Pie XII 1940 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX ET A UN PÈLERINAGE DE PÉROUSE


LETTRE AU SECRÉTAIRE D'ÉTAT DEMANDANT DES PRIÈRES POUR LA PAIX ENTRE LES PEUPLES

(15 avril 1940)1

Dans cette lettre adressée à S. Em. le cardinal Maglione, secrétaire d'Etat, le Souverain Pontife renouvelle son exhortation du 20 avril 1939 qui demandait à toute la chrétienté de faire durant le mois de mai comme une croisade de prières mariales, afin d'obtenir par Marie, reine de la paix, le rétablissement dans le monde de la paix dans la justice et dans la charité.

L'an dernier, quand le ciel s'obscurcissait par la présence d'épais nuages et que le bruit menaçant et belliqueux des armes rendait tous les peuples inquiets, Nous qui partageons avec un coeur paternel les tristesses et les angoisses de Nos fils, Nous vous avons adressé une lettre pour inviter par votre intermédiaire 2, tous les chrétiens à offrir, durant le mois de mai qui approchait, des prières et des voeux à la puissante Mère de Dieu, afin que cette Mère très bonne nous conciliât dans nos malheurs la bienveillance de son Fils, offensé par tant de crimes, et que, avec un juste règlement des désaccords et l'apaisement des esprits, la concorde fût rétablie entre les peuples.

Tristesse du pape devant les fléaux de la guerre.

Mais à présent la situation est devenue plus grave du fait que la guerre a éclaté et qu'elle exerce sa fureur. Elle a déjà provoqué des pertes et des souffrances presque incalculables. Aussi Nous ne

1 D'après le texte latin des A. A. S., 32, 1940, p. 144 ; cf. la traduction française de la Documentation Catholique, t. XLI, col. 397.

pouvons Nous empêcher de conjurer une fois encore instamment Nos fils du monde entier de se rendre à l'autel de la Mère de Dieu, chaque jour du mois prochain qui lui est consacré, et de lui adresser leurs prières suppliantes.

Tous savent assurément que, dès le début de la guerre, Nous n'avons laissé de côté aucun moyen en Notre pouvoir — qu'il s'agisse de documents officiels et de discours, ou d'entretiens et de démarches à propos de cette affaire — en vue d'exhorter tous les peuples à rétablir entre eux la paix et la concorde qui soient basées sur la justice et perfectionnées par une charité réciproque et fraternelle.

Vous savez bien, cher fils, qui Nous assistez de si près dans le gouvernement de l'Eglise universelle et qui êtes en relations aussi intimes avec Nous, combien profondément Nous souffrons des épreuves et des angoisses des peuples belligérants, au point que Nous pouvons sur ce point reprendre en Nous les appliquant les paroles de l'apôtre saint Paul : « Qui est faible que je ne sois faible aussi ? » (2Co 11,29).

Notre âme est, en outre, remplie d'une très grande tristesse à cause non seulement des maux épouvantables qui ont fondu sur les nations en guerre, mais encore des dangers chaque jour plus redoutables qui menacent aussi les autres nations. Mais si, comme Nous l'avons dit, Nous n'avons omis aucun des moyens humains, secours, conseils, en Notre pouvoir, pour éloigner cette accumulation de maux, cependant Nous plaçons Notre suprême espoir en Celui qui seul peut tout, qui enferme la terre dans le creux de sa main et au pouvoir de qui se trouvent et le sort des peuples et l'esprit ainsi que la volonté de leurs chefs. Aussi désirons-Nous que tous joignent leurs prières aux Nôtres, afin que le Dieu des miséricordes hâte d'un geste tout-puissant la fin de cette désastreuse tempête.

Appel à la prière à Marie...

