F. de Sales, Lettres 1898

LETTRE DIX, A LA MARQUISE DE MAIGNELAIS.

1898
Le Saint la remercie de la protection et des faveurs qu'elle avait accordées aux religieuses de son institut, et la prie de les leur continuer après le départ de la mère de Chantal.


Annecy, 23 janvier 1622.

Madame, puisque non une seule raison, mais plusieurs bien justes et urgentes retirent la bonne mère supérieure de la Visitation Sainte-Marie, de Paris à Dijon, et de deçà, il est bien raisonnable que je vous remercie, ainsi que je fais très-humblement, des consolations et faveurs qu'elle a recueillies de votre continuelle charité : vous suppliant néanmoins de les lui continuer en la personne de cette troupe de filles qu'elle laisse là pour le service de la gloire de Dieu, qui est tout votre amour, et duquel la providence a préparé votre coeur pour être le refuge et la protection des petites servantes de son fils, qui en sont d'autant plus nécessiteuses, que l'âge et l'imbécillité de leur établissement est plus tendre et sujet à la contradiction.

J'espère que l'humilité et la connaissance de leur petitesse les conservera, non-seulement en la grâce de Dieu, mais aussi en votre bienveillance, madame ; et que parmi tant d'autres âmes plus relevées et dignes de votre faveur, que votre piété appuie de son zèle, elles aussi en leur rang vivront à l'abri de votre débonnaireté, laquelle se souviendra que son miroir et son exemplaire et patron aime plus tendrement les petites gens basses et infirmes ; oui même les plus jeunes petits enfants, pourvu qu'ils se laissent soumettre à ses mains, et prendre entre ses bras (cf.
Mt 19,13-15 Mc 10,13-16); et pour moi, je vous supplie de m'avouer, comme je le suis de toute l'affection de mon coeur, votre, etc.


LETTRE DX, A MADAME LA PRÉSIDENTE DE HERCE.

1901
(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Meaux.)

Le Saint donne des marques d'une grande affection à cette dame, dont il avait baptisé un enfant en qualité de parrain. Il l'exhorte à s'avancer de plus en plus dans l'amour de Dieu, même dans les contretemps de la vie.


Annecy, 23 janvier 1622.

J'ai bien chargé ce porteur qu'il allât vous saluer, et monsieur votre cher mari, et votre petit homme mon cher filleul, de ma part et très-humblement. Mais serait-il bien possible que je ne lui donnasse pas cette petite marque visible de la vérité du désir que j'ai de vivre invisiblement en votre chère âme, madame ma chère commère, et ma fille très-aimée. Je ne cesse point, je vous assure, et ne célèbre jamais le saint sacrifice, que je ne présente votre coeur à Dieu, et n'invoque sa protection et faveur sur votre chère famille. i Je le dois, je le sais bien : aussi ne le vous dis-je pas, ma très-chère fille, pour m'en vanter, mais pour la complaisance que j'ai à le penser, et à croire que je vous fais plaisir de vous en assurer. Or sus, c'est assez, vivez donc de plus en plus en ce céleste amour de notre Seigneur qui vous y oblige par mille bénédictions qu'il vous a données, et surtout par l'inspiration qu'il vous a départie de le vouloir et de le désirer ; et en ce désir vivez joyeuse et saintement contente, voire même parmi les ennuis et les afflictions qui ne manquent jamais aux enfants de Dieu. Je suis tout-à-fait invariablement votre, etc.



LETTRE DXI, A SOEUR HELENE ANGELIQUE LHUILLIER, NOVICE DE LA VISITATION DE PARIS.

Il la félicite sur sa future profession, ainsi qu'une de ses soeurs qui était à peu près dans le même cas.


Annecy, 24 janvier 1622.

Or sus, ma très-chère fille, enfin vous voilà donc sur l'autel sacré en esprit, afin d'y être sacrifiée et immolée, ains consumée en holocauste devant la face du Dieu vivant. O que cette journée soit comptée entre les journées que le Seigneur a faites (Ps 118,24)! Que cette heure soit une heure entre les heures que Dieu a bénites de toute éternité, et qu'il a assignées pour l'honneur de toute l'éternité ! Que cette heure soit fondée en la très-sainte humilité de sa croix, et aboutisse à la très-sacrée immortalité de la gloire! Que de souhaits mon âme fera sur cette chère journée pour l'âme de ma chère fille! 0 combien de saintes exclamations de joie de bon augure sur ce coeur bien-aimé! O combien d'invocations à la très-sainte mère Vierge, aux saints et aux anges, afin qu'ils honorent de leur spéciale faveur et présentent cette consécration de l'esprit de ma très-chère fille, de laquelle ils ont obtenu la vocation, et inspiré l'obéissance à la vocation.

