F. de Sales, Lettres 712

LETTRE CCII, A MADAME DE CHANTAL, ALORS EN BOURGOGNE POUR LES AFFAIRES DE SON FILS.

712
Il l'exhorte à ne se point troubler de la multiplicité et de la difficulté de ses affaires, mais à expédier l'une après l'autre tout doucement.


Thonon, 10 septembre 1611.

1. Me voici à Thonon depuis trois jours, ma très-chère fille, où je vins fort heureusement, et sans ressentiment d'aucune lassitude. O Dieu! ma très-chère fille, je ne sais quel chemin j'ai fait, ou celui de Thonon, ou celui de Bourgogne; mais je sais bien que je suis plus en Bourgogne qu'ici. Oui, ma fille, puisqu'il plaît ainsi à la divine bonté, je suis inséparable de votre âme; et pour parler avec le Saint-Esprit, nous ri avons meshui plus qu'un coeur et qu'une âme (
Ac 4,32) : car ce qui est dit de tous les chrétiens de la naissante Église, se trouve, grâces à Dieu, maintenant entre nous. Or, demeurons donc bien ainsi en notre Seigneur, ma très-aimée (Ph 4,1).

Je suis toujours attendant des nouvelles du succès de votre voyage, que je me promets avoir été bon, mais non pas sans crainte pourtant, à cause de la faiblesse de votre santé, et l'excessive chaleur qui a régné quelques heures de ces jours passées; mais je veux croire que ces jours-là vous aurez séjourné, et aurez employé les matinées et les soirs, qu'il a toujours fait un peu de vent. Je prie Dieu qu'il vous conserve chèrement et saintement comme ma propre âme.

2. Hé ! je vous supplie, ma très-chère fille, tenez vous bien à Jésus-Christ et à Notre-Dame, et à votre bon ange, en toutes vos affaires, afin que la multiplicité d'icelles ne vous trouble point, et que leur difficulté ne vous étonne point. Faites l'un après l'autre au mieux que vous pourrez, et employez pour cela fidèlement votre esprit, mais doucement et suavement. Si Dieu vous en donne l'issue, nous l'en bénirons; s'il ne lui plaît pas, nous l'en bénirons aussi. Et il vous suffira que tout à la bonne foi vous vous soyez essayée de réussir, puisque notre Seigneur et la raison ne requièrent pas de nous les effets et événements, mais notre fidèle et franche application, emploi et diligence : car ceci dépend de nous, mais non pas le succès.

Dieu bénira votre bonne intention en ce voyage, et en l'entreprise que vous avez faite de mettre en ordre les affaires de cette maison-là pour votre fils, et vous récompensera, ou par une bonne issue, ou par une sainte humiliation et résignation. Mon coeur fera cependant mille millions de bons désirs pour le vôtre, comme pour soi-même, et ne cessera point d'implorer les prières de la très-sainte Vierge en ce lieu, qui est tout consacre à son honneur.

Je renvoie ce jourd'hui notre M. Michel auprès de nos filles, afin qu'elles ne demeurent pas toul-à-fait privées de quelqu'un en qui elles aient confiance. J'écris à notre soeur de Brechard une lettre pour toutes, afin de leur donner courage. Ma petite soeur se porte bien ; car la vôtre petite, ma cousine, me l'écrit par une fille de chambre qu'elle a «nvoyée ici. Ce sont toutes vos nouvelles, ma chère fille. De jour à autre je vous tiendrai avertie de ce que je ferai.

3. Monsieur de Blonay dépêchera sa fille pour votre retour. Je la vis le jour de Notre-Dame ; elle a toujours sa bonne mine et les marques de vertueuse fille. Ce jour-là je prêchai devant un grand peuple et force étrangers; et la glorieuse reine du ciel m'assista, pour dire quelque chose de bon à sa gloire. Je me dépêcherai au plus tôt en faveur de nos filles.

A Dieu, ma chère fille ; à Dieu soyons-nous à jamais! que son amour soit éternellement l'unité de notre coeur.

Je salue d'une affection extrême ma très-chère grande fille (1), à laquelle je recommande toujours la santé de notre douce mère, et lui porte bien envie, sans lui désirer la privation de ce qu'elle possède : elle vaquera cependant à rendre son coeur un peu fort et généreux contre la tendreté et délicatesse qui le tenait à tout propos sujet au dégoût. Vous savez, ma fille, que notre coeur aime d'amour celui de cette grande fille. Saluez-la donc amoureusement de ma part, comme je la prie de saluer de la mienne mon cher frère (2), auquel je recommande le service de sa mère, sa santé et sa consolation. M. de Boisy a été un peu étonné de la chaleur ; mais il se remet, Dieu merci.

Vive Jésus et Marie! Dieu vous bénisse, ma très-chère fille. Je suis en lui ce que lui seul sait.


(1) La mère Favre.
(2) M. le baron de Torens, qui avait accompagné madame de Chantal, et était son gendre.



LETTRE CCIII, A MADAME DE CHANTAL.

713
Même sujet que la précédente.

Thonon, 14 septembre 1611.

1. O Dieu! ma très-chère fille, si est-ce que je vous écris soigneusement à toutes les occasions. Or sus, béni soit Dieu, qui vous a fait arriver au lieu où les affaires qu'il vous avait laissées sur les bras vous ont appelée. Ma très-chère fille, appliquez le travail et tracas que vous y souffrirez à la gloire de la divine majesté, pour la gloire de laquelle vous les subissez ; traitez des affaires de la terre avec les yeux fichés au ciel. Je serai toujours présent à votre chère âme comme vous-même, et répandrai soigneusement la bénédiction des sacrifices divins sur votre peine, afin qu'elle vous soit douce et utile au saint amour, pour lequel mieux pratiquer vous êtes allée terminer les occasions de vos distractions. Ma chère fille, tout ce qui serait pour l'amour est amour ; le travail, oui même la mort n'est qu'amour, quand c'est pour l'amour que nous les recevons.

2. Or sus, parlons de nos affaires.

J'ai achevé ce bout de visite assez heureusement, et avec espérance de quelque fruit pour les âmes.

Je me porte extrêmement bien, à mon avis, et observe soigneusement vos ordonnances pour ma santé ; mais pour ma sainteté qui est ce que vous affectionnez le plus, je ne fais guère de choses, sinon mille continuels désirs et quelques prières particulières, afin qu'il plaise à notre Seigneur les rendre utiles et fructueux pour notre coeur ; et presque ordinairement je mè trouve plein d'une douce confiance que sa divine bonté nous exaucera : et puisqu'en vérité nous désirons, en vérité nous parviendrons; car ce grand ami de notre coeur ne le remplit, ce me semble, de désir que pour le combler d'amour, comme il ne charge les arbres de fleurs que pour les recharger de fruits.

Ah! Sauveur de notre âme, quand serons-nous autant ardents à vous aimer que nous le sommes à le désirer?

3. Il me tarde, ma très-chère fille, que ce coeur que Dieu vous a donné soit uniquement et inséparablement donné et lié a son Dieu par ce saint amour unissant qui est plus fort que la mort et que tout (
Ct 6,6).

Mon Dieu, ma très-chère fille, remplissons notre coeur de courage, et faisons désormais des merveilles pour son avancement en cet amour céleste; et remarquons que notre Seigneur ne vous donne jamais de violentes inspirations de la pureté et perfection de votre coeur qu'il ne me donne la même volonté, pour nous faire connaitre qu'il ne faut qu'une inspiration d'une même chose à un même coeur, et que, par l'unité de l'inspiration, nous sachions que cette souveraine Providence veut que nous soyons une même âme, pour la poursuite d'une même oeuvre, et pour la pureté de notre perfection.

4. Or sus, ma très-chère fille, ma mère, il faut finir. C'est aujourd'hui le jour de la sainte croix : ô Dieu ! qu'elle est belle et qu'elle est aimable ! On donne des batailles pour en avoir le bois, et on l'exalte sur le mont du Calvaire. Ma très-chère fille, hélas! que bienheureux sont ceux qui l'aiment et qui la portent! Elle sera plantée au ciel quand notre Seigneur viendra juger les vivants et les morts (cf. Mt 24,30), pour nous apprendre que le ciel est l'autel des crucifiés. Aimons donc bien les croix que nous rencontrons en notre chemin.

Dieu vous bénisse en l'amour de la sainte croix.




LETTRE CCIV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UN RELIGIEUX.

Il lui témoigne une grande amitié, et lui demande des nouvelles d'une personne nouvellement entrée en religion.

12 octobre 1611.

O mon très-cher père ! que mes yeux portent d'envie à ceux de N. et de ce garçon mon neveu, car ils vous verront : mais, je ne porte point d'envie au coeur de qui que ce soit; car jamais il n'y en aura qui vous aime et vous chérisse plus que le mien fait ; et si je ne craignais d'offenser celui de ma très-chère fille (dites-moi son nom moderne), je dirais absolument, ni tant que le mien fait et fera jamais.

Or sus, que fait-elle, cette chère fille ? M. N. et M. N. me firent un grand cas de quoi toute la cour de Madame, des sérénissimes princes et princesses, furent à sa réception au noviciat ; et moi je me réjouis en la créance que j'ai de quoi Notre-Dame, les anges et les saints du paradis y furent, et l'honorèrent de leur attention, et Dieu notre Seigneur de sa bénédiction.

Nous sommes à faire les formalités pour le prieuré. 0 mon Dieu ! que le monde est fâcheux en ces saintes occasions"

Mais dites-moi, je vous prie, mon très-cher père, puis je loisiblement oser vous supplier de faire très-humblement la révérence de ma part à nos sérénissimes dames infantes, ou du moins à la sérénissime princesse Catherine ?car, mon père, si cela est bonnement permise mon indignité, faites-le, je vous en prie de tout mon coeur, et dites-leur que je les révère grandement, à cause de leurs altesses, que je regarde avec toute extrême soumission ; mais que je les révère encore davantage, à raison de la profonde humilité qu'elles pratiquent en leur sérénissime altesse et grandeur. Au moins, mon révérend père, faites bien savoir à la sérénissime infante Catherine, que je lui souhaite les bénédictions des plus sérénissimes princesses qui furent jamais, et surtout la persévérance aux désirs fervents d'aimer de plus en plus Jésus-Christ crucifié, qui est la bénédiction des bénédictions.

O mon père ! on me presse, et il faut faire partir cet enfant, qui est vôtre, puisqu'il est mien, fils de mon frère, qui me le donna, mourant tout-à-fait comme un saint entre mes bras, comme l'autre mourut entre les vôtres.

Je suis vôtre, mon cher père, je dis tout vôtre, sans réserve.



LETTRE CCV, A M. DE SAINTE-CATHERINE (PHILIPPE DE QUOEX).

726
(Tirée du monastère de Sainte-Marie de la ville d'Ail.)

Il le prie de faire avertir mademoiselle de Blonay de se rendre à la Visitation.

28 novembre 1611.

Monsieur Partat est substitué pour aller à Aix. Je vous prie de faire tenir les présentes à M. de Blonay, et lui écrire que s'il lui plait que sa fille vienne sans attendre le retour de madame de Chantal, elle sera la bienvenue ; ce que je dis parce que madame de Chantal peut-être ne viendra pas avant Noël, puisqu'elle est résolue d'achever et démêler toutes ses affaires avant que de revenir, afin de n'avoir plus sujet de distraction.

Je vous prie de faire la commission que je vous laisse, et de dire à M. de Châtillon (cf.
689 ) qu'il fasse pour les reconnaissances selon qu'il m'écrivait.

J'envoie à madame d'Allemand un livre, selon que je lui avais promis. „

Je prie Dieu qu'il vous bénisse, et me recommande à vos prières. Votre, etc.



LETTRE CCVI, A MADAME DE VISSILIEU.

1872
(Tirée du monastère des filles de la Visitation de Toulouse.)

Il la console par le motif de l'inconstance des choses du monde, et l'engage à jeter la vue de son esprit sur l'éternité et sur la croix de Jésus-Christ.

13 décembre (1611) 1621.

Il ne faudrait pas vous avoir au milieu de mou coeur, ma très-chère fille, pour ne pas avoir avec vous part à vos afflictions ; mais il est tout vrai qu'étant ce que je vous suis et à votre maison, je compatis grandement à toutes vos afflictions, et de madame la baronne votre chère soeur
1424 . Hélas ! ma trés-chère fille, il me semble que vous êtes un peu plus susceptible des consolations que cette chère soeur ; c]est pourquoi je vous dis que nous avons tort si nous regardons nos parents, nos amis, nos satisfactions et contentements comme choses sur lesquelles nous puissions établir nos coeurs. Sommes-nous, je vous prie, en ce monde, qu'avec les conditions des autres hommes, et de la perpétuelle inconstance dans laquelle il est établi? Il faut s'arrêter là, ma chère fille, et reposer nos intentions en la sainte éternité, à laquelle nous aspirons. O paix du coeur humain ! on ne te trouve qu'en la gloire et en la croix de Jésus-Christ. Ma très-chère fille, vivez ainsi, et réjouissez souvent votre coeur bien-aimé en la véritable espérance de jouir un jour éternellement de la bienheureuse et immuable éternité. Je suis pressé, ma très-chère fille, et il ne me reste de loisir que pour vous dire que je suis à jamais tout vôtre, etc.

Et madame de Priançon, comment se porte-t-elle ? Je lui écrirai tout à la fine première commodité. La nièce qui est ici-est bien heureuse d'être si bonne et si douce religieuse comme elle est 1621 .



LETTRE CCVII, AU SEIGNEUR BENIGNE MILLETOT.

740
Souhaits de la nouvelle année.

Annecy, Premier jour de l'an 1612.

Monsieur, à ce commencement de nouvelle année, je vous supplie de recevoir agréablement le renouvellement des offres de mon bien humble service, qu'avec beaucoup d'affection, de sincérité et de reconnaissance je vous ai ci-devant faites. Que si notre Seigneur exauce mes voeux, cet an vous sera l'an de prospérité, de contentement et de bénédiction sur vous, monsieur, en vous, et tout autour de vous, qui par après en verrez une grande suite de pareils, lesquels enfin aboutiront à l'année éternelle, en laquelle vous jouirez immortellement de l'auteur de toute vraie prospérité et bénédiction. C'est le souhait, monsieur, de votre, etc.



LETTRE CCVIII, A MADAME DE CHANTAL.

743
La chair de Jésus-Christ dans la sainte communion est une tablette cordiale. Il faut conserver la patience dans les abandons sensibles de Dieu, sans aucun retour sur soi-même.

7 janvier 1612.

1. Voilà M. Michel qui va un peu plus tôt que l'ordinaire, afin que vous puissiez prendre votre tablette au moins une heure avant dîner. Mais, ma très-chère fille, toutes ces deux prises que vous ferez sont des tablettes cordiales ; surtout la première, composée de la plus excellente poudre qui fut jamais au monde. Oui, ma chère fille ; car notre Sauveur a pris notre vraie chair, qui est, en somme, poudre (cf.
Gn 3,19): mais en lui elle est si excellente, si pure, si sainte, que les cieux et le soleil ne sont que poussière au prix de cette poudre sacrée. Or, la tablette de la sainte communion est cela même qui a été mis en tablette, afin que nous la puissions mieux prendre; bien que ce soit la très-divine et très-grande table, que les chérubins et séraphins adorent, et de laquelle ils mangent par contemplation réelle, comme nous le mangeons par réelle communion.

O Dieu! quel bonheur que notre amour, en attendant cette manifeste union que nous aurons avec notre Seigneur au ciel, s'unisse par ce mystère si admirablement à lui !

2. Ma très-chère fille, tenez votre esprit en paix, ne regardez d'où sa petite maladie lui vient, ni ne vous mettez nullement en peine de le guérir ; mais divertissez-le, tant qu'il vous sera possible, de retourner sur soi-même.

Le grand saint Antoine, duquel les intercessions font une extraordinaire influence cette journée, vous fera, par la bonté de Dieu, lever demain toute brave. C'est une grande joie au coeur, de s'imaginer ce grand saint entre ses ermites, tirer de son esprit des sentences graves et sacrées, et les prononcer avec une vénération incomparable, comme des oracles du ciel ; mais, entre autres, il me semble qu'il dit à notre âme ce qu'il disait parmi ses disciples, pris de l'Évangile : Ne soyez en souci de voire âme, OU, pour votre âme (Mt 6,25 Lc 12,22). Non, ma chère fille, demeurez en paix ; car Dieu, à qui elle est, la soulagera.

3. Cependant, ma bien-aimée fille, je ne laisse pas, dans le fond de mon esprit, de prendre des saintes espérances qu'après que par ces petits abandonnements Dieu nous aura éprouvés et exercés en la mortification intérieure, il nous vivifiera par ses consolations sacrées. Il ne nous abaisse, ce doux amour de notre coeur, que pour nous élever (cf. Mt 23,12 Lc 1,52): il se musse et cache, et regarde par les treillis quelle contenance nous tenons (Ct 2,9). Hé! Seigneur et Sauveur, j'entrevois, ce me semble, la clarté de votre oeil débonnaire, qui nous promet le retour de vos rayons, pour faire renaître un beau printemps en notre terre (cf. Ct 2,12). Ah! ma fille, nous en avons bien passé de plus âpres, pourquoi n'aurons-nous pas le coeur de surmonter encore cette difficulté? Croyez, ma fille, que je prie notre Seigneur pour vous avec tout mon coeur : car mon âme est collée à la vôtre, et je vous chéris comme mon âme, ainsi qu'il est dit de Jonathas et de David (1S 18,1). Dieu soit à jamais propice à ce coeur tout voué, tout dédié, tout consacré au céleste amour.

Bonsoir, ma très-chèrement unique fille ; tenez bien Jésus-Christ crucifié entre vos bras ; car l'épouse l'y tenait comme un bouquet de myrrhe (Ct 1,12), c'est-à-dire d'amertume ; mais, ma très-chère fille, ce n'est pas lui qui nous est amer, c'est lui seulement qui permet que nous nous soyons amers à nous-mêmes. Voici, dit Ezéchias, que néanmoins, emmi mes travaux, ma très-amère amertume est en paix (Is 38,17). Oh ! le Dieu de douceur veuille adoucir votre coeur, ou au moins faire que votre amertume soit en paix. Cette bonne religieuse désire vous communiquer un peu au large son coeur, mais elle dit qu'elle ne sait comme faire : il faudra donc l'aider ; et lui pourrez dire que je vous l'ai dit. Dieu soit béni. Amen.



LETTRE CCIX, AU PERE NICOLAS POLLIENS DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.

741
Il lui renvoie un manuscrit contenant la vie du père Pierre Favrc, premier compagnon de saint Ignace, et marque beaucoup de vénération pour ce saint homme.

Annecy, 10 janvier 1612.

Mon révérend père, il est bien temps que je vous rende le livre de la sainte vie de votre bienheureux Pierre Favre (1). J'ai été si consciencieux que je n'ai pas osé le faire transcrire, parce que, quand vous me l'envoyâtes, vous m'en parlâtes comme de choses qui étaient réservées pour encore votre compagnie.

J'eusse pourtant bien désiré d'avoir une copie d'une histoire de si grande piété, et d'un saint auquel, pour tant de raison, je suis et je dois être affectionné ; car c'est la vérité que je n'ai pas la mémoire ferme pour les particularités que je lis ains seulement en commun; mais je veux croire qu'enfin la compagnie se résoudra de ne pas faire moins d'honneur à ce premier compagnon de son fondateur qu'elle en a fait aux autres. Que si bien sa vie, pour avoir été courte, et en un temps auquel on ne remarquait si exactement toutes choses, ne peut pas tant fournir de matière à l'histoire comme celle de quelques autres ; néanmoins ce qu'elle donnera ne sera que miel et sucre de dévotion.

Le bon M. Faber, notre médecin de cette ville, a depuis peu trouvé au reposoir une lettre de ce bienheureux Père, écrite de sa main, que j'ai été consolé de voir et baiser. Mais enfin je vous remercie de la charitable communication qu'il vous en a plu me faire; continuez toujours celle de vos prières, puisque de tout mon coeur je suis, mon révérend père, votre, etc.

(1) Premier compagnon de saint Ignace de Loyola.



LETTRE CCX, A MADAME FRANCOISE BOURGEOIS, PRIEURE DU PUITS D'ORBE, OSB.

744
Il faut s'appuyer sur la divine Providence, à l'exclusion des créatures, qui peuvent nous manquer; > exercer ses emplois avec affection, et ne point tenir à ses volontés. Quand les jugements téméraires sont mortels ou véniels.


Annecy, 20 janvier 1612.

1. Il ne m'arrivera jamais, ma très-chère soeur, ma fille, d'oublier votre coeur, que le mien aimera perpétuellement en notre Seigneur; Je vois par votre lettre, que vous ne vous appuyez pas assez en la sainte providence divine. Ma chère fille, si elle retirait votre bonne soeur, ce que nous devons espérer n'arriver pas sitôt, vous ne laisseriez pas pour cela d'être sous la protection de ce très-bon Père éternel, qui vous couvrirait de ses ailes (
Ps 16,8 Ps 57,2 Ps 61,5). Nous serions misérables, ma fille, si nous n'établissions notre appui en Dieu que par l'entremise des créatures que nous affectionnons : mais avec cela, ma chère soeur, il ne se faut pas former des craintes inutiles. Il suffira bien de recevoir les maux qui de temps en temps nous arrivent, sans les prévenir par l'imagination.

2. Pour la charge que vous avez, c'est une tentation de n'y avoir pas l'amour requis pour le temps auquel vous y serez : au contraire, je voudrais, et Dieu voudrait que vous l'exerçassiez gaiement et amoureusement; et par ce moyen il aurait soin du désir que vous avez d'être déchargée, et le ferait réussir en son temps - car notez, une fois pour toutes, qu'il ne faut jamais s'aheurter avec une de nos volontés ; ains quand il nous arrive quelque chose contre notre gré, il le faut accepter de bon coeur, quoique de bon coeur on désirât que cela ne fût point : et quand notre Seigneur voit que nous sommes ainsi souples, il condescend a nos intentions. J'écrirai à votre soeur qu'elle vous fasse faire les services comme les autres, car cela est bon.

3. Quand les pensées nous arrivent du mal d'autrui, et que nous ne les rejetons pas promptement, ains nous y amusons quelque peu, pourvu que nous ne fassions pas un jugement entier, disant en nous-mêmes : Il est vraiment ainsi, ce n'est pas péché mortel, quand bien nous dirions absolument : Il est ainsi, pourvu que ce ne fût pas en chose d'importance. Car quand ce de quoi nous jugeons notre prochain n'est pas chose griéve, ou que nous ne jugeons pas absolument, ce n'est que péché véniel ; et de même pour avoir omis quelque verset de l'office ou quelque cérémonie, il n'y a que péché véniel.

Et quand la mémoire de telle faute nous arrive après la confession, il n'est pas requis de retourner vers le confesseur, pour aller à la communion ; ains est bon de n'y pas retourner, mais le réserver à dire pour l'autre confession suivante, afin de le dire si on s'en souvient.

Tandis que votre soeur n'a pas voulu recevoir votre pension, il n'y a nulle faute pour vous ; mais ce sera chose bonne qu'elle la manie. Ma très-chère soeur, il ne faut point perdre courage, encore que vous ne pratiquiez pas si fidèlement les résolutions que vous faites : vous devez fortifier votre coeur, pour en venir à l'exécution. Continuez donc, très-chère soeur, ma fille, et ne cessez point d'invoquer Dieu et d'espérer en lui, et il vous fera abonder en ses bénédictions ; ainsi l'en supplié-je, par le mérite de sa passion et les intercessions de sa mère et de sainte Françoise. Notre doux Sauveur soit donc avec vous, ma chère soeur, ma 0Ilc ; et je suis tout en lui, votre, etc.

La bonne mère de Chantal, qui est malade sans danger, comme j'espère, vous salue de tout son coeur. Je la recommande à vos prières, et moi aussi, ma chère soeur, ma fille. Adieu.




LETTRE CCXI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE.

(Communiquée par M. le comte de Sales.)

Il lui fait part des bonnes dispositions de la reine Marie de Médicis pour le pays de Gex.

6 février 1612.

Mais quand sera-ce donc que j'aurai ce contentement de vous revoir, ma très-chère soeur? car je me vois presqu'ù la veille de mon départ pour Chambéri ; et après Pâques, on ne quitte pas volontiers les chaires. Or sus, je vois bien que nous ne serons jamais guère ensemble, si ce n'est en esprit ; aussi est-ce l'esprit de Dieu qui est l'auteur de la sainte amitié dont vous m'affectionnez, qui parla distance des lieux ne peut être empêché qu'il ne fasse sa sacrée opération dans nos coeurs.

Que vous veut cependant dire ce petit mot de nos nouvelles? La reine de France m'écrit qu'elle nous rendra toutes nos églises et tous nos bénéfices de Gex, occupés par les ministres, dont je prévois que cet été je serai grandement occupé à servir cette besogne, mais occupation agréable et précieuse : et qui sait, si nous nous humilions devant Dieu, que sa sainte miséricorde ne nous ouvre point un jour la porte de notre Genève, afin que nous y rapportions la lumière que tant de ténèbres en avaient bannie? Certes, j'espère en la souveraine bonté de notre Seigneur, qu'enfin il nous rendra cette grâce : mais prions et veillons pour cela.

Ma très-chère soeur, persévérez à me chérir cordialement, puisque je suis/sans fin et sans réserve, votre, etc.



LETTRE CCXIL, A L'EPOUSE DU PRESIDENT BRULART.

751
Un confesseur peut retrancher la fréquente communion à certaines personnes, soit pour les éprouver, soit pour les obliger de se corriger de leurs défauts ; il faut supporter cette privation avec une humhle obéissance, pour la rendre avantageuse. Ne pas s'en tenir au désir qu'on a d'être tout à Dieu, et au goût que l'on sent pour l'oraison, mais avec cela travailler à l'acquisition des vertus.

Annecy, 11 février 1612.

1. Vous avez maintenant, ma très-chère fille, ma réponse à la lettre que Madame de Chantal m'apporta ; et voici celle que je fais à la votre du quatorzième janvier.

Vous avez bien fait d'obéir à votre confesseur, soit qu'il vous ait retranché la consolation de communier souvent, pour vous éprouver, soit qu'il l'ait fait parce que vous n'aviez pas assez de soin de vous corriger de votre impatience ; et moi je crois qu'il l'a fait pour l'un et pour l'autre, et que vous devez persévérer en cette patience tant qu'il vous l'ordonnera, puisque vous avez tout sujet de croire qu'il ne fait rien qu'avec une juste considération : et si vous obéissez humblement, une communion vous sera plus utile en effet que deux ou trois faites autrement ; car il n'y a rien qui nous rende la viande si profitable, que de la prendre avec appétit et après l'exercice : or, la retardation nous donnera l'appétit plus grand, et l'exercice que vous ferez à mortifier votre impatience revigorera votre estomac spirituel.

2. Humiliez-vous cependant doucement, et faites souvent l'acte de l'amour de votre propre abjection. Demeurez pour un peu en la posture de la Cananée : Oui, Seigneur, je ne suis pas digne (cf.
Mt 8,8) de manger le pain des enfants (Mt 15,26-27), si je suis vraiment une chienne qui rechigne et mords le prochain sans propos par mes paroles d'impatience. Mais si les chiens ne mangent le pain entier, au moins ont-ils les miettes de la table de leurs maîtres. Ainsi, ô mon doux maître! je vous demande, sinon votre corps, au moins les bénédictions qu'il répand sur ceux qui en approchent par amour. C'est le sentiment que vous pourrez faire ; ma très-chère fille, es jours que vous soûliez communier, et que vous ne communiiez pas.

Le sentiment que vous avez d'être toute à Dieu n'est point trompeur; mais il requiert que vous vous amusiez un peu plus à l'exercice de vertu, et que vous ayez un soin spécial d'acquérir celles èsquelles vous vous trouvez plus défaillante. Relisez le Combat spirituel, et faites une spéciale attention aux documents qui y sont : il vous sera fort à propos.

Les sentiments de l'oraison sont bons ; mais il ne faut pas pourtant s'y complaire tellement qu'on ne s'emploie diligemment aux vertus et mortifications des passions. Je prie toujours pour la bonne mère des chères filles. De vrai, puisque vous êtes en train de l'oraison, et que la bonne mère Carmeline vous assiste, il suffit. Je me recommande à ses prières et aux vôtres, et suis sans fin ni réserve, très parfaitement vôtre. Vive Jésus. Amen.



LETTRE CCXIII, A LA REINE MERE,  MARIE DE MÉDICIS.

800
Il la remercie d'avoir remis l'église de Gex en possession des lieux et des biens envahis par les ministres de la religion réformée.


Annecy, début aout 1612.

Madame, après avoir rendu grâces à Dieu du rétablissement de son église es lieux et biens ci-devant occupés et détenus par les ministres de la religion prétendue au bailliage de Gex, j'en remercie très-humblement votre majesté, de la royale providence et piété de laquelle ce bonheur nous est arrivé. Dieu éternel veuille à jamais établir la royauté du roi votre fils, puisque vous avez si grand soin du rétablissement de celle de son Fils, Roi des rois. Dieu remplisse votre royale personne de ses bénédictions, puisque, par l'autorité qu'il vous a donnée, vous faites bénir son saint nom en tant d'endroits, èsquels il était profané. Ce sont les continuels souhaits que, par une immortelle obligation, fait et fera toujours, madame, votre, etc.



LETTRE CCXIV, A LA REINE MERE, MARIE DE MÉDICIS.

752
Il lui envoie un religieux pour lui rendre compte des affaires de Gex, et le lui recommande.

Annecy, le 12 février 1612.

Madame, ce porteur est le prédicateur ordinaire de Gex, religieux fort zélé, dévot, discret, extrêmement sortable au lieu et à la cause qu'il sert. Ce petit peuple catholique et moi le présentons en toute humilité à votre majesté, comme un cahier animé, contenant les moyens les plus convenables pour la réduction de ceux de la religion prétendue, et pour l'accroissement de la foi catholique au bailliage de Gex; afin que si tel est le bon plaisir de votre majesté, dont je la supplie très-humblement, elle en sache par lui toutes les particularités plus clairement ; et tandis j'invoquerai notre Seigneur, à ce qu'il soit la couronne et la gloire de votre majesté, au ciel et en la terre, selon le continuel désir, madame, de votre, etc.



LETTRE CCXV, A LA REINE MERE, MARIE DE MÉDICIS.

836
Il lui demande le rétablissement du monastère des pères carmes en la ville de Gex.


1612.

Madame, les catholiques de Gex, qui ne peuvent respirer qu'en l'air de votre royale faveur, sachant qu'en leur ville il y avait jadis un monastère de carmes, lequel étant rétabli rendrait beaucoup de bons effets pour l'accroissement de la foi, ils supplient très-humblement votre majesté d'agréer les poursuites qu'ils en font, et de les faire réussir selon le saint zèle dont elle est animée ; et je joins ma très-humble supplication à la leur, avec mille souhaits qu'il plaise à notre Seigneur combler de ses grâces et bénédictions votre majesté, de laquelle je suis sans fin, madame, etc.




LETTRE CCXVI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A SON ALTESSE LE DUC DE SAVOIE.

Il lui représente l'obligation où il est de procurer la canonisation du bienheureux Amédée III, duc de Savoie.



Mars 1612.

Monseigneur, il y a quelque temps que j'envoyai à votre altesse sérénissime plusieurs mémoires touchant l'estime et véritable opinion que tout ce pays de deçà avait toujours eue de la sainteté du bienheureux duc Amédée troisième ; et je croyais que votre altesse, considérant ces honorables témoignages de l'éminente sainteté d'un prince auquel elle appartient de si près, serait suffisamment incitée à en désirer la canonisation.

Mais, attendant de jour à autre qu'on fit quelque bon dessein pour cela, et n'ayant point de telles nouvelles, je supplie très-humblement votre altesse de pardonner si avec un peu de chaleur je lui représente ma pensée sur ce sujet ; car en une grande affection on ne se peut pas bien retenir.

Ce grand saint et votre altesse avez un devoir mutuel l'un à l'autre : car votre altesse lui succédant, et selon le même sang, et selon le même sceptre, elle lui appartient comme fils à son père. Votre altesse donc le doit honorer en tout ce qu'elle peut, comme sa charité l'oblige de protéger, secourir et élever votre altesse : ni ces liens réciproques ne sont point rompus par la mort ; car ce sont des liens de l'amour sacré, qui est aussi fort pour les conserver que la mort pour les dissoudre.

Or, les miracles que Dieu a faits en faveur de ce grand prince, la grande estime de la sainteté d'icelui que sa divine providence a nourrie dans le coeur des peuples qui ont le bonheur d'être sous sa couronne et de plusieurs autres circonvoisins, les historiens qui célèbrent si hautement la piété de sa vie ; ce sont, monseigneur, tout autant de sommations que ce saint prince vous fait de lui faire les honneurs qui sont dus à son excellente sainteté. Nul ne lui a ce devoir en pareil degré avec votre altesse ; nul n'a le pouvoir si grand de le lui rendre, ni par conséquent nul n'en doit avoir un vouloir si ardent.

Je prie Dieu qu'il comble de célestes bénédictions votre altesse, de laquelle je suis infiniment, monseigneur, etc.



LETTRE CCXVII, AU SOUVERAIN PONTIFE PAUL V.


(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug de Sales.)

Il le supplie d'ériger un évêché à Chambéri, et lui expose les raisons qui engagent àxette érection.

Avant le 7 mars 1612.

Cum Camberium semper Sabaudiae fuerit me-tropolis, in qnâ senatus residet et consilium status, amplo ornata gymnasio, multisque ecclesiis, sive saxularibus, sive regularibus ; in quâ multus sit concursus, ratione transitas Francorum, An-glorum et Belgarum in Itàliam : non est modo congruum, sed necessarium, ut in eâ sit episco-pus residens, qui sta'tum ecclesiasticum in urbe tam celebri coerceat.

Vicarius enim foraneus, pro iis tantum rébus quse ad forum contentiosum spectant constitutus, non sat habet auctoritatis, ut populum in reve-rehtiâ et ecclesiasticos in officip contineat. Prae-terquàm quod saepissimè opus est ut recurrat Gra-tianopolim, ad accipiendamepiscopiintentionem, quod in rébus urgentibus sine magnis incommo-dis fieri nequit. Gratianopolitanus autem episco-patus adeo vastus est, et in divçrsas diffusus pro-vincias, tamque administratione difficilis, ut differri plerumquè Sabaudica negotia necessum sit.

Gravissimum proetereà incommodum (exsurgit) ex eo quod dominatiories temporales divers» sint; undè fit ut in populis morum et modi agendi différent sit, necnon soepè invidiae, exprobrationes, et facinorosoe rixa;.

Incommodum (est) ex eo quod nimium distet Camberio Gratianopolis ; quippè per unum diur-num et difficillimum, proesertini hieme, ratione torrcntum, iter. Undè fit ut sacramenta confir-mationis et ordinis, sicut et ecclesiarum et cali-cum consecrationcs, sanctumque oleum, vix ab cpiscopo Gratianopolitano, in suâ jam civitate satis occupato, accipi quca^nt.

Incommodum ex eo quod cum Gratianopolita-nus episcopus caput sit et prapositus comitiorutn et conventnum saicularium et temporalium Del-phinatûs, indè fit, ut quandocumquè malè habc-bunt corona; Francien et Sabaudica, immô etiam gubernatorcs Sabaudia: et Delphinatûs, populo-rum commei'cium valdè sir difficile; et episcopi transitas magnis suspicionibus obnoxius ex utrà-que parte, cum non tantum ut communis utrius-quc populi pastor, sed ut seetarius et ei apud qucm residet, cstque princeps, addictus consi-derctur.

Quoe rationes tanti sunt momenti, ut nulla légitima vis proetermitti debcat ad erectionem epis-copatûs in eà urbc, tum ex parte serenissimi du-cis, cum sedis apostolicae, ad quam pertinet pra;-cipuis urbibus et provinciis de eiscongruentibus conservanda; pietati, et exercitii religionis ca-tholicae per cpiscoporum constitutionem dccentiae rationibus providere.

Postremô crcdibile est reverendissimum Gra-tianopolitanum episcopum in eâ esse mente, ut cupiat hàc sua: dioecesis parte exonerari, quô fa-cilius et accuratius reliquae, quai etiamnum magna, ne dicatur maxima, erit, possit incum-l)ere







La ville de Chambéri ayant été de tout temps la capitale de la Savoie, où réside le souverain sénat et le conseil d'état, et étant ornée d'un grand collège et de plusieurs églises, tant séculières que régulières; d'ailleurs, comme il y a en cette ville un très-grand concours de Français, d'Anglais et d'Allemands, qui y passent pour aller en Italie, il est non-seulement convenable, mais encore nécessaire qu'il y ait un évêque qui fasse sa résidence ordinaire, et qui tienne en ordre et en respect tout l'état ecclésiastique dans un lieu d'une telle conséquence.

Car un vicaire forain, établi seulement pour les choses.qui regardent le for contentieux, n'a pas assez d'autorité pour tenir le peuple en respect et les ecclésiastiques dans le devoir; outre qu'en la plupart des occurrences il faut qu'il envoie à Grenoble, ou qu'il y aille lui-même, pour apprendre l'intention de l'évêque, ce qui ne se peut faire sans un grand inconvénient dans les choses pressantes. D'ailleurs l'évêché de Grenoble étant d'une administration si difficile, à cause de la grande étendue de "pays et la diversité des provinces qu'il comprend, cela fait que les affaires de Savoie sont le plus souvent différées.

De plus, la diversité des dominations temporelles causant toujours entre les peuples quelques différences d'humeurs et de façons d'agir, il en résulte quelquefois des jalousies, des reproches, des mésintelligences; (et la dépendance spirituelle en est aussi souvent altérée, et rendue incommode).

Ajoutez à cela que Chambéri étant éloigné de Grenoble d'une journée, et le chemin étant très-difficile, surtout en hiver, à cause des torrents dont le passage est impraticable, il est presque impossible, dans les occasions où il s'agit du sacrement de confirmation, des ordres, de la consécration des églises., des- calices et des saintes huiles, d'attendre ces choses du soin pastoral et de l'assistance de l'évêque de Grenoble, déjà assez occupé et embarrassé dans sa ville.

Autre inconvénient : comme l'évêque de Grenoble est le chef des états, et qu'il préside aux assemblées séculières et temporelles du Dauphiné, toutes les fois qu'il y aura des troubles, qu'il se rencontrera des guerres, qu'il y aura de mauvaises intelligences entre les deux couronnes de France et de Savoie, ou même entre les deux gouverneurs de Savoie et du Dauphiné, ce qui peut fort bien arriver, le commerce qui doit être entre les peuples des deux provinces en deviendra fort incommode et difficile, et le passage de l'évêque de l'une à l'autre, sujet à de grands soupçons des deux côtés, n'étant plus regardé alors comme pasteur commun des deux peuples, mais plutôt comme partial et intéressé pour celui de sa résidence, dont il est chef et prince temporel (1).

Ces considérations sont de telle importance, qu'il semble que nul effort légitime ne doit être -épargné pour l'établissement d'un évêché en la ville de Chambéri, non-seulement de la part de son altesse sérénissime', mais aussi de la part du saint siège apostolique, auquel il appartient de pourvoir aux villes principales et aux provinces qui en dépendent, des moyens convenables pour la conservation de la dévotion, et pour la bienséance de l'exercice de la sainte religion catholique, en constituant des évêques où il en est besoin.

Et même il est à croire que le révérendissime évêque de Grenoble doit désirer et désire en effet être déchargé de cette partio de son diocèse, afin de pouvoir vaquer avec plus de facilité, d'exactitude et de fruit, au reste de sa charge, qui sera encore bien grande, pour ne pas dire très-grande.



(1) Les évêques de Grenoble prenaient le titre de princes de Grenoble, à cause de plusieurs donations que les seigneurs du pays leur ont faites en divers temps, et ils présidaient aux états de la province.




F. de Sales, Lettres 712