Mais puisque, d'après l'affirmation de saint Bernard : « Telle est la volonté de Dieu qui a voulu que tout nous vienne par Marie »8, que tous recourent à Marie, que devant son autel ils répandent leurs prières, leurs larmes, leurs douleurs, demandant à Marie consolations et soulagement ! Ce qu'au témoignage de l'histoire, Nos ancêtres

3 Serm. in Nativ. B. M. V.

ont eu toujours coutume de faire publiquement et avec grand fruit, dans des circonstances critiques ou aux époques de malheur, nous aussi, dans le très pressant danger qui nous étreint, ne manquons pas de le faire, en marchant avec confiance sur leurs traces. La bienheureuse Vierge jouit, en effet, d'un si grand crédit auprès de Dieu et d'un tel pouvoir sur son Fils que, comme le chante Dante4, celui qui ayant besoin de secours ne recourt pas à Marie, celui-là entreprend de voler sans ailes. Elle est à la vérité la toute-puissante Mère de Dieu, et aussi, chose qui est très agréable, Notre Mère très aimante. C'est pourquoi qu'il nous soit à tous bien doux de nous mettre sous sa protection et sous son patronage et de nous reposer dans sa maternelle bonté.

. surtout à la prière des enfants.

Mais, en particulier, Nous souhaitons, cher fils, qu'à nouveau, pendant le mois qui vient, les phalanges pures des enfants remplissent, âmes suppliantes, les églises dédiées à la Vierge, et, par l'intercession de Celle qui est médiatrice de paix, obtiennent de Dieu pour tous les peuples et nations une ère de paix. Que chaque jour ils se réunissent autour de l'autel de leur Mère du ciel, à genoux et les mains tendues, qu'ils lui offrent prières et fleurs, eux qui sont les fleurs du jardin mystique de l'Eglise. Oui, Nous avons une grande confiance dans leurs prières à eux dont les « anges voient toujours la face du Père » (Mt 18,10) et dont le visage respire l'innocence et les yeux brillants reflètent quelque chose de la lumière céleste. Nous savons, en effet, que le divin Rédempteur les entoure d'un amour particulier et que sa très sainte Mère les aime avec tendresse et bienveillance. Nous savons que les prières des âmes innocentes parviennent jusqu'au ciel, désarment la justice divine et obtiennent pour elles-mêmes et pour les autres les faveurs célestes.

Qu'on établisse donc au sein de ces troupes d'enfants comme une pieuse émulation dans la prière ; qu'elles ne cessent pas par leurs supplications répétées de hâter l'accomplissement de nos désirs en se rappelant la promesse du Christ : « Demandez et l'on vous donnera ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l'on vous ouvrira » (Mt 7,7 Lc 11,9).

Fasse le Dieu très bon, ému jusqu'à la miséricorde par les voix de

Cf. Divine Comédie, Par. XXXIII, 13-15.

tant de suppliants réunis, par celles surtout des enfants innocents, que les âmes s'apaisent et s'unissent dans l'amour fraternel, que l'ordre véritable et la tranquillité se rétablissent, que l'arc-en-ciel de la paix, présage d'une ère plus heureuse pour l'humanité, brille au plus tôt.

Veuillez, cher fils, faire savoir à tous, de la manière que vous jugerez la plus apte, Nos désirs et Notre invitation. Faites-en part surtout aux saints pasteurs des diocèses du monde catholique ; Nous avons toujours constaté leur dévouement complet à Nos volontés et, pour de nombreuses raisons, Nous avons la certitude de leur sollicitude pastorale.

Et maintenant, comme gage des faveurs célestes et en témoignage de Notre paternelle bienveillance, Nous vous accordons, de tout coeur, dans le Seigneur, cher fils, ainsi qu'à tous ceux qui répondront avec empressement à Notre appel, et en particulier à la phalange des enfants qui Nous sont si chers, la Bénédiction apostolique.


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX

(17 avril 1940) 1

Recevant les nombreux jeunes couples venus implorer sa bénédiction, le Saint-Père les exhorta à se rendre toujours plus dignes de mériter la quotidienne «• audience de Dieu ».

Il Nous est chaque foi bien doux, chers fils et filles, de voir réunis autour de Nous les jeunes mariés qui viennent demander Notre Bénédiction apostolique ; et c'est toujours avec une émotion douce et vive à la fois que Nous leur accordons cette bénédiction et que Nous admirons la piété filiale avec laquelle ils la reçoivent. Quelques-uns d'entre vous sont Romains ; d'autres arrivent de régions plus ou moins lointaines. Mais cette journée restera, Nous n'en doutons point, à jamais empreinte dans le coeur de chacun d'entre vous comme la journée où vous avez eu l'audience du pape.