Je ne sépare pas de votre esprit, ma très-chère fille, celui de la très-chère soeur N., ma fille bien-aimée. C'est pourquoi je le considère avec le vôtre en la même action : car, comme vous savez, elle se trouva avec vous unie d'affection et d'amour au jour de votre Visitation ; et semble que dès-lors elle immola déjà en résolution son coeur avec le vôtre.

Que je suis consolé, quand je m'imagine, que - selon mon espérance on vous annoncera en toute vérité cette parole de la mort vitale (2) : Vous êtes morte, et votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu (Col 3,3)! car, ma très-chère fille, de la vérité de ce mot dépend la vérité de l'événement qu'on prononce consécutivement : Mais quand Jésus-Christ apparaîtra (Col 3,4), et ce qui s'ensuit.

Ma très-chère fille, je salue votre chère âme et celle de la soeur N., et je suis à jamais en union -d'esprit selon Dieu très-singulièrement tout vôtre.



 (2) Dans la cérémonie de la profession des dames de la Visitation, la nouvelle professe étant debout, le célébrant lui dit : « Ma soeur, vous êtes morte au « monde et à vous-même, pour ne vivre plus qu'à « Dieu. » Les soeurs répondent en latin, et en chantant : Bienheureux sont ceux qui meurent dans te Seigneur (Ap 24,3). Ensuite la nouvelle professe se couche tout de son long, et on étend sur elle le drap mortuaire. Cependant une soeur lit une leçon tirée du livre de Job, qui est de l'office des morts. Après la leçon on récite à deux choeurs le psaume De profundis, et le célébrant dit une oraison du même office, jette de l'eau bénite, et ajoute, ; Levez-vous, vous qui dormez, relevez-vous d'entre tes morts, et Jésus-Christ vous illuminera (Ep 5,14). La nouvelle professe se relève, et le célébrant lui dit, en lui présentant un cierge : Faites que votre sentier s'avance comme l'aurore resplendissante, et qu'il croisse jusqu'à la perfection du jour (Pr 4,18). La nouvelle professe chante alors le commencement du psaume Dominus illuminatio mea, etc. ; c'est-à-dire en notre langue, Le Seigneur est ma lumière et mon salut : que craindrais-je ? Le Seigneur est le protecteur de ma vie : qui sera capable de m'épouvanter (Ps 26) ? Le célébrant dit, Dominus vobiscum, et une oraison, après laquelle il présente le crucifix à la nouvelle professe, en lui disant : Votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu,- mais lorsque Jésus-Christ, qui est votre vie, viendra à paroître, alors vous paraîtrez avec lui dans la gloire (Col 3,3). Qu'il n'arrive jamais que vous vous glorifiiez en autre chose qu'en la croix de Jésus-Christ (Ga 6,14). C'est de cette cérémonie dont veut parler le Saint.


LETTRE DXII, A MERE ANGELIQUE ARNAULD.

Il l'exhorte de demeurer toujours en paix.

Annecy, 24 janvier 1622.

Que vous puis-je dire en cette occasion, ma très-chère fille, sinon qu'entre les consolations, que j'attends bien grandes, de revoir notre bonne mère, celle de l'ouïr parler de votre coeur en est une? Mais je ne veux pas dire pourtant que je veuille attendre son retour pour en apprendre des nouvelles, de ce cher coeur. Dites-moi donc, ma toujours plus chère fille, que fait-il? car maintenant il sait la résolution qui a été prise par ces six ou sept grands serviteurs de Dieu, qui s'assemblèrent pour son sujet. Or sus, il faut donc attendre le mot de R. et cependant demeurer en paix, et, quand le mot sera venu, demeurer en paix, et quoi qu'il dise, demeurer en paix, et toujours demeurer en paix de tout notre pouvoir. Le passeport des filles de Jésus-Christ, c'est la paix : la joie des filles de Notre-Dame, c'est la paix. Il est vrai, ma très-chère fille, que vous n'avez point de coeur qui soit ni plus ni certes tant vôtre, que le mien. Dieu soit béni. Amen.



