pour juger du fond des choses, et pour connaitre le coeur humain, ne songeait qu'à parler en bon homme pour consoler, pour soulager, pour éclairer, pour perfectionner son prochain. Personne ne connaissait mieux que lui la plus haute perfection ; mais il se rapetissait pour les petits, et ne dédaignait jamais rien. Il se faisait tout à tous, non pour plaire à tous, mais pour les gagner tous, et pour les gagner à Jésus-Christ, et non à J



A UNE AUTRE PERSONNE, LA VEILLE DE LA FETE DE SAINT FRANÇOIS DE SALES.

Puisque vous êtes faible, reposez-vous, et ne sortez point. Le bon saint que nous aimons tant sera avec vous au coin de votre feu..... Si vous sentez que votre langueur ne vous permette pas d'aller demain à la messe, renoncez-y bonnement. Souvenez-vous que si saint François de Sales était au monde, et qu'il fût votre directeur, il vous défendrait d'y aller en ce cas : il ne vous le défend pas moins du paradis. En quittant la solennité de sa fête, vous suivrez son esprit. Vous le trouverez dans la faiblesse et dans la simplicité, bien plus que dans une régularité forcée. Aimons comme lui, et nous aurons bien célébré sa fête.


A UNE AUTRE PERSONNE.

..... Pour vos lectures, vous faites bien de lire l'Écriture sainte, mais n'abandonnez ni l'Imitation de Jésus-Christ, ni les ouvrages de saint François de Sales. Ses Lettres et Entretiens sont remplis de grâces et d'expérience.




A MONSEIGNEUR L'ILLUSTRISSIME ET RÉVÉRENDISSIME JEAN-FRANÇOIS DE SALES, ÉVÊQUE ET PRINCE DE GENEVE.


Monseigneur,

Ceux qui ont porté leur plume à écrire la vie de cet incomparable prélat, votre très-honoré frère et prédécesseur en la dignité que vous possédez par mérite, ont tâché de nous représenter l'image de ses vertus, et les plus riches traits dont le ciel avait embelli son âme; mais ils n'ont pas pu donner à sa gloire des couleurs assez vives pour la faire, dignement reconnaître. Cet honneur était dû à votre vertu d'être une image vivante de tant de perfections que la terre a honorées en lui, et que le ciel a couronnées de gloire; image d'autant plus parfaite, que moins elle montre au dehors les linéaments de son intérieur, que vous tenez recelé et gravé dans le vôtre, et qui nous fournissait le sujet de former notre plainte à votre héroïque humilité, aussi bien que la sienne, si la plume, tirée de l'aile de quelque séraphin, le trahissant innocemment dans ses missives, que je mets entre vos mains, ne l'eût dépeint avec tant de naïveté sur le papier, qu'elle semble se ressentir des vifs ressentiments que le Saint-Esprit excitait dans son âme. Laissez voler ce portrait aux yeux de ceux qui s'estimeront heureux de le voir; il prendra des rayons de sa gloire et l'autorité de votre aveu ; et il n'y a pas à craindre qu'en lui donnant la lumière, il obscurcisse le lustre de sa réputation. Rien ne pouvait sortir d'imparfait d'une âme si parfaite, laquelle, en toutes ses oeuvres, ouvrant les coeurs à la dévotion, a toujours fermé la bouche à la médisance. Que s'il ne lui a donné la vie avant sa bienheureuse mort, vous devez de là juger plutôt de son humble modestie que l'indignité de l'oeuvré. Il voulait que ceux qui honoreraient sa mémoire eussent de vous ce contentement et l'obligation que conserve votre très-humble et affectionné serviteur,

LOUIS DE SALES.





AUX DEVOTES RELIGIEUSES DE LA VISITATION DE SAINTE MARIE.

Mes Dames,

Dieu ayant fait les hommes par la création, et refait par la rédemption, les va journellement parfaisant par la sanctification, pour laquelle (outre les inspirations qu'il leur donne, et les sacrements qu'il leur fait conférer par lés officiers qu'il a établis pour cette fin en son Église) il se sert coutumièrement de la voix et de la plume de certains siens serviteurs choisis entre lés autres pour cet effet, auxquels il se communique plus libéralement, et donne plus particulière connaissance de ses volontés, pour les proposer et expliquer après aux autres. Ce grand prélat, protecteur là haut de vôtre vertu, comme çà bas il était le fondateur de vôtre ordre, et lé premier directeur de vôtre dévotion, a été un de ceux desquels sa divine Majesté s'est voulu servir en ce temps, non seulement pour "enseigner de vive voix, et par des traités complets piéçà mis au jour, là vertu aux personnes embarrassées parmi lé tracas du siècle, mais aussi pour cultiver, par beaucoup de salutaires avertissements et discours familiers dans ses missives, l'esprit de religion que Dieu vous a communiqué par son moyen ; lesquels pouvaient se perdre dans l'oubli, si ce livre n'en eût arrêté la mémoire. Jugez s'il doit vous être cher, puisqu'il vient de telles mains, et qu'il contient une partie de choses qui vous concernent. Le supprimer, c'eût été supprimer une partie de sa louange, et rompre un des organes de votre bonheur. Il vous ramentevra qu'il vous faut être fermes en la foi, humbles en la conversation, honnêtes es paroles, justes es jugements sur les déportements d'autrui, équitables es actions, miséricordieuses es oeuvres, réglées es moeurs, patientes es injures, courageuses es tribulations, douces avec le prochain (c'est l'esprit de votre congrégation, et l'héritage que votre père vous a plus particulièrement laissé), amoureusement craintives avec Dieu, conformes à son bon plaisir, et unies inséparablement à sa charité. Vous y verrez aussi reluire la rare prudence de son auteur avec l'ardeur de son zèle, qui lui a fait porter le flambeau au salut de tant de princes et d'hommes de toute qualité, et tant de consolations et de très-saints conseils que vous y trouverez donnés à plusieurs autres. Le profit vous sera toutefois plus particulier, et le contentement pourra encore croître, si ceux qui auront quelques autres épitres de ce saint homme sont si charitables que de les communiquer aux dames de vos monastères qui leur seront plus voisins, pour grossir ce Volume à la seconde édition, de quoi je les conjure très affectueusement; et sur cela je me tais pour le laisser parler et entretenir vos pensées sur un si digne sujet, lequel formant vos esprits, et comblant d'aise vos coeurs, instruira encore votre charité à prier pour celui qui a contribué en ceci son travail à votre contentement, et qui prise grandement l'honneur d'être,