Audience du Christ dans la personne du pape.

La vraie et juste cause de votre joie ? C'est que vous voyez dans le pape, quelle que soit sa personne, le représentant de Dieu ici-bas, le Vicaire de Jésus-Christ, le successeur de Pierre, de ce Pierre que Notre-Seigneur a constitué chef visible de son Eglise en lui donnant les clefs du royaume des cieux et le pouvoir de lier et de délier (Mt 16,18-19). Les sens, pour ainsi dire, secondent ici la foi ; ce que vous voyez et entendez affermit en vous ce que vous devez croire. Certes, ce n'est pas Jésus-Christ en personne qui vous apparaît maintenant, tel que le voyaient sur les rives du lac de Tiberiade les foules de Palestine (Jn 6,1-2), ou Marthe et Marie dans leur maison de Béthanie (Jn 11,1). Toutefois vous avez en approchant du pape l'impression d'être reportés vingt siècles plus haut, en présence du divin Nazaréen. Il vous semble percevoir dans la voix du pape celle du Rédempteur, cette parole dont le pape a toujours, été l'écho au fil des siècles. Lorsqu'il lève sur vous sa main bénissante, vous savez que cette pauvre main vous transmet pour ainsi dire l'aide et les faveurs du ciel. Enfin, quand vous sentez le coeur du pape battre auprès du vôtre, vous ne vous trompez point en croyant sentir dans l'attitude, les paroles et les gestes que le Seigneur lui inspire, quelque chose des battements et des émotions intimes du coeur de Jésus ; c'est que le Christ a mis en son Vicaire, lorsqu'il lui a dit : Pais mes agneaux, pais mes brebis (Jn 21,15-17), quelque chose de son amour rédempteur et compatissant pour les âmes.

Rappelez-vous toutefois, chers fils et filles, que vous avez d'autres manières très réelles, bien que moins sensibles, d'être souvent reçus en audience du Dieu puissant et bon dont le pape est ici-bas le représentant.

audience de Dieu dans l'Eucharistie...

La rencontre de Dieu la plus réelle et la plus intime est la sainte communion, par laquelle Jésus lui-même se donne à vous avec son corps, son sang, son âme et sa divinité. Vous avez non seulement le droit, mais le devoir d'aller à cette table divine au moins une fois l'an, au temps pascal. Mais si vous avez un amour vrai pour le très aimable Sauveur, et une foi ferme en sa présence et puissance eucharistiques, si vous voulez consoler son coeur de l'impiété des méchants et de l'indifférence des tièdes, vous vous approcherez de la Table sainte plus souvent, tous les mois, par exemple le premier vendredi, ou tous les dimanches, ou même, si possible, tous les jours.

dans la nature...

Dieu nous offre une autre audience, tous les jours et toutes les heures, dans la nature, dans les êtres qui nous entourent, animés ou inanimés, pourvus ou non de raison. Comment ouvrir les yeux autour de nous sans reconnaître la puissance et la bonté du Créateur ? N'avons-nous pas, au moins une fois ou l'autre, face à la sublimité des montagnes ou à l'immensité de la mer, senti en nous quelques étincelles de la flamme qui brûlait au coeur de saint François d'Assise quand il faisait retentir le Cantique du Soleil dans les campagnes de l'Ombrie ? Dans l'action réciproque des éléments et des forces de la nature : l'eau, l'air, le feu, l'électricité, sou-

mis à des lois si harmonieuses que la science humaine y trouve un de ses guides les plus sûrs, n'avons-nous pas vu le Créateur nous révéler sa sagesse infinie ?

et dans la prière.

Certes, cette conversation avec Dieu dans la contemplation de la nature n'est point à la portée de tous les hommes. Aussi leur a-t-il donné un autre moyen, facile et familier, de présenter à Dieu leurs demandes et d'entendre sa voix. Cette divine audience, où nous sommes invités et admis à chaque instant, où Dieu s'est engagé à ne rien nous refuser de ce que nous lui demanderions avec une intention droite et pieuse (Jn 14,13), c'est la prière.

