Pie XII 1939 - BASILIQUE SAINTE-MARIE-MAJEURE


ALLOCUTION A S. M. LE ROI-EMPEREUR

VICTOR-EMMANUEL III ET A S. M. LA REINE HÉLÈNE D'ITALIE

(21 décembre 1939) 1

Le 21 décembre, le Saint-Père reçut en audience solennelle, dans la salle du Tronetto, le roi-empereur Victor-Emmanuel III et la reine Hélène d'Italie. La première visite des souverains d'Italie au pape Pie XI datait du 5 décembre 1929. Voici la traduction du discours que Pie XII prononça à cette occasion :

La visite solennelle que le roi-empereur et son auguste épouse, la reine-impératrice — éclatant exemple de bonté pour les femmes italiennes — accompagnés d'une si brillante et si noble suite, ont voulu Nous faire, comme ils le firent déjà il y a dix ans à Notre prédécesseur — lequel sut sagement avec Votre Majesté réconcilier l'Eglise et l'Etat en Italie — Nous est d'autant plus agréable qu'elle est toute rayonnante de la splendeur de la très prochaine fête de Noël, fête de la paix, de la charité qui a racheté et transformé le monde.

Cette visite a lieu au moment où, tandis que d'autres peuples sont entraînés dans la guerre ou menacés par elle, et qu'un grand nombre de coeurs ont perdu la tranquillité et la paix, l'Italie, au contraire, néanmoins toujours vigilante et forte, sous la main auguste et sage de son roi-empereur et la clairvoyante direction de ses gouvernants, garde une attitude calme dans la vie nationale, dans la concorde des esprits, le culte des lettres, des sciences et des arts, dans les travaux des champs et des usines, sur les routes du ciel et des mers, dans les rites solennels de l'Eglise catholique.

La foi, qui anima au cours des siècles l'illustre maison de Savoie et l'a placée aussi sur les autels, a prouvé aujourd'hui devant Nous avec quelle intensité elle vit dans la royale et impériale dynastie dont la gloire s'élève dans l'emblème de la croix blanche. Sur vos Majestés, sur toute la famille royale, sur le chef et les membres du gouvernement, sur les personnes ici présentes, Nous invoquons, à l'approche des fêtes de Noël, les plus abondantes bénédictions célestes.

Puisse la main toute-puissante de Dieu guider les destinées du peuple italien, qui Nous est si proche et si cher, et inspirer les décisions de ses gouvernants, de façon qu'il lui soit donné la possibilité d'assurer dans une vigilance prévoyante et une sagesse conciliante, non seulement sa paix intérieure et extérieure, mais aussi le rétablissement d'une paix honorable et durable entre les peuples.


MESSAGE DE NOËL

(24 décembre 1939) 1

Le Saint-Père reçut en audience, dans la matinée du dimanche 24 décembre, les membres du Sacré Collège présents à Rome et les hautes personnalités de la Prélature romaine, venus lui offrir leurs voeux à l'occasion de Noël et du Nouvel-An qu'exprima en leur nom S. Em. le cardinal Granito Pignatelli di Belmonte, doyen du Sacré Collège. Le Souverain Pontife répondit par ce long message dans lequel il évoque les malheurs de la guerre et définit les principes fondamentaux d'une paix vraie et juste entre les peuples.

En ce jour d'un saint et suave bonheur, Vénérables Frères et chers Fils, où le désir ardent de Notre esprit, tendu par l'attente de l'avènement divin, va s'apaiser dans la très douce contemplation du mystère de la naissance du Rédempteur, Nous discernons comme un prélude de cette allégresse dans la joie intime de voir réunis autour de Nous les membres du Sacré Collège et de la Prélature romaine, et de recevoir des lèvres éloquentes de l'éminent cardinal doyen, aimé et vénéré de tous, les sentiments si délicatement affectueux et les souhaits qui — accompagnés et rendus sublimes par l'élan des prières ferventes adressées au divin Enfant — Nous sont offerts par tant de coeurs fidèles et dévoués, en cette heureuse solennité de la Nativité, première du cycle de l'année liturgique, et premier Noël de Notre pontificat.

La joie de Noël.

