F. de Sales, Lettres 1970

LETTRE DXXXII, A MERE DE CHEVRON-VILLETTE, SUPÉRIEURE DE LA VISITATION DE SAINT-ETIENNE, SA COUSINE.

1970
Il l'exhorte à aimer Dieu purement, et à porter les autres à la même vertu.

Annecy, 2 novembre 1622.

Je bénis de tout mon coeur le nom sacré de notre Seigneur, de la consolation que sa divine providence donne à votre âme au lieu où vous êtes, et de la constance qu'elle établit en votre affection. Certes, ma très chère Cousine ma fille, qui ne veut agréer que ce céleste amant, il est partout très-bien ; car il a ce qu'il veut. O que vous êtes heureuse, et que vous le deviendrez toujours davantage, si vous persévérez à marcher en ce chemin ! Et combien vous rendez-vous parfaitement agréable à l'Époux de ces âmes qu'il attire sur votre giron, pour les rendre ses épouses, si vous leur apprenez à regarder seulement les yeux de ce Sauveur ; à perdre petit à petit les pensées que la nature leur suggérera d'elle-même, pour les faire penser tout-à-fait en lui.

O ma très-chère cousine ! que de bénédictions pour votre esprit, que Dieu a destiné pour cultiver et gouverner sa sacrée pépinière ! Vous êtes la mère, la nourrice, et la dame d'atours de ces filles et épouses du roi. Quelle dignité! A cette dignité quelle récompense, si vous faites cela avec l'amour et les mamelles de mère ! Tenez votre courage fort et ferme en cette poursuite, et croyez très-invariablement que je vous chéris et affectionne sans condition et réserve, comme ma très-chère cousine et fille bien-aimée.

Je vis il y a seulement un mois notre soeur N., mais je la vis fort peu ; néanmoins je la vis dedans l'âme, et trouvai qu'elle était toute pleine de bonnes affections. O que bien avantagées sont les, filles de Sainte-Marie de la Visitation, parmi tant de moyens et d'occasions de bien aimer et servir notre Seigneur ! Hélas ! ce sont des miracles de voir de ces bonnes filles en ces monastères, exposées à tant de venues et de visites. Ma très-chère cousine ma fille, Dieu soit loué. Amen. Et je suis votre, etc.



LETTRE DXXXIII, A MADAME DE TOULONGEON, MARIÉE.

1975
Il l'exhorte à séparer son coeur de tout amusement de vanité.

17 décembre 1622.

Allant à Avignon, madame ma très-chère fille, j'eus ce bonheur de trouver notre bonne mère ici, et l'y.ai encore rencontrée à mon retour: vous croirez aisément que ce n'a pas été sans parler souvent de vous, non sans beaucoup de consolation que j'ai reçue, de savoir que vous vivez toujours dans la crainte de Dieu, avec désir de faire progrès en la dévotion. Vous savez, ma très-chère fille, combien je suis aisé à contenter, et combien j'ai de facilité à bien espérer des âmes que j'affectionne : c'est dès votre enfance, que j'ai une infinie passion pour votre salut, et que j'ai conçu une grande confiance que Dieu vous tiendrait de sa main (cf.
Ps 138,10), pourvu que vous veuillez correspondre à ses faveurs. Faites-le donc, je vous en conjure, ma très-chère fille, et séparez de jour à autre votre coeur de toute sorte d'amusement de vanité, et comme vous, je ne suis nullement scrupuleux, et n'appelle pas amusement de vanité, sinon la volontaire inclination que nous nourrissons aux choses qui véritablement nous divertissent des pensées et délibérations que nous devons avoir pour la très-sainte éternité.

Cette chère mère m'a raconté la consolation qu'elle a de vous voir avec un si digne mari, et duquel vous êtes parfaitement chérie : c'est un grand avantage pour votre vertu, ma très-chère fille, faites-le bien profiter. Et, quoique votre âge, votre complexion et votre santé vous promettent une longue vie, souvenez-vous néanmoins qu'aussi pouvez-vous mourir bientôt, et que vous n'aurez rien de plus désirable à la fin, que d'avoir mis un grand soin à recueillir et conserver les faveurs de la bonté divine. Cependant je suis à jamais tout-à-fait, ma très-chère fille, votre, etc.



LETTRE DXXXIV, A MERE DE CHASTELLUX, SUPÉRIEURE DE LA VISITATION DE MOULINS.

1977
Souhaits de bénédiction.

19 décembre 1622.

Dieu, qui voit les désirs de mon coeur, sait qu'il y en a de très-grands pour votre continuel avancement en son très-saint amour, ma très-chère fille, surtout maintenant que, selon la disposition de la sainte providence éternelle, vous voilà mère et conductrice d'une troupe d'esprits consacrés à la gloire de celui qui est l'unique bien auquel nous devons aspirer.

Notre mère a bien raison de vous souhaiter une grande humilité, car c'est le seul fondement de la prospérité spirituelle d'une maison religieuse, qui n'exalte jamais ses branches ni ses fruits, qu'à mesure qu'elle enfonce ses racines en l'amour de l'abjection et bassesse.

Je suis plein de très bonne espérance, ma très-chère fille, et vous conjuré de prendre de plus en plus confiance en la miséricorde de "notre Seigneur, laquelle vous tiendra de sa sainte main (
Ps 138,10), vous protégera de sa force.

Je ne pars pas encore de cette ville, et comme je pense, j'aurai encore la consolation de vous écrire; cependant Dieu soit à jamais au milieu de votre coeur et de votre monastère, ma très-chère fille, et je suis de tout mon coeur, votre, etc.




LETTRE DXXXV.

LES MAGISTRATS DE LA VILLE d'ANNECY, AU PRINCE DE PIÉMONT.

(Tirée de la vie du Saint, par Cb.-Aug. de Sales.)

Ils lui écrivent pour obtenir, par son moyen, le corps de S. François de Sales, mort à Lyon.

Vers le 11 janvier.1625.

Monseigneur, comme par après le décès de notre grand et digne évoque nous étions prêts de lui rendre les derniers devoirs, et recevoir la première consolation du dépôt de son corps en cette ville, nous avons su que messieurs de la ville de Lyon, avec l'intendant de la justice, n'avaient pas voulu permettre qu'on le transportât ici, voulant priver ce lieu de la dépouille de celui qui a triomphé si glorieusement en toutes sortes de bonnes oeuvres pendant sa vie.

La plus grande consolation qui nous resté après une si grande perte, est d'avoir ce qui reste de lui, et en conséquence d'avoir en cette ville son corps, pour nous rendre plus recommandables à son âme qui vit dans le ciel. C'est ce qui nous fait recourir à la bonté de votre altesse sérénissime, afin qu'il lui plaise interposer favorablement son crédit absolu et tout-puissant pour faire relâcher le corps de ce saint prélat à son diocèse, à son église, et au lieu ordinaire de sa résidence, afin que les états de votre altesse sérénissime recouvrent cet ornement, le peuple cette consolation, et cette ville particulièrement la continuation des bénédictions et du bonheur qu'elle a eu pendant la vie et la résidence d'un tel évoque.

Nous envoyons à votre altesse sérénissime cette humble supplication avec le même ressentiment de douleur que celui que nous avons eu de cette perte, dans l'espérance qu'il plaira à sa bonté de nous accorder la grâce que nous lui demandons, avec l'entière protestation et soumission d'être de toute l'étendue de notre coeur, monseigneur, de votre altesse sérénissime, les très-humbles, etc. (1).



(1) Son altesse, en conséquence, écrivit à son ambassadeur Philibert-Gérard Scadliâ, comte de Verrue, de travailler à cette affaire auprès du roi Louis XIU ; et sa majesté ayant donné ses ordres, le corps du Saint fut remis entre les mains des députés du chapitre de sa cathédrale, et porté à Annecy.




LETTRE DXXXVI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MONSEIGNEUR G1SBERT, ÉVÊQUE DE B01S-LE-DUC.

Ostendit quanta sibi cum episcopo Buscoducensi similitude intercédât, et aoeicum quempiam com-mendat.

Quàm fuerit in usu inter priscos illos Ecclesioe pastores scriptionis epistolarum officium, nemo-sanè est qui ne'sciat; et tu, reverendissime pater, id omnium minime ignoras : chantas mutua sola scribendi causa, cujus sacrum perfectionis vin-culum nulla locorum distantia solvit.

Ea ergô mihi primo causa'scriptionis satis esse visa est, quae majoribus unica propemodum esse solebat; praesertim cum non tantum dignitatis ecclesiasticae, sed etiam aifectionis (contrario licet génère), communione conjungamur.

Nam tuquidem, reverendissime domine, ab haereticis, ut audio, obsidione conclusus, civi-tate solà potiris : ego contra, ab fuereticis exclu-sus, solà propemodum careo civitate. Dissimile, sed non inaequale malum, exilium et carcer, ut me tibi jure christiano visitationis, te mihi hos-pitalitatis officia persolvere sit aequum. Me ergô tu, quo possum modo, per litteras nimirum salu-tatus, laetis, opinor, excipies oculis, et pro tuà charitatecomplccteris.

Accedit et alia scriptionis causa, commendandi scilicet dominum Rodulphum, filium Joannis à Dunghen, tuae dioecesis virum, qui et ipse pri-mus reverendissimae paternitatis vestrse colendae animum injecit, cum inter mnltas laudes, qui-'bus te dignum soepè praedicat, hanc adjiceret, multam quidem suorum civium erga principes suos devotionem, tua tamen praesertim opéra cffectum quôd urbs illa'toties tain inusitatis quo-que stratagematibus tentata, inhostium potesta-tem nondum venisset ; illud nimirum tuum esse eloquium,'ac vira dicendi, ut cum buccinae clan-gore mûri Hierichuntini sint eversi, tubas tuae evangelicae sonitu Boscoducensia moenia et pro-pugnacula sarta tecta hue usque permanserint.

Cum ergô discessurus addidisset hic tuarum virtutum cultor, existimare se ; si aliquod vitae sua? apud nos laudabiliter actae testimonium ad te deferret, plurimum hoc illi in omni vitoe génère subsidii allaturum ; ego, pro eà quà praesentem complexus sum amicitià, non potui quin ei dis-cedenti hoc amoris officium lubens impenderem, eumque tibi, quanto possum studio, commen-darem.

Jam triennium ferè in domo ac contubernio illustris et clarissimi viri Antonii Fabri, ducatûs gebennensis. proesidis, vixit, mensae ejusdem et sermonis ac disciplina; particeps : quo toto tem-poremitto quanta curàjurisprudentiam et litteras coluerit; sedquod apud me caput est, pietatis et religionis officia semper diligentissimè amplexus est, ut nunc redeuntem sicut omni virtutum et pietatis génère onustam navim institoris videre liceat.

