Pie XII 1939 - LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT A S. EM. LE CARDINAL VERDIER, A L'OCCASION DU PREMIER CONGRÈS NATIONAL DE LA J.A.C.


HOMÉLIE DE PAQUES PRONONCÉE A LA MESSE PONTIFICALE SOLENNELLE

(9 avril 1939)1

En la solennité de Pâques, le Saint-Père célébra le saint sacrifice dans la Basilique Vaticane et prononça en latin l'homélie dont voici la traduction :

1 D'après le texte latin des A. A. S., XXXI, 1939, p. 145 ; cf. la traduction française de la Documentation Catholique, t. XL, col. 547.



La paix de Pâques.

La fête de Pâques Nous offre l'occasion de vous adresser, avec la plus grande joie de Notre coeur paternel, Notre salut, à vous, très digne Sénat de l'Eglise, à vous tous qui êtes ici présents, Vénérables Frères dans l'épiscopat, prélats ou prêtres du clergé romain, et enfin, vous Nos très chers fils, religieux ou simples laïcs. Pour contenir cette pieuse multitude, la très vaste église de Saint-Pierre paraît aujourd'hui trop étroite. Nous ne croyons pas pouvoir mieux commencer ce discours qu'en redisant les paroles sublimes que le divin Maître, ressuscité des morts, adresse à ses disciples : Pax vobis (Jn 20,19). Voilà le souhait et la salutation de paix.

Annoncé dans les temps d'attente de sa venue comme « le prince de la paix » (Is 9,6) ; accueilli, lors de sa naissance, par ces chants angéliques : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux ; sur terre, paix aux hommes de bonne volonté » (Lc 2,14), le Rédempteur du monde fut le héraut et l'ambassadeur de la paix, selon cette parole de l'Apôtre des nations : « Il est venu annoncer la paix » (Ep 2,17). Cette paix n'a pas été cependant exempte de luttes et de combats, puisque Notre-Seigneur Jésus-Christ, lorsque « la mort et la vie se livrèrent à un duel extraordinaire » 2, en luttant jusqu'à la mort, l'obtint comme le prix de son sang et de la victoire remportée, « réconciliant toutes choses avec Dieu, celles qui sont sur la terre et celles qui sont dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix » (Col 1,20).

C'est donc à bon droit et avec raison que l'apôtre saint Paul non seulement répète très souvent la consolante invocation : « Dieu de la paix, Seigneur de la paix » (Rm 15,33 Rm 16,20 ; 1Co 14,33 Ph 4,9 1Th 5,23 2Th 3,16 He 13,20) mais encore, faisant écho à la parole des prophètes (Mi 5,5), appelle Jésus-Christ notre paix : « Lui est notre paix » (Ep 2,14).

2 Séquence de la messe de Pâques.





Les causes du manque de paix.

Prendre garde à ces choses, les examiner attentivement dans la situation présente, Nous semble apte à relever et à fortifier les âmes au moment où la paix est tant proclamée, désirée, invoquée par tous. « La paix est un bien si grand qu'il n'est rien de plus agréable à entendre, rien de plus souhaitable à désirer, rien enfin de meilleur à trouver » 3.

Mais aujourd'hui, plus qu'à une autre époque, ne se vérifient que trop ces paroles du prophète Jérémie, qui parle d'hommes disant : « Paix, paix, et il n'y avait point de paix » (Jr 6,14 Jr 8,11 Ez 13,10). En effet, si nous regardons tout autour de nous, quel triste spectacle s'offre à notre vue ! De fait, l'on voit dans beaucoup de pays les hommes agités, inquiets sur leur sort, angoissés par la crainte de troubles qui semblent annoncer les pires malheurs. Les esprits sont en proie à l'anxiété et à l'inquiétude, comme si des dangers plus graves menaçaient et déjà étaient imminents.

Tout cela est bien loin de cette sereine et sûre « tranquillité dans l'ordre » 4 qui constitue la vraie paix. Et vraiment peut-on avoir la paix complète et durable si les fils d'une même nation, oublieux souvent de leur origine commune et de leur commune patrie, sont entraînés et divisés par les intérêts, les rivalités, les luttes des partis politiques ?

Comment avoir la paix alors que tant d'hommes, des centaines de mille, manquent de travail, de ce travail qui non seulement permet à chaque citoyen de vivre d'une façon convenable, mais grâce auquel les multiples énergies et ressources dont la nature, l'étude et l'art ont honoré la dignité de la personne humaine, pourront nécessairement s'exercer avec l'éclat et l'honneur qui conviennent ?



Saint Augustin, De civ. Dei, 19, 11. Id., ibid., 19, 13.



Qui ne voit que cet état de choses a pour effet de grouper des foules énormes dont la misère et le désespoir — qui forment un contraste si violent avec l'aisance excessive de ceux qui vivent dans le luxe sans fournir le moindre secours aux indigents — font des proies faciles pour ces propagandistes rusés et séduisants qui offrent aux intelligences trompées par les fausses apparences de la vérité, des doctrines dissolvantes.

De plus, comment pourrait-on avoir la paix, si ne régnent pas aussi entre les nations et cette compréhension mutuelle et cet accord des volontés qui seuls peuvent conduire les peuples dans les voies lumineuses du progrès civil ? L'on voit, au contraire, les pactes solennellement sanctionnés ainsi que la parole donnée perdre parfois leur valeur et leur certitude qui constituent la base et la force de la légitime confiance réciproque : cette dernière une fois enlevée, il devient de jour en jour plus difficile de réduire ou de suspendre les armements et de pacifier les esprits, chose cependant si désirée par tous.



Le pape lance un appel à la paix et en indique les conditions...

Devant la menace d'une tempête si terrible, Nous exhortons vivement tous les hommes à revenir au Roi de la paix, au Vainqueur de la mort, dont les lèvres nous ont fait entendre ces consolantes paroles : Pax vobis. Que lui, comme il l'a promis, nous accorde la paix, sa paix, cette paix, disons-Nous, que le monde ne peut donner, celle qui, seule assurément, peut apaiser tous les troubles et dissiper toutes les craintes : « Je vous donne ma paix, je ne la donne pas comme la donne le monde. Que votre coeur ne se trouble point et ne s'effraye point » (Jn 14,27).



... la paix intérieure

Mais puisque la tranquillité extérieure ne peut être que le reflet ou la conséquence de la paix intérieure, il est nécessaire de s'occuper tout d'abord de la paix de l'âme : se la procurer le plus tôt possible si on ne l'a pas ; veiller sur elle avec soin, la défendre et la garder intacte, si on l'a déjà. Ce n'est pas, en effet, sans une très grave raison que Notre-Seigneur Jésus-Christ, en ce jour, en se montrant pour la première fois aux apôtres après sa résurrection, voulut ajouter à son salut de paix un don inestimable de paix, à savoir le sacrement de pénitence, de telle sorte qu'au jour solennel de sa résurrection prit aussi naissance cette institution salutaire qui rend aux âmes la grâce divine ou la renouvelle, cette grâce qui constitue le triomphe de la vie sur la mort, c'est-à-dire sur le péché.

C'est à cette source inépuisable de pardon et de paix que l'Eglise, Notre pieuse Mère, appelle avec instance tous ses enfants en ce saint temps pascal. Si chacun et tous répondaient librement et de bon gré à cet appel très affectueux, ils acquerraient une vie chrétienne plus florissante et plus féconde, avec la jouissance joyeuse et très douce de cette paix qui, par l'obéissance très aimante et parfaite au divin Rédempteur, permet de dominer l'attrait des passions et des voluptés. « Ton âme veut-elle être capable de vaincre tes débauches ou tes passions ? pour emprunter l'interrogation de saint Augustin. Qu'elle se soumette à Celui qui est plus grand et elle vaincra celui qui est au-dessous, inférieur. Et il y aura en toi une paix vraie, assurée et très bien ordonnée. Quel est l'ordre ou l'arrangement de cette paix ? Dieu commande à l'âme, l'âme au corps : rien de plus ordonné » 5.

Mïscellanea Agostiniana, vol. I, S. Augustin Sermones post Maurinos reperti, p. 633, 15-18.



. l'obéissance à Dieu

Vous voyez donc, Vénérables Frères et très chers fils, sur quelle base unique et inébranlable repose la véritable paix, à savoir sur la majesté éternelle de Dieu que tous ont le devoir de reconnaître, de respecter, d'honorer et dont ils sont tenus d'exécuter les commandements. Affaiblir ou détruire totalement cette obéissance due au Dieu créateur équivaut certainement à troubler ou à ruiner complètement la paix des individus comme celle de la famille, la paix des nations et celle enfin du monde entier. A la vérité, Dieu seul « aura des paroles de paix pour son peuple et pour ses fidèles et pour ceux qui retournent vers lui leur coeur » (Ps 84,9). C'est seulement par la volonté du Dieu tout-puissant, gardien suprême de la justice et suprême donateur de paix, « que la justice et la paix s'embrasseront » (Ps 84,11) ; parce que, comme l'annonce le prophète Isaïe : « Le produit de la justice sera la paix, et le fruit de la justice le repos et la sécurité pour jamais » (Is 32,17).



la recherche de la justice

Comme, en effet, il n'est pas possible d'avoir la paix si les choses ne sont pas dans l'ordre, de même il ne peut pas y avoir d'ordre si l'on écarte la justice. Mais celle-ci exige que l'on donne à l'autorité légitimement établie le respect et l'obéissance qui lui sont dus ; elle exige que les lois soient faites avec sagesse pour le bien commun et que tous les observent par devoir de conscience. La justice demande que tous reconnaissent et respectent les droits sacrés de la liberté et de la dignité humaines ; que les innombrables ressources et richesses que Dieu a répandues dans le monde entier soient réparties, pour l'utilité de tous ses enfants, d'une façon équitable et avec droiture. La justice veut enfin que l'action bienfaisante de l'Eglise catholique, non sujette à l'erreur quand elle enseigne la vérité, source inépuisable de vie pour les âmes, bienfaitrice insigne de la communauté humaine, ne soit ni attaquée ni empêchée. Car si l'on substitue au noble sceptre de la justice les armes de la violence, qui pourrait dès lors s'étonner que les temps qui se lèvent apportent non pas la lumière si désirée de la paix radieuse, mais les sombres et cruelles incendies des guerres ?

A la vérité, la justice a pour tâche d'établir et de garder intacts les principes de cet ordre de choses qui est la base première et principale d'une solide paix. Cependant, elle ne peut à elle seule triompher des difficultés et des obstacles qui bien souvent s'opposent à l'établissement et à la consolidation de la paix.



. la charité

C'est pourquoi, si à l'inflexible et rigoureuse justice ne s'unit pas, dans une fraternelle alliance, la charité, très facilement les yeux de l'esprit sont empêchés, comme par l'écran d'un nuage, de voir les droits d'autrui ; les oreilles deviennent sourdes à la voix de cette équité qui, dans une sage et bienveillante application, peut débrouiller et résoudre avec ordre et selon la droite raison les controverses les plus âpres et les plus compliquées.

Lorsque Nous disons ici la charité, Nous voulons parler de cette charité féconde et généreuse que le Christ a apportée — de cette charité qui a poussé le divin Rédempteur à mourir pour notre salut : « Il m'a aimé et s'est livré pour moi » (Ga 2,20) — de cette charité qui « nous presse » (2Co 5,14) et fait que « ceux qui vivent, ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux » (2Co 5,15) — de cette charité enfin par laquelle le Christ fut poussé à prendre la « condition d'esclave » (Ph 2,7), afin que nous devenions tous frères en lui qui est « le premier-né » (Rm 8,29), et par conséquent fils du même Dieu, héritiers du même royaume et appelés aux joies de la même éternelle béatitude.

Si les hommes goûtaient enfin les douceurs de cet amour et se reposaient en lui, alors sans aucun doute le soleil radieux de la paix s'élèverait sur le monde souffrant. A la colère désordonnée qui irrite succéderait le calme de l'esprit qui raisonne avec sagesse ; à la concurrence violente et effrénée succéderait la collaboration cordiale ; enfin la compréhension équitable et réciproque des choses et des arguments remplacerait les inimitiés ou les brouilles, de telle façon à la vérité que la tranquillité confiante et le calme prendraient la place de cette terrible excitation des esprits.

Que les hommes reprennent le chemin par lequel on reviendra à des ententes mutuelles amicales dans lesquelles les intérêts et les avantages de chacun des contractants sont évalués d'une façon équitable et avec une bienveillante appréciation ; dans lesquelles chacun ne se refuse pas à faire des sacrifices pour procurer à la famille humaine des biens supérieurs ; des ententes enfin où la fidélité à la parole publiquement donnée, tous le voulant ainsi, resplendira comme un exemple.

Afin que ces choses s'accomplissent et que Nos voeux très ardents se réalisent favorablement, Nous ne pouvons Nous retenir de répéter aux individus, aux peuples et à leurs gouvernants la très chaleureuse invitation ou exhortation à la paix, à la paix basée sur la justice et la charité, que Nous voulûmes leur adresser à tous, aussitôt après Notre élévation à la suprême dignité du souverain pontificat.

Mais Nous élevons surtout Nos mains et Nos yeux vers « le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs » (1Tm 6,15) en lui adressant, sur un ton suppliant, les prières qu'en cette solennité pascale la liturgie sacrée du Sacrifice eucharistique Nous fournit : « Seigneur Dieu qui, par la voix de l'Eglise, convoquez, en ces jours, tous vos enfants aux très saints mystères, c'est-à-dire à se nourrir de votre chair divine, à s'abreuver de votre sang très pur ; vous qui désirez les voir réunis autour de votre Sacrement de l'autel, Sacrement qui est le don le plus précieux de votre amour pour nous tous, et aussi le signe et le lien de cet amour qui nous groupe dans une union fraternelle ; vous, Seigneur Dieu, « répandez sur nous l'Esprit de votre charité, afin que votre grâce fasse un même coeur et une même ame de ceux que vous avez nourris du même Sacrement pascal ». Ainsi soit-il.




DISCOURS AUX MEMBRES DE L'UNION DES LIGUES FÉMININES CATHOLIQUES

(14 avril 1939) 1

Ce jour, le Souverain Pontife reçut en audience les 700 participants au Congrès international qui s'est ouvert à Rome le 11 avril et réunit les deux sections de l'Union internationale des Ligues féminines d'Action catholique. A près avoir écouté les adresses d'hommage de Mme Steenberghe, présidente de l'Union, et de Mlle de Hemptinne, présidente de la section des jeunes, le Saint-Père rappela à l'assemblée la mission providentielle de l'Action catholique à l'heure actuelle.



1 D'après le texte français de Discorsi e Radiomessaggi, t. I, p. 43. Les sous-titres sont de la Documentation Catholique, t. XL, col. 619.



C'est avec un vif sentiment de joie et d'espérance que Nous vous recevons aujourd'hui, dames et jeunes filles déléguées par l'Union internationale des Ligues féminines catholiques à son 10e Congrès. Avec joie, car vous représentez ici des millions d'âmes, généreuses comme les vôtres, prêtant comme vous à l'apostolat hiérarchique de l'Eglise, à travers le monde, un concours docile et dévoué. Avec espoir, car votre visite elle-même, et la pensée que vous avez eue de tenir ce congrès près du Siège apostolique, sont pour Nous, de votre part, les gages d'un travail toujours plus éclairé et plus actif.



Thème du congrès indiqué par Pie XI : formation et préparation de la femme catholique à l'apostolat.

Vous êtes venues à Rome pour prier et pour étudier ensemble un beau et ample programme, condensé en quelques mots, qui restent pour vous les novissima verba de Notre prédécesseur Pie XI, de vénérée mémoire : formation et préparation de la femme catholique, dans ses divers champs d'apostolat, pour la restauration chrétienne de la société contemporaine.

La formation, la préparation à l'apostolat ? Ecoutez saint Paul vous en révéler les bases mêmes, en vous proposant l'exemple de Jésus-Christ : « La grâce de Dieu Notre-Seigneur s'est manifestée... Elle nous enseigne... à vivre dans le siècle présent avec tempérance, justice et piété... Ne vous conformez pas au siècle présent, mais transformez-vous par le renouvellement de l'esprit» (Tt 2,11-13 Rm 12,2).

C'est bien là le programme d'une formation spirituelle parfaite : car l'apostolat le plus efficace, irremplaçable, est celui d'une vie sainte et pieuse, agissant par l'exemple et par la prière. Voilà pourquoi, entre les formes diverses de votre activité, cet apostolat de l'exemple occupe la première place. Voilà aussi pourquoi vous venez avant tout prier et demander le secours de la grâce sur ce tombeau du Prince des apôtres, qui semble être ici-bas une source abondante de secours surnaturels et le point de départ de tout apostolat fécond.

En vous y voyant aujourd'hui, Notre pensée se reporte vers ces nobles et ardentes chrétiennes qui, dès l'origine de l'Eglise, ont collaboré avec les apôtres et les pasteurs d'âmes à la diffusion de l'Evangile, méritant d'être louées par la hiérarchie d'alors et d'avoir «leurs noms», disait saint Paul, «inscrits au livre de vie» (Ph 4,3). C'est de ces femmes et jeunes filles que les affiliées de vos Ligues continuent les glorieuses traditions. Aussi, vos travaux font votre éloge et Nous révèlent combien vastes déjà sont vos « champs d'apostolat », que vous voulez encore élargir.

Apostolat social : conquête du milieu par le milieu.

Il fut un temps — peut-être — où l'activité apostolique de la femme pouvait se limiter à sauvegarder et entretenir la vie chrétienne du foyer. Il n'en va pas ainsi de nos jours, où toute la vie familiale subit nécessairement et immédiatement l'influence du milieu social dans lequel elle se développe. De cette ambiance sociale dépendra, pour une large part, la température spirituelle de la famille, donc sa vie morale et religieuse. Voilà pourquoi la femme catholique d'aujourd'hui prend conscience de ses devoirs sociaux. C'est à mieux comprendre ces devoirs, par une étude en commun, que travaillent vos Congrès ; c'est à les mieux remplir toujours que s'applique l'effort de vos Ligues. Ainsi s'expliquent les formes, si admirablement variées, de cet effort.

Toutes pareilles, en effet, dans leur principe, parce qu'elles concernent toujours la défense nécessaire des droits de Dieu et des âmes, vos oeuvres d'apostolat sont multiples et diverses dans leur exercice, parce que vous les adaptez à la diversité des pays et des temps.

Car l'apôtre, pour être écouté, doit parler, non pas à des représentants de quelque humanité abstraite qui serait de tous les pays, de tous les temps et de toutes les conditions, mais à tel ou tel groupe de ses semblables, à tel âge, dans tel pays, à tel échelon de la hiérarchie sociale. C'est là une des règles d'or tracée par le Pontife à jamais regretté, qui fut un grand promoteur de l'Action catholique et qui en reste maintenant l'invisible inspirateur.

Tout cela, vous le savez. Et vous savez aussi que l'Action catholique étant une collaboration à l'apostolat hiérarchique, ses membres doivent être soumis à la hiérarchie ecclésiastique à laquelle appartient de droit la mission apostolique, ainsi que son organisation dans le monde entier : Euntes, docete omnes gentes (Mt 28,19). C'est précisément pour cela que vous venez, comme vous le disiez tout à l'heure, en apportant ici vos informations, qui sont riches et consolantes, recevoir des directives, qui seront surtout encourageantes.




II

La collaboration féminine pour ramener à Dieu le monde qui le méconnaît par le retour à Dieu et à l'Evangile.

Dans toutes les grandes oeuvres humaines, comme dans l'oeuvre humano-divine de la Rédemption, Dieu a fait de la femme l'associée et l'auxiliaire de l'homme. Mais cette collaboration féminine dans la diffusion et la défense du royaume de Dieu Nous semble plus opportune aujourd'hui que jamais.

En effet, le mal dont souffre l'humanité est l'oubli, la méconnaissance, parfois même la négation absolue des réalités invisibles, des plus nobles valeurs morales et de tout idéal surnaturel. En ce siècle de mécanisme, la personne humaine n'est souvent qu'un instrument perfectionné de travail ou — hélas ! — de combat. La jouissance matérielle et immédiate attise et borne tout ensemble l'ambition des foules.

Notre société humaine menace de n'en être bientôt plus une, tant ses éléments constitutifs se désagrègent, sous nos yeux, dans l’égoïsme matérialiste, ou se dressent les uns contre les autres. Ce qu'il reste de véritable vie sociale tend à n'être plus régi que par le jeu des intérêts individuels et la compétition des appétits collectifs.

Il est vrai, les tentatives ne manquent pas pour refaire, dans cette dispersion des personnalités humaines, quelque unité. Mais les plans propagés pécheront toujours par la base s'ils partent du même principe que le mal auquel ils voudraient remédier. On ne guérira pas la blessure, on ne bridera pas la déchirure profonde de notre humanité individualiste et matérialiste par un système, quel qu'il soit, s'il reste lui-même matérialiste dans ses principes et mécanique dans ses applications.

Pour panser cette plaie, il n'est qu'un baume efficace : le retour de l'esprit et du coeur humain à la connaissance et à l'amour de Dieu, le Père commun, et de celui qu'il a envoyé pour sauver le monde, Jésus-Christ. Or, pour verser l'onction de ce baume sur les chairs vives d'une humanité meurtrie par tant de chocs, les mains des femmes semblent providentiellement préparées, rendues plus douces par la sensibilité plus affinée, par la tendresse plus délicate du coeur.



La mission sociale des dames et jeunes filles catholiques.

A vous donc, dames et jeunes filles catholiques, de vous pencher vers la grande blessée ; guidées et aidées par Dieu, relevez-la, encouragez-la ; refaites de cette multitude grégaire une société organique, dans la paisible hiérarchie des fonctions et des charges, dans le respect des devoirs et des droits, dans l'harmonieuse coordination des familles stables et fécondes. Que par vous la multiplicité des groupes ethniques retrouve l'unité de la filiation divine et de la fraternité humaine. Que le communisme recule et disparaisse devant la communauté des hommes ; que leur communauté s'achève dans la communion chrétienne.

Alors seulement se réalisera cette unité dans l'ordre, unitas ordinis, dont parle saint Thomas, et qui doit être l'idéal de vos âmes, le but suprême de vos efforts. Mais alors aussi, en travaillant pour le bien universel, chacune de vous travaillera pour le salut de sa patrie et pour le bonheur de sa famille, précisément parce que l'ordre est un : il ne peut régner dans les âmes, dans les nations, dans l'humanité tout entière, que si chaque chose est à sa place ; si Dieu, par conséquent, occupe partout la seule place qui lui convienne : la première. Et alors enfin, dans la stabilité de l'ordre, descendra sur la terre cette paix qu'appellent le désir angoissé des peuples et, douloureux entre tous, le sanglot désespéré des mères.

Voilà votre mission ; elle est très haute ; elle veut de l'élan, de la persévérance ; il y faudra parfois de l'héroïsme. Mais elle est assurée de la victoire parce que l'esprit finit toujours par vaincre la matière, et le droit par triompher sur les ruines accumulées par la violence. L'histoire le montre et Dieu nous l'a promis : la mesure de notre victoire est celle de notre foi : Haec est victoria, quae vincit mundum, fides nostra (1Jn 5,4).



Les deux sections de l'Union, fleurs et fruits du même arbre.

Est-il besoin d'ajouter que, pour faire régner l'ordre et la paix autour d'elles, vos Ligues doivent d'abord les sauvegarder en elles-mêmes ? A cet égard, il Nous plaît singulièrement de voir, dans votre Union internationale, se juxtaposer harmonieusement, à la section des dames, celle des jeunes filles. Ce sont comme les fleurs et les fruits, qui parfois ornent ensemble certains arbres privilégiés. A côté des ouvrières déjà chargées de mérites et riches d'expérience se rangent joyeusement les apprenties qui aspirent à se dévouer et pour cela demandent « préparation et formation », recevant les conseils de leurs devancières, moins comme des leçons imposées que comme des trésors offerts. Chacune des deux sections a ses méthodes et ses pratiques ; car là encore une adaptation de chacune à son milieu est nécessaire. Mais sous ces différences extérieures brûle dans les âmes — pour lesquelles il n'y a pas d'âge — la même flamme intérieure d'un zèle purement surnaturel.

Aussi par l'intercession de la très douce Vierge Marie, dont vous avez eu la délicate attention de Nous offrir les images telles qu'elles sont vénérées dans chacun de vos chers pays, Nous appelons la protection toujours plus efficace de Dieu sur les évêques qui vous envoient, sur vous-mêmes, sur toutes les affiliées de vos Ligues — que vous représentez — sur leurs familles et les vôtres, sur vos travaux et les leurs, et Nous vous accordons de tout coeur, comme gage des faveurs divines, la Bénédiction apostolique.




RADIOMESSAGE A LA NATION ESPAGNOLE

(16 avril 1939) 1

Le 1er avril déjà, le Saint-Père exprimait sa joie au général Franco à l'occasion de la fin de la guerre d'Espagne (voir ci-dessus p. 32). Le dimanche 16 avril, il s'adressait à toute la nation espagnole en un radiomessage retransmis par toutes les stations italiennes, les principales stations espagnoles et la radiodiffusion ibéro-américaine. Voici la traduction du message pontifical :

Avec une immense joie Nous Nous adressons à vous, très chers fils de la catholique Espagne, pour vous exprimer Nos paternelles félicitations pour le don de la paix et de la victoire par lesquelles Dieu a daigné couronner l'héroïsme chrétien de votre foi et de votre charité, éprouvé par tant et de si généreuses souffrances.

A la fois anxieux et plein d'espoir, Notre prédécesseur de sainte mémoire attendait cette paix providentielle, fruit sans doute de cette bénédiction féconde que, dès les premiers jours du conflit, il envoyait « à tous ceux qui s'étaient proposé la difficile et dangereuse tâche de défendre et de restaurer les droits et l'honneur de Dieu et de la religion » 2 ; et Nous ne doutons pas que cette paix sera celle souhaitée par lui, « c'est-à-dire annonciatrice d'un avenir de tranquillité dans l'ordre et d'honneur dans la prospérité » 3.

1 D'après le texte espagnol des A. A. S., XXXI, 1939, p. 151 ; cf. la traduction française de 'documentation Catholique, t. XL, col. 613.

2 Allocution aux réfugiés d'Espagne, 14. 9. 1936 ; A. A. S., 28, 1936, p. 380.

3 Ibid., p. 381.



Le sens de la lutte.

Les desseins de la Providence, très chers fils, se sont manifestés une fois encore sur l'héroïque Espagne. La nation choisie par Dieu comme principal instrument d'évangélisation du Nouveau Monde et comme rempart inexpugnable de la foi catholique vient de donner aux prosélytes de l'athéisme matérialiste de notre siècle la preuve la plus élevée qu'au-dessus de tout se placent les valeurs éternelles de la religion et de l'esprit.

La propagande tenace et les efforts incessants des ennemis de Jésus-Christ donnent à penser que ceux-ci ont voulu faire en Espagne un essai suprême des forces dissolvantes à leur disposition, répandues dans le monde entier ; et bien que le Tout-Puissant n'ait pas permis qu'ils atteignent aujourd'hui leur but, il a cependant toléré la réalisation de quelques-uns de leurs terribles effets, afin que le monde voie comment la persécution religieuse, en sapant les bases mêmes de la justice et de la charité qui sont l'amour de Dieu et le respect de sa sainte loi, peut entraîner la société moderne dans des abîmes insoupçonnés de destruction inique et de discorde passionnée.

Persuadé de cette vérité, le peuple espagnol sain, avec cette générosité et cette franchise qui constituent les deux traits caractéristiques de son très noble esprit, s'est dressé, résolu de défendre les idéals de la foi et de la civilisation chrétiennes, profondément enracinés dans le sol fécond de l'Espagne et aidé de Dieu « qui n'abandonne pas ceux qui espèrent en lui » (Jdt 13,17), il sut résister à l'attaque de ceux qui, trompés par ce qu'ils croyaient être un idéal humanitaire d'élévation des humbles, combattaient en réalité en faveur de l'athéisme.

Ce sens primordial de votre victoire Nous fait concevoir les plus belles espérances ; il Nous fait espérer que Dieu, dans sa miséricorde, daignera conduire l'Espagne dans le chemin sûr de sa traditionnelle et catholique grandeur qui, pour tous les Espagnols attachés à leur religion et à leur patrie, doit servir d'orientation dans le vigoureux effort tenté en vue d'organiser la vie de la nation en parfaite harmonie avec sa très noble histoire toute de foi, de piété et de civilisation catholique.

Exhortations pour les lendemains.

Nous exhortons donc les gouvernants et les pasteurs de la catholique Espagne à éclairer les esprits de tous ceux qui ont été trompés, en leur montrant avec amour les racines du matérialisme et du laïcisme d'où proviennent leurs erreurs et leurs malheurs et d'où elles pourraient germer à nouveau. Exposez-leur, en outre, les principes de justice individuelle et sociale, contenus dans le saint Evangile et dans la doctrine de l'Eglise, sans lesquels la paix et la prospérité des nations, si bien établies qu'elles soient, ne peuvent subsister.

Nous ne doutons pas qu'il en sera ainsi, et comme garants de Notre ferme espoir Nous avons les très nobles sentiments chrétiens dont le chef d'Etat et tant de ses fidèles collaborateurs ont donné des preuves non équivoques par la protection léeale au'ils ont accordée aux suprêmes intérêts religieux et sociaux, en conformité des enseignements du Siège apostolique. La même espérance est fondée, en outre, sur le zèle éclairé et sur l'abnégation de vos évêques et de vos prêtres, éprouvés par la souffrance, et aussi sur la foi, la piété et l'esprit de sacrifice dont, en des heures terribles, toutes les classes de la société espagnole ont donné un héroïque témoignage.



Hommage aux victimes.

Et maintenant, au souvenir des ruines accumulées par la plus sanglante des guerres civiles enregistrées dans l'histoire des temps modernes, Nous inclinons, avant tout, le front devant la sainte mémoire des évêques, prêtres et religieux des deux sexes et fidèles de tout âge et de toute condition qui, en si grand nombre, ont scellé de leur sang leur foi en Jésus-Christ et leur amour pour la religion catholique : Maiorem hac dilectionem nemo habet, « il n'y a pas de plus grande preuve d'amour» (Jn 15,13).

Nous reconnaissons aussi Notre devoir de gratitude envers tous ceux qui ont su se sacrifier jusqu'à l'héroïsme pour la défense des droits inaliénables de Dieu et de la religion, soit sur les champs de bataille, soit encore, tout dévoués aux sublimes oeuvres de charité, dans les prisons et dans les hôpitaux.

Nous ne pouvons cacher la peine amère que Nous cause le souvenir de tant d'innocents enfants qui, loin de leurs foyers, ont été transportés en des terres étrangères, avec risque parfois d'apostasie et de perversion, et Nous ne désirons rien si ardemment que de les voir rendus à leurs propres familles pour y jouir à nouveau de la chaude et chrétienne affection des leurs.

Quant aux autres qui, tels des fils prodigues, s'apprêtent à revenir à la maison du Père, Nous ne doutons pas qu'ils y seront accueillis avec bienveillance et amour.



Conseils aux évêques.

Il vous incombe particulièrement à vous, Vénérables Frères dans l'épiscopat, de conseiller les uns et les autres, afin que dans leur politique de pacification tous suivent les principes inculqués par l'Eglise et proclamés avec tant de noblesse par le généralissime, principes de justice concernant le crime et de bienveillante générosité envers ceux qui se sont trompés. Notre paternelle sollicitude ne peut non plus oublier tant d'égarés qu'au moyen d'illusions et de promesses une propagande mensongère et perverse est parvenue à séduire. A eux particulièrement doit aller avec patience et mansuétude votre sollicitude pastorale : priez pour eux, recherchez-les, ramenez-les dans le sein régénérateur de l'Eglise et dans le tendre giron de la patrie, ramenez-les enfin au Père miséricordieux qui les attend les bras ouverts.

Et maintenant, très chers fils, maintenant que l'arc-en-ciel de la paix resplendit à nouveau dans le ciel d'Espagne, unissons-nous tous de coeur en un fervent hymne d'action de grâces au Dieu de la paix et en une prière de pardon et de miséricorde pour ceux qui sont morts, et afin que cette paix soit féconde et durable, de toute la ferveur de Notre coeur Nous vous exhortons à « maintenir l'union de l'esprit dans le lien de la paix » (Ep 4,2-3). Ainsi unis et obéissants à votre vénérable épiscopat, consacrez-vous avec joie et sans délai à l'oeuvre urgente de reconstitution que Dieu et la patrie espèrent de vous.

Comme gage des grâces abondantes que vous obtiendront la Vierge immaculée et l'apôtre Jacques, patrons de l'Espagne, et de celles que méritèrent les grands saints espagnols, Nous faisons descendre sur vous, Nos chers fils de la catholique Espagne, sur le chef de l'Etat et sur son illustre gouvernement, sur le zélé épiscopat et sur son clergé si plein d'abnégation, sur tous les héroïques combattants et sur tous les fidèles, Notre Bénédiction apostolique 4.



4 Le général Franco a envoyé à S. S. Pie XII le télégramme suivant pour le remercier de ce radiomessage :

« C'est avec un respect filial et avec émotion que j'ai écouté le message de Votre Sainteté, qui réconforte le peuple espagnol et son gouvernement dans la grande oeuvre d'ordre spirituel et social qu'il réalise, afin que cette Espagne, qui fut toujours au premier rang pour la défense de la foi catholique, soit supérieure encore dans l'avenir à sa propre tradition. Au nom du peuple espagnol et au mien, j'adresse à Votre Sainteté un témoignage de dévotion et de gratitude pour la distinction spéciale que vous nous avez faite dans ce jour mémorable. »




Pie XII 1939 - LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT A S. EM. LE CARDINAL VERDIER, A L'OCCASION DU PREMIER CONGRÈS NATIONAL DE LA J.A.C.