Notre esprit s'élève avec vous de ce monde vers les sphères spirituelles vivifiées par la grande lumière de la foi ; avec vous il s'exalte ; avec vous il se réjouit ; avec vous il s'absorbe dans le souvenir sacré du mystère et du sacrement des siècles, caché et manifesté dans la grotte de Bethléem, berceau de la Rédemption de tous les peuples, révélation de la paix entre le ciel et la terre, de la gloire de Dieu au plus haut des cieux et de la paix sur terre aux hommes de bonne volonté, début d'un cours nouveau des siècles, qui adoreront ce divin mystère, grand don de Dieu et félicité de la terre tout entière. Nous exultons, vous dirons-Nous en empruntant les paroles de Notre grand prédécesseur, le saint pontife Léon le Grand : « Nous exultons dans le Seigneur, très chers fils, et Nous sommes heureux d'une joie toute spirituelle, parce que brille sur nous le jour de notre rédemption nouvelle, de l'antique réparation, de la félicité éternelle. Voici, en effet, que revient pour nous par le retour de l'année le sacrement de notre salut, promis dès l'origine, accompli à la fin, perdurable sans fin, dans lequel il est digne que nous adorions ce divin mystère d'un coeur appliqué aux choses célestes, pour que l'Eglise célèbre dans une grande joie ce qui fut produit par un don magnanime de Dieu » 2.

Dans la célébration de ce divin mystère, la joie de nos coeurs s'élève, se fait spirituelle, s'enracine dans le surnaturel et tend vers lui, volant vers Dieu avec la magnifique expression de la prière de l'Eglise : ut inter mundanas varietates ibi nostra fixa sint corda, ubi vera sunt gaudia 3. Au milieu des heurts et du tumulte des divers événements de ce monde, la vraie joie se réfugie dans le domaine imperturbable de l'esprit, dans lequel, comme d'une tour que les bourrasques ne peuvent ébranler, on regarde avec confiance vers Dieu, on s'unit au Christ, principe et cause de toute joie et de toute grâce. N'est-ce pas là le sacrement du Roi de nos âmes, du Dieu Enfant de la crèche de Bethléem ? Quand ce secret royal passe et se fixe dans les âmes, alors la foi, l'espérance et l'amour se subli-misent dans l'extase de l'Apôtre des gentils, qui crie au monde : « Je vis, mais ce n'est pas moi ; c'est le Christ qui vit en moi » (Ga 2,20).

Dans la transformation de l'homme dans le Christ, le Christ en personne revêt l'homme de lui-même, s'humiliant jusqu'à l'homme pour l'élever jusqu'à soi, dans cette joie de sa propre naissance qui forme un Noël continu, auquel la liturgie de l'Eglise ne cesse de nous

appeler en toute saison, nous invitant et nous exhortant à ce que se vérifie en nous la promesse qu'il nous fit, que notre coeur serait dans la joie, et que personne ne nous enlèverait notre allégresse (Jn 16,22).

Source de réconfort et de confiance.

La lumière céleste de cette joie et de ce réconfort soutient la confiance de ceux qui l'ont au coeur, vivante et resplendissante, et elle ne peut être assombrie ni troublée, quel que soit l'ennui ou la fatigue, l'inquiétude ou la souffrance qui monte ou murmure d'en bas, semblable à « l'alouette qui dans l'air s'élance d'abord en chantant, et puis se tait contente de sa dernière mélodie, qui la satisfait »4.

Là où d'autres s'effrayent, là où les eaux amères de l'affliction et du désespoir submergent les pusillanimes, les âmes dans lesquelles vit le Christ peuvent tout, et s'élèvent au-dessus des désordres et des bourrasques du monde, avec un courage et une ardeur toujours égaux, jusqu'à chanter l'ordre, la justice et les magnificences de Dieu. Sous les tempêtes, ils se sentent plus grands que les tourbillons, que la terre qu'ils foulent et que la mer qu'ils sillonnent — plus encore que par leur âme immortelle — par l'élévation de leurs coeurs vers Dieu, Sursum corda, par leurs prières et leur union à Dieu, Habemus ad Dominum.