Quod et tibi, reverendissime pater,gratissimum fore non ambigo, et hominis plurimum diligendi causam per se acceptissimam. Si quid tamen ad hase meum adjicere potest suffragium, illud spontè ac lubens confero ; et me tibi, reverendissime pa-ter, tuisque omnibus rationibus ac voluntatibus addico.

Benè vale, et Christum habeto propitium, meque illius misericordiaeprecibus pro tua charitate concilia.



le Saint lui témoigne le désir d'entretenir avec lui un commerce d'amitié par lettres.

Monseigneur, il n'yapersonne qui ne sache que c'était l'usage dés anciens prélats de l'Église, de s'écrire mutuellement des lettres, et vous le savez mieux que qui que ce soit. On ne saurait assigner d'antre cause à cette pratique, sinon la charité qu'avaient ces saints personnages les uns pour les autres, ce lien de la perfection que la distance des lieux n'a jamais pu rompre.

Cette seule raison, qui était l'unique motif de nos pères, m'a paru plus que suffisante pour entretenir avec votre reverendissime seigneurie ce pieux commerce ; d'autant plus qu'il y a. entre nous une union particulière, fondée non-seulement sur la dignité ecclésiastique dont nous sommes également revêtus, mais encore sur l'affection compatissante qui naît des disgrâces où nous sommes tous deux exposés, quoique d'une manière toute contraire.

Il est vrai, monseigneur, que nos peines procèdent d'un même principe, savoir des hérétiques : mais au lieu que vous jouissez de votre seule ville épiscopale, qu'ils tiennent assiégée, et où vous êtes renfermé, à ce qu'on dit, sans en pouvoir sortir ; moi, au contraire, je possède presque tout mon diocèse, et ils ne me permettent pas l'entrée de ma ville. S'il y a quelque différence entre l'exil et la prison, ce sont toujours deux maux aussi insupportables l'un que l'autre et qui me donnent lieu de faire cette réflexion : c'est, monseigneur, que, selon l'Évangile, je vous dois des visites, et que vous me devez l'hospitalité. Je m'assure, par cette raison-là, qu'en vous saluant et en vous visitant autant et en la manière que je le puis, je veux dire par lettres, vous me recevrez de bon coeur, et vous m'embrasserez avec joie.

Il y a un autre motif qui m'engage à vous écrire j'ai à vous recommander M. Rodolphe, fils du sieur Jean de Dungen, votre diocésain, qui, le premier,, m'a fait naitre l'envie d'honorer votre révérendissime seigneurie ; car, au grand nombre de choses qu'il publie d'elle, et dont il assure qu'elle est très-digne, il ajoute, monseigneur, qu'encore que ces concitoyens fussent très-attachés à leurs princes (1), leur ville a l'obligation à votre vigilance de ce qu'elle n'est point tombée sous la puissance des ennemis, nonobstant tous les stratagèmes inouïs dont on a usé pour corrompre leur fidélité, parce que votre éloquence, que l'on petit bien nommer une trompette évangélique, bien différente de celles au son desquelles tombèrent les murs de Jéricho, est cause que les murailles et les fortifications de Bois-le-Duc subsistent aujourd'hui dans leur entier.

Cet honnête homme, qui a autant à coeur d'imiter que d'admirer vos vertus, étant sur son départ, me fit connaitre que si je lui donnais une attestation de la vie qu'il a menée parmi nous, pour vous la présenter, cela lui serait d'un fort grand secours, dans quelque situation qu'il pût se trouver; je n'ai pu lui refuser ce plaisir et cette marque de mon amitié dans cette conjoncture, après l'avoir tant chéri pendant qu'il était ici. C'est pourquoi je vous le recommande de la manière la plus forte, et avec tout le zèle dont je suis capable.

Il a vécu pendant près de trois années dans la maison et à la table d'un très-illustre et très-excellent homme, messire Antoine Fabre, président de Genevois; il a joui de ses entretiens, et a reçu ses leçons. Je vous laissé à penser, monseigneur, s'il a profité avec un si habile homme, et avec quel soin il s'est appliqué à la jurisprudence et aux belles-lettres : mais ce que j'estime le plus, sans comparaison, c'est qu'il a embrassé avec ferveur tous les exercices de la piété et les devoirs de la religion, en sorte que vous le verrez revenir avec une provision de toutes sortes de vertus, et comme un navire chargé d'une riche cargaison.

Je ne doute pas, monseigneur, que cela ne vous fasse un très-grand plaisir, et que vous n'accordiez très-volontiers vos bonnes grâces à un homme qui mérite tant d'être aimé. Cependant, si mon suffrage peut ajouter quelque chose à ces considérations, je le lui donne avec la plus grande joie du monde, et je supplie en même temps votre révérendissime seigneurie de croire très-fermement que je suis dévoué à son service en tout ce qu'il lui plaira m'ordonner.

Je prie Dieu qu'il vous donne une santé parfaite, et qu'il vous soit toujours propice. Je vous conjure de me recommander aussi à sa miséricorde dans vos saintes prières animées de la plus ardente charité.

J'ai l'honneur d'être, etc.


(1) Les ducs de Brabant.




LETTRE DXXXVII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UN ÉVÊQUE.

( Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Loudun.)

Le Saint, après avoir prêché dans une ville épiscopale, prend congé par cette lettre pour s'en retourner à son diocèse.



Monsieur, je vous demandai congé pour venir faire l'office que je fais en cette ville ; je vous le demande maintenant pour mon retour, duquel je vois bientôt arriver la journée, avant laquelle je ne sais si j'aurai une si bonne commodité de vous baiser les mains, comme est celle que me donne le voyage de monsieur votre officiai pour aller près de vous, qui m'a donné le sujet de vous supplier dès maintenant d'avoir pour agréable l'affection que j'ai eue au service de votre peuple, et de croire que je suis, monsieur, etc.




LETTRE DXXXVIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UN ÉVÊQUE.

(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Bordeaux.)

Le Saint le remercie d'un présent qu'il lui avait fait.

Monseigneur, je ne puis dignement vous remercier des beaux présents qu'il vous a plu m'adresser, que j'ai reçus avec une extrême joie, non certes pour leur valeur, qui est grande, mais parce que ce sont de grands témoignages du coeur que vous avez envers moi, m'étant envoyés avec bien du soin et incommodité; et pour en retirer plus de gloire, je n'ai pas oublié d'en faire parla tous ceux de cette ville que j'estime capables de peser le bonheur que ce m'est d'être aimé de vous, auquel ne pouvant donner avec contre-échange, je fais pour le moins humble reconnaissance que mon devoir surpasse mes forces, lesquelles néanmoins vous les dédie toutes à l'honneur de votre service.

Mais quel contretemps ! si j'eusse été si heureux d'aller à Paris cette année, selon le désir de monsieur notre Grand, pour recueillir autour de vous et de lui les fruits de la plus excellente consolation que je pouvais avoir! J'acquiesce néanmoins à l'ordonnance de la providence céleste, laquelle au moins a permis que, pour mes péchés, ce plaisir me soit interdit. J'espère que le voyage de Piémont, dont j'ai dessein pour ce printemps, impétrera de votre altesse une si forte confiance en ma simplicité, que je pourrai l'année suivante avoir ma juste liberté.

Cependant allez, monseigneur, dessus ce grand théâtre; et suivant Dieu, comme vous faites, espérez toutes sortes de bons effets, et vous cm- ployez pour le bien de l'Église et de là providence pour laquelle vous vous acheminez. Mais disons doucement et toutefois, si vous me croyez, un peu avidement, de la présence du grand ami, que j'estime si grand pour moi que je ne vois rien de si grand parmi toutes les grandeurs de Paris, qu'il ne me semble petit en comparaison de sa bienveillance. Que si quelquefois, comme je n'en doute pas, vous me favorisez de quelque mention de nous ensemblement, je vous conjure, monseigneur, que ce soit comme de votre très-humble, etc.




LETTRE DXXX1X.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UN ECCLÉSIASTIQUE NOMMÉ A UN ÉVÊCHÉ.

Le Saint promet à un de ses amis, nommé à un évêché, de le consacrer. Alliance spirituelle que contractent ensemble l'évêque consécrateur avec le consacré.

Monseigneur, je prends avidement cette commodité de vous écrire, quoiqu'elle soit un peu pressante, pour répondre à votre dernière lettre toute marquée de suavité, du jour du grand père S. Joseph, grand ami du bien-aimé, grand époux de la bien-aimée du Père céleste, qui a voulu que son Fils céleste fût repu entre les lis de cette épouse et de cet époux. Je ne trouve rien de plus doux à mon imagination que de voir ce céleste petit Jésus entre les bras de ce grand saint, l'appelant mille et mille fois papa en son langage enfantin, et d'un coeur finalement tout amoureux.

Or sus, venez donc, mon très-cher frère, et que ce soit par mon ministère que vous soyez orné de ce grand caractère du sacerdoce évangélique, afin qu'en certaine façon très-véritable, mais que le sang et la chair n'entendent pas, nous contractions par ce moyen un parentage spirituel, que la mort même ni les cendres de nos corps ne pourront défaire, qui durera éternellement," et pour lequel mon esprit aura une réelle relation de paternité, filiation et fraternité avec le vôtre. Dieu sait que j'irais au bout du monde pour vous/ mettre la mitre en tête, et serais jaloux si un autre me ravissait cet honneur.




LETTRE DXL, A UN ABBÉ DE SES AMIS.

Le Saint l'assure de la constance et de la solidité de son amitié, et lui envoie son portrait qu'il lui avait demandé.



Mon très-cher frère, voici la question que vous me faites : Votre coeur n'aimera-t-il pas le mien, et toujours en toutes saisons ? Et voici ma réponse : O mon très-cher frère ! c'est une maxime de trois grands amants, tous trois saints, tous trois docteurs de l'Église, tous trois grands amis, tous trois grands maîtres de la théologie morale, S. Ambroise, S. Jérôme, S. Augussin : Amicitia quae desinere potuit nunquam vera fuit (1). Tenez, mon cher frère, voilà l'oracle sacré qui vous annonce la loi invariable de l'éternité de notre amitié, puisqu'elle est sainte et non feinte, fondée sur la vérité et non sur la vanité, sur la communication des biens spirituels et non sur l'intérêt et le commerce des biens temporels : bien aimer, et pouvoir cesser de vous aimer, sont deux choses incompatibles.

Les amitiés des enfants du monde sont.de la nature du monde ; le monde passe, et toutes ses amitiés passent : mais la nôtre, elle est de Dieu, en Dieu, et pour Dieu : Ipse autem idem ipse est, et anni ejus non déficient. Mundus périt, et concupiscentia ejus; Christus non périt, nec dilectio ejus (2). Conséquence infaillible.

