F. de Sales, Lettres 2017

2017
L'amour de Dieu rend douces les souffrances qui sont l'école de la perfection. - Garnier lettre 273

Si notre Seigneur vous donne quelque contentement, ma très-chère fille, en la véritable et non pareille dilection qu'il a mise dans mon coeur pour le vôtre, j'en bénis son saint nom et remercie sa providence, vous assurant fort fidèlement que ce m'est une consolation toute particulière de savoir que réciproquement votre âme chérisse puissamment la mienne de cet amour sacré que la divine bonté peut donner : fef si pour tout cela je ne veux pas vous prier de me le continuer, sachant bien qu'il est impérissable comme le motif duquel il prend sa source. Or sus, mais parmi tout cela, je ne suis pas sans variété d'amertumes intérieures, bien que je ne sache aussi qu'étant ce que vous êtes à notre Seigneur, votre amertume ne peut être qu'en paix (
Is 38,17), et que l'amour soulage votre douleur ; car vraiment j'ai un certain coeur de père, mais qui tient un peu du coeur de mère.

J'aime votre avancement en la solide piété ; et cet avancement requiert des difficultés, afin que vous soyez exercée à l'école de la croix, en laquelle seule nos âmes se peuvent perfectionner": mais je ne me puis empêcher des tendretés maternelles qui font désirer les douceurs pour les enfants. Soyez seulement courageuse, ma très-chère fille. Il n'est pas des rosiers spirituels comme des corporels: en ceux-ci les épines durent, et les roses passent ; en ceux-là les épines passeront, et les roses demeureront.

Je remercie infiniment mademoiselle N. de la charité qu'elle me promet. O qu'elle sera généreuse, si elle s'unit à celui qui, pour s'unir à nous, descendit du ciel en terre, et pour nous tirer à sa gloire embrassa notre abjection ! Ma très-chère fille, le porteur qui m'a apporté votre lettre, ne me donne que des moments pour vous écrire ; c'est pourquoi je finis, vous dédiant en notre Seigneur tout mon coeur et mes affections, votre, etc.




LETTRE DCCCLXXV, A UN GENTILHOMME

1989
Il console une personne qui, relevant de maladie, ressentait de grandes frayeurs de la mort et des jugements de Dieu. Il lui fait comprendre que le chagrin et la trop grande crainte de la mort sont une fâcheuse tentation. Avis et remèdes à ce mal.

Monsieur,

1. me voici certes en une grande peine de savoir combien vous en avez eu parmi cette forte et fâcheuse maladie de laquelle, comme j'espère, vous relèverez et dont j'eusse eu infiniment plus de déplaisir, si de toute part on ne m'eût assuré que, grâces à Dieu, vous n'avez été en nulle sorte de danger, et que vous commenciez à reprendre les forces et le chemin de la guérison.,

Mais ce qui me donne plus d'appréhension maintenant, c'est ce qu’on crie, qu'outre le mal que vous avez par les accidents corporels, vous êtes surchargé d'une violente mélancolie : car je m'imagine combien cela retardera le retour de votre santé, et engendrera des dispositions contraires.

Oiy c'est ici, monsieur, où mon coeur est grandement pressé ; et selon la grandeur de la vive et extrême affection dont il vous chérit plus qu'il ne se peut dire, il a aussi une extraordinaire compassion au vôtre : et s'il vous plaît, monsieur, dites-moi, je vous-supplie, quel sujet avez-vous de nourrir cette triste humeur qui vous est si préjudiciable ? Je me doute que votre esprit ne soit encore embarrassé de quelque crainte de la mort soudaine et des jugements de Dieu. Hélas ! que c'est un étrange tourment que celui-là ! Mon âme qui l'a enduré six semaines durant, est bien capable de compatir à ceux qui en sont affligés.

Mais, monsieur, il faut que je vous parle un peu coeur à coeur, et que je vous dise que quiconque a un vrai désir de servir notre Seigneur et fuir le péché, ne doit nullement se tourmenter de la pensée de la mort ni des jugements divins : car encore.que l'un et l'autre soit à craindre, si est-ce que la crainte ne doit pas être de ce naturel terrible et effroyable qui abat et déprime la vigueur et force de l'esprit; ains doit être une crainte tellement mêlée avec la confiance en la bonté de Dieu que par ce moyen elle en devienne douce.

2. Et ne faut pas, monsieur, que nous révoquions en doute si nous sommes en état de nous confier en Dieu, quand nous sentons des difficultés à nous garder du péché, ni quand nous avons défiance ou peur qu'es occasions et tentations nous ne puissions pas résister. Oh non, monsieur ; car la défiance de nos forces n'est pas un manquement de résolutions, ains une vraie reconnaissance de-notre misère. C'est un sentiment meilleur de se défier de pouvoir résister aux tentations, que non pas celui de s'en tenir pour assuré et assez fort, pourvu que ce qu'on n'attend pas de ses forces, on l'attende de la grâce de Dieu.

En sorte que plusieurs, qui, avec grande consolation, se sont promis de faire des merveilles pour Dieu, quand c'est venu au point ont manqué; et plusieurs qui ont eu grande défiance de leurs forces, et une grande crainte qu'à l'occasion ils ne manquassent, sur-le-champ ont fait merveilles : parce que ce grand sentiment de leur foiblesse- les a poussés à chercher l'aide et le secours de Dieu, à veiller, prier et s'humilier, pour ne point entrer en tentation (
Mt 26,41).

3. Je dis qu'encore que nous ne sentions en nous ni forces, ni même courage quelconque pour résister à la tentation, si elle se présentait maintenant à nous, pourvu que nous désirions néanmoins de résister, et espérions que si elle venait, Dieu nous aiderait, et lui demanderions son secours, nous ne devons nullement nous contrister d'autant qu'il n'est pas besoin de sentir «toujours de la force et du courage», et suffit qu'on espère et désire d'en avoir en temps et lieu; et n'est pas besoin qu'on sente en soi aucun signe, ni aucune marque qu'on aura ce courage-là, ains il suffit qu'on espère que Dieu nous aidera.

Samson, qui était appelé le fort, ne sentait jamais les forces surnaturelles dont Dieu l'assistait, sinon es occasions; et pour cela il est dit que quand il rencontrait les lions ou les ennemis, l'esprit de Dieu le saisissait pour les tuer (Jg 14,6 Jg 14,19 Jg 15,14), et que Dieu qui ne fait rien en vain, ne nous donne pas, ni la force, ni le courage quand il n'est besoin de l'employer, mais qu'es occasions jamais il ne manque ; et partant il faut toujours espérer qu'en toutes occurrences il nous aidera, pourvu que nous le réclamions. Et nous devons toujours nous servir des paroles de David (Ps 42,6 42,12 ; Ps 13,5) : Pourquoi es-tu triste, mon âme? Eh pourquoi me troubles-tu? Espère au Seigneur : et de l'oraison dont il usait (Ps 71,9) : Quand ma force défaillera, Seigneur., ne m'abandonnez point. Et bien donc, puisque vous désirez d'être tout à Dieu, pourquoi craindrez vous votre faiblesse, en laquelle aussi bien vous ne devez pas mettre aucune sorte d'appui ? N'espérez-vous pas en Dieu (Si 2,10-11)? Eh ! qui espère en lui, sera-t-il confondu ? Non, monsieur, jamais il ne lésera. Je vous conjure, monsieur, d'apaiser toutes les répliques qui se pourraient former en votre esprit, auxquelles il n'est besoin.de répondre autre chose, sinon que vous désirez d’être fidèle en toutes occurrences, et que vous espérez que Dieu fera que vous le serez, sans qu'il soit besoin d'essayer votre esprit s'il le ferait ou non ; car ces esprits sont trompeurs : et plusieurs sont vaillants quand ils ne voient pas l'ennemi, qui ne le sont pas en sa présence ; et au contraire plusieurs craignent avant l'escarmouche, auxquels le danger présent donne le courage : il ne faut pas craindre la crainte.

Voilà pour ce point, monsieur. Au demeurant Dieu sait ce que je voudrais faire et souffrir pour vous voir entièrement délivré. Je suis, votre, etc.




LETTRE DCGCLXXVI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

Consolation sur l'emprisonnement de son mari. C'est dans les afflictions que l'on doit marquer son amour à Notre Seigneur; elles sont préférables aux satisfactions. Il l'exhorte a mettre sa confiance en Dieu, et loi promet de s'employer pour l'élargissement du prisonnier. - Garnier lettre 275



Ma très-chère fille ; c'est maintenant que vous êtes en affliction, que vous devez témoigner à notre Seigneur l'amour que vous lui avez si souvent promis et protesté entre mes mains. Ce me sera une extrême consolation d'apprendre que votre coeur se comporte bien pour ce regard.

Recommandez-vous aux prières de saint Louis, lequel, après avoir longuement assisté et servi les malades de contagion en son armée, s'estima bienheureux d'en mourir, prononçant cette oraison pour ses dernières paroles : J'entrerai en ta maison, ô mon Dieu ; j'adorerai en ton temple, et confesserai ton nom (Ps 138,2). Remettez-vous en la Volonté divine, qui vous conduira selon votre mieux pour l'emprisonnement de votre mari. Je voudrais bien en cette occasion vous donner quelque sorte de Bonne consolation, mais je n'ai pas de quoi. Je prie donc notre Seigneur qu'il soit Votre consolation, et qu'il vous fasse bien entendre (Ac 14,21) que par plusieurs travaux et tribulations il vous faut entrer au royaume des cieux; et que les croix et afflictions sont plus aimables que les contentements et délectations (He 12,12) ; puisque nôtre Seigneur les a choisies pour soi et pour tous ses vrais serviteurs.

Ayez bon courage, ma chère fille, tenez ferme votre confiance en celui au service duquel vous Vous étés dédiée et abandonnée, car il ne vous abandonnera point : et cependant je m'emploierai de tout mon coeur, afin d'aider votre mari envers tous ceux que je crois avoir du crédit pour le faire délivrer, et que je saurai vouloir faire quelque chose à ma considération ; et déjà j'ai commencé ce bon office dès avant-hier vous chérissant toujours comme ma vraie fille, et tout ce qui vous appartient pour l'amour de notre Seigneur à qui vous appartenez, la volonté duquel soit faite ès siècles des siècles. Amen.



LETTRE DCCCLXXVh, A UNE DAME.

Le Saint console une dame sur quelques plaisanteries qu'on avait fait courir contre elle. L'unique remède à la calomnie est de dissimuler. Avis au sujet de la confession. Avantage de la revue de confession annuelle. Il est mieux de la faire au même confesseur auquel on a fait sa confession générale ; il n'est pas nécessaire d'y détailler le nombre ni les petites circonstances des péchés, mais seulement les défauts auxquels on est sujet. Une chute dans te pérhé mortel, et même plusieurs, n'empêchant pas le progrès dans la dévotion, pourvu qu'on n'y persévère pas, et qu'on sa hâte de la recouvrer. - Garnier lettre 277


Ma très-chère soeur, je n'ai pas eu le bien de voir monsieur N., mais je ne laissé pas de savoir que vous avez été affligée à raison de certains pasquins (1) qui ont couru par delà; et moi je voudrais bien porter toujours vos peines et travaux, ou au moins vous aider à les supporter. Mais puisque la distance de nos séjours ne permet pas que je vous secoure d'autre sorte, je prie notre Seigneur qu'il soit le protecteur de vôtre coeur, et qu'il en bannisse toute tristesse désordonnée.

Certes, ma très-chère soeur, la plupart de nos maux sont imaginaires plus que réels. Pensez-vous que le monde croie ces pasquins ? Il se peut faire que quelques-uns s'y amusent et que les autres entrent en quelque soupçon : mais sachez que votre âme étant bonne et bien résignée es mains de notre Seigneur, toutes sortes de telles attaques s'évanouissent au vent comme la fumée ; et plus le vent est gros, plus tôt elles disparaissent. Le mal de la calomnie ne se guérit jamais si bien que par la dissimulation, en méprisant les mépris et témoignant par notre fermeté que nous sommes hors de prise, principalement en matière de pasquins : car la calomnie qui n'a ni père ni mère qui la veuille avouer, montre qu'elle est illégitime.

Or sus, ma très chère soeur, je vous veux dire un mot que saint Grégoire disait a un évêque affligé (Mt 5,8) : Hélas ! dit-il, si votre coeur était au ciel, les vents de la terre ne l'émouveraient aucunement; à qui a renoncé au monde, rien de ce qui se passe de la part du monde ne peut nuire. Jetez-vous aux pieds du crucifix, et voyez combien d'injures il reçoit : suppliez-le par la douceur avec laquelle il les a reçues, qu'il vous donne la force de supporter ces petits bruits, qui, comme à sa servante jurée, vous sont tombés en partagé. Bienheureux sont les pauvres, car ils seront riches au ciel, le royaume leur appartenant : et bienheureux les injuriés et calomniés car ils seront honorés de Dieu.

Au reste, la revue annuelle de nos âmes fait ainsi que vous l'entendez, pour les défauts des confessions ordinaires qu'on supplée par celle-ci, pour se provoquer et exercer à une plus profonde humilité, mais surtout pour renouveler - non les bons propos, mais les bonnes résolutions, que nous devons appliquer pour remèdes aux inclinations, habitudes et autres sources de nos offenses auxquelles nous nous trouverons plus sujets;

Or, il est Vrai qu'il serait plus à propos de faire cette revue devant celui qui aurait déjà reçu la confession générale, afin que par la considération et rapport de la vie précédente à la vie suivante, on pût mieux prendre les résolutions requises en toutes façons ; cela serait plus désirable: mais les âmes qui, comme vous, n'ont pas cette commodité peuvent prendre celle de quelque autre confesseur le plus discret et sage qu'elles trouveront.

Pour votre secondé difficulté, je vous dis, ma très-chère soeur, qu'il n'est nullement besoin en votre revue de marquer particulièrement le nombre, ni les menues circonstances de vos défauts, ains suffit de dire en gros quelles sont vos principales chutes, quels vos premiers détractements d'esprit, et non pas, combien de fois vous, êtes tombée ; mais si vous, êtes fort sujette, et adonnée au mal. Par, exemple, vous ne devez pas vous enquérir combien de fois vous êtes, tombée en colère, car peut-être y aurait-il trop à faire. mais simplement dire si vous êtes sujette à ce dérèglement: si, lorsqu'il vous arrive, vous y demeurez engagée longuement; si c'est avec beaucoup d'amertume et de violence, et enfin quelles sont les occasions qui vous y provoquent le plus, souvent ; si c'est le jeu, la hautaineté ou orgueil, si, c'est la mélancolie, ou opiniâtreté, (or ceci, soit dit par exemple), : et ainsi en peu de temps vous aurez achevé votre petite revue, sans beaucoup tourmenter ni votre mémoire ni votre loisir.

Quant à la troisième difficulté, quelques chutes, es péchés mortels, pourvu que ce ne soit pas par dessein d'y croupir, ni avec un endormissement au mal, n'empêchent pas que l’on ait fait progrès en la dévotion, laquelle bien que l'on perde péchant mortellement, on la recouvre néanmoins au premier véritable repentir que l'on a de son péché, même comme je dis, quand on n'a pas longuement trempé au malheur : de sorte que ces revues annuelles sont grandement salutaires aux esprits qui sont encore un peu faibles ; car si bien les premières résolutions ne les ont point du tout affermis. Les secondes et troisièmes les affermiront davantage; et enfin à-force de se résoudre souvent, on demeure tout-à-fait résolu, et ne faut nullement perdre courage, ains avec une sainte humilité regarder son infirmité, l'accuser, demander pardon, et invoquer le secours du ciel. Je suis votre, etc.


(1) Pasquin signifie ici un bon mot, une raillerie fine, une satire courte et plaisante, mais piquante, que Ton fait courir contre les particuliers, ou contre les puissances, ou contre le public. Ce mot dérive du nom qu'on s donné a la statue d'un ancien gladiateur, qui est à Rome, à un coin du palais des Crsins ; et la statue elle-même a tiré son nom d'un fameux cordonnier nommé Pasquin, et grand railleur, devant la boutique duquel elle fut trouvée en fouillant la terre. A l'occasion de l'inclination a la raillerie qu'avait le cordonnier, on s'est avisé d'afficher à la statue des placards qui contiennent des traits satiriques contre le tiers et le quart. 11 y a à Borne, dans un autre quartier, une autre statue appelée Marforio, où l'on affiche de pareilles satires.Ordinairement on fait parler l'une des deux statues, «t l'autre lui répond, et les réponses sont courtes, rives, malignes et piquantes. C'est ce qu'on appelle pasquinades.




LETTRE D,C,ÇÇLXXYIII,,

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

La considération des souffrances du Sauveur est un moyen excellent pour nous consoler et nous fortifier dans nos peines. - Garnier lettre 278

C'est la vérité, ma très-chère fille, que rien ne nous peut donner une plus profonde tranquillité en ce monde, que de regarder souvent notre Seigneur en toutes les afflictions qui lui arrivèrent depuis sa naissance, jusqu'à sa mort: car nous y verrons tant de mépris, de calomnies, de pauvreté, d'indigence, d'abjections,1 de peines, de tourments, de nudités, d'injures et de toutes sortes d'amertumes, qu'en comparaison de cela nous connaitrons que nous avons tort d'appeler afflictions et peines, et contradictions, ces petits accidents qui nous, arrivent, et que nous avons tort de désirer de la patience pour si peu de chose j puisqu'une seule petite goutte de modestie suffit pour bien supporter ce qui nous arrive,.

Je connais fort-bien l'état de votre âme, et m'est avis que je la vois toujours devant moi avec toutes ces petites émotions de tristesse, d'étonnement et d'inquiétude qui la vont troublant, par.ee; qu'elle n'a pas jeté encore assez avant les fondements de l'amour delà croix et de l'abjection dedans sa volonté, Ma très-chère fille, un coeur qu’il estime et aime grandement Jésus-Christ crucifié; aime sa mort, ses peines, ses tourments, ses crachats, ses vitupères, ses disettes, ses faims, ses soifs, ses ignominies : et quand il lui en arrive quelque petite participation il en jubile d'aise et lés embrasse amoureusement.

Vous devez donc tous les jours, non pas en l'oraison, mais à part en vous promenant, faire une revue de notre Seigneur entré les peines de notre rédemption, et considérer quel bonheur vous sera d'y participer. : voir en quelle occasion ce bien-là vous peut arriver, c'est-à-dire les contradictions que vous, pourrez avoir en tous vos désirs \ mais surtout es désirs qui vous sembleront plus justes et légitimés : et puis avec un grand amour de la croix et passion de notre Seigneur, vous vous devez écrier avec saint André: Ô bonne croix, tant aimée de mon Sauveur, quand me recevrez-vous entre vos bras !

Voyez-vous, ma très-chère fille, nous sommes trop délicats d'appeler pauvreté un état auquel nous n'avons ni faim, ni froid, ni ignominies; mais seulement quelques petites incommodités en nos desseins. Quand nous nous verrons ressouvenez-moi que je vous parle un peu de cette tendresse et délicatesse de votre cher coeur ; car vous avez surtout besoin, pour votre paix et repos, d’être guérie de cela avant toutes choses, et de bien former en vous l'appréhension de l'éternité, en laquelle quiconque pensé souvent, il se soucie fort peu de ce qui arrivé en ces trois ou quatre moments de vie mortelle.

Puisque-vous êtes après à jeûner là moitié-des Avents, vous pouvez continuer jusqu'à la fin: je yeux bien que vous communiez, voire deux jours suivants quand il y aura des fêtes. Allez bien dévotement à la messe après dîner, c'est à la vieille façon des chrétiens. Notre Seigneur ne regarde pas à ces petites choses : là révérence consiste au coeur, il ne faut pas nourrir votre esprit en ces petites considérations. Adieu, ma très-chère fille, tenez-moi bien toujours pour tout vôtre : car en vraie vérité je le suis, etc. Dieu vous bénisse. Amen.






LETTRE DCGCLXXIX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

Comment il se faut comporter dans les grandes douleurs. Avis a ce sujet. On peut désirer et se procurer des remèdes, et ou doit en prendre, mais avec résignation à la volonté de Dieu. Les personnes infirmes peuvent faire leurs exercices spirituels dans une posture commode. - Garnier lettre 279

Ma chère fille, laissons pour un peu la méditation ; ce n'est que pour mieux sauter que nous reculons ; et pratiquons bien cette sainte résignation et cet amour pur de notre Seigneur, qui ne se pratique jamais si entièrement qu'emmi les tourments car d'aimer Dieu dedans le sucre, les petits enfants en feraient bien autant ; mais de l'aimer dedans l'absynthe, c'est là le coup de notre amoureuse fidélité. De dire : Vive Jésus sur la montagne de Thabor, saint Pierre tout grossier en a bien le courage : mais de dire : Vive Jésus sur le mont de Calvaire, cela n'appartient qu'à la mère et à l'amoureux disciple qui lui fut laissé pour enfant.

Or sus, ma fille, voyez-vous ; je vous recommande à Dieu pour obtenir pour vous cette sacrée patience ; et n'est pas en mon pouvoir de lui proposer rien pour vous, sinon que tout à son gré il façonne votre coeur pour s'y loger et régner éternellement. Qu'il façonne, dis-je, ou avec le marteau, ou avec le ciseau, ou avec le pinceau, c'est à lui d'en faire à son plaisir. Non pas, ma chère fille : Faut-il pas faire ainsi ?

Je sais que vos douleurs se sont augmentées depuis peu, et à même mesure les déplaisirs que j'en ai ; bien qu'avec vous je loue et bénis notre Seigneur de son bon plaisir qu'il exerce en vous, vous faisant-participer à sa sainte croix, et vous couronnant de sa couronne d'épines,

Mais, ce me dites-vous, vous ne pouvez guère arrêter votre pensée sur les travaux que notre Seigneur a soufferts pour vous, tandis que les douleurs vous pressent. Hé bien ! ma chère fille, il n'est pas aussi requis que vous le fassiez ; ains que tout simplement vous éleviez le plus fréquemment que vous pourrez votre coeur à ce Sauveur, et que vous fassiez ces actions. Premièrement, d'accepter le. travail de sa main, comme si vous le voyez, lui-même, vous l'imposant et fourrant en votre tête ; 2° Vous offrant d'en souffrir encore davantage ; 5° L'adjurant par le mérite de ses tourments, d'accepter ces petites incommodités en l'union des peines qu'il soufltit.sur la croix; 4° Protestant que vous voulez non-seulement souffrir, mais aimer et caresser ces maux comme envoyés d'une si bonne et si douce main ; 5° Invoquant les martyrs et tant de serviteurs et servantes de Dieu, qui jouissent du ciel pour avoir été fort affligés en ce monde.

Il n'y a nul danger à désirer du remède, ains il le faut soigneusement procurer : car Dieu qui vous a donné le mal, est aussi l'auteur des remèdes. Il faut donc les appliquer, avec telle résignation néanmoins, que si sa divine majesté veut que le mal surmonte, vous y acquiescerez ; s'il veut que le remède vainque, vous l'en bénirez.

Il n'y a point de danger, en faisant les exercices spirituels, d'être assise. Nullement, ma fille ; mais je dis pour beaucoup moins d'incommodités que celle que vous souffrez.

Mon Dieu, ma fille, que vous êtes heureuse, si vous continuez à vous tenir sous la main de Dieu humblement, doucement et souplement! Ah! j'espère que ce mal de tête profitera beaucoup à votre coeur : votre coeur, dis-je, que le mien chérit d'un amour tout particulier. C'est maintenant, ma fille, que plus que jamais, et à très-bonnes enseignes, vous pouvez témoigner à notre doux Sauveur que c'est de toute votre affection que vous avez dit et direz, Vive Jésus : Vive Jésus, ma fille, et qu'il règne parmi vos douleurs, puisque nous ne pouvons régner ni vivre que par celle de sa mort. Je suis en lui tout entièrement vôtre.


LETTRE DCCCLXXX, A UNE DAME.

2010
Consolations sur la mort de son père. - Garnier lettre 280

Or sus, ma très-chère fille, il faut donc que votre coeur souffre l'absence dès maintenant de monsieur votre père, puisqu'enfin la Providence divine l'a tiré à soi et mis hors de cette chétive vie mortelle, en laquelle nous vivons en mourant et mourons continuellement en vivant.

Pour moi, ma très-chère fille, je ne veux point vous présenter d'autre consolation que Jésus-Christ crucifié, à la vue duquel votre foi vous consolera : car après cette mort du Sauveur, toute mort est heureuse à ceux qui, comme le défunt duquel je parle, meurent au giron.et avec le secours de la sainte Église; et quiconque se glorifie en la mort de notre Seigneur, jamais il ne se désolera en la mort de ceux qu'il a rachetés et reçus pour siens.

Ma fille, qui aspire à l'éternité, se soulage aisément des adversités de cette vie, qui ne dure que de légers, chétifs et courts moments (cf.
2Co 4,17). En cette éternité, nous jouissons derechef de la société des nôtres, sans jamais en craindre la séparation.

J'ai accoutumé de dire à toutes les âmes qui s'adressent à moi, mais je vous le dis très-particulièrement à vous, qui êtes si particulièrement ma fille, qu'il faut élever le coeur en haut, ainsi que dit l'Église au saint-sacrifice. Vivez avec des pensées généreuses et magnifiques, qui vous tiennent attachée, à cette éternité et à cette sacrée Providence, qui n'a disposé ses moments mortels que pour cette vie éternelle! Ce coeur ainsi généreusement Relevé est toujours humble: car il est établi en la vérité, et non en la vanité ; il est doux et paisible, car il ne tient compte de ce qui le peut troubler. Mais quand je dis qu'il est doux et paisible, je ne veux point dire qu'il n'ait point de douleur ni de sentiments d'affliction. Non certes, m'a chère fille, je ne dis pas cela : mais je dis que les souffrances, les peines, les tribulations sont accompagnées d'une si forte résolution de lés souffrir pour Dieu, que toute cette amertume, pour amère qu'elle soit, est en paix et tranquillité.

Je vous écris bien pressé, et avant que d'avoir vu pas un de messieurs vos parents ; et ce sera presque ordinairement que je vous écrirai de même façon, puisque je ne veux perdre l'occasion. Je suis d'une affection incomparable, votre, etc.




LETTRE DCCCLXXXI.

S. FRANÇOIS DE SALES, À UNE DAME.

Le Saint la console sur la mort de son fils tué à la guerre. - Garnier lettre 281

 Madame, bien que je n'eusse pas eu le bonheur de vous connaître quand j'eus la première nouvelle de vos déplaisirs, si est-ce que je ne laisse pas d'être touché vivement de compassion pour votre coeur, m'imaginant combien forte avait été cette inopinée secousse ; et si mes souhaits eussent été autant pleins d'efficace, comme ils le furent d'affection et de tendreté, je crois que dès lors vous eussiez ressenti quelque sorte de véritable allégement ; mais madame, les pensées des hommes sont vaines et inutiles en elles-mêmes, Dieu seul est le maître et le consolateur des coeurs, c'est lui seul qui apaise les âmes de bonne volonté. Or, celles-là sont de bonne volonté ès-quelles Dieu met son bon plaisir ; et il met son bon plaisir es âmes qui, selon sa bonne volonté, espèrent en lui.

 Que ce fut un bon avis, madame, que celui que vous reçûtes de son inspiration, vous proposant de vous retirer pour un peu delà presse de la consolation du monde, quoique bon consolateur, pour en repos mettre la plaie de votre coeur es mains du médecin et opérateur céleste, puisque même les médecins terrestres confessent que nulle guérison ne peut se faire, sinon en la quiétude et tranquillité ! Les paroles intérieures que Dieu dit au coeur affligé qui recourt à sa bonté, sont plus douces que le miel, plus salutaires que le baume précieux à guérir toutes sortes d'ulcères.

Le coeur qui s'unit au coeur de Dieu ne se peut empêcher d'aimer et d'accepter enfin suavement les traits que la main de Dieu décoche sur lui. Votre sainte Blandine (1) ne trouvait point de plus grand soulagement parmi les blessures de son martyre, que la sacrée cogitation qu'elle exprimait, soupirant ces trois douces paroles : Je suis chrétienne. Bienheureux est le coeur qui sait bien employer ce soupir.

Madame, je vous dirai volontiers pour remède à votre douleur, que qui veut exempter son coeur des maux de la terre, il le faut cacher dans le ciel ; et comme le dit David (Ps 31,21) : Il faut musser notre esprit dans le secret du visage de Dieu, et dans le fond de son saint tabernacle. Regardez bien à l'éternité à laquelle vous tendez, vous trouverez que tout ce qui n'appartient pas à cette infinie durée ne doit point mouvoir notre courage. Ce cher fils est passé de ce monde à l'autre sous de bons auspices, à la suite de son devoir envers Dieu et le roi : ne voyez plus ce passage qu'en l'éternité.

Madame, on me presse de donner cette lettre qui est déjà trop longue pour être si peu considérée. Je bénis Dieu, de quoi les soeurs de sainte Marie vous ont été agréables en cette occasion de votre retraite. Je sais qu'elles se tiennent pour avoir été grandement honorées et édifiées de votre séjour parmi leur abjection, et glorieuses que monseigneur l'archevêque les ait favorisées de son commandement, qui, en toute rencontre, leur doit être très-cher, et particulièrement quand il regardera votre consolation. Je suis à jamais de tout mon coeur, votre, etc.



(i ) Sainte Blandine, martyre au second siècle de l'Église, était de condition servile, et d'une complexion fort faible ; elle souffrit avec plusieurs autres chrétiens à Lyon.




LETTRE. DCCCLXXXII.

S. FRANÇOIS. DE SALES, A UNE DAME VEUVE.

Consolations sur la mort de son mari. Il lui recommande le soin de l'éducation de ses enfants. - Garnier lettre 282


Madame, vous ne sauriez croire combien m'est sensible l'affliction que vous avez. J'honorais avec une affection toute particulière ce cher seigneur trépassé pour plusieurs respects, mais celui de sa vertu et piété tenait lieu de fondement. Quelle pitié, qu'en une saison en laquelle il est si grande disette de telles âmes parmi les gens de ce rang- là, nous voyions et souffrions ces pertes si dommageables au public !

Néanmoins, tria chère dame, toutes choses considérées, il faut accommoder, nos coeurs à la condition de la vie en laquelle nous sommes : c'est une vie périssable et mortelle ; et la mort qui domine sur cette vie, ne tient point de train ordinaire; elle, prend tantôt ci, tantôt là, sans choix ni méthode quelconque, les bons parmi les mauvais, et les jeunes parmi les vieux.

O que bienheureux sont ceux qui, vivant en continuelle défiance de mourir, se trouvent toujours prêts à mourir, en sorte qu'ils puissent revivre éternellement en la vie où il n'y a plus de mort ! Notre bien aimé trépassé était de ce nombre là je le sais bien. Cela seul, madame, est suffisant pour nous consoler : car enfin, en peu de jours, ou tôt ou tard, en peu d'années nous le suivrons. En ce passage, et les amitiés et sociétés commencées en ce monde se reprendront pour ne recevoir jamais de séparation. Cependant ayons patience, et attendons courageusement que l'heure de notre départ sonne pour aller où nos amis sont déjà arrivés; et puisque nous les avons aimés cordialement, persévérons à les aimer; faisons pour l'amour d'eux ce qu'ils ont désiré que nous fissions, et ce que maintenant ils souhaitent pour nous.

Sans doute, ma chère dame, le plus grand désir que monsieur votre trépassé, eut à son départ fut que vous ne trempassiez pas longuement dans le regret que son absence vous causerait, mais que vous tâchassiez de modérer pour l'amour de lui la passion que son amour vous donnait; et maintenant en son bonheur dont il jouit, ou qu'il attend en assurance, il vous souhaite une sainte consolation : et que modérant votre tribulation vous conserviez vos yeux pour un meilleur sujet que les larmes, et votre esprit pour de plus désirables occupations que celles de la tristesse.

Il vous à laisse des gages précieux de votre mariage : conservez vos yeux pour, regarder à leur nourriture, conservez votre esprit pour relever le leur. Faites cela, madame, pour l'amour de ce cher mari; et vous imaginez qu'il vous en a prié à son départ, et qu'il vous demande encore cet office : car en vérité il l'eût fait s'il eût pu et il désire cela de vous à présent; tout le reste de vos passions peut être selon votre coeur, qui est encore en ce monde, mais non pas selon le sien qui est en l'autre:

Et puisque la vraie amitié se plaît à complaire aux justes agréments de forai., pour complaire à monsieur votre-mari consolez-vous vous-même ; soulagez votre esprit et relevez votre courage: Que si ce conseil que je vous donne avec une sincérité nonpareille vous est agréable, pratiquez-le vous prosternant devant notre Seigneur, acquiesçant à son ordonnance, et considérant l'âme de ce cher défunt, qui désire à la vôtre une vraie et chrétienne résolution, et vous abandonnant, du tout à la céleste providence du Sauveur de votre âme, votre protecteur qui vous aidera et vous secourra, et enfin vous réunira avec votre trépassé, non point en qualité de femme avec son mari,-mais d'héritière du ciel avec son cohéritier, et de fidèle amante avec son fidèle amant.

J'écris, ceci, madame; sans loisir et presque sans haleine, vous offrant mon très-affectionné service qui vous est dès longtemps acquis, et celui encore que les mérites et là bienveillance de monsieur votre mari envers moi pouvaient exiger de mon âme.

Dieu soit au milieu de votre coeur. Ainsi soit-il.




LETTRE DÇÇCLXXXIJL ;

 S; FRANÇOIS DE SALES, A UN DE SES AMIS.

Il le console de la mort de son frère. - Garnier lettre 287



Mon cher frère, (car je suis en la place de celui que notre bon Dieu a retiré près de lui), on me vient de dire que vous pleurez continuellement pour cette véritablement bien sensible séparation. Il ne faut nullement que cela soit; car, ou vous pleurez sur lui, ou pour vous : si c'est sur lui, pourquoi pleurer, que notre frère est en paradis où les pleurs n'ont plus de lieu ? Que si pour vous, n'y a-t-il point trop d'amour-propre ?

Je parle avec vous ainsi franchement, d'autant qu'on jugera que vous vous aimez, plus que son bonheur qui est incomparable. Et voudriez-vous que pour vous il ne fût pas avec celui (Ac 17,28) qui nous donne la vie, le mouvement et l'être tous tant que nous sommes, qui acquiesçons à son saint plaisir et divine volonté? ,

Mais venez nous: voir, et souvent (Jn 16,20 Jn 16,22) et nous convertirons les pleurs en joie, nous souvenant ensemble de celle de laquelle notre bon frère jouit, et laquelle jamais plus ne lui sera ôtée ; et en somme, pensez souvent en elle et en lui, et vous vivrez joyeux, comme je le souhaite de mon coeur, avec lequel je me recommande à vos prières, et vous assure que je suis votre.




LETTRE DCCCLXXXIV

S. FRANÇOIS de SAXES, A UNE DAME DONT LE MARI AVAIT VOULU SE BATTRE EN DUEL

Le Saint lui montre le malheureux état des personnes qui en viennent aux effets, et l'horreur qu'il a de cette sorte de combat; cependant il la console, et lui assure que son mari n'a point encouru l'excommunication. - Garnier lettre 290


Ma très-chère fille, je vois par votre lettre l'état de l'âme du cher mari, par le duel désigné et non commis, auquel il s'était résolu. Je ne pense pas qu'il y ait excommunication, car il n'est venu à aucun effet porté par les canons:

Mais, ma très-chère fille, je confesse que je suis scandalisé de voir des âmes bonnes catholiques, et qui d'ailleurs ont de l'affection à Dieu, être si peu soigneuses du salut éternel, que de s'exposer au danger de ne voir jamais la face de Dieu, et de voir à jamais et sentir les horreurs de l'enfer. En vérité, je ne puis penser comme l'on peut avoir un courage si déréglé, même pour des bagatelles et choses de rien.

L'amour que je porte à mes amis, mais spécialement au cher mari, me fait hérisser les cheveux en tête, quand je sais qu'ils sont en tel péril; et ce qui me tourmente le plus, c'est le peu d'apparence qu'il y a qu'ils aient le vrai déplaisir qu'il faut avoir de l'offense de Dieu, puisqu'ils ne tiennent compte de s'en empêcher à l'avenir. Que ne ferais-je pour obtenir que telles choses ne se fissent plus!

 Or je ne dis point ceci pour vous inquiéter. Il faut espérer que Dieu nous amendera tous ensemblement, pourvu que nous l'en supplions comme il faut. Procurez donc que le cher marine confesse ; car encore que je ne pense pas qu'il soit en excommunication, il est néanmoins en un terrible péché mortel, duquel il faut qu'il sorte soudain ; car l'excommunication ne se contracte qu'avec les effets ; mais le péché se contracte par la volonté.

Je pense que j'aurai bientôt le bracelet de la présence de Dieu, que je supplie vous bénir de toutes les désirables bénédictions que vous puissiez désirer, ma très chère fille. Votre, etc.




LETTRE DCGCLXXXV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MESSIEURS DE VILLERS.

Compliment de condoléance sur la mort de leur père. - Garnier lettre 291

Messieurs, quand le bon-père Arniset m'a dit l'autre jour à Lyon que notre bon père était trépassé; je vous assure que je fus touché vivement de la passion que les enfants ont accoutumé de sentir quand leur père les quitte : car je le respectais et honorais ainsi finalement ce bon père, qui m'y avait obligé-en autant de façons qu'il se pouvait faire.

Mais puisque tel a été le bon plaisir de Dieu qu'il s'en allât en son repos, non-seulement j'acquiesce, ains je loue la divine Providence qui lui a donné vin bon long séjour en cette vie mortelle; et ce qui importe le plus, l'a conduit si aimablement par le Chemin de sa crainte et de sa grâce, que nous avons tout sujet d'être assurés, qu'il lui fait jouir maintenant de sa gloire. C'est en quoi vous puisez sans doute la grande raison de votre consolation, et vivez, comme j'espère, satisfaits d'être enfants d'un tel père, et d'avoir si longtemps été en l'école de sa vertu et piété. Il ne me reste donc plus en cette occasion, que de vous supplier de me vouloir toujours conserver en l'honneur et contentement qu'il m'avait accordé pour toute ma vie, qui est que je serais de votre maison, et censé comme l'un de ses enfants votre frère. Je le serai de mon côté en affection, et n'oublierai jamais l'extrême devoir que j'ai à la mémoire de ce père, et au service de sa postérité.

Vous suppliant encore, messieurs, de me permettre qu'avec cette lettre je dise la même vérité, et fasse la même-prière à mesdemoiselles vos chères épouses, desquelles j'estime et aime infiniment les bonnes et dévotes âmes, et auxquelles comme à vous je ne cesserai jamais de souhaiter les plus favorables bénédictions du ciel, demeurant à toujours de tout mon coeur, messieurs, votre, etc.




LETTRE DCCÇLXXXVI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A M. FAVRE (1), PREMIER PRÉSIDENT DU SENAT DE SAVOIE, SON INTIME AMI.

Le saint évêque se réjouit dans la pensée de l'éternité. Souhaits et bénédictions pour la Nouvelle année. - Garnier lettre 297


Mon frère, je finis cette année avec le contentement de vous pouvoir présenter le souhait que je fais sur vous pour la suivante. Elles passent donc ces années temporelles, monsieur mon frère, leurs mois se réduisent en semaines, les semaines en jours, les jours en heures, et lés heures en moments, qui sont ceux-là seuls que-nous-possédons ; mais que nous ne possédons qu'à mesure qu'ils périssent, et rendent notre durée périssable, laquelle pourtant nous en doit être plus aimable; puisque cette vie étant pleine de misère, nous ne saurions y avoir aucune plus solide consolation, que celle d'être-assurés qu'elle se va dissipant pour faire place à cette sainte éternité qui nous est préparée en l'abondance de la miséricorde de Dieu, et à laquelle notre âme aspire incessamment par les continuelles pensées que sa propre nature lui suggère, bien qu'elle, ne la puisse espérer que par d'autres pensées plus relevées; que l'auteur de la nature répand sur elle.

 Certes, monsieur mon frère, je ne suis jamais attentif à l'éternité qu'avec beaucoup de suavité ; car, dis-je, comme est-ce que mon âme pourrait étendre sa cogitation à cette infinité si elle n'avait quelque sorte de proportion avec elle ? Certes, toujours faut-il que la faculté qui atteint un objet, ait quelque sorte de convenance avec icelui. Mais quand je sens que mon désir court après ma cogitation sur cette-même éternité, mon aise prend un accroissement nonpareil; car je sais que nous ne désirons jamais d'un vrai désir que les choses possibles. Mon désir donc réassure que je puis avoir l'éternité : que me reste-t-il plus que d'espérer que je l'aurai ? Et, cela m'est donné par la connaissance de l'infinie bonté de celui qui n'aurait pas créé une âme capable de penser et de tendre à l'éternité, s'il n'eût voulu lui donner les moyens d'y atteindre. Ainsi, monsieur mon frère, nous nous trouverons au pied du crucifix, qui est l'échelle par, laquelle de ces années temporelles nous passons aux années éternelles.

Or, je souhaite donc sur votre chère âme, que cette année prochaine soit suivie de plusieurs autres, et que toutes soient utilement employées pour la conquête de l'éternité. Vivez longuement, saintement et heureusement, entre les-vôtres ici-bas parmi ces moments périssables, pour revivre éternellement en cette immuable félicité pour laquelle nous respirons. Voilà comme mon coeur s'épanche devant le vôtre, et fait des saillies qu'il ne ferait pas sans cette confiance que lui donne l'affection qui me rend votre, etc.


(1) M. le président Favre était le plus ancien et le plus intime ami de saint François de Sales. Sa grande capacité fit réunir sur sa tête les premières charges de son pays; il fut à la fois premier président du sénat, et gouverneur de la Savoie, et s'illustra en même temps par d'excellents ouvrages de droit, qui sont cités encore avec honneur par nos jurisconsultes. Lé président Favre sanctifiait dés occupations si multipliées par une grande piété, un amour ardent pour les pauvres et les affligés, et une humilité plus rare encore que son-mérite. Il rendait compte de l'état de son âme à son saint ami, et fréquentait chaque semaine, avec toute sa famille, les sacrements de pénitence et d'eucharistie.