Mes Religieuses Dames,

Votre plus humble et affectionné serviteur,

LOUIS DE SALES.











LETTRES

DE

SAINT FRANÇOIS DE SALES



LETTRE PREMIERE.

LE PRÉSIDENT FAVRE (1) A FRANÇOIS DE SALES.

(1) Favre (Antoine), premier président au sénat de Chambéri, gouverneur de Savoie et pays adjacents, né en Bresse, le A octobre 1357, était un des premiers jurisconsultes de son temps ; il avait fait, recevoir S. François de Sales avocat au sénat de Chambéri en 1592. Ils furent dès lors intimement liés. Antoine Favre mourut à Chambéri, le 28 février 1624..

 (Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)

Cette lettre fut écrite à S. François de Sales lorsqu'il était prévôt de l'Église de Genève, pour l'inviter à accepter la dignité de sénateur, qu'il avait constamment refusée.



Vers le mois d'août 1593.

Ais, charissime frater, velle te à theologiâ impetrare facultatem ad jurisprudentiae sacra, quae superiore biennio interraisisti, quodam postlimiiiii (2) jure repetenda. Quo omine non solum mi-rabiliter gaudeo, sed etiam, si tua causa id facis, ut facere debes, et tibi et jurisprudentioe gratulor: tibi, cui amplissimam gloriae messem ex consilio paratam esse prospicio; jurisprudentiaî, quam inirâ ingenii tui felicitate ornatum maxime et illustratum iri confido ; si, quod facturum te non dubito, ad eam sic voles incumbere, ut, quoe te prior disciplinas sua; alumnum habuit, ejus laudem cum tuâ putes esse conjunctam.

(2) Postliminium, retour à un bien ou à un pays dont on avait été enlevé de force.



Si, ut ais, et ego, mibi magis placeam, credere volo, meà potius causa, et qupniam ità suadeo, idipsum facere voles, equidem perindè gratulàbor jurisprudentiaî, cum jam sic afFectus esse debeam, ut in eoquod meâ causa faciès noniminoremquàm si tuàdiligentiametindustriam collaturum te per-suasum habeam; sed mihi potissimum, cuitam. praclara ista tamque facilis obtigerit benè de juris-prudentiâ merendi occasio, vel hoc solo quod te induxerim uti de eâ benè merereris.

Utcumque veto sit, est quod, quantas possum tibi referam gratias, qui meis sive precibus siye eonsiliis tantum indulgere te profitereris, ut studiorum tuorum legem ex arbitrio meo, non solum instituere, quod esset facilius, sed etiam institutam et cqmppsitam immutare non récuses.

Ego certè ad sancta mutuaî necessitudjriis nos-troe l'oedera constringenda adeô pertinere arbitrer uti studiis iisdem exerceamur, ut, ni tu mihi hâc parte prior concessisses, fuerim fovtassis, dum per senatum et uxorem licuisset, theologiam pro juiisprudentià secuturus.

Sed extra jocum, placere tibi imprimis theologiam nec miror, nec doleo : est enim propria illa et peculiaris illorum scientia, quodDeus optimus maximus non tam ad amplissimas quasque Ecclesioe dignitates, quas jam tibi suâsponte obvias video, quàm ad pietatem infdrmàverit, cujas te gravissimum et sanctissimum, non nomen, sed numen praecipuo cultu habere certô scio'.

Atque utinàm eadem mihi, quae tibi, in eam rem opportunitas adesset ! non voluntas, mihi crede; abesset, non animus. Neque tamendes-pero quin, si quando unà nos vivere, et securiore pienioreque otio frui Deus volet, et exemplo et auxilio. tuo, theolpgiee quoque degustandoe desi-derium non parvum subeal, quo jampridem titillait me sfentio, in eoque, ut in Domino mori discam, qui Christian» vitae scopus esse debet, tandem ah'quando consenescam.

At cum nequS Spartam quee mihi divinitus data est deserere ultrô;'debeam, neque à me ipsetanto abesse intervallo, ut, qui vel soli jurisprudentiaî imparem me video, theologioe etiam amplectendae temerarios spirit'us sumere velim ; plané conveniens est, ea mihi intérim st'udià praeipuè et in amoribus et cura! esse, sine quibus nec officii mei, nec dignitatis ratio sutis recta constare pos-sit. Tu verô longé beatior, qui, in istà potissi-mum aetate quae, ut ais, restitutionis beneficium admittere adhuc posset, jam consecutus sis, ut et utramque scientiam, ettuàetutriusque dignitate, capessere possis, si voles ; et velle débeas, quià potes.