La chère soeur m'écrit toujours avec tant d'effusion de son cher amour, qu'en vérité elle m'ôte le pouvoir de la bien remercier. J'en dis de même de vous, vous suppliant de vous remercier tous les deux l'un et l'autre des contentements que vous me donnez.

Au reste, voilà donc l'image de cet homme terrestre, tant je suis hors de tout pouvoir de refuser chose quelconque à votre désir.

On me dit que jamais je n'ai été bien peint, et je crois qu'il importe peu. In imagine pertransit homo ; sed et frustra conturbatur.(3). Je l'ai empruntée pour vous la donner ; car je n'en ai point à moi. Hélas ! si celle de mon créateur était en son lustre dans mon esprit, que vous la verriez de bon coeur ! O Jesu! tuo lumine, tuo redemptos sanguine sana, refove, perfice, tibi conformes effice. Amen.

(1) Toute amitié qui a pu cesser n'a jamais été véritable.
(2) Dieu est toujours le même, et ses années ne finiront point. Le monde passe, et les objets de sa concupiscence passent avec lui; mais Jésus-Christ ne périt pas, non plus que sa charité.

(3) L'homme passe comme une ombre et un fantôme, et sa vie comme une vaine représentation de théâtre : c'est donc bien.cn vain qu'il se trouble et qu'il s'inquiète, comme'il fait, pour des choses de néant.




LETTRE DXLI.

s. françois de sales, a m. lauray (i), nommé a l'abbaye d'hoexe.

(4) Marc-François Malarmay de Lauray.

Éloignement qu'un évêque doit avoir pour la cour.



Enfin, monsieur mon très-cher frère, voilà, comme je pense, l'espérance de notre voyage, ou plutôt de notre conversation au voyage, tout-à-fait dissipée : mais quel remède ? Demeurez en paix, mon très-cher frère ; et demeurons, malgré la distance des lieux, toujours très-unanimement serrés ensemble par ce lien indissoluble de notre sainte amitié, que Dieu a faite et rendue exempte de tout le déchet que la distance et absence a accoutumé de faire sur les amitiés humaines et transitoires : n'est-ce pas, mon très-cher frère !

Mais me voici encore en une autre peine ; c'est que je ne sais si son altesse ne voudra point que j'aille faire une-résidence de quelques mois auprès de madame, tandis que mon frère viendra aussi commencer la sienne..

En somme, monsieur mon frère, si Dieu n'y met sa bonne main, voilà la moitié de ma liberté engagée dans cette cour (1), où de ma vie je n'eus un seul brin de dessein de vivre, ni en aucune autre, mon âme étant tout-à-fait antipathique à cette sorte de train.

J'espère pourtant que je pourrai un jour en cette vie mortelle chanter : Dirupisti vincula mea; tibi sacrificabo hostiam laudis (Ps 115,19). Et si ce bien-là m'arrive, mon très-cher frère, vous m'aiderez à la suite, de pouvoir ajouter plus hardiment qu'à cette heure, et nomen Domini invocabo (Ps 115,19). Vivez tout-à-fait à jamais, comme vous faites, en cet amour céleste, monsieur mon très-cher frère, et aimez celui qui est de tout son coeur inviolablement votre, etc.

(1) De Savoie.




LETTRE DXLII.

S. FRANÇOIS DE SALES, AUX CURÉS, VICAIRES ET AUTRES ECCLÉSIASTIQUES DU DIOCÈSE DE GENÈVE.

(Tirée du monast. de la Visitât, de la ville de Lyon.)

Le Saint ordonne la publication d'un jubilé.

François de Sales, par la grâce de Dieu, évoque et prince de Genève, aux révérends curés, vicaires, et autres ecclésiastiques ayant charge des âmes en son diocèse : Ayant reçu la bulle du jubilé, de laquelle le présent sommaire est extrait, nous vous recommandons et ordonnons de le publier en toutes vos églises aux peuples qui vous sont commis, vous réjouissant même, de notre part, avec eux, de cette grande commodité qu'ils auront de profiter spirituellement, recueillant avec dévotion et charité les grâces qui si libéralement leur sont départies en leur propre diocèse ; à quoi vous les convierez et exhorterez le plus qu'il vous sera possible, au nom de notre Seigneur, duquel je vous souhaite la sainte bénédiction.




LETTRE DXLIII (1).

S FRANÇOIS DE SALES, AUX CURÉs ET CONFESSEURS DU DIOCÈSE DE GENÈVE.

Éloge du caractère sacerdotal.

Mes très-chers frères, l'office que vous exercez est excellent puisque vous êtes établis de la part de Dieu pour juger les âmes avec tant d'autorité, que les sentences que vous prononcez droitement en terre sont ratifiées au ciel. Vos bouches sont des canaux par lesquels la paix coule du ciel en terre sur les hommes de bonne volonté; vos voix sont des trompettes du grand Jésus, qui renversent les murailles de l'iniquité, qui est la mystique Jéricho.

C'est un honneur extrême aux hommes d'être élevés à cette dignité, à laquelle les anges mêmes ne sont point appelés. Car auquel des ordres angéliques fut-il oncques dit : Recevez le Saint-Esprit ; de ceux desquels vous remettrez les péchés ils seront remis (Jn 20) ? Cela néanmoins fut dit aux apôtres, et en leurs personnes à tous ceux qui par succession légitime recevraient la même autorité. Étant donc employés pour cet admirable office, vous y devez nuit et jour appliquer votre soin, et moi une grande partie de mon attention. A cette cause, ayant, il y a quelque temps, fait un amas de plusieurs remarques que j'estime propres pour vous aider en cet exercice, j'en ai extrait ce petit mémorial que je vous présente, estimant qu'il vous sera bien utile.

(1) Voyez l'avertissement aux confesseurs, etc. (Opuscules.) "



LETTRE DXLIV, A UN DOCTEUR (UN ETUDIANT).

1988
Qu'il faut acquiescer à la volonté de Dieu dans la mort de nos parents. Comment nous devons considérer notre séparation d'avec eux. Dans quelle disposition l'on doit être lorsqu'on s'applique à l'étude.


Mon cher fils, la vraie science de Dieu nous apprend sur toutes choses que sa volonté doit ranger notre coeur à son obéissance, et à trouver bon, comme en effet il est très-bon, tout, ce qu'elle ordonne sur les enfants de son bon plaisir.

Vous serez, je m'assure, de ceux-là, et, selon ce principe, vous acquiescerez doucement et humblement, quoique non sans sentiment de douleur, à la miséricorde dont il a usé envers votre bonne mère, qu'il a retirée dans le sein de sa bienheureuse éternité, ainsi que les dispositions précédentes nous donnent tout sujet de croire, avec autant de certitude que nous en pouvons justement prendre en tel sujet.

Or sus, c'est fait, voilà ce que j'avais à vous dire. Pleurez maintenant, mais modérez vos pleurs, et bénissez Dieu ; car cette mère vous sera propice, comme vous devez espérer, beaucoup plus où elle est, qu'elle n'eût su l'être où elle était. Regardez-la donc là avec les yeux de votre foi, et accoisez en cela votre âme.

Votre bon père se porte bien et se comporte encore mieux. Il y a environ un mois qu'il porte son deuil entremêlé de tristesse et de consolation selon les deux portions de son âme. Étudiez toujours de plus en plus en esprit de diligence et d'humilité ; et je suis tout vôtre.




LETTRE DXLV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UN PRÊTRE

Ne pas se laisser prévenir au désavantage de personne, et surtout de ceux qui sont consacrés à Dieu. Comment on doit se comporter quand on est calomnié.



Monsieur, trois jours avant l'arrivée en cette ville de ce bon frère ermite, que je trouve bien à mon gré, j'eus déjà quelques avis de cette fâcheuse affaire, qu'il m'a communiquée de votre part.; et comme après avoir eu une bonne impression d'une personne qualifiée, j'ai beaucoup de difficulté à m'en déprendre, je ne permis pas à cette relation si mauvaise d'entrer dans mon esprit; ains je l'arrêtai à la porte, suivant l'ancien avis :



Celui que trop facilement

Par la calomnie on enchante,

Ou bien il est sans jugement,

Ou bien il a l'âme méchante.



Néanmoins la chute de Salomon, que j'ai si souvent en la pensée, me mit, je vous assure, grandement en peine, et fus grandement soulagé quand ce bon frère m'eut parlé, et que j'eus vu le témoignage, plus grand qu'aucune exception, de monsieur l'archidiacre, duquel le témoignage est digne de très-grand respect. Or sus, Dieu soit loué : voici mon avis.



Premièrement, puisqu'ainsi me dit ce porteur, et que votre lettre me signifie, la calomnie n'est pas encore entrée dans la foule du peuple, et qu'au contraire les plus apparents et les plus dignes juges des actions humaines de ce pays-là sont tout-â-fait résolus en l'opinion de votre probité, je préfère la dissimulation au ressentiment, car nous sommes au cas de l'ancien sage : Spreia exolescunl : si irascare, agnita videntur (1). Et, comme j'ai accoutumé de dire, si la barbe n'est ni arrachée, ni brûlée, ains seulement coupée ou rasée, elle recroîtra facilement.

Je voudrais que la dissimulation fût si franche, et comme doivent être les actions héroïques qui se pratiquent pour l'amour de Dieu, sans se plaindre, sans témoigner de grandes répugnances au pardon ; car la candeur du coeur qui pardonne, fait tant plus connaitre le tort de l'injuriant. Néanmoins il faudrait ôter de devant les yeux des malins tout ce qui les peut provoquer, et qui n'est pas du service de Dieu. Votre très-humble,etc.



(1) La calomnie étant méprisée, perd toute sa force; mais si l'on vient à s'en fâcher et à en faire état, il semble qu'on reconnaisse la justice de l'accusation.






LETTRE DXLVI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UN PRÊTRE SON AMI.

La diversité des opinions ne doit point altérer la charité et l'amitié dés chrétiens. Comment se doit comporter un juge.



Monsieur, je ne sais comme il vous peut entrer au coeur que je puisse avoir aucune défiance de votre amitié, pour tous les secours que vous ferez à M. le Prieur et à sa troupe réformée; car je leur souhaite toute sorte de prospérité, et n'ai nulle sorte d'intérêt en l'événement de votre entreprise, sinon celui-là même que vous me manquez en votre lettre être le vôtre, la plus grande gloire de Dieu, et le plus grand service de son Église, et que Dieu soit servi, ou par des religieux vêtus de noir ou vêtus de blanc, cela est indifférent.

