F. de Sales, Lettres 2013

LETTRE DCCLXI, A UNE DEMOISELLE Qui pensait à se marier

2013
Quelles qualités sont nécessaires au mari, ou à l'épouse du côté de l'âme, à défaut des qualités du corps. L'état de mariage demande une grande vertu.


Mademoiselle, je réponds à votre lettre du 2 de ce mois, plus tard que je ne désirais ; attendu la qualité de l'avis et conseil que vous me demandez : mais les grandes pluies ont empêché les voyageurs de se mettre en campagne ; au moins n'ai-je point eu de commodité assurée jusqu'à celle-ci.

L'avis que la bonne cousine vous donna si constamment de demeurer en vous-même au service de M. votre père, et en état de vous consacrer, par après! coeur et corps à notre Seigneur, était fondé sur une grande quantité de considérations tirées de plusieurs circonstances de votre condition. C'est pourquoi si votre esprit se fût trouvé en une pleine et entière indifférence, je vous eusse sans doute dit qu'il fallait suivre cet avis-là comme le digne et le plus propre qu'on sût proposer ; car sans difficulté il eût été tel.

Mais puisque votre esprit n'est nullement en l'indifférence, ains totalement penché au choix du mariage, et que nonobstant que vous avez recouru à Dieu, vous vous y sentez encore attachée, il n'est pas expédient que vous fassiez violence à une si forte impression par aucune sorte de considération ; car toutes les circonstances, qui d'ailleurs seraient plus que suffisantes pour me faire conclure avec la chère cousine, n'ont point de poids au prix de cette forte inclination et propension que vous avez, laquelle, à la vérité, si elle était faible et débile, serait peu considérable ; mais étant puissante et ferme, elle doit servir de fondement à la résolution. Si donc le mari qui vous est proposé est d'ailleurs sortable, homme de bien, et d'humeur compatissante, vous pouvez utilement l'accepter : je dis s'il est d'humeur compatissante, parce que ce manquement de taille requiert cela, comme il requiert de vous que vous contr'échangiez ce défaut par une grande douceur, par un sincère amour, et par une humilité fort résignée ; et bref, que la vraie vertu et perfection de l'esprit couvre universellement la tare du corps.

Je suis fort pressé, ma chère fille, et ne puis pas vous dire beaucoup de choses. Je finirai donc-vous assurant que je vous recommanderai toujours à notre Seigneur, afin qu'il adresse votre vie à sa gloire.

L'état du mariage est un état qui requiert plus de vertu et de constance que nul autre ; c'est un perpétuel exercice de mortification, il le sera peut-être à vous plus que l'ordinaire. Il faut donc vous y disposer avec un soin particulier, afin qu'en cette plante de thym vous puissiez, malgré l'amertume naturelle de son suc, en tirer et faire le miel d'une sainte conversation. Qu'à jamais le doux Jésus soit votre sucre et votre miel qui rende suave votre vocation ; qu'à jamais il vive et règne en nos coeurs. Je suis en lui.




LETTRE DCCCLXII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME ENCEINTE.

Il ne faut jamais se tenir assuré que les ennemis de notre salut sont vaincus, afin d'être toujours dans la défiance de soi-même. Avantage des tentations : moyens d'y remédier. Quelle sorte d'oraison mentale une femme enceinte doit faire. - Garnier lettre 244

Il y a un mois, ma très-chère soeur, que je fus saisi d'une fièvre, laquelle m'a presque toujours occupé jusqu'à présent, et tandis j'ai reçu trois de vos lettres par diverses fois. Surtout il y en a une qui m'a été d'extrême consolation, y voyant les marques de la parfaite confiance que vous avez en moi, par la communication des accidents et troubles de votre chère âme. Or c'est la vérité, que je n'entends pas assurément ce que vous me dites, que je n'ai quelque sorte de doute de me tromper; néanmoins il m'est avis que je vous entends suffisamment pour vous répondre.

Voyez-vous, ma très-chère soeur, il arrive maintes fois que, pensant être entièrement défait des ennemis anciens ; sur lesquels nous avons jadis emporté la victoire, nous les voyons venir d'un autre côté dont nous les attendions le moins. Hélas ! cet unique sage du monde, Salomon, qui avait tant fait de merveilles en sa jeunesse, se tenant fort assuré de la longueur de sa vertu et de la confiance de ses années passées, lorsqu'il semblait être hors des escalades, il fut surpris de l'ennemi qu'il avait le moins à craindre, selon le cours ordinaire.

C'est pour nous apprendre deux leçons signalées : l'une, que nous nous devons toujours défier de nous-mêmes, cheminer en une sainte crainte, requérir continuellement les secours du ciel, vivre en humble dévotion ; l'autre, que nos ennemis peuvent être repoussés, mais non pas tués. Ils nous laissent quelquefois en paix, mais c'est pour nous faire une plus forte guerre : mais avec cela, ma très-chère soeur, il ne faut nullement que vous vous découragiez, ains qu'avec une paisible vaillance vous preniez le loisir et le soin de guérir votre chère âme du mal qu'elle pourrait avoir reçu par ces attaques, vous humiliant profondément devant notre Seigneur, et ne vous étonnant nullement de votre misère. Certes aussi serait-ce chose digne d'étonnement, que nous ne fussions pas sujets aux attaques et misères. Ces petites secousses, ma très-chère soeur, nous font revenir à nous, considérer notre fragilité, et recourir plus vivement à notre protecteur. Saint Pierre marchait fort assuré sur les Qiides : le vent s'élève, et les vagues semblent l'engloutir ; alors il s'écrie : Ha ! Seigneur, sauvez-moi! Et notre Seigneur l'empoignant, Homme de peu de foi, lui dit-il, pourquoi doutes-tu? C'est emmi les troubles de nos passions, les vents et les orages des tentations, que nous réclamons le Sauveur : car il ne permet que nous soyons agités que pour nous provoquer à l'invoquer plus ardemment.

En somme, ne vous fâchez point, ou au moins ne vous troublez point de quoi vous avez été troublée; ne vous ébranlez point de quoi vous avez été ébranlée; ne vous inquiétez point de quoi vous avez été inquiétée par ces passions fâcheuses ; mais reprenez votre coeur, et le remettez doucement entre les mains de notre Seigneur, le suppliant qu'il le guérisse, et de votre côté faite, aussi tout ce que vous pourrez par renouvellement de résolutions, par la lecture des livres propres à cette guérison, et autres moyens convenables ; et ainsi faisant, vous gagnerez beaucoup en votre perte, et demeurerez plus saine par votre maladie.

Ma très-chère fille, puisque votre grossesse vous incommode beaucoup à faire l'oraison mentale, longue et ordinaire, faites-la courte et vive : réparez ce défaut par de fréquents élancements de votre coeur en Dieu, lisez souvent et peu à la fois quelque livre bien spirituel, faites de bonnes pensées en vous promenant, priez peu et souvent, x offrez vos langueurs et lassitudes à notre Seigneur crucifié; et quand vous serez délivrée, reprenez tout bellement votre train, et assujettissez-vous à suivre les matières de quelque livre propre à cela, afin que venant l'heure de l'oraison, vous ne demeuriez pas éperdue, comme celui qui à l'heure du dîner, n'a rien de prêt. Que si quelquefois le livre vous manque, faites votre oraison dessus quelque mystère fertile, comme sont ceux de la mort et passion, le premier qui se présentera à votre esprit. Je suis, etc.






LETTRE DCCCLXIII.

 S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DEMOISELLE.

C'est une tentation de désirer des directeurs fort éloignés, pendant qu'on en a auprès de soi, et de trop multiplier ses bons désirs. Moyens de remédier à cette seconde tentation. - Garnier lettre 245


Mademoiselle, ma très-chère fille en Jésus-Christ, j'ai reçu votre lettre, en laquelle vous vous essayez de me découvrir l'état de votre esprit. Je ne puis nier que je ne sois beaucoup consolé de voir la confiance que vous avez en mon affection en votre endroit, laquelle aussi est autant grande et constante que vous le sauriez désirer. Dieu donc soit loué en tout et partout ! mais je m'en vais vous dire deux ou trois petits mots sur le sujet de votre lettre.

Premièrement, croyez fermement, je vous supplie, que l'opinion que vous avez de ne devoir recevoir allégement de Dieu que par moi, est une pure tentation de celui qui a accoutumé de nous mettre des objets éloignés en considération, pour nous ôter l'usage de ceux qui nous sont présents.

C'est une maladie d'esprit à ceux qui sont malades au corps de désirer les médecins éloignés, et les préférer à ceux qui sont présents. Il ne faut désirer les choses impossibles, ni bâtir sur les difficiles et incertaines.

Il ne suffit pas de croire que Dieu nous peut secourir par toutes sortes d'instruments, mais il faut croire qu'il ne veut pas y employer ceux qu'il éloigne de nous, et qu'il veut employer ceux qui sont près de nous. Pendant que j'étais là, je n'eusse pas rejeté cette persuasion ; mais maintenant elle est du tout hors de saison.

Après cela, il me semble que vous avez rencontré le vrai sujet de votre mal, quand vous me dites qu'il vous est avis que c'est une multitude de désirs qui ne pourront être accomplis. C'est sans doute une tentation pareille à la précédente; ains celle-ci est la pièce entière de laquelle l'autre n'est qu'un échantillon.

La variété des viandes, si elles sont en grande quantité, charge toujours l'estomac; mais s'il est faible, elle le ruine. Quand l'âme a quitté les concupiscences, c'est qu'elle s'est purgée des affections mauvaises et mondaines. Rencontrant les objets spirituels et saints, comme toute affamée, elle se remplit de tant de désirs et avec tant d'avidité qu'elle en est accablée.

Demandez les remèdes à notre Seigneur, et aux pères spirituels que vous avez auprès de vous : car iceux touchant votre mal avec la main, connaissent bien quels remèdes il y faut appliquer. Néanmoins je vous dirai nuement ce qui m'en semble.

C'est que si vous ne commencez à mettre en exécution quelques-uns de ces désirs, ils se multiplieront toujours et s'embarrasseront avec votre esprit, en sorte que vous ne saurez comme vous en démêler ; il faut donc venir aux effets, mais par quel ordre ?

Il faut commencer par les effets palpables et extérieurs qui sont le plus en notre pouvoir; par exemple, il n'est pas que vous n'ayez désir de servir aux malades pour l'amour de notre Seigneur, de faire quelques vils et abjects services en la maison par humilité; car ce sont désirs fondamentaux, et sans lesquels tous les autres sont et doivent être suspects et méprisés. Or exercez-vous fort à la production des effets de ces désirs-là ; car l'occasion ni le sujet ne vous en manqueront pas ; cela est entièrement en votre pouvoir, et partant vous devez les exécuter.

Car en vain fîerez-vous dessein d'exécuter les choses dont le sujet n'est pas en votre puissance, ou est bien éloigné, si vous n'exécutez celles que vous avez à votre commandement. Partant, exécutez fidèlement les désirs bas et grossiers de la charité, humilité et autres vertus ; et vous verrez que vous vous en trouverez bien,

Il faut que Magdeleine lave premièrement les pieds de notre Seigneur, les baise, les torche, avant que de l'entretenir coeur à coeur au secret de la méditation ; et qu'elle répande l'onguent sur son corps, avant que de verser le baume de ses contemplations sur sa divinité.

Il est bon de désirer beaucoup ; mais il faut mettre ordre aux désirs, et les faire sortir en effet, chacun selon sa saison et votre pouvoir. On empêche les vignes et les arbres de porter des feuilles, afin que leur humidité et suc soient par après suffisants pour rendre du fruit, et que toute leur force naturelle ne s'en aille en la production trop abondante des feuilles.

il est bon d'empêcher cette multiplication de désirs, de peur que notre âme ne s'y amuse, laissant cependant le soin des effets desquels pour l'ordinaire la moindre exécution est plus utile que les grands désirs des choses éloignées de notre pouvoir, Dieu désirant plus de nous la fidélité aux petites choses qu'il met en notre pouvoir, que l'ardeur aux grandes qui ne dépendent pas de nous.

Notre Seigneur compare l'âme désireuse de la perfection à une femme grosse qui enfante ; mais à la vérité, si la femme enceinte voulait produire deux ou plusieurs enfants à la fois, et tous deux ensemble, elle ne le saurait faire sans mourir ; il faut qu'ils sortent l'un après l'autre. Faites sortir les enfants de votre âme, c'est-à-dire, les désirs du service de Dieu les uns après les autres, et vous sentirez un grand allégement.

Mais enfin, si vous ne trouvez point de repos en ces remèdes, ayez patience : attendez que le soleil soit levé, il dissipera ces brouillards ; ayez bon courage (Jn 11,4), cette maladie ne sera pas à la mort, mais afin que Dieu soit glorifié par icelle. Faites comme ceux qui sentent les ennuis et dévoiements d'estomac sur la mer; car après qu'ils ont-roulé et leur esprit et leur corps par tout le navire pour trouver allégement, ils viennent enfin embrasser l'arbre et le mât d'icelui, et le serrent étroitement pour s'assurer contre les tournoiements de tête qu'ils souffrent; il est vrai que l'allégement leur est court et incertain. Mais si vous venez avec humilité embrasser le pied de la croix, si vous n'y trouvez aucun remède, au moins y trouverez-vous la patience plus douce qu'ailleurs, et le trouble plus agréable.

Je vous ai voulu dire quelque chose, plus pour vous témoigner le désir que j'ai de votre bien, que pour penser que je sois capable de vous y servir. Ne doutez point au reste, que je ne vous recommande à ce père de lumière ; je le fais avec une très-grande volonté et inclination, croyant pour ma consolation, que vous me rendez fidèlement le réciproque, dont j'ai à la vérité bon besoin pour être embarqué en l'endroit le plus tempestueux et tourmenté de toute cette mer de l'Église.




LETTRE DGCCLXIV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME ENCEINTE.

Le Saint lui défend de jeûner pendent sa grossesse. Garnier lettre 247

Je suis sur mon départ, ma très-chère fille, et pressé pour cela. Vous mettrez, s'il vous plaît, en considération ces quatre lignes, comme s'il y en avait beaucoup. Croyez, je vous supplie, que jamais votre très-chère âme ne sera plus aimée qu'elle l'est de la mienne.

Mais que me dit-on ? on me dit, qu'étant grosse vous jeûnez, et frustrez votre fruit de l'aliment qui est requis à sa mère, pour lui donner celui qui lui est dû. Ne le faites plus (je vous supplie), et vous humiliant sous l'avis des docteurs, nourrissez sans scrupule votre corps, en considération de celui que vous portez : vous ne manquerez point de mortifications pour le coeur, qui est le seul holocauste que Dieu désire de vous.

O mon Dieu, ma très-chère fille, que j'ai trouvé ici force grandes âmes au service de Dieu ! que sa bonté en soit bénie. Et vous êtes unie avec elles, puisque vous avez les mômes désirs. Vivez toute en Dieu ma très-chère fille, et persévérez à prier pour votre, etc.








ORAISON POUR LES-FEMMES ENCEINTES,

COMPOSÉE PAR S. FRANÇOIS DE SALES.



O Dieu éternel, Père d'infinie bonté, qui avez ordonné le mariage pour en multiplier les hommes ici-bas, repeupler la céleste Cité là-haut, et avez principalement destiné notre sexe à cet office, voulant même que notre fécondité fût une des marques de votre bénédiction sur nous : hé ! me voici prosternée devant la face de votre majesté que j'adore, vous rendant grâces de la conception de l'enfant auquel il vous a plu donner être dedans mon corps. Mais, Seigneur, puisque ainsi il vous a semblé bon, tendez donc les bras de votre providence, jusqu'à la perfection de l'oeuvre que vous avez commencée : favorisez ma grossesse de votre perfection, et portez avec moi, par votre continuelle assistance, la créature que vous avez produite en moi, jusqu'à l'heure de sa sortie au monde ; et lors, ô Dieu de ma vie, soyez-moi secourable, et de votre sainte main supportez ma faiblesse, et recevez mon fruit, le conservant jusqu'à ce que, comme il est vôtre par création, il le soit aussi par rédemption, lorsqu'étant reçu au baptême, il sera mis dans le sein de l'Église votre épouse.

O Sauveur de mon âme, qui vivant ici-bas avez tant aimé, et si souvent pris entre vos bras les petits enfants : hé ! recevez encore celui-ci, et l'adoptez en votre sacrée filiation, afin que vous ayant et invoquant pour Père, votre nom soit sanctifié en lui, et que votre royaume lui advienne. Ainsi, ô Rédempteur du monde, je le voue, dédie et consacre de tout mon coeur à l'obéissance de vos commandements, à l'amour de votre service ; et au service de votre amour.

Et d'autant que votre juste courroux rendit la première mère des humains, avec toute sa pécheresse postérité, sujette à beaucoup de peines et de douleurs es enfantements; ô Seigneur, j'accepte tous les travaux qu'il vous plaira permettre m'arriver pour cette occasion ; vous suppliant seulement, par le sacré et joyeux enfantement de votre innocente Mère, de m'ôtre propice à l'heure du mien douloureux, de moi pauvre et vile pécheresse, me bénissant avec l'enfant qu'il vous plaira de me donner, de la bénédiction de votre amour éternel, laquelle avec une parfaite confiance en votre bonté, je vous demande très-humblement.

Et vous, Vierge, Mère très-sainte, ma chère et dame unique maîtresse, qui êtes l'unique honneur des femmes, recevez en votre protection, et dans le giron maternel de votre incomparable suavité, mes désirs et supplications, afin qu'il plaise à la miséricorde de votre Fils de les exaucer. Je vous les requiers, ô la plus aimable de toutes les créatures, vous en conjurant par l'amour virginal que vous portâtes à votre cher époux, saint Joseph, par l'infini mérite de la naissance de votre Fils, par les très saintes entrailles qui l'ont porté, et par les sacrées mamelles qui l'ont allaité.

O saints anges de Dieu, députés à ma garde de à celle de l'enfant que je porte, défendez-nous, gouvernez-nous, afin que par votre assistance nous puissions enfin parvenir à la gloire de laquelle vous jouissez, pour avec vous louer et bénir notre commun Seigneur et maître, qui règne es siècles des siècles. Amen.






LETTRE DCCCLXV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DEMOISELLE.

Avis pour acquérir de la douceur. - Garnier lettre 248


Je prie Dieu qu'il bénisse votre coeur, ma chère fille, et vous dis ces mots selon ma promesse.

Vous devriez tous les matins, avant toutes choses, prier Dieu qu'il vous donnât la vraie douceur d'esprit qu'il requiert es âmes qui le servent, et prendre résolution de vous bien exercer en cette vertu-là, surtout envers les deux personnes à qui vous avez le plus de devoir. Vous devez faire celte entreprise de vous bien commander en cela, et vous en souvenir cent fois le jour, recommandant à Dieu ce bon dessein ; car je ne vois pas que vous ayez beaucoup à faire pour bien assujettir votre âme à la volonté de Dieu, sinon de l'adoucir de jour en jour, mettant votre confiance en sa bonté. Vous serez bienheureuse, ma très-chère fille, si vous faites ainsi ; car Dieu habitera au milieu de votre coeur, et y régnera en toute tranquillité.

Mais s'il vous arrive de commettre quelque manquement, ne perdez point courage ; ains remettez-vous soudain toute, ne plus ne moins, que si vous n'étiez point tombée.

Cette vie est courte, elle ne nous est donnée que pour gagner l'autre; et vous l'emploierez bien, si vous êtes douce envers ces deux personnes, avec lesquelles Dieu vous a mise. Priez pour mon âme, que Dieu la tire à soi.



LETTRE DCCCLXVI, A MESDAMES DE VILLENEUVE ET DE FROUVILLE QUI ÉTAIENT SOEURS.

1556
Le Saint les exhorte à la paix, à la douceur et à la concorde.

Non certes, mes très-chères filles, il ne faut qu'une lettre pour deux soeurs qui n'ont qu'un coeur (
Ac 4,32) et qu'une prétention. Que cela vous est salutaire, de vous tenir ainsi l'une à l'autre (Ps 133,2) ! Cette union des âmes est comme l'onguent précieux qu'on répandit sur le grand Aaron, ainsi que dit le roi Psalmiste, auquel on mêlait tellement plusieurs liqueurs odorantes, que toutes ne faisaient qu'une senteur et une suavité : mais je ne veux pas m'arrêter sur ce sujet.

Ce que Dieu a uni en sang et en sentiment est inséparable, tandis que ce même Dieu règne en nous, et il y régnera éternellement. Or sus, vivez donc ainsi, mes très-chères filles, douces et amiables à tous, humbles et courageuses, pures et sincères en tout. Quel meilleur souhait puis-je faire pour vous ? Soyez comme des avettes spirituelles qui ne portent que miel et cire dans leurs ruches. Que vos maisons soient toutes remplies de douceur, de paix, de concorde, d'humilité, de piété par votre conversation.

Et croyez, je vous supplie, que la distance des lieux ni du temps ne m'ôtera jamais cette tendre et forte affection que notre Seigneur m'a donnée pour vos âmes, que la mienne chérit très-parfaitement et invariablement. Et parce que la diversité de vos conditions peut requérir que quelquefois je vous écrive différemment, nonobstant l'unité de votre dessein, je le ferai une autre fois; mais pour le présent, je me contenterai de vous dire et conjurer de bien croire sans hésiter, mes très-chères filles, que je suis votre, etc.




LETTRE DCCCLXVII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

Le Saint l'exhorte à la confiance en Dieu, à une sainte joie, et à la pureté d'intention. - Garnier lettre 256

 Madame ma très-chère-fille (car je crois que vous voulez bien que je vous nomme ainsi), nourrissez votre chère âme en esprit de cordiale confiance en Dieu ; et à mesure que vous vous trouverez environnée d'imperfections et misères, relevez votre courage à bien espérer.

Ayez beaucoup d'humilité ; car c'est la vertu des vertus ; mais humilité généreuse et paisible.

Soyez fidèle à bien servir notre maître ; mais gardez en son service la liberté filiale et amoureuse, sans donner des amertumes dégoûtantes à votre coeur!

Conservez un esprit d'une sainte joie, qui, modestement répandue sur vos actions et paroles, donne de la consolation aux gens de bien qui vous verront, afin qu'ils en glorifient Dieu, qui est notre unique prétention.

Et puisque vous ne sauriez plus exercer votre corps en aucune mortification et âpreté de pénitence, et qu'il n'est nullement expédient que vous y pensiez, ains que nous demeurâmes d'accord ; tenez votre coeur bien rangé devant son Sauveur, et faites, le plus que vous pourrez, ce que vous ferez pour plaire à Dieu; et ce que vous aurez à souffrir selon la condition de cette vie, souffrez-le, à même intention.

Car ainsi Dieu vous possédera toute, et vous fera la grâce que vous le posséderez un jour éternellement, dont je le supplierai tonte ma vie, ma très-chère fille, et serai de tout mon coeur, votre, etc.



LETTRE DCCCLXVIII, A LA DEMOISELLE de VILLESAVIN Qui allait demeurer dans le grand monde

1527
Le Saint l'exhorte à mépriser les jugements, les mépris et les railleries des mondains, à ne point mettre son affection dans les biens de la terre, et à être fidèle à Dieu dans les choses difficiles.

Paris, mai 1619

Ma très-chère fille,

1. vous serez souvent parmi les enfants de ce monde, qui, selon leur coutume, se moqueront de tout ce qu'ils verront, ou penseront être en vous contre leurs misérables inclinations. Ne vous amusez point à disputer avec eux, ne témoignez nulle sorte de tristesse de leurs attaques ; mais avec joie riez de leurs risées, méprisez leurs mépris, jouez-vous de leurs remontrances, moquez-vous modestement de leurs moqueries ; et sans faire attention à tout cela, marchez toujours gaiement au service de Dieu ; et au temps de l'oraison recommandez ces pauvres esprits à la divine miséricorde. Ils sont dignes de compassion de n'avoir point d'intention, d'honnête entretien, qu'en riant et gaussant sur des sujets dignes de respect et révérence.

2. Je vois que vous abondez en commodités de la vie présente ; prenez garde que votre coeur n'y demeure point engagé. Salomon, le plus sage des mortels, commença son inénarrable malheur par la complaisance qu'il prit es grandeurs, ornements et magnifiques appareils qu'il avait, bien que, tout cela fût selon sa qualité. Considérons que tout ce que nous avons,, ne nous fait être rien de plus en effet que le reste du monde, et que tout cela n'est rien devant Dieu et les anges.

3. Souvenez-vous, ma très-chère fille, de bien faire la volonté de Dieu es rencontres où vous aurez le plus de difficulté. C'est peu de chose de plaire à Dieu en ce qui nous plait : la fidélité filiale requiert que nous lui voulions plaire en ce qui nous déplait, nous remettant devant les yeux ce que le grand Fils bien-aimé disait de soi-même (
Jn 6,38) : Je ne suis pas venu pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celai qui m'a envoyé. Car aussi n'êtes-vous pas chrétienne pour faire votre volonté, mais pour faire la volonté de celui qui vous a adoptée pour être sa fille et son Héritière éternelle (cf. Rm 8,15 Rm 8,17)?

4. Au reste, vous vous en allez, et moi je m'en vais aussi sans aucune espérance de vous revoir en ce monde. Prions bien Dieu qu'il nous fasse la grâce de vivre tellement selon son bon plaisir en ce pèlerinage, qu'étant arrivés en la céleste patrie, nous nous puissions réjouir de nous être vus ici-bas, et d'y avoir parlé des mystères de l'éternité. En cela seul nous devons prendre joie de nous être aimés en cette vie, que le tout a été pour la gloire de sa divine majesté, et notre salut éternel.

Conservez la sainte gaieté cordiale qui nourrit les forces de l'esprit, et édifie le prochain. Allez ainsi en paix, ma très-chère fille, et Dieu soit à jamais votre protecteur : qu'à jamais il vous tienne de sa main, et vous conduise au chemin de sa sainte volonté (Ps 73,24). Ainsi soit-il, ma très-chère fille. Et je vous promets que tous les jours je renouvellerai ces sacrés souhaits sur votre ame, que la mienne chérira à jamais inviolablement. Et à Dieu soit à jamais louange, action de grâce, et bénédictions. Amen (Ap 7,12).




LETTRE DCCCLXIX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DEMOISELLE.

Le Saint l'exhorte à persévérer dans ses bonnes résolutions. - Garnier lettre 262



Je vous supplie, ma chère fille, n'abandonnez jamais le train des saintes résolutions que vous avez faites ; car Dieu qui les a données à votre coeur, lui en demandera le compte; et pour les bien conserver, tenez-vous prés du Sauveur, car son ombre est salutaire pour la naissance et conservation de tels fruits.

Je le supplie qu'il vous tienne de sa sainte main, afin que jamais vous ne vous égariez de la sainte et étroite voie qu'il vous a montrée. A coeur vaillant rien impossible. Partout je vous honorerai de tout mon coeur, vous souhaitant incessamment la grâce, paix et consolation de notre Seigneur, selon lequel je suis, ma très-chère fille, votre, etc.




LETTRE DCCCLXX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DEMOISELLE.

Sur sa vocation. - Garnier lettre 263


Mademoiselle, je prie notre Seigneur d'avoir agréable que vous le serviez uniquement, parfaitement, et en l'état auquel vous n'ayez point nécessité de partager votre coeur. Je pense qu'enfin vous en viendrez là, et que cette résolution vous arrivera : mais je voudrais que ce fût bientôt, afin que vous eussiez la consolation d'avoir fait vous-même l'élection en un temps [auquel probablement vous en pourriez faire une autre.

Or sus, ma fille, me trouvant au fin bout de cette année avec cette commodité de vous écrire, je l'ai voulu employer pour vous témoigner que, commençant la prochaine année suivante, je supplierai sa divine majesté qu'elle vous la rende toute pleine de ses sacrées bénédictions.

Que les années sont courtes, ma chère fille ! les voilà qu'elles s'enfuient toutes l'une après l'autre, et nous emportent avec elles à notre fin. Qu'elles sont néanmoins précieuses, puisque nous pouvons en la moindre partie d'icelles acquérir la très-sainte éternité.

Vivez joyeuse, ma fille, et conservez à ce Sauveur votre coeur, pour lequel dès sa tendre enfance il a répandu son sang salutaire. Je persévère à prier notre Seigneur pour votre consolation, ou plutôt que lui-même soit et votre consolation et votre consolateur, et que lui seul possède votre coeur, et votre coeur son saint amour!




LETTRE DCCCLXXI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UN AMI

Qui lui avait envoyé un livre qu'il avait composé sur l'autorité des deux puissances.



Monsieur, vos lettres, pleines d'amour et de confiance en mon endroit, exigent de moi avec une douce violence une réponse claire sur trois points.

- Quant au premier, la bonne madame de N. vous dira tout ensemble son avis et le mien, de qui est requis pour l'entier établissement de votre fille en cette congrégation (de la Visitation) : j'ai même aussi prié cette même bonne dame de vous porter de ma part l'assurance de ce qu'avec une faveur trop excessive vous m'avez par deux fois demandé : mais il faut pourtant que j'écrive ici de ma main, comme je le sens de tout mon coeur.

C'est la vraie vérité, monsieur, qu'encore que mes amis meurent, mon amitié ne meurt point : ains s'il s'y fait quelque changement, c'est pour une nouvelle naissance qui la rend plus vive et vigoureuse entre leurs cendres, comme un certain Phénix mystique; car bien que les personnes que j'aime soient mortelles, ce que j'aime principalement en elles est immortel. Et j'ai toujours estimé cet axiome fondamental pour la connaissance des vraies amitiés, qu'Aristote, S. Jérôme et S. Augustin ont tant solennisé : Amicitia quoe desinere potuit, nunquam vera fuit (1).

(i) L'amitié qui a pu cesser n'a jamais été véritable, cela n'est malheureusement que trop vrai.



O Dieu ! le bon monsieur le président N. est toujours vivant en mon coeur, et il y tient le rang que tant de faveurs reçues de lui, et tant de dignes qualités reconnues en lui, lui avaient acquis. Mais, monsieur, la réciproque communication, qu'avec tant de confiance je ne faisais presque que commencer avec lui, est cessée, et se trouve convertie en l'exercice des mutuelles prières que nous faisons l'un pour l'autre; lui, comme sachant combien j'en ai besoin ; moi, comme doutant qu'il n'en ait besoin. "

Et donc puisqu'il vous plaît, puisque vous le voulez, je vous dis de toute mon affection; prenez la place, monsieur, en cette communication, et mon coeur vous y regardera, vous y chérira, vous y enverra ses pensées avec un amour qui ne violera point les lois de respect, et un respect qui ne se séparera jamais du devoir de l'amour. Mais commençons donc par ici à parler comme il faut entre les amis parfaits, et venons au troisième point à ce que je vous dois répondre.

Je vois en votre livre deux choses, les traits et la main de l'artisan d'un côté, et la matière et sujet de l'autre. En vérité, je trouve votre main bonne, louable, ains exquise et rare; mais la matière me déplaît, s'il faut dire le mot que j'ai dans le coeur : je dis, la matière me déplaît, extrêmement. Plût à Dieu, dis-je, que mon Polycletus qui m'est si cher, n'eût point mis sa maîtresse main sur un airain de si mauvais lustre !

Je hais, par inclination naturelle, par la condition de ma nature, par l'appréhension tirée de mes ordinaires considérations, et, comme je pense, par l'inspiration céleste, toutes les contentions et disputés qui se font entre les catholiques, desquelles la fin est inutile, et encore plus celles desquelles les effets ne peuvent être que dissensions et différends, mais surtout en ce temps plein d'esprits disposés aux médisances, aux censures et à la ruine de la charité.

Non, je n'ai pas même trouvé à mon goût certains écrits d'un saint et très-excellent prélat ; ès-quels il a touché du pouvoir indirect du pape sur les princes, non que j'aie jugé si cela est, ou s'il n'est pas, mais parce qu'en cet âge où nous avons tant d'ennemis dehors, je crois que nous ne devons rien émouvoir au-dedans du corps de l'Église. La pauvre mère poule, qui, comme ses petits poussins, nous tient dessous ses ailes, a bien assez de peine de nous défendre du milan, sans que nous nous entre-béquetions les uns les autres, et que nous lui donnions des entorses. Enfin, quand les rois et les princes auront une mauvaise impression de leur père spirituel, comme s'il les voulait surprendre, et leur arracher leur autorité que Dieu, souverain père, prince et roi de tous, leur a donnée en partage ; qu'en adviendra-!-il qu'une très-dangereuse aversion des coeurs ? Et quand ils croiront qu'il trahit son devoir, ne seront-ils pas grandement tentés d'oublier le leur ?

Je n'ai pas voulu remarquer tout plein de choses qui me semblent devoir être extrêmement adoucies, et me suis contenté de vous dire ainsi en gros et grossièrement mon petit sentiment, ains, pour parler naïvement, mon grand sentiment pour ce regard. Mais dites-moi maintenant, monsieur, si je m'excuse envers vous de vous parler ainsi franchement, répliquerez-vous point que c'est aussi trop franchement? Voilà pourtant comme je traite avec ceux qui veulent que je contracte une entière amitié avec eux ! Ah ! je sais, je crois, je jure partout que vous aimez l'Église, que vous êtes constamment son enfant assuré; mais le zèle de l'autorité que vous avez si longuement et heureusement possédée, vous a poussé un peu trop avant. Vive Dieu, monsieur, je vous chéris avec tout cela de tout mon coeur.

Non sentire bonos eadem de rébus iisdem Incolumni licuit semper amicitia (1)

Que s'il vous semble que d'abord je devais user de plus de modération, je vous supplierai de croire que je n'en sais point en l'amitié, ni presque en rien qui en dépende. Et quand donc peut-elle user de ses droits qu'en la ferveur de ses commencements? Au demeurant, Dieu sait combien votre chère fille m'est précieuse comme une propre soeur, si je la vois, en cette vocation. Aussi comme j'ai toujours fait avec feu monsieur le président, je désire que partout vous m'advouyez votre fils et serviteur fidèle.



