F. de Sales, Lettres 260

LETTRE LXVII, A MADAME DE CHANTAI.

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Exhortation à la patience dans ses peines intérieures; en détourner sa vue pour ne regarder que Dieu. Ce qu'il faut faire quand on a oublié quelque péché dans une confession générale; ne faut rien précipiter dans le choix d'un état de vie, mais se bien consulter avec Dieu par l'entremise de son directeur.



Le 18 février 1603.

2. ... Je loue Dieu de la constance avec laquelle vous supportez vos tribulations. J'y vois néanmoins encore quelque peu d'inquiétude et d'empressement, qui empêche le dernier effet de votre patience. En votre patience, dit le fils de Dieu, vous posséderez vos âmes (
Lc 21,19).C'est donc l'effet de la patience de bien posséder son âme: et à mesure que la patience est parfaite, la possession de l'âme se rend plus entière et excellente. Or la patience est d'autant plus parfaite, qu'elle est moins mêlée d'inquiétude et d'empressement. Dieu donc vous veuille délivrer de ces deux dernières incommodités, et tôt après vous serez délivrée de l'autre main.

Bon courage, je vous supplie, ma chère soeur : vous n'avez souffert l'incommodité du chemin que trois ans, et vous voulez le repos ; mais ressouvenez-vous de deux choses : l'une, que les enfants d'Israël furent quarante ans parmi les déserts avant que d'arriver dans la terre du séjour qui leur était promis ; et néanmoins six semaines pouvaient suffire pour tout ce voyage, et à l'aise; et il ne fut pas loisible de s'enquérir pourquoi Dieu leur faisait prendre tant de détours, et les conduisait par des chemins si âpres, et tous ceux qui en murmurèrent moururent avant l'arrivée (Nb 14,36-37); l'autre, que Moïse, le plus grand ami de Dieu de toute la troupe, mourut sur les frontières de la terre de repos, la voyant de ses yeux, et ne pouvant en avoir la jouissance (Dt 34,4-5).

Plût à Dieu, que nous regardassions peu à la conduite du chemin que nous frayons, et que nous eussions les yeux fichés sur celui qui nous conduit, et sur le bienheureux pays auquel il nous mène! Que nous doit-il chaloir si c'est par les déserts ou par les champs que nous allons, pourvu que Dieu soit avec nous, et que nous allions en paradis? Croyez-moi, je vous prie, trompez le plus que vous pourrez votre mal ; et, si vous le sentez, au moins ne le regardez pas, car la vue vous en donnera plus d'appréhension que le sentiment ne vous en donnera de douleur. Aussi bande-t-on les yeux à ceux sur-lesquels on veut faire quelque grand coup par le fer. Il me semble que vous vous arrêtez un petit trop à la considération de votre, mal.

3. Et quant à ce que vous me dites, que c'est un grand travail de vouloir et ne pouvoir, je ne veux pas vous dire qu'il faut vouloir ce que l'on peut; mais je vous dis bien que c'est un grand pouvoir devant Dieu que de pouvoir vouloir. Passez outre, je vous supplie, et pensez à cette grande déréliction que souffrit notre maître au jardin des Olives ; et voyez que ce cher Fils ayant demandé consolation à son bon père (Lc 22,41-44), et connaissant qu'il ne voulait pas la lui donner, il n'y pense plus, il ne s'en empresse plus, il ne la cherche plus ; mais, comme s'il ne l’eût jamais prétendue, il exécute vaillamment et courageusement l'oeuvre de notre rédemption.

Après que vous aurez prié le Père qu'il vous console, s'il ne lui plaît pas de le faire, n'y pensez plus, et roidissez votre courage à faire l'oeuvre de votre salut sur la croix, comme si jamais vous n'en deviez descendre, et qu'onc plus vous ne dussiez voir il'air de votre vie clair et serein. Que voulez-vous ? il faut voir et parler à Dieu parmi les tonnerres et tourbillons du vent (Ex 19,16); il le faut voir dans le buisson et parmi le feu et les épines ; et pour ce faire, la vérité est qu'il est nécessaire de se déchausser, et faire une grande abnégation de nos volontés et affections (Ex 3,2-5). Mais la divine bonté ne vous a pas appelée au train auquel vous êtes, qu'il ne vous fortifie pas tout ceci. C'est à lui de parfaire sa besogne (cf. Ph 1,6). Il est vrai qu'il est un petit long, parce que la matière le requiert ; mais patience.

4. Bref, pour l'honneur de Dieu, acquiescez entièrement à sa volonté, et ne croyez nullement que vous le servissiez mieux autrement; car on ne le sert jamais bien, sinon quand on le sert comme il veut.

Or il veut que vous le serviez sans goût, sans sentiment, avec des répugnances et convulsions d'esprit. Ce service ne vous donne pas satisfaction, mais il le contente; il n'est pas à votre gré, mais il est au sien.

Imaginez-vous que vous ne dussiez jamais être délivrée de vos angoisses; qu'est-ce que vous feriez? Vous diriez à Dieu : Je suis votre; si mes misères vous sont agréables, accroissez-en le nombre et la durée. J'ai confiance en notre Seigneur que vous diriez cela et n'y penseriez plus ; au moins, vous ne vous empresseriez plus. Faites-en de même maintenant, et apprivoisez-vous avec votre travail, comme si vous deviez toujours vivre ensemble : vous verrez que quand vous ne penserez plus à votre délivrance, Dieu y pensera; et quand vous ne vous empresserez plus, Dieu accourra.

C'est assez pour ce point, jusqu'à ce que Dieu me donne la commodité de vous le déclarer à souhait, lorsque sur icelui nous établirons l'assurance de notre joie; ce sera quand Dieu nous fera revoir en présence.

5. Cette bonne âme (1), que vous et moi chérissons tant, me fait demander si elle pourra attendre la présence de son père spirituel pour s'accuser de quelque point duquel elle n'eut point souvenance en sa confession générale ; et, à ce que je vois, elle le désirerait fort. Mais dites-lui, je vous supplie, que cela ne se peut en aucune façon : je trahirais son âme si je lui permettais cet abus. Il faut qu'à la fine première confession qu'elle fera, tout au commencement, elle s'accuse de ce péché oublié (j'en dis de même s'il y en a plusieurs) purement et simplement, sans répéter en aucune autre chose de sa confession générale, laquelle fut fort bonne ; et partant, nonobstant les choses oubliées, cette âme ne se doit nullement troubler.

(1) Madame la présidente Brûlart, selon toutes les apparences.


Et ôtez-lui la mauvaise appréhension qui la peut mettre en peine pour ce regard ; car la vérité est que le premier et principal point de la simplicité chrétienne gît en cette franchise d'accuser ses péchés, quand il est besoin, purement et nûment, sans appréhender l'oreille du confesseur, laquelle n'est apprêtée que pour ouïr des péchés, et non des vertus, et des péchés de toutes sortes. Que donc hardiment et courageusement elle se décharge pour ce regard, avec une grande humilité et mépris de soi même, sans avoir crainte de faire voir sa misère à celui par l'entremise duquel Dieu la veut guérir.

Mais si son confesseur ordinaire lui donne trop de honte ou d'appréhension, elle pourra bien aller ailleurs ; mais je voudrai en cela toute simplicité, et je crois que tout ce qu'elle a à dire est fort peu de choses en effet, el l'appréhension le fait paraître étrange.

Mais dites-lui tout ceci avec une grande charité, et l'assurez que si en cet endroit je pouvais condescendre à son inclination, je le ferais très-volontiers, selon le service que j'en ai voué à la très-sainte liberté chrétienne.

Que si, après cela, à la première rencontre qu'elle fera de son père spirituel, elle pense retirer quelque consolation et profit de lui manifester la même faute, elle le pourra faire, bien qu'il ne sera pas nécessaire ; et, à ce que j'ai appris de sa dernière lettre, elle le, désire ; et j'espère même qu'il lui sera utile de faire une confession générale de nouveau avec une grande préparation, laquelle néanmoins elle ne doit commencer qu'un peu avant son départ, de peur de s'embarrasser.

Dites-lui encore, je vous supplie, que j'ai vu le désir qu'elle commence de prendre de se voir un jour en lieu où elle puisse servir Dieu de corps et de voix. Arrêtez-la à ce commencement ; faites-lui savoir que ce désir est de si grande conséquence, qu'elle ne doit, ni le répéter, ni permettre qu'il croisse, qu'après qu'elle en aura pleinement communiqué avec son père spirituel, et qu'ensemble ils en auront ouï ce que Dieu en dira. Je crains qu'elle ne s'engage plus avant, et que par après il ne soit malaisé de la réduire à l'indifférence avec laquelle, il faut ouïr les conseils de Dieu. Je veux bien qu'elle le nourrisse, mais non pas qu'il croisse : car, croyez-moi, il sera toujours meilleur d'ouïr notre Seigneur avec indifférence et en esprit de liberté, ce qui ne se pourra faire si ce désir grossit; car il assujettira toutes les facultés intérieures, et tyrannisera la raison sur le choix.

Je vous donne bien de la peine, vous rendant messagère de ces réponses; mais puisque, vous avez bien pris le soin de me proposer les demandes de sa part, votre charité le prendra bien encore pour lui faire entendre mon opinion.

Ferme, je vous supplie que rien ne vous ébranle. Il est encore nuit, mais le jour s'approche (Rm 13,12); non, il ne tardera pas. Mais cependant pratiquons le dire de David : élevez vos mains du côté du lieu saint pendant la nuit, et bénissez le Seigneur (Ps 133,2-8). Bénissons-le de tout notre coeur, et le prions qu'il soit notre guide, notre barque et notre port.

