Sales, Controverses 137


ARTICLE VIII

L’ESPRIT DE PROPHETIE DOIT ESTRE EN LA VRAYE EGLISE

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La prophetie est un tres grand miracle, qui consiste en la certaine connoissance que l’entendement humain a des choses sans experience ni aucun discours naturel, par l’inspiration surnaturelle ; et partant, tout ce que j’ay dit des miracles en general doit estre employé en cecy : mays, outre cela, le prophete Joël predict (ch 2, 28-29) qu’au dernier tems, c’est a dire, au tems de l’Eglise evangelique, comme interprete saint Pierre, Nostre Seigneur respandroit sur ses serviteurs et servantes de son Saint Esprit, et qu’ilz prophetiseroient (Act 2, 17) ; comme Nostre Seigneur avoit dict : Ces signes suivront ceux qui croiront (Marc, ult 17). Donques, la prophetie doit tousjours estre en l’Eglise, ou sont les serviteurs et servantes de Dieu, et ou il respand tousjours son Saint Esprit.

L’Ange dict, en l’Apocalipse, que le tesmoignage de Nostre Seigneur c’est l’esprit de prophetie (ch 19, 10) : or, ce tesmoignage de l’assistance de Nostre Seigneur n’est pas seulement donné pour les infidelles, mais principalement pour les infidelles, ce dict saint Pol (1 Cor 14, 22) ; comme donques diries vous que Nostre Seigneur l’ayant donné une fois a son Eglise il le luy leva par apres ? le principal sujet pour lequel il luy a esté concedé y est encores, donques la concession dure tousjours. Adjoustes, comme je disois des miracles, qu’en toutes les saisons l’Eglise a eu des prophetes ; nous ne pouvons donques dire que ce ne soit une de ses proprietés et une bonne piece de son douaire. Jesus Christ, montant aux cieux, il a mené la captivité captive, il a donné des dons aux hommes ; car il a donné les uns pour apostres, les autres pour prophetes, les autres pour evangelistes, les autres pour pasteurs et docteurs (Ephes 4, 8-11) : l’esprit apostolique, evangelique, pastoral et doctoral est tousjours en l’Eglise, et pourquoy luy levera on encores l’esprit prophetique ? c’est un parfum de la robbe de ceste Espouse (Cant 4, 11).

ARTICLE IX

L’EGLISE CATHOLIQUE A L’ESPRIT DE PROPHETIE, LA PRETENDUE NE L’A POINT

139 Il n’y a presque point eu de Saintz en l’Eglise qui n’ayent prophetisé. Je nommeray seulement ceux cy plus recens : saint Bernard, saint François, saint Dominique, saint Anthoyne de Padoue, sainte Brigitte, sainte Catherine de Sienne, qui furent tres asseurés Catholiques ; les Saintz desquelz j’ay parlé cy dessus sont du nombre, et en nostre aage, Gaspard Berzee et François Xavier. Il n’y a celuy de nos ayeux qui ne racontast tres asseurement quelque prophetie de Jehan Bourgeois, plusieurs desquelz l’avoyent veu et ouÿ. Le tesmoignage de Nostre Seigneur c’est l’esprit de prophetie (Apoc, ut supra).

Produises nous maintenant quelqu’un des vostres qui ait prophetisé pour vostre eglise. Nous sçavons que les Sybilles furent comme les prophetesses des Gentilz, desquelles parlent presque tous les Anciens ; Balaam aussi prophetisa (Num, 22-24), mais c’estoit pour la vraye Eglise ; et partant leur prophetie n’authorisoit pas l’eglise ; en laquelle elle se faisoit, mais celle pour laquelle elle se faisoit : quoy que je ne nie pas qu’entre les Gentilz il n’y eust une vraye Eglise de peu de gens, ayans la foy d’un vray Dieu et l’observation des commandemens naturelz en recommandation, par la grace divine ; tesmoin Job en l’ancienne Escriture, et le bon Cornelius, avec ces autres soldatz craignant Dieu (Act 10, 2, 7), en la nouvelle. Ores, ou sont vos prophetes ? et si vous n’en aves point, croyes que vous n’estes pas du cors pour l’edification duquel Nostre Seigneur les a laissés, au dire de saint Pol (Ephes 4, 11-12) ; aussi, Le tesmoignage de Nostre Seigneur c’est l’esprit de prophetie. Calvin a voulu, ce semble, prophetiser, en la preface sur son Catechisme de Geneve, mais sa prediction est tellement favorable pour l’Eglise Catholique, que quand nous en aurons l’effect nous sommes contens de le tenir pour tel quel prophete.