(1 ) Les gens de bien peuvent avoir des opinions différentes sur Mes mêmes choses, sans blesser pour cela les devoirs de l'amitié.






LETTRE DCCCLXXII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A M***,

Professant la religion prétendue réformée, qui lui avait demandé une conférence. - Garnier lettre 264



Monsieur, mon dessein ne fut pas d'entrer en aucune conférence avec vous : la prochaine nécessité de mon départ m'en ôtait entièrement l'occasion. Si les conférences ne sont pas bien conditionnées et accompagnées de loisir et de commodités de les parachever, elles sont infructueuses. Je ne regarde qu'à là gloire de Dieu, et le salut du prochain. Ou cela ne peut être procuré je ne fais point de conférence.

Vous savez bien ce que je veux dire, quand je parle du livre des Macchabées. Il y en a deux, et deux font un corps de livre. Je ne prendrai pas la peine d'en dire davantage, car je ne picote point.

Il est vrai que nous le disons et affirmons, et que vous le niez, et rejetez. L'Église a toujours été combattue par cette même façon ; mais vos négatives doivent être prouvées par une même sorte de preuves, qu'est celle que vous exigez de nous ; car c'est à celui qui nie de prouver quand il nie contre la possession et que sa négative sert de fondement à son intention. Les jurisconsultes vous le témoignent, puisque c'est d'eux que la maxime est tirée ; vous n'en refuserez pas l'explication.

La prière pour les trépassés a été faite par toute l'ancienne Église ; Calvin même le reconnaît, les Pères l'ont prouvé par l'autorité du livre des Macchabées, et l'usage général de leurs prédécesseurs. Voyez la fin et le commencement du livre de S. Augustin qu'il a fait sur ce sujet : nous marchons sur leurs pas, et suivons leurs traces.

Ni les livres des Macchabées, ni l'Apocalypse, n'ont pas été sitôt reconnus que les autres : l'un et l'autre néanmoins le furent également au concile de Carthage, où S. Augustin assista. On a douté loisiblement de quelques livres canoniques pour un temps, desquels il n'est pas loisible de douter maintenant : les passages que j'ai cités sont si exprès, qu'ils ne peuvent être divertis à autre sens. Je vous conjure, par les entrailles de Jésus-Christ, de vouloir meshui lire et l'Écriture et les anciens Pères, avec un esprit déchargé de préoccupations : vous verrez que les parties principales et essentielles de la face de l'Église ancienne sont entièrement conservées en celle qui est maintenant.

On me dit que Dieu a mis en vous beaucoup de dons de nature ; n'en abusez pas pour forclore ceux de la grâce ; et considérez attentivement les qualités de la part en laquelle vous désirez conférer. Si la commodité le permettait, croyez que je ne la refuserais pas, non plus que je ne la refuserais pas aux sieurs ministres de Genève mes voisins, quand ils la désireront en bons termes (1).

Il ne serait pas possible de faire avec profit des conférences par écrit entre nous; nous sommes trop éloignés. De plus, et que pourrions-nous écrire qui n'ait été répété cent fois? Conférez à votre salut l'attentive méditation sur vos oraisons et sur les anciens Pères; et j'y conférerai mes pauvres et chétives prières que je présenterai à la miséricorde de notre Sauveur, auquel et pour l'amour duquel je vous offre mon service, et suis votre, etc.,



(1) Pendant que saint François de Sales travaillait à convertir à la religion catholique la partie de la Savoie qui borde le lac de Genève, appelé le Chablais, il reçut ordre du pape de demander une conférence à Théodore de Bèze, alors âgé de plus de soixante-dix ans, et qui avait succédé dans Genève à la suprématie de Calvin. Voici les détails de cette entrevue, telle qu'elle est rapportée par un des premiers historiens du Saint, M. de Maupas, évêque du Puy.

François, arrivé à Genève, rendit d'abord visite à Théodore de Bèze. Après les premières honnêtetés respectives, Bèze ayant consenti, à la conférence : « Monsieur, lui demanda François de Sales, peut-on se sauver dans l’Église romaine » Ce ministre, fort surpris, demanda un peu de temps avant que de répondre; et s'étant retiré dans son cabinet, on l'entendait marcher à grands pas, comme un homme fort agité : il en sortit au bout d'un quart-d'heure, et lui déclara franchement que c'était sans doute que l'on se pouvait sauver dans l'Église romaine puisqu'elle était la mère Église. « Pourquoi donc répartit notre « Saint, avez-vous planté votre religion prétendue réformée dans la France et ailleurs, avec l'effusion de tant de sang? Pourquoi ces embrasements, ces « destructions des temples, la ruine des autels, les séditions et les guerres pour établir votre créance? » A ces paroles; Bèze; jetant un profond soupir; dit d'une voix tremblante : « C'est que vous embrouillez les âmes dans votre religion; car vous croyez que les bonnes oeuvres sont nécessaires à salut, que nous autres disons n'être seulement que de bienséance ; et par cette nécessité que vous imposez aux peuples, il en arrive de très-grands maux, d'autant qu'ils croient être obligés de s'y exercer comme vous leur enseignez; et ne le faisant pas, ils font contre leur conscience et se damnent ; pour cette raison nous avons établi la nôtre, qui rend le chemin du ciel facile. » A quoi notre saint docteur repartit : « Monsieur, vous ne prenez pas garde que, par cette créance, « vous tombez en des labyrinthes, dont vous aurez peine à sortir ; car nier la nécessité des bonnes oeuvres au salut, n'est autre chose que renverser toutes les lois naturelles, humaines et divines, qui menacent les réfractaires et les mécréants de très cruels supplices, et promettent des lauriers immortels à ceux qui les observent. Il est certain que la charité qui n'opère point les bonnes oeuvres conformes à la foi dont elle fait profession, est morte, « étant impossible qu'elle soit sans agir dans une âme qui a cette sainte habitude.'»