Ad hic videor mihi videre haesitantem te, quae-nam il la conditio sit quam admisi : Si una nos vivere Deus volet. An fortassis quôd eventurum sperem, ut in sanctissimo ilio vestro collegio canonicatum brevi ambiam, et liberalitate vestrâ, tuàquc proesertimauctoritateadipiscar?Scd à di-lectissimâ conjuge prius impetraverim ut raortem optet et oppetat quàm ut id patiatur.

Quid ergo? Ad nôstrum ego te, ad nostrum, in-quam ( vereor enim non exaudieris ), collegium voco, et, quanta possum contentione, hortor ut senatoriam dignitatem non jam ambias, sed sum-mis meritis tuis tam honorificè riovoque excmplo oblatam alacriter suspicias, proesentemque urgeas occasionem, non quôd verendum sit, si te respi-cis, ne iiivitum te unquàtri effugiat, sed ut tanto longiores dulciorcsque dignitatis tuae fructus per-oipias, cujus nec minima pars illa futura sit, quôd, in tantâ rerum omnium perturbatione, tamque perditâ temporum conditione, tam citô verèque dignus habitus sis qui ad eam promovereris.

Quid verô esse potest quod te remorari aut ad cunctandum moveredebeat? Annonet episcopos et abbates habemus? et, ut de re judicatâ praescribam, ne dubitationi locu's relinquatur, nonne ipsum quoque Ecclesiae vestroe proepositum, de-cessorem tuum, virum clarissimum, mihique prae coeteris omnibus, nescio quo bono fato, familia-rissimum, eumdemque Imperatorem, et theologia? deditissimum, senatorem habuimus ? An non et sacerdotes sumus, et sacrosancta divinarum et humanarum rerum mysteria tractamus ? Annon denique et breviarium (si inter séria jocari me pa-tieris), quoties in secreto auditorio lites ex breviario, recitamus?

Quid autem vel tibi gloriosius, vel àmplissimo ordini honorificentius, vel denique bonis omnibus optatius, quàm inter eos te sedere, quorum dignitas, tibi communis, et illustriorem tuam reddere, et ex tua occasione illustrior ipsa fleri possit !

At revocaret te, inquies, ea functio ab instituts vitae studiorumque ratione. Imô admoneret po-tius, quanquam admonitione iiullà eges, uti teip-sum et tibi et nobis semper ad imitandum pro-poneres; et quibus studiis eam tibi pietàtis et scientiè famam comparasses, quoe tanta: dignitatis materiam pepefisset, ex perpétuo sectareris.

Nec erit tibi difficiles à principe et senatu quàm ab ipsâ jurisprudentià impetrare, ut et po-tiores et quantas voles theologiae horas largiare. A me etiam, quem in eo pertinaciorem contra-dictorem vereri deberes, idipsum te facile impe-traturum promitto : quippè qui nimis féliciter et cum jurisprudentià et mecum actum putabo, si te aliquando senatorem, et ut voluntatis ità dignitatis communione fratrem dicere potero.

Et verô, si tantum mihi tribuis, ut, quia sic volo, jurisprudentiam, cui repudium mittere co-gitabas, in gratiam recipere paratus sis, quidni ea quoque tibi persuaderi patiare, quae sunt pror-sus consequentia, et tibi longé magnifleentiora, mihi jucundiora, ipsi quoque reipublicoe, cujus praecipuam rationem semper haberi oequum est, utiliora?

Non te hortor ad vanam illam gloriam, quam à te tantum abesse scio, quantum à christiano pioque viro, ad veram gloriam nato, abesse de-beat; quoeque, etiamsi ex hominum existimatione aucupanda esset, sequi tamen, non appeti debe-ret : sed hoc unum contendo \ nihil esse quod tu, vel tuà, vel meâ, vel denique publicae utilitatis causa, libentius concedere et prsestare deberes; quô magis mihi sperandum est, non commissu-rum te, uti minorem dignitatis. tuoe quàm voluntatis rationem habuisse videaiïs,



Vous dites, mon cher frère (1), que, par un certain droit de retour, vous voulez demander à la théologie la permission de retourner à l'étude de la jurisprudence, que vous avez interrompue depuis près de deux ans. Cela étant, non-seulement j'en suis très-charmé par rapport à moi, mais même, si vous le faites à cause de vous, comme vous devez le faire, je ne puis que vous féliciter, aussi bien que la jurisprudence. Je vous en félicite, dis-je, parce que je vois que ce dessein vous prépare une ample moisson de gloire ; je félicite aussi la jurisprudence, parce-que je ne doute pas qu'elle ne reçoive un grand ornement et un grand lustre de l'heureuse et merveilleuse fécondité de votre esprit, si vous voulez vous y appliquer, comme je suis certain que vous le ferez, vous persuadant que sa gloire vous est commune avec elle, parce qu'elle vous a eu pour nourrisson.

(1) Expression qu'ils employaient mutuellement.



Que si, comme vous le dites, et comme je le veux croire, et que je m'en flatte, vous le faites pour l'amour de moi, et parce que je vous le conseille, je ne laisserai pas de m'en réjouir encore avec la jurisprudence. En effet, pensant comme je fais sur votre compte, je dois être persuadé que vous n'apporterez pas moins de soin et de diligence en ce que vous entretiendrez à ma considération qu'en ce que vous ferez pour vous-même. Mais si j'ai jamais eu quelque raison de me réjouir et de me féliciter, c'est maintenant que je trouve une occasion si belle et si facile de bien mériter de la jurisprudence, par le bonheur que j'ai de pouvoir vous engager à en bien mériter vous-même.

Quoi qu'il en soit, j'ai toujours un juste sujet de vous remercier, autant que je puis, de ce que vous faites profession de déférer si fort, tant à mes prières qu'à mes conseils, que non-seulement vous voulez bien régler vos études selon ma volonté, ce qui serait néanmoins plus facile à faire, mais même que vous ne refusez pas d'en changer l'ordre, lorsqu'il est déjà arrêté et déterminé.

A vous parler sincèrement, je pense que, pour serrer les noeuds sacrés de notre mutuelle amitié, il est nécessaire que nous nous appliquions aux mêmes études: c'est pourquoi, si vous ne m'eussiez prévenu en adhérant à mes sentiments sur cet article, et que le sénat et mon épouse me l'eussent permis, j'eusse peut-être embrassé la théologie au lieu de la jurisprudence.

Mais, je vous le dis sincèrement, je ne suis ni surpris ni fâché que vous preniez plus de plaisir à la théologie, puisque c'est la science propre et particulière non-seulement de ceux que notre grand Dieu a destinés par sa bonté à remplir les plus grandes dignités de l'Église, lesquelles viennent d'elles-mêmes au-devant de vous, mais encore de ceux qu'il a formés pour la piété, que je sais que vous cultivez particulièrement, ne vous contentant pas d'en honorer le nom, mais regardant ses pratiques comme très-saintes et très importantes.

Et plût à Dieu que j'eusse pour cela le même avantage que vous ! croyez-moi, je ne manque-rois ni de volonté ni de courage. Cependant je ne désespère pas, s'il plaisait à Dieu que nous vécussions ensemble un jour, et que nous puissions jouir d'un repos plus assuré et plus parfait, qu'il ne me prît une grande envie de goûter de la théologie, à votre exemple et avec votre secours. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je me sens chatouillé de ce désir ; et je me trouverais bien heureux de le porter jusqu'à la vieillesse, pour apprendre par ce moyen à mourir dans le Seigneur, ce qui doit être le but de la vie chrétienne.

Mais, puisque je ne dois pas abandonner la Sparte que Dieu m'a donnée, ni m'éloigner de telle sorte de la connaissance de moi même, que de porter témérairement mes vues jusqu'à la théologie, étant déjà incapable de la seule étude du droit, il est tout-à-fait convenable que j'applique toutes mes affections et que j'apporte tous mes soins à ces études, sans lesquelles je ne puis remplir mes devoirs ni soutenir la dignité de ma charge. Pour vous, vous êtes bien plus heureux que cela, d'autant qu'à l'âge où vous êtes, et où vous pourriez encore, comme vous le dites vous-même, implorer le bénéfice de restitution en entier (1), vous êtes dans le cas, eu égard à votre dignité et à celle de ces deux sciences, de pouvoir embrasser l'une ou l'autre, si vous voulez ; et vous devez le vouloir, puisque vous le pouvez.

(1) Restitution en entier s'entend de jugements rendus pour casser et annuler certains actes où il existe des lésions et des nullités.



Mais il me semble vous voir en peine de savoir ce que je veux dire, et quelle est cette condition que j'ai mise : Si Dieu voulait que nous vécussions ensemble un jour. Ne serait-ce point peut-être que j'espérerais pouvoir dans peu de temps prétendre à un canonicat de votre vénérable chapitre, par la libéralité de tous ceux qui le composent,- et surtout par votre crédit? Mais j'obtiendrais plutôt de ma très chère épouse qu'elle désirât la mort, et qu'elle la subit en effet, que je n'obtiendrais qu'elle y consentit.

Quoi donc ? (mais j'ai peur que vous ne vouliez pas m'écouter) je vous invite à entrer dans notre compagnie, et je vous exhorte, avec toutes les instances possibles, non pas à rechercher la dignité de sénateur, mais à la recevoir sans délibérer, maintenant qu'elle vous est offerte d'une manière si glorieuse, et qui est sans exemple, à cause de votre souverain mérite. Je vous conseille même de presser l'occasion présente ; non pas qu'il y ait à craindre, si vous vous regardez vous-même, qu'elle vous échappe malgré vous, mais afin que vous puissiez jouir plus longtemps des doux avantages de votre dignité, qui ne recevra pas un petit accroissement de ce que, dans un si grand trouble de toutes choses et une si misérable condition des temps, vous avez sitôt et si justement été trouvé digne d'y être promu.

Qu'y a-t-il qui vous arrête en ceci, ou qui vous obligea retarder davantage? N'avons-nous point parmi nous des évoques et des abbés ? et, pour vous donner un exemple où il n'y ait point de réplique, et qui ne vous laisse plus aucun lieu de douter, n'avons-nous pas eu dans notre compagnie M. le prévôt de votre Église, votre prédécesseur, très-excellent homme, qui était, je ne sais par quel bonheur, mon meilleur ami, quoique Empereur (2), et qui se donnait tout entier à la théologie? Disons plus, ne sommes-nous pas prêtres aussi bien que vous, et ne traitons-nous pas les mystères les plus sacrés des choses divines et humaines? Enfin (si vous voulez me permettre de mêler un peu de plaisanterie avec le sérieux), qui empêche de dire que nous récitons le bréviaire toutes les fois que nous rapportons sommairement les procès dans le bureau secret ?

(2) M. Favre joue sur le nom d'un ami qui portait le nom de François Empereur.



Mais quoi de plus glorieux pour vous, quoi de plus honorable à cet auguste corps du sénat, quoi déplus désirable pour tous les gens de bien, que de vous voir assis au milieu de ceux dont la dignité, qui vous est commune avec eux, pourra rendre la vôtre plus illustre, et devenir elle-même plus illustre par l'union de la vôtre !

Vous me répondrez à cela que les fonctions de cette charge vous, détourneraient de la manière de vie que vous avez résolu de suivre, et vous déroberaient le temps de vos études. Et moi je vous dirai, au contraire, qu'elles vous avertiraient, si tant est que vous ayez besoin d'avertissement, de vous comporter de telle sorte que vous soyez toujours un modèle à imiter, et pour nous et pour vous-même, et de cultiver sans cesse des études par lesquelles vous vous êtes fait cette-réputation de piété et de sciences qui a été la cause d'une si grande dignité.

Il ne vous sera pas difficile d'obtenir du prince, du sénat et de la jurisprudence même, autant de temps que vous voudrez pour vaquer à la théologie. Je vous promets aussi que je vous l'accorderai facilement, quoique vous ayez lieu de me craindre plus que personne, comme le plus capable de vous contredire avec opiniâtreté ; car je me croirai encore trop heureux, et je penserai avoir trop fait pour la jurisprudence, si je puis un jour vous appeler sénateur, et devenir votre frère par l'union de la dignité comme je le suis par celle de la volonté.

Et certes, si j'ai eu tant d'ascendant sur votre esprit, que j'aie fait rentrer en grâce auprès de vous la jurisprudence, que vous alliez répudier, pourquoi ne vous laisseriez-vous pas persuader des choses qui vous sont absolument conséquentes, mais beaucoup plus glorieuses pour vous, plus agréables pour moi, et plus utiles à la république, à laquelle il est juste d'avoir égard, préférablement à toute autre considération ?

Je ne vous exhorte point à une fausse gloire : je sais que vous en êtes autant éloigné que le doit être tout homme pieux et chrétien, qui est né pour la véritable. D'ailleurs je n'ignore pas que, quand il devrait en revenir de l'estime des hommes, il faudrait qu'elle suivit seulement les actions dignes de louanges, et non pas que l'on allât au-devant par ses désirs. Encore une fois,, je ne vous exhorte pas à cette vaine gloire ; mais je prétends aussi qu'il n'v a rien au monde que vous deviez accorder et faire plus volontiers que ce que je vous demande, soit pour vous, soit pour moi, soit enfin pour l'utilité publique ; et j'espère que vous ne voudrez pas paraitre avoir moins d'égard à votre dignité qu'à votre inclination.




LETTRE II, AU PRÉSIDENT FAVRE.

(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)

Il lui répond qu'il ne peut accepter la charge de sénateur, et lui détaille ses raisons.



Vers le mois d'août 1593.

Je ne puis que vous remercier, mon frère, de la bonne volonté que vous me témoignez, et je n'en attendais pas moins d'un coeur tel que le vôtre; il n'y a rien aussi que je ne fasse pour vous en témoigner ma reconnaissance, surtout en suivant vos bons avis tant que je pourrai. Cependant vous me permettrez de vous dire que pour ce coup nos sentiments ne peuvent pas s'accorder ensemble, et j'espère que vous en conviendrez lorsque vous aurez lu ma présente lettre.

C'est un principe incontestable, et un oracle sorti de la bouche même du Sauveur, que nul ne peut bien servir deux maitres. Si jamais cette maxime a convenu à quelqu'un, c'est à moi, qui ne suis déjà que trop incapable de la charge que j'exerce. Comment suffirais-je à deux emplois d'une nature si différente, qui demandent un homme tout entier, et qui exigent une si grande assiduité? Vous n'ignorez pas quelle est l'obligation de la résidence par rapport aux bénéficiers. Or, en acceptant la charge de sénateur de Chambéri, je ne pourrais m'acquitter de ce devoir ; cette ville est trop éloignée d'Annecy et de Genève pour cela (1). Vous devez donc conclure que je ne dois point accepter cette dignité.

(1) Annecy est à neuf lieues au nord de Chambéri, et Genève en est à seize lieues nord-est.



Croyez-moi, mon frère, votre illustre corps et la jurisprudence ne perdront rien à cela : il y en a une infinité d'autres qui rempliront mieux cet emploi- que moi, qui lui feront plus d'honneur, et qui, étant plus habiles, seront aussi beaucoup plus utiles à la république. En vérité, je me ferais un grand scrupule d'occuper la place qu'ils méritent et que je ne mérite pas.

Mais quand j'aurais toutes les qualités requises, je vous ai déjà dit que ces deux états sont d'une nature trop différente pour n'être pas incompatibles!

Je sais que la jurisprudence est très-sainte par elle-même, et par la fin qu'elle se propose; néanmoins elle ne laisse pas de traiter souvent des choses du monde. Or, il ne faut pas mêler le sacré avec le profane (1) ; et quiconque s'est une fois engagé à combattre sous les enseignes de Dieu, ne doit pas se mêler des affaires séculières (1Tm 2,4).

Vous connaissez mon humeur, et vous savez l'éloignement extrême que j'ai pour les procès et la chicane. Ne vaut-il donc pas mieux, sans comparaison, (pie je ne pense plus désormais qu'à instruire les peuples, et à leur annoncer la parole de Dieu? Voilà mon état, ma vocation, et la fonction de mon ministère. Pensez-vous qu'en m'appliquant à l'étude du droit, je pusse m'attacher à là prédication aussi sérieusement et aussi fortement qu'il le faudrait? et ne savez-vous pas que « le sens qui est appliqué à plusieurs objets « a moins de force pour chacun d'eux en particulier (3) ? « J'aurais bien d'autres choses à vous objecter; mais je ne puis vous en parler à présent.

Je n'ai plus qu'un mot à vous dire en finissant. Je me sens très-obligé, non-seulement à son altesse sérénissime, de la grâce qu'elle m'a accordée et de l'honneur qu'elle m'a fait, en m'envoyant les lettres de sénateur, mais même à tous ceux qui se sont employés pour me les faire obtenir. Cela servira toujours à la gloire de notre famille, et à illustrer nos archives ; c'est là tout l'usage que je crois en devoir faire, parce que je me sens une répugnance insurmontable à joindre la vie ecclésiastique avec la vie séculière, et l'embarras des affaires et de la chicane. Voilà mon sentiment, mon cher frère; c'est pourquoi je vous prie de ne me plus presser là-dessus.


(1) Non sunt miscenda sacra profanis.
(3) Pluribus intentus minor est ad singula sensus..




LETTRE III.

M. DE SALES, A SON FILS S. FRANÇOIS DE SALES.

(Tirée de la vie du Saint par Ch. Aug. de Sales.)

Cette lettre fut écrite pour engager S. François à abandonner les travaux de la mission, qui exposaient sa santé et même sa vie, et dont à cette époque il ne retirait pas encore tout le fruit qu'il en recueillit dans la suite.

A. la fin de 1593, ou au commencement de 1594;

Je ne puis que louer votre zèle, monsieur mon fils ; mais je ne vois pas qu'il puisse aboutir à quelque chose de bon. Vous en avez déjà fait plus qu'il n'en était besoin. Les personnes les plus sensées et les plus sages disent hautement que votre persévérance se termine à une sotte obstination, que c'est tenter Dieu de faire une plus longue épreuve de vos forces, et qu'enfin il faut contraindre ces peuples à recevoir la foi par la seule bouche du canon. C'est pourquoi je vous conjure de faire cesser au plus tôt nos inquiétudes et nos alarmes, et de vous rendre à votre famille, qui vous désire ardemment, mais surtout à votre mère, qui meurt de douleur de ne vous point voir, et de crainte de vous perdre tout-à-fait. Mais si mes prières ne servaient de rien, en qualité de père je vous ordonne de revenir ici incessamment.




LETTRE IV, A SON PÈRE.

(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)

Réponse de S. François à son père ; il s'excuse de revenir.

Monsieur mon père,

Quelque respect que j'aie pour vos ordres, je ne puis m'empêcher de vous dire qu'il m'est impossible de m'y rendre. Vous n'ignorez pas de qui j'ai reçu ma mission, après Dieu et de sa part. Puis-je me retirer d'ici sans sa permission? Adressez-vous donc, s'il vous plaît, à monseigneur le révérendissime ; je suis prêt à partir dès qu'il parlera. En tous cas je vous supplie de considérer ces paroles du Sauveur : Celui qui persévérera sera sauvé (Mt 10,22 Mt 24,13) ; et ces autres de S. Paul : On ne couronnera que celui qui aura légitimement combattu (1Tm 2,5). Les moments d'une légère tribulation opèrent un poids éternel de gloire, I etc. (1Co 4,17).




LETTRE V.

S. FRANÇOIS DE SALES, AU PRÉSIDENT FAVRE.

(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)

Le Saint s'excuse auprès de ses amis, qui lui avaient écrit à la prière de son père ; il déduit les motifs qui le retiennent en Chablais.

En Chablais, an 1593.

Dicam quod est : tanta est hujus populi pertinacia, ut cotnmuni decreto prohibitum sit ne ullus ad catholicas conciones accédât ; et cum plerosque ad audiendum, partim curiosos, partim quibus inest adhuc antiquae religionis sapor, venturos sperabamus, obfirmatam mutuis cohortationibus omnium mentem reperimus; eamque sui sceleris excusationem proetendunt, quod, si in catholicam Ecclesiam tantisper fera videantur, à Bernensibus et Genevensibus, inter quos sunt, dure, non ut catholici tantum, sed ut desertores, tractarentur; itaque se, nisi pace composità, nunquam expectandos : ita nimirum trepidaverunt timore ubi non erat timor; ac nobis non haeresis tantum, sed hujus quoque saeculi amor primum ab iis hominibus aveilendus est.

Alioquin per privata colloquia ipse etiaro munster, in mysterio augustissimi altaris sacramenti, nos ex Scripturis recte pro fidei nostra concludere confessas est; confiterenturque coeteri, nisi timor ille immodicus terrenus obstaret. At nos patientia fortem illum armatum, qui custodit atrium suum, a Jbrliore,h\ente Christo, tandem expulsum iri speramus. Hic est rerum nostrarum status.



Je dirai franchement ce qui en est, mon cher frère : l'opiniâtreté de ce peuple est si grande, qu'il est défendu par une ordonnance publique que personne n'eût à aller aux prédications catholiques ; et lorsque nous espérions que plusieurs viendraient nous entendre, soit par curiosité, soit qu'ils aient encore quelque goût pour l'ancienne religion, nous avons trouvé que tous avaient résolu la même chose par de mutuelles exhortations; et ils rapportent cette excuse à leur crime, «pie, si l'on connaissait qu'ils penchassent tant soit peu du côté de la religion catholique, ils seraient maltraités par les Bernais et les Genevois, parmi lesquels ils vivent, non-seulement en qualité de catholiques, mais encore comme déserteurs de leur religion ; et que, par cette raison, il ne faut pas les attendre jusqu'à ce que la paix soit absolument faite : tant il est vrai qu'ils ont eu de la crainte où il n’y  avoit point sujet d'en avoir (Ps 13). Il ne suffit donc pas que nous leur ôtions l'hérésie, il faut d'abord leur ôter l'amour du siècle.

 D'un autre côté, je vous dirai que, dans les conversations familières, le ministre même a confessé que nous tirions une-très-bonne conclusion des saintes Écritures pour notre croyance, touchant le très-auguste mystère du sacrement de l'autel ; les autres le confesseraient pareillement, s'ils n'étaient empêchés par cette grande crainte du monde. Mais nous espérons qu'avec la patience, ce fort armé, qui garde sa maison, sera chassé par un plus fort que lui, qui est notre Seigneur Jésus-Christ (Lc 11,21-22). Voilà l'état de nos affaires.




LETTRE VI.

S. FRANÇOIS DE SALES, AU PRÉSIDENT FAVRE.

(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.) Même sujet que la précédente.



An 1593.

Omis messis tunoniensis, meis impar humeris, si ab antistite jussus fuero, deponam. In eam tamen rem alios operarios, iisdemque commea-tum dum parare cogito, nullum inter infinitas hostis generis humani versutias exitum, nullum finem facio : illud me non leviter torquet. Imminent certè capitibus nostris totclades, mi frater, ut intereà vix ullus pietati procurandae, cum ipsa maxime sit necessaria, superesse locus videatur. Animus tamen in meliorem spem, Christo propi-tio, attolendus est. Cum audieritis proelia et seditiones, nolite terreri. Ante hoec omnia injicient vobis manus (Lc 21,9 Lc 21,12).

Intérim, mi frater, hos inter tumultus patrix nostrae (dicamne, an tumulos)? dum circum circà oculis nostris ingrata quoeque sese offerunt, in patriam illam coelestem oculos intentissimè flga-mus, cogitemusque perpétua Eliam illum Thesbi-tem non aliter quàm per turbinera ad coelum ascendisse ().





Tout aussitôt que je recevrai le commandement de mon évêque, je remettrai fort volontiers la charge de la moisson de Thonon, qui est véritablement trop pesante pour mes épaules. Mais cependant, quand je pense à y mettre d'autres ouvriers, et à leur préparer ce qui leur est nécessaire pour subsister, je ne trouve point de bout ni de sortie au milieu des ruses infinies de l'ennemi du genre humain ; cela me tourmente fort. Certes, mon très-cher frère, nos têtes sont menacées de tant de malheurs, qu'il ne semble pas qu'il nous reste le moindre lieu d'avancer ici la piété, quoiqu'elle soit absolument nécessaire. Il faut néanmoins relever notre courage par la vue d'une meilleure espérance, avec la faveur de notre Seigneur. Quand vous entendrez parler de guerres et de séditions, nous dit-il, ne vous étonnez pas. Avant toutes choses, ils mettront les mains sur vous.

Cependant, mon frère, parmi ces troubles, ou, s'il m'est permis de dire, parmi ces tombeaux de notre patrie, qui ne présentent à nos yeux de toute part que des objets désagréables, jetons notre vue très affectueusement vers cette patrie céleste, et pensons perpétuellement que cet Elie Thèsbite ne monta pas au ciel autrement que par un tourbillon.




LETTRE VII.

LE PRÉSIDENT FAVRE, A S. FRANÇOIS DE SALES

(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)

Il l'avertit qu'on a dessein de le rappeler du Chablais, mais qu'il dépend de lui de décider s’il préfère y continuer ses travaux, ou bien revenir à Annecy.



Annecy, an 1593.

Habebo, utspero, crebriores post hàc tabellarios, qui meas ad te litteras perferent, non in istam sn-litudinem in quâ nunc degis, sed in urbem hanc, ad quam te brevi, ut praevideo, revocabit non solum parentis nostri observantissimi votum, sed etiam episcopi amantissimi jussus : sic enim intereos, me praesente, multis sermonibus ac-tum est de te revocando, tibique dando succes-sore. Miram animadverti patris impatientiam, dum et saluti tuae diffldit, et se diutius tantis ba-ronis nostri erga te beneficiis, aut potius officiis, onerari premique molesté fert.

Episcopus pro suà prudentiâ verebatur ne mul-tum de tuis latidibus detraheretur, si, quo tem-pore magis enitendum esset ut pietatis industriae-que fructus aliquis constaret, eam de te homines opinionem conciperent, ut peragendi animum tibi potius quàm facultatem defuisse suspicaren-tur. Ego verô, cujus maxime interest, non tan-tum té salvum esse, sed etiam sic de mé sentire, ut neque minus te amare videar quàm à parente ipso amaris, neque minus prudens providensque quàm senatorem deceat, id unum verebar, ne aut minus te amare videar parenti nostro si curn epis-copo sentiremj aut minus prudens episcopo si parentis consilium approbarem.

Dixi tandem videri raihi totam rem istam tui esse debere consilii et judicii ; ut, si nihil islic profici possc yideres, majorem salutis tuae paternique desiderii quàm tuae laudis rationem habe-I res. Neque enim dubito quin ex conatibus istis, tametsi ( quod abominor ) irriti forent, eô major i tibi laudis materia paretur, quô longiores erunt, et, ut ità dicam, quando tibi cum obstinatissimis res est, obstinatiores : sin verô benè sperares, non committeres ut ex prsecipuis laboribus et victoriis tuis successori tuo, quisque ille futurus sit, triumphus quaereretur; aut etiam, quod te magis, ut scio, movebit, ut tanti momenti res prospère inchoata, successoris tui sive inscitià, sive minus felici ïndustrià, concideret.

Vides quam egerim ex bonà fide et ut amicum decebat, qui adversus mea commoda pro tuâ dignitate etiam contra patrem laboravi ; in quo ta-men satis mihi fui officio paruisse, succubuisse verô etiam perjucundum. Placuitenim communi-bus utriusque parentis votis, nec me val de répugnante, ut jamjam redires, et successorem accipere jubereris.

Cupio ex tuis litteris intelligere, quid tu aut feceris, aut facere constitueris. Mihi probabuntur omnia quae tu è re et dignitate tuâ esse putabis, si tamen primam salutis tuae, quae mihi meà ca-rior est, habueris, ut par est, rationem. Benevale, mi suavissime, et me ut soles araa.



J'espère avoir par la suite un plus grand nombre de messagers pour vous porter mes lettres, non pas dans cette solitude où vous êtes maintenant, ruais en cette ville d'Annecy, où vous serez rappelé dans peu de temps, comme je le prévois, non-seulement selon le désir de notre très-honoré père (1 ), mais encore par le commandement de notre très-cher évoque; car c'est ainsi qu'il a été résolu en ma présence, après plusieurs discours, de vous rappeler et de vous donner un successeur. J'ai remarqué une merveilleuse impatience en notre père, qui est dans l'appréhension qu'il ne vous arrive du mal, et en même temps fâché de se voir obligé à notre baron (2), à cause des grands bienfaits que vous en recevez, ou plutôt des services qu'il vous rend.


(1) M. de Boisy, père de S. François de Sales. I.
(2) François-Melchior de Sainte-Joire, baron d'Hermalice, gouverneur du Chablais, qui avait rendu à S. François toutes sortes de bons offices pendant sa mission.


M. l'évêque, par sa prudence ordinaire, craignait qu'il n'y allât trop de votre honneur;, si, dans le temps qu'il aurait fallu faire tous ses efforts, afin qu'on vit quelque fruit de votre piété et de votre industrie, le monde venait à soupçonner et à croire que le courage vous a manqué plutôt que le moyen de réussir. Mais moi, qui suis intéressé, non-seulement à ce que vous vous portiez bien, mais encore à ce que vous soyez persuadé que je ne vous aime pas moins que notre père vous aime, et à ce que je ne paroisse pas moins prudent et moins prévoyant qu'il ne convient à un sénateur de l'être, je craignais de sembler à notre père vous aimer moins si j'étais de l'opinion de monseigneur, et à monseigneur manquer de prudence si j'approuvais le désir et le dessein de notre père.

C'est pourquoi j'ai dit que mon avis était qu'on laissât tout cela à votre jugement et à votre discrétion, afin que, si vous voyez qu'on ne puisse rien faire en ce pays-là, vous ayez plus d'égard a votre vie et aux désirs d'un père qu'à votre réputation ; car je ne doute nullement que ces travaux, quoique perdus (ce qu'à Dieu ne plaise ! ), fourniront une matière d'autant plus grande à votre gloire, qu'ils seront pins longs et plus opiniâtres, pour ainsi dire, puisque vous avez affaire à des obstinés. J'ai eu aussi en vue que, si vous pensez qu'il y ait quelque jour aux affaires et quelque espérance d'y réussir, vous ne permettriez pas que vos travaux et vos victoires, qui doivent être si considérables, servent à acquérir l'honneur du triomphe à votre successeur, quel qu'il puisse être, ou ( ce que je sais qui vous touchera davantage) qu'une entreprise de si grande importance, et si heureusement commencée, vienne à manquer par l'ignorance où par l'industrie moins heureuse de ce même successeur.

Vous voyez combien j'ai agi à la bonne foi, et comme il convient à un ami d'en agir ; moi qui, sans considérer mon propre intérêt, ai pris le parti de votre gloire contre notre père : en quoi toutefois il a suffi que j'aie fait mon devoir, et il m'a été très-agréable de n'avoir pas été écouté ; car la commune résolution a été de vous rappeler et de vous donner un successeur, à quoi je n'avais pas beaucoup de répugnance.

Je désire fort d'apprendre par vos lettres ce que vous aurez fait ou résolu de faire. J'approuverai toujours tout ce que vous trouverez à propos, eu égard à la dignité de votre ministère, et principalement à votre santé, qui m'est plus chère que la mienne propre, comme il est juste que cela soit. Adieu, mon très-aimable frère, portez-vous bien, et continuez de m'aimer toujours.






LETTRE VIII. AU PRÉSIDENT FAVRE.

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F. de Sales, Lettres