Vers Dieu, miséricordieux et tout-puissant, Vénérables Frères et chers Fils, Nous élevons Notre regard et Notre supplication, comme la meilleure expression, et la plus efficace, de Notre gratitude pour vos voeux fervents de Noël, qui sont aussi une prière adressée au Père qui est dans les cieux et « de qui viennent toute grâce parfaite et tout don excellent » (Jc 1,17). Qu'il fasse que, dans cette union de prières, chacun de vous obtienne près de la crèche de son Fils unique fait homme au milieu de nous cette « mesure pleine, tassée, abondante et débordante » de joie de Noël que lui seul peut donner ; de telle sorte que, encouragés et soutenus par une si grande joie, vous puissiez poursuivre courageusement et virilement, comme des soldats du Christ, votre chemin à travers le désert de la vie sur terre jusqu'à ce couchant, où dans l'aurore de l'éternité resplendira à votre regard haletant la montagne du Seigneur ; et en chacun de vous, ressuscité à une nouvelle vie de bonheur indéfectible, s'accomplira la prière de l'Eglise pour Noël : « Contempler avec

* Dante, Paradis, 20, 73.

confiance, comme juge, ce Fils unique que nous accueillons maintenant avec joie comme Rédempteur » 5.

Evocation de Pie XI.

Mais en cette heure où la vigile de la sainte fête de Noël Nous procure la douce joie de votre présence, à l'allégresse vient se mêler bien vivant en Nous — et sans doute non moins en vous — le souvenir mélancolique de Notre glorieux prédécesseur de sainte mémoire (si pieusement évoqué par Notre Vénérable Frère le cardinal doyen) et des paroles — il y a seulement une année — paroles inoubliables, solennelles et graves, jaillies des profondeurs de son coeur paternel que vous écoutiez, avec Nous, remplis d'une vive douleur, comme le Nunc dimittis du vieillard Simeon ; paroles proférées dans cette salle, en cette même vigile, comme remplies du poids du pressentiment, pour ne pas dire de la vision prophétique, des malheurs prochains ; paroles d'avertissement suppliant, de sacrifice héroïque de sa personne, dont les accents enflammés émeuvent nos âmes aujourd'hui encore.

Le pape et la guerre.

L'indicible malheur de la guerre que Pie XI prévoyait avec une douleur profonde et extrême et qu'il voulait, de toute l'indomptable énergie de sa grande âme, éloigner des différends entre les nations, est maintenant déchaîné, et se présente comme une réalité tragique. Son fracas remplit d'une immense amertume Notre âme attristée par la pensée que la sainte naissance du Seigneur, du Prince de la paix, doive se célébrer aujourd'hui au milieu des grondements funestes et funèbres des canons, sous la terreur des armes aériennes, parmi les menaces et les pièges des navires de guerre. Et parce que le monde paraît avoir oublié le message pacifique du Christ, la voix de la raison, la fraternité chrétienne, Nous avons dû malheureusement assister à une série d'actes aussi inconciliables avec les prescriptions du droit international positif, qu'avec les prescriptions du droit naturel et même avec les sentiments d'humanité les plus élémentaires ; actes qui Nous montrent en quel cercle vicieux chaotique s'enlise le sens juridique dévoyé par des considérations purement utilitaires. C'est dans cette catégorie qu'entrent l'agression préméditée contre un petit peuple laborieux et pacifique sous le prétexte d'une menace inexistante, ni voulue ni même possible ; les atrocités (de quelque côté qu'elles aient été commises) et l'usage illicite de moyens de destruction, même contre des non-combattants et des fugitifs, contre des vieillards, des femmes, des enfants ; le mépris de la dignité, de la liberté et de la vie humaine, d'où découlent des actes qui crient vengeance devant Dieu : « La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu'à moi » (Gn 4,10) ; la propagande antichrétienne et même athée, toujours plus étendue et méthodique, surtout parmi la jeunesse.

Notre devoir, qui est aussi Notre volonté intime et sacrée de Père et de Maître de la vérité, Nous pousse à préserver l'Eglise et sa mission parmi les hommes de tout contact avec un tel esprit antichrétien ; c'est pourquoi Nous adressons une chaleureuse et instante exhortation surtout aux ministres du sanctuaire et aux « dispensateurs des mystères de Dieu » pour qu'ils soient toujours attentifs et exemplaires dans l'enseignement et dans la pratique de l'amour et pour qu'ils n'oublient jamais que dans le royaume du Christ il n'y a pas de précepte plus inviolable et plus fondamental et sacré que le service de la vérité et le lien de l'amour.