Mais je dis plus, et le dis devant notre Seigneur, quand j'aurais bien de l'intérêt d'un côté plus que de l'autre, j'espérerais cette grâce de la divine majesté, de n'être pas si passionné et désordonné en l'amour-propre que savoir mauvais gré à qui ne suivrait point mon parti: Non,-certes, je ne pense pas que ni mon sentiment, ni mes opinions, ni mes intérêts, doivent servir de règle à pas un homme du monde, et particulièrement à.mes amis ; trop obligé que je leur serai, si réciproquement ils ne m'estiment rien moins que leur affectionné et véritable ami, quand je serai d'autre opinion qu'eux : les anges ont de ces différends in agibilibus, et S. Pierre et S. Paul en eurent, comme aussi S. Paul et S. Barnabé, sans diminution de leur indissoluble charité.

Je vous ai dit candidement mon sentiment sur le sujet de la réformation que vous affectionnez : il y a du respect pour l'une que j'estime bonne, et pour l'autre que j'estime meilleure ; marri que je serais de perdre la douceur et paisible-affection que je dois à toutes deux. Mais ne vous par-lai-je pas clair à votre départ ? Ce fut de bon coeur que je dis alors, je le répète maintenant, et le dirai encore ci-après : Unusquisque in suo sensu abundet, dummodo glorificetur Christus (Rm 14,5). Tout le déplaisir que j'ai en ceci, c'est de ne vous pouvoir pas assez plaire, et m'accommoder à votre désir, mêmement en ce qui est d'écrire à monseigneur le cardinal Bellarmin.

J'ai déjà été récusé par l'une des parties, qui se plaint de moi ; il n'est pas à propos de me jeter les plaintes de l'autre sur les bras. Je ne sais nullement que c'est que des autres réformés de N., hormis de M. le Prieur et de M., ne connaissant les autres que de nom, et quelques-uns de vue. Je suis délégué commissaire, je ne dois point faire de préjugés, afin que, si les parties allèguent quelque chose contre cette réformation, je puisse encore juger. Il y a enfin mille raisons, ce me semble, pour lesquelles je dois ouïr parler de part et d'autre, sans me mêler de faire des offices, ni pour les uns ni pour les autres, jusqu'à ce que je sois déchargé de l'office de juge qui m'est commis.

Notre amitié n'est pas fondée sur la réforma-lion ni des unes ni des autres ; c'est pourquoi je vous supplie de me bien conserver la vôtre, au travers de toute cette négociation, comme de mon côté je suis invariable en celle que par tant de respects je vous dois. Je sais qu'un autre, moins discret et charitable que vous, pourrait beaucoup dire de choses de moi, entre les poursuites, comme il a été fait à Chambéri ; dont je loue Dieu que ce soit vous plutôt qu'un autre, bien que, pour parler franchement entre nous, je me sente fort assuré de n'être point blâmé de quiconque sans passion voudra conférer les temps et les occasions de ce qui s'est passé par mes mains, et de ce qui s'est passé par les mains de ceux qui se dénient.

Mais quand il plairait à Dieu que quelqu'un me fit mortifier, mon second remède serait d'avoir patience. Je finis donc par où j'avais commencé, vous remerciant derechef de la peine que vous prenez pour ces bonnes âmes, qui prient et prieront Dieu pour vous, et vous demeureront extrêmement obligées avec moi, qui de tout mon coeur suis sans fin, monsieur, votre plus humble, etc.

J'ai su le peu de compte que l'on tint de l'évoque du lieu, au conseil de la N. ; mais si, ne puis pas m'émouvoir à rien faire qu'après une mûre délibération ; car il faut ne point faire de faute, quand on s'oppose aux fautes ; il est- impossible d'empêcher que chacun (à bonne intention) ne s'essaie de gagner l'avantage.






LETTRE DXLVII.

. S. FRANÇOIS DE SALES, A UN AMI.

(Tirée du second monastère de la Visitation de la ville de Rouen.)

Grands témoignages d'amitié et de respect.

En ce billet je confirme le don que je vous ai fait, monsieur mon père, de mes plus sincères affections dédiées à votre honneur et service. Faites-moi réciproquement le bien de m'aimer selon la véritable qualité que je porle en mon âme, de votre plus humble, très-affectionné fils et serviteur.




LETTRE DXLVIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A M. DU MARTEKEY, CURÉ DU DIOCÈSE DE GENÈVE.

(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Bourges.)

Le Saint lui donne ses avis pour sa conduite, et pour la validité d'un mariage.



M. du Martereyj je fais en partie ce que monsieur le supérieur et vous avez désiré ; et ne me fusse pas arrêté là, n'eût été qu'hier ceux qui ont été employés pour votre affaire m'y vinrent obliger par leurs remontrances. Je crois que vous ne tarderez pas à les rendre satisfaits; et je passerai plus outre, et vous contenterai.

Or, persévérez es saintes résolutions que nous avons prises ; tenez votre âme nette, élevez souvent votre coeur, occupez-le en la lecture des bons livres ; ne demeurez point oiseux, ains faites toujours quelques bonnes besognes; ou corporelles, ou spirituelles. La jeunesse et l'oisiveté sont deux mauvaises compagnes. La dernière trahit et ruine la première. Je crois bien, comme vous m'écrivez, que la bonne madame de la Fle-cherc vous aide : la hantise peut infiniment, soit en bien, soit en mal; celle de cette dame ne peut être que salutaire à qui s'en veut et sait prévaloir.

Il se faut bien garder de redonner la bénédiction matrimoniale à la sainte messe, ni de reprononcer ces paroles, Ego vos conjungo ; mais, après que ces gens-là seront communiés, vous pourrez bien après la messe, et secrètement, leur faire confirmer le consentement de leur mariage, et dire sur eux les oraisons qui sont dans le missel de la bénédiction.

Dieu soit votre lumière et votre protection. Votre, etc.




LETTRE DXLIX.

S. FRANÇOIS DE SALES, AU PÈRE DOMINIQUE DE CHAMliÉRI, PROVINCIAL DES PERES CAPUCINS.

(Tirée du monastère de la Visitation delà ville d'Au-rillac.)



Le Saint lui donne avis d'un voyage qu'il va faire h Lyon, et de quelques affaires qu'il veut y consommer.,

Mon révérend père, si le temps n'empire point, je pense partir pour aller demain à Lyon; et par ce voyage je serai bien aise si je pouvais éclaircir le coeur de M. Maguin avec le frère Adrien, et que le frère Adrien accommodât pour une bonne fois toutes les affaires que l'on a de cette ville à Lyon pour ce qui regarde la soie. Or, je vous propose cette même pensée, afin que, si vous l'approuvez, il vous plaise donner l'obéissance audit frère Adrien, afin qu'il vienne tandis que je serai là, qui ne sera que cinq ou six jours ; et si de plus je puis rendre quelque service à votre révérence, soit pour l'argent de M. Belloit, soit pour autre chose, je le ferai de tout mon coeur, comme étant, mon révérend père, votre, etc.




LETTRE DL.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UN SUPÉRIEUR D'UNE COMMUNAUTÉ.

Negat indulgentias, maxime cum eleemosynis corrogandis conjunctas, promulgari debere, nisi de ea-rum concessione liquidé constet.

Accepimus litteras nomine dominationis vestroe nobis datas, quibus postulâbatur ut eleeinosynas fidelium in nostrâ dioecesi colligere, indulgentias publicare, et confraternitati domus vestroe utriusque sexus catholicos adscribere procuratori vestro liceret.

Nos, pro domûs vestra? famà, et longé altèque diffuso splendore, litteras quidem amanterscrip-tas, amantissimô vidimus et perspeximus, neque sine magnà quâdam animi propensione id proes-tandi quod petebatur.

Verum cum ad rem ventum est, ubi ab eo qui litteras eas attulit postulatum est ut facultatis re-rum domûs vestroe-gerendarum authenticum di-ploma. ac bullam, aut brève, vel transsumptum concessionis indulgentiarumproferret, respondit se noii habere. At verè multum, révérende domine, et jure canonico, et decreto concilii Tri-dentini cautum est, ne quis ad indulgentiarum publicationem, earum maxime quoe cum eleemo-synarum collectione conjunctoe sunt, admittatur, nisi fidem faciat omni exceptione majorem, de il-larum concessione.

Prudentia autem miiltis experimentis compro-bata docet, non cuilibet dicenti se nomine loco-rum piorum eleeinosynas colligere debere cre-dendum esse, aut concedendum quo quoerit : quà de re non ita pridem ipsamet, sancta sedes nos peculiari cura monuit.

Quare donec.de potestate hominis qui litteras attulit, et de concessione indulgentiarum nobis constet, à collectione eleemosynarum et publi-catione indulgentiarum abstinendumdecrevimus; parati tamen ex animo vestris adesse votis, do-mûsque vestroe commodis, ubi per legum eccle-siasticarum canones nobis licuerit.

Dominationem vestràm, id non oequo tantum, sed etiam loeto et consentiente accepturam anima credimus, nosque nihilominus Deo optimo com-mendaturam, quod et nos vicissim facimus.





Réponse à un abbé ou supérieur de quelque communauté, qui avait prié le Saint de faire publier dans son diocèse des indulgences qu'il disait avoir obtenues pour ceux qui assisteraient sa maison dans le besoin, et qui ne justifiait point de la concession desdites indulgences. Le Saint s'excuse de les publier jusqu'à ce qu'il ait vu les bulles en bonnes formes.



Monsieur, nous avons reçu la lettre qu'on nous a apportée de la part de votre seigneurie, par laquelle il nousparait que vous demandez qu'il soit permis à votre procureur de recueillir des aumônes des fidèles dans notre diocésej de publier des indulgences, et d'enrôler dans la confrérie de votre maison des catholiques de l'un et de l'autre sexe.

Quant à nous, pour l'amour de votre communauté, et à cause de la bonne odeur qu'elle répand de toutes parts, nous avons reçu de très-bon coeur, et lu avec grand plaisir, cette lettre pleine d'affection, et nous nous sommes sentis portés à faire ce qu'elle requérait de nous.

Cependant, quand on est venu à l'exécution, et que l'on a demandé à celui qui s'est dit chargé de vos dépêches, la bulle de concession des indulgences, et un témoignage authentique, par lequel il fit apparaître de sa commission et du besoin où se trouve votre maison, il a répondu qu'il n'était point muni de ces pièces. Or, il est défendu expressément par le droit canon, et par un décret du concile de Trente, à toutes personnes, de publier des indulgences, principalement celles qui sont jointes à la requête des aumônes, sans avoir préalablement vu un témoignage irréfragable de la concession desdites indulgences.