LETTRE DXIII, A LA MÈRE DE BEAUMONT (1), SUPÉRIEURE DE LA VISITATION, RUE SAINT-ANTOINE, A PARIS

1900
Il l'exhorte à supporter sa charge avec courage, l'assurant de la protection du Seigneur. Il lui recommande l'humilité, la douceur, et l'amour maternel à l'égard de ses filles.

(1) La mère A. C. de Beaumont est celle qui succéda immédiatement à la bienheureuse mère de Chantal dans la supériorité du premier monastère de Paris, lorsque cette mère en partit pour s'en retourner en Savoie, trois ans après la fondation.


25 janvier 1622.

Ma très-chère fille, je vous souhaite de tout mon coeur une grande humilité dedans un grand courage, afin que votre courage soit tout-à-fait en Dieu, qui par sa bonté vous soutienne, et en vous, la sainte charge que l'obédience vous a imposée. Je l'espère, ma très-chère fille, et que vous serez comme l'ancienne Anne (2), laquelle, avant qu'elle fût mère, changeait souvent dévisage, comme touchée de diversité de pensées et d'appréhensions; mais étant devenue mère, dit l'Écriture sacrée, sa face ne fut plus variante ni diversifiée (
1S 1,18), parce que, comme je crois, elle fut accoisée en Dieu, qui lui avait fait connaitre son amour, sa protection et son soin sur elle.

Car ainsi, ma très-chère fille, jusqu'à présent le souci de votre conduite, et l'appréhension de votre future supériorité, vous a un peu agitée, et vous a souvent fait varier en pensées : maintenant que vous voilà mère de tant de filles, vous devez demeurer tranquille, sereine, et toujours égale, vous reposant en la Providence divine, qui ne vous eût jamais mis toutes ces chères filles entre les bras et dans votre sein, que quand et quand elle ne vous eût destiné un secours, un aide, une grâce très-suffisante et abondante pour votre soutien et appui

Le Seigneur, disait Anne, mortifie et vivifie, il mène aux enfers, et il en ramène ; le Seigneur rend pauvre et riche, il abaisse et soulève (1S 2,6-7). O disons, ma très-chère fille, comme une autre Anne, Le Seigneur charge et décharge. Il est vrai, car quand il impose quelque chose à une de ses filles, il la renforce tellement, que, souffrant la charge avec elle, elle est comme déchargée. Pensez-vous qu'un si bon père comme Dieu voulût vous rendre nourrice de ses filles, sans vous donner abondance de lait, de beurre et de miel ? Or de cela il n'en faut point douter ; mais prenez seulement garde à deux ou trois mots que mon coeur va dire au vôtre. Rien ne fait tant tarir le lait des mamelles que les regrets, les afflictions, les mélancolies, les amertumes, les aigreurs. Vivez en sainte joie parmi vos enfants ; montrez-leur une poitrine spirituelle de bonne vue et de gracieux abord, afin qu'elles y accourent en gaieté. C'est cela que le Cantique marque en la louange des mamelles de l’époux : Tes tétins sont meilleurs que le vin odorant des parfums précieux (Ct 1,1-2). Le lait, le beurre et le miel sont sous la langue (Ct 4,11).

Je ne dis pas, ma fille, que vous soyez flatteuse, cajoleuse et rieuse, mais douce, suave, aimable, affable. En somme, aimez d'un amour cordial, maternel, nourricier et pastoral, vos filles: et vous ferez tout ; vous serez tout à toutes (cf. 1Co 9,22); mère à chacune, et secourable à toutes. C'est la seule condition qui suffit, et sans laquelle rien ne suffit. Ma fille, je me confie que Dieu, qui vous a choisie pour le bien de plusieurs, vous donnera les secours, la force, le courage et l'amour pour plusieurs. A lui soit à jamais honneur, gloire et bénédiction (Ap 5,13). Amen.

Je suis invariablement vôtre, et je me confie que vous n'en doutez nullement.

 (2) Mère de Samuel.




LETTRE DXIVI, A UNE ASPIRANTE DE LA VISITATION.

1916
Avis à une fille qui voulait entrer dans l'ordre de la Visitation.

Annecy, 6 mars 1622.,

Je ne vous vois jamais, que je sache, ma très-chère fille, sinon sur la montagne de Calvaire, où résident les coeurs que l'Époux céleste favorise de ses divines amours. 0 que vous êtes heureuse, ma très-chère fille, si fidèlement et amoureusement vous avez choisi cette demeure, pour en icelle adorer Jésus crucifié en cette vie ! car ainsi serez-vous assurée d'adorer en la vie éternelle Jésus-Christ glorifié.

Mais, voyez-vous, les habitants de cette colline doivent être dépouillés de toutes les habitudes et affections mondaines, comme leur roi le fut des robes qu'il portait quand il y arriva (cf.
Mt 27,35); lesquelles, bien qu'elles eussent été saintes, avaient été profanées quand les bourreaux les lui ôtèrent dans la maison de Pilate (cf. Mt 27,28).

Gardez-vous bien, ma chère fille, d'entrer au festin de la croix, plus délicieux mille et mille fois que celui des noces séculières, sans avoir la robe blanche, candide et nette de toute intention, que de plaire à l'Agneau. O ma chère fille, que l'éternité du ciel est aimable, et que les moments de la terre sont misérables ! Aspirez continuellement à cette éternité, et méprisez hardiment cette caducité et les moments de cette mortalité.

Ne vous laissez point emporter aux appréhensions, ni des erreurs passées, ni des craintes des difficultés futures, en cette vie crucifiée de la religion. Ne dites point : Comment pourrai-je oublier le monde et les choses du monde? car votre Père céleste sait (Mt 6,32 Mt 6,8 Lc 12,30) que vous avez besoin de cet oubli, et il vous le donnera, pourvu que, comme une fille de confiance, vous vous jetiez entièrement et fidèlement entre ses bras.

Nôtre mère, votre supérieure, m'écrit que vous avez de très-bonnes inclinations naturelles. Ma chère fille, ce sont des biens du maniement desquels il vous faudra rendre compte : ayez soin de les bien employer au service de celui qui vous les a donnés. Plantez sur ce sauvageon les greffes de l'éternelle dilection, que Dieu est près de vous donner, si par une parfaite abnégation de vous-même vous vous disposez à les recevoir. Tout le reste je l'ai dit à la mère. A vous je n'ai plus rien à dire, sinon que, puisque Dieu le veut, je suis de tout mon coeur, votre, etc:



LETTRE DXV, A LA MÈRE FAVRE,

1923
supérieure du monastère de la Visitation de MONTFERRAND.

(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Meaux.)

M. l'évêque de Clermont, sur le diocèse duquel était Montferrand, et les magistrats de ladite ville, firent bien des difficultés pour la laisser sortir et aller gouverner le monastère de Dijon, que madame de Chantal établit quinze jours après cette lettre. Le Saint lui envoie avec son obédience deux lettres pour M. l'évêque de Clermont, l'une de lui-même, et l'autre de M. le président Favre, pour vaincre les difficultés en question. Il parle de la fondation de Chambéri, à laquelle on destinait la mère Favre; de la retraite de madame la comtesse de Dalct, fondatrice du monastère de Montferrand ; de la remise de ses enfants entre les mains de ses parents; de quelques points qui regardaient le gouvernement et l'état de quelques maisons; enfin d'un conseil qu'il donne à une demoiselle fort riche.


Annecy, 26 avril 1622.

Tenez, ma très-chère fille, voilà deux lettres pour monseigneur de Clermont, l'une du bon monsieur votre père, l'autre de moi, qui tendent à même fin ; vous les verrez toutes deux, et s'il vous plaît les cacheter, et après que le cachet sera sec, vous les lui rendrez. Voilà votre obéissance sans date, voilà encore la lettre que monsieur votre père vous écrit, et celle qu'il m'écrit à moi, par lesquelles vous verrez comme tout se dispose à la fondation d'un monastère à Chambéri ; et tandis que pour le commencement on fera préparer les logis, notre mère pourra y être, et vous à Dijon ; afin que comme en passant vous établissiez cette maison-là avant que de venir établir celle de Chambéri : et ainsi sera vrai tout ce que nous écrivons à monseigneur de Clermont.

Je ne vois nulle sorte de difficulté en l'affaire de la bonne madame de Dalet, et me semble qu'il n'est point nécessaire d'employer le temps à voir comme réussira la remise de ses enfants entre les mains de M. et madame de Blonfan ; car il suffit de bien pourvoir à la personne et au bien maintenant, et d'avoir une très-probable conjecture que tout ira bien. Dieu n'est-il pas bon, ma très-chère fille, d'avoir ainsi explané ou aplani le chemin de la retraite à cette chère âme, laquelle, comme vous savez, je ne connais pas ? mais j'ai certain secret instinct pour elle, qui ne se peut dire combien elle m'est chère. Je suis bien aise que vous la soulagiez de votre présence en cette affaire : notre mère cependant sera votre avants courrière à Dijon et puis à Chambéri.

En la visite on pourra bien se dispenser es points moins essentiels : vous pourrez même, si vous le jugez à propos, procurer dextrement que l'on commette quelques personnes qui aient le loisir et la volonté entière, comme serait quelque bon père jésuite, ou quelque père de l'Oratoire, ou quelque bon ecclésiastique. Je me réjouis de quoi cette maison-là est pleine de bonnes filles. Celle qu'à mon avis vous voulez laisser en votre place, m'a écrit, et je lui réponds.

Je réponds aussi à madame Bonnefoy, et lui désire une très-bonne charité. C'est la vérité que son esprit étant de la condition que vous me marquez, elle doit moins faire de considération à se retirer et mettre à l'abri. Je fais chercher la lettre de madame de Chazernon, pour l'envoyer. Hier j'eus ici une demoiselle de grands moyens, nullement propre au mariage ; et néanmoins je ne sus jamais lui conseiller la religion à laquelle elle avait pensé, qui était la Visitation, ni aucune autre ; ains la renvoyai au mariage : et aujourd'hui je ne puis conseiller le mariage ni à madame Dalet, ni à madame Bonnefoy, ains suis tout-à-fait tiré à leur proposer la religion. O que madame Dalet est heureuse d'avoir un esprit si ferme au désir de la perfection du saint amour ! Je la salue très-cordialement et toutes nos soeurs ; mais votre chère âme, ma fille bien-aimée, je la salue de toute l'étendue des affections de la mienne, qui suis votre, etc.



LETTRE DXVI, A MADAME DE CHANTAL.

Pensées sur l'échange que fit notre Seigneur de son coeur avec celui de sainte Catherine de Sienne.

Souhaits de bénédictions à madame de Chantal pour son voyage, et à toutes ses filles ; l'éloignement des lieux n'empêche pas l'union des coeurs.



29 avril 1622.

Je m'en vais à l'autel, ma chère fille, où mon coeur répandra mille souhaits pour le vôtre, ou plutôt notre coeur répandra mille bénédictions sur soi-même : car je parle plus véritablement ainsi. Dieu, ma chère soeur, ma fille bien-aimée, à propos de notre coeur, que nous ne nous arrive-t-il comme à cette bénite sainte, de laquelle nous commençons la fête ce soir, Ste Catherine de Sienne, que le Sauveur nous ôtât notre coeur, et mit le sien en lieu du nôtre ! Mais n'aura-t-il pas plutôt fait de rendre le nôtre tout sien, absolument sien, purement et irrévocablement sien? Oui, qu'il le fasse, ce doux Jésus ; je l'en conjure par le sien propre, et par l'amour qu'il y confirme, qui est l'amour des amours; que s'il ne le fait (ô ! mais il le fera sans doute, puisque nous l'en supplions), au moins ne saurait-il empêcher, que nous ne lui allions prendre le sien, puisqu'il tient encore sa poitrine ouverte pour cela : et si nous devions ouvrir le nôtre, pour, en ôtant le nôtre, y loger le sien, ne le ferions-nous pas? Qu'à jamais son saint nom soit béni !

Allez, ma fille, allez : mon esprit vous va suivant, et répandant sur vous mille bénédictions. Au nom de Dieu, nous allons, et demeurons avec une fort pure intention de servir de tout notre coeur à la gloire éternelle de sa divine Majesté, ici où nous demeurons, et là où nous allons. O Dieu ! que c'est une douce chose, que d'avoir la sainte unité des coeurs, qui, par une merveille inconnue au monde, nous fait être en plusieurs lieux sans division ni séparation quelconque! Demeurons et allons en paix, ma très-chère fille : et comme une seule âme se console en l'une et l'autre main, tenant son fils de l'une et son père de l'autre ; ainsi réjouissons-nous de quoi eu une parfaite unité d'esprit, et de tout nous-mêmes, ici où nous demeurons, et là où nous allons, nous nous tenons à ce Sauveur que notre coeur veut, chérir révéremment comme son père, et tendrement comme un fils. Or sus, je m'en vais présenter ce coeur à ce cher Sauveur en la sainte messe.