François lui cita ensuite une multitude de preuves tirées de l'Écriture-Sainte et des Pères, sur la nécessité des bonnes oeuvres. Il termina par rapporter les paroles du jugement dernier, par lesquelles les méchants seront condamnés uniquement pour n'avoir pas fait de bonnes oeuvres. J'ai eu faim, et vous ne m'avez pas donné à manger, etc., etc.

« Cet homme endurci, continue l'historien, se trouvant sans réponse; entra dans une telle colère, qu'il s'emporta à dire beaucoup- d'injures; lé bienheureux oui savoir ménager ses passions entre le calme et la tempête, souffrit ses outrages avec autant de douceur qu'il avait témoigné de constance et de fermeté à le combattre durant trois ou quatre heures.» « Monsieur, lui dit-il, je ne suis pas venu ici pour vous fâcher ; à Dieu ne plaise,:j'étais seulement venu pour conférer avec vous de quelques points, et vous exposer à la bonne foi et tout franchement mes objections ; et je me réjouissais de pouvoir savoir votre sentiment sur icelles; mais puisque je vois que vous vous fâchez et mettez en colère, je vous prie de m'excuser, cela n'arrivera plus par ma faute, et jamais plus je ne traiterai de matières de controverses avec vous. » Bèze ayant ouï cette excuse, connût qu'il avait eu tort; et étant apaisé, lui demanda pardon de cette infidélité, disant que le zèle de sa religion l'avait emporté, et il le pria de venir le voir quelque autre fois. « Telle fut, dit un autre historien du Saint (Auguste de Sales son neveu), là « première entrevue du bienheureux François et de Théodore de Bèze. Les serviteurs du ministre et quelques citadins qui étaient en l'antichambre, regardèrent de travers le serviteur de Dieu quand il « se retirait, et ne différèrent pas de dire que c'était « un homme rusé et propre à faire des séditions: »



Saint François de Sales eut encore trois conférences avec Théodore de Bèze; après la dernière, lorsque François prit congé, Théodore de Bèze lui serra la main en lui disant : « Quant à moi, si je ne suis pas en bon chemin, je prie Dieu tous les jours, que par sa miséricorde, il lui plaise de m'y remettre; » et il répéta ces protestations au président Favre et à un autre ami du Saint qui l'avaient accompagné. Depuis, tous les ministres genevois, craignant les suites de ces entrevues, firent surveiller ce vieillard de si près qu'il ne fut plus possible à François de s'entretenir avec lui; Après sa mort,- qui arriva peu de temps après, François demanda une Conférence aux ministres de Genève ; mais le jour qui avait été convenu avec eux, les ministres s'y refusèrent sous divers-prétextes, notamment parce qu'il y avait un jésuite parmi les six ecclésiastiques qui devaient seconder François de Sales dans la dispute; Les ministres du Chablais, avec qui il avait aussi convenu d'une conférence, s'y refusèrent de même au jour marqué, et lorsque dix mille personnes étaient rassemblées pour les entendre; ce qui contribua beaucoup à la conversion des habitants de ce pays.

 Plusieurs années après, saint François de Sales ayant prêché le carême à Dijon, un ministre protestant de cette ville attaqua ce qu'il avait dit dans ses sermons et le défia à une conférence dans Genève même. Le Saint l'accepta ; et le baron de Lux, gouverneur de Bourgogne, se chargea d'en faire là proposition aux Genevois : ayant été visiter le pays de Gex, qui faisait partie de son gouvernement, il alla à Genève, et détermina les syndics à assembler le conseil des deux cents pour délibérer sur ce projet; mais ce conseil refusa constamment la proposition, en disant que leur religion n'avait pas besoin de dispute.





LETTRE DCCCLXXIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

Regarder ses croix à travers la croix de Jésus-Christ. - Garnier lettre 271

Madame, si Dieu vous a rendue plus forte et vaillante à supporter vos adversités, la gloire en soit à sa bonté, laquelle est toujours prompte au secours des âmes qui espèrent en lui: espérez donc toujours en lui, madame, et pour espérer en lui soyez toujours toute sienne, immolez souvent votre coeur à son amour.sur, l'autel même de la croix en laquelle il immola le sien pour l'amour de vous.

La croix est la porte royale pour entrer au temple de la sainteté. Qui en cherche ailleurs, n'en trouvera jamais un seul brin.

Madame, je ne vous dirai pas que vous ne regardiez point vos afflictions, car votre esprit qui est propre à répliquer, me dirait qu'elles se font bien regarder par l'âpreté de la douleur qu'elles donnent: mais je vous dirai bien que vous ne les regardiez qu'au travers de la croix, et vous les trouverez ou petites, ou du moins si agréables, que vous en aimerez plus la souffrance que la jouissance de toute consolation qui en est séparée.

Et me ressouvenant de cette croix extérieure que vous portiez, quand j'eus le contentement de vous voir, sur votre coeur ; aimez bien votre croix, ma chère dame, car elle est toute d'or, si vous la regardez de vos yeux d'amour : "et bien que d'un côté vous voyez l'amour de votre coeur mort et crucifié entre les clous et les épines, vous trouverez de l'autre un assemblage de pierres précieuses, pour en composer la couronne de gloire qui vous attend, si en attendant de l'avoir vous portez amoureusement celle d'épines avec votre roi, qui a tant voulu souffrir pour entrer en sa félicité. Vous connaîtrez bien que mon coeur se dilate en vous parlant, et que c'est une saillie de l'amour qu'il a pour le vôtre, que je conjure d'en faire aussi souvent devant Dieu, pour impétrer sa miséricorde sur moi qui suis en vérité, votre, etc.



 LETTRE DCCCLXXIV, A UNE DAME AFFLIGEE.

2017
F. de Sales, Lettres 2013