F. de Sales, Lettres 1667

LETTRE CCCCLV, A M. DE FORAX, GENTILHOMME ORDINAIRE DE LA CHAMBRE DE M. LE DUC DE NEMOURS.

1667
(Communiquée par M. le curé de S.-Louis en l'isle.)

Le Saint donne à un de ses parents des nouvelles de sa famille.

Annecy, 2 juin 1620.

Monsieur mon très-cher frère, je ravis ce moment pour vous saluer très-humblement, et madame ma très-chère soeur ma fille, et vous affirmer que tout ce qui vous appartient ici se porte bien, et, comme je pense, encore à Turin, où, ainsi que je vois, notre commun frère (1) arrêtera encore un mois ou six semaines, afin de rendre quelque bon service à Madame (2) après son sacre, et que revenu ici je puisse aller là en sa place.

Ce porteur est toujours lui-même : si l'air de Paris pouvait un peu mûrir son esprit, ce lui serait un grand bonheur. Il m'a grandement vanté l'honneur qu'il dit avoir de votre bienveillance : ce serait bien la plus avantageuse qualité qu'il pût posséder, si Monsieur lui fait du bien, et même il prétend, peut-être s'assujettira-t-il plus qu'il n'a fait jusqu'à présent à mieux vivre.

Voilà tout; car, pressé que je suis, je diffère d'écrire à la bonne mère de Chantal jusqu'à vendredi ou samedi, que je pourrai prendre plus de loisir. Que si vous avez agréable de lui faire savoir, elle en sera consolée. Aimez-moi toujours, s'il vous plaît, et vous en supplie très humblement, monsieur mon frère, et croyez qu'à jamais je serai votre très-humble, etc.

P. S. Je vous supplie de trouver bon que je salue en ce petit bout de lettre monsieur et mademoiselle Ronsolet.

(1) M. Jean François de Sales, frère du Saint, et évêque de Chalcédoine.
(2) Madame la princesse de Piémont.



LETTRE CCCCLVI, A LA MERE JEANNE-CHARLOTTE DE BRECHARD, SUPERIEURE DE LA VISITATION A MOULINS.

1672
(Tirée du monast. de la Visitât, de la ville du Mans.)



Le saint prélat donne à 1a mère de Brechard, qui était supérieure du monastère de Sainte-Marie à Moulins, étant choisie pour fonder un autre monastère de son ordre à Nevers, avis de quelques mesures qu'il y avait à prendre pour les obédiences et le transport des soeurs.



Annecy, 9 juin 1620.

1. Ainsi que ces bons pères me venaient dire adieu, j'ai reçu votre lettre, ma très-chère fille, du 22 mai, à Iquelle je réponds vitement.

L'obédience de monseigneur de Lyon suffira pour toutes, puisque vous êtes sous sa direction et autorité maintenant : car, quant à mon consentement, vous l'avez déjà. Nous ferons partir nos soeurs au plus tôt, mais non pas à l'aventure sitôt que vous désireriez ; car, nous n'en voudrions pas faire deux troupes, et il en faut pour Paris et Orléans encore ; mais vous serez si proches, que quand vous seriez contraintes de partir avant l'arrivée de celle qu'on y enverra pour Moulins, vous la pouvez bien instruire, outre que ma soeur du Chatelut soutiendra bien pour un peu.

J'écrirai pour monsieur le général, sitôt que je pourrai, et au moins par la soeur qui ira là, laquelle nous voudrions être grandement excellente : mais il est malaisé d'en trouver de telles. Je serai bien en peine si monsieur le maréchal de Saint-Géran m'écrit, ce qu'il n'a pas fait jusques à présent. Dieu me donnera la réponse, s'il lui plaît.

2. Les règles sont imprimées à Lyon, et crois que nos soeurs de Lyon en ont quantité de copies. Il y a mille fautes, et surtout celle de la fin, où en lieu d'Approbation, on a mis Épilogue. Encore qu'es règles de S. Augustin il y en ait qui ne sont pas pour ce temps, il n'y a point de danger de les lire, tant pour la révérence du saint que pour les bonnes conséquences qu'on en peut tirer.

S'il est possible, faites-vous porter en carrosse jusqu'à la porte de votre monastère à Nevers ; et quoiqu'on vous aille au rencontre, ne descendez pas, et vous excusez sur ce que la barque.sur l'eau, ou le carrosse sur la terre, sont vos monastères portatifs. Je ne crois pas qu'on y veuille faire de cérémonies ; mais si on le veut, vous ferez la guerre à l'oeil, et l'esprit de conseil vous enseignera ce qui sera requis.

Je vous enverrai le formulaire de la réception au noviciat, par la première commodité.

O ma fille ! il n'y a point moyen d'écrire davantage, non pas même à ma chère grande fille de Paris (1) ; à laquelle néanmoins je dis ici qu'il faut qu'elle ne désire plus la profession avant l'année, parce que cela est impossible. Elle sera assez professe, puisqu'elle sera si dévote et résignée, comme j'espère, et que par son entremise tant de filles parviendront à la véritable dévotion.



(1) C'est-à-dire qui était venue de Paris demeurer avec la mère de Brechard. Voyez la lettre datée vers I le 8 août 1619. I (2) La mère de Brechard.



LETTRE CCCCLVII, A M. COUSSELET, SECRÉTAIRE DU ROI ET DE M. LE DUC DE NEMOURS.

1675
(Tirée du monast. de la Visitât, de la ville du Mans.)

Il lui recommande quelques affaires. Il l'assure ensuite qu'il ne tiendra pas à lui qu'une fille à laquelle cette personne s'intéfessait ne soit reçue dans le monastère de Moulins.


Annecy, 11 juin 1620.

Monsieur, avec un extrême sentiment d'obligation, je vous rends grâces du soin que vous avez eu des affaires dont j'avois supplié monseigneur de Nemours, et en espère bonne issue, si sa grandeur en croit son conseil de deçà ; car elles sont toutes très-justes, et selon Dieu. Ainsi, quant à celles de monsieur de Vallon, il n'y a point de difficulté qu'il n'y ait obligation de conscience à faire réparer le tort qu'on lui a fait très-manifestement. Après donc que ces messieurs les officiers auront délibéré sur l'avis qu'ils en doivent donner, je ferai une recharge de supplication à sa grandeur.

Nous sommes parmi le passage des Espagnoles, pendant lequel M. le marquis de Lans en avait donné la charge à M. de Monthoux : mais sur les remontrances que ces messieurs du conseil ont faites, il a révoqué cette charge, et l'a laissée audit conseil, et nommément à son frère de Torens, qui, en qualité de chevalier dudit conseil, et officier de Monseigneur, en a présentement la garde. Voilà nos nouvelles.

La supérieure de Sainte-Marie de Moulins (2) m'écrivit il y a quelque temps, que ce n'était pas pour aucune incommodité corporelle que la nièce que je lui avais tant recommandée lui semblait ne devoir pas être retenue, ains pour l'extrême aversion qu'elle avait à tous les exercices de religion, laquelle aversion elle ne voulait nullement surmonter, ains s'y laissait tout-à-fait aller. Depuis elle ne m'en a point écrit ; et pour moi, j'ai recommandé cette fille, en sorte qu'à mon avis rien que l'impossibilité ne la fera renvoyer.

J'écris à madame de Chantal, qui en ayant appris plus de particularités, me les fera savoir, afin que si on peut trouver quelque remède, on le fasse. Certes, j'appréhenderais plus cent fois votre déplaisir que le mien propre ; car je suis parfaitement tout dédié à votre bienveillance, et à celle de mademoiselle ma fille, à laquelle je n'écrirai pas pour cette fois, puisque j'ai déjà trop retenu ce porteur, qui devait partir hier matin, si j'eusse pu écrire : mais vous croirez tous deux, je vous en supplie, que vous ne sauriez jamais rencontrer une âme qui vous honore plus passionnément et constamment que moi, qui suis, monsieur, votre très-humble, etc.

A ma fille Florence mille bénédictions.

Je vous supplie, monsieur, d'assurer M. Le Fevre que je l'honore de tout mon coeur, et suis son serviteur, comme aussi de prier monsieur et madame de Forax qu'ils me favorisent toujours de leur bienveillance ; car d'écrire, il n'y a plus de moyen.



LETTRE CÇCCLVIII, A MADAME DE GRANIEU.

1678
Moyens pour ne point offenser Dieu par le plaisir de la chasse.

Annecy, 16 ou 20 juin 1620.

1. Vous voyez, ma très-chère fille, de quelle confiance j'use envers vous. Je ne vous ai point écrit depuis votre départ, parce que je n'ai su bonnement le faire ; et je ne vous en fais point d'excuse, parce que vous êtes véritablement et de plus en plus ma plus que très-chère fille. Dieu soit loué de quoi votre retour s'est fait bien doucement, et que vous avez trouvé monsieur votre mari tout allègre. Certes, cette céleste providence du Père céleste traite avec suavité les enfants de son coeur, et de temps en temps mêle des douceurs favorables parmi les amertumes fructueuses avec lesquelles il les fait mériter.