La prudence même, fondée sûr l'expérience journalière, nous dicte qu'il ne faut point ajouter foi au premier venu, qui dit avoir commission de recueillir des aumônes pour les lieux consacrés par la piété, ni les autoriser en aucune façon ; c'est de quoi le saint-siége nous a avertis particulièrement depuis peu.

C'est pourquoi, jusqu'à ce que nous soyons mieux informés et assurés de la commission du porteur de la lettre, et de la concession des indulgences en question, nous avons sursis leur publication et la quête des aumônes, à la réserve toutefois et dans l'intention de satisfaire vos désirs, et de prêter la main au soulagement de votre maison, aussitôt que les lois de l'Église nous permettront de le faire.

Je m'assure que votre seigneurie non-seule-meut ne sera point fâchée de la manière dont nous agissons, mais môme qu'elle recevra avec plaisir et de bon coeur notre réponse ; et de plus, qu'elle ne refusera pas de se souvenir de nous dans ses prières, ainsi que nous en usons envers elle.

J'ai l'honneur d'être, monsieur, votre, etc.




LETTRE DLL

S. FRANÇOIS DE SALES, A UN RELIGIEUX.

Sur la fraternité et la paternité spirituelles.



Monsieur, je vous ai témoigné parûmes lettres, que je prendrais à faveur de me nommer votre frère, qui est le mot du plus franc et désirable amour de tous ceux que la nature nous a donnés, et que la grâce nous ordonne. Mais quand je parle avec vous, sous ce titre de frère, c'est avec un très-singulier sentiment de fraternité : et toutefois vous me demandez encore que je sois votre père et que vous soyez mon fils. Certes, je ne saurais refuser mon consentement à vos désirs : mais usons un peu d'un tempérament, je vous supplie, qui m'ôte le blâme d'être un peu trop facile en un sujet où il y a danger d'outrecuidance.

Les frères aines succédaient aux pères anciennement dans les familles, et étaient comme vice-pères de leurs frères, de sorte que c'étaient des frères-pères et des pères-frères: et les puînés étaient des enfants-frères et des frères-enfants. Or sus, soyons comme cela : il est vrai, l'affection que j'ai pour vous tiendra rang, puisqu'il vous -plaît de paternelle, à cause de sa force et constance; et de fraternelle, pour sa confiance et privauté : et comme que ce soit la charité égale ceux qui l'ont, avec tant d'art qu'ils sont entre eux frères, pères, mères, enfants. Or, c'est cela dont vous me parlez, mon très-cher frère ; c'est pourquoi je vous dirai encore mon très-cher fils, et mon très-cher père encore : et moi, ne pouvant sans préjudice du porteur écrire plus longuement, je demeurerai d'un coeur paternellement fraternel, votre, etc.




LETTRE DLII.

S. FRANÇOIS DE SALES, AU PERE AIRAND,

RECTEUR BU COLLÈGE DE LA COMPAGNIE DE JESUS, A DOLE, CONDISCIPLE DU SAINT.

(Tirée du monastère de la ville d'Angers.) Témoignages d'amitié.

Mon révérend père, j'ai reçu en Beauce l'honneur de la lettre que M. Favreau et M. Dathame me rendirent de votre part ; car, outre la douceur que je prends à me ram'entevoir le temps auquel nous étions compagnons d'école, vos mérites me font grandement estimer tous les témoignages qu'il vous plait me donner de votre bienveillance, laquelle je vous conjure de vouloir bien me continuer par votre amitié, bien aise de savoir que vous soyez arrêté en notre voisinage, sous l'espérance que par ce moyen il se pourra bien faire que j'aie encore un jour le bonheur de vous revoir ; et cependant je chérirai de tout mon coeur tout ce qu'il vous plaira de me commander, comme je fais, le sujet d'avoir soin plus particulier de ces deux demoiselles, desquelles l'une, mademoiselle Favreau, qui est déjà voilée, et l'autre le sera soudain que je serai de retour d'un voyage que je veux faire à Thonon ; et espère que l'une et l'autre donneront et recevront réciproquement de l'édification et consolation en la congrégation en laquelle elles ont été appelées, puisqu'à ce commencement Dieu leur en donne de si bonne heure. Plaise à la divine bonté de vous conserver et prospérer de plus en plus en son saint service, et je suis de tout mon coeur, mon révérend père, votre, etc.,


Mon révérend père, je vous écris tout-à-fait sans loisir et presque sans haleine. Ce matin de la Pentecôte, presque toutes nos chaires sont occupées par les révérends pères capucins, qui ont huit maisons, la plupart nouvellement fondées ; et si, je vous puis dire qu'excepté celle de cette ville, je n'oserais en présenter une à quelque prédicateur, qui pouriv revenir eût besoin de faire une journée.



LETTRE DLIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UN PRIEUR RÉGULIER. Il l'exhorte de corriger deux religieux scandaleux.



Je souhaite tant le bien et le bonheur de votre monastère, que toutes les connaissances des choses contraires m'émeuvent et me donnent du ressentiment de zèle. J'ai su que les sieurs N. et N. donnent tant de mauvaise odeur de leur jeunesse, que la puanteur en est arrivée jusqu'au sénat, lequel s'en veut remuer, si leur amendement ne le prévient.

C'est, à la vérité une honte bien grande pour vous, si les laïcs prennent la connaissance de la correction sur ceux du corps auquel on vous a donné pour chef : mais ce sera encore quelque sorte de reproche pour moi, qui vous y ai porté, si je ne surveille pas à vous assister ; et semblerai être coupable de tout ce qui s'y fera avec vous, bien qu'en vérité ni vous ni moi ne puissions pas tout empêcher.

Tout cela mis ensemble me fait vous prier et exhorter de vouloir apporter tout le spin et l'ordre que vous pourrez pour réduire ces jeunes gens sur le train de leur devoir, et de me donner avis de leur état, afin que je puisse rendre témoignage de votre diligence comme de la mienne, et contenter ma conscience, laquelle me pressera par après à prendre d'autres expédients, si votre prudence, vigilance et justice, ne suffit pas à la résipiscence de ces discoles, desquels j'admire d'autant plus la dissolution, que leur naissance les devrait porter à la poursuite des vertus-et de la piété conforme à leur vocation. L'âge les a pu couvrir jusqu'à présent; mais la continuation les rend meshui inexcusables. Vous savez comme et combien tendrement je vous aime, et particulièrement ; ce qui me fait croire que vous prendrez cet avertissement aussi doucement qu'avec très-grande affection je vous fais la remontrance, pour le bien delà maison où notre Seigneur vous conserve, et laquelle il veuille rendre si pleine de sainteté, que je sais que vous le souhaitez avec moi, qui suis votre, etc.




LETTRE DLIV.

S. FRANÇOIS DE SALES, AU PÈRE DOM PIERRE SAINT-BERNARD, PRÉDICATEUR A LYON.

(Communiquée par M. Billon de Jouy, curé de Sainte- Opportune.)

Le Saint lui promet quelques ouvrages de piété.

Certes, mon révérend père, je désire grande ment de pouvoir tirer de la presse de mes inutiles occupations quelque petite besogne de dévotion, qui, en quelque sorte, corresponde aux augures que votre charité en fait; mais il est très-vrai que je n'ose nullement espérer cela pour maintenant. Ce que j'ai de plus prêt, qui regarde la conduite des ecclésiastiques de ce diocèse, je le remettrai, Dieu aidant, à ce porteur, non-seulement parce qu'il est mon diocésain, et qu'il a déjà été employé en semblable occasion, mais parce que aussi vous le voulez, puisque je suis de tout mon coeur, mon révérend père, et très-assurément, votre, etc.




LETTRE DLV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Profonde paix du Saint parmi les affaires ; marque de son humilité. Charge épiscopale sujette à la vanité : la croix en est le remède. Avantage d'être au pied de la croix. Le coeur de Jésus-Christ retraite de l'âme. Le Saint permet aux dames des récréations innocentes, sous le nom de bals. Il annonce qu'il va travailler au Traité de l'Amour de Dieu, dont il fait résolution de graver les sentiments dans son coeur, etc.-



Non, ma très-chère fille, je n'ai nouvelles de vous il y a trois mois bien entiers ; et si, je ne puis croire que vous ne m'en ayez envoyé. Plus elles arrêtent, plus je les souhaite bonnes. Je le confesse, mon coeur m'importune un peu pour ce regard ; mais je lui pardonne ces petites ardeurs; car il est paternel, et plus que paternel. Croirez-vous bien ce que je vous vais dire ? J'ai, il y a quelque temps, le petit livre de la Présence, de Dieu \ c'est un petit ouvrage, mais je n'ai encore su le lire entièrement, pour vous en dire ce que je pense pour votre service. Il n'est pas croyable comme je suis tracassé deçà et delà par les affaires ; mais, ma chère fille, vous vous troublerez si je n'ajoute que néanmoins, grâces-à mon Dieu, mon pauvre et chétif coeur n'eut jamais plus de repos, ni de volonté d'aimer sa divine majesté, de laquelle je sens une spéciale assistance pour ce regard.

O ma très-chère fille, que vous me fîtes un jour grand plaisir de me recommander la sainte humilité! car, savez-vous', quand le vent s'enferme dedans nos vallées, entre nos montagnes. il ternit les petites fleurs et déracine les arbres; et moi, qui suis logé un peu bien haut en cette charge d'évêque, j'en reçois plus d'incommodités; O Seigneur, sauvez-nous (Mt 8,25-26) ; commandez à ces vents de vanité, et une grande tranquillité se fera. Tenez-vous bien ferme, et serrez bien étroitement ce pied de la sacrée croix de notre Seigneur; la pluie qui y tombe de toutes parts abat bien le vent, pour- grand qu'il soit. Quand j'y suis quelquefois, Dieu! que mon âme est à re-coi, et que cette rosée, rosine et vermeille, lui donne de suavités! mais je n'en suis pas éloigné d'un pas que le vent recommence.

Je ne sais où vous serez ce carême selon le corps ; selon l'esprit je crois que vous serez dans la caverne de la tourterelle', et au côté percé de notre cher Sauveur : je veux bien m'essayer d'y être souvent avec vous ; Dieu par sa souveraine bonté nous en fasse la- grâce! Hier je vous vis, ce me semble, que, voyant le côté de notre Seigneur ouvert, vous vouliez prendre son coeur pour le mettre dans le vôtre, comme un roi dans un petit royaume; et, bien que le sien soit plus grand que le vôtre, si est-ce qu'il le raccourcirait pour s'y accommoder. Que ce Seigneur est bon, ma très-chère fille! que son coeur est aimable! demeurons là en ce saint domicile ; que ce coeur vive toujours dans nos coeurs, que ce sang bouillonne toujours dans les veines de nos âmes.

Que je suis content que nous ayons retranché les ailes à caréme-prenant en cette ville, et qu'on ne le connaisse presque plus ! quelles congratulations en fis-je dimanche à mon cher peuple, qui était venu en nombre extraordinaire pour ouïr le sermon sur le soir, et qui avait rompu toute conversation pour venir à moi! Cela me contenta fort, et que toutes nos dames avaient communié le matin, et qu'elles n'osaient entreprendre de faire des bals (2) sans demander licence: et je ne leur suis point dur; car il ne le fallait pas, puisqu'elles sont si bonnes avec grande dévotion,

Je vais mettre la main au livre de L’Amour de Dieu, et m'essaierai d'en écrire autant sur mon coeur, comme je ferai sur le papier. Soyez toute à Dieu; j'espère tous les jours plus en lui que nous ferons beaucoup en notre dessein de vie. Mon Dieu ! ma très-chère fille, que je sens tendrement et ardemment le bien et le lien sacré de notre sainte unité. J'ai fait un sermon ce matin tout de flammes, car je l'ai bien connu, il vous le faut dire à vous. Mon Dieu! que je vous souhaite de bénédictions ! mais vous ne sauriez pas croire comme je suis pressé à l'autel de vous recommander plus que jamais à notre Seigneur. Qu'ai-je à vous dire davantage, sinon que nous vivions d'une vie toute morte, et que nous mourions d'une mort toute vive et vivifiante en la vie et en la mort de notre Seigneur, en qui je suis votre, etc.


 (2) On ne peut penser quelle sorte de bals le Saint permet aux dames le jour même qu'elles ont communié. S'ils eussent été de l'espèce de ceux d'aujourd'hui, il ne les eût assurément pas permis. Ainsi on ne peut rien inférer de cet exemple pour se permettre le bal indifféremment, soit dans le carnaval, soit dans tout autre temps.



LETTRE DLYI, A MADAME DE CHANTAL.

Le Saint l'encourage à l'amour de Dieu, et à rendre service aux malades.

Faut-il donc que ce soit toujours en courant que je vous écrive, ma bonne enchère fille? Il y a, ce me semble, longtemps que je ne vous écris que comme cela ; et si, ce n'est pas que je n'aie à vous écrire un peu au long sur l'obéissance et l'amour de la volonté de Dieu. Mais quoi faire? encore est-il mieux que j'écrive peu que rien du tout. Seulement ce soir, comme nous entrions au souper, le porteur m'a dit qu'il partait demain de grand matin.

Je vous écris donc à dix heures du soir. O ma fille, comme prié-je maintenant Dieu pour vous! Certes, avec une consolation extraordinaire : je m'y sens poussé d'une ardeur toute nouvelle. Qu'est-ce donc que je demande pour nous ? Rien, sinon ce pur et saint amour de notre Sauveur. O qu'il nous faut désirer cet amour, et qu'il nous faut aimer ce désir, puisque la raison veut que nous désirions à jamais d'aimer ce qui ne peut jamais être assez aimé, et que nous aimions à désirer ce qui ne peut jamais être assez désiré !

Je suis bien aise, ma fille, que vous fassiez les lits des pauvres malades, et si, je suis bien aise que vous y ayez de la répugnance; car cette répugnance est un plus grand sujet d'abjection que la puanteur et saleté qui la provoque ; sachez, ma chère soeur ma fille, que me voici en mon triste temps ; car, depuis les rois jusqu'au carême ; j'ai dés étranges sentiments en mon coeur ; car tout misérable, je dis détestable que je suis, je suis plein de douleur de voir que tant de dévotion se perde, je veux dire que tant d'âmes se relâchent. Ces deux dimanches j'ai trouvé nos communions diminuées de la moitié ; cela m'a bien fâché : car encore que ceux qui les faisaient ne deviennent pas méchants, mais pourquoi cessent-ils pour rien, pour la vanité? cela m'est sensible. C'est pourquoi, ma très-chère fille, invoquez bien Dieu sur nous, et le remerciez de quoi nous avons résolu de ne jamais faire de même. Non, je ne pense pas que nous eussions le courage de retarder ainsi de propos délibéré un seul pas de notre chemin, pour tout ce que le monde nous aurait présenté. Non pas, ma soeur ma fille, sans doute non, moyennant la grâce de Dieu.

Adieu, ma très-chère fille : notre amour soit tout en Dieu, et Dieu soit tout en notre amour. Amen. Vive Jésus! C'est en lui, par lui, et pour lui que je suis sans fin, sans réserve, et uniquement vôtre.




LETTRE DLVII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Le Saint l'exhorte à une grande humilité et à un parfait amour de Dieu.

Mon Dieu, qui voit mon coeur, sait qu'il est plein de beaucoup de grands souhaits pour votre avancement spirituel, ma très-chère fille. Je suis vraiment comme les pères, qui ne se contentent jamais ni ne se peuvent assouvir de parler avec leurs enfants des moyens de les agrandir; mais que vous dirai-je pour cela, ma très-chère fille ? Soyez toujours bien petite, et vous appetissez tous les jours devant vos yeux. O Dieu ! que c'est une grandeur bien grande que cette petitesse ! c'est la vraie grandeur des veuves, mais bien encore des évoques. Demandez-la, je vous en supplie, continuellement pour moi qui eu ai tant de besoin.

Que soyons-nous jamais attachés à la croix, et que cent mille coups de flèche transpercent notre chair, pourvu que le dard enflammé de l'amour de Dieu ait premièrement pénétré notre coeur ! Que cette sagette nous fasse mourir de sa sainte mort, qui vaut mieux que mille vies. Je m'en vais en supplier l'archer qui en porte le carquois, par ^intercession de S. Sébastien, duquel nous célébrons aujourd'hui la fête.

Tenez votre coeur au large, ma fille ; et pourvu que l'amour de Dieu soit votre désir, et sa gloire votre prétention, vivez toujours joyeuse et courageuse. ODieu! mais que je souhaite ce coeur du Sauveur pour roi de tous les nôtres.

Je ne puis plus écrire, et suis celui que Dieu a voulu être vôtre en la façon que lui seul sait. A lui soit honneur et gloire éternelle ! Amen.




LETTRE DLVIII.

S. FJîANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL

. (Tirée de la maison naturelle de Saint-François de Sales.)

Le Saint lui fait connaître l'union qui régnait dans sa famille.



Je ne puis vous cacher, madame, que je suis do présent à votre Sales, comblé d'une tendre et incomparable consolation auprès de ma bonne mère. En vérité, vous auriez du plaisir de voir un si étroit accord parmi des choses qui sont pour l'ordinaire si discordantes, belle-mère, belle-fille, belle-soeur, frères et beaux-frères. Entre tout cela, ma vraie fille, je vous puis assurer, à la gloire de Dieu, qu'il n'y a ici qu'un coeur et qu'une âme enunité de son très-saint amour : et j'espère que la bénédiction et la grâce du Seigneur s'y doit rendre abondante ; car déjà c'est beaucoup, et une chose bonne, belle et suave, de voir comme cette fraternité demeure ensemble. Votre envoyé vous pourra dira qu'hier universellement toute cette aimable famille vint à confesse à moi en notre petite chapelle, mais avec tant de piété que l'on eût dit qu'il y avait un jubilé d'année sainte à gagner. O ma fille, il est vrai, nous pouvons faire toutes nos années, nos mois, nos jours, et nos heures saintes, par le bon et fidèle usage. Il a fallu que mon coeur vous ait dit ceci : car, en effet, que vous peut-il cacher?

Mon cher La Thuille (Louis, comte de Sales) vous salue humblement. Il est ici auprès de moi, et je m'assure que ma bonne mère ne fut jamais plus satisfaite ni plus contente, ni la dévotion plus florissante dans la famille : la gloire en soit à Dieu uniquement, et à nous la parfaite consolation! je vous avoue qu'une partie de la louange en est due à notre La Thuille (1), car cette intelligence ne se peut faire sans une très-grande sagesse et piété en celui qui a la conduite principale de tout cela.



(l) Le P. Boflier a écrit sa vie sous ce titre : Vie du comte, Louis de Sales, modèle de piété dans l'élut séculier, comme S. François de Sales l'a été dans l'état ecclésiastique. Un vol. in-8°.


LETTRE DLIX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Acquiescement du Saint à la volonté divine.

Ma très-chère mère, ce mot part à l'impourvu pour saluer votre chère âme, que je chéris comme la mienne propre aussi l'est-elle eh celui qui est le principe de toute unité et union.

Je ne veux pas nier que je ne sois marri de votre fièvre ; mais ne vous mettez nullement en peine de ma peine, car vous me connaissez. Je suis homme pour souffrir, sans souffrir, tout ce qu'il plaira à Dieu faire de vous, comme de moi. Hélas ! il ne faut point faire de réplique ni de réfléchissement.

Je confesse devant le ciel et les anges que vous m'êtes précieuse comme moi-même ; mais cela ne m'ôte point la très-résolue résolution d'acquiescer pleinement à la volonté divine. Nous voulons servir Dieu en ce monde, ici et là, de tout ce que nous sommes : s'il juge mieux que nous soyons «n ce monde, ou en l'autre, ou tous deux, sa très-sainte volonté soit faite, puisque je suis inséparable de votre âme ; et, pour parler avec le Saint-Esprit, nous n'avons meshui qu'un coeur et qu'une âme : car ce qui est dit de tous les chrétiens de la naissante Église se trouve, grâces à Dieu, maintenant entre nous.

Je ne vous dirai rien davantage, sinon que je me porte mieux, et que mon coeur va mieux qu'il n'est pas allé il y a longtemps ; mais je ne sais pas si sa consolation vient des causes naturelles, ou de la grâce.

Dieu soit à jamais au milieu de votre coeur, pour le remplir de son saint amour ! Amen.

Vive Jésus, ma très-chère mère : je suis, comme vous savez vous-même, toujours plus tout-à-fait vôtre.




LETTRE DLX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Saumur.)

Il lui parle d'une fille qui se présentait pour entrer dans l'ordre de la Visitation, et de quelques autres qui voulaient faire leurs voeux.

Je vous remercie de votre beau grand présent, ma très-chère mère ma fille, et encore plus de votre billet : soyez assurée que je me gouvernerai bien, et que je tiendrai ce que je vous ai promis. »

La fille de Saint-Claude ne viendra qu'après avoir été en N. On pourra la renvoyer consolée, sans pourtant s'engager de paroles qu'à mesure qu'on le verra convenable. Si M. de Chapot, ou les autres, vont la voir, encouragez-là fort à se lier à notre Seigneur ; elle a besoin de courage, et pour le reste c'est une bonne fille.

Bonjour, ma très-chère mère, la très-sainte Vierge notre maîtresse veuille bien naître et résider en nos coeurs! Nos filles qui veulent faire les-voeux pourront bien faire un peu d'oraison préparatoire sur les voeux de Notre-Dame, et de tant de filles et femmes assemblées, qui la firent à notre Seigneur, et qui les gardent avec tant de fidélité, qu'elles souffrent plus volontiers pour le divin maître que de s'en départir.

Hélas! que je souhaite de sainteté à cette chère troupe de filles, et surtout à cette très-unique, très-aimée et trës-honorée mère, ma fille vraiment mère! Dieu la bénisse, et marque son coeur au signe éternel de son pur amour! Amen.




LETTRE DLXI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Le Saint se réjouit du rétablissement de la santé de madame de-Cnantal. Il l'excite a unir son coeur à Dieu plus que jamais. Sentiment sur l'union des bienheureux avec Dieu.

Que je suis consolé, ma très-chère mère, de la bonne nouvelle de votre santé ! Le grand Dieu, que ma pauvre âme et la vôtre veut à jamais servir, soit béni et loué, et veuille de plus en plus fortifier cette chère santé, que nous avons dédiée à sa sainteté infinie!

Mais cependant notre cher coeur, comme se porte-t-il ? Hélas! ma très-chère mère, que je lui désire de bénédictions ? Quand sera-ce que l'amour, triomphant entre toutes nos affections et pensées, nous rendra tous unis au coeur souverain de notre Sauveur, auquel le notre aspire incessamment ; oui, ma très-chère mère, il aspire incessamment, quoique insensiblement pour la plupart du temps. /

Certes, j'ai été bien marri ce matin qu'il m'ait fallu quitter ma besogne sur le point qu'il m'était arrivé une certaine affluence du sentiment que nous aurons pour la vue de Dieu en paradis; car je devais écrire cela en notre livre (1) ; mais maintenant je ne l'ai plus. Néanmoins, puisque je me suis diverti seulement pour aller prendre les arrhes de cette même vue en la sainte messe, j'espère qu'il me reviendra quand il en sera temps. O Dieu ! ma très-chère unique mère, aimons parfaitement ce divin objet, qui nous prépave tant de douceur au ciel. Soyons bien tout àiui, et che- i minons nuit et jour entre les épines et les roses, pour arriver à cette céleste Jérusalem

(l)Le Traité (le l'Amour de Dieu, composé par S. François de Sales pour madame de Chantal.



La grande fille (la mère Favre) va par un chemin fort assuré, pourvu que son âpreté ne la décourage. Les voies les plus faciles ne nous mènent pas toujours plus droitement ni assurément; on s'amuse quelquefois tant au plaisir qu'on y a, et à regarder de part et d'autre les vues agréables, qu'on en oublie la diligence du voyage : il faut être court. Voyez ce billet qu'on m'a envoyé ce matin ; et parce que je n'ai point vu cette pauvre créature, et que peut-être vous la verrez devant moi, j'ai pensé que je ferais bien de vous l'envoyer. Hélas ! ma très-chère mère, que la vanité fait de tort à ces chétifs petits esprits, qui ne se connaissent pas et se mettent parmi les hasards ! Mais pourtant comme vous savez, en bien remontrant il faut user d'amour et de douceur ; car les avertissements font meilleure opération comme cela, et autrement on pourrait détraquer ces coeurs un peu foibles.

Seulement je ne sais comme vous pourrez dire que vous savez la dissension. Or bien, Dieu inspirera à votre coeur ce qu'il dira pour ce regard, comme je l'en supplie, et de m'inspirer aussi ce que je prêcherai ce soir. J'écris entre plusieurs distractions. Bonsoir, ma très-chère mère. Je suis votre, etc.




LETTRE DLXII.

S. FBANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAI.

(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Salins.).

Il lui procure une occasion pour écrire à son fils.

Ma très-chère mère, avec une agréable occasion, je prends le contentement de vous donner le bonsoir. Un fort honnête gentilhomme me vient demander une lettre vers M. le Grand, pour la recommandation de quelque affaire qu'il a. J'ai pensé que peut-être auriez-vous plaisir d'écrire à votre cher enfant. Ce n'était que je sais que vous avez peur que l'amour naturel ne soit trop refroidi, et presque tout éteint, je n'oserais pas vous donner cette atteinte pour le réveiller.

Or sus, si vous écrivez, il faut avoir la lettre encore ce soir. Hé ! Dieu vous bénisse, ma très-vraie, très-aimée et très-aimable mère. Je salue nos filles, notamment la malade ; et suis, comme vous savez vous-même, tout vôtre, par notre Seigneur. Amen.




LETTRE DLXIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME.DE CHANTAL.

Le Saint se réjouit saintement avec elle du bonheur de sa vocation à la vie religieuse, et de la gloire qui revenait à Dieu de leur institut.



A mesure que la très-souveraine bonté de la divine Trinité renvoie l'esprit de son adoration en la sainte Église, elle renouvelle, ce me semble, celui de la sacrée vocation de ma très-chère, très-bonne et très-honorée mère, laquelle sortant de son pays, sans savoir où elle allait, mais croyant à Dieu (Gn 15,6) qui lui avait dit, Sors de ta terre et de ton parentage (Gn 12,1), elle vint en la montagne qui avait pour son nom Dieu la verra (Gn 22,2) ; et Dieu l'a vue, multipliant sa race spirituelle comme les étoiles du ciel.

Oh ! Dieu soit à jamais glorifié, ma très-chère mère, avec laquelle je me réjouis, ains au coeur de laquelle mon coeur se réjouit comme en soi-même ! Oh ! qu'il soit, ce coeur de ma mère, éternellement fiché au ciel, comme une belle étoile, qui en ait une grande troupe autour !

Est-il possible que nous chantions éternellement le cantique de gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit ? Oui, l'âme de ma mère le chantera es siècles des siècles. Amen. Et Dieu en sera béni en l'éternité des éternités. Amen.,

Vive Jésus! Gloire soit au Père, au Fils et au Saint-Esprit (4), de l'assemblée qu'il a faite de tous ces coeurs pour son honneur. Mais, hélas ! que de confusion pour le mien, qui a si peu fidèlement coopéré à une si sainte besogne ! Or sus, cette même très-sainte Trinité, qui est une très-souveraine bonté, nous sera propice ; et nous ferons désormais sa volonté. Amen.



(4) Gloria Patri, et Filio, et Spiritui sancto. Doxoi. ECCIESIAST. /il 4




LETTRE DLXIV.

S^ FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL'.

(Tirée du monastère de la Visitation de la ville d'Angers.)

Le Saint lui annonce l'arrivée de son fils, et l'exhorte a le recevoir avec tendresse.

Ce sera moi, je pense, qui le premier vous annoncerai, ma très-chère fille, la venue du bien-aimé Celse-Bénigne. Il vint hier soir tout tard, et nous eûmes de la peine à le retenir de vous aller voir dans le lit, où vous étiez tout indubitablement. Que je suis marri de ne pouvoir être témoin des caresses qu'il recevra d'une mère insensible à tout ce qui est de l'amour naturel! car je crois que ce seront des caresses terriblement mortifiées. Ah ! non, ma chère fille, ne soyez pas si cruelle ; témoignez-lui du gré de sa venue, à ce pauvre jeune Celse-Bénigne. Il ne faut pas faire ainsi tout-à-coup de si grands signes de cette mort de notre naturelle passion.

Or sus, je vous irai voir, si je puis, mais sobrement ; car auprès d'un objet si aimable, nous ne devons pas bonnement être insensibles, car l'amitié descend plus qu'elle ne monte. Je me contenterai de ne cesser point de vous chérir autant comme ma fille que vous le chérirez comme votre fils ; et si, je vous défie de faire mieux que moi.




LETTRE DLXV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Le Saint déclare que les filles de la Visitation peuvent faire entrer dans leur monastère des dames affligées et autres, pour de justes raisons, comme on y fait entrer les ouvriers. Il ajoute qu'on a bien fait de ne point l'exprimer dans les constitutions, pour éviter les mauvais discours. Il permet d'y ajouter ce qui y manque, ne le pouvant faire lui-même à cause de ses embarras.,


Ma très-chère mère, je ne fais nulle difficulté que les évêques, et, en leur absence, les pères spirituels des maisons de la Visitation, ne puissent, ains ne doivent charitablement faire entrer les dames en telles occurrences, sans qu'il soit besoin quelconque que cela soit déclaré dans les constitutions, par la douce et légitime interprétation de l'article du concile de Trente (1) qui est mis en la constitution de la clausure ; car on le pratique bien ainsi en Italie, et partout le monde, même pour des moindres occasions.

(1) Session xxv, chap. 5.



Car je vous laisse à penser, si l'on fait bien entrer des jardiniers, non-seulement pour l'agencement nécessaire des jardins, mais aussi pour les embellissements non nécessaires, ains seulement utiles à la récréation, comme sont les berceaux, les palissades, les parterres-(les entrées de telles gens sont jugées nécessaires, non parce que ce qu'ils font soit nécessaire, ains seulement parce que ces gens-là sont nécessairement requis pour faire telle besogne), si nous ne pourrons pas justement estimer l'entrée des dames désolées par quelque événement inopiné être nécessaire, quand elles ne peuvent pas aisément trouver hors du monastère des soulagements et consolations si convenables.

En Italie tout communément on fait entrer les filles desquelles on craint en quelque sorte le péril de leur pudicité ; les mal mariées, quand elles sont en doute d'être grandement maltraitées de leurs maris ; les filles qu'on veut instruire, non-seulement en la dévotion, mais aussi à lire, à écrire, chanter. De sorte qu'à mon avis, monseigneur l'illustrissime pourra prendre résolution sur cela, qu'il suffit de pratiquer, sans écrire ou ordonner, es occasions de grande piété, qui tiennent lieu de nécessité morale ; ce qui, à mon avis, n'a pas dû être exprimé, pour éviter la censure de tant de gens qui ont tant de complaisance à contrôler semblables choses, selon le zèle qu'ils se forment en leur rigueur.

Je vous ai déjà écrit que vous preniez la peine de voir si rien n'aura été oublié es constitutions, afin que vous le fassiez ajouter ; car je ne puis jamais gagner tant de loisir, que tout ce que je fais ne se ressente de mon tracas; et me semble qu'il va toujours croissant.

Vous pourrez bien, ma très-chère mère, complaire à cette bonne princesse en ce qui regarde l'addition des commémoraisons des Saints qui occurrent, et de Paris porter cet usage es monastères dans lesquels vous passerez venant de Dijon, et de Dijon ici, m'étant avis que la grande piété et vertu de cette grande princesse mérite que l'on reçoive ses désirs comme quelque sorte d'inspiration.




LETTRE DLXVI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Éloge de l'institut de la Visitation et des vertus des religieuses. Prélats persécutés, dignes de respect.



Ma très-chère mère, Dieu qui a disposé de nos âmes pour n'en faire qu'une à sa dilection, soit à jamais béni ! Je salue votre coeur, qui m'est plus précieux que le mien propre. Eh! je désire que notre vie ne vive pas en nous, mais en la vie de Jésus-Christ notre Seigneur ! et que puis-je désirer de mieux pour notre coeur?

Pour la grande fille (la mère Favre), je lui écrirai au premier jour ; car je vois bien que nous sommes en une saison en laquelle il faut que les pères commencent à faire leur paix. Hélas ! il est pourtant vrai que mon coeur n'a point de tort ; car j'écrivis innocemment, et tout-à-fait sans fiel, quoique avec un peu de liberté, et contre le sentiment de cette fille : la haine irréconciliable que j'ai aux procès, aux contentions et aux tracas, me fit écrire ainsi. J'approuve grandement que vous lui donniez la somme qu'elle désire, puisque cela est plus conforme à la douceur que notre Seigneur enseigne à ses enfants. Enfin la paix est une sainte marchandise qui mérite d'être achetée chèrement.

Oui, je dis qu'il faut tenir bon dans l'enclos de nos règles et de notre institut (1) ; car Dieu ne l'a pas produit pour néant, ni ne l'a pas fait désirer en tant de lieux pour être changé. L'édification que les maisons donnent tous les jours fait foi de l'intention du Saint-Esprit ; car c'est merveille combien la réputation de la vie dévote s'agrandit par la communication de nos soeurs, lesquelles je -vois aussi profiter tous les jours, et devenir plus affectionnées à la pureté et sainteté de vie.

Je fus une heure et demie au parloir; j'ai vu trois de nos soeurs, et je fus fort consolé de voir comme la vraie lumière leur fait voir la vérité des grandes et profondes maximes de la perfection, qui plus, qui moins, mais toutes à mon avis avancées ; et plusieurs dames étrangères qui les ont vues s'en sont allées les larmes aux yeux et avec des goûts extrêmes.

Ma très-chère mère, je salue votre coeur de tout le mien, qui est très-parfaitement et irrévocablement vôtre en notre Seigneur, notre unique amour. Je salue toutes nos soeurs, et vous supplie de saluer très-humblement monseigneur notre archevêque, que je ne puis assez dignement honorer à mon gré, depuis qu'il a été persécuté de la façon des anciens évêques de l'Église. Je voudrais bien lui pouvoir manifester le sentiment d'honneur et de respect que j'ai pour lui. Je suis de plus en plus, ma très-chère mère, tout uniquement vôtre en notre Seigneur.

(I) On voulait alors porter atteinte à l'institut de la Visitation, en procurant la clôture, contre le premier dessein du fondateur.




LETTRE DLXVII;

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAI...

(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Saumur.)

Le Saint consent de remettre une affaire à un autre temps.

Ma très-chère fille, à ce que vous me dites, je vois qu'il sera mieux de remettre jusqu'à lundi : vous seriez trop précipitées toutes, et eux aussi, comme je pense, et je serai bien aise de ne point rompre l'assignation aux bonnes soeurs de Sainte Claire, qui ont demain leur grande fête, ni au catéchisme de Notre-Dame, où il faut que je sois catéchiste, étant invité il y a dix ou douze jours à mon gré la veille de Notre-Dame.




LETTRE DLXVIII.

S. FBANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Le Saint ne veut pas que l'on consulte la prudence de la chair dans le choix des filles qui doivent composer sa congrégation, ni qu'on en exclue les personnes infirmes et difformes.



Ma très-chère mère, sur cet article que vous m'écrivez de la réception des filles, il y a un extrême danger qu'on ne se jette trop sur la prudence humaine, qu'on ne se fonde sur la nature, et trop peu sur la grâce de Dieu. J'ai peine d'empêcher qu'on ne considère la foiblesse de la complexion-et les infirmités corporelles. On voudrait qu'au festin il n'y entrât ni borgne, ni boiteux, ni maladif. En somme, on a bien peine de combattre contre l'esprit humain pour l'abjection et pure charité.

J'ajoute donc ce mot, ma très-chère mère, pour vous dire que selon votre ordre j'ai écrit à notre soeur de N. amoureusement ; et je vous assure, ma très-chère mère, que c'est de tout mon coeur, car j'aime cette pauvre fille d'un coeur parfait.

Mais c'est grand cas ; il n'y a point d'âmes au monde, comme je pense, qui chérissent plus cordialement, tendrement, et, pour le dire tout à la bonne foi, plus amoureusement que moi ; et même j'abonde un peu en dilection, êtes paroles d'icelle; surtout au commencement.

Vous savez que c'est selon la vérité et la variété de ce vrai amour que j'ai aux âmes ; car il a plu à Dieu de faire mon coeur ainsi. Mais néanmoins j'aime les âmes indépendantes, vigoureuses, et qui ne sont pas femelles ; car cette si grande tendreté brouille le coeur, l'inquiète, et le distrait de l'oraison amoureuse envers Dieu, empêche l'entière résignation et la parfaite mort de l'amour-propre : ce qui n'est point Dieu n'est rien pour nous.

Comme se peut-il faire que je sente ces choses, moi qui suis le plus affectif du monde, comme vous savez, ma très-chère mère ? En vérité je le sens pourtant : mais c'est merveille comme j'accommode tout cela ensemble ; car il m'est avis que je n'aime rien du tout que Dieu, et toutes les âmes pour Dieu. Hé ! Dieu Seigneur, faites encore cette igrace à toute mon âme, que ce soit en vous seulement.

Ma très-chère mère, ce discours est infini. Vivez joyeuse, toute pleine de Dieu et de son saint amour. Bonsoir, ma très-chère mère.




LETTRE DLXIX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Parfaite résignation du Saint. Il ne veut vivre que de la foi. Son indifférence à la maladie ou à la santé. Il a vu le directoire de ses religieuses. Il revoit les constitutions.



Ma très-chère mère, vous verrez en la lettre de ce bon père le déplaisir qui certes m'a un peu touché ; mais cette nouvelle m'ayant pris dans le sentiment que j'avais d'une totale résignation en la conduite de la très-sainte Providence, je n'ai rien dit en mon coeur, sinon : Oui, Père céleste, car tel est votre bon plaisir (Mt 11,20). Et ce matin à mon premier réveil, il m'est venu une si forte impression de vivre tout-à-fait selon l'esprit de la foi et la pointe de l'âme ; que, malgré mon âme et mon coeur, je veux ce que Dieu voudra, et je veux ce qui sera de son plus grand service, sans réserve ni de consolation sensible ni de consolation spirituelle; et je prie Dieu que jamais il ne permette que je change de résolution.

J'ai eu- depuis Pâques de perpétuelles incommodités ; mais je n'y voyais aucun remède " ni aucun danger j elles sont tout-à-fait passées, grâces à Dieu, que je supplie de me les renvoyer quand il lui plaira.

J'ai revu les directoires ; je les fais copier pour vous les envoyer. Je reverrai aussi les constitutions, afin qu'avant votre "départ vous les fassiez réimprimer. Je les tiendrai toujours courtes, réservant beaucoup de choses pour mettre au livre des avertissements, la brièveté étant requise en semblables affaires ; et quand on écrirait trente ans, on n'empécherait pas qu'il ne demeurât toujours quelque doute pour les esprits délicats et barguignants. Le soin des supérieures, leur dévotion et leur esprit, doivent suppléer à tout. Mille très-chères salutations à votre chère âme, ma très-chère mère, à laquelle Dieu m'a donné d'une manière incomparable.




LETTRE DLXX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Dijon.)

Le Saint lui dit qu'elle prie Dieu avec ferveur pour elle, afin qu'elle profite de la communion journalière qu'il lui avait permise.

" Mon Dieu ! ma chère fille, certes il me tarde que je vous voie ; au reste, je me porte fort bien, et votre coeur tout autant que je le puis connaître. J'ai prié avec une ardeur très-particulière ce matin pour notre avancement au saint amour de Dieu, et me sens des plus grands désirs que jamais au bien de notre âme. Ah! ce dis-je, ô Sauveur de notre coeur, puisque meshui nous serons tous les jours à votre table, pour manger non-seulement votre pain, mais vous-même qui êtes notre pain vivant et suressentiel, faites que tous les jours nous fassions une bonne et parfaite digestion de cette viande très-parfaite, et que nous vivions perpétuellement embaumés de votre sacrée douceur, bonté et amour.

Je vais au sermon du père François. Ce soir j'en fais un à Sainte-Claire ; mais l'autre soir, ce sera vers demain, il faut écrire à Dijon, car mardi nous enverrons; mais si je puis, je vous verrai. Bonsoir, unique et très-chère soeur ma fille. Je ne veux pas que vous jeûniez cette année.




LETTRE DLXXI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

(Tirée du monast. de la Visitât, de S.-Denis.)

Le Saint la console dans les peines intérieures dont elle est affligée.

Enfin ce beau jour, si propre pour aller vers vous, ma très-chère fille, s'écoule ainsi sans que j'aie ce contentement; au moins il faut que je supplée en quelque sorte par ce petit mot, que je sauve d'entre les affaires que certains religieux m'apportent.

Bonsoir donc, ma très-chère fille; ayez bien soin de soulager doucement votre pauvre coeur; gardez-vous bien de lui savoir mauvais gré de ces fâcheuses pensées qui lui sont autour : non, ma fille, car le pauvret n'en peut mais, et Dieu même ne lui en sait aucun mauvais gré pour cela; au contraire, sa divine sagesse se plait à voir que ce petit coeur va tremblotant à l'ombre du mal, comme un foible petit poussin à l'ombre du milan, qui va voltigeant au-dessus ; car c'est signe qu'il est bon, ce coeur, et qu'il abhorre les mauvaises fantaisies.

Mais, ma très-chère fille, nous avons notre mère, sous les ailes de laquelle nous faut fourrer. Recourons à la croix, et l'embrassons de coeur ; demeurons en paix à l'ombre de ce saint arbre. Mon Dieu ! il est impossible que rien ne nous offense, tandis qu'avec une vraie résolution nous voulons être tout à Dieu; et néanmoins nous savons bien que nous le voulons.

Bonsoir derechef, ma très-chère fille ; ne vous inquiétez point, moquez-vous de l'ennemi, car vous êtes entre les bras du Tout-Puissant. Dieu soit à jamais notre force et notre amour ! Demain, moyennant sa grâce, nous vous irons voir, ma très-chèrement unique fille de mon coeur.,.




F. de Sales, Lettres 1970