Pie XII 1940 - DISCOURS AUX CURÉS ET AUX PRÉDICATEURS DE CARÊME DE ROME


TÉLÉGRAMME A L'EMPEREUR DU JAPON

(9 février 1940) 1

Voici le télégramme que Pie XII adressa à S. A. Sérénissime le prince HiroHito, empereur du Japon, pour le XXVI' centenaire de la fondation de l'Empire du Japon 2 .-

A l'occasion de la célébration du XXVI" centenaire de la fondation de votre puissant empire, désireux de participer à votre si grande allégresse, Nous félicitons Votre Majesté impériale et votre auguste Maison et, Nous souvenant que vous êtes le bienveillant empereur de Nos fils qui sont les fidèles de la religion catholique, Nous adressons Nos prières et Nos voeux à Dieu pour que la paix revenue l'illustre nation japonaise fleurisse de toutes les fleurs de la civilisation et qu'avec l'aide de Dieu ses princes vivent longtemps d'heureuses années.

1 D'après le texte latin de VOsservaiore Romano, du 14 février 1940.

2 Voici la réponse de S. A. le Prince HiroHito :

« Très touché de l'aimable télégramme que Votre Sainteté a bien voulu m'adresser à l'occasion de ce mémorable anniversaire, je tiens à la remercier de tout coeur et à former en même temps des voeux bien sincères pour son bonheur personnel et pour la grandeur et la prospérité de son pontificat ».


DISCOURS AUX PÈLERINS MILANAIS POUR LE PREMIER ANNIVERSAIRE DE LA MORT DE PIE XI

(11 février 1940) 1

Recevant en audience l'important pèlerinage de l'archidiocèse de Milan venu à Rome, sous la conduite de S. Em. le cardinal Schuster, à l'occasion du premier anniversaire de la mort de Pie XI, le Souverain Pontife retraça en d'émouvantes paroles la vénérable figure de son prédécesseur.

Le souvenir de Pie XI.

Si le commencement du saint temps de carême rappelle à Notre esprit et à Notre coeur les plus grands mystères des souffrances et de la Passion du Rédempteur, suivis bientôt des joies de son triomphe sur la mort, il s'accorde également avec la pensée et les sentiments qui ont déterminé le très digne et infatigable pasteur du grand diocèse de Milan (et c'est avec joie que Nous le voyons accompagné ici par l'éminentissime cardinal Caccia Dominioni, lui aussi gloire de la métropole lombarde) à guider vers Nous ce groupe nombreux et choisi de ses chers fils qui sont aussi les Nôtres, célébrant ainsi en même temps le souvenir de Notre regretté et vénéré prédécesseur, rappelé à Dieu depuis un an, qui fut autrefois fils et pasteur de l'Eglise d'Ambroise et celui d'Ambroise lui-même, dont Milan vient d'inaugurer au son joyeux des cloches le XVIe centenaire de la naissance -. Joie et douleur ont déterminé votre voyage et

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. I, p. 529 ; cf. la traduction française de la Documentation Catholique, t. XLI, col. 387.

2 Le samedi 10 février, S. S. Pie XII a présidé, dans la basilique de Saint-Pierre, en présence de plus de vingt cardinaux, des dignitaires de la Cour pontificale, du clergé de Rome, des membres du corps diplomatique, des membres de la famille de Pie XI, une solennelle chapelle papale funèbre

fiour le repos de l'âme de son prédécesseur. Près du tombeau de Pie XI, dans la crypte de la basi-ique, de nombreuses messes furent célébrées par le cardinal Schuster et des prêtres milanais.

conduit vos pas vers Nous, comme pour démontrer une fois de plus que dans cette vie d'ici-bas se suivent et se mêlent la lumière et l'ombre, la tristesse et la joie, la peine et la consolation. Et c'est un réconfort même pour Nous que votre présence, qui vous associe à Notre très vif regret du pontife d'inoubliable mémoire que fut pour Nous Pie XI. Il a, en effet, été pour Nous un Père très aimé, « le guide, le seigneur et le maître » dans la haute charge qu'il Nous avait confiée et parmi les vicissitudes heureuses et imprévues dans lesquelles, pendant une bonne partie de son glorieux pontificat, il a daigné Nous prendre et Nous garder comme son humble et dévoué serviteur.

Son oeuvre novatrice

Dans les fastes de l'histoire de l'Eglise, le nom de Pie XI est comme un signe marquant le centre de temps nouveaux, fin et sceau d'un passé aussi glorieux qu'orageux, principe et présage d'un avenir qui du passé tire sa force et son élan vers de plus vastes et plus profondes victoires de la foi. Pax Christi in regno Christi ; ce fut la devise de sa pensée, de sa volonté, de son oeuvre.

Né avec un coeur hardi, un esprit ouvert aux plus larges horizons, avec une sagacité pénétrante des détours des causes et des événements humains, avec une vigilance imperturbable soutenue par un regard fixé au ciel, Pie XI, assis sur la chaire de Pierre comme sur la plus haute cime des Alpes qu'il avait escaladée, tournait son regard vers la foule agitée des peuples en lutte, oublieux de Dieu et de son Christ pacificateur du ciel et de la terre, et il invoquait, comme l'étoile polaire de son pontificat, la paix du Christ dans le règne du Christ.

... par la paix du Christ dans le règne du Christ.

Vers cette étoile, il dirigeait la proue de la nef de Pierre, dans l'espoir que Pinscrutable Conseil divin qui, dans sa justice, n'oublie jamais la miséricorde, se laissant porter à la pitié, au pardon pour les hommes pécheurs, suspendrait et éloignerait le fléau qui menaçait de fondre sur l'humanité inquiète et divisée. A la paix du Christ dans le règne du Christ, il consacra sa vie et sa mort, et dès le premier jour où il apparut vêtu de blanc, on le vit, du haut de la loggia de la basilique vaticane, bénir l'Italie et le monde, embrassant toute l'humanité dans son nouveau et immense coeur de Père.

Vers la paix du Christ, il orienta sa pensée, cette pensée apostolique qui, avec l'ardeur d'un Paul de Tarse, franchit toutes les frontières pour exalter et annoncer à l'univers la foi de Rome (cf. Rom. Rm 1,8) et accueillir dans la paix toutes les nations, proches et lointaines, unies et séparées ; cette pensée qui, d'après le grand évê-que d'Hippone, est la pensée de la cité céleste et du royaume du Christ, parce que « cette cité céleste, tant qu'elle voyage sur cette terre, appelle à elle les citoyens de toutes les nations et, dans la diversité des langues, rassemble une société voyageuse comme elle, sans tenir compte des différences de moeurs, de lois, de statuts, au moyen desquels s'acquiert ou se maintient la paix d'ici-bas, sans rien retrancher ni détruire, mais plutôt en maintenant et en soutenant tout. Et cette même paix terrestre conduit à la paix du ciel, qui est ainsi la véritable paix, la seule dont puisse jouir, la seule que puisse appeler de ce nom la créature raisonnable, puisqu'elle est la société excellemment ordonnée et harmonisée des hommes, en vue de jouir de Dieu et de jouir les uns des autres en Dieu » 3.

C'est ainsi que le génie d'Augustin annonçait lumineusement la pensée de Pie XI, cette pensée de la paix du Christ ici-bas, dans le règne du Christ conquérant les nations et faisant de la paix terrestre le prélude et le présage de la paix du ciel, but suprême de l'humanité rachetée et marchant vers Dieu sur la face du globe.

Si l'esprit de Pie XI s'élevait vers ces sublimes pensées dans la méditation de son devoir apostolique, il descendait ensuite à l'application pratique en mettant à leur service sa volonté et son activité, conscient d'être, comme saint Paul, redevable aux Grecs comme aux barbares, aux savants comme aux ignorants : Graecis ac Barbaris, sapientibus et insipientibus debitor sum (Rm 1,14). Il voulut mettre dans les âmes la paix du Christ, la paix que nous a laissée le Christ ; il la voulait entre les savants et les simples, entre la science et la foi, entre le capital et le travail, entre l'abondance et le besoin, entre la richesse et la pauvreté, entre la politique et la morale, entre les puissants et les faibles, entre les persécuteurs et les opprimés, entre l'Orient et l'Occident. Les obstacles qu'il rencontra sur son chemin ne le découragèrent pas ; il attendait, comme dans les nuits obscures au cours de ses ascensions alpines, que l'aube naisse propice à lui ou à celui qui le suivrait.

» De Civ. Dei, 1. XIX, c. XVII.

Son action multiforme.

Il fut grand dans l'action. Intrépide messager de la paix au milieu des éclairs et des terreurs de la guerre, comme au milieu des orages des Alpes, il adressa aussi un message de paix à l'Italie, pour donner à sa bien-aimée patrie la paix du Christ dans le règne du Christ, en mettant fin à un long et douloureux conflit qui séparait l'un de l'autre « ceux qu'un même mur et un même fossé enserrent » 4. Souverain Pontife, il sentit dans son coeur l'amour paternel du médiateur de la paix entre les peuples et l'Eglise, et fit des accords avec tous ceux qui répondirent à ses magnanimes et prévoyantes sollicitudes pastorales. Maître suprême de la foi et de la morale, il encouragea la véritable éducation de la jeunesse, défendit l'inviolable sainteté du mariage, exalta et fit resplendir par ses exhortations la dignité sacerdotale, développa l'instruction du clergé, fonda des instituts de sciences et d'études, porta l'Evangile plus loin que l'avaient fait ses prédécesseurs, ennoblit le zèle du clergé indigène, et, de sa voix faisant écho au-delà des océans, glorifia dans les congrès eucharistiques le Dieu de l'autel, proclamé Roi des rois et Seigneur des seigneurs. Pasteur et père des peuples, il ranima la foi des familles et, des murs de leurs foyers, il dirigea les laïcs vers l'action sociale et l'Action catholique, pour les faire collaborer avec la hiérarchie divinement instituée à l'établissement du règne du Christ dans la vie civile, élevant ainsi le zèle des fidèles à la dignité « de ce royal sacerdoce » (1P 2,9), qui, sans mettre les brebis au rang des pasteurs, en fait une unique, sage, prudente et active milice, pour le développement et la défense de la vie chrétienne.

Mais Nous sommes dans un siècle où les recherches philosophiques et l'étude de la nature ont dépassé toutes les limites atteintes aux époques précédentes, non sans que l'audace dans le progrès ne se fourvoie dans les mirages trompeurs d'apparences, vides de réalité, au point d'opposer non seulement la pensée à la science, mais encore la science à la foi. Le sage pontife, formé dans les bibliothèques et les assemblées de savants, voulut que, dans la paix du Christ, le Christ apparût non seulement dans les chaires du clergé, mais encore dans l'assemblée des plus remarquables chercheurs scientifiques. Scientiarum Dominus ; parce que la foi ne redoute point la raison, parce que le dogme ne craint pas la vraie science, parce que l'Eglise, amie de toute vérité, n'enchaîne pas la saine liberté de

4 Dante, Purg., 6, 84.

rechercher le vrai caché dans les secrets de la nature ; au contraire, elle en provoque les hardiesses et le progrès, heureuse d'user des résultats et des triomphes de la science pour faire entendre sa voix maternelle jusqu'aux extrémités de la terre et rendre plus magnifique son propre triomphe dans la diffusion du nom et de la foi du Christ. Le triomphe du Christ et des saints sur les voies publiques et sur les autels était le propre triomphe de la piété et de la parole de Pie XI, qui semblait préoccupé, en exaltant les héros de la sainteté, de se préparer dans le ciel d'obligeants et de puissants avocats pour l'accompagner là-haut et l'accueillir au terme de sa longue et laborieuse vie. Ainsi, fort dans la souffrance, non recuso dolorem, regardée par lui comme un don de Dieu qui lui faisait pénétrer plus intimement dans le mystère de la Passion du Christ, toujours ardent et actif dans les travaux fatigants de sa haute charge de pontife, peto laborem, ayant gardé une extrême lucidité d'esprit et une volonté intrépide — Nous le savons bien — jusqu'au dernier jour, il inclina enfin le front au baiser suprême du crucifix, lui offrant le dernier battement de son coeur magnanime, pour se reposer dans la tranquillité de la mort, attendant la glorieuse résurrection, avec ses prédécesseurs, près du tombeau du premier Vicaire du Christ.

C'est pour prier près de la tombe de ce grand pontife, gloire de votre pays, ô Milanais, que, vous serrant autour 'de votre très aimé cardinal archevêque, vous êtes venus à Rome. Vous avez déjà montré et prouvé votre amour et votre regret en célébrant ce premier anniversaire qui vous a amenés dans la Ville éternelle, le coeur plein du souvenir de ses vertus et de ses oeuvres apostoliques, et avec la résolution d'évoquer et de sculpter sa grande image dans l'ombre des grottes vaticanes, pour l'enseignement de la postérité. Si le dernier sacrifice que Dieu lui demanda fut de lui ravir l'aube de ce jour mémorable du dixième anniversaire des accords de Latran, jour tant aimé et tant désiré par lui, il n'est pas douteux que le Seigneur lui a accordé une aurore plus belle et plus radieuse, en cette veille de la lumineuse fête de la Vierge immaculée de Massabielle. Le chagrin de sa disparition a été ressenti par vous, par Nous, par le monde entier ; mais sa grande âme n'en a pas été touchée, alors que déjà elle exultait de joie dans la récompense d'un bon et fidèle serviteur, comme vous l'avez connu et vénéré, avant son élévation sur la chaire de Pierre, sur le siège de votre Père, le grand saint Ambroise.

L'exemple de saint Ambroise et de saint Charles Borromée.

De ce même Ambroise, lumière éclatante du monde catholique, vous avez commencé à commémorer la naissance dont l'aurore apparut il y a seize siècles. Vous y trouvez une consolation dans le deuil de Notre incomparable prédécesseur, qui fut votre glorieux concitoyen. Vous êtes venus en pèlerinage à cette Rome qui sans doute, ne fut pas le berceau d'Ambroise, mais le lieu d'origine de sa famille, et ensuite l'école et l'arène de sa jeunesse et de son âge mûr.

Rome, qui conserve dans l'insigne basilique dédiée à Ambroise et à Charles Borromée les marbres sacrés et éternels qui rappellent la piété de Pie XI et votre vénération envers lui, se réjouit avec vous dans cette commémoration centenaire d'Ambroise et se joint à Milan pour saluer, applaudir et louer cet astre romain de prudence humaine et de sagesse chrétienne, dont les rayons ont répandu assez de lumière et de chaleur sur la métropole lombarde pour donner son nom à l'ardeur religieuse de son peuple et à l'hommage liturgique du culte divin.

Derrière l'abside de ce grand édifice qui leur est dédié, Ambroise et Charles, grâce à votre munificence, se dresseront à découvert en face des ruines récemment découvertes du tombeau d'Auguste et de l'autel de la paix, monuments que le jeune Ambroise put autrefois admirer dans leur splendeur, et en présence de leurs ruines majestueuses il montrera à Charles la caducité de toutes les grandeurs humaines en face de Dieu. Tous deux furent des géants de la foi et de la discipline ecclésiastique ; tous deux sont la gloire de l'Eglise de Milan, semblables et différents dans le temps et l'activité, dans la hardiesse et le zèle, dans les luttes et les victoires, mais toujours égaux par le regard qu'ils fixent sur Pierre, parce que dans Charles se trouve l'âme d'Ambroise, et ce dernier est le précurseur de Charles.

L'action de saint Ambroise.

Les abeilles de la Moselle déposèrent sur les lèvres enfantines d'Ambroise le miel de la divine éloquence. Il reçut aussi de son sang romain l'austère et forte empreinte du caractère des Quirites, caractère que Dieu harmonisa avec les aspirations et les besoins de son temps. A la place de l'épée, au lieu des victoires des armes et du barreau, le ciel lui destinait le pallium des évêques et la sublime victoire de l'éloquence évangélique. Sa jeunesse vit les luttes de l'arianisme, l'effort éphémère de Julien l'Apostat pour ranimer un instant le paganisme mourant ; parvenu à l'âge d'homme, il fut témoin du nouveau partage de l'Empire romain au temps de Valentinien et de Valens, des guerres continuelles contre les barbares envahisseurs qui triomphèrent des légions romaines dans les plaines d'Andri-nople. Evêque, il fut le tuteur des fils de Valentinien, vaincu et tué, et l'ami sans faiblesse du grand Théodose.

Lui aussi fut grand, à l'égal des Pères et Docteurs de l'Eglise les plus célèbres. Vous pourrez le célébrer comme un vigoureux champion qui sut unir en lui, à un haut degré, la force du Romain et l'esprit du Christ, résister aux Césars eux-mêmes pour défendre les droits de la foi et de la morale. Vous pouvez admirer en lui le sage conseiller et le soutien politique et religieux de trois empereurs et de leur trône ; le champion de la liberté et de l'indépendance de l'Eglise ; le Docteur de la primauté de Pierre et le marteau de l'hérésie ; l'ascète à l'abnégation héroïque, le père des pauvres, la Bouche d'or de l'Occident, le consolateur de Monique et celui qui baptisa Augustin ; le poète des hymnes sacrées, le prêtre de l'autel, le modèle des pasteurs et des évêques, le saint qui est le sel de la terre et la lumière du monde.

'exemple de sa jeunesse vertueuse.

Mais en outre il Nous plaît d'attirer votre attention sur un aspect particulier de la figure de ce saint. En effet, de son berceau, de son enfance et de sa jeunesse se dégage une lumière capable d'illuminer aussi notre siècle et la société moderne, au milieu du paganisme renaissant — très peu différent de celui qui entourait le jeune Ambroise — où grandit aujourd'hui la jeunesse ; c'est l'exemple admirable d'une âme qui, même avant d'être baptisée, demeura forte et ferme dans la vertu, sans jamais se laisser souiller par le culte et la morale du paganisme, constante et imperturbable dans ses nobles idées et desseins, toujours inébranlable malgré le vent des amitiés païennes.

Vous tous, chers fils, vous n'ignorez pas les périls que rencontre aujourd'hui la jeunesse chrétienne, pour laquelle l'exemple d'Ambroise se présente comme une invitation pressante à la vigilance, à la force et à la dignité de caractère, aux yeux de l'Eglise et de la patrie, à l'égard de cette empreinte et de ce sceau de romanité que revêt aussi la foi dans le Christ et qui fait que partout où se trouve un chrétien catholique, là se trouve Rome. La Rome de Pierre se trouve et vit aussi dans votre ville de Milan, puisque la foi ambrosienne est la foi de Rome, puisque Ambroise avec la foi de Rome, par laquelle là où est Pierre, là est l'Eglise, a fait la grandeur de Milan.

Votre pèlerinage en est un témoignage manifeste et, dans votre esprit, les souvenirs et les gloires semblent alterner, puisque vous êtes venus prier sur la tombe d'un glorieux pontife donné à Rome par Milan, pendant qu'à Milan vous vénérez la châsse d'un grand évêque, Docteur de l'Eglise, votre Père, qui vous a été donné par Rome. Ceci n'est-il pas le lien sacré de l'unité de l'Eglise ?

Et Nous qui vous embrassons tous dans l'universelle charité du Christ et dans la sollicitude de Pierre pour toutes les Eglises, Nous sommes profondément heureux de vous voir à Nos côtés ; Nous Nous réjouissons vivement de vous voir multiplier les efforts pour honorer, toujours avec une plus noble émulation, votre maître le plus sage et le plus ancien, votre plus illustre évêque et patron. Il fut, en un siècle non moins agité et troublé que le Nôtre, un promoteur et un défenseur de paix et de concorde entre les Césars et les prétendants à l'Empire. Au début de sa magistrature civile, au milieu du peuple de Milan divisé au sujet de l'élection de l'évêque, il apparut en pacificateur des partis, se révélant le sage médiateur de la paix ; si bien que la paix elle-même se fortifiait en lui et changeait ses insignes consulaires pour l'habit sacré et plus digne de métropolitain du vicariat d'Italie. Aussi, Nous n'hésitons pas à le vénérer et à l'invoquer comme un grand protecteur de la paix de l'Eglise et du monde, vous exhortant à faire en sorte que les honneurs rendus à sa mémoire soient aussi une fervente prière « pour tous les hommes, pour les rois et pour tous les dépositaires de l'autorité, afin que nous passions une vie paisible et tranquille, en toute piété et honnêteté. Cela est bon et agréable aux yeux de Dieu notre Sauveur, qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1Tm 2,1-2).

C'est pourquoi avec ces saints désirs et d'un coeur parternel Nous implorons sur votre vénéré cardinal archevêque et sur tous les chers fils de l'archidiocèse de Milan, présents et éloignés, l'abondance des divines faveurs et les consolations célestes, en vous accordant Notre plus large Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A UNE MISSION MILITAIRE ARGENTINE

(15 février 1940) 1

Recevant en audience spéciale les membres d'une mission militaire argentine, le Saint-Père prononça cette allocution :

Nous vous souhaitons une bienvenue très cordiale, chers fils et filles d'Argentine, que Nous présente Son Excellence et très distingué M. l'ambassadeur. Après la visite que Nous avons faite à votre pays, après les émotions émouvantes ressenties lors de la grandiose manifestation du Congrès eucharistique de Buenos Aires, votre présence dans Notre maison est comme le salut que Nous envoient par votre intermédiaire, du sol de la patrie, Nos fils si aimés des terres de la Plata.

L'Argentine est un pays de grand avenir, car le Créateur a déposé sur son sol des richesses inépuisables ; un pays d'immenses espaces, une nation dont la jeunesse, si elle parvient à développer avec courage ses excellentes qualités, peut lui assurer un avenir des plus prospères. Argentins, et en particulier ceux d'entre vous qui voient les moments d'angoisse que traversent d'autres peuples, vous avez d'abondantes raisons pour remercier la Providence divine de l'amour paternel avec lequel elle veille sur vous. La statue du Christ qui, sur la cime des Andes, rappelle et bénit votre pacte d'amitié avec les peuples voisins est le symbole de la vraie paix. Dieu veuille que nous la voyions bientôt, cette paix, s'ériger sur les plus hauts sommets de l'Europe.

Conservez avec zèle et par-dessus tout les sentiments religieux de votre vie. Le Congrès eucharistique de Buenos Aires Nous a fait comprendre combien la foi catholique est profondément enracinée


MISSION MILITAIRE ARGENTINE

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dans votre peuple. Nous avons confiance en Dieu et Nous le supplions ardemment pour que cette foi demeure toujours vivante parmi vous et que grâce à elle, vous parveniez à rendre vos frontières impénétrables à Péloignement de Dieu qui caractérise notre époque. Cet éloignement de Dieu est la raison des maux qui affligent l'humanité. Partout où pénètre cet oubli de Dieu, il est comme un incendie qui dévaste tout ; non seulement il dessèche les âmes et les dépouille de leur bonheur éternel, mais en même temps il va jusqu'à détruire la sécurité, la tranquillité et l'ordre dans la vie publique des Etats.

Vous-mêmes et tous ceux qui appartiennent aux classes dirigeantes de votre nation, vous avez en cela une grave responsabilité et aussi une haute mission : celle de marcher devant votre peuple en lui donnant l'exemple de votre esprit religieux, celle de maintenir ferme par conviction la sainte foi que vous avez héritée de vos ancêtres, celle d'en donner la preuve par les sentiments et les oeuvres de la charité fraternelle et celle de faire qu'elle fleurisse vigoureuse dans la vie de la grâce, principalement par le moyen de la sainte Eucharistie. Combien d'occasions multiples et opportunes vous offre pour cela votre vocation de soldat, qui se développe précisément parmi les jeunes de votre peuple ! Cette mission dont Nous parlons — et dirions-Nous, vous aussi — est d'ordre religieux. C'est la vérité. C'est en même temps le meilleur service que vous pouvez rendre à votre chère patrie et à votre peuple aimé.

En gage d'abondantes grâces qui vous encourageront en cette haute mission, Nous accordons avec la plénitude de Notre coeur de père, à vous, avec vos espérances et vos aspirations, à vos familles, à tout le peuple argentin et surtout à votre jeunesse, la Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A UNE DÉLÉGATION DU GOUVERNEMENT ROUMAIN

(17 février 1940) 1

Une délégation spéciale de Roumanie, conduite par un ministre d'Etat, étant venue exprimer sa filiale dévotion au Saint-Père celui-ci lui répondit en ces termes :

Nous voulons vous témoigner Notre bienveillance reconnaissante à vous, très illustre et honorable Monsieur, et aux personnes distinguées qui vous accompagnent ici, et tout particulièremnt au très distingué ambassadeur de Roumanie auprès de Nous et du Siège apostolique qui Nous est si cher, parce que vous avez bien voulu Nous rendre visite et Nous offrir des présents qui Nous sont et seront très chers par la valeur de leur travail, la beauté de leur forme et leur signification de respect. Très agréablement ému par les hommages que vous Nous avez apportés de la part de Sa Majesté Charles II, l'auguste roi de Roumanie, Nous vous prions de présenter en retour Notre salut à l'illustre et suprême chef de votre Etat, pour qui Nous demandons à Dieu par Nos voeux suppliants le bonheur d'un long règne et la joie d'heureux événements. Que par la grâce de Dieu la paix et la sécurité fleurissent dans la chère Roumanie qui a reçu de Rome son grand nom et que la civilisation issue de l'Evangile du Christ y brille de nouvelles splendeurs. Que la jeunesse de votre patrie par l'intégrité de ses moeurs et l'éclat de ses vertus réponde plus pleinement à l'espoir plein de confiance qui est mis en elle. Car tout ce qui peut tourner à la prospérité de la Roumanie Nous est toujours une source de joie.

Enfin, Nous souhaitons et implorons pour vous, très illustre et honorable Monsieur, ainsi que pour vos très distingués compagnons, l'abondance des faveurs célestes.

LETTRE POUR LE Ve CENTENAIRE DE SAINTE FRANÇOISE ROMAINE

(19 février 1940) 1

A l'occasion du Ve centenaire de la mort de sainte Françoise Romaine, le Souverain Pontife a daigné adresser la lettre suivante à Mère Marie Pia Ugolini, supérieure des Nobles Oblates de Tor de' Specchi :

C'est avec une vive satisfaction que Nous avons appris récemment que va se célébrer prochainement le cinquième centenaire du jour où sainte Françoise Romaine, oblate bénédictine de Mont-Olivet et fondatrice de la noble maison de Tor de' Specchi à Rome, monta de son laborieux et fécond pèlerinage terrestre au royaume des cieux. Ces solennités du centenaire manifesteront non seulement l'hommage reconnaissant des filles de sainte Françoise à leur mère, mais proposeront à l'imitation des fidèles de tout âge et de toutes conditions le splendide modèle de ses insignes vertus. Françoise, en effet, noble par sa naissance, plus noble encore par ses vertus, se montra dès le début vierge forte et prudente, se détourna des vanités et des embûches du siècle et s'adonna assidûment à la prière, comme si sa conversation était déjà dans le ciel. Mariée par la volonté de ses parents à un homme noble et riche, elle sut concilier sagement le gouvernement de sa famille avec ses devoirs religieux et, dans de cruelles adversités, jouissant de la familiarité et de la consolation de son ange, elle supporta d'une âme sereine l'exil de son mari, la perte de ses biens, l'affliction de toute sa maison. Entre temps, pour promouvoir toujours plus la gloire de Dieu et l'utilité du prochain, elle persuada un certain nombre de dames romaines de renoncer aux pompes du monde pour une vie plus haute et fonda dans ce but, à Rome, votre maison religieuse, selon la règle bénédictine de Mont-Olivet.

Son mari étant mort, pleine d'activité durant son veuvage, elle atteignit les sommets de la sainteté. En effet, dans la vie monastique qu'elle avait embrassée depuis quelques années du vivant même de son mari et avec son consentement, bien qu'elle fut la mère de toutes les oblates et comme la maîtresse de la maison, pauvrement vêtue, elle préférait servir qu'être servie et son bonheur était d'être considérée et d'être traitée comme une servante. Plus sa ferveur et sa piété dans le service de Dieu augmentaient, plus elle s'appliquait à toute sorte d'ceuvres de charité. Et plus elle travaillait joyeusement à améliorer les moeurs des familles nobles et à venir en aide aux pauvres, plus elle s'offrait ardemment avec ses pieuses compagnes au Seigneur en hostie vivante de propitiation, afin de détourner et de repouser les maux si nombreux et si grands qui en ce temps-là affligeaient l'Eglise et le Souverain Pontife. C'est pourquoi, lorsque sainte Françoise, brillante de mérites insignes et de miracles, passa de l'esclavage terrestre à la liberté de la gloire céleste, le peuple de Rome entoura sa mémoire de tant de dévotion et de gratitude qu'il l'appela l'Avocate de sa ville. C'est donc à très juste titre qu'on prépare dans la joie avec une particulière sollicitude les solennités de ce cinquième centenaire ; Nous n'avons qu'à louer et à recommander ce projet et ces travaux, et c'est avec plaisir que Nous les accompagnons de Nos voeux paternels et de Nos souhaits. Nous ne doutons nullement que de nombreux fidèles, et avant tout les oblats bénédictins, en groupe ou individuellement, animés du pieux désir des biens célestes et d'abondants fruits de salut, n'affluent à l'église de Santa Maria Nova où l'on conserve pieusement le corps de sainte Françoise, ainsi qu'à l'insigne cloître de Tor de' Specchi où l'on vénère tant de souvenirs de la Mère fondatrice.

Comme gage et signe de ces faveurs célestes, et en témoignage de Notre particulière bienveillance, Nous vous accordons à vous, bien-aimée fille dans le Christ, à vos soeurs oblates ainsi qu'à tout l'ordre bénédictin de Mont-Olivet la Bénédiction apostolique.


TÉLÉGRAMME AU RÉGENT DE HONGRIE

(29 février 1940) 1

Voici le télégramme que Pie XII adressa à S. A. Sérénissime Nicolas Horthy de Nagybanya, régent de Hongrie, à Budapest, pour le vingtième anniversaire de son élection :

A 'l'heureuse date du vingtième anniversaire de d'élection de Votre Altesse comme Régent de Hongrie il Nous est vivement agréable de renouveler Nos voeux pour la grande prospérité de cette noble nation et pour 'le bonheur personnel de Votre Altesse dont d'aimable souvenir est pour Nous si étroitement lié à un grand et inoubliable événement et à l'accueil si cordial dont à cette occasion Nous avons été l'objet de la part de Votre Altesse.


HOMÉLIE

AUX DÉLÉGATIONS DES PAROISSES DE ROME RÉUNIES A LA BASILIQUE SAINT-PIERRE

(3 mars 1940) 1

Le 3 mars, lendemain du premier anniversaire de son élévation au souverain pontificat, le Saint-Père célébra la messe dans la basilique vati-cane, en présence de nombreuses délégations des paroisses de Rome. Après l'Evangile il s'adressa à l'assemblée en ces termes :

Le Saint-Père remercie le peuple romain de l'affection qu'il lui a témoignée

Ils sont grands, chers fils et chères filles, les soucis quotidiens qui Nous viennent du dehors, causés par la sollicitude de toutes les Eglises et par les maux dont l'humanité souffre à l'heure présente et que Notre coeur ressent si douloureusement ; mais le poids de tant de préoccupations et d'angoisses ne peut appesantir Notre front et Notre âme au point de Nous faire oublier le peuple romain. Ce peuple dont, après Nous en avoir fait le fils, l'impénétrable conseil divin qui gouverne tout, a voulu que Nous fussions le père et le pasteur ; le peuple romain qui, gouverné et guidé avec tant de constance et d'abnégation par ses curés pleins de zèle — auxquels Nous tenons à renouveler ici le témoignage de Notre satisfaction, de Notre gratitude et de Notre particulière affection — a déjà su trouver plus d'une fois l'occasion de Nous manifester sa foi et sa filiale dévotion. La première démonstration, et combien émouvante, Nous en vint le soir du 2 mars de l'an dernier, quand le fardeau du suprême pontificat tomba inopinément sur Nos épaules. Nous en contemplâmes encore le spectacle grandiose alors que, couronné de la tiare, symbole de tant et si formidables responsabilités, Nous levâmes sur vous et sur le monde Notre main bénissante. Nous fûmes les témoins émus de votre ferveur quand Nous Nous rendîmes successivement au Latran, à Sainte-Marie-Majeure, au Quirinal, au milieu des manifestations ardentes de fidélité et d'amour des foules accourues à Notre passage ; événements mémorables, dont l'image et l'écho ne s'éteindront jamais dans Notre coeur.

L'imposante colonnade du Bernin, que vous avez traversée pour venir ici affirmer et confirmer votre foi, étend ses grands bras en un geste symbolique, comme pour dire aux voyageurs de toute langue et de tout pays que le grand temple, surmonté de la croix regardant le Latium, l'Italie et le monde, est prêt à les accueillir tous dans la vérité et dans la charité. Mais bien que ce geste d'accueil affable s'adresse à toutes les brebis du Pasteur universel, c'est à vous spécialement que Nos bras et Notre coeur s'ouvrent dans un élan de tendresse paternelle, fils bien-aimés, à vous qui Nous êtes unis non seulement par la communauté de la foi et les liens mystiques de Notre charge pastorale, mais aussi par le sentiment d'amour et de fierté qui nous fait reconnaître dans l'Aima Urbs notre patrie terrestre et notre mère.

et l'invite à la joie chrétienne

En cette heure tranquille que Nous consacrons à la prière et au sacrifice eucharistique, règne une atmosphère de saints et touchants souvenirs. Ici, au coeur de la Rome chrétienne, près du sépulcre glorieux de son premier évêque, sous ces voûtes majestueuses où monte chaque année l'hymne de triomphe : O felix Roma, l'intimité devient si profonde entre le pasteur et son troupeau, qu'on éprouve d'une manière presque sensible la vérité de ces paroles du Maître : Cognosco (oves) meas, et cognoscunt me meae (Jn 10,14). Cette atmosphère tout imprégnée de bénédictions divines et de grâces surnaturelles remplit Notre coeur d'une joie reconnaissante, qui Nous fait dire avec le psalmiste : Repletum est gaudio cor nostrum et lingua nostra exsultatione (Ps., cxxv, 2). Et tandis que ce cri monte de Notre coeur à Nos lèvres, Nous Nous souvenons qu'aujourd'hui même, en ce quatrième dimanche de carême, placé au milieu du temps consacré à la pénitence et au jeûne, la sainte Eglise s'écrie, dans l'Introït de la messe : Laetare, Jérusalem, et conventum facite, omnes qui diligitis eam ; gaudete cum laetitia, qui in tristitia fuistis, « réjouis-

toi, ô Jérusalem, et assemblez-vous vous tous qui l'aimez. Tressaillez de joie, vous qui avez été dans la tristesse» (cf. Is., lxvi, 10-11). Oui, l'Eglise se fait messagère de joie aujourd'hui, elle orne de fleurs ses autels, elle entend de nouveau les harmonies de l'orgue, elle permet à ses ministres de revêtir des ornements roses.

Peut-être serez-vous surpris d'entendre votre Père dans le Christ vous parler de joie, en un moment où les préoccupations du présent et les menaces d'un avenir peut-être encore plus sombre pour l'humanité vous oppriment ; alors que chacun se demande avec anxiété ce que cette année, commencée parmi tant de peines et d'angoisses, peut bien encore réserver d'épreuves et de douleurs au monde.

... que doit faire naître la foi dans la liberté apportée par le Christ ressuscité

Chers fils, si l'Eglise, dont la sagesse éducatrice unit dans une parfaite harmonie l'austérité et la douceur, vous invite aujourd'hui à « tressaillir de joie, vous qui étiez dans la tristesse », et si Nous-même, en cette heure d'intime rencontre, Nous n'hésitons pas à vous redire cette admirable consigne, ce n'est pas parce que Nous méconnaîtrions vos inquiétudes. Ce laetare, qui sort de la bouche maternelle de l'Eglise, veut vous enseigner à trouver la joie sereine de l'âme, même dans les souffrances de la nature et dans les amertumes du coeur. Ecoutez plutôt : dans l'épître de ce jour, tirée de la lettre de saint Paul aux Galates (iv, 22-31), l'Eglise rappelle aux fidèles qu'ils ont été faits par la grâce fils de Dieu, non pour le servir en esclaves, mais comme hommes appelés à la liberté. Ainsi, elle leur rappelle en quelques mots la dignité et la grandeur de la personne humaine, et surtout de l'âme chrétienne lavée dans le sang rédempteur.

Comment n'éprouverions-nous pas un sentiment de fierté et de joie devant cette pensée ! La sainte Eglise, Epouse mystique du Christ, Mère féconde, dont Sara ne fut qu'une pâle figure, n'engendre pas des esclaves, comme Agar. L'antique paganisme faisait de la masse des hommes les instruments irresponsables et les victimes impuissantes d'une tyrannie personnelle ou collective. Dans ce misérable troupeau d'une humanité presque inconsciente, quelques mauvais pasteurs subjuguaient, opprimaient, massacraient ou abrutissaient dans un travail sans espérance et sans amour la multitude grégaire des asservis. O Christ ! O Sauveur ! Votre doctrine de la fraternité universelle, votre loi d'universelle charité ont rendu à la personne humaine Pinviolable liberté de vous servir en toute pureté et sécurité de conscience : qua libertate Christus nos liberavit ! Soyez-en à jamais béni ! Et n'est-il pas juste qu'à ce propos, vos enfants, héritiers de la future Jérusalem, se renvoient l'un à l'autre le cri de joie : Laetare, Jérusalem f

Nous n'ignorons donc pas ni ne méconnaissons vos afflictions, mais Nous voudrions vous enseigner à faire resplendir sur cet océan en tempête, en ce ciel obscurci par les nuages, un pur rayon de soleil. La lumière de l'âme, même au fort des ténèbres de la tribulation, est la confiance filiale en la Providence divine. Au milieu de la nuit la plus noire, sur la cime des monts neigeux, le voyageur attend anxieusement le lever limpide et radieux de l'aurore, qui a ravi les artistes et les poètes de tous les siècles. Mais l'attente des voyageurs, le rêve des poètes sont parfois déçus, tandis que ne l'est jamais la confiance chrétienne, qu'engendrent les trois vertus théologales, la foi, l'espérance et la charité.

Les âmes, dans lesquelles la foi a poussé des racines profondes, et dont la vie s'efforce de s'y conformer par un constant accomplissement du devoir, sont sur la voie de la vraie félicité, qui seule peut rassasier le coeur humain : la possession de Dieu. Unies à ce souverain bien par le moyen de la foi, qui soutient l'espérance et fait fleurir la charité, ces âmes se délient victorieusement de l'esclavage des biens de la terre et acquièrent à l'égard de tout ce que le monde peut donner ou refuser, cette indépendance libératrice, qui est la marque des enfants de Dieu. La pensée consciente et habituelle de cette filiation divine produit en elle un sentiment d'indéfectible sécurité, même au milieu des souffrances, des épreuves et des angoisses de la vie. Le sol peut trembler sous leurs pas, elles ne tremblent pas. En elles se vérifient les consolantes paroles que l'Apôtre des nations adressait aux chrétiens de la primitive Eglise romaine : Diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum (Rm 8,28). Et déjà, le psalmiste chantait : « abandonne-toi à Dieu et il te nourrira » (Ps., liv, 23).

... et la confiance dans la bonté de Dieu qui a donné aux hommes le pain des forts.

Ces dernières paroles reçoivent un merveilleux confirmatur dans l'Evangile d'aujourd'hui, qui raconte comment Jésus nourrit avec cinq pains d'orge et deux poissons toute une multitude (Jean, vi). Mais Dieu donne à ceux qui croient en lui bien plus que la simple nourriture du corps ; la prodigieuse distribution des pains figurait, en effet, la future institution de la sainte Eucharistie et la multiplication, qui serait indéfiniment renouvelée à travers les siècles, de cette nourriture des âmes.

C'est un mystère d'amour, une vision admirable et sublime, qui s'ouvre et se déploie sous notre regard. Ne voyez-vous pas en Jésus, qui multiplie le pain matériel, le prêtre éternel, qui lève les yeux au ciel, bénit le pain qu'il change dans son Corps très saint, le rompt et le donne à ses ministres pour qu'ils le distribuent à la foule des fidèles ? Ne reconnaissez-vous pas dans les apôtres, qui donnent à la multitude le pain reçu du Christ, les chefs lointains des évêques et des prêtres qui nourrissent du pain de la vie éternelle le peuple chrétien ? Elevez le regard de votre foi, chers fils. Dans le sacrement de l'autel se trouve le centre de tout le christianisme; là vit et se tient au milieu de nous et avec nous jusqu'à la consommation des siècles, Dieu lui-même, Notre-Seigneur Jésus-Christ, jadis pèlerin sur la terre de Judée et de Galilée, et aujourd'hui roi triomphant dans le ciel, qui mille fois chaque jour se cache dans nos tabernacles sous les espèces du pain transformé par les paroles et les mains des prêtres, et nous attend, nous invite, nous appelle près de lui à un repas divin, dans lequel il se donne lui-même en nourriture, comme un prélude du paradis, où, le voile de la foi s'étant déchiré, il se donnera face à face dans une vision d'éternelle joie.

Sur nos autels triomphe l'amour du Christ pour nous : là, il trouve ses délices à demeurer avec les enfants des hommes ; là, il assemble son peuple, les brebis avec les pasteurs ; il réunit les assises sacrées de toutes les nations chrétiennes dans un commun et universel hommage de foi, d'adoration, d'amour, de réparation, de propitiation et de prière pour la tranquillité et la paix des peuples.

Quand les empires du monde bondissent et se heurtent comme les flots de l'océan, quand la terre tremble sous le fracas des canons, quand les mers ouvrent leurs abîmes pour engloutir hommes et richesses, quand dans les cieux, des tempêtes plus implacables que les ouragans jettent la terreur sur les populations, que pouvons-Nous faire, chers fils, sinon tourner le regard vers le Dieu de nos tabernacles, vainqueur du monde, Roi des siècles, qui gouverne les éclairs et les tonnerres retentissants, et qui tient dans les mains le coeur des rois et des chefs, qu'il dirige où il veut.

Oui, ô Jésus, Roi des rois et Seigneur des seigneurs, ici, sur la tombe de votre premier Vicaire sur la terre, pierre fondamentale de votre Eglise pour le salut du genre humain, Nous Nous prosternons, suppliant, avec tout votre peuple dispersé sur la face de la terre et avec le peuple de cette Rome dont, par un dessein sage, inscrutable, et par une providentielle préparation des événements, vous avez fait la partie choisie de votre troupeau, la plus proche du Pasteur universel, qui le garde en votre nom. Ce peuple, qui Nous entoure comme des fils autour de leur père, ce sont vos brebis, qui vous connaissent, qui vous aiment, qui écoutent votre voix, qui vous suivent vers les pâturages salutaires et divins, qui sont gardées par de fidèles pasteurs à vous tout dévoués, et défendues contre les loups et les mercenaires. Protégez, ô bon Pasteur, ce troupeau bien-aimé ; inspirez et conservez dans les coeurs de vos fidèles cet amour pour vous que l'âge n'éteint pas, mais développe ; que l'amitié ne corrompt pas, mais excite ; que la parole ne trouble pas, mais enflamme ; que la vie conjugale ne contamine pas, mais sublimise ; que le dernier jour transforme en sourire et en une espérance du paradis dans l'au-delà. Que triomphe dans les âmes, ô Jésus, le règne de votre amour ; qu'il sorte des catacombes, qu'il jaillisse des amphithéâtres et des cirques, des basiliques et des cloîtres, des chaumières et des palais ; qu'il resplendisse près des berceaux, dans les écoles, dans les arts, dans les refuges de la douleur et dans les ateliers de travail, dans la sérénité des champs et dans l'ouragan des batailles. Oui, ô Jésus, que de cette Rome, que rendent sacrée et vénérable aux nations les tombeaux de vos illustres apôtres, les autels des martyrs et des saints, les oracles infaillibles inspirés par vous, la solennité de vos saints mystères ; que de cette Rome, votre douce puissance qui tranquillise Rome et l'Italie, s'étende sur l'océan troublé du monde comme une arche et une aurore de paix. Descendez de la montagne, comme dans la nuit qui suivit la multiplication des pains ; marchez sur les flots, retenez les vents, calmez la tempête, rassurez la barque secouée de vos apôtres, dissipez les ténèbres et conduisez-nous au port de la paix. Faites que les hommes sentent que vous êtes la lumière du monde et retournent vers vous ; qu'ils déposent les armes à vos pieds ; que sur l'autel d'une paix chrétienne, inconnue aux légions des Césars païens, les esprits et les volontés opposés de ceux qui sont les arbitres du destin des nations, avec une confiance réciproque et une noble sincérité, vous offrent, ô Dieu auteur et ami de la paix, cette magnanime victoire sur les passions, le sacrifice souhaité de l'oubli de toute offense, restaurant dans la justice et dans l'amour l'honneur et la concorde des peuples. Ainsi-soit-il.


Pie XII 1940 - DISCOURS AUX CURÉS ET AUX PRÉDICATEURS DE CARÊME DE ROME