La prière personnelle et intime, avant tout. Prier, c'est d'abord se recueillir devant le Seigneur. Pour chercher Dieu, pour le trouver, il suffit que vous rentriez en vous-mêmes, le matin, le soir, à n'importe quel moment de la journée. Si vous avez le bonheur de vous trouver en état de grâce, vous verrez des yeux de la foi, dans l'intime de votre âme, Dieu toujours présent comme un Père d'immense bonté, prêt à accueillir vos requêtes et à vous dire ce qu'il attend de vous. Si par malheur vous aviez perdu la grâce, rentrez loyalement en vous-mêmes ; vous trouverez Dieu présent comme un juge, mais un juge miséricordieux et prêt au pardon ; mieux encore : pareil au père de l'enfant prodigue, il ouvrira les bras et le coeur à ceux qui se prosterneront, contrits, avec l'aveu : « Père, j'ai péché contre le ciel et contre vous ! » (Lc 15,20-21). Que d'âmes se sont sauvées de l'obstination dans le péché, de l'endurcissement et de la perdition éternelle en faisant chaque soir un bref examen de conscience ! Et combien doivent leur salut à la prière de chaque jour !

Vous ne goûterez pas toujours seuls ces moments bénis, comme vous n'êtes pas venus l'un sans l'autre à l'audience du pape. Allez aussi, pour ainsi dire en famille, à l'audience du bon Dieu. Rappelez-vous les paroles du Sauveur dans l'Evangile : « Si deux d'entre vous s'accordent sur la terre (et ces deux qui doivent s'accorder, ne sont-ce pas tout particulièrement l'époux et l'épouse que Dieu a unis ?), quelque chose qu'ils demandent, ils l'obtiendront de mon Père qui est dans les cieux. Car là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux » (Mt 18,19-20). Avez-vous bien entendu ? Comme le Vicaire du Christ est au milieu de vous en ce moment, ainsi le Christ, bien qu'invisible, est présent au milieu de vous lorsque vous priez ensemble. Alors même les sens peuvent seconder la foi, et les réalités extérieures accroître la piété intérieure. Futurs pères et mères, bientôt la vue de vos petits anges terrestres agenouillés devant vous avec leurs petites mains jointes et leurs yeux candides attachés à l'image de la Madone, rappellera à votre mémoire le souvenir de votre propre enfance, la joie pure d'un coeur innocent, sa facilité à converser avec Dieu. Epoux chrétiens, prosternés devant la majesté divine côte à côte et au milieu de vos enfants, vous prononcerez avec une confiance accrue la supplication : « Notre Père... donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien pour toute cette famille que nous vous présentons, témoignage vivant de notre fidélité à vos lois. » Vous direz également, même si votre voix devait trembler : « Père, pardonnez-nous nos offenses, comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés, comme nous nous pardonnons réciproquement nos manques d'égards. » A vous enfin, chefs de famille, la vue de votre épouse qui, au soir d'une journée de travail courageux, réunit avec empressement les précieux gages de votre mutuel amour et confie leur sommeil à leurs célestes gardiens, cette vue rappellera que du haut du ciel regarde une Mère infiniment tendre, prête à secourir ses enfants, spécialement au soir de cette rapide journée qu'est la vie, et vous direz alors avec un sentiment de douce espérance : « Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort. » Et ainsi vous vous endormirez plus tranquilles.

Voilà, chers fils et filles, voilà quelques-uns des fruits spirituels que peut vous procurer l'audience familière et quotidienne de Dieu. Songez aux soucis qui oppressent aujourd'hui le coeur du pape et donnez à votre prière un accent vraiment catholique : priez avec l'Eglise et pour l'Eglise. Priez pour que tous les hommes écoutent avec docilité Nos appels angoissés, les ardentes exhortations de Notre amour paternel ; qu'ils se souviennent qu'ils sont tous enfants de Dieu et retrouvent par là le sentiment de la fraternité universelle, fondement de la concorde des peuples et de la paix si ardemment désirée.

ALLOCUTION A UN PÈLERