F. de Sales, Lettres 1080

1080 1. Il faut cultiver la très-sainte indifférence à laquelle notre Seigneur nous appelle. Que vous soyez là ou ici, hélas ! qui nous peut séparer de l'unité qui est en notre Seigneur Jésus-Christ (Rm 8,53)? Enfin cette chose désormais, ce me semble, qui n'ajoute plus rien pour notre esprit, que nous soyons en un ou deux lieux, puisque notre très-aimable unité subsiste partout, grâces à celui qui l'a faite : combien de fois vous ai-je dit, ma très-chère mère, que le ciel et la terre ne sont point en assez grande distance pour éloigner les coeurs que notre Seigneur a joints ! Demeurons en paix sous cette assurance.

2. J'aime bien mieux que l'on se fie tout en vous de la maison ; car cela se fera fort doucement et suavement, pourvu que l'on vous laisse votre liberté, et qu'on se repose sur votre foi : mais je crains qu'on ne veuille vous arrêter là ; ce qui serait une cogitation injuste, et que je ne pour-rois ouïr. Je dis la cogitation ; car de l'effet il n'en faut point parler. Il faut donc en cet article, parler souëvement et justement, et arrêter que vous aurez un soin très-suffisant de cette maison-là.

Il faut garder comme la prunelle de l'oeil la sainte liberté que l'institut donne pour les communications et conférences spirituelles. L'expérience me fait voir que rien n'est si utile aux servantes de Dieu, quand elle sera pratiquée selon nos règles.

3. Je réponds que la vivacité de ces esprits nourris en leur propre jugement ne m'étonnerait point, pourvu qu'on leur eût proposé les maximes générales de la douceur, charité et simplicité, et le dépouillement des humeurs, inclinations et aversions naturelles, qui doit régner en la congrégation : car enfin, qui ne voudrait recevoir que des esprits avec lesquels il n'y eût point de peine ; les religions ne serviraient guère au prochain, puisque ces esprits-là feraient presque bien partout.

O ma très-chère mère ! vivez joyeuse, toute brave, toute douce, toute jointe au Sauveur : et plaise à sa bonté de bénir la très-sainte unité qu'il a faite de nous, et la sanctifier de plus en plus. Je salue nos chères soeurs. Hélas ! que je leur souhaite de perfection!

Ce treizième jour de mai (2) (1615) auquel je commence la vingt-troisième année de ma vie en l'état ecclésiastique, plein de confusion d'avoir fait si peu d'état de vivre en la perfection de cet état.



 (2) C'est le 12 mai 1593 que notre Saint avait pris possession de la prévôté de Genève.



LETTRE CCXC, A MADAME DE CHANTAL, A LYON.

1081
Le Saint lui rend compte du bon état où étaient ses filles d'Annecy, et l'exhorte à mettre sa confiance en Dieu dans l'entreprise de la fondation à laquelle elle travaillait, etc.


Annecy, 14 mai 1613.

0 que mon âme, dès plusieurs jours en çà, est pleine de nouveaux et puissants désirs de servir le très-saint amour de Dieu avec tout le zèle qui me sera possible! La vôtre ; ma très-chère mère, qui n'est qu'une même chose, en fera de même : car comme pourrait-elle avoir diverses affections, n'ayant qu'une même vie et une même âme ?

Nos soeurs font, certes, merveille, et incitent mon coeur à beaucoup de reconnaissance envers la bonté de Dieu, de laquelle je vois de si clairs effets en leurs âmes. J'espère que celles de là vous donnent aussi de pareils sentiments, et que cette douceur céleste verse ainsi son esprit sur toute cette petite assemblée de créatures unies pour sa gloire.

Hélas! ma très-chère mère, que d'obligations que nous avons à notre Seigneur, et combien de confiance nous devons avoir que ce que sa miséricorde a commencé en nous elle le parachèvera, et donnera tel accroissement à ce peu d'huile de bonne volonté que nous avons, que tous nos vaisseaux s'en rempliront, et plusieurs autres de ceux de nos voisins ! Il ne faut que bien fermer la chambre sur nous, c'est-à-dire, retirer de plus en plus notre coeur en cette divine bonté.

Je vous donne mille fois le bonsoir, et prie Dieu qu'il soit toujours au milieu de tout votre coeur, le bénissant de ses très-saintes et plus désirables faveurs. Je salue toutes nos soeurs.


LETTRE CCXCI, A M. ANTOINE DESHAYES (1).

1104
(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Rouen.)

A son retour de Lyon, il l'avertit de quelques petits dérangements de son fils dans le collège, et lui conseille de le retirer pour le mettre dans un collège plus resserré, ou de lui donner un précepteur ferme ; il lui rend pourtant ce témoignage qu’il adhérait à ses conseils, et montre une grande affection pour cet enfant.


Annecy, 15 juillet 1615.

Monsieur,

1. convié par monseigneur l'archevêque de Lyon, j'ai été ces jours passés auprès de lui, où je pensais trouver le loisir de demi-heure pour vous écrire ; mais je ne sus oneques gagner cela sur la multitude des visites et de quelques autres occupations qui me furent données, outre quelques prédications : maintenant je répare la faute, et vous dirai hardiment le mal après la guérison."

Notre fils (cf.
1071 a eu fort à faire à se ranger à la discipline du collège, et lui était bien avis que cela était contraire à sa réputation. La racine de son mal est en une certaine grâce qu'il a de gagner les esprits, et tirer les coeurs à soi, lesquels par après le tirent à eux, et lui donnent telles impressions qu'ils veulent. Il a eu pour cela prou de disputes avec ses maîtres, qui le voulaient empêcher de sortir et de prendre des libertés contraires aux règles du collège ; et je l'ai encore plus souvent réprimandé, en quoi il m'a extrêmement obligé par le sentiment qu'il a témoigné d'être marri de me déplaire, si que enfin, pour l'amour de moi, il commence fort à se bien ranger ; et par ce moyen il tirerait encore mon coeur à soi, s'il ne lui était déjà tout acquis.

2. S'il persévère, nous aurons occasion de nous en contenter; s'il ne le fait pas, il faudra user de l'un de ces deux remèdes : ou bien le retirer dans un collège un peu plus ferme que celui-ci, ou bien lui donner un maître particulier qui soit homme, et auquel il rende obéissance. Car enfin cet enfant est votre unique, et, certes, grandement aimable : néanmoins le voilà en ses années périlleuses, que la nourriture de page rend encore plus dangereuses ; mais il ne se faut point lasser de bien cultiver cette plante, car elle rendra sans doute de très-bons fruits.

Il ne se peut dire combien nous sommes grands amis, ni combien il me respecte : cela avec un maître particulier suffira pour le bien conduire, si par aventure il ne persévérait pas ; mais j'espère qu'il le fera : car les pères barnabites et M. Peyssard m'assurent grandement qu'il observe maintenant fort exactement ce qu’il m'a promis. Je vous supplie de lui écrire que je vous ai témoigné du contentement de lui, afin de lui donner courage de continuer.

La grande peine que j'avais de lui, c'est à cause de l'eau, sur laquelle il se plaît extrêmement; et je craignais qu'il ne se plût encore de se mettre dedans pour se baigner en quelque endroit dangereux, parce que toutes, les années il s’y perd quelqu'un. Mais il m'oblige infiniment en cela, car il ne s'y met point. En somme, sachez, je vous supplie, monsieur, que cet enfant m'est cher comme mes yeux ; et que de sou côté il paternise excellemment à ui'aimer; et si, j'espère que, passé ces années périlleuses, on le verra encore paterniser en plusieurs autres conditions, Dieu aidant.

3. Nous avons la paix, grâces, à notre Seigneur : plaise à sa divine majesté qu'elle duré, et qu'elle donne ouverture à quelque bonne intelligence et alliance pour le prince de Piémont, qui est le plus sage, le plus courageux et le plus dévot prince qui ait été il y a longtemps. J'écris sans aucun loisir, c'est pourquoi je prendrai la confiance de ne point écrire à madame ma très-chère fille, à laquelle indivisément avec vous, monsieur, je souhaite mille et mille bénédictions, demeurant pour jamais votre, etc.



(1) Pendant que le roi Louis XIII était à Béziers, on fit le procès à un gentilhomme nommé Deshayes de Cournemin, dont le père était gouverneur de Montargis, et qui avait la survivance de ce gouvernement. Après avoir été page de la chambre du roi, il s'était mis à voyager dans sa jeunesse ; il se fit connaître dans les cours de Suède et de Moscovie : il y fut même employé par le roi dans des affaires de peu de conséquence.

Il s'imagina que personne n'était plus capable que lui de traiter avec le roi de Suède ; mais le cardinal de Richelieu, qui le regardait comme un esprit léger, ne jugea pas à propos de le charger d'une négociation si considérable. Il fut si piqué de voir donner cette commission à un autre, que, pour se venger de la cour, il se rendit à Bruxelles, où il offrit ses services à Marie de Médicis et au duc d'Orléans.

Ils l'envoyèrent en Allemagne pour y emprunter de l'argent sur les pierreries de la reine-mère, et pour demander quelques secours à l'empereur. Le baron de Charnassé, plus habile que Deshayes, trouva le moyen de le faire arrêter. Il fut conduit à Metz, d'où on le transféra en Languedoc, où la cour était alors. On lui prit tous ses papiers, qui contenaient la preuve de ses intrigues.

Son père, qui était fort âgé, accourut au Pont-Saint-Esprit pour demander sa grâce. Il alla descendre chez M. de Brienne, qui était son ami, et le pria de dire au cardinal qu'il était venu pour solliciter la grâce de son fils, et qu'il l'espérait des bontés de son éminence.

M. de Brienne fut trouver le cardinal, et il eut le courage de lui parler du fils par l'amitié qu'il avait pour le père. Le cardinal lui demanda d'un air sévère pourquoi sa maison avait servi de retraite à Deshayes. Brienne lui répondit sans s'étonner qu'il l'aurait offensé d'en prendre une autre, et que son éminence avait l'âme trop belle et trop généreuse pour ne pas approuver sa conduite. Le cardinal se radoucit, et dit seulement qu'il fallait conseiller au vieux Deshayes de s'en retourner à Paris ; mais il ne s'expliqua point sur la grâce qu'on lui demandait pour le fils.

M. de Brienne et son ami jugèrent dès-lors, que Cournemin périrait sur un échafaud, et ils ne furent pas trompés dans leurs conjectures, car il eut la tête tranchée peu de jours après. Il témoigna beaucoup de faiblesse, et il reçut le coup de la mort en versant un torrent de larmes.






LETTRE CGXCII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

C'est un grand bonheur à la jeunesse d'avoir quelqu'un pour veiller sur elle, parce qu'en cet âgé l'amour-propre aveugle la raison.

U juillet 1615.

Cette fausse estime de nous-mêmes, ma chère fille, est tellement favorisée par l'amour-propre, que la raison ne peut rien contre elle. Hélas ! c'est la quatrième chose difficile à Salomon, et laquelle il dit lui avoir été inconnue, que le chemin de l'homme en sa jeunesse. Dieu donne à M. N. beaucoup de grâce d'avoir M. son grand-père qui veille sur lui. Que longuement puisse-t-il jouir de ce bonheur.

O ma fille ! croyez que mon coeur attend le jour de votre consolation avec autant d'ardeur que le vôtre. Mais attendez, ma très-chère soeur ; attendez, dis-je ; en attendant (Ps 39,1) ; afin que je me serve des paroles de l'Écriture. Or, attendre en attendant, c'est ne s'inquiéter point en attendant; car il y en a plusieurs qui en attendant n'attendent pas, mais se troublent et s'empressent. Nous ferons prou, chère fille, Dieu aidant î et tout plein de petites traverses et secrètes contradictions qui sont survenues à ma tranquillité, me donnent une si douce et suave tranquillité que rien plus, et me présagent, ce me semble, le prochain établissement de mon âme en son Dieu, qui est certes, non-seulement la grande, mais, à mon avis, l'unique ambition et passion de mon coeur : et quand je dis mon âme, je dis de toute mon âme, y comprenant celle que Dieu lui a conjointe inséparablement.

Et puisque je suis sur le propos de mon âme, je vous en veux donner cette bonne nouvelle, c'est que je fais et ferai ce que vous m'avez demandé pour elle, n'en doutez point ; et vous remercie du zèle que vous avez pour son bien, qui est indivis avec celui de la vôtre, si vôtre et mien se peut dire entre-nous pour ce regard. Je vous dirai plus; c'est que je la trouve un peu plus à mon :gré que l'ordinaire, pour n'y voir plus rien qui la tienne attachée à ce monde, et plus sensible aux biens éternels.

Que si j'étais aussi vivement et fortement joint à Dieu comme j e suis absolument disjoint et séparé du monde, mon cher Sauveur ! que je serois heureux ! et vous, ma fille, que vous seriez contente ! Mais je parle pour l'intérieur et pour mon sentiment : car mon extérieur, et, ce qui est le pis, mes déportements, sont pleins d'une grande variété d'imperfections contraires ; et le bien que je vous veux, je ne le fais pas (Rm 8,15) ; mais je sais pourtant bien qu'en vérité et sans feintise je le veux, et d'une volonté inviolable.

Mais, ma fille, comment donc se peut-il faire que sur une telle volonté tant d'imperfections paraissent et naissent en moi? Non, certes, ce n'est pas de ma volonté, ni par ma volonté, quoiqu'en ma volonté et sur ma volonté. C'est, ce me semble, comme le gui, qui croit et parait sur un arbre et en un arbre, bien que non pas de l'arbre, ni par l'arbre. O Dieu ! pourquoi vous dis-je tout ceci, sinon parce que mon coeur se met toujours au large, et s'épanche sans bornes quand il est avec le vôtre?

Si vous demeuriez de delà, je serois bien aise d'entreprendre le service que le révérend père N. désire de moi pour cette dame ; mais cela n'étant point, il me semble qu'un autre, qu'elle aura moyen de voir plus souvent, se rendra plus utile à cette bonne oeuvre ; et moi cependant je prierai notre Seigneur pour die : car sur les bonnes nouvelles que vous m'en donnez, je commence à l'aimer tendrement, la pauvre femme. Hélas! quelle consolation de voir reverdir cette pauvre âme, après un si dur, si long et si âpre hiver.

Je vous suis ce que Dieu sait. Amen.




LETTRE CCXCIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Il la console dans ses sécheresses, et l'encourage à les supporter patiemment, surtout par une pensée qui lui était survenue dans l'oraison", sur ces paroles du Pater, Que votre nom soit sanctifié.



21 juillet 1615.

Ma très-chère fille, un jour Magdeleine parlait à notre Seigneur ; et s'estimant séparée de lui, elle pleurait et le demandait, et était tant oppressée, que le voyant, elle ne le voyait point (Jn 20,2).

Or sus, courage ! ne nous empressons point : nous avons notre doux Jésus avec nous ; nous n'en sommes pas séparés ; au moins je l'espère fermement. De quoi pleurez-vous, ô femme (Jn 20,13) ? Non,-il ne faut plus être femme, il faut avoir un coeur d'homme ; et, pourvu que nous ayons l'âme ferme en la volonté de vivre et mourir au service de Dieu, ne nous étonnons ni des ténèbres, ni des impuissances, ni des barrières. Et à propos des barrières, Magdeleine voulait embrasser notre Seigneur, et ce doux Maître met une barrière. Non, dit-il, ne me touchez point ; car je ne suis pas encore monté vers mon Père (Jn 20,17). Là haut il n'y aura plus de barrière ici il en faut souffrir. Nous suffise que Dieu est notre Dieu, et que notre coeur est sa maison.

Vous dirai-je une pensée, que je fis dernièrement en l'heure du matin que je réserve pour ma chétive âme ? Mon point était sur cette demande de l'oraison dominicale : Ton nom soit sanctifié (3). O Dieu, disais-je, qui me donnera ce bonheur de voir un jour le nom de Jésus gravé dans le fin fond du coeur de celle qui le porte marqué sur sa poitrine (4) ? Je me ressouvins aussi des hôtels de Paris, sur le frontispice desquels le nom des princes auxquels ils appartiennent est écrit ; et je me réjouissais de croire que celui de votre coeur est à Jésus-Christ. Il y veuille habiter éternellement.

Priez fort pour moi, qui suis tant et si paternellement vôtre.


 (3) Sanctificetur nomen tuum. Orat. Dom.
(4) En 1609, madame de Chantal s'imprima sur la poitrine le nom de Jésus avec un fer rouge, si profondément qu'elle en courut risque de sa vie ; et du sang qui sortit de sa plaie, elle écrivit de nouveaux voeux pour s'unir à son divin époux irrévocablement.



LETTRE CCXCIV, A MONSEIGNEUR LE PRINCE DE PIÉMONT (VICTOR-AMÉDÉE).

1113
Le Saint l'instruit du bien que doit procurer aux peuples de Thonon et des environs l'établissement des pères barnabites dans cette ville ; il lui expose en même temps les voeux qu'ils font pour la canonisation du bienheureux Amédée.


Thonon, 3 septembre 1615.

Monseigneur, suivant le commandement de votre altesse, je suis venu ici pour procurer l'introduction des pères barnabites en la sainte maison de Notre-Dame de compassion, et enfin le traité de cette affaire est parvenu jusqu'à l'arrêté ci-joint (1).

Or, il ne se peut dire combien l'avancement des pères barnabites en ces contrées de deçà sera utile pour celui de la gloire de Dieu, non-seulement pour la confirmation de la foi parmi ces bons peuples, qui, à la faveur de l'incomparable courage et rare piété de monseigneur, père de votre altesse, ont été remis dans le giron de la sainte Église catholique ; mais aussi pour la confusion des ennemis de la foi, qui environnent de toutes parts cette province, de laquelle il ne se peut faire que le bien spirituel ne s'écoule petit à petit sur le voisinage, qui par ce moyen pourra recevoir insensiblement de grandes dispositions pour se convertir et réduire au devoir.

Mais encore, monseigneur, je ne puis me retenir que je ne témoigne la joie que je sens de quoi, parla venue de ces bons pères en cette ville, nous verrons refleurir le saint service divin dans l'église de saint Augustin, fondée par le fameux Amédée, grand aïeul de votre altesse, et en une ville honorée de la naissance de cet excellent serviteur de Dieu, le bienheureux Amédée, duquel nous respirons la canonisation avec des désirs nonpareils ; espérant que par la publique invocation de son secours nous obtiendrons la fin de tant d'afflictions, de pestes et tempêtes, desquelles, depuis quelques années, il a plu à Dieu de visiter ce peuple.

Votre altesse, monseigneur, a pour le partage de la splendeur héréditaire et toujours croissante de sa sérénissime origine, la gloire des oeuvres de sa douce et immortelle piété : et pour cela, comme elle est l'un des fleurons de la couronne de monseigneur son père, elle est aussi l'une des plus précieuses colonnes du temple de Dieu le Père éternel (cf.
Ap 3,12).

- Donc pour l'une et l'autre qualités, je prends la confiance d'implorer la bonté de votre altesse en toutes les occurrences qui regardent les affaires de la sainte religion catholique, entre lesquelles celle de l'amplification de ces bons pères barnabites ; et le rétablissement du service divin en tous les monastères de deçà, étant l'un des plus importants, je le recommande, très-humblement au zèle de votre altesse, à laquelle je fais très-humblement révérence, ne cessant point de lui souhaiter le comble des faveurs célestes; et demeure, monseigneur, votre, etc.


 (1 ) L'arrêté dont il est parlé ici était que le prieuré conventuel de Contamine demeurerait aux clercs réguliers de Saint-Paul, dits barnabites, avec tous ses droits, fruits, revenus et appartenances quelconques ; que les pères barnabites auront soin du collège, et tiendront pour les lettres-humaines quatre professeurs, qui enseigneront jusqu'à la rhétorique inclusivement, instruiront les enfants du séminaire, célébreront les offices divins, selon leurs constitutions, dans l'église de Saint-Augustin, entendront les confessions, feront les catéchismes, et prêcheront selon leur coutume, etc. C'est pourquoi S. François leur remit l'église de Saint-Augustin, avec sa maison, sa place, ses jardins et son cimetière. Quant au reste, ils furent obligés à toutes les charges du prieuré, et à donner, quand il serait à propos, des pères de leur ordre, pour enseigner la philosophie et la théologie, etc.

 Vie de S. François de Sales, par Aug. de Salée, page 458.



LETTRE CCXCV, A M. JEAN-FRANÇOIS DE SALES, SON FRÈRE, ALORS CHANOINE DE LA CATHÉDRALE DE SAINT-PIERRE DE GENÈVE (1).

1116
(Tirée du monast. de la Visitât, de la Valdotte.)

Le Saint lui annonce qu'il l'a choisi pour être son grand-vicaire.


Thonon, 8 septembre 1615.

J'ai regretté dès-hier au soir la perte que nous avons faite, mon cher frère, de notre bon monsieur le vicaire ; car j'en sus la nouvelle par une lettre de monsieur le premier président. L'amitié fraternelle que ce pauvre défunt nous portait à tous m'obligera à jamais de chérir et honorer sa mémoire, et de prier souvent pour son âme, comme j'ai fait dès aujourd'hui. Il y a longtemps que je prévoyais cet accident, en la mauvaise conduite qu'il tenait pour sa santé, et ayant pensé, depuis que j'ai su plus particulièrement qu'il était en état de nous quitter bientôt, qui je pourrais rendre successeur en sa charge ; enfin, après plusieurs considérations, j'ai résolu de vous y appeler ; et ce seul motif vous suffira pour l'accepter, et à tout le monde pour l'approuver, que de cette charge dépend une grande partie du bien de ce diocèse et de mon honneur, dont votre proximité vous pressera d'avoir plus de soin et de jalousie que nul autre n'en saurait prendre; ni vous ne devez pas alléguer au contraire que vous n'avez pas la connaissance des choses dès procès, car c'est la moindre des fonctions du grand vicaire, et pour le bon succès de laquelle il suffit qu'il ait de la vigilance et du zèle, pour faire que les autres officiers fassent bien leurs devoirs, et qu'il établisse un bon substitut et des bons assesseurs. Mais décela, nous en parlerons à mon retour, Dieu aidant : cependant, faites pour moi comme si déjà vous étiez établi ; et sera bon de mettre la cure de Boussi au concours au plus tôt. Je pense partir d'aujourd’hui en huit jours, et d'arrêter trois ou quatre jours en chemin, étant prié par monsieur d'Àngeville de passer à la Roche, pour voir certain différend qu'il a avec ses chanoines.

La contagion ne fait nul progrès, grâces à notre Seigneur, sinon dans Genève, où elle moissonne rudement. Dieu vous bénisse, et je suis tout en lui votre, etc.


(1) M. Jean-François de Sales, frère du saint évêque, qui était d'une humeur austère, se jeta dans l'ordre des capucins, et porta leur habit plus de dix mois ; mais sa santé ne lui permit pas d'y rester. En étant sorti, il fut fait chanoine de Saint-Pierre-de-Genève. Puis S. François de Sales le nomma son grand vicaire.



LETTRE CCXCVI, A MERE CLAUDINE DE BLONAY, ABBESSE DE L'ORDRE DE SAINTE-CLAIRE.

1117
Les religieuses doivent renoncer à toute propriété. L'oraison doit être pratiquée dans les communautés religieuses, et l'usage de la confession et de la communion y doit être fréquent. Importance des confesseurs extraordinaires ; objection frivole sur ce sujet, avec sa réponse. Utilité des communications spirituelles : la manière d'en bien user.


Thonon, 12 septembre 1615.

1. Ne pensez jamais, ma très-chère soeur, que je puisse oublier votre personne, ni les nécessités-temporelles de votre monastère, que j'ai trouvées, certes, encore plus grandes qu'on ne m'avait dit. Je prévois seulement qu'il nous faudra attendre que les soupçons de contagion cessent pour faire faire plus fructueusement la quête, et cependant je ferai faire les patentes requises. Au reste, mon coeur amoureux, de la sainteté de votre assemblée, quoique je ne l'aie vue qu'en passant, et plutôt entrevue que vue, ne me permet pas de partir sans vous exhorter en N. S., de poursuivre-constamment l'exécution de la sacrée inspiration, que Dieu vous a donnée de perfectionner de plus-en plus cette vertueuse compagnie, par une pure et simple privation de toute propriété, par les exercices de la sainte oraison mentale, et par une-fervente fréquentation des divins sacrements.

Et ne doutez point, ma chère soeur, que le père Garinus ne vous soit favorable, si vous lui représentez naïvement et humblement vos dignes prétentions ; car c'est un docteur de grand jugement et longue expérience, grandement zélé aux constitutions ecclésiastiques, et à rétablissement du concile de Trente, comme sont tous les gens de bien. Vous lui pourrez donc confidemment dire ce que vous m'avez touché un mot de vos affaires ; car je sais bien qu'il ne le trouvera pas mauvais, étant, comme il est, de mes meilleurs amis, et qui sait bien que je n'ai pas accoutumé de rien gâter, et que je ne suis point entrepreneur d'autorité, ains homme qui ne trouble rien; et pourrez encore lui dire tout ce que j'ai dit ; de quoi, pour vous rafraîchir la mémoire, je vous ferai une répétition.

2. Premièrement, que le renoncement de toute propriété et l'exacte communauté de toutes choses, est un point de très-grande perfection, et qui doit être désiré de tous les monastères, et suivi partout où les supérieurs le veulent : car, encore que les religieuses qui n'en ont point l'usage en leurs maisons, ne laissent pas d'être saintes, la coutume les dispensant, si est-ce qu'elles sont en extrême danger de cesser d'être saintes, quand elles contredisent à l'introduction d'une si sainte observance, tant aimable et tant recommandée par le père saint François et la mère sainte Claire, et qui rend les religions riches en leur pauvreté, et parfaitement pauvres en leurs richesses.

Le mien et le tien étant les deux mots qui, comme disent les saints, ont ruiné la charité ; et ne sert à rien de dire, notre voile, notre robe, nos chemisettes, ou nos mutandes, si en effet leur usage n'est pas indifférent et commun à toutes les soeurs ; les paroles étant peu de chose, si les effets ne correspondent. Et comme peut être dite commune une chose que nul n'emploie que moi? Or, j'ai vu en un monastère, où j'avais une forte proche parente, que toute la difficulté de cet article était en la douilletterie de quelques soeurs, en ce qui regarde les chemisettes et les linges; j'admirai que la lessive ne suffit pas pour ce sujet à des filles de celui qui baisait tendrement les ladres, et de celle qui baisait les pieds des soeurs revenantes de dehors.

Certes, qu'il est douillet de porter un linge ou un drap lavé, parce qu'il a été auparavant le lavement porté par son frère chrétien, je ne sais pas comme il ose dire qu'il aime son prochain comme soi-même ; et faut qu'il ait un grand amour-propre, qui le fasse estimer si net en comparaison des autres.

Or, la façon de mettre tout en commun est bien aisée, quand tout est ensemble en un coffre ou en une garde-robe, et qu'une distribue à toutes, selon leurs nécessités indistinctement, ce qu'il leur faut, sans avoir égard à autre chose qu'à la nécessité, et à la volonté de la supérieure. En quelques congrégations même (1) on change les chapelets et tous les petits meubles de dévotion au sort, à chaque commencement d'année.

Quant à l'oraison et à la fréquence des sacrements, il n'y a point de difficulté, ce me semble, sinon pour le dernier, de gagner le père confesseur, afin qu'il ne laisse pas de faire la charité aux soeurs, les oyant en confession quand il en sera requis par la supérieure.

(I) La Visitation observe cette pratique.


3. Mais il y a un point d'importance duquel je vous touchai un mot, que pour le bien de votre famille vous devez demander à vos supérieurs, et qu'ils ne peuvent en bonne conscience vous refuser : c'est que deux ou trois fois chaque année ils vous aient à offrir des autres confesseurs extraordinaires (suivant le commandement du sacré concile de Trente), (Sess. 24. c. 10), qui oyent les confessions de toutes les soeurs. Et la congrégation des cardinaux a déclaré que, les supérieurs étant négligents en cet article, les évêques le fassent eux-mêmes, et que cela se fasse même plusieurs autres fois de l'année, s'il est requis. Or, il est requis, quand la supérieure voit des soeurs grandement troublées et difficiles ou répugnantes à se confesser au confesseur ordinaire, pourvu que ce ne soit pas toujours, ains parfois seulement et sans abus.

Mais, pour ce dernier point, il semble qu'il ne soit pas convenable de le demander, puisque l'ordre mis par le concile suffit pour la satisfaction de votre congrégation. Et ne faut nullement recevoir les allégations au contraire ; car rien ne se fait en ce monde, qui ne soit contredit par les esprits minces et fâcheux ; et de toutes choses, pour bonnes qu'elles soient, on en tire des inconvénients quand on veut picoter. Il se faut arrêter à ce que Dieu ordonne et à son Église, età ce que les saints et saintes enseignent ; ni il ne faut pas dire que votre ordre soit exempt des constitutions du sacré concile ; car, outre que le concile est sur tous. les ordres, s'il y a aucun ordre qui doive obéir aux conciles et à l'Église romaine, c'est le vôtre; puisque, le père saint François l'a si souvent inculqué.

Mais, ce dit-on, il se pourrait faire qu'une fille sachant qu'elle pourra avoir un confesseur extraordinaire, elle gardera ses péchés jusques à sa venue, là où, s'il n'y avait point d'espérance d'autre confesseur, elle ne les garderait pas. Il est vrai que cela pourrait arriver ; mais il est vrai aussi qu'une fille qui sera si malheureuse que de faire des mauvaises confessions et des communions indignes pour attendre extraordinaire, elle ne fera pas grand scrupule d'en faire plusieurs, et plusieurs mauvaises, pour attendre la mutation du confesseur, ou la venue du supérieur. Et, en somme, cet inconvénient n'est pas comparable à mille et mille pertes d'âmes que la sujétion de ne se confesser jamais qu'à nn seul peut apporter, comme l'expérience le fait connaître : et, en somme, c'est une présomption insupportable à qui que ce soit, de penser mieux entendre les nécessités spirituelles des fidèles, et de s'imaginer d'être plus sage que le concile. Il vous faut donc tenir bon à ce point, et ne se laisser point emporter aux considérations de l'esprit humain.

Restent les communications spirituelles, lesquelles aussi je vous dis être fort utiles, pourvu qu'elles soient faites à propos. Et premièrement, nul, comme je pense, ne les vous peut défendre ; car, tant que j'ai su voir en la règle de S. François et de Ste Claire, il n'y a rien qui les empêche; ains seulement ce qui y est dit empêche toute sorte d'abus. Et je vous dirai comme on les fait entre les filles de la mère Thérèse, qui sont à mon avis les plus retirées de toutes : elles se font donc en cette sorte :

La fille qui désire communiquer quelque chose, le dit à la supérieure : la supérieure considère si la personne à laquelle on veut communiquer est de bonne qualité, et propre à consoler; et si elle est telle, on la demande ou prie de venir; et étant venue, on-mène la fille qui veut communiquer à la treille, et le rideau demeure sur la treille ; et puis on donne tout à l'aise loi^ sir de communiquer, chacun se retirant en lieu d'où on ne puisse ouïr ce que dit celle qui communique, pourvu seulement qu'on la puisse voir. Que si on voit une fille qui veuille trop souvent communiquer avec une même, passé trois fois, on lui refuse, sinon que l'on vit une grande apparence de beaucoup de fruit, et que les personnes fussent hors de soupçon de vanité, mûres d'âge et exercées en vertu.

Vous avez vu, je m'assure, ce que là bienheureuse mère Thérèse en dit, et cela suffira pour répondre à tous les inconvénients qu'on en pour-rait alléguer. Et jamais ce ne fut l'intention des saints de priver les âmes de telles saintes conférences, qui servent infiniment à beaucoup de vertus, et sont sans danger, étant bien faites. C'est grand cas, comme c'est une subtile tentation: nous voulons garder la liberté de la propriété qui est contre la perfection, et ne voulons pas recevoir la liberté des communications, laquelle étant bien entendue nous aide à la perfection. Nous trouvons des inconvénients où les saints n'en trouvent point, et n'en trouvons point où les saints en trouvent tant.

Or, ces communications ne se doivent pas faire pour apprendre des diverses manières de vivre en un monastère, mais pour apprendre à mieux et plus parfaitement pratiquer celle à laquelle on est obligé ; et si; elles n'empochent point les conférences publiques, ains elles servent pour les mieux digérer, et appliquer une chacune en son particulier.

J'avais oublié de dire que quand le confesseur extraordinaire vient, il faut que toutes les filles se confessent à lui; afin que celles qui en ont besoin ne soient pas découvertes, et que le malin ne sème point de reproches parmi la maison. Mais celles qui ne veulent pas prendre confiance à l'extraordinaire, pourront, avant qiie de se confesser à lui, faire leur confession à l'ordinaire, et, par après, dire seulement quelques péchés jà confessés à l'extraordinaire, pour servir de matière à l'absolution.

 J'ai été bien long ; ma très-chère soeur ; mais j'ai voulu en ceci vous bien déclarer mon sentiment, afin que vous le sussiez bien distinctement: et tenez bon hardiment, pour introduire en votre maison la sainte et vraiment religieuse liberté d'esprit, et pour en bannir la fausse et superstitieuse liberté terrestre. Ramenez ces bénites âmes aux observances des saints conciles, et vous serez bien heureuse. Notre maître Garius,- et tous vos supérieurs majeurs, gens discrets et raisonnables, vous aideront, je n'en doute point; et même votre bon confesseur, qui est bien vertueux et sage religieux, ainsi que je puis connaitre, et qui entendra bien la raison, quand elle lui sera bien remontrée.

Je vous salue mille et mille fois es entrailles de la miséricorde de notre Seigneur, auquel je vous supplie de me recommander continuellement avec toute votre chère et vertueuse compagnie.




F. de Sales, Lettres 1080