6. Je ne veux pas répondre à votre dernière lettre par le menu, sinon en certains points qui me semblent plus pressants.

Vous ne pouvez croire, ma très-chère fille, que les tentations contre la foi et l'Église viennent de Dieu : mais qui vous a jamais enseigné que Dieu en fût auteur? Bien des ténèbres, bien des impuissances, bien du liement à la perche, bien de la déréliction et destitution de vigueur, bien du dévoiement de l'estomac spirituel, bien de l'amertume de la bouche intérieure, laquelle rend amer le plus doux vin du monde ".tmais de suggestions de blasphème, d'infidélité, de mécréance, ah! non, elles ne peuvent sortir de notre bon Dieu : son sein est trop pur pour concevoir tels objets.

Savez-vous comment Dieu fait en cela ? Il permet que le malin forgeron de semblables besognes nous les vienne présenter à vendre, afin que, par le mépris que nous en ferons, nous puissions témoigner notre affection aux choses divines. Et pour cela, ma chère soeur, ma très-chère fille, faut-il s'inquiéter, faut-il changer de posture ? O Dieu ! nenni. C'est le diable qui va partout autour de notre esprit (cf. 1P 5,8), furetant et brouillant, pour voir s'il pourrait trouver quelque porte ouverte. Il faisait comme cela avec Job, avec S. Antoine, avec Ste Catherine de Sienne, et avec une infinité de bonnes âmes que je connais, et avec la mienne, qui ne vaut rien et que je ne connais pas. Et quoi ! pour tout cela, ma bonne fille, faut-il se fâcher? Laissez-le se morfondre, et tenez toutes les avenues bien fermées : il se lassera enfin, ou, s'il ne se lasse, Dieu lui fera lever le siège.

Souvenez-vous de ce que je pense vous avoir dit une autre fois. C'est bon signe qu'il fasse tant de bruit et de tempêtes autour de la volonté ; c'est signe qu'il n'est pas dedans. Et courage, ma chère âme ; je dis ce mot avec grand sentiment et en Jésus-Christ : ma chère âme, courage, dis-je. Pendant que nous pouvons dire avec résolution, quoique sans sentiment, Vive Jésus, il ne faut point craindre.

Et ne me dites pas qu'il vous semble que vous le dites avec lâcheté, sans force ni courage, mais comme par une violence que vous vous faites. O Dieu ! mais donc la voilà, la sainte violence qui ravit les cieux (cf. Mt 11,12). Voyez-vous, ma fille, c'est signe que tout est pris, que l'ennemi a tout gagné en notre forteresse, hormis le donjon impénétrable, indomptable, et qui ne peut se perdre que par soi-même. C'est enfin cette volonté libre, laquelle, toute nue devant Dieu, réside en la suprême et plus spirituelle partie de l'âme, ne dépend d'autre que de son Dieu et de soi-même ; et quand toutes les autres facultés de l'âme sont perdues et assujetties à l'ennemi, elle seule demeure maîtresse de soi-même pour ne consentir point.

Or, voyez-vous les âmes affligées parce que l'ennemi, occupant toutes les autres facultés, fait là-dedans son tintamarre et fracas extrême ? A peine peut-on ouïr ce qui se dit et fait en cette volonté supérieure, laquelle a bien la voix plus nette et plus vive que la volonté inférieure ; mais celle-ci l'a si âpre et si grosse qu'elle étouffe la clarté de l'autre.

Enfin notez ceci: pendant que la tentation vous déplaira, il n'y a rien à craindre; car pourquoi vous déplaît-elle, sinon parce que vous ne la voulez pas?

7. Au demeurant, ces tentations si importunes viennent de la malice du diable ; mais la peine et souffrance que nous ressentons viennent de la miséricorde de Dieu, qui, contre la volonté de son ennemi, tire de la malice d'icelui la sainte tribulation, par laquelle il affine l'or qu'il veut mettre dans ses trésors (cf. Sg 3,5-6). Je dis donc ainsi : vos tentations sont du diable et de l'enfer, mais vos peines et afflictions sont de Dieu et du paradis ; les mères sont de Babylone, mais les filles sont de Jérusalem. Méprisez les tentations, embrassez les tribulations. Je vous dirai un jour, quand j'aurai bien du loisir, quel mal causent ces obstructions de l'esprit : cela ne se peut écrire en peu de paroles.

Ne craignez nullement, je vous supplie, de me donner aucune peine ; car je proteste que c'est une extrême consolation d'être pressé de vous rendre quelque service. Écrivez-moi donc, et souvent, et sans ordre, et le plus naïvement que vous pourrez : j'en aurai toujours un extrême contentement.

Je m'en vais dans une heure en la petite bourgade où je dois prêcher, Dieu s'étant voulu servir de moi : et en souffrant, et en prêchant, il soit à jamais béni !

Il ne m'est rien encore arrivé de la tempête que je vous dis ; mais les nuées sont encore pleines, obscures et chargées dessus ma tête.

Vous ne sauriez trop avoir de confiance en moi, qui suis parfaitement et irrévocablement vôtre en Jésus-Christ, duquel mille et mille fois le jour je vous souhaite les plus chères grâces et bénédictions. Vivons et mourons en lui et pour lui. Amen.

Votre, etc.




LETTRE LXVIII, A MADAME DE CHANTAL.

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Les grandes croix sont plus méritoires, et demandent plus de force.


A La Roche, le 19 février 1605 (éd. d'Annecy: fin février).

Madame,

1. j'ai tant de suavité au désir que j'ai de votre bien spirituel, que tout ce que je fais sous ce mouvement ne me saurait nuire.

Vous me dites que vous portez toujours votre grande croix, mais qu'elle vous pèse moins parce que vous avez plus de force. O Sauveur du monde ! que voilà qui va bien ! Il faut porter sa croix (cf.
Lc 14,27): quiconque la portera plus grande se trouvera mieux. Dieu donc nous en veuille donner de plus grandes, mais qu'il lui plaise nous donner de grandes forces pour les porter ! Or sus donc, courage: si vous avez confiance, vous verrez la gloire de Dieu (Jn 11,40).

Je ne vous réponds pas maintenant, car je ne saurais ; je ne fais que passer légèrement sur vos lettres. Je ne vous enverrai rien à présent pour la réception du très-saint sacrement ; si je puis, ce sera à la première commodité.

2. Je vis un jour une image dévote : c'était un coeur sur lequel le petit Jésus était assis. O Dieu, dis-je, ainsi puissiez-vous vous asseoir sur le coeur de cette fille que vous m'avez donnée, et à laquelle vous m'avez donné ! Il me plaisait en cette image que Jésus était assis et se reposait, car cela me représentait une stabilité ; et me plaisait qu'il y était enfant, car c'est l'âge de parfaite simplicité et de douceur : et communiant au jour auquel je savais que vous en faisiez de même, je logeois par ce désir ce bénin hôte, en cette place, et chez vous et chez moi. Dieu soit en tout et partout béni, et veuille se saisir de nos coeurs es siècles des siècles ! Amen. Votre, etc.



LETTRE LXIX, A MADEMOISELLE DE VILLERS (2).

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(2) C'est apparemment la mère de MM. de Villers, auxquels S. François adresse une lettre au sujet de la mort de leur père.

 ( Tirée du monastère de la Visitation de S. Denis en France.)

Le Saint lui mande que madame de Boisy, sa mère, ne peut aller à Dijon pour y adorer l'hostie miraculeuse qu'on y conservait à la Sainte-Chapelle du roi ; et il lui marque le temps où elle peut faire le voyage de Saint-Claude, pour lui exposer l'état de son âme.



A La Roche, le 24 mars 1603.

1. Vous m'obligez infiniment d'employer, comme vous faites, toutes les occasions qui se présentent à vous pour m'écrire ; car j'ai toujours beaucoup de consolation à recevoir de vos nouvelles. J'admire que le paquet de lettres que j'ai envoyé avant ce carême-prenant au sieur de Maillen, pour vous rendre, soit encore en chemin, ne pouvant croire qu'il soit perdu: j'écrivis à presque tous mes amis.

Ma pauvre mère aurait bien du désir d'aller à l'adoration de la sainte hostie ; mais, sans mentir, je ne pense pas que ses affaires ni sa santé le lui permettent.

2. Je vous vois si ferme au dessein de venir à Saint-Claude, que je ne puis plus vous dire autre chose, sinon.que depuis le 24 d'avril (1) jusqu'au 5 de mai je serai empêché aux affaires du synode de ce diocèse : hors de là (2), depuis la Quasimodo jusqu'à la Pentecôte, je ne vois rien devant mes yeux qui me puisse détourner de la consolation que je prendrai au bien de votre présence, si vous prenez la peine de venir jusqu'à la maison de ma mère, où j'aurai plus de commodité de vous entretenir sur tout ce qu'il vous plaira. Mais puisque vous désirez me communiquer pleinement votre âme, il sera bien expédient de prendre un loisir convenable. Je ne saurais jamais vous oublier en ces faibles prières que je fais, étant par tant de -raisons, d'une affection filiale, mademoiselle, votre, etc.

P. S. Je supplie monsieur votre mari et messieurs vos enfants de m'aimer en qualité d'un homme qui est entièrement acquis à leur mérite. Le porteur, qui m'est connu de longue main, m'a dit de combien de charité vous usez en son endroit. Dieu en soit glorifié et béni !

(1) C'était le deuxième dimanche d'après Pâques, jour où s'ouvrait le synode, tous les ans, au diocèse du Saint. (2) Ce temps n'était que de dix jours, pendant lesquels devait durer le synode.




LETTRE LXX, A MADAME DE CHANTAL.

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(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Rouen.)

Il lui assigne un jour pour le venir trouver chez madame sa mère, et lui faire la revue de sa conscience. Il lui découvre aussi le dessein qu'a madame sa mère de mettre sa jeune soeur en pension au monastère du Puits-d'Orbe, la priant de faire secrètement des informations pour cela.

21 mai 1605.



Madame ma très-chère soeur,

1. voici une courte réponse à vos dernières lettres. Puisque vous êtes résolue de me revoir entre ci et Pentecôte, et que vous en espérez tant de fruit, venez au nom de Dieu, et pour une bonne fois. Le lieu que je vous marquerai, c'est chez ma mère, à Thorens, parce qu'en cette ville je ne saurais promettre un seul moment de mon temps. Le jour sera le samedi suivant l'Ascension, afin que je vous puisse donner les quatre ou cinq jours suivants francs et libres, avant que la fête de la Pentecôte arrive, en laquelle il faut nécessairement que je vienne ici à Annecy pour faire l'office et mon devoir. Je ne puis dire si nous aurons besoin de beaucoup de jours pour la revue de tout votre état intérieur: peu plus, peu moins en fera la raison:

S'il vous arrivait quelque incommodité pour laquelle il fallût différer votre venue, vous n'aurez pas pour cela besoin de m'avertir par homme exprès, mais seulement par la première commodité, puisque passé ce temps-là, je serai à la visité, et ne m'arrêterai nulle part jusqu'à Notre-Dame de septembre; que je serai ici quinze jours seulement, si que entre cela vous auriez assez de loisir de m'avertir. Je dis cela en casque le sujet même de la retardation de votre voyage ne méritât pas de soi-même de m'en avertir; mais pour cela faites comme vous jugerez, pour m'avertir ou pour ne point m'avertir.

2. Préparez bien tout ce qui sera requis pour rendre ce voyage fructueux, et tel que cette entrevue puisse suffire pour plusieurs années. Recommandez-le à notre Seigneur ; fouillez tous les replis et voyez tous les ressorts de votre âme', et considérez tout ce qui aura besoin d'être ou rhabillé ou remis. De mon côté je présenterai à Dieu plusieurs sacrifices; pour obtenir de sa bonté la lumière et la grâce nécessaires pour vous servir en cette; occasion. Je disois bien que vous préparassiez une grande, mais je dis très-grande et absolue confiance eh la miséricorde de Dieu premièrement, puis en mon affection ; mais je sais que de ce côté-là la provision en est toute faite.

3. S'il vous semble qu'à mesure que votre souvenance et considération vous suggéreront quelque chose, il vous fût utile de le marquer avec la plume, je l'approuverais fort. Le plus que vous pourrez apporter d'abnégation ou d'indifférence de votre propre volonté, c'est-à-dire, de désirs et résolutions de bien obéir aux inspirations et instructions que Dieu vous donnera, quelles qu'elles soient, ce sera le mieux ; car notre Seigneur agit es âmes qui sont purement siennes, et non préoccupées d'affections et de propres volontés'. Mais surtout gardez-vous de vous inquiéter en cette préparation; faites-la doucement et en liberté d'esprit. En ce qui regarde les ennuis des tentations de la foi, ne-vous y amusez pas'; mais attendez que vous soyez ici, car ce sera assez tôt: Ne partez point sans le congé de votre confesseur ; je veux croire que vous lui en avez communiqué vos délibérations avant que d'en résoudre.

4. Au demeurant, il faut que je vous supplie de me faire un bien. Ma mère désire infiniment d'envoyer ma jeune soeur au Puits-d'Orbe, afin de la dépayser, et de lui faire prendre le goût de la dévotion; mais elle ne voudrait nullement que madame l'abbesse, ni sa maison, en reçût aucune incommodité que celle du soin de ses moeurs. C'est pourquoi je désire qu'il vous plaise de m'apporter assurance de tout ce qui sera requis de faire à cette intention, sans que madame l'abbesse le sache, afin que tout aille comme il faut, et que ma soeur ait ce bien de....'(1).

Voilà de la peine que je vous donne, mais c'est encore pour un office de charité. Il me reste seulement à prier- notre Seigneur qu'il soit votre guide et conducteur en ce voyage et en tout le reste de vos actions : je l'en supplie de tout mou coeur, et vous, ma chère soeur, de venir joyeuse en lui', qui est votre joie et consolation. Si vous saviez comme je vous écris, vous excuseriez bien l'indigestion de mes paroles et de mon style ; mais c'est tout un, je Vous écris sans entendement, mais je ne vous écris pas sans un coeur plein d'extraordinaire désir de votre bien: et prenez courage, ma soeur; Dieu vous sera bon et propice. Je suis votre serviteur très-dédié en son nom. Amen.

5. De Saint-Claude votre chemin s'adresse droit à Gex, où je vous ferai trouver un homme qui vous accompagnera jusque chez ma mère. Vous viendrez de Gex à Genève, où, si vous ne voulez pas, vous n'arrêterez point ; et, si vous voulez, vous pourrez arrêter; car il n'y a pas de danger; et de là vous viendrez à Thorens. De Saint-Claude à Gex il n'y a que six lieues, et de Gex à Thorens sept. L'homme qui vous ira au rencontre vous conduira. Je vous attendrai plutôt la veille de l'Ascension (2) que le samedi suivant (3).

Je vous invitais à la veille de l'Ascension ; mais, comme je fermais la lettre, des pères chartreux me sont venus conjurer d'aller en un monastère voisin consacrer des filles: si que le jour auquel je vous attendrai sera le samedi suivant. Dieu vous aide!

(1) Il y a ici une ligne et demie effacée.
(2) 18 mai.
(3) 21 mai, l'Ascension étant le 19 mai cette année 1605, où cette lettre fut écrite.



LETTRE LXXI, A MADAME DE CHANTAL.

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Envoi d'une image où était représenté le petit Jésus avec Notre-Dame et sainte Anne. Réflexion sur cette image

Le 29 mai 1605.

Voilà, ma fille, l'image que je vous envoie : elle représente votre sainte abbesse pendant qu'elle était encore au monastère des mariées, et sa bonne mère qui était venue du couvent des veuves pour la visiter. Voyez la fille, comme elle se tient les yeux baissés ; c'est parce qu'elle ne peut regarder ceux de l'enfant: la mère au contraire les élève, parce qu'elle regarde son poupon. Les vierges ne lèvent les yeux que pour voir ceux de leur époux, et les veuves les baissent, si ce n'est pour avoir le même honneur. Votre abbesse est glorieusement ornée d'une couronne sur la tête, mais regarde en bas sur-certaines petites fleurs éparses sur le marchepied de son siège.

La bonne mère-grand a près de soi à terre un panier plein de fruits. Je pense que ce sont les actions de sainteté, des vertus humbles et basses qu'elle veut donnera son mignon, tout aussitôt qu'elle l'aura entre ses bras. Au demeurant, vous voyez que le doux-Jésus se penche et se retourne du côté de sa mère-grand, toute veuve qu'elle est, mal coiffée, et simplement vêtue. Il tient un monde en ses mains, lequel il détourne doucement à gauche, parce qu'il sait bien qu'il n'est pas propre aux veuves ; mais de l'autre il lui présente sa sainte bénédiction.

Tenez-vous auprès de cette-veuve, et comme elle ayez votre petit- panier. Tendez les yeux et les bras à l'enfant; sa mère votre abbesse vous le donnera à votre tour ; et lui très-volontiers s'inclinera à vous, et vous bénira glorieusement. Hé. "que je le désire, ma Allé! Ce souhait est répandu -tout partout en mon âme, où il résidera éternellement. Vivez-joyeuse-en Dieu, et saluez très-humblement en mon nom madame votre abbesse et votre chère maîtresse.- Le doux Jésus soit assis sur votre coeur et sur le mien ensemblement! qu'il y règne et vive à jamais ! Amen.



LETTRE LXXII, A MADAME DE CHANTAL.

Ne jamais oublier le jour où l'on est revenu à Dieu, et en célébrer l'anniversaire par des exercices de piété extraordinaires:

10 juillet 1605. (Annecy, début juin 1605)

1. J'ai oublié de vous dire, ma chère fille, que si les oraisons de S. Jean et de S. François, et les autres que vous dites, vous donnent plus de goût en français, je suis bien content que vous les récitiez comme cela. Demeurez en paix, ma fille, avec votre époux bien serré entre vos bras.

Oh ! que mon âme est satisfaite de l'exercice de pénitence que nous avons fait ces jours passés, jours heureux, et acceptables (Cf. 2Co 6,2), et mémorables !

Job désire que le jour de sa naissance périsse (Jb 3,3), et que jamais il n'en soit mémoire ; mais moi, ma fille, je souhaite, au contraire, que ces jours èsquels Dieu vous a faite toute sienne vivent à jamais en votre esprit, et que la souvenance en soit perpétuelle. Oui-dà, ma fille, ce sont des jours desquels le souvenir vous sera éternellement agréable et doux sans doute, pourvu que nos résolutions, prises avec tant de force et de courage, demeurent bien closes et à couvert sous le précieux sceau que j'y ai mis de ma main...

Je veux, ma fille, que nous célébrions toutes les années les jours anniversaires de-ceux-là, par l'addition de quelques particuliers exercices à ceux qui nous sont ordinaires. Je veux que nous les-appelions jours de notre dédicace, puisqu'en ceux-ci vous avez si entièrement dédié votre esprit à Dieu. Que rien ne vous trouble ci-après, ma fille; dites, avec S. Paul : Au demeurant, que nul ne se fâche; car je suis stigmatisé des plaies de mon maître (Ga 6,17) c'est-à-dire, je suis la servante vouée, dédiée, sacrifiée.

Gardez bien la clôture de votre monastère, ne laissez point sortir vos desseins çà et là; car cela n'est qu'une distraction de coeur: Observez-bien la règle, et croyez, mais croyez-le bien, que le fils de madame votre abbesse sera tout vôtre (5).

Nourrissez, tant qu'il vous sera possible, beaucoup d'union entre vous, madame du Puits-d'Orbe, et madame Brulart ; car il me semble que cela leur sera profitable!

2. Vous connaîtrez assez, à voir que je vous écris à tout propos, que je vous vois souvent en esprit, et il est vrai. Non, il ne sera jamais possible que chose aucune me sépare de votre esprit : le lien est trop fort. La mort même n'aura pas de pouvoir pour le dissoudre, puisqu'il est d'une étoffe qui dure éternellement.

Je suis fort consolé, ma chère fille, de vous voir pleine du désir d'obéissance : c'est un désir d'un prix incomparable, et qui vous appuiera en tous vos ennuis. Hélas! nenni, ma très-aimée fille, ne regardez point à qui, mais pour qui vous obéissez. Votre voeu est adressé à Dieu, quoiqu'il regarde un homme. Mon Dieu ! ne craignez point que la providence de Dieu vous défaille ; non, s'il était besoin, elle enverrait plutôt un ange pour vous conduire que de vous laisser sans guide, puisqu'avec tant de courage et de résolution vous voulez obéir. Et donc, ma chère fille, reposez-vous en cette providence paternelle, résignez-vous de tout en icelle : et cependant, tant que je pourrai, je m'épargnerai pour vous tenir parole, afin que, moyennant la grâce céleste, je vous serve longuement; mais cette divine volonté soit toujours faite ! Amen.

Hier j'allois sur le lac en une petite barquette, pour visiter M. l'archevêque de Vienne; et j'étais bien aise de n'avoir point d'appui, qu'un ais de trois doigts, sur lequel je me puisse assurer, si non la sainte providence : et si j'étais encore bien aise d'être là sous l'obéissance du nocher, qui nous faisait asseoir et tenir fermes sans remuer, comme bon lui semblait ; et vraiment je ne remuai point. Mais, ma fille, ne prenez pas ces paroles pour des effets de grand prix. Non, ce ne sont que de petites imaginations de vertu, que mon coeur fait pour se récréer ; car quand c'est à bon escient, je ne suis pas si brave.

Je ne puis m'empêcher de vous écrire avec une grande nudité et simplicité d'esprit. A Dieu, ma très-chère fille, ce même Dieu que j'adore, et qui m'a rendu si uniquement et si intimement vôtre, qu'à jamais son nom soit béni, et celui de sa sainte Mère. Je me ressouvins encore hier de Ste Marthe, exposée dans une petite barque avec Magdeleine : Dieu leur servit de pilote pour les faire aborder en notre France. A Dieu derechef, ma chère fille : vivez toute joyeuse, toute constante en notre cher Jésus. Amen.

 (5) L'abbesse, c'est la sainte Vierge, et son fils, notre Seigneur.



LETTRE LXXIII, A SA SAINTETÉ LE PAPE PAUL V.

288
Ostendit quantis nominibus Paulo V, ad pontificatura recens erecto, gratulari teneatur. Dioecesim Gebennensem nobilium ejus curarum partem cupit non esse postremam.

Annecy, le 16 juillet 1605.

Beatissime pater,

In tantâ salutantium contentione qui, hoc pontificatus initio, ad pedes sanctitatis tuae venerabundi acciderunt, non debui, credo, meam ingerere tenuitatem, quoe etsi obedientiâ, fide ac pietate erga beatitudinem tuam nulli inferior est, meritis tainen adeô depressa jacet, ut vix in comparatione conspici ac notari potuisset.

Sed nunc, beatissime pater, cum majorum omnium ardor expletus deferbuit, non rectè faciam, si tacuero, et nolnero nuntiare quàm boni nuntii dies assumptionis tuae fuerit, et me totamque hanc dioecesim maximà perfuderit laetitià.

Debeo namque hoc gaudii testimonium cathedrae apostolicoe, cui de tanti pontificis sessione congratulor : debeo ettibi pontifici maxiino, qui tantam cathedram exornas : debeo urbis et orbis lidelibusuniversis, qui suavissimo virtutum tua-rum odore recreantur : debeo huic provincia;, quae, undique fluctibus ac jactationibus haereti-corum quassata propemodum ac contrita, pluri-mam spem experspectà tuâ providentià concepit..

Debeo et mihi, qui mirificam illam tuam beni-gnitatem jampridem sum expertus, dum tu, beatissime pater, in ultimo illo et ad pontificatum proximo cardinalatûs gradu tahtisperhaereres, et ego huic Ecclesios proepositus negotium de eccle-siis, haereticorum longissimâoccupatione dirutis, catholicorum usui restituendis, apud sanctam sedem tractarem, nuntiumque gratissimum de-fe'rrem de multis hominum millibus ad Christi caulas nuperrimô reductis ; ut me nunc propitium habiturum pontificem et patrem sperare par sit, quem tara beneficum jam indô nactus sum cardinalem.

Et sanè cor, humani corporis princeps, in affectas partes majore suorum vitalium spiritum fluxu beneficentiam suam derivare solet. Sol quoque eô abundantius ac pressius radios suos etiundit in hsec nostra inferiora, quô altius horizonti insidet ac dominatur.

Tu autem, beatissime pater, cor es et sol to-tius ministerii ecclesiastici : non dubium igitur quin, prater omnium Ecclesiarum sollicitudi-nem, singularem providendam huic dioecesi ins-taurandoe adhibeas, quae omnium maxime et pes-simè ab haereticis vexatur ; idque tantô uberius praestes, quô.altius nobis praees et immines.

Nam et Christus, episcoporum princeps, cujus tu vices sustihes in terris, ubi abundavit delictum, superabundare facit gratiam. Sic summum in te apostolicae dignitatis splendorem lactus et gradulabundus veneror, ac demisso in terram vultu, adpedum tuorum oscula prostratus, humillimè colo ; et si tuas sanctitatis solium ex inferio-rum vestimentis erigendum esset, sicut de prima sede Jchu docet Scriptura festinarem utique, et tollens vestes substernerem pedibus tuis,canerem tuba, atque dicerem : Regnet Paulus V! vivat pontifex maximus quem unxit Dominus super Israël Dei !


Félicitation sur son exaltation au saint-siége.


Très-saint Père,

1. Quoique je ne cède en rien à qui que ce soit dans l'obéissance, la fidélité et le respect qui sont dus à votre sainteté, cependant, pour ce qui regarde les mérites, ma personne a si peu de relief, qu'étant mise en parallèle avec les autres, elle s'évanouit et disparait. C'est ce qui fait que je n'ai pas cru pouvoir me mêler parmi la multitude de ces grands personnages qui, à l'entrée de votre pontificat, se sont empressés d'aller se jeter aux pieds de votre sainteté, pour lui rendre leurs devoirs.

Mais maintenant, très-saint père, que toute cette foule est passée, et que le zèle des grands, s'est satisfait, je pense que je ne puis me taire avec honneur, ni me dispenser raisonnablement de témoigner la joie dont la nouvelle de votre élection m'a comblé avec tout mon diocèse.

Je dois cette déférence au Saint-Siège apostolique en le congratulant du choix qu'il a fait d'un si grand pape, et à vous, très-saint père, qui illustrez la chaire de vos prédécesseurs. Je la dois aux fidèles, tant de la ville de Rome que de tout l'univers, qui sont embaumés de l'odeur de vos vertus ; je la dois en particulier à cette province, qui, battue de toutes parts, et presque brisée des flots et des orages excités par les hérétiques, a conçu de grandes espérances de votre sagesse et de votre charité.

Enfin, très-saint père, je dois me féliciter moi-même, ayant déjà éprouvé les effets merveilleux de votre bonté, lorsque vous n'étiez encore que cardinal, mais déjà si proche du souverain pontificat, et que je n'étais que prévôt de cette Église. Car vous m'aidâtes puissamment auprès du Saint-Père votre prédécesseur pour faire réussir ma négociation touchant la réédification des églises tombées en ruine et démolies par les hérétiques, et pour faire remettre les catholiques en possession de ces saints lieux si longtemps occupés par ces ennemis de la religion.

Ce fut alors que j'annonçai à sa sainteté l'heureuse nouvelle de la conversion de plusieurs milliers de personnes. Si j'eus le bonheur, très-saint père, de vous trouver si favorable dans un temps où je pouvais vous être plus indifférent, parce que vous n'étiez que cardinal, n'ai-je pas lieu d'attendre les meilleurs traitements de votre sainteté, depuis que vous êtes devenu le père commun des fidèles et le premier de tous les pontifes?

2. Le coeur, cette partie si noble du corps humain, a coutume de départir avec plus d'abondance ses esprits vitaux à celles qui lui sont les plus intimes ; et le soleil darde ses rayons avec plus de force, et répand sa lumière avec plus de profusion, à proportion qu'il s'élève et qu'il domine davantage sur notre horizon.

C'est ce que nous voyons arriver en vous, très-saint père ; vous êtes le coeur et le soleil de tout l'état ecclésiastique; c'est pourquoi nous ne pouvons douter qu'outre le soin que vous prenez de toutes les Églises en général, vous ne vous appliquiez particulièrement à affermir le bien qui a été commencé dans ce diocèse, qui est le plus, exposé de tous aux persécutions des hérétiques ; et qu'il ne se ressente d'autant plus de vos bienfaits, que vous êtes plus élevé au-dessus de nous. Car Jésus-Christ même, le prince des évêques (
1P 5,4), que vous représentez sur la terre, répand une surabondance de grâce où le péché avait abondé (Rm 5,20). C'est pour cela, très-saint père, que je révère avec tant de joie le souverain degré de la dignité apostolique dont votre sainteté est revêtue, et que, les yeux baissés vers la terre, je me prosterne humblement à ses pieds pour les baiser ; et s'il fallait vous ériger un trône des vêtements de vos inférieurs, comme l'Écriture nous l'apprend du premier trône de Jéhu (2R 9,13), je volerais sur-le-champ, j'étendrais mes habits sous vos pieds, je sonnerois de la trompette, et je crierois de toutes mes forces : Règne Paul cinquième ! vive le souverain pontife que le Seigneur a oint sur l'Israël de Dieu ! ayant l'honneur d'être avec le plus profond respect, etc.




F. de Sales, Lettres 260