Sales, Controverses 123


ARTICLE IV

LES CONTRERAYSONS DES ADVERSIARES ET LEURS RESPONCES

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1. L’Eglise fut elle pas tout’abolie quand Adam et Eve pecherent ? Responce : Adam et Eve n’estoyent pas Eglise, ains le commencement d’Eglise ; et n’est pas vray que fut perdue alhors encor qu’ell’eust esté, car ilz ne pecherent pas en la doctrine ni au croire, mais au faire.
2. Aaron, sauverain Prestre, n’adora il pas le veau d’or avec tout son peuple ? Responce : Aaron n’estoit encores pas sauverain Prestre ni chef du peuple (Ex 4, 16), ains le fut par apres (Ex 40, 12-13, Ex 31, Ex 32) ; et n’est pas vray que tout le peuple idolatrast, car les enfans de Levi n’estoyent ilz pas gens de Dieu ? et se joignirent ilz pas a Moyse (Ex 32, 26) ?
3. Helie se plaint d’estre seul en Israel. Responce : Helie n’estoit pas seul en Israel homme de bien, puysquil y en avoit 7000 hommes qui ne s’estoient pas abandonné a l’idolatrie (3 Rois, 19, 18), et ce qu’en dict le prophete n’est que pour mieux exprimer la justice de sa plainte ; et n’est pas vray qu’encor que tout Israel eut manqué l’Eglise pourtant eut esté abolie, car Israel n’estoit pas toute l’Eglise, ains en estoit desja separé par le schisme de Hieroboam, (ch 12, 31 et 28), et le royaume de Juda en estoit la meilleure et la principale partie ; c’est d’Israel non de Juda, aussy, de quoy Azarie praedit (2 Par 15, 3) quil seroit sans prestre et sacrifice .
4. Isaie dict (ch 1, 6) que de pied en cap il ni avoit aucune santé en Israel. Responce : Ce sont des façons de parler, et de detester le vice d’un peuple avec vehemence ; et encores que les prophetes, pasteurs et praedicateurs usent de ces generales façons de parler, il ne les faut pas verifier sur chaque particulier, mays seulement sur une grande partie, comm’il appert par l’exemple d’Helie, qui se plaignoit d’estre seul, et neantmoins il y avoit encores 7000 fideles. Saint Pol se plaint aux Philippiens (Phil 2, 21) que chacun recherchoit son propre interest et commodité, neantmoins, a la fin de l’Epistre, il confesse quil y en avoit plusieurs gens de bien de part et d’autre. Qui ne sçait la plainte de David (Ps 13, 4) : Il ni a celuy, mesm’un tout seul, qui face bien ? et qui ne sçait de l’autre costé quil y eut plusieurs gens de bien de son tems ? Ces façons de parler sont frequentes, mays il n’en faut faire conclusion particuliere sur un chacun ; davantage, on ne prouve pas par la que la foy eut manqué en l’Eglise, ni que l’Eglise fut morte, car il ne s’ensuit pas, si un cors est par tout malade donques il est mort. Ainsy sans doute s’entend (St Aug. De unit Eccles c.x) tout ce qui se trouve de semblable es meances et reprehensions des Prophetes.
5. Hieremie defend (ch 7, 4) qu’on ne se confie point au mensonge, disant, le Temple de Dieu, le Temple de Dieu. Responce : Qui vous dict que sous praetexte de l’Eglise il faïlle se confier au mensonge ? ains, au contraire, qui s’appuÿe au jugement de l’Eglise s’appuÿe sur la colonne et fermeté de verité (1 Tim 3, 15), qui se fie a l’infallibilité de l’Eglise ne se fie pas au mensonge, si ce n’est mensonge ce qui est escrit : Les portes d’enfer ne praevaudront point contre elle (Mat 16, 18). Nous nous fions donques en la sainte parole qui promet perpetuité a l’Eglise.
6. Est il pas escrit quil faut que la discession et la separation vienne (2 Thes 2, 3), et que le sacrifice cessera (Dan 12, 11), et qu’a grand peyne le filz de l’homme trouvera la foy en terre a son second retour visible, quand il viendra juger (Luc 18, 8) ? Responce : Tous ces passages s’entendent de l’affliction que fera l’Antichrist en l’Eglise les trois ans et demy quil y regnera puyssament (Dan 7, 25 et ch 12 ; Apoc 11, 2 et 12, 14) ; non obstant cela, l’Eglise durant ces troys ans mesme ne manquera pas, ains sera nourrie et conservëe parmi les desers et solitudes ou elle se retirera, comme dict l’Escriture (Apoc 12, 14).

ARTICLE V

QUE L’EGLISE N’A JAMAIS ESTE DISSIPEE NI CACHEE

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La passion humayne peut tant sur les hommes, qu’elle les pousse a dire ce qu’ilz desirent devant qu’en avoir aucune rayson, et quand ilz ont dict quelque chose, elle leur fait trouver des raysons ou il ni en a point. I a il homme de jugement au monde qui ne connoisse clairement, quand il lira l’Apocalipse de saint Jan, que ce n’est pas pour ce tems quil est dict (c’est a dire, l’Eglise) s’en fuit la solitude ?

Les Anciens avoyent sagement dict que bien sçavoir reconnoistre la difference des tems es Escritures estoyt une bonne regle pour bien les entendre, a faute dequoy les Juifz a tous coupz s’aequivoquent, attribuantz au premier advenement du Messie ce qui est proprement dict du second, et les adversaires de l’Eglise encor plus lourdement, quand ilz veulent faire l’Eglise telle des saint Gregoire jusqu’a cest aage qu’elle doit estre du tems de l’Antichrist. Ilz tournent a ce biays ce qui est escrit en l’Apocalipse (Ch 12, 6 et 14), que la femme s’en fuit en la solitude, et prennent consequence que l’Eglise a esté cachëe et secrette, espouvantë de la tirannie du Pape, il y a mill’ans, jusqu’a ce qu’elle s’est produicte en Luther et ses adhaerens. Mays qui ne voit que tout ce passage respire la fin du monde et la persecution de l’Antichrist ? le tems y estant determiné expressément de trois ans et demy (6 et 14), et en Daniel aussy (Dan 12, 7) ; et qui voudroit par quelque glosse estemdre ce tems que l’Escriture a determiné, contrediroit tout ouvertement a Nostre Seigneur, qui dict quil sera plus tost accourcy, pour l’amour des esleuz (Mat 24, 22). Comment donques osent ilz transporter cest escrire a une intelligence si esloignëe de l’intention de l’autheur, et si contrayre a ses propres circonstances ? sans vouloir regarder a tant d’autres paroles saintes qui monstrent et asseurent haut et clair que l’Eglise ne doit jamays estre si cachëe es solitudes jusqu’a cest’extremité la, et pour si peu de tems, ou on la verra fuir, d’ou on la verra sortir. Je ne veux plus ramener tant de passages ja cottés cy dessus (Art 1), ou l’Eglis’est dicte semblable au soleil, lune, arc en ciel (Ps 88, 37), a une reyne (Ps 44, 10 et 14), a une montaigne aussy grande que le monde (Dan 2, 35), et un monde d’autres ; je me contenteray de vous mettr’en teste deux grans colonnelz de l’ancienne Eglise, des plus vallians qui furent onques, saint Augustin et saint Hierosme.

David avoit dict : Le Seigneur est grand et trop plus loüable, en la cité de nostre Dieu, en la sainte montaigne d’iceluy. " C’est la cité ", dict saint Augustin, " mise sur la montaigne ", qui ne se peut cacher, c’est la lampe qui ne peut estre celee sous un tonneau, conneüe de tous, a tous fameuse, car il s’ensuit : Le mont Sion est fondé avec grande joÿe de l’univers. Et de faict, Nostre Seigneur, qui disoit que personne n’allume la lampe pour la couvrir sous un muy (Mat 5, 15), comm’eust il mis tant de lumieres en l’Eglise pour les aller cacher en certains recoins inconneuz ? Il poursuit : " Voicy le mont qui remplit l’universelle face de la terre, voyci la cité delaquelle il est dict : La cité ne se peut cacher qui est situëe sur le mont (mat 5, 14). Les Donatistes (les Calvinistes)rencontrent le mont, et quand on leur dict, montés, ce n’est pas une montaigne, ce disent ilz, et plus tost y donnent et l’heurtent de front que d’y chercher une demeure. Esaïe, qu’on lisoit hier, cria : Il y aura es derniers jours un mont praeparé, mayson du Seigneur, sur le couppeau des montaignes, et toutes s’y couleront a la file (Chap 2, 2). Qu’ y a il de si apparent qu’une montaigne ? mays il se faict des montz inconneuz par ce quilz sont assis en un coin de la terre. Qui d’entre vous connoit l’Olimpe ? personne, certes, ne plus ne moins que les habitateurs d’iceluy ne sçavent que c’est de nostre mont Chidabbe ; ces montz sont retirés en certains quartiers, mays le mont d’Isaïe n’est pas de mesme, car il a remply toute la face de la terre. La pierre taillëe du mont sans oeuvre manuelle (Dan 2, 34-35), n’est ce pas Jesus Christ, descendu de la race des juifz sans oeuvre de mariage ? et ceste pierre ne la fracassa elle tous les royaumes de la terre, c’est a dire, toutes les dominations des idoles et daemons ? ne s’accreut elle pas jusqu’a remplir tout l’univers ? C’est donq de ce mont quil est dict, praeparé sur la cime des mons ; c’est un mont eslevé sur le sommet de tous les mons, et toutes gens se rendront vers en iceluy. Qui se perd et s’esgare de cest mont ? qui choque et se casse la teste en iceluy ? qui ignore la cité mise sur le mont ? mays non, ne vous esmerveilles pas quil soit inconneu a ceux cy qui haissent les freres, qui haissent l’Eglise, car, par ce, vont ilz en tenbres et ne sçavent ou ilz vont, ilz se sont separés du reste de l’univers, ilz sont aveugles de mal talent. Ce sont les paoles de saint Augustin contre les Donatistes, mays l’Eglise presente resemble si parfaittement a l’Eglise premiere, et les heretiques de nostr’aage aux anciens, que, san changer autre que les noms, les raysons anciennes combattent autant collet a collet les Calvinistes, comm’elles faysoient ces anciens Donatistes.