ARTICLE X

LA VRAYE EGLISE DOIT PRATTIQUER LA PERFECTION DE LA VIE CHRESTIENNE

1310 Voici des rares enseignemens de Nostre Seigneur et de ses Apostres. Un jeune homme riche protestoit d’avoir observé les commandemens de Dieu de sa tendre jeunesse ; Nostre Seigneur, qui voit tout, le regardant l’ayma, signe qu’il estoit tel qu’il avoit dict, et neanmoins il luy donne cest avis : Si tu veux estre parfaict, va, vens tout ce que tu as, et tu aurasun tresor au ciel, et me suis (Marc 10, 17-21 ; Matt 19, 16-21) . Saint Pierre nous invite avec son exemple et de ses compaignons : Voici, nous avons tout laissé et t’avons suivi ; Nostre Seigneur recharge avec ceste solemnelle promesse : Vous qui m’aves suivi seres assis sur douze chaires, jugeans les douze tribus d’Israël, et quiconque laissera sa mayson ,ou ses freres, ou ses soeurs, ou son pere, ou sa mere, ou sa femme, ou ses enfans, ou ses champs, pour mon nom, il en recevra le centuple, et possedera la vie eternelle (Matt 19, 27-29) . Voyla les paroles, voicy l’exemple. Le filz de l’homme n’a pas lieu ou il puisse reposer sa teste (Ibid, 8, 20) ; il a esté tout pauvre pour nous enrichir (2 Cor 8, 9) ; il vivoit d’aumosnes, dict saint Luc (8, 3) : Mulieres aliquae ministrabant ei de facultatibus suis ; en deux Psalmes (Pss 108, 22 ; 39, 18) qui touchent proprement sa personne, comme interpretent saint Pierre (Act 1, 20) et saint Pol (Heb 10, 7), il est appelé mendiant ; quand il envoye prescher ses Apostres, il les enseigne, Nequid tollerent in via nisi virgam tantum, et qu’ilz ne portassent ni pochette, ni pain, ni argent a la ceinture, mays chaussés de sandales, et qu’ilz ne fussent affeublésde deux robbes (Marc 6, 8-9). Je sçay que ces enseignemens ne sont pas commandemens absolus, quoy que le dernier fust commandement pour un tems ; aussi n’en veux je rien dire autre sinon que ce sont tres salutaires conseilz et exemples.

En voicy encores d’autres semblables, sur un autre sujet. Il y a des eunuques qui sont aisny nés du ventre de leur mere, il y a aussi des eunuques qui ont esté faitz par les hommes, et il ya des eunuques qui se sont chastrés eux mesmes pour le royaume des cieux ; qui potest capere, capiat (Mat 19, 12). C’est cela mesme qui avoit esté predict par Isaïe : Que l’eunuque ne dise point, voicy je suis un arbre sec, parce que le Seigneur dict ainsy aux eunuques : qui garderont mes Sabaatz, et choisiront ce que je veux, et tiendront mon alliance, je leur bailleray, en ma mayson et en mes murailles, une place et un nom meilleur que les enfans et les filles, je leur bailleray un nom sempiternel qui ne perira point. Qui ne voit icy que l’Evangile va justement joindre a la prophetie ? Et en l’Apocalipse (14, 3,4), ceux qui chantoyent un cantique nouveau, qu’autre qu’eux ne pouvoit dire, c’estoyent ceux qui ne s’estoyent point souillés avec les femmes, parce qu’ilz estoyent vierges ; ceux la suivent l’Aigneau ou qu’il aille. C’est icy ou se rapportent les exhortations de saint Pol : Il est bon a l’homme de ne point toucher la femme (1 Cor 7, 1). Or je dis a qui n’est pas marié, et aux vefves, qu’il leur sera bon de demeurer ainsy, comme moy (vers 8). Quant aux vierges, je n’en ay point de commandement, mais j’en donne conseil, comme ayant receu misericorde de Dieu d’estre fidele (vers 25). Voicy la rayson : Qui est sans femme, il est soigneux des choses du Seigneur, comme il plaira a Dieu, mais qui est avec sa femme, il a soin des choses du monde, comme il agreera a sa femme, et est divisé ; et la femme non mariee et la vierge pensent aux choses du Seigneur, pour estre saintes de cors et d’esprit, mais celle qui est mariee pense aux choses mondaines, comme elle plaira a son mary. Au reste, je dis cecy pour vostre prouffit ; non pour vous mettre des laqs, mais pour ce qui est honneste, et qui vous facilite le moyen de servir Dieu sans empeschemens (vers 32-35). Apres : Donq qui joint en mariage sa pucelle il faict bien, et qui ne la joinct point faict mieux (vers 38). Puys, parlant de la vefve : Qu’elle se marie a qui elle voudra, pourveu que ce soit en Nostre Seigneur, mais elle sera plus heureuse si elle demeure ainsy, selon mon conseil ; or pense que j’ay l’esprit de Dieu (vers ult). Voyla les instructions de Nostre Seigneur et des Apostres, et voicy l’exemple de Nostre Seigneur, de Nostre Dame, de saint Jan Baptiste, de saint Pol, saint Jan et saint Jaques, qui ont otus vescu en virginité, et, en l’Ancien Testament, Helie, Helisee, comme ont remarqué les Anciens.