Les causes qui l'ont provoquée.

C'est avec une vive, une angoissante anxiété, qu'il Nous faut contempler de force, sous Nos yeux, les ruines spirituelles qui vont s'accumulant à cause d'une foule d'idées qui, d'une façon plus ou moins voulue ou voilée, obscurcissent et déforment la vérité dans les âmes de tant d'individus, de tant de peuples, entraînés ou non dans la guerre ; aussi Nous pensons au travail immense qui sera nécessaire — quand le monde fatigué de guerroyer voudra rétablir la paix — pour abattre les murs cyclopéens de l'aversion et de la haine qui ont été élevés dans la chaleur de la lutte.

Conscient des excès auxquels ouvrent la voie et poussent inéluctablement les doctrines et les oeuvres d'une politique qui ne tient pas compte de la loi de Dieu, Nous Nous sommes efforcé, comme vous le savez, lorsqu'éclatèrent les menaces de conflits, avec toute l'ardeur de Notre âme et jusqu'à l'extrême, d'éviter le pire et de persuader aux hommes qui avaient la force entre le mains et, sur les épaules, une lourde responsabilité, de reculer devant un conflit armé et d'épargner au monde des malheurs imprévisibles.

Nos efforts et ceux qui étaient venus, d'ailleurs, de personnalités influentes et respectées ne purent obtenir l'effet attendu, surtout à cause de l'inébranlable et profonde défiance, démesurément accrue dans les âmes au cours des dernières années, laquelle avait élevé des barrières insurmontables entre les peuples.

Ils n'étaient pas insolubles les problèmes qu'on agitait entre les nations, mais cette défiance, produite par une série de circonstances particulières, empêchait avec une force presque irrésistible d'ajouter foi encore à l'efficacité des promesses éventuelles, à la durée et à la vitalité des conventions possibles. Le souvenir de la durée éphémère et contestée de pareilles négociations ou accords finit par paralyser tous les efforts capables d'amener une solution pacifique.

Le pape songe à alléger les malheurs découlant de la guerre.

Il ne Nous resta plus, Vénérables Frères et Fils bien-aimés, qu'à répéter avec le prophète : « Nous attendions la paix, et il ne vient rien de bon ; le temps de la guérison, et voici l'épouvante » (Jr 14,19) et à Nous employer en attendant, autant que Nous le pouvions, à alléger les malheurs découlant de la guerre, bien que cela fût très difficile à cause de l'impossibilité, non surmontée encore, de porter le secours de la charité chrétienne dans les régions où le besoin en est plus urgent et plus grand. Depuis quatre mois, Nous voyons avec une angoisse indicible cette guerre, qui commença et se poursuit dans des conditions si insolites, accumuler des ruines tragiques. Et si jusqu'ici — excepté sur le sol ensanglanté de la Pologne et de la Finlande — le nombre des victimes peut paraître inférieur à celui qu'on craignait, la somme de douleurs et de sacrifices est arrivée au point d'inspirer une vive anxiété à ceux qui se préoccupent du futur état économique, social et spirituel de l'Europe, et non de l'Europe seulement. Plus le monstre de la guerre se procure, engloutit et s'adjuge les ressources matérielles qui sont toutes mises inexorablement au service des besoins de la guerre, sans cesse croissants, et plus aussi les nations, directement ou indirectement frappées par le conflit, sont en danger de tomber, dirions-Nous, dans une anémie pernicieuse ; une question se pose alors, pressante : comment une économie épuisée ou exténuée pourra-t-elle trouver, après la guerre, les moyens nécessaires à la reconstruction économique et sociale, au milieu de difficultés qui seront énormément accrues de toutes parts et dont les forces et les artifices des ennemis de l'ordre, toujours aux aguets, essayeront de profiter dans l'espoir d'asséner à l'Europe chrétienne le coup décisif ?