Saint Hierosme (Adver Lucifer §§ 14, 15) entre en cest’escarmouche d’un autre costé, qui vous est bien aussy dangereux que l’autre, car il faict voir clairement que ceste dissipation praetendue, ceste retraitte et cachette, abolist la gloire de la Croix de Nostre Seigneur ; car, parlant a un schismatique reuni a l’Eglise, il dict ainsy : " Je me rejouys avec toy, et rends grace a Jesus Christ mon Dieu, de ce que tu t’es reduit de bon courage de l’ardeur de fauceté au goust et saveur de tout le monde ; et ne dis pas comme quelquesuns : O Seigneur, sauves moy, car le saint a manqué (Ps 11, 1 ), desquelz la voix impie evacue la Croix de Jesus Christ, assujettit le Filz de Dieu au diable, et le regret que le Seigneur a proferé des pecheurs (Ps 29, 10), il l’entend estre dict de tous les hommes. Mays ja n’advienne que Dieu soit mort pour neant ; le puysant est lié et saccagé, la parole du Pere est accomplie : Demande moy, et je te donneray les gens pour haeritage, et pour ta possession les bornes de la terre (Ps 2, 8). Ou sont, je vous prie, ces gens trop religieux, ains plutost trop prophanes, qui font plus de sinagogues que d’eglises ? comme seront destruittes les cités du diable, et en fin, a sçavoir en la consommation des siecles, les idoles comme seront ilz abattus ? Si Nostre Seigneur n’a point eu de l’Eglise, ou s’il l’a eu en la seule Sardigne, certes il est trop appauvry. Hé, si Satan possede une fois l’Angleterre, la France, le Levant, les Indes, les nations barbares et tout le monde, comment auront esté ainsy accueilly et contraints les trophëes de la Croix en un coin de tout le monde ?

Et que diroit ce grand personnage de ceux qui non seulement nient qu’ell’aÿe esté generale et universelle, mays dient qu’elle n’estoit qu’en certaines personnes inconneües, sans vouloir determiner un seul petit vilage ou elle fut il y a quattre vingtz ans ? n’est ce pas bien avilir les glorieux trophëes de Nostre Seigneur ? Le Pere celeste, pour la grand’humiliation et aneantissement que Nostre Seigneur avoit subi en l’arbre de la Croix (Phil 2, 8-9), avoit rendu son nom si glorieux que tout genou se devoit plier en sa reverence, mays ceux cy ne prisent pas tant la Croix ni les actions du Crucifix, ostant de ce conte toutes les generations de mill’ans. Le Pere luy avoit donné en heritage beaucoup de gens, par ce quil avoit livré sa vie a la mort, et avoyt esté mis au rang des meschans hommes (Is 53, 12) et voleurs, mays ceux cy luy amaigrissent bien son lot, et roignent si fort sa portion qu’a grand peyne durant mill’ans aura il eu certains serviteurs secretz, ains n’en aura du tout point eu ; car je m’addresse a vous, o devanciers, qui porties le nom de Chrestien, et qui aves estés en la vraÿe Eglise : ou vous avies la vraÿe foy, ou vous ne l’avies pas ; si vous ne l’avies pas, o miserables, vous estes damnés (Marc 16, 16), et si vous l’avies, pourquoy la celies vous aux autres ? qui n’en laissies vous des memoyres ? que ne vous opposies vous a l’impieté, a l’idolatrie ? ou si vous ne sçavies pas que Dieu a recommandé a un chacun son prochain (Ecclesiaste 17, 12) ? certes, On croit de coeur pour la justice, mays qui veut obtenir le salut il faut faire la confession de sa foy (Ro 10, 10 ; Luc 12, 8), et comme pouvies vous dire, J’ay creu, et par ce j’ai parlé (Ps 115, 1) ? O miserables encores, qui ayant un si beau talent l’aves caché en terre : si ainsy est, vous estes es tenbres exterieures (Mat 25, 25-30). Mays si au contrayre, o Luther, o Calvin, la vraÿe foy a tousjours esté publiëe et continuellement praechëe par tous nos devanciers, vous estes miserables vous mesmes, qui en aves une toute contraire, et qui pour trouver quelque excuse a vos volontés et fantasies, accuses tous les Peres ou d’impieté s’ilz ont mal creu, ou de lascheté s’ilz se sont teuz.

ARTICLE VI

L’EGLISE NE PEUT ERRER

126 Quand Absalon voulut une fois faire faction et division contre son bon pere David, il s’assit pres de la porte au chemin, et disoit a tous ceux qui passoÿent : Il ni a personne constitué du Roy pour vous ouÿr, hé, qui ne constituera juge sur terre, affin que tous ceux qui auront quelque negotiation viennent a moy et que je juge justement (2 Rois 15, 2-6) ? ainsy solicitoit il les courages des Israelites. O combien d’Absalons se sont trouvés en nostr’aage, qui, pour seduyre et destruyre les peuples de l’obeissance de l’Eglise et des pasteurs, et solliciter les courages chrestiens a rebellion et revolte, ont crié par toutes les advenues d’Allemaigne et de Frnace : il n’y a personne constitué de Dieu pour ouyr les doutes sur la foy et les resouvre ; l’Eglise mesme, les magistratz ecclesiastiques, n’ont point de pouvoir de determiner ce quil faut tenir en la foy et ce que non ; il faut chercher autres juges que les praelatz, l’Eglise peut errer en ses decrets et regles.

Mays quelle plus dommageable et temrayre persuasion pouvoyent ilz faire au Christianisme que cellela ? Si donques l’Eglise peut errer, o Calvin, o Luther, a qui auray je recours en mes difficultés ? a l’Escriture, disent ilz : mays que feray je, pauvr’homme ? car c’est sur l’Escriture mesme ou j’ay difficulté ; je ne suys pas en doute s’il faut adjouster foy a l’Escriture ou non, car qui ne sçait que c’est la parole de verité ? ce qui me tient en peyne c’est l’intelligence de cest’Escriture, ce sont les consequences d’icelle, lesquelles estans sans nombre, diverses et contraires sur un mesme sujet, ou qu’un chacun prend parti qui en l’une qui en l’autre, et que de toutes il n’y en a qu’une salutaire, ah, qui me fera connoistre la bonne d’entre tant de mauvaises ? qui me fera voir la vraye verité au travers de tant d’apparentes et masquëes vanités ? Chacun se voudroit embarquer sur le navire du Saint Esprit, il ny en a qu’un, et celuy la seul prendra port, tout le reste court au naufrage ; ah, quel danger de mesprendre : l’egale ventance et asseurance des patrons en deçoit la plus part, car tous se ventent d’en estre les maistres. Quicomque dict que nostre Maistre ne nous a pas laissé des guides en un si dangereux et malaysé chemin, il dict quil veut nous perdre ; quicomque dict quil nous a embarqués a la mercy des vents et de la marëe, sans nous donner un expert pilote qui sache bien entendre sur la bussole et la charte marine, il dict que ce Seigneur a faute de provoyance ; quicomque dict que ce bon Pere nous a envoyés en cest’ecole Ecclesiastique, sachant que l’erreur y estoit enseignëe, il dict quil a voulu nourrir nostre vice et nostre ignorance. Qui ouyt jamais deviser d’une academie ou chacun enseignat, personne ne fut auditeur ? Telle seroit la republique chrestienne si les particuliers... Car si l’Eglise mesme erre, qui n’errera ? et si chacun y erre, ou peut errer, a qui m’adresseray je pour estre instruit ? A Calvin ? mays pourquoy plus tost qu’a Luther, ou a Brence, ou au Pacimontain ? Nous ne sçaurions donques ou recourir en nos difficultés si l’Eglis’erroit.

Mays qui considerera le tesmoignage que Dieu a donné pour l’Eglise, si authentique, il verra que dire, l’Eglise erre, n’est autre sinon dire, Dieu erre, ou se plaict et veut qu’on erre, qui seroit un grand blaspheme : car, n’est ce pas Nostre Seigneur qui dict : Si ton frere a peché contre toy, dis le a l’Eglise ; que si quelqu’un n’entend l’Eglise, quil te soit comme ethnique et peager(Mat 18, 17) ? Voyes vous comme Nostre Seigneur nous renvoÿe a l’Eglise en nos differens, et quelz qu’ilz soyent ? mays combien plus es injures et differens plus importans ? certes, si je suys obligé, apres l’ordre de la correction fraternelle, d’aller a l’Eglise pour fayre amander un vicieux qui m’aura offencé, combien plus seray je obligé d’y deferer celuy qui apelle toute l’Eglise Babilone, adultere, idolatre, mensongere, parjure ? d’autant plus principalement qu’avec ceste sienne malveillance il pourra desbaucher et infecter tout’une province, le vice d’heresie estant si contagieux que comme chancre il se va tousjours traynant plus avant (2 Tim 2, 17) pour un tems. Quand donques j’en verray quelqu’un qui dira que tous nos peres, ayeulz et bisayeulz ont idolatré, corrompu l’Evangile et prattiqué toutes les meschancetés qui s’ensuyvent de la cheute de Religion, je m’adresseray a l’Eglise, le jugement de laquelle chacun doit subir. Que si elle peut errer, ce ne sera plus moy, ou l’homme, qui nourrira cest erreur au monde, ce sera nostre Dieu mesme qui l’authorisera et mettra en credit, puysqu’il nous commande d’aller a ce tribunal pour y ouyr et recevoir justice : ou il ne sçait pas ce que s’y faict, ou il veut nous decevoir, ou c’est a bon escient que la vraÿe justice s’y administre, et les sentences sont irrevocables. L’Eglise a condamné Berengaire ; quicomque veut en debattre plus avant je le tiens comm’un payen et peager, affin d’obeir a mon Seigneur, qui ne me laysse pas en liberté en cest endroit, mays me commande : Tiens le comm’un payen et peager.

C’est le mesme que saint Pol enseigne, quand il appelle l’Eglise colomne et fermeté de verité (1 Tim 3, 15). N’est ce pas a dire que la verité est soustenue fermement en l’Eglise ? ailleurs la verité n’est soustenue que par inervalles, ell’en tumbe souvent, mays en l’Eglise ell’y est sans vicissitude, immuablement, sans chanceler ; bref, stable et perpetuelle. Respondre que saint Pol veut dire que l’Escriture a esté remise en garde a l’Eglise, et rien plus, c’est trop ravaler la similitude quil propose, car c’est bien autre chose, soustenir la verité, que, garder l’Escriture. Les Juifz gardent une partie des Escritures, et beaucoup d’heretiques encores, mays pour cela ilz ne sont pas colomnes et fermetés de la verité. L’escorce de la lettre n’est ni verité ni faulseté, mays selon le sens qu’on luy baille ell’est veritable ou faulse. La verité donques consiste au sens, qui est comme la mouelle, et partant, si l’Eglis’estoit gardienne de la verité, le sens de l’Escriture luy auroit esté remis en garde, il le faudroit chercher chez elle, et non en la cervelle de Luther, ou Calvin, ou de quelque particulier ; dont elle ne pourroit errer, ayant tousjours le sens des Escritures. Et de faict, mettr’en ce sacré depositoire la lettre sans le sens, ce seroit y mettre la bourse sans l’argent, la coquille sans le noyau, la gayne sans l’espëe, la boete sans l’unguent, les feuiles sans le fruict, l’ombre sans le cors. Mays dites moy, si l’Eglise a en garde les Escritures, pourquoy est ce que Luther les prit et les porta hors d’icelle ? et pourquoy est ce que vous ne prenes de ses mains aussy bien les Maccabëes, l’Ecclesiastique et tout le reste comme l’Epistr’aux Hebrieux ? car elle proteste d’avoir aussy cherement en garde les uns que les autres. Bref, les paroles de saint Pol ne peuvent souffrir ce sens qu’on veut leur bailler. Il parle de l’Eglise visible, car ou adresseroit il son Timothëe pour converser ? il l’apelle mayson de Dieu ; ell’est donq bien fondëe, bien ordonnee, bien couverte contre tous orages et tempestes d’erreur ; elle est colomne et fermeté de la verité ; la verité donques est en icelle, ell’y loge, ell’y demeure, qui la chech’ailleurs la pert. Ell’est bien tellement asseurëe et ferme que toutes les portes d’enfer, c’est a dire toutes les forces ennemies, ne sçauroient s’en rendre maistresses (Mat 16, 18) ; et ne seroit ce pas place gaignëe pour l’ennemy si l’erreur y entroit, es choses qui sont pour l’honneur et le service du Maistre ? Notre Seigneur est le chef de l’Eglise (Ephes 1, 22) ; a on point d’honte d’oser dire que le cors d’un chef si saint soit adultere, prophane, corrompu ? et qu’on ne die pas que ce soit l’Eglise invisible,car s’il y a point : d’Eglise visible (comme je l’ay montré cy dessus) Nostre Seigneur en est le chef ; oyes saint Pol (Eph 1, 22) : Et ipsum dedit caput supra omnem ecclesiam, non sur un’eglise de deux que vous imagines, mais sur tout’Eglise. La ou deux ou trois se trouveront assemblés au nom de Nostre Seigneur, il se trouve au milieu d’eux (Mat 18, 20) : ah, qui dira que l’assemblëe de l’universelle Eglise de tous tems ayt esté abandonnee a la merci de l’erreur et de l’impieté ?