En 1619, le duc de Savoie chargea le saint évêque de Genève et le président Favre d'accompagner son fils, le cardinal de Savoie, à là cour de France, où il allait faire la demandé solennelle de Christine de France, soeur de Louis XIII, pour le prince de Piémont. Pendant ce voyage on tenta de fixer en France deux hommes de ce mérite. Louis XIII fit offrir à M. Favre la place de premier président du parlement de Toulouse qui était alors vacante; et le cardinal de Retz, archevêque de Paris, pressa saint François de Sales d'accepter d'être son coadjuteur, lui offrant en même temps de la part du roi une pension de vingt mille livres; mais le saint évêque de Genève refusa, comme il avait fait du temps de Henri IV, et le président Favre voulut de même rester fidèle à son pays. Saint François de Sales prêcha le carême à l'église de Saint-André-des-Arcs, « où il se vit aussitôt écouté, dit un auteur du temps, par les cardinaux, les évêques, les princes du sang, les chevaliers de l'ordre, les conseillers et autres seigneurs de marque qui accoururent de tous côtés ; et ne se peut dire combien de fruit ce serviteur de Dieu fit, pendant son séjour à Paris, soit en prêchant au peuple, soit en entendant les confessions des pénitents, soit par ses entretiens particuliers et discours familiers : même par sa façon et sainte majesté qui ressentait entièrement son homme du ciel, il engendrait l'amour de la vertu dans les coeurs de ceux qui le considéraient. »

Ce fut dans ce temps que saint Vincent de Paul, qui se lia d'amitié avec lui, disait « que quand il voulait se représenter le fils de Dieu conversant avec les hommes, il ne trouvait point d'autre image que celle du saint évêque de Genève. Saint François de Sales connut aussi tout le mérite de saint Vincent de Paul, qui était encore jeune, et qui n'avait fait aucun des établissements qui ont rendu son nom si cher, et sa gloire immortelle, même parmi les hommes. Le saint évêque lui confia la direction de madame de Chantal, qui était alors à Paris,- et celle des religieuses de la Visitation qu'elle venait d'y fonder. Il repartit au commencement de 1620 avec l'ambassadeur qui amena Christine de France en Savoie. Cette princesse lui confia le soin de son âme, et le fit son premier aumônier ; mais le saint évêque ne voulut accepter que le titre de cette charge, et retourna dans son diocèse.

La cour de France donna une pension de deux mille livres au président Favre ; mais il la fit passer sur la tête de son second fils, M. de Vaugelas, qui s'établit en France, et fut chambellan de Gaston duc d'Orléans ; c'est l'auteur des Remarques sur la langue française, et de la traduction de Quinte-Curce.






LETTRE DCCCLXXXVII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UN ÉVÊQUE.

Il faut de la patience à celui qui enseigne la doctrine.



 Monseigneur, je me réunis avec votre peuple qui a le bien de recevoir de votre bouche les eaux salutaires de l'Évangile, et m'en réjouirais bien davantage s'il les recevait avec l'affection et reconnaissance qui est due à la peine que vous prenez de la répandre si abondamment ; mais, monseigneur, il faut beaucoup souffrir des enfants, tandis qu'ils sont en bas âge, et bien que quelquefois ils mordent le tétin qui les nourrit, il ne faut pas pourtant le leur ôter. Les quatre mots du grand apôtre nous doivent servir d'éthème :

Opportune, importune in omni patientia et doctrina il met la patience la première, comme plus nécessaire, et sans laquelle la doctrine né sert pas de rien. Il veut bien que nous souffrions qu'on nous trouve importuns, puisqu'il nous enseigne d'importuner par son importuné ; continuons seulement à bien cultiver, car il n'est point de terre si ingrate que l'amour du laboureur ne féconde. J'attendrai cependant les livres qu'il vous plaît me promettre, qui tiendront à mon étude le rang convenable à l'estime que je fais de leur auteur, et à l'amour parfait avec lequel je lui porte et porterai toute ma vie honneur, respect et révérence.

Je suis, monseigneur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

Le bon père Poissard est venu de par delà le diocèse ; il a vu le père Desgranges à qui il a fait connaitre le plan du pont de Seulles que monseigneur a le projet de faire élever en bas du couvent des Carmélites. Le pauvre peuple louera Dieu ; car le service lui sera très-utile.

François, évoque de Genève.






FIN DU TOME TROISIÈME.






37e LETTRE. A MADAME DE LA FLÉCHÈRE

Pour l'exhorter à conserver, durant les rades épreuves de sa grossesse, le calme d'esprit et la sérénité d'âme nécessaires pour les supporter avec résignation.
Annecy, 13 juillet 1608.
Madame,
Je n'ai pas répondu ci-devant à votre dernière lettre, parce que je n'ai point rencontré de porteur assuré, et maintenant, je n'ai pas le loisir requis pour vous bien satisfaire. J'ai voulu néanmoins vous écrire, pour simplement vous témoigner que je prie tous les jours Notre Seigneur pour vous, mais je dis d'une affection toute spéciale, le requérant qu'il vous assiste de ses saintes consolations parmi les travaux que votre grossesse vous donnera. Voyez-vous, madame, je m'imagine que l'humeur mélancolique se prévaudra de votre grossesse pour vous attrister beaucoup, et que vous voyant triste, vous vous inquiéterez; mais ne le faites pas, je vous prie. Si vous vous trouvez pesante, triste et sombre, ne laissez pas pour cela de demeurer en paix, et bien qu'il vous semblera que tout ce que vous ferez se fasse sans goût, sans sentiment et sans force, ne laissez pourtant pas d'embrasser Notre Seigneur crucifié et de lui donner votre cœur, et consacrer votre esprit avec vos affections telles quelles et toutes languissantes qu'elles sont. La bienheureuse Angeline de Foligni disait que Notre Seigneur lui avait révélé, qu'il n'avait nulle sorte de bien tant agréable que celui qui lui é tait fait par force, c'est-è-dire, que celui qu'une volonté bien résolue lui fait contre les alanguissements de la chair, les répugnances de la partie inférieure, et au travers des sécheresses, tristesses et désolations intérieures. Mon Dieu, ma chère fille, que vous serez heureuse si vous êtes fidèle en vos résolutions, parmi les croix qui se présentent à celui qui vous aima si fidèlement jusqu'à la mort, et la mort de la croix (Ph 2,8). J'écrirai au premier loisir sur le sujet de votre lettre dernière, et à monsieur de Miendry 483 et à madame La Porest, votre bonne sœur. Demeurez avec Jésus, vivez en lui et par lui, qui m'a fait
Votre serviteur tout dédié,
FRANÇOIS, évêque de Genève.


133e LETTRE, A S. A. CHARLES-EMMANUEL Ier, DUC DE SAVOIE.

1530
F. de Sales, Lettres 2017