...


3. M. Michel me demandait ce que j'avois écrit à M. Le Grand sur le sujet de la chasse : mais, ma très-chère fille, ce ne fut qu'un article par lequel je lui disais qu'il y avait trois lois selon lesquelles il se fallait gouverner, pour ne point offenser Dieu en la chasse.

La première, de ne point endommager le prochain, n'étant pas raisonnable que qui que ce soit prenne sa récréation aux dépens d'autrui, et surtout en foulant le pauvre paysan, déjà assez martyrisé d'ailleurs, et duquel nous ne devons mépriser le travail ni la condition.

La seconde, de ne point employer à la chasse le temps des fêtes signalées, èsquelles on doit servir Dieu ; et surtout prendre garde de ne point laisser pour cet exercice la sainte messe es jours de commandement.

La troisième, de ne point y employer trop de moyens : car toutes les récréations se rendent blâmables, quand on les fait avec profusion.

Je ne me souviens pas du reste. En somme, la discrétion doit régner partout.

Or sus, ma très-chère fille, Dieu soit à jamais au milieu de votre coeur, pour unir toutes vos affections à son saint amour. Amen.

Ainsi, a-t-il, je vous assure, mis en mon esprit une très-invariable et tout-à-fait entière affection pour le vôtre, que je chéris incessamment, priant Dieu qu'il le comble de bénédiction. Ainsi soit-il, ma très-chère et toujours plus très-chère fille.



LETTRE CCCCLIX, A MADEMOISELLE DE TRAVES (DE VILLENEUVE).

1681
(Tirée du monast. de la Visitât, de la ville de Cacn.)

Le Saint lève deux scrupules qu'avait la personne à qui il écrit : l'un de la crainte d'avoir fait un mensonge, l'autre de communier sans avoir entendu la messe auparavant.

Annecy, 4 juillet 1620.

C'est la vérité, que non - seulement vous êtes ma très chère fille, mais c'est la vérité aussi que tous les jours vous l'êtes davantage en mon ressentiment. Et Dieu soit loué, de ce que non-seulement il a créé en mon âme une affection véritablement plus que paternelle, mais de ce qu'il a mis dans votre coeur l'assurance que vous en devez avoir. Et certes, ma très-chère fille, quand en m'écrivant vous me dites parfois, votre très-chère fille vous chérit, et que vous me parlez ert cette qualité, je confesse que j'en reçois un contentement admirable. Croyez-le, et dites-le bien, je vous supplie, que vous êtes très-assurément ma très-chère fille, et n'en doutez jamais.

Ce que vous dites, pour sauver un peu de bien temporel, ne fut pas un mensonge, ains seulement une inadvertance ; de sorte que tout au plus ce ne peut être qu'un péché véniel ; et comme vous m'écrivez, encore y a-t-il apparence qu'il n'y en eut point du tout, puisqu'il ne s'en suivit aucune injustice contre le prochain.

Ne faites nul scrupule, ni petit ni grand, de communier avant que d'avoir ouï la sainte messe, et surtout quand il y aura une si bonne cause que celle que vous m'écrivez, et quanti il n'y en aurait point, encore n'y aurait-il pas seulement une véritable ombre de péché.

Et tenez votre âme toujours en vos mains (
Ps 119,109), ma très-chère fille, pour la bien conserver à celui qui, vous l'ayant rachetée, mérite seul de la posséder. Qu'il soit à jamais béni. Amen. Certes, je suis très-parfaitement vôtre en lui, et votre très-humble serviteur, et à la très-chère soeur, et à toute votre maison.



LETTRE CCCCLX, A UNE RELIGIEUSE DE LA VISITATION.

1687
Le Saint l'exhorte à l'attention sur elle-même. 9 juillet 1620.

Ce m'est toujours bien de la consolation, ma très-chère fille, de savoir que votre coeur ne se départ point de ses résolutions, encore que souvent il se relâche à des immortifications ; car j'espère qu'à force de s'humilier parmi les signes de son imperfection, il réparera les défauts qu'elle lui apporte.

Ma très-chère fille, la condition de votre esprit requiert que vous en ayez un grand soin, à cause de cette liberté et promptitude qu'il a, non-seulement à penser et à vouloir, mais à déclarer ses mouvements.

Or sus, vous l'aurez, je m'assure, ce soin-là : car vous aspirez de plus en plus à la parfaite union avec Dieu, et ce désir vous pressera d'être de plus en plus exacte en l'observance des vertus qui sont requises pour le contenter, entre lesquelles la paix, la douceur, l'humilité et l'attention à soi-même tiennent les premiers rangs : et je prie sa divine majesté, ma très-chère fille, qu'elle vous comble de sa dilection ; et je suis parfaitement votre, etc.



LETTRE CCCCLXI, A LA MÈRE DE BRECHARD, SUPÉRIEURE DU MONASTÈRE DE LA VISITATION DE MOULINS.

1693
Avis sur des difficultés arrivées pour la fondation du monastère de son ordre à Nevers. Il faut vouloir Dieu absolument et invariablement ; el quant aux moyens de le servir, il les faut vouloir paisiblement et faiblement.


Annecy, le 26 juillet 1620.

1. Je n'avais garde de deviner que cette difficulté dût jamais arriver pour la fondation de Nevers, ma très-chère fille, car quelle conséquence y art-il? Une fille est à Moulins ; il faut donc qu'elle et ses moyens y demeurent. Mais ceux qui la font, sont dignes de si grand respect, et ont tant de mérite sur votre maison, et sur toute la congrégation, et ont tant de bon zèle et de piété, qu'encore à la rigueur elle ne soit pas bien forte, il faut, ce me semble, la faire valoir pour une partie, selon l'avis du révérend père recteur, qui, comme m'écrit mademoiselle Du Tertre, estime que la moitié suffira pour commencer la fondation, et l'autre moitié pour bien accommoder la maison de Moulins.

2. Reste la difficulté de votre personne et de celle de cette chère fille ; car je vois aussi la grande affection que M. le maréchal [de Saint-Géran (1)] et madame la maréchal ont que vous vous arrêtiez, et elle aussi, à Moulins. Il faut que je le confesse, que je vois que cette affaire se prend d'un biais, que j'appréhende de dire mon sentiment; je le fais néanmoins 0 et dis qu'il serait à propos que vous; qui avez traité, et qui êtes connue, menassiez ma soeur P. Hiéronyme à Nevers, et l'y établissiez le mieux que vous pourriez pour le séjour d'un mois ou deux : et quand je dis que vous y allassiez, j'entends aussi parler de mademoiselle Du Tertre, ma fille, laquelle je sais être inséparable avec vous.

Or, je présuppose que ces messieurs prennent confiance à la parole que vous leur donnerez de revenir infailliblement, et de ramener mademoiselle Du Tertre; que s'ils ne le veulent pas, il faudra envoyer ma soeur P. Hiéronyme, avec deux ou trois qu'elle choisirait, et faire le mieux qu'on pourrait, pourvu qu'on fit le partage sus écrit ; car ma soeur P. Hiéronyme a assez de courage et de capacité de bien faire, moyennant la grâce de Dieu, pour réussir en cette entreprise.

3. Je vous assure, ma très-chère fille, que cette difficulté ne m'a point tant fâché, que pour le déplaisir que je sais que vous en avez eu, sur le sujet duquel il faut que je vous dise que vous lisiez un peu le chapitre de la patience de Philotée (2), où vous verrez que la piqûre des mouches à miel est plus douloureuse que celle des autres mouches. Les entreprises que les amis font sur notre liberté, sont merveilleusement fâcheuses ; mais enfin il les faut supporter, puis porter, et enfin aimer comme de chères contradictions.

Certes, il ne faut vouloir que Dieu absolument, invariablement, inviolablement ; mais les moyens de le servir, il ne les faut vouloir que doucement et faiblement, afin que si on nous empêche en l'emploite d'iceux, nous ne soyons pas grandement secoués. Il faut peu vouloir, et petitement tout ce qui n'est pas Dieu. Or sus, prenez courage : si le père recteur et moi sommes crus, selon ce que j'ai dit ci-dessus, tout n'en ira que mieux. Vous souvenez-vous de la fondation de cette maison d'ici ? Elle fut faite comme celle du monde* de rien du tout, et maintenant on a dépensé près de seize mille ducatons (1) es bâtiments, et jamais fille n'en bailla mille que ma soeur Favre.

Nevers sera une maison bénite, et sa fondation ferme et solide, puisqu'elle a été agitée.

4. Mais si d'aventure ces messieurs de Moulins ne voulaient pas entendre au parti duquel le père recteur et moi sommes d'avis, que ferait-on ? O certes, je ne me puis pas imaginer cela : mais en ce cas, il faudrait avoir bien soin de notre soeur P. Hiéronyme et de sa compagnie, et avertir notre mère, qui peut-être a quelque autre fondation par les mains, où elle pourrait être employée. Si moins, on nous la renverra quand le temps sera un peu plus propre.

Et en tous événements il faut demeurer en paix dans la volonté de Dieu, pour laquelle la nôtre est faite. Je salue de tout mon coeur cette chère soeur P. Hiéronyme, et la soeur Françoise-Jacqueline, et toutes nos chères soeurs.

En somme, bienheureux sont ceux qui ne font pas leurs volontés en terre; car Dieu la fera là-haut au Ciel. Je suis infiniment vôtre, ma très-chère fille, et vous souhaite mille bénédictions. Saluez, je vous supplie, le révérend père recteur.

(1) Jean-François de La Guiche, comte de La Palisse, sieur de S. Géran, chevalier des ordres du roi, maréchal de France et gouverneur du Bourbon-nais.
(2) C'est-à-dire de VIntroduction à la vie dévote.
(1) Le ducaton valait environ sept francs de la monnaie actuelle (exactement 6 fr. 70 c).



LETTRE CCCCLXII, A MADEMOISELLE DU TERTRE, A SAINTE-MARIE, A MOULINS.

1695
(Tirée de la communauté de S. Fr. de Sales, à Paris.)

Le Saint la prie de le justifier du soupçon qu'il lui eût conseillé de donner son bien pour la fondation d'un nouveau monastère de Sainte-Marie à Nevers, où elle se voulait donner à Dieu, au préjudice de celui de Moulins. Il l'engage à donner moitié à l'un et moitié à l'autre, et lui laisse le choix de celui qu'elle voudrait des deux pour sa demeure.


27 juillet 1620.

1. Je crois fort sûrement, ma très-chère fille, que vous témoignerez partout en faveur de la vérité, que, par mille désirs que j'ai eus de rendre du service et de la consolation à votre âme, je ne me suis jamais mêlé de savoir quels étaient vos moyens temporels, ni ne vous ai jamais incitée de les employer pour la maison de Sainte-Marie ; que vous avez engagé votre âme pour la fondation d'un monastère à Nevers : c'a été tout-à-fait sans m'en communiquer, sinon après que vous en eûtes contracté la sainte obligation.

Certes, je ne voudrais nullement être en estime d'un homme qui attire l'argent et l'or, non pas même pour les oeuvres pies ; car je ne suis pas appelé à cela. Je ne sais donc comment on a pu penser que je vous ai adressée à Moulins en considération des commodités que vous avez, et que ce soit injustice de les divertir ailleurs. Mais il me suffit de vous avoir dit ces quatre paroles pour justifier le consentement que j'avais donné à votre dessein pour Nevers : en quoi il me semble que je n'ai rien commis digne de censure.

2. Or maintenant, ma très-chère fille, je vois les ardents désirs de M. le maréchal et de madame la maréchale de Saint-Géran, et encore de M. de Palière et de monsieur de la ville de Moulins, dont le zèle est digne de mille louanges, et le vôtre de toute sorte de respect. Si vous n'étiez pas obligée par voeu, j'aurais bientôt donné mon avis: mais la considération de votre voeu me fait adhérer au conseil du révérend père recteur, qui porte, comme vous m'écrivez, que vous fassiez l'un, et ne laissiez pas l'autre ; puisque, comme il est présupposé, il y a suffisamment pour aider puissamment la fondation de la maison de Nevers, et pour appuyer et secourir celle de Moulins, en quoi votre conscience demeurera dans son accoisé sur la plus grande gloire de Dieu, qui reviendra de ce partage, par le moyen duquel vous servirez Dieu au monastère dans lequel vous demeurerez, en votre propre personne et par vos propres actions, et en celui où vous ne serez pas, en la personne des soeurs qui par vos moyens y seront assemblées.

3. Voilà tout ce que je vous puis dire, ma très chère fille : je demeure au reste plein d'une sainte satisfaction ; et s'il m'est permis de le dire, tout glorieux de quoi on m'estime si fort que vous fassiez des merveilles en piété ; et d'autant plus que c'est madame la maréchale de Saint-Géran, qui est, grâces à Dieu, savante en ce saint métier : car je crois que vous ne doutez pas que la très-sincère et immuable dilection que notre Seigneur m'a donnée pour votre âme, ne me fasse aimer, chérir et sentir très-passionnément votre établissement et progrès au saint service de sa divine majesté. Continuez, ma très-chère fille, croissez tous les jours en humilité d'un coeur pur, et recommandez souvent à cette céleste bonté celui qui vous recommande incessamment à elle, et qui est à jamais, ma très-chère fille, votre, etc.



LETTRE CCCCLXIII, A MADAME DE CHANTAL, A PARIS.

1831
(Tirée du monastère de la ville de Salins.)

Le Saint lui parle de diverses affaires temporelles et spirituelles.



7 août 1620 (éd Annnecy: 1621).

1. Si celui qui doit porter ces lettres, part, comme il dit, demain, de grand matin, certes, ma pauvre très-chère mère, il n'y a pas moyen de vous envoyer les constitutions, jusqu'à la semaine suivante : car il faut que je les revoie, ayant déjà dès le commencement trouvé des fautes en l'écriture. Or, je vous les enverrai, ou par cette commodité, si le porteur retarde un jour de plus, ou par la One première qui se présentera, laquelle sera bientôt. Or, ce sera à vous devoir si on les fera imprimer à Paris ou à Lyon.

De Rome je n'ai encore nulles nouvelles : dès le départ de M. Michel, j'en attends tous les jours ; mais les choses iront avec tant de tardiveté, que si je me croyais moi-même, je ferais ce que ceux qui y sont, et qui entendent les affaires, disent de nous, et particulièrement de moi ; nous importunons à force de demander des choses que nous pouvons faire sans les demander ; et néanmoins puisque nous les demandons, il faut souffrir de ne les point avoir, que sous les conditions, ordinaires de ceux qui les expédient. Or sus, puisque toutefois nous sommes en ce train, nous ne devons rien oublier pour obtenir, et nous n'oublierons rien, Dieu aidant.

2. Je suis bien marri de quoi notre fille a perdu son fils, et ne laisse pas d'espérer qu'elle portera plus heureusement ceux que Dieu lui donnera ci-après.

Quand usera temps de vous envoyer un ecclésiastique pour vous accompagner au retour, vous m'avertirez, et je vous enverrai ou M. Michel, ou M. Rolland, qui a une affaire par delà, laquelle il pourra peut-être bien faire en ce temps-là, et vous servira bien au voyage pour tout le temps que vous désireriez, puisqu'il n'est plus chanoine de Notre-Dame, ayant quitté cette place pour avoir plus de commodité de faire ce que je désirerais de lui : mais il ne faut point encore faire bruit de ceci.

Nous attendons le révérend père Juste (1) pour saint Laurent, et nous saurons ce que l'on devra attendre du monastère de Turin, et en cas qu'on n'y aille, ou du moins sitôt, on pourra laisser notre grande fille (1) à Monferrand, on l'employer ailleurs, s'il se trouve expédient.

Ces deux grandes filles de Montferrand et d'Orléans sont un peu de l'humeur de leur père ; elles sont un peu penchantes à la condescendance, et complaisantes au parloir ; mais il sera aisé de les modérer en bonne partie, car du tout il n'y a pas moyen. M. de Chalcédoine (2) m'a corrigé de ce côté-là, et nous vivons avec plus de règle. Mais ij m'échappe toujours de faire quelque faute ; et, bien que ce soit peu, néanmoins mes vieilles habitudes m'étant imputées, on mécompte une faute pour trois.

3. Ma très-chère mère, si vous connaissiez qu'il fût plus utile que vous demeurassiez là encore quelque temps, quoique mes sens y répugnent, ne laissez pas d'y demeurer doucement. Car je me plais à gourmander cet homme extérieur, et j'appelle homme extérieur mon esprit même en tant qu'il suit ses inclinations naturelles. Or, je dis ceci, par ce que vous me dites dans votre dernière lettre.

Sitôt que nous aurons des nouvelles de Dijon, je vous en avertirai,, et je me doute que ce sera pour une maison, parce que le père Arviset, jésuite, nie dit à Lyon que cela se traitait encore.

4. J'ai reçu votre lettre, et je trouve que notre monseigneur l'archevêque est fort bien récompensé; Dieu veuille que les habitants de Bourges le soient aussi, et je l'espère, puisque celui qui succède est si capable, et homme de bien; mais je ne sais si c'est le pénitencier de Bourges ou celui de Paris. Je vous supplie, ma chère mère, de bien chèrement saluer ce cher archevêque, qui sera toujours mon archevêque, nonobstant qu'il quitte son archevêché, et que j'en aie un autre à venir. Je suis, ma très-chère mère, et suis toujours plus entièrement, plus invariablement, et plus parfaitement vôtre, et toujours plus incomparablement.

5. Je suis de l'avis de P. Binet, pour notre soeur de Gouffier, et néanmoins je voudrais bien regagner son coeur ; car il me semble qu'elle n'en trouvera pas un qui soit plus pour elle que le mien, et il n'est pas bon d'abandonner les amitiés que Dieu seul nous avait données ; et je me souviens toujours que cette fille courait un jour si justement à la dilection de Dieu et dépouillement de soi-même, que je suis tout étonné de voir qu'elle se soit revêtue derechef d'elle-même, et si fortement. Oh ! plût à Dieu que jamais elle ne fût partie d'ici ; Dieu eût bien trouvé d'autres moyens pour ériger la maison de Moulins et de Paris. Toutefois je me reprends, et dis que Dieu a tout bien fait (
Mc 7,37) et a tout bien permis, et j'espère que comme sans nous il nous avait donné cette fille, sans nous aussi il nous la redonnera, si tel est son bon plaisir; mais de l'inviter à revenir, il ne le faut pas faire, si Dieu ne nous fait expressément connaître qu'il le veuille ; il lui faut laisser faire ce coup purement à lui, selon sa divine providence.

Hélas! je pourrais écrire à ma toujours plus chère fille M. de Port-Royal, et il n'y a pas moyen, non plus que de vous envoyer les constitutions : ce sera au premier jour. Oh! que j'ai le coeur affligé sur la nouvelle du trépas du M. de Termes !


(1) Le père Juste Guérin, barnabite.
(1) La mère Favre.
(2) Jean François de Sales, évêque de Chalcédoine, qui fut ensuite successeur du Saint.



LETTRE CCGCLXIV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION.

Le Saint approuve la pratique de cette supérieure, qui, consultée fort souvent par des femmes mariées sur les devoirs de l'état, les renvoyait toutes à L’Introduction à la vie dévote.


1er octobre 1620.

Je me ressouviens, ma très-chère fille, que vous m'écrivîtes une fois que messieurs les confesseurs de ce pays-là vous renvoyaient les femmes, afin de les éclaircir, par votre entremise, des difficultés et scrupules qu'elles avaient es choses secrètes de leur vocation. Ma très chère fille, vous faites bien de les renvoyer à Y Introduction; où je déclare suffisamment tout cela, en sorte que si elles le veulent considérer, pour peu qu'on les aide, si elles sont si rudes et si simples qu'elles ne l'entendent pas, elles le pourront utilement ; car votre vocation et la qualité de fille ne vous permettent pas de leur rendre service en autre façon.

Je vous enverrai la copie du bref par lequel notre congrégation est établie en titre de religion. J'ai prêché ce soir au couvent des carmélites de cette ville. O Dieu soit béni, qu'étant toutes filles et servantes de la mère de Dieu, quoiqu'elles soient grandes et vous petites, vos coeurs soient unis pour sa sainte dilection que cette sacrée mère verse dans le coeur de toutes les soeurs. Soyez toujours courageuse, ma très-chère fille ; et vivez toute en celui pour lequel et par lequel vous êtes créée et baptisée, et élevée à cette sublime dignité d'épouse de Jésus-Christ. Votre plus humble, /'etc.


LETTRE CCCCLXV, A MADAME DE GRANIEU.

1724
Le Saint la console sur la maladie de son mari. Il souhaite qu'elle soit avantageuse au salut de l'un et de l'autre.


Annecy, 23 octobre 1620.

Certes, ma très-chère fille, j'aimerais volontiers les maladies de monsieur votre cher mari, si la charité me lé permettait, parce qu'à mon avis elles vous- sont utiles pour la mortification de vos affections et sentiments. Or sus, laissons cela à discerner à la céleste et éternelle providence de notre Seigneur, si elles sont pour le bien de votre âme ou pour celui de la sienne, toutes deux exercées qu'elles sont par ce moyen en la sainte patience. O ma fille! que le monde appelle souventefois bien ce qui est mal, et encore plus souvent mal ce qui est bien (
Is 5,20) ! Cependant, puisque cette souveraine bonté qui veut nos travaux, veut que néanmoins nous lui en demandions la délivrance, je la supplie de tout mon coeur qu'elle redonne une bonne et longue santé à ce cher mari, et une très-bonne et très-éternelle sainteté à ma très-chère fille, afin qu'elle marche fortement et ardemment dans le chemin de la vraie et vivante dévotion.

J'écris à la mère (2) de la Visitation. En somme, grâces à Dieu, il y a mal de tous côtés ; mais mal qui est un grand bien, comme j'espère. A jamais le bon plaisir de sa divine majesté soit notre plaisir et nôtre consolation es adversités qui nous arriveront. Amen.

 (2) Madame de Chantal.



LETTRE CCCCLXVI, A LA MÈRE PAULE-HIÉRONYME DE MONTHOUX, SUPÉRIEURE A NEVERS.

(Tirée de la congrégation du collège de Louis- le-Grand, à Paris.)

Le Saint prescrit à cette supérieure quelques conditions pour la réception des filles (5).

(5) Cette lettre étant rongée en plusieurs endroits à cause-de son ancienneté, et en d'autres coupée par des plis, on a cru devoir remplir les lacunes par des conjectures ; mais cependant on présente cette lettre en deux parties : dans lune on la verra telle qu'elle est, et dans l'autre telle qu'on l'a traduite.


Annecy, 2 novembre 1620.

TEXTE.

Ce n'est ici qu'une lettre d'attente, ma très-chère fille, pour seulement vous dire qu'au premier jour je répondrai par le menu à toutes celles que vous m'avez fait la consolation de m'écrire jusqu'alors. Vous pourrez cependant répondre à monseigneur l'évêque que ces bonnes filles de Moulins, comme vous aussi, n'êtes là que pour faire le service delà fondation, et que, quand le monastère sera établi, vous pourrez.... en vos maisons de profession, ou rece... et que partant il ne faut rien demander pour ces... là à la maison de Moulins, qui demeure oblig— recevoir quand elles retourneront... Il semble qu'il n'est pas... notre soeur M. Aimée de Morville, ainsi qu'elle-même laisse librement les dix mille francs.

Tenez votre courage hautement relevé, et saintement humilié en Dieu, ma très-chère fille.

Certes, ces filles si ineptes ne doivent point être reçues à profession ; et quand on les reconnaît telles avant la réception à l'habit, elles ne doivent point y être admises. Mais je vous dirai cela en détail.

Vous pourrez employer les soeurs qui doivent être domestiques, et qui ne sont point vêtues, au service du dehors, par lequel elles méritent toujours davantage leur réception future à l'habit.

Je vous remercie de vos beaux bréviaires, et enverrai les miens vieux à la première commodité. Ma très-chère fille, je suis très-parfaitement tout-à-fait vôtre, et comme à ma chère fille... et comme à ma soeur Marie-Aimée.





Ce n'est ici qu'une lettre d'attente, ma très-chère fille, pour vous dire seulement qu'au premier jour je répondrai en particulier à toutes celles que vous m'avez écrites jusqu'à présent, et dont j'ai reçu une grande consolation. Vous pourrez cependant répondre à monseigneur l'évêque que ces bonnes filles de Moulins, aussi bien que vous, n'êtes là que pour faire le bien de la fondation, et que, quand le monastère sera établi, il vous sera libre de retourner en vos maisons de profession ; que par conséquent il ne faut rien demander pour ces filles à la maison de Moulins, qui demeure obligée à les recevoir quand elles retourneront.

Il me semble aussi qu'il n'est pas convenable de presser notre soeur Marie-Aimée de Morville, puisqu'elle laisse d'elle-même et librement lés dix mille francs.

Ne laissez point abattre votre courage, ma très-chère fille, mais soutenez-le par une ferme confiance en Dieu et par la sainte humilité.

A l'égard des filles qui sont ineptes, assurément elles ne doivent point être reçues à la profession; et quand on les commît telles avant „i qu'elles soient admises à la vêture, il ne faut point les y admettre. Mais je vous dirai cela en détail.

Vous pouvez employer au service du dehors les soeurs qui doivent être domestiques, et qui n'ont pas encore pris l'habit, en quoi elles mériteront de plus en plus qu'on leur accorde cette grâce par la suite.

Je vous remercie de vos beaux bréviaires : je vous enverrai mes vieux à la première commodité. Ma très-chère fille, je suis très-parfaitement tout à vous, comme à ma très-chère fille N. et à ma soeur Marie-Aimée.




LETTRE CCCCLXV1I, A LA MÈRE PAULE-HIÉRONYME, SUPÉRIEURE A NEVERS.

1736
F. de Sales, Lettres 1667