Je conclus, donques, que quand nous voyons que l’Eglise universelle a esté et est en creance de quelqu’article, soyt que nous le voyons expres en l’Escriture, soyt quil en soit tiré par quelque deduction, ou bien par Tradition, nous ne devons aucunement conteroller ni disputer ou douter sur iceluy, ains prester l’obeissance et l’hommage a ceste celeste Reyne que Nostre Seigneur commande, et regler nostre foy a ce niveau. Que si c’eust esté impieté aux Apostres de contester avec leur Maystre, aussy le sera ce a qui contestera contre l’Eglise ; car si le Pere a dict du Filz, Ipsum audite (Mat 17, 5), le filz a dict de l’Eglise, Si quis Ecclesiam non audiverit, sit tibi tanquam etnicus et publicanus (Mat 18, 17).


ARTICLE VII

LES MINISTRES ONT VIOLE L’AUTHORITE DE L’EGLISE

127 Je ne suys pas maintenant en grand peyne de monstrer combien vos ministres ont avily la sainteté et majesté de l’Eglise. Ilz crient haut et clair qu’ell’a demeuré 800 ans en adultere et antichrestienne, des saint gregoire jusqu’a Wiclef que Beze tient pour le premier restaurateur du Christianisme. Calvin se voudroit bien couvrir par une distinction, disant que l’Eglise peut errer en choses non necessaires au salut, non es autres, mays Beze confesse librement qu’ell’a tant erré qu’elle n’est plus Eglise ; et cela n’est ce pas errer en choses necessaires au salut ? mesme quil avoüe qu’hors l’Eglise il ni a point de salvation. Il s’ensuit donques de son dire, quoy quil se tourne et contourne de tous costés, que l’Eglis’a erré es choses necessaires au salut : car, si hors l’Eglise on ne trouve point de salut, et l’Eglise a tant erré qu’elle n’est plus Eglise, certes en elle ni a point de salut ; or est il qu’elle ne peut perdre le salut que se destournant des choses necessaires a salut, ell’a donq failly en choses necessaires a salut : autrement, ayant ce qui est necessaire a salut elle seroit la vraÿe Eglise, qui ne se peut. Et dict de Beze quil a apris ceste façon de parler de ceux qui l’ont instruit en sa religion praetendue, c’est a dire, de Calvin ; et de vray, si Calvin pensoit que l’Eglise Romayne n’eust pas erré es choses necessaires a salut il eust eu tort de s’en separer, car y pouvant faire son salut, et y estant le vray Christianisme, il eust esté obligé d’y demeurer pour son salut, lequel ne pouvoit estr’en deux lieux differentz.

On me dira peut estre que de Beze dict bien que l’Eglise Romayne qui est aujourd’huy erre en choses necessaires, et que partant il s’en est separé, mays quil ne dict pas que la vraÿe Eglise ait jamais erré. Mays on ne se peut eschapper de ce costé la : car, quell’Eglise i avoit il au monde il y a deux cens, trois cens, quatre cens et cinq cens ans, sinon l’Eglise Catholique Romayne, toute qu’ell’est a praesent ? il ni avoit point d’autre sans doute ; donques, c’estoit la vraÿe eglise et neantmoins erroit, ou il ni avoit point de vraye Eglise au monde : et en ce cas la encores est il contraint d’avoüer que cest aneantissement estoit venu par erreur intolerable et en choses necessaires a salut, car, quand a ceste dissipation de fideles et secrett’Eglise qui cuyde produire, j’en ay desja asses faict voir la vanité cy devant ; outrece que quand ilz confessent que l’Eglise visible peut errer, ilz violent l’Eglise a laquelle Nostre Seigneur nous adresse en nos difficultés, et que saint Pol apelle colomne et pilier de verité (1 tim 3, 15), car ce n’est que de la visible delaquelle s’entendent ces tesmoignages, sinon qu’on voulut dire que Nostre Seigneur nous eust renvoyé a parler a une chose invisible, imperceptible et du tout inconneüe, ou que saint Pol enseignat son Timothëe a converser en un ‘assemblëe delaquelle il n’eut aucune connoissance.

Mays ce n’est pas violer tout le respect et la reverance deüe a ceste Reyne espouse du Roy celeste, d’avoir ramené sur ses terres quasi toutes les troupes que cy devant, avec tant de sang, de sueurs et de travaux, ell’avoyt par solemnelle punition bannies et chassées de ses confins, comme rebelles et conjurées ennemyes de sa coronne, j’entens, d’avoir remis sur pied tant d’heresies et fauses opinions que l’Eglise avoit condamnees comme entreprenans la sauverrayneté sur l’Eglise, absoulvans ceux qu’ell’a condamnés, condamnés ceux qu’ell’avoit absoutz ? Voyci des exemples.

Simon Magus disoit que Dieu estoit cause de peché, dict Lyrinensis ; mays Calvin et Beze n’en disent rien moins, le premier au traitté De l’eternelle praedestination, le second en la Responce a Sebastien Castalio. Quoy quilz nient le mot ilz suyvent la chose et le cors de cest’haeresie, si haeresie se doit appeler, non atheisme ; de quoy tant de doctes hommes les convainquent par leurs propres paroles que je ne m’y amuseray pas.

Judas, dict saint hierosme, pensoit que les miracles quil voyoit partir de la main de nostre Seigneur fussent operations et illusions diaboliques ; je ne sçay si vos ministres pensent ce quilz dient, mays que disent quand on produict les miracles sinon que ce sont sorceleries ? les glorieux miracles que Nostre Seigneur faict au Mondevis, au lieu de vous ouvrir les yeux, qu’en dites vous ?

Les Pepuziens, dict saint Augustin, ou Montanistes et Phriges comme les apelle le Code (De Haeret l I Tit V, § 5) admettoyent a la dignité de prestrise les femmes ; qui ne sçait que les freres Anglois tiennent Elisabeth leur Reyne pour chef de leur eglise ?

Les Manicheens, dict saint hierosme, nioient le liberal arbitre : luther a faict un livre contre le liberal arbitre, quil apelle De servo arbitrio ; de Calvin je m’en rapporte a vous. Amb., Ep 83 , Manichaeos ob Dominicae diei jejunia jure damnamus.

Les Donatistes croyoient que l’Eglise s’estoit perdue en tout le monde, et qu’elle leur estoit demeurëe seulement a eux ; vos ministres parlent ainsy. Encores croyoyent ilz qu’un mauvais homme ne peut baptiser ; Wiclef en disoit tout autant, que j’apport’en jeu par ce que de Beze le tient pour un glorieux reformateur. Quand a leurs vies, voicy leurs vertus : ilz donnoient le trespraetieux Sacrement aux chiens, ils jettoyent le saint Chresme a terre, ilz renversoyent les autelz, rompyent les calices et les vendoyent, ilz rasoyent la teste aux prestres pour lever la sacrëe onction, ilz levoyent et arrachoyent le voyle aux nonains pour les prophaner.

Jovinien, au tesmoignage de saint Augustin (I De haerisibus, ad quodvult Deus, c 82), vouloit qu’on mangeast en tout tems et contre toute prohibition toutes sortes de viandes, disoit que les jeusnes n’estoyent pas meritoires devant Dieu, que les sauvés estoyent esgaux en gloire, que la virginité n’estoit rien plus que le mariage, et que tous les pechés estoyent esgaux : chez vos maistres on enseigne le mesme.

Vigilance (comm’escrit saint Hierosme, 1. Adversus Vigilantium, et 2 epistolis adversus eunem) nia qu’on deut avoir en honneur les reliques des Saints, que les prieres des Saints fussent profitables, que les prestres deussent vivr’en caelibat, la pauvreté volontaire : que ne nies vous pas de tout cecy ?

Eustathius mesprisa les jeusnes ordinaires de l’Eglise, les Traditions ecclesiastiques, les lieux des saints Martirs et les basiliques de devotion. Le recit en est faict par le Concile Gangrense, in praefatione, ou pour ces raysons il fut anathemisé et condamné. Voyes vous combien il y a qu’on a condamné vos reformateurs ?

Eunomius ne vouloit point ceder a la pluralité, dignité, antiquité, comme tesmoigne saint basile contre Eunomius. Il disoit que la seule foy suffisoit a salut et justifioit, Aug, haer 54. Quand au premier trait, voyes de Beze en son traitté Des marques de l’Eglise ; quand au second, n’est il pas d’accord avec ceste tant celebre sentence de Luther, que de Beze tient pour tresglorieux reformateur : Vides quam dives sit homo Christianus sive baptizatus, qui etiam volens non potest perdere salutem suam, quantiscumque peccatis, nisi nolit credere ?

Aerius, au recit de saint Augustin, nioit la priere pour les mors, les jeunes ordinaires, et la superiorité de l’Evesque par dessus le simple prestre ; vos ministres nient tout cela.