Même dans la fièvre du combat, de pareilles considérations du présent et de l'avenir doivent retenir l'attention des gouvernants et de la partie saine de chaque peuple, et les presser d'examiner les effets et de réfléchir sur les buts et finalités qui justifierait la guerre. Et Nous pensons que ceux qui, d'un oeil vigilant, regardent ces graves perspectives et considèrent d'un esprit apaisé les symptômes qui dans de nombreuses parties du monde indiquent cette évolution des événements, se trouveront, nonobstant la guerre et ses dures nécessités, intérieurement disposés à définir, au moment opportun et propice, clairement, en ce qui les regarde, les points fondamentaux d'une paix juste et honorable, et très simplement ne refuseront pas les négociations, si l'occasion s'en présente, avec les précautions et garanties nécessaires.

Points fondamentaux d'une paix juste et honorable :

1° Un postulat fondamental d'une paix juste et honorable est d'assurer le droit à la vie et à l'indépendance de toutes les nations, grandes et petites, puissantes et faibles. La volonté de vivre d'une nation ne doit jamais équivaloir à la sentence de mort pour une autre. Quand cette égalité de droits a été lésée ou détruite ou mise en danger, l'ordre juridique exige une réparation, dont la mesure et l'extension ne sont pas déterminés par l'épée, ni par un égoïsme arbitraire, mais par des normes de justice et d'équité réciproques.

2° Afin que l'ordre, ainsi établi, puisse avoir une tranquillité et une durée, qui sont les pivots d'une vraie paix, les nations doivent être libérées du pesant esclavage de la course aux armements et du danger que la force matérielle, au lieu de servir à garantir le droit, n'en soit au contraire un tyrannique instrument de violence. Des conclusions de paix qui n'attribueraient pas une fondamentale importance à un désarmement mutuellement consenti, organisé, progressif, dans l'ordre pratique comme dans l'ordre spirituel et qui ne s'emploieraient pas à le réaliser loyalement, révéleraient tôt ou tard leur inconsistance et leur précarité.

3° En toute réorganisation de communauté internationale, il serait conforme aux maximes de l'humaine sagesse que toutes les parties en cause déduisissent les conséquences provenant des déficiences et des lacunes du passé. Et dans la création ou la reconstruction des institutions internationales (lesquelles ont une mission si haute, mais en même temps si difficile et si pleine de très graves responsabilités), on devrait faire état des expériences qui découlèrent de l'inefficacité ou du défectueux fonctionnement de semblables initiatives antérieures. Et comme il est si difficile à la nature humaine, on serait tenté de dire presque impossible, de tout prévoir et de tout assurer au moment des négociations de paix, alors qu'il est fort malaisé de se dépouiller de toute passion et de toute amertume, l'établissement d'institutions juridiques, qui servent à garantir la loyale et fidèle application des conventions et, en cas de besoin reconnu, à les revoir et corriger, est d'une importance décisive pour une honorable acceptation d'un traité de paix et pour éviter d'arbitraires et unilatérales atteintes et interprétations en ce qui regarde les conditions des traités eux-mêmes.

4° Il est un point, en particulier, auquel il faudrait être spécialement attentif, si l'on veut une meilleure organisation de l'Europe : c'est celui qui concerne les vrais besoins et les justes requêtes des nations et des peuples, comme aussi des minorités ethniques. Si elles ne suffisent pas toujours à fonder un droit strict, quand se trouvent en vigueur des traités reconnus ou sanctionnés ou d'autres titres juridiques qui s'y opposent, ces requêtes méritent toutefois un bienveillant examen, pour aller au-devant d'elles par des voies pacifiques et même, là où cela apparaît nécessaire, par le moyen d'une équitable, sage et concordante révision des traités. En reconstituant les bases d'une mutuelle confiance, on éloignerait ainsi beaucoup d'incitations à recourir à la violence.

5° En outre, ces règlements meilleurs et plus complets seraient pourtant imparfaits et condamnés en définitive à l'insuccès, si ceux qui dirigent les destinées des peuples et les peuples eux-mêmes ne se laissaient pas toujours pénétrer davantage de cet esprit, qui seul peut donner vie, autorité et force d'obligation à la lettre morte des paragraphes dans les règlements internationaux ; de ce sentiment d'intime et vive responsabilité, qui pèse et mesure les constitutions humaines selon les saintes et inébranlables normes du droit divin ; de cette faim et soif de justice, proclamée béatitude dans le Sermon sur la montagne, et qui a comme présupposé naturel la justice morale ; de cet amour universel, qui est le résumé et le terme le plus élevé de l'idéal chrétien, et qui par là jette un pont même vers ceux qui n'ont pas le bonheur de participer à notre foi.

La paix est une cause qui doit réunir les efforts de toutes les âmes nobles et généreuses.

Nous ne méconnaissons pas les graves difficultés, qui s'opposent à la réalisation des buts, dont Nous venons de tracer les grandes lignes, pour fonder, mettre en acte et conserver une juste paix internationale. Mais s'il fût jamais un objet digne du concours de toutes les âmes nobles et généreuses, et qui pût susciter un élan de croisade spirituelle, où résonnât réellement de nouveau le cri de « Dieu le veut », c'est en vérité ce très noble objet, cette croisade, cette lutte des coeurs purs et magnanimes, pour tirer les peuples des eaux troubles des intérêts matériels et égoïstes et les reconduire aux sources vives du droit divin, lequel seul peut conférer cette moralité, cette grandeur, cette stabilité dont trop et trop longtemps on a senti la carence et le besoin pour le plus grand dommage des nations et de l'humanité.

Vers cet idéal, où gisent en même temps les fins réelles d'une vraie paix dans la justice et dans l'amour, Nous attendons et espérons que tous ceux qui Nous sont unis par les liens de la foi tendent leur esprit et leur coeur, grands ouverts, chacun à sa place et dans les limites de sa mission, afin que, quand l'ouragan de la guerre sera sur le point de cesser et de se dissiper, surgissent, au sein de tous les peuples et de toutes les nations, des esprits prévoyants et purs, animés d'un courage qui sache et puisse opposer au ténébreux instinct de basse vengeance la sévère et noble majesté de la justice, soeur de l'amour et compagne de toute vraie sagesse.

Bethléem et son message de paix.

De cette justice, qui seule est capable de créer la paix et de l'assurer, Nous, et avec Nous tous ceux qui écoutent Notre voix, n'ignorons pas où il nous est donné de trouver le sublime exemplaire, l'impulsion intime et la promesse assurée. « Allons jusqu'à Bethléem, et voyons » (Lc 2,15). Allons à Bethléem où nous trouverons, étendu sur la crèche, le Nouveau-né, « Soleil de justice, le Christ notre Dieu », et auprès de lui la Vierge-Mère, « Miroir de justice » et « Reine de la paix », avec le saint gardien Joseph, « l'homme juste ». Jésus est le Désiré des nations. Les prophètes le désignèrent et chantèrent ses futurs triomphes : « Et il sera nommé Admirable, Conseiller, Dieu, Fort, Père du siècle à venir, Prince de la paix » (Is 9,6).

A la naissance de ce divin Enfant, un autre prince de la paix était assis sur les rives du Tibre et avait dédié avec solennité un Autel de la Paix d'Auguste, dont les merveilleux restes, encore que morcelés, ensevelis sous les ruines de Rome, ont été relevés de nos jours. Sur cet autel, Auguste sacrifiait à des dieux qui ne sauvent pas. Mais il est permis de penser que le vrai Dieu et l'éternel Prince de la paix, qui, quelques années après, descendait parmi les hommes, exauça les soupirs de cette époque pour la paix, et que la paix d'Auguste fut comme une figure de cette paix surnaturelle, que lui seul peut donner et où toute vraie paix terrestre se trouve nécessairement comprise ; de cette paix conquise non par le fer, mais par le bois de la crèche de cet Enfant Seigneur de la paix, et par le bois de sa future croix, où il mourait, en l'arrosant de son sang, sang non point de haine et de rancoeur, mais sang d'amour et de pardon.