En fin, la tres humble obeissance de Nostre Seigneur, qui est si particulierement notee es Evangiles, non seulement a son Pere (Jean 6, 38), a laquelle il estoit obligé, mays a saint Joseph (Luc 2, 51), a sa Mere, a Cesar auquel il paya le tribut (Matt 17, ult), et a toutes creatures, en sa Passion, pour l’amour de nous : Humiliavit semetipsum, factus obediens usque ad mortem, mortem autem crucis (Philip 2, 8). Et l’humilité qu’il monstre d’estre venu enseigner, quand il dict : Le filz de l’homme n’est pas venu pour estre servi, mays pour servir (Matt 20, 28). Je suis entre vous comme celuy qui sert (Luc 22, 27). Ne sont ce pas des perpetuelles repliques et expositions de ceste tant douce leçon, Apprenes de moy que je suis debonnaire et humble de courage (Matt 11, 29) ? et de ceste autre, Si quelqu’un veut venir apres moy, qu’il renonce a soy mesme, qu’il prenne sa croix tous les jours, et qu’il me suive (Luc 9, 23) ? Qui garde les commandemens il renonce asses a soy mesme pour estre sauvé, c’est bien asses s’humilier pour estre exalté (Mat 23, 12), mais d’ailleurs il reste une autre obeissance, humilité et renoncement de soy mesme, auquel l’exemple et les enseignemens de Nostre Seigneur nous invitent. Il veut que nous apprenions de luy l’humilité, et il s’humilioit, non seulement a qui il estoit inferieur entant qu’il portoit evidemment, car, sur le modelle de la perfection de vie qu’ont tenue et conseillee les Apostres, une infinité de Chrestiens ont si bien formé la leur que les histoires en sont pleines. Qui ne sçait combien sont admirables les rapportz que faict Philon le Juif de la vie des premiers Chrestiens en Alexandrie, au livre intitulé De vita supplicum, ou Traitté de saint Marc et ses disciples ? comme tesmoignent Eusebe, Nicephore, saint Hierosme et, entre autres, Epiphane qui dict que Philon escrivant des Jesseens il parloit des Chrestiens, qui pour quelque tems apres l’Ascencion de Nostre Seigneur, pendant que saint Marc preschoit en Egypte, furent ainsy appellés, ou a cause de Jessé, de la race duquel fut Nostre Seigneur, ou a cause du nom de Jesus, nom de leur Maistre et qu’ilz avoient tousjours en bouche : or, qui verra les livres de Philon, connoistra en ces Jesseens et therapeutes, guerisseurs ou serviteurs, une tres parfaicte renonciation de soy mesme, de sa chair et de ses biens. Saint Martial, disciple de Nostre Seigneur, en une epistre qu’il escrit aux Tholosains, raconte qu’a sa predication la bienheureuse Valeria, espouse d’un roy terrestre, avoit voüé la virginité de cors et d’esprit au Roy celeste. Saint Denis, en son Ecclesiastique Hierarchie (ch 6 §1,3), raconte que les Apostres ses maistres appelloient les religieux de sont tems therapeutes, c’est a dire, serviteurs ou adorateurs, pour le special service et culte qu’ilz faisoyent a Dieu, ou moynes, a cause de l’union a Dieu en laquelle ilz s’avançoyent. Voyla la perfection de la vie evangelique bien pratiquee en ce premier tems des Apostres et leurs disciples, lesquelz ayant frayé ce chemin du ciel si droit et montant, y ont esté suivis a la file de plusieurs excellens Chrestiens.

Saint Cyprien garda la continence et donna tout son bien aux pauvres, au recit de Pontius diacre ; autant en firent saint Pol premier hermite, saint Anthoyne et saint Hilarion, tesmoin saint Athanase et saint Hierosme, saint Paulin Evesque de Nole, tesmoin saint Ambroise, issu d’illustre famille en Guyenne, donna tout son bien aux pauvres, et, comme deschargé d’un pesant fardeau, dit adieu a son pays et a son parentage, pour servir plus attentivement son Dieu ; de l’exemple duquel se servit saint Martin, pour quitter tout et pour inciter les autres a mesme perfection. Georges, Patriarche Alexandrin, recite que saint Chrysostome abandonna tout et se rendit moyne. Potitianus, gentilhomme africain, revenant de la cour de l’Empereur, raconta a saint Augustin qu’en Egypte il y avoit un grand nombre de monasteres et religieux, qui representoyent une grande douceur et simplicité en leurs moeurs, et comme il y avoit un monastere a Milan, hors ville, garni d’un bon nombre de religieux, vivans en grande union et fraternité, desquelz saint Ambroise, Evesque du lieu, estoit comme abbé ; il leur raconta aussi, qu’aupres de la ville de Treves il y avoit un monastere de bons religieux, ou deux courtisans de l’Empereur s’estoyent rendus moynes, et que deux jeunes damoiselles, qui estoyent fiancees a ces deux courtisans, ayans ouÿ la resolution de leurs espoux, voüerent pareillement a Dieu leur virginité, et se retirerent du monde pour vivre en religion, pauvreté et chasteté : c’est saint Augustin qui faict ce recit (Conf l 8 c6). Possidius en raconte tout autant de luy, et qu’il institua un monastere, ce que saint Augustin luy mesme recite en une sienne epistre (211). Ces grans Peres ont esté suivis de saint Gregoire, Damascene, Bruno, Romuald, Bernard, Dominique, François, Louis, Anthoyne, Vincent, Thomas, Bonaventure, qui tous, ayans renoncé et dict un eternel adieu au monde et a ses pompes, se sont presentés en un holocauste parfaict a Dieu vivant.

Maintenant, concluons : ces consequences me semblent inevitables. Nostre Seigneur a faict coucher en ses Escritures ces advertissemens et conseilz de chasteté, pauvreté et obeissance, il les a prattiqués et faict prattiquer en son Eglise naissante ; toute l’Escriture et toute la vie de Nostre Seigneur n’estoit qu’une instruction pour l’Eglise, l’Eglise donques devoit en faire son prouffit, ce devoit donques estre un des exercices de l’Eglise que ceste chasteté, pauvreté et obeissance ou renoncement de soy mesme ; item, l’Eglise a tousjours faict cest exercice en tous tems et en toutes saisons, c’est donques une de ses proprietés : mays a quel propos tant d’exhortations si elles n’eussent deu estre prattiquees ? La vraye Eglise donques doit reluire en la perfection de la vie Chrestienne ; non ja que chacun en l’Eglise soit obligé de la suivre, il suffit qu’elle se trouve en quelques membres et parties signalees, affin que rien ne soit escrit ni conseillé en vain, et que l’Eglise se serve de toutes les pieces de la Sainte Escriture.


ARTICLE XI

LA PERFECTION DE LA VIE EVANGELIQUE EST PRATTIQUEE EN NOSTRE EGLISE, EN LA PRETENDUE ELLE Y EST MESPRISEE ET ABOLIE

13110 L’Eglise qui est present, suivant la voix de son Pasteur et Sauveur, et le chemin battu des devanciers, loüe, approuve et prise beaucoup la resolution de ceux qui se rangent a la prattique des conseilz evangeliques, desquelz elle a un tres grad nombre. Je ne doute point que si vous avies hanté les congregations de Chartreux, Camaldulenses, Celestins, Minimes, Capucins, Jesuites, Theatins, et autres en grand nombre esquelles fleurit la discipline religieuse, vous ne fussies en doute si vous les devries appeller anges terrestres ou hommes celestes, et ne sçauries quoy plus admirer, ou en une si grande jeunesse une si parfaicte chasteté, ou parmi tant de doctrine une si profonde humilité, ou entre tant de diversité une si grande fraternité ; et tous, comme celestes abeilles, menagent en l’Eglise et y brassent le miel de l’Evnagile avec le reste du Christianisme, qui par predications, qui par compositions, qui par leçons et disputes, qui par le soin des malades, qui par l’administration des Sacremens sous l’authorité des pasteurs.

Qui obscurcira jamais la gloire de tant de religieux de tous Ordres et de tant de prestres seculiers qui, laissans volontairement leur patrie, ou pour mieux dire leur propre monde, se sont exposés au vent et a la maree pour accoster les gens du Nouveau Monde, a fin de les conduire a la vraye foy et les esclairer de la lumiere evangelique ? qui, sans autre appointement que d’une vive confiance en la providence de Dieu, sans autre attente que de travaux, misere et martyre, sans autre attente que de travaux, misere et martyre, sans autres pretentions que de l’honneur de Dieu et du salut des ames, ont couru parmi les cannibales, Cnariens, negres, Bresiliens, Moluchiens, Japonnois et autres estrangeres nations, et s’y sont confinés, se banissans eux mesmes de leurs propres pays terrestres, affin que ces pauvres peuples ne fussent bannis du Paradis celeste. Je sçay, quelques ministres y ont esté, mais ilz sont allés avec appointement humain, lequel quand il leur a failli, ilz s’en sont revenus sans faire autre, parce qu’un singe est tousjours singe ; mais les nostres y sont demeurés en perpetuelle continence, pour feconder l’Eglise de ces nouvelles plantes, en extreme pauvreté, pour enrichir ces peuples du traffiq evangelique, et y sont mortz en esclavage, pour mettre ce monde la en liberté chrestienne.

Que si, au lieu de faire vostre prouffit de ces exmples et conforter vos cerveaux a la suavité d’un si saint parfum, vous tournes les yeux devers certains lieux ou la discipline monastique est du tout abolie, et n’y a plus rien d’entier que l’habit, vous me contraindres de dire que vous cherches les cloaques et voiries, non les jardins et vergers. Tous les bons Catholiques regrettent le malheur de ces gens, et detestent la negligence des pasteurs et l’ambition des aises de laides ames, qui, voulans tout manier, disposer et gouverner, empeschent l’election legitime et l’ordre de la discipline pour s’attribuer le bien temporel de l’Eglise. Que voules vous ? le Maistre y avoit semé la bonne semence, mais l’ennemy y a sursemé la zizanie (
Mt 13,24-25) ; cependant l’Eglise, au Concile de Trente, y avoit mis bon ordre, mais il est mesprisé par ceux qui le devoient mettre en execution, et tant s’en faut que les docteurs Catholiques consentent a ce malheur, quilz tiennent estre grand peché d’entrer en ces monasteres ainsy desbordés. Judas n’empescha point l’honneur de l’ordre apostolique, ni Lucifer de l’angelique, ni Nicolas du diaconat ; ainsy ces abominables ne doivent empescher le lustre de tant de devotz monasteres que l’Eglise Catholique a conservés, parmi toute la dissolution de nostre siecle de fer, affin que pas une parole de son Espoux ne demeurast en vain, sans estre prattiquee.

Au contraire, Messieurs, vostre eglise pretendue mesprise et deteste tant qu’elle peut tout cecy ; Cavin au livre 4 de ses Institutions, ne vise qu’a l’abolissement de l’observation des conseilz evangeliques. Au moins, ne m’en sçauries vous monstrer aucun essay ni bonne volonté parmi vous autres, ou jusques aux ministres chacun se marie, chacun traffique pour assembler des richesses, personne ne reconnoist autre superieur que celuy que la force luy faict advoüer ; signe evident que ceste pretendue eglise n’est pas celle pour laquelle Nostre Seigneur a presché, et tracé le tableau de tant de beuax exemples : car, si chacun se marie, que deviendra l’advis de saint Pol, Bonum est homini mulierem non tangere (1Co 7,1) ? si chacun court a l’argent et aux possessions, a qui s’adressera la parole de Nostre Seigneur, Nolite thesaurizare vobis thesauros in terra (Mt 6,19), et l’autre, Vade, vende omnia, da pauperibus (Mt 19,21) ? si chacun veut gouverner a son tour, ou se trouvera la prattique de ceste si solemnelle sentence, Qui vult venire post me abneget semetipsum (Lc 9,23) ? Si donq vostre église se met en comparaison avec la nostre, la nostre sera la vraye Espouse, qui prattique toutes les paroles de son Espoux, et ne laisse pas un talent de l’Escriture inutile ; la vostre sera fause, qui n’escoute pas la voix de l’Espoux, ains la mesprise : car il n’est pas raisonnable que, pour tenir la vostre en credit, on rende vaine la moindre syllabe de l’Escriture, laquelle, ne s’adressant qu’a la vraye Eglise, seroit vaine et inutile si en la vraye Eglise on n’employoit toutes ses pieces.



ARTICLE XII - DE L’UNIVERSALITE OU CATHOLICISME DE L’EGLISE

MARQUE TROISIEME

13120 Ce grand pere Vincent le Lirinois, en son tres utile Memorial, dict que sur tout on doit avoir sion de croire " ce qui a esté creu par tout (toujours, de tous) (.....manque une partie de l’article dans le manuscrit d’origine) comme les fourbeurs et chaudronniers, car le reste du monde nous appelle Catholiques ; que si on y adjouste Romaine, ce n’est sinon pour instruire les peuples du siege de l’Evesque qui est Pasteur general et visible de l’Eglise, et ja du tems de saint Ambroise (Vide lib De excessu Sat., § 47), ce n’estoit autre chose estre Romains de communion qu’estre Catholiques.

Mays quant a vostre eglise, on l’appelle par tout huguenote, calvinique, zuinglienne, heretique, pretendue, protestante, nouvelle ou sacramentaire ; vostre eglise n’estoit point devant ces noms, ni ces noms devant vostre eglise, parce qu’ilz luy sont propres : personne ne vous appelle Catholiques, vous ne l’oses pas quasi faire vous mesmes. Je sçai bien que parmi vous vos eglises s’appellent reformees, mais autant ont de droit sur ce nom les lutheriens, ubiquitistes, anabaptistes, trinitaires et autres engences de Luther, et ne le vous quitteront jamaid. Le nom de Religion est commun a l’eglise des Juifz et des Chrestiens, a l’ancienne Loy et a la nouvelle ; le nom de Catholique c’est le propre de l’Eglise de Nostre Seigneur ; le nom de reformee est un blaspheme contre Nostre Seigneur, qui a si bien formé et sanctifié son Eglise en son sang, qu’elle ne devoit jamais subir autre forme que d’espouse toute belle (Cant 4, 7), de colomne de fermeté et de verité (1 Tim 3, 15). On peut reformer les peuples et particuliers, mais, non ,l’Eglise ni la Religion, car, si elle estoit Eglise et Religion elle estoit bien formee, la difformation s’appelle heresie et irreligion ; la teinture du sang de Nostre Seigneur est trop vive et fine pour avoir besoin de nouvelles couleurs : vostre eglise donques, s’appelant reformee, quitte sa part a la formation que le Sauveur y avoit faitte. Mais je ne puis que je ne vous die ce que de Beze, Luther et Pierre Martyr en entendent : Pierre Martyr appelle les lutheriens, lutheriens, et dict que vous estes freres avec eux, vous estes donques lutheriens ; Luther vous appelle svermeriques et sacramentaires ; de Beze vous appelle lutheriens, consubstantiateurs et chimiques, et neantmoins les met au nombre des eglises reformees. Voyla donques les nouveuax noms que ces reformateurs advoüent les uns pour les autres ; vostre eglise, donques, n’ayant pas seulement le nom de Catholique, vous ne pouves dire en bonne conscience le Symbole des Apostres, ou vous vous juges vous mesme, qui, confessans l’Eglise Catholique et universelle, persistes en la vostre qui ne l’est pas. Pour vray, si saint Augustin vivoit maintenant, il se tiendroit en nostre Eglise laquelle, de tems immemorable, est en possession du nom de Catholique.

ARTICLE XIII

LA VRAYE EGLISE DOIT ESTRE ANCIENNE

13130 L’Eglise pour estre catholique doit estre universelle en tems, et pour estre universelle en tems il faut qu’elle soit ancienne ; l’ancienneté donques est une proprieté de l’Eglise, et en comparaison des heresies elle doit estre plus ancienne et precedente, parce que, comme dict tres bien Tertullien (Apologet c 43 ; Adv Marc, l 4, c 5), la fauseté est une corruption de verité, la verité doit donques preceder. La bonne semence est semee devant l’ennemy, qui a sursemé la zizanie bien apres (Matt 13, 24-25) ; Moyse devant Abiron, Datan et Coré ; les anges devant les diables ; Lucifer fut debout au jour avant qu’il cheut es tenebres eternelles ; la privation doit suivre la forme. Saint Jan dict des heretiques : Ilz sont sortis de nous ( 1 Jean 2, 19), ilz estoyent donques dedans avant que de sortir ; la sortie, c’est l’heresie, l’estre dedans, la fidelité. L’Eglise donques precede l’heresie : ainsy la robbe de Nostre Seigneur fut entiere avant qu’on la divisast (Jean 19, 23-24), et bien qu’Ismaël fust devant Isaac, cela ne veut dire que la fauseté soit devant la verité, mays l’ombre veritable du Judaïsme devant le cors du Christianisme, comme dict saint Pol (Heb 10, 1).

ARTICLE XIV

L’EGLISE CATHOLIQUE EST TRES ANCIENNE LA PRETENDUE TOUTE NOUVELLE

1314 Dites nous maintenant, je vous prie, cottes le tems et le lieu ou premierement nostre Eglise comparut des l’Evangile, l’autheur et le docteur qui la convoqua : j’useray des mesmes paroles d’un Docteur et Martyr de nostre aage, dignes d’estre bien pesees (Bx Edm. Campion, Decem Rationes, § 7, Historia). " Vous nous confesses, et n’oseries faire autrement, que pour un tems l’Eglise Romaine fut Sainte, Catholique, Apostolique : lhors qu’elle merita ces saintes louanges de l’Apostre : Vostre foy est annoncee par tout le monde (Rom 1, 8). Je fais sans cesse memoire de vous (vers 9). Je sçay que, venant a vous, j’y viendray en abondance de la benediction de Jesus Christ (15, 29). Toutes les eglises en Jesus Christ vous saluent (16, 16). Car vostre obeissance a esté divulguee par tout le monde ; lhors que saint Pol, en une prison libre, y semoit l’Evangile (Act, ult, 30, 31 ; 2 Tim 2, 9) ; lhors qu’en icelle saint Pierre gouvernoit l’Eglise ramassee en Babylone (1 Pierre 5, 13) ; lhors que Clement, si fort loüé par l’Apostre (Philip 4, 3), y estoit assis au timon ; lhors que les Cesars prophanes, comme Neron, Domitien, Trajan, Anthonin, massacroyent les Evesques romains, et lhors mesme que Damasus, Siricius, Anastasius, Innocentius y tenoyent le gouvernail apostolique : mesme au tesmoignage de Calvin, car il confesse librement qu’en ce tems la ilz ne s’estoient encore point esgarés de la doctrine evangelique. Or sus donques, quand fut ce que Rome perdit ceste foy tant celebree ? quand cessa elle d’estre ce qu’elle estoit ? en quelle saison, sous quel Evesque, par quel moyen, par quelle force, par quel progres, la religion estrangere s’empara elle de la cité et de tout le monde ? quelles voix, quelz troubles, quelles lamentations engendra elle ? hé, chacun dormoit il par tout le monde pendant que Rome, Rome, dis je , forgeoit de nouveaux Sacremens, nouveaux Sacrifices, nouvelles doctrines ? ne se trouve il pas un seul historien, ni grec ni latin, ni voisin ni estranger, qui ayt mis ou laissé quelques marques en ses commentaires et memoires d’une chose si grande ?

Et certes, ce seroit grand cas si les historiens, qui ont esté si curieux de remarquer jusque aux moindres mutations des villes et peuples, eussent oublié la plus notable de toutes celles qui se peuvent faire, qui est de la religion, en la ville et province la plus signalee du monde, qui est Rome et l’Italie. Je vous prie, Messieurs, si vous sçaves quand nostre Eglise commença l’erreur pretendu, dites le nous franchement, car c’est chose certaine que, comme dict saint Hierosme (Adv Lucif § 28), Haereses ad originem revocasse, refutasse est. Remontons le cours des histoires jusqu’au pied de la Croix, regardons deça et dela, nous ne verrons jamais, en pas une saison, que ceste Eglise Catholique ait changé de face, c’est tousjours elle mesme en doctrine et en Sacremens.

Nous n’avons pas besoin contre vous, en ce point, d’autres tesmoins que des yeux de nos peres et ayeux, pour dire quand vostre Eglise commença. L’an 1517 Luther commença sa tragedie, Zuingle et Calvin furent les deux principaux personnages. Voules vous que je cotte par le menu comment, par quelz succes et actions, par quelles forces et violences, cette reformation s’empara de Berne, Geneve, Lausanne et autres villes ? quelz troubles et lamentations elle a engendrés ? vous ne prendries pas playsir a ce recit, nous le voyons, nous le sentons : en un mot , vostre eglise n’a pas 80 ans, son autheur est Calvin, ses effectz, le malheur de nostre aage. Que si vous la voules faire plus ancienne, dites ou elle estoit avant ce tems la : ne dites pas qu’elle estoit mais invisible, car, si on ne la voyoit point qui peut savoir qu’elle ait esté ? puys Luther vous contredit qui confesse qu’au commencement il estoit tout seul.

Or, si Tertullien, ja de son tems, atteste que les Catholiques debouttoyent les heretiques par leur posteriorité et nouveuaté, quand l’Eglise mesme n’estoit qu’en son adolescence (Solemus, haeriticos, compendi gratia, de posterioritate praescribere)(Adv Hermog, c 1), combien plus d’occasion avons nous maintenant ? Que si l’une de nos deux eglises doit estre la vraye, ce tiltre demeurera a la nostre qui est tres ancienne, et a vostre nouveauté, l’infame nom d’heresie.

Article 15

La véritable Eglise doit etre perpétuelle

1315
(manquent 3 §)

ques a la consommation du siecle (Mat 28, 20) ? Si ce conseil, dict Gamaliel, ou ceste oeuvre est des hommes elle se disssipera, mays si elle est de Dieu vous ne sçauries la dissoudre (Act 5, 38-39) : l’Eglise est oeuvre de Dieu, qui donques la dissipera ? laisses la ces aveugles, car toute plante que le Pere celeste n’a pas plantee sera arrachee (Mat 15, 13-14), mays l’Eglise a esté plantee de Dieu et ne peut estre arrachee.

Saint Pol dict que tous doivent estre vivifiés chacun a son tour ; les premices ce sera Christ, puys ceux qui sont de Christ, puys la fin(1 Cor 15, 23-24) : il n’y a point d’entre deux entre ceux qui sont de Christ et la fin, d’autant que l’Eglise doit durer jusques a la fin. Il falloit que Nostre Seigneur regnast au milieu de ses ennemis jusqu’a ce qu’il eust mis sous ses pieds et assujetti tous ses adversaires (Ps 109, 1-2 ; 1 Cor 15, 25), et quand les assujettira il tous sinon au jour du jugement ? mays ce pendant il faut qu’il regne parmi ses ennemis sinon ça bas ? et ou regne il sinon en son Eglise ?

Si ceste espouse fust morte apres qu’ elle eut receu la vie du costé de son Espoux endormi sur la Croix, si elle fust morte, dis-je, qui l’eust resuscitee ? La resurrection d’un mort n’est pas moindre miracle que la creation : en la creation Dieu dict, et il fut faict (Ps 148, 5), il inspira l’ame vivante (Gen 2, 7), et si tost qu’il l’eut inspiree l’homme commença a respirer ; mays Dieu voulant reformer l’homme il employa trente trois ans, sua le sang et l’eau, et mourut sur l’oeuvre. Qui donques dict que l’Eglise estoit morte et perdue, il accsue la providence du Sauveur ; qui s’en appelle reformateur ou restaurateur, comme Beze appelle Calvin, Luther et les autres, il s’attribue l’honneur deu a Jesus Christ, et se faict plus qu’apostre. Nostre Seigneur avoit mis le feu de sa charité au monde (Luc 12, 49), les Apostres avec le souffle de leurs predications l’avoyent estendu et faict courir par l’univers : on dict qu’il estoit esteint par l’eau de l’ignorance et superstition ; qui le pourra rallumer. Le souffle n’y sert de rien ; il faudroit donques peut estre rebattre denouveau avec les clouz et la lance sur Jesus Christ, pierre vivante, pour en faire sortir un nouveau feu ? sinon que l’on veuille mettre Luther et Calvin pour pierre angulaire du bastiment ecclesiastique. " O voix impudente ", dict saint Augustin contre les Donatistes (In Ps 101, Sermo 2, § 7), " que l’Eglise ne soit point parce que tu n’y es pas ". " Non, non " dict saint bernard (Sermo 79 in Cant), " les torrens sont venus, les vens ont soufflé (Matt 7, 25) et l’ont combattue, elle n’est point tombee, parce qu’elle estoit fondee sur la pierre, et la pierre estoit Jesus Christ (1 Cor 10, 4).

Quoy donques ? tous nos devanciers sont ilz damnés ? ouy pour vray, si l’Eglise estoit perie, car hors l’Eglise il n’y a point de salut. O quel contrechange ; nos Anciens ont tant souffert pour nous conserver l’heritage de l’Evangile, et maintenant on se mocque d’eux et les tient on pour folz et insensés.

" " Que nous dites vous de nouveau ? " dict saint Augustin (De unit eccl, " faudra il encores une fois semer la bonne semence, puysque des qu’elle est semee elle croist juqu’a la moisson (Mat 13, 30) ? Que si vous dites que celle que les Apostres avoyent semee est par tout perdue, nous vous respondrons, lises nous cecy es Saintes Escritures, et vous ne le lires jamais que vous ne rendies faux ce qui est escrit, que la semence qui fut semee au commencement croistroit jusqu’au tems de moissonner. La bonne semence ce sont les enfans du Royaume, la zizanie sont les mauvais, la moisson c’est la fin du monde (vers 38, 39). Ne dites pas donques que la bonne semence soit abolie ou estouffee, car elle croist jusques a la fin du monde.

L’Eglise donques ne fut pas abolie quand Adam et Eve pecherent ; car, ce n’estoit Eglise ains commencement d’Eglise : outre ce qu’ilz ne pecherent pas en la doctrine ni au croire, mais au faire.

Ni quand Aaron dressa le veau d’or ; car, Aaron n’estoit pas encores sauverain Prestre ni chef du peuple, c’estoit Moyse, lequel n’idolatra pas, ni la race de Levi qui se joignirent a Moyse. Ni quand Helie se lamentoit d’estre seul (3 Rois 19, 14) ; car, il ne parle que d’Israël, et Juda estoit la meilleure et principale partie de l’Eglise : et ce qu’il dict n’est qu’une façon de parler pour mieux exprimer la justice de sa plainte, car au reste il y avoit encores sept mille hommes qui ne s’estoyent encores point abandonnés a l’idolatrie (vers 18). Ce sont donques certaines expressions vehementes, accoustumees es propheties, qui ne doivent se verifier en general pour un grand desbordement, comme quand David disoit (Ps 13, 4) : Non est qui faciat bonum, et saint Pol : Omnes quaerunt quae sua sunt. (Philip 2, 21)

Ni ce qu’il faut que la separation et devoyement vienne (2 Thess 2, 3), lhors que les sacrifice cessera (Dan 12, 11), et qu’a grand peyne le Filz de l’homme trouvera foy en terre (Luc 18, 8) ; car, tout cecy se verifiera es trois ans et demi que l’Antichrist regnera, durant lesquelz toutefois l’Eglise ne perira point, mays sera nourrie es solitudes et desers, comme dict l’Escriture.


Sales, Controverses 137