O Seigneur Jésus ! sauvez, bénissez, confirmez et conservez ce coeur qu'il vous a plu de rendre un en votre divin amour : et puisque vous lui avez donné l'inspiration de se dédier et consacrer à votre saint nom, que votre saint nom le remplisse comme un baume de divine charité, qui en une parfaite unité répande les variétés des parfums et odeurs de suavité requises à l'édification du prochain. Oui, Seigneur Jésus, remplissez, comblez, et faites surabonder en grâce, paix, consolation et bénédiction, cette âme qui en votre saint nom va et demeure où votre gloire la veut et appelle. Amen.

Mille bénédictions à nos chères filles. Dieu qui les a assemblées les bénisse ; leurs saints anges soient à jamais autour d'elles, répandant à pleines mains les grâces et consolations célestes dans leurs coeurs bien-aimés, et que la sainte Vierge, déployant sa poitrine maternelle sur elles, les conserve en la vertu de son amoureuse éternité. Amen. Vive Jésus !




LETTRE DXVII.

MADAME DE CHANTAL, A S. FRANÇOIS DE SALES. (Tirée des lettres de madame de Chantal.)

Dans l'usage de quelques communautés religieuses, à la fête de la Pentecôte, on lire au sort les dons du Saint-Esprit, et l'on distribue à chacun celui qui lui est échu écrit sur un billet, ou peint sur une petite image. C'est cette pratique dont il s'agit au commencement de cette lettre. Le sort apporta I pour le Saint le don d'intelligence ; pour elle, son partage fut le don de conseil. Elle lui parle ensuite de quelques établissements. Estime que S. Vincent de Paul faisait de S. François de Sales. On a envie d'attacher celui-ci à la France : il s'en rapporte au pape.


16 mai 1622.

Mon très-honoré seigneur et unique père, que cette fête est grande en laquelle Dieu verse si abondamment ses précieux dons sur ses fidèles ! Voilà celui de l'entendement que la divine Providence vous a marqué pour cette année. J'espère que vous l'emploierez fidèlement. Il m'est échu celui de conseil. Dieu me fasse la grâce de recevoir ceux que vous me donnerez de sa part, et de les bien accomplir.

Je vous supplie de prier fort cet esprit très-saint de recevoir le propos d'un voeu que nous avons médité, et qu'il me donne une grâce abondante pour l'accomplir parfaitement. J'ai eu sur ce sujet certaines craintes et représentations qui ont fait frémir ma chair ; mais mon coeur demeure invariable en son désir, et en sa résolution de suivre la très-adorable volonté de Dieu.

Je vous ai déjà mandé les dispositions de notre établissement à Orléans et à Nevers : mais, mon vrai père, j'oubliai de vous demander l'obéissance pour traiter de ces fondations, car la mienne ne porte que pour Paris, Bourges et Dijon; et, quoique je puisse dire sans scrupule, que je ne fais rien sans votre ordre, je suis pourtant bien aise de le montrer par écrit.

J'appris hier par M. Vincent, qui vous honore et estime plus qu'il ne se peut penser ni dire, tout le dessein que l'on a de vous attirer en France. Tous les plus pieux et les plus solides esprits d'ici, considérant cette proposition, et pesant de part et d'autre toutes les raisons, sont en grand suspens pour savoir ce qui sera le plus à la gloire de Dieu.

M. Vincent me le disait hier, ajoutant qu'il semblait que Dieu vous avait mis comme un boulevard contre cette misérable Genève, et comme un mur inexpugnable entre la France et l'Italie, pour empêcher l'hérésie d'y entrer ; que l'on ne savait aussi si Dieu vous avait destiné pour être ici, comme sur le théâtre du monde, pour servir d'exemple et de lumière à tous les prélats de la France ; qu'en une si grande vigne un tel ouvrier profiterait grandement, et plus qu'en un petit coin du monde.

On dit que vous devez peser vous-même cette affaire, et sentir ce que Dieu y désire de vous. On vous loue extrêmement de ce que vous vous en rapportez au pape, pourvu, dit-on, que vous lui exprimiez au long toute l'affaire.

Enfin, mon très-unique père, les jugements des hommes veulent ménager tout ce qui est du leur, et encore ce qui est d'autrui : mais dites-moi si je vous devais celer ceci, ou si je fais bien de vous le dire. J'aurais, ce me semble, la conscience chargée de vous taire quelque chose, et il faut que je vous dise une fois pour toutes, que quand je regarde du côté où vous êtes, je me sens fort inclinée à ce que vous y demeuriez ; mais si je regarde en deçà, et si je pense que peut-être Dieu vous y appelle pour sa plus grande gloire, je demeure en indifférence, désirant infiniment que notre Seigneur accomplisse sa très-sainte volonté en vous.

Vous m'obligez grandement de me dire ainsi des nouvelles de votre tout bon et très-aimable coeur : faites-le toujours, mon père, je vous en prie ; c'est ma très-chère consolation. Mais ne vous dois-je pas dire en simplicité, que par deux ou trois fois il m'est venu un peu d'émotion en l'amour-propre, de ce que vous ne me répondez rien à tout ce que je vous demande, qui touche mon particulier, et sur mes petites plaintes : vous avez grand tort, mon cher père, car mon amour-propre en serait grandement satisfait. Hé Dieu ! que j'en ai toujours mon plein sac, de ce misérable amour-propre : Dieu le veuille anéantir.

Je vous remercie grandement de la charité que vous faites à mes enfants ; j'avais besoin d'être soulagée et aidée en cette charge. Je me contente de leur avoir acquis le bien et le trésor de votre sainte assistance devant Dieu. Je ne quitterais pas cela pour aucune bonne fortune, etc.



LETTRE DXVIII, A MADAME DE CHANTAL (1).

(I) La mère de Chantal était alors supérieure de la Visitation à Dijon.

Réponse à la lettre précédente, au sujet des dons du Saint-Esprit.


29 mai 1G22.

O que puis-je, ma très-chère, bien recevoir et employer le don du saint entendement, pour pénétrer plus clairement dans les saints mystères de notre foi! car cette intelligence assujettit merveilleusement la volonté au service de celui que l'entendement reconnaît si admirablement tout bon,, sans lequel il est enfoncé et engagé : en sorte que comme il n'entend plus qu'aucune chose soit bonne en comparaison de cette bonté, aussi ne peut-il plus vouloir la volonté aimer aucune bonté en comparaison de cette bonté : ainsi qu'un oeil qui serait planté bien avant dans le soleil, ne peut envisager d'autre clarté.

Mais parce que tandis que nous sommes au inonde, nous ne pouvons aimer qu'en bien faisant, parce que notre amour y doit être actif, comme je dirai demain au sermon, Dieu aidant, nous avons besoin de conseil, afin de discerner ce que nous devons pratiquer et faire pour cet amour qui nous presse ; car il n'est rien de si pressant à la pratique du bien, que l'amour céleste. Et afin que nous sachions comme il faut faire le bien, quel bien.il faut préférer, à quoi nous devons appliquer l'activité de l'amour, le Saint-Esprit nous donne son don de conseil.

Or sus, voilà notre âme bien partagée avec un bon partage des dons sacrés du ciel. Le Saint-Esprit qui nous favorise, soit à jamais votre consolation. Mon âme et mon esprit l'adorent éternellement. Je le supplie qu'il soit toujours notre sapience et notre entendement, notre conseil et notre force, notre science et notre piété, et qu'il nous remplisse de l'esprit de la crainte du Père éternel. Ce ne fut pas sans vous que nous célébrâmes cette fête de la Pentecôte ; car je me souviens fort de la sainte dévotion que vous avez, à-cette solennité.



LETTRE DXIX, MINUTE DE LETTRE AU PAPE GRÉGOIRE XV.

1940
Monet pontificem, se generalibus fullicnsium comi-tiis, ejus jussu proefuisse, et omnia summâ animorum conspiratione gesta.

Turin, 21 juin 1622

Beatissime pater, acceptis sanctitatis vestrse litteris apostolicis 28 mensis aprilis hujus anni expeditis, quibus me in prasidem capituli ge-neralis congregationis beatae Mariae Fulliensis constituit, sine morâ parui, et in monasterium ejusdem ordinis Pinarolii me transtuli, ubi me proesente, etsecundirm mandata apostolica présidente, capitulum illud générale cel'ebratum est.

In quo, ut par erat, de variis, quae undique allatasunt, negotiis totius congregationis, plu-rima décréta sunt et sancita; ac de more superior generalis, aliique tum provinciales tum ab-bates ac priores electi, et quidem tantâ animorum consensione, tantâ pace, tantâ morum suavitate, ut nihil suavius, nihil amabilius videri potuerit.

Ita sanè, ut illud propheticum dici de hoc capitulo existimem : Quàm bonum et quàm jucundum habitare fratres in unum ! Sicut unguentum in capite, quod descendit in barbam, barbam Aaron. Nihil ut expectandum supersit, nisi ut quem-admodum non tam unio quàm unitas, inter tôt variarum provinciarum ac nationum capita, hoc-têmpore laudanda est ; ita et deinceps laudarn possit.

Superiorem autem generalem nunc habet ista-congregatio, maximà votorum ac suffragiorum conspiratione electum, cui sine controversià om-nes eruditionis, prudentiàe acingenii palmam ce-dere debent virum spectatissimae probitatis ac-pietatis, qui gravissimis scriptis, Ecclesiam D'ei, non solum hactenus ornavit acmunivit, sed deinceps, quando ei per otium licuerit, ornare ac mu-nire paratus sit; ut sperandûm sit sub ejus mo-deramine totam istam congregatiônem uberiores in dies proventus facturam.

Ceterum, quandoquidem anno 1623 istius congregationis capitulum générale Rom* in cons-pectu sedis apostolieoe celebrabitur, si quid supersit ad tanti ordinis splendorem, ad majorem perfectionem addendum, nullo negotio et facile-addetur.

Deus autem optimus maximus, pro suà erga ecclesiam singulari providentiâ, sanctitatem ves-tram tueatur incolumem, ut summis ac imis votis supplex peto etexpeto.




Il mande à sa sainteté qu'il a exécuté ses ordres en présidant au chapitre général des feuillants, à Pignerol. Il fait un grand éloge de la conduite de ces pères et de leur général.



Très-saint père, ayant reçu les lettres apostoliques de votre sainteté, datées du 28 du mois d'avril de cette année, par lesquelles elle m'établissoit président du chapitre général de la congrégation de Notre-Dame de Feuillants (l), à l'instant j'ai obéi à vos commandements, et je me suis transporté au monastère de Pignerol du même ordre, où l'assemblée s'est tenue en ma présence.

On y a réglé comme il convenait un grand nombre de choses qui regardent les affaires de la congrégation, et qui ont été proposées de toutes parts; et comme c'est la coutume que l'on y élise un général, et les autres tant provinciaux qu'abbés et prieurs, cela s'est fait aussi, mais avec tant de concorde, de paix et de douceur, que je ne pense pas qu'il se puisse rien voir de plus agréable et de plus aimable.

Certainement on peut appliquer avec vérité à ce chapitre ces mots du prophète royal: «O qu'il est bon, qu'il est doux, que ceux qui sont frères vivent ensemble dans l'union ! Il en est de cet accord comme du parfum précieux qui fut répandu sur la tète d'Aaron, et qui découla sur sa barbe, et sur le bord de ses vêtements (
Ps 132,1-2). » Aussi n'y a-t-il rien à désirer, sinon que cette union, ou plutôt cette unité entre tant de têtes de diverses provinces et de diverses nations, qui est si louable, subsiste toujours telle que nous la voyons aujourd'hui.

Celui qui a été fait général par la réunion de tous les voeux, aussi bien que par l'unanimité de tous les suffrages, est un homme, pour dire la vérité, à qui tous ses autres confrères doivent céder la palme de la science, de la prudence et de l'esprit, et un homme d'une très-grande piété ; qui non seulement a illustré et défendu l'Église de Dieu jusqu'à cette heure par de très-beaux écrits, mais qui est encore prêt à le faire quand son loisir le lui permettra ; en sorte qu'il y a lieu d'espérer que toute cette congrégation aura de très-grands avantages sous son heureux gouvernement, et profitera de jour en jour.

Au reste, comme le chapitre général des pères feuillants se doit tenir à Rome sous les yeux du Saint-Siège, en l'année 1623, s'il manque quelque chose à la gloire et à la perfection de ce grand ordre, on pourra facilement y pourvoir.

Que le Dieu tout-puissant, par sa singulière providence envers l'Église, conserve long-temps votre sainteté, comme je l'en supplie, et comme je l'attends de sa bonté.

J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect, très-saint père, de votre sainteté, etc.


(1) Sainte-Marie de Feuillants est le titre du chef d'ordre de la congrégation de Feuillants, établie dans un bourg de ce nom, dans le Languedoc, à su lieues de Toulouse.



F. de Sales, Lettres 1898