Allons donc à Bethléem, à la grotte du Roi de la paix, qui vient de naître apportant une paix chantée par les légions d'anges au-dessus de sa crèche. Agenouillés devant lui, au nom de cette humanité inquiète et bouleversée, au nom des êtres innombrables, sans distinction de peuples et de nations, qui saignent et meurent, ou qui sont jetés dans la douleur et dans la misère, ou qui ont perdu leur patrie, Nous adressons à ce Roi notre prière de paix et de concorde, de secours et de salut, avec les paroles que l'Eglise met, ces jours-ci, sur les lèvres de ses enfants : « O Emmanuel, notre Roi et Législateur, attente des gentils et leur Sauveur, venez nous sauver, Seigneur notre Dieu » 6.

Appel au sacrifice et à la prière.

Tandis que dans cette prière Nous répandons Notre insatiable aspiration à une paix dans l'esprit du Christ, Médiateur de paix entre le ciel et la terre, avec sa bénignité et son humanité apparues parmi nous, et tandis que Nous exhortons tous les fidèles à offrir aussi à Nos intentions leurs sacrifices et leurs prières, Nous vous donnons, ainsi qu'à tous ceux que vous portez dans votre esprit, à tous les hommes de bonne volonté, qui se trouvent sur la face de la terre, spécialement à ceux qui souffrent, qui sont tourmentés, persécutés, incarcérés, terrorisés en tous lieux et en tous pays, la Bénédiction apostolique, avec une affection qui n'a pas changé, comme gage de grâces, de consolations et de réconforts célestes.

Le Saint-Père annonce la nomination d'un représentant des Etats-Unis auprès du Saint-Siège.

A la fin de ce discours, Nous ne voulons pas Nous priver de la joie de vous annoncer, Vénérables Frères et chers Fils, qu'il Nous est parvenu ce matin de la délégation apostolique de Washington un télégramme, dont Nous tenons à vous lire l'introduction et la partie essentielle.

« Monsieur le président a appelé ce matin Monseigneur Spellman, archevêque de New York ; après un entretien avec lui, il l'a envoyé chez moi en même temps que M. Berle, secrétaire adjoint, remettant une lettre pour Sa Sainteté, que je transcris ici littéralement, selon le désir de Monsieur le président lui-même. Par elle, Monsieur le président déclare nommer un représentant du président, avec rang d'ambassadeur extraordinaire, mais sans le titre formel, près le Saint-Siège. Ce représentant sera Son Excellence Monsieur Myron Taylor, qui partira pour Rome dans un mois environ. La nouvelle sera publiée officiellement demain. »

Suit le texte de la lettre, en langue anglaise, qui sera publiée dans l'Osservatore Romano.

Aucune nouvelle ne pouvait Nous être plus agréable pour Noël étant donné qu'elle manifeste, de la part du chef eminent d'une nation aussi grande et puissante, une contribution importante et encourageante à Nos efforts pour l'établissement d'une paix juste et honorable, comme pour une action plus efficace et étendue, en vue de soulager les souffrances des victimes de la guerre. Aussi tenons-Nous à exprimer ici aussi, pour ce geste noble et généreux de M. le président Roosevelt, Nos félicitations et Notre reconnaissance.


ALLOCUTION A LA GARDE NOBLE PONTIFICALE

(26 décembre 1939) 1

Recevant ce jour dans la salle du Trône les membres de la Garde Noble, le Saint-Père a répondu par les paroles suivantes à l'adresse d'hommage que lui avait lue le prince Chigi délia Rovere, leur commandant :

Nous vous sommes vivement reconnaissant, chers fils, pour les souhaits dévoués de Noël que vous êtes venus Nous offrir et dont votre illustre commandant récemment nommé à ce haut grade a été l'éloquent interprète. L'absolu dévouement au pape, dont vous Nous donnez par votre présence une nouvelle et si noble preuve, est une tradition glorieuse de votre corps. Dans l'année qui va se clore et qui a été marquée par de grandes luttes de l'Eglise, il semble que votre regretté commandant ait voulu en donner un suprême témoignage quand, après une vie de fidélité à tous ses devoirs de chrétien et de gentilhomme, il quitta ce monde peu après Notre incomparable prédécesseur Pie XI de sainte mémoire, comme pour escorter, selon la sainte consigne, la personne sacrée du pape jusqu'à son dernier voyage — celui qui ne connaît pas de retour.

Au nouveau pontife que malgré son indignité l'Esprit-Saint dans ses conseils inscrutables a placé à la tête de l'Eglise, un nouveau commandant apporte aujourd'hui ses bons et loyaux services, un commandant qui unit à ses vertus personnelles l'hérédité des deux grandes familles patriciennes et papales, les Chigi et les délia Rovere. Votre garde a reçu de la même manière, comme un legs précieux, des mains de son fondateur Pie VII les fonctions et les mérites de deux grandes milices pontificales, les Cavalleggeri et les Lance Spezzate.

Comment ne pourrions-Nous pas attendre de vous que vous resterez toujours fidèles à de tels exemples du passé et aux consignes données à votre corps par Notre glorieux prédécesseur : la « garde immédiate de la personne du pontife », « l'honneur et l'ornement » du souverain ?

Ce vceu, du reste, Nous le considérons comme déjà accompli. L'histoire des milices pontificales, et la vôtre en particulier, montre avec quelle valeur vos ancêtres ont gardé et défendu la personne des papes ; et beaucoup d'entre vous pourraient en outre rappeler les prouesses de leurs aïeux sur plus d'un champ de bataille de l'histoire. Mais Nous avons confiance que vous n'aurez plus jamais à intervenir pour Nous défendre par la force et Nous aimons à penser, comme le saint archevêque de Cantorbéry, dont on célébrera prochainement la fête, que l'Eglise de Dieu n'a pas besoin d'être gardée comme un camp fortifié : Non est Dei Ecclesia custodienda more castrorum. Nous formons par conséquent le voeu que ces armes dont l'acier brille entre vos mains symbolisent plutôt par la splendeur de leurs lames l'ardeur et la fermeté de votre foi.

Votre autre devoir que rappelle le nom même de votre garde, Notre prédécesseur d'heureuse mémoire, Grégoire XVI, le définissait en disant, comme Nous l'avons déjà rappelé, que vous avez à l'égard du pape une charge « non seulement de garde fidèle mais encore de decorum et d'ornement ». Vous êtes non seulement des gardes, mais des gardes nobles.

Nobles vous l'étiez déjà même avant d'entrer au service de Dieu et de son Vicaire sous le drapeau blanc et or. L'Eglise aux yeux de qui l'ordre de la société humaine repose fondamentalement sur la famille, pour humble qu'elle soit, ne mésestime pas ce trésor familial qu'est la noblesse héréditaire. On peut dire aussi que Jésus-Christ lui-même ne l'a pas dédaignée : l'homme à qui il a confié la charge de protéger son adorable humanité et sa Vierge Mère était de souche royale : Joseph, de domo David (Lc 1,27).

C'est pourquoi Notre prédécesseur Léon 12, dans l'acte du 17 février 1824 qui réformait votre corps, attestait que la garde noble est « destinée à fournir le service le plus proche et immédiat de Notre personne même et constitue, tant par le but de son institution que par la qualité des hommes qui la composent, le premier et le plus respectable de tous les corps de Notre pontificat ».

Mais vous avez bien compris que cette hérédité ancestrale, si elle confère des honneurs, apporte aussi des devoirs. C'est à ce propos qu'il Nous plaît de vous proposer pour modèle l'aimable sainte

Thérèse de Lisieux qui, dans la petite sacristie du Carmel, apportait un soin plein d'amour pour conserver sans tache, pour rendre tou-jour plus resplendissants les vases sacrés qui devaient garder le corps très saint de Jésus. De la même manière, vous aussi, gardes du corps et gardes d'honneur du Vicaire du Christ, vous conserverez, vous accroîtrez toujours en vous cette pureté de coeur et cette élévation d'âme qui sont le plus beau de vos titres, afin de transmettre à vos descendants ce glorieux patrimoine encore enrichi.

C'est avec ce souhait et en témoignage de la particulière bienveillance que Nous nourrissons pour votre corps et pour chacun de ses membres, que Nous vous accordons à vous, à vos chères familles, comme aussi à toutes les personnes que vous portez dans votre esprit et dans votre coeur, en gage des faveurs célestes, la Bénédiction apostolique.


Pie XII 1939 - BASILIQUE SAINTE-MARIE-MAJEURE