F. de Sales, Lettres 1431

LETTRE CCCLXVI, A MADAME LIOTARD

1431
(Tirée du monastère de la Visitation du faubourg Saint-Jacques.)

Il lui marque la peine qu'il a des difficultés qu'on forme dans un mariage.

Annecy, 10 mai 1618.

Madame, j'ai su par une lettre de madame de Chantal, que le désirable mariage qui fut conclu en mon logis se trouvait plein de difficultés eh l'éclaircissement des articles particuliers ; et je confesse que, le croyant si convenable et propre au contentement des parties et de leurs amis, je ne puis m'empêcher d'en être en peine.

Ensuite de quoi, comme je conseille à madame de Chantal de ne point s'arrêter à la diminution des espérances que nous avions des biens, aussi vous commis-je, madame, d'apporter de votre côté tout ce qui peut faciliter et rendre douce et agréable l'exécution d'une si bonne oeuvre, et de prendre la méthode la plus claire et franche ; et cependant je demeure très-assidûment, madame, votre, etc.

Je souhaite mille et mille bénédictions à mesdemoiselles vos filles, que je chéris et honore de tout mon coeur, et suis leur serviteur.




LETTRE CGCLXVII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME MARIÉE, A GRENOBLE.

(Tirée du premier monastère de la Visitation, à Marseille.)

La bienheureuse mère de Chantal, ayant consommé la fondation du monastère de Sainte-Marie de Grenoble, et voulant repartir pour Annecy, laissa, pour continuer la bonne oeuvre à sa place, la mère Péronne-Marie de Chastel. Il l'engage à consoler la mère de Chastel du départ de la mère de Chantal, en attendant qu'il puisse lui écrire à elle-même.



Annecy, 10 mai 1618.

Pour moi, ma chère fille, je n'écris à ce coup qu'à vous; car je m'imagine que la bonne mère (1) sera partie, et ce porteur est à un personnage qui fait profession d'être des grandes connaissances de monsieur votre mari, et ne me donne que ce moment pour vous écrire. Mais que vous dirai-je ? Ceux qui n'ont qu'une volonté et qu'un coeur, c'est-à-dire ceux qui pour tout ne cherchent que le divin amour céleste, et que la volonté et le coeur du Sauveur règnent, ils sont inséparables. C'est pourquoi, ma très-chère fille, prenez la peiné, je vous prie, de dire cela de ma part à ma soeur Péronne-Marie (1), laquelle, au départ de cette chère mère (2), sera, je pense, un peu attendrie ; mais qu'elle soit assurée que Dieu l'assistera en sa besogne ; et à la première commodité je lui écrirai moi-même. Cependant vivez toutes à ce coeur et pour ce coeur du Sauveur, ma très-chère fille, et je suis, certes, vôtre très-parfaitement, et votre serviteur, etc.

Madame la présidente Leblanc sait bien ce que je lui suis ; et, pressé de donner vilement ce billet, je ne lui puis écrire. Je la salue néanmoins de tout mon coeur.

(1) De Chantal. Après avoir fondé un monastère de la Visitation à Grenoble, elle y avait laissé la mère ; de Chastel en qualité de supérieure.
(1) De Chastel. —(2) De Chantal.



LETTRE CCCLXVin.


S. FRANÇOIS DE SALES, A LA MÈRE PÉRONNE-MARIE DE CHASTEL, SUPÉRIEURE DU MONASTÈRE DE LA VISITATION DE SAINTE-MARIE, A GRENOBLE.

(Tirée de la vie de Mad. de Chantal, par la mère de Changy.)

Le Saint approuve le choix qu'elle avait fait d'un confesseur à Grenoble.

Après le 10 mai 1618.

Je vous dis, ma très-chère fille, que non-seulement vous pourrez, mais encore que vous ferez parfaitement bien d'ouvrir votre coeur au révérend père Isnard tout candidement: il est non-seulement docte et religieux, mais il «st encore tout spirituel et tout de Dieu ; votre coeur bien-aimé aura de la-consolation et du profit à recevoir ses avis.

Il faut que je vous dise, ma chère fille, que, gardant votre liberté, je trouve qu'en plusieurs rencontres il y peut avoir un incomparable avantage, sans s'attacher toutefois à des directions singulières, de faire passer le jugement de quelqu'un par-dessus le vôtre pour votre conduite intérieure.



LETTRE CCCLXIX, A M. GUILLAUME DE FORAX, GENTILHOMME DE LA CHAMBRE DE M. LE DUC DE NEMOURS, A PARIS.

1434
(Communiquée par M. le curé de l'église Saint-Louis de Paris.)

Il lui demande dés nouvelles du mariage du duc de Nemours.

Annecy, 18 mai 1618.

Monsieur mon frère, quelle apparence y aurait-il de laisser partir ce porteur de mes amis et confrères, sans lui donner ces quatre mots ? car ne faut-il pas, le plus souvent que l'on peut, ramentevoir cette juste et inviolable affection plus que fraternelle que mon coeur a envers vous ? il est vrai, monsieur mon très-cher frère, plus l'honneur et le bien de vous revoir m'est différé, plus ce sentiment va croissant en moi.

Au reste, on nous a annoncé de toutes parts le mariage de sa grandeur; mais j'attends que vous me le fassiez savoir avant que j'en témoigne ma joie, comme je dois, à sa dite grandeur, avec laquelle je me réjouirais bien davantage, si on ne nous assurait pas, par la même nouvelle ; qu'elle se résout de ne venir plus ici. Or sus, la Providence divine sait ce qu'elle a à faire de nous. Cependant aimez toujours constamment, monsieur mon frère, celui qui à jamais, sans cesse et sans réserve, est et veut être votre, etc. On dit toujours que M. le cardinal fera son voyage et que je l'accompagnerai.



LETTRE CCCLXX, A M. DE FORAX.

1442
(Tirée de la communauté du séminaire, à Issy.)

Il se réjouit du mariage de monseigneur le duc de Nemours.

Annecy, après le 18 mai 1618 (mai-juin).

En somme il est donc vrai, monsieur mon frère, que les étoiles ne sont plus en vue quand le soleil l'est sur notre horizon, et qu'ainsi ce grand contentement que vous contemplez au mariage de monsieur, vous vaut tellement, que nous ne sommes plus en mémoire. Or sus, nous nous réjouissons, certes, avec vous, et de tout notre coeur, de ce même bonheur, que nous estimons grand ; mais nous avons su cette heureuse nouvelle à tâtons, ramassant çà et là les assurances que nous en avions parmi le bruit qui s'en faisait, car ni monsieur, ni aucun de sa part, ni nul homme du monde ne nous en a donné aucun avis. Mais Dieu soit loué, et veuille multiplier ses bénédictions sur cette sainte liaison; et vous, monsieur mon frère, passé ces premiers ravissements que la grandeur de votre joie vous donne, vous vous démettrez, je m'assure, à nous vouloir encore un peu gratifier de votre bienveillance : cependant croyez que, quant à moi, je demeure immobile en l'affection que j'ai de vivre à jamais vôtres etc.



LETTRE CCCLXXI, A UNE TANTE.

1439
Il console une de ses tantes dans les afflictions, par les motifs ordinaires.

Annecy, 29 mai 1618.

Madame, j'ai regardé avec compassion l'état de votre coeur, dès que j'ai su le déplaisir qu'il a reçu ces jours passés : car, encore que je sache bien que, grâces à Dieu, l'expérience et accoutumance que vous avez faites, dés quelques années en çà, à souffrir les mécontentements, aura affermi votre âme et animé votre courage ; et pour n'être plus si extraordinairement sensible à ces coups inévitables de notre condition mortelle, si est-ce que d'ailleurs je crains que ces charges si fréquentes n'étonnent votre résolution.

Mais toutefois, madame, je ne laisse pas d'espérer qu'après tant de considérations que vous avez faites sur la vanité de cette vie, et sur la vérité de la future ; après tant de protestations de vouloir être irrévocablement attachée à la suite de la Providence céleste, vous ne trouviez une parfaite consolation au pied de la croix de notre Seigneur, où la mort nous a été rendue meilleure que la vie ; et cette illusion de la vie de ce monde n'aura pas eu le crédit, je m'assure, de vous faire démarcher des résolutions que Dieu vous fit prendre sur les événements d'autrefois.

En somme, madame, il faut s'accommoder à la nécessité, et la rendre utile à notre félicité future, à laquelle nous ne devons ni pouvons aspirer que par le chemin de croix, d'épines, d'afflictions. Et en vérité il importe peu, ains il importe beaucoup à ceux que nous chérissons, que leur séjour soit court parmi les tracas et les misères de cette vie. Et quant à nous, cela ne nous toucherait point, si nous savions considérer que c'est la seule éternité à laquelle nous devons dresser tous nos désirs pour Dieu.

Ma très-chère tante, et certes, pour parler selon mon coeur, ma très-chère fille, ne vous laissez pas emporter au torrent des adversités, ains attachez-vous aux pieds de notre Seigneur, et dites-lui que vous êtes sienne ; qu'il dispose de vous, et de ce qu'il a voulu être vôtre à son gré, en vous assurant, et à vous et aux vôtres, la très-sainte éternité de son amour : ces moments ne méritent pas qu'on y pense, sinon pour parvenir à ce bien. Je suis, madame, votre, etc.



LETTRE CCCLXXII, A UNE DAME.

1440
L'union spirituelle qui est fondée en Dieu durera éternellement. cf.
1299

Annecy, 30 mai 1618.

Je vous dirai, madame, mais aussi, s'il vous plait, ma très-chère fille, qu'il est impossible de n'avoir pas de ressentiment de douleur en ces séparations : car, encore qu'il semble que les unions qui ne tiennent qu'au coeur et à l'esprit, ne soient pas sujettes à ces séparations extérieures, ni aux déplaisirs qui en procèdent ; si est-ce que, tandis que nous sommes en cette vie mortelle, nous les sentons, d'autant que la distance des lieux empêche la libre communication des âmes, qui ne peuvent plus s'entrevoir ni s'entretenir que par cet office des lettres.

Mais pourtant, ma très-chère fille, il y a bien de quoi vivre content en la très-sainte dilection que Dieu donne aux âmes unies à même dessein de le servir, puisque le lien en est indissoluble, et que rien, non pas même la mort, ne le peut rompre, demeurant éternellement ferme sur son immuable fondement, qui est le coeur de Dieu, pour lequel et par lequel nous nous chérissons.

Et vous voyez, ce me semble, déjà en ces paroles le désir que j'ai que vous vous serv iez de mon âme avec confiance et sans réserve. Que si de I m'écrire souvent de ce qui regarde la vôtre vous sert de consolation, comme vous me le signifiez, faites-le confidemment ; car je vous assure que la consolation sera bien réciproque ; et que cela soit dit une fois pour toutes

Certes, je le dis en vérité, je vous chéris très-particulièrement, dès que je vis en votre coeur les arrhes du saint amour de Dieu envers vous, témoignées par les attraits qu'il vous fait à son service. Bienheureuse que vous serez, si, comme vous êtes résolue de faire, vous les recevez humblement, et les pratiquez fidèlement, ainsi que de toute mou affection je le souhaite, demeurant, à jamais, ma très-chère fille, et d'un coeur vraiment paternel, votre, etc.




LETTRE CCCLXXIII, A MADAME DE CHANTAL.

1423
(Communiquée par M. l'abbé de Bourdeille, de la cathédrale de Troyes.)

Le Saint lui rend compte de l'état où il trouvait ses filles, et lui parle de quelques autres affaires particulières.


Annecy, 30 avril 1618.

1. Il me tardait bien fort, ma très-chère et plus que tendre mère, de vous écrire dès ici, où je guis arrivé, grâces à Dieu, en bonne santé: mais quel moyen, je vous prie, à cet abord, par le flux et reflux de visites, et quelques affaires que j'ai trouvées pour Piémont et Italie. Certes, je n'ai été que deux fois voir nos chères soeurs, qui sont fort bien. Ma soeur A. Marie est fort dévotement sage, comme vous n'en doutez pas
554 : ma soeur Paul Hiéronyme 1030 , à ce qu'on m'a dit, fait merveille, et votre économe fait des miracles, hormis que ma soeur A. Jacqueline 471 lui parle toujours savoyard et de la monnoie de Savoie, et elle ne l'entend pas, il faut des truchements 1325 .

Hier je permis à la soeur Louise-Marie d'aller voir sa mère en la compagnie de ma soeur A. Marie, parce qu'on ne la pouvait faire résoudre à se confesser, quoiqu'elle fût en tel danger, que les médecins croyaient qu'elle dût mourir cette nuit, ce que toutefois elle n'a pas fait, encore bien qu'à ce qu'on dit elle ne puisse pas aller loin. On lui a parlé de 800 florins qu'elle avait promis à la maison ; mais elle a remis à le faire quand elle pourra au déçu de son mari : on court donc fortune de les perdre.

Les pères de Saint-Dominique semblent vouloir m'obliger du jardin, sans nous contraindre de vouloir le jardin des barnabites : toutefois je ne vois encore rien d'assuré 1377 .

2. Le nous et notre ne me déplaît pas, et toutefois il faudra le modérer, en sorte que par trop grande habitude de parler ainsi, on ne rende pas les défauts, péchés, imperfections communes, et les confessions inintelligibles aux confesseurs étrangers ; et partant il semble qu'il suffirait de dire /tous et notre de tout ce qui est vraiment commun, comme notre chambre, notre chapelet, notre travail, notre soeur, notre mère, notre exercice : car on peut bien dire, je n'ai pas fait notre exercice du matin, je n'ai pas été à notre dîner, j'ai pensé dans notre lit, et semblables.

3. Si pour ne point différer de donner l'habit à notre soeur de Collesien jusques après votre départ, monseigneur de Chalcédoine veut dispenser du temps du premier essai, il faut excepter la dispense pour cette fois, et le supplier par après de n'en point dispenser que pour de dignes sujets, attendu que la règle de cet essai est fort utile à la congrégation.

J'ai envoyé à ma soeur A. Marie, pour avoir le double du contrat de M. le premier président.

4. Et à propos de M. le président, madame la première me fit entendre, en passant à Chambéry, qu'elle désirait bien que sa fille fût envoyée à Turin (1), si on la pouvait bonnement retirer de Lyon, ce que je ne pense pas. M. de la Roche m'en a dit autant de la sienne 426 , et par conséquent vous voyez, ma chère mère, qu'il y a un peu de considération humaine en ces bons pères ; néanmoins je vous dis tout, afin que vous le considériez et ruminiez pour votre retour. Et peut-être qu'on ne me demande des soeurs de deçà que pour un court emprunt : mais laissons cela.

Je parlerai à M. Carra, qui ne presse nullement la réception de sa fille, et lui est indifférent que ce soit ou un jour ou l'autre. Ma soeur Françoise-Marguerite, ce me semble, n'aura achevé son année de probation que la veille de S. Claude, avec ma soeur Michel et ma soeur Claude Jacqueline.

5. Je serai bien marri si le mariage de monsieur de Chantal (2) ne réussit au gré de ceux qui le regardent, et ne m'étonne pas toutefois si la bonne madame Tistard va un peu moins rondement que nous n'avons pas fait de notre côté ; car elle n'a pas peut-être encore bien dépouillé la robe du monde, ni perdu la coutume de parler selon la sagesse du monde. Je serois pourtant bien aise de savoir en gros comme cela se sera passé, ne me pouvant empêcher de cette curiosité, à cause du contentement que je souhaite à votre Celse-Bénigne,et certes encore à cette fille que je chéris pour l'amour de ma très-chère mère, comme si c'étaient mes frères et soeurs.

6. Je consens très-librement que ma soeur Péronne-Marie (5) communie trois, voire quatre et plus encore de fois la semaine, jusqu'à l'édition des règles, et que toujours une des soeurs communie avec elle ; et quand elle ne communiera pas, qu'une soeur communie, en sorte que toujours quelques communions se fassent tous les jours: car je me confirme toujours plus au désir que je vous ai communiqué, qu'en cette congrégation la communion y soit quotidienne de quelques-unes des soeurs à tour, pour les souhaits que le sacré concile de Trente fait de voir que quelqu'un communie à chaque messe, ainsi que je le déclarerai plus à pleines règles.

Je crois fermement que ma soeur Barbe Marie m'aime singulièrement, et n'a pas tort, ni aussi madame de Gramieux 1310 , qui m'est à la vérité précieuse.

7. J'ai envoyé à ma soeur Françoise-Marguerite pour faire arrêter les mille ducatons à Dole. On me tourmente fort ici à l'occasion de votre passage à Lyon, d'autant, dit-on, qu'il vous pourrait causer du mal ; à quoi je vous supplie de prendre soigneusement garde : car pensez si rien m'est si cher après la sainteté de notre âme, que la santé de ma mère. Je pense que j'ai tout dit quant aux affaires.

8. Faites-vous hardiment communiquer les lettres que j'ai écrites à ma soeur Barbe Marie ; car il y en a, à mon avis, qui sont bien bonnes. Puisque vous voulez tout avoir, j'en ai écrit une bonne une fois à monsieur de Vissilieu; et si j'ai le loisir, j'en écrirai une autre à madame de la Baume, et vous l'enverrai en cachet-volant ; mais il la faudra bien cacheter : car je ne sais pourquoi, mais il est vrai que les avis secrets frappent mieux le coeur, jusqu'à ce qu'on soit fort avancé au renoncement de son propre amour. Je salue d'un coeur incomparablement paternel toutes nos chères filles, que j'aime tous les jours plus, m'étant avis que je dois cela à l'affection qu'elles ont de servir Dieu. En somme, je me repose en vous comme en moi-même pour bien faire mes honneurs et mon amour envers les bénites âmes qui m'aiment pour l'amour de notre Seigneur. Il faut remettre les lettres que j'écrirai à madame de la Baume et à monsieur de Pizançon et à madame Odoyer, à monsieur Durme 1452 , afin qu'il les rende, car il le désire.

Madame la conseillère Le Maître me prie de la vous recommander; et sans doute elle a besoin qu'on assiste son âme, pleine de bonne volonté, mais un peu sujette aux abattements de courage et de mélancolie ; c'est pourquoi il la faut encourager, et un peu prendre par la main. Vivez toute en la vie et en la mort de celui qui vit pour nous faire mourir à nous-mêmes, et est mort pour nous faire vivre à lui-même. Ainsi soit-il, ma très-chère et très-unique mère. Amen.

Je ne vous dis rien de M. Bouqueron et de ses filles 1395 ; car vous savez assez de quel coeur je suis pour elles et pour mesdames de Saint-André. Or sus; vive Jésus. Amen. Cachetez bien ces lettres après que vous les aurez vues, et vous les remettrez au bon monsieur Durme, auquel j'écris qu'il les donne. J'abonde un peu en dilection, et ces paroles d'icelle en ces commencements, vous savez que c'est selon la vérité et la variété de ce vrai amour que j'ai aux âmes ; mais tenez-moi bien es bonnes grâces de celle qui veut être plus de mon soin.

Je ne vous envoie pas le contrat, d'autant que je n'ai pu le faire copier'; et si, il me semble qu'il n'est pas trop bien fait ; mais je vous en écrirai plus amplement. Dieu soit béni éternellement dans le coeur de ma chère mère, comme dans le mien propre. Aimez bien madame de Granicr; car quant à madame B. Marie, il y a si longtemps qu'il ne le faut plus dire.

J'ai reçu la lettre que vous m'écrivez du 22 de ce mois, allant donner la dernière bénédiction à madame la procureuse fiscale, qui a perdu tout sentiment.

Faites bien sécher les cachets volants, afin qu'on ne s'aperçoive que les lettres aient été vues.

(1) Pour la fondation d'un monastère de Sainte-Marie.
(2) Celse-Benigne de Chantal, fils de la bienheureuse mère de Cbantal.
(5) De Chastel.



LETTRE CCCLXXIV.

S. FRANÇOIS DE SALES, AU RÉVÉREND PÈRE DOM PLACIDE, BÉNÉDICTIN.

Son estime pour une religieuse : belles instructions qu'il en tire : son humilité. Exhortation à aimer la croix. Il solennise tous les ans l'anniversaire du jour qu'il reçut les ordres moindres et le sous-diaconat (1).


Annecy, 12 juin 1618.

Mon très-cher père, je vous puis assurer que notre chère soeur Françoise-Gabrielle Bailly, votre soeur, m'est aussi chère que si c'était la mienne propre, sa piété m'y ayant convié, et loue Dieu de ce qu'elle reçoit et donne beaucoup de consolation en la congrégation de nos chères soeurs. Notre mère d'ici l'aime parfaitement, et nous voyons que c'est un vase bien poli, vide, ouvert pour recevoir de grandes grâces célestes ; car c'est une âme droite, un esprit vide et dénué de toutes les choses de ce monde, et qui n'a pensée ni dessein que pour son Dieu. O qu'elle est heureuse en cet état! Car peu importe le temps passager à une âme qui aspire à l'éternité, et qui ne regarde les moments périssables que pour aller en la vie immortelle. Ah ! mon cher père, mon frère, vivons ainsi en ce petit pèlerinage joyeusement selon le gré de nos hôtes, en tout ce qui n'est point péché. Je sais que votre âme est de celles desquelles les yeux vont défaillants, à force de regarder le sacré objet de leur amour, et disant : Quand me consolerez-vous ? (Ps 119,81-82)

Vous me demandez quelque instruction pour commencer une bonne vie religieuse. Ah! vrai Dieu, mon cher père, moi qui ne fus jamais seulement bon clerc, m'appartient-il d'instruire les saints religieux? Portez doucement et amoureusement votre croix, laquelle, à ce que j'entends, est assez grande pour vous combler de ses bénédictions, si vous l'aimez.

Quelque petite occupation m'empêche de répondre à souhait à la douce lettre que vous m'avez écrite. Seulement je vous dis que c'est aujourd'hui le jour que je fus consacré à Dieu pour le service des âmes : je solennise tous les ans ce jour avec le plus d'affection que je peux, me consacrant de nouveau à mon Dieu. Enflammez mon sacrifice de l'ardeur de votre, charité, et croyez que je suis votre, etc.



(1) Le 12 juin, aux quatre-temps de la Pentecôte, en 1593.



LETTRE CCCLXXV, AU CHANOINE JEAN FRANçOIS D'ULME.

1452
Le Saint lui fait part de la commission qu'il a du saint Père pour ériger la congrégation de la Visitation de Sainte-Marie en corps de religion : contradictions et traverses qu'il a eues à essuyer.

Annecy, 18 ou 19 juillet 1618.

Monsieur,

1. je ne m'étonne point de l'empressement que ces bons personnages ont à détourner les âmes que Dieu appelle à la Visitation ; car encore me semble-t-il que cette bien-aimée petite congrégation est quitte à bon marché des persécutions et contradictions que l'ennemi de son progrès lui suscite, et a coutume de susciter en pareille occasion : certes, je crois pourtant qu'il n'en peut plus ; car, comme un plaideur qui a mauvaise cause, il ne sait plus que faire, sinon caler et prendre des délais.

J'ai reçu de Rome commission d'ériger cette congrégation en titre de religion, avec tous les privilèges, prééminences, immunités et grâces qu'ont toutes les autres religions, et ce sous la règle de S. Augustin. Dites à cette bonne âme qu'elle entre assurément à Sainte-Marie : bien qu'elle ne soit pas encore religion, elle le sera bientôt; et j'oserais dire que devant Dieu elle l'a été, puisque, par.sa grâce, l'on y a toujours vécu religieusement. Certes, assez entrent sur la mer, qui entrent dans un vaisseau qui est à l'embouchure du Rhône, prêt à cingler et à faire voile.

Notre mère ira cet hiver faire une maison à Paris, comme je prévois, avec tant de bonheur, d'avantage, de protection et d'assistance, qu'après cela je m'assure que tout demeurera calme et en paix.

2. J'estime nos soeurs de votre ville trop heureuses de jouir, comme elles font, des effets de votre charité, soin et affection. O quelle suavité à mon chétif coeur paternel de savoir que mon frère paternel, très-aimable, est tout charitable, mais cordial à mes filles bien-aimées ! Je vous en fais mille très-humbles actions de grâces, monsieur mon très-cher frère, et vous proteste que recevant votre lettre, il me semblait cueillir des fleurs de suavité incomparable sur le coupeau de nos montagnes où j'étais alors : c'était en l'octave de notre grand S. Jean, où me souvenant que l'évangéliste de notre princesse dit de lui : et vinum et siceram non bibet (
Lc 1,15), j'admirai la douceur de Dieu de m'abreuver, moi chétif homme, du vin de la charité, que le Saint-Esprit a répandu en nos coeurs (Rm 5,5). Vivons ainsi, mon très-cher frère ; et croyez que tant qne je vivrai, je porterai la qualité de votre, etc.



LETTRE CCCLXXVI, AU GOUVERNEUR DE LA VILLE DE GEX, LE DUC ROGER DE BELLEGARDE.

1450
(Tirée du monast.de la Visitât, de la ville de Caen.)

le Saint le félicite sur le rétablissement de sa santé : il lui recommande de la bien conserver et d'en faire un saint usage ; ensuite il recommande à sa charité un nouveau converti de Ges, que les mauvais traitements des hérétiques avaient obligé de s'exiler volontairement.


Annecy, 9 juillet 1618.

Monsieur mon très-cher fils,

1. je ne vous saurais dire de combien d'afflictions mon coeur a été tourmenté parmi les incertitudes de votre santé. Que de divers avis j'ai reçus il y a environ deux mois! Mais Dieu soit loué, qu'après avoir pleuré et amèrement regretté sur votre trépas qu'on m'avait annoncé, je bénis sa divine Majesté et la supplie avec une incomparable consolation pour votre vie, que, certes, vous devez meshui Chérir, monsieur mon très-cher fils, puisque vous voyez combien elle est désirée, comme très-utile, par tant de gens de bien. Car on m'écrit de Gex que parmi tout votre gouvernement on a fait des actions de grâces publiques à la divine bonté pour votre guérison ; et en ce pays même de deçà, si on ne les a faites publiques, on les a faites générales, et moi je les ai faites très-particulières, comme ayant reçu en votre conservation un des plus singuliers bienfaits que j'aie reçus il y a longtemps.

2. Aimez-la donc votre chère vie, monsieur mon très-cher fils, et faites ensuite deux choses pour son bien : l'une sera de la conserver soigneusement par les moyens convenables, étayant et appuyant l'infirmité d'icelle, et le penchant que l’agc et les maladies lui ont causé, par le repos et règlement propre à cela.

L'autre et là première sera que, si jusqu'à présent vous avez eu intention de dédier tous les moments de votre vie présente à l'immortalité et éternité de la -future, vous en redoubliez la résolution et les voeux, comptant les jours et les heures, et les employant affectionnément à votre avancement en l'amour divin, à l'amplification de la piété parmi les mondains, et en somme, à l'exécution des saintes vertus que la grâce de Dieu et votre bon naturel vous ont fait aimer et désirer il y a longtemps. Pour moi, je ne cesse point,- certes, de prier à ce dessein, que par un assure pressentiment je vois déjà, ce me semble, tout exécuté, avec un surcroît de contentement indicible de savoir combien monsieur votre frère fraternise heureusement pour ce regard
1159 .

3. Au demeurant, monsieur mon fils, le jeune Bursal 1421 de Gex, s'étant converti à la foi catholique par la bonté de Dieu, a tant reçu de mauvais et indignes traitements en sa patrie par ses bourgeois et même par ses proches, qu'il a été contraint de se retirer à Paris, où il a pensé de pouvoir trouver quelque condition de service pour s'entretenir ; et nos ecclésiastiques de Gex m'assurent qu'il est fort bon enfant : ce qui me fait vous supplier très-humblement, monsieur mon fils, d'avoir quelque soin de lui; afin que l'on voie que ceux qui abandonnent cette fausse religion pour embrasser celle du roi et du royaume, qui.est la seule vraie religion, ne sont pas abandonnés de ceux qui tiennent les meilleurs rangs au service du roi et de la couronne. Vivez longuement, heureusement et saintement ; c'est le souhait personnel, monsieur mon fils, de votre très-humble, etc.




LETTRE CCCLXXVII.

S. FRANÇOIS DE SALES, AU SUPÉRIEUR D'UNE COMMUNAUTÉ.

Il lui écrit en faveur d'un religieux qui avait été chassé de son ordre, et qui, paraissant être dans les sentiments d'une véritable pénitence, désirait d'y rentrer.

Annecy, 13 juillet 1G18.

Mon révérend père, le frère N. vint à moi au plus fort de son affection,: et puis dire qu'il était plus mort que vif, tant sa désolation était extrême. Et je me ressouvins de celui qui lignum fumigans non extinguit, et quod confractum est non con-terit. Il me présenta ses patentes de démission, éjection, expulsion de l'ordre, et par ses larmes impétra aisément de moi le séjour de quelques semaines en ce diocèse : pendant lesquelles je fus à Lyon pour visiter monseigneur l'archevêque, chez lequel mon révérend père V. me parla ; et pour dire ma pensée, il me parla selon mon coeur: car il me recommanda ce pauvre homme prêtre, et lié par les voeux de religion, afin qu'il fût aucunement consolé. Depuis je fis encore plus volontiers ce que je voulais faire en charité autour de cette âme.

Mais, mon révérend père, c'a toujours été avec cette réserve, qu'elle respecterait et honorerait en toute occurrence votre ordre, et se comporterait humblement envers tous ceux qui en sont ; et sur votre avertissement, je tiendrai encore plus fortement la main sur lui pour cela, tandis qu'il demeurera dans mon diocèse, ne désirant rien que de donner satisfaction aux religieux, et particulièrement a ceux de votre condition.

Mais, mon révérend père, vous me proposez le retour de cette brebis en votre parc ; je crois qu'il ne désirerait pas mieux, et surtout s'il vous plaisait de l'assurer que vous favoriserez sa bonne intention de quelque doux conseil, et de quelque modération en la pénitence que peut-être vos constitutions ordonnent à ceux qui reviennent. Que si vous prenez le soin de me tenir averti de votre volonté pour ce regard, je coopérerai à cette bonne oeuvre de tout mon coeur ; duquel vous saluant bien humblement, et vous souhaitant toute sainte bénédiction, je demeure, mon révérend père, votre, etc.


LETTRE CCCLXXVIII, A MADAME LA PRÉSIDENTE DU FAURE.

1459
( Tirée du premier monastère de la Visitation de la ville de Grenoble.)

Témoignage de l'amitié sainte qu'il lui portait.

Annecy, 10 août 1G18.

Madame, ce porteur m'a fort obligé par la peine qu'il a prise de me venir voir, mais encore plus par le soin qu'il a eu de me dire de vos nouvelles, puisqu'elles sont toutes bonnes, et qu'avec cela, pour me donner plus de gloire et de contentement, il m'a dit que vous aviez souvent mémoire de moi. Car je confesse franchement que ce bonheur m'est grandement précieux, selon l'extrême affection que je sens en mon âme, à chérir et honorer singulièrement la vôtre, qui m'est toujours présente, je vous assure au moins en mes principales prières, qui sont celles de la sainte messe; et aussi, certes, serais-je extrêmement ingrat, si je ne répondais de tout mon coeur à la sainte confiance que le vôtre a prise en moi. Dieu par sa bonté vous veuille combler de ses plus désirables bénédictions, ma très-chère fille, et vous rende de plus en plus toute parfaitement sienne.

En cette espérance, vivez joyeuse, et enfin éternellement sans fin, ma très-chère fille, selon le souhait continuel de votre, etc.



LETTRE CCCLXXIX, A (UNE DEMOISELLE) MADAME DE GRANIEU.

1460
Dieu bénit l'obéissance que l'on rend à ses confesseurs en ce qui regarde la communion ; avis sur les revues, auxquelles l'amour divin adoucit toutes choses.

14 août 1618.

1. Vous le voyez bien, ma très-chère fille, si l'obéissance est aimable : vous y alliez avec un peu de répugnance, et vous y avez trouvé la permission de recueillir force manne céleste. Or, ainsi soit-il, et à la très-bonne heure que toujours, quand vous obéirez, vous vous trouviez de plus en plus unie à notre Sauveur. Vous avez donc extrêmement bien fait d'obéir à votre confesseur, et votre confesseur a bien fait de vous imposer l'obéissance en un sujet si agréable. Je ne serai jamais celui qui vous ôtera votre pain quotidien
Lc 11,3), tandis que vous serez bien obéissante. Je vous dirai, ma très-chère fille, que vous communiiez hardiment toujours, quand ceux à qui vous vous confessez diront oui, outre les communions ordinaires que je vous ai marquées.

2. Quand je vous écrivis que vous rendissiez compte de temps en temps à votre ancien confesseur (cf. 1453 ,3), je ne voulais pas dire que vous fissiez des revues; car il suffit que ce soit d'année en année à celui que vous voudrez : mais je voulais dire que vous allassiez vous représenter à lui, pour lui faire connaitre la continuation de votre soumission, partie pour vous humilier, partie pour le consoler.

3. Je suis bien aise que vous ayez une parfaite confiance à la mère de delà ; je crois qu'elle vous sera utile : et c'est une mère qui est toute ma très-chère fille, et en laquelle j'ai toute confiance: et sans cette confiance je lui écrirais plus souvent; mais je m'en dispense, comme je ferai de vous à qui j'écris maintenant par rencontre, et j'en suis bien aise.

Mon Dieu ! ma très-chère fille, que l'amour céleste est aimable, voire même quand il est exercé ici-bas, parmi les misères de notre mortalité ! la distance des lieux, ni rien-du monde ne lui peut ôter sa suavité. Aussi me semble-t-il que je suis toujours avec votre coeur, et avec celui de cette chère mère, et que nos coeurs s'entretiennent les uns aux autres, et ainsi ne font qu'un coeur, qui de toute sa force veut aimer Dieu, et ne l'aimer qu'en Dieu et pour Dieu.

La très-sainte Vierge, notre dame et maîtresse, et notre sainte abbesse soit à jamais notre mère et directrice. Et je cesse de vous écrire davantage malgré mon inclination, pour aller penser comme elle mourut d'amour, et comme elle est couronnée de son amour au ciel, pour en parler demain à mon cher peuple de cette ville, qui s'y attend. Dieu soit à jamais tout notre amour.




F. de Sales, Lettres 1431