Lucifer apelloit son eglise seulement la vraÿe eglise, et disoit que l’Eglise ancienne, d’Eglise estoit devenue un bordeau, Hier., Contra Lucif ; et que crient vos ministres tout le jour ?

Les Pelagiens se tenoyent asseurés et certains de leur justice (Hieron., adver Pel 1 III § 17-18)), promettoyent le salut aux enfans des fideles qui mouroyent sans Baptesme (Aug 1. VI contra Julianum, c II et III), ilz tenoyent tous pechés pour mortelz (Hier 1. II). Quand au premier, c’est vostr’ordinaire langage, et celuy de Calvin in Antidoto, sess 6 ; le second et troysiesme est trop trivial parmi vous pour en dir’autre chose.

Les Manicheens rejettoyent les sacrifices de l’Eglise et les images ; et qu’ont faict vos gens ?

Les Messaliens mesprisoyent les ordres sacrés, les eglises et les autelz, comme dict saint Damascene, Haer 80 ; Ignatius (apud Theodoretum, Dialogo 3 qui dicitur Impatibilis) : Eucharistias et oblationes non admittunt, quod non confiteantur Eucharistiam esse carnem Servatoris nostri Jesu Christi, quae pro peccatis nostris passa est, quam Pater benignitate suscitavit ; contre lesquelz a escrit saint Martial, Epistola ad Burdegalenses. Berengaire volut dire le mesme long tems apres, et fut condemné par trois Conciles, aux deux derniers desquelz il abjura son haeresie.

Julien l’Apostat mesprisoit le signe de la Croix, Soc. 1. 3 c. 2 ; aussi faysoit Xenaïas, l. 16 c 27 ; les Mahumetains n’en font rien moins, Damascene, Haeresi centesima. Mays qui voudra voir cecy bien au long, quil voye Sander, l 8 c 57, De visib Monarch Eccl et Belarmin, in notis Ecclesiae. Voyes vous les moules sur lesquelz vos ministres ont jetté et formé leur reformation ?

Or sus, ceste seul’alliance d’opinions, ou pour mieux dire, cest estroit parantage et consanguinité, que vos premiers maistres avoyent avec les plus cruelz, enviellis et conjurés ennemis de l’Eglise, vous devoyt elle pas destourner de les suyvre et vous renger sous leurs enseignes ? Je n’ay cotté pas un’haeresie qui n’ait esté tenue pour telle en l’Eglise que Calvin et Beze confessent avoir esté vraÿe Eglise, a sçavoir, es premiers cinq cens du Christianisme. Ah, je vous prie, n’est ce pas fouler aux pieds la majesté de l’Eglise, que de produyre comme reformations et reparations necessaires et saintes, ce qu’ell’a tant abominé lhors qu’elle estoit en ses plus pures annëes, et qu’ell’avoyt terrassé comm’impieté, ruyne et degast de la vraÿe doctrine ? L’estomac delicat de ceste celeste Espouse n’avoit pieça peu soustenir la violence de ces venins, et l’avoit rejetté avec tel effort que plusieurs veynes de ses Martirs en estoyent esclattëes, et maintenant vous le luy repraesentes comm’une praecieusemedecine. Les Peres que j’ay cité ne les eussent jamais mis au roole des haeretiques q’ilz n’eussent veu le cors de l’Elise les tenir pour telz ; c’estoyent des plus orthodoxes, et qui estoyent confederés a tous les autres Evesques et Docteurs catholiques de leur tems, qui monstre que ce quilz tenoyent pour haeretique l’estoyt a bon escient. Imagines vous donques ceste venrabl’antiquité, au ciel au tour du maistre, qui regardebt vos reformatoyres ; iz y sont allés combattans les opinions que les ministres adorent, ilz ont tenuz pour haeretiques ceux dont vous suyves les pas ; penses vous que ce quilz ont jugé erreur, haeresie, blaspheme es Arriens, manicheens, en Judas, ilz le trouvent maintenat sainteté, reformation, restauration ? Qui ne voit que c’est icy le plus grand mespris qu’on peut fair’a la majesté de l’Eglise ? Si vous voules venir a la succession de la vraÿe et sainte Eglise de ces premiers siecles, ne contrevenes donq pas a ce qu’ell’a si sollemnellement establi et constitué . Personne ne peut estre heritier en partie, et en partie non ; acceptes l’heritage resolument : les charges ne sont pas si grandes qu’un peu d’humilité n’en face la rayson, dir’adieu a ses passions et opinions, et passer conte du different que vous aves avec l’Eglise ; les honneurs sont infinis, d’estr’heritiers de Dieu, cohaeritiers de Jesuchrist (Rom 8, 17),en l’heureuse compaignie de tous les Bienheureux.



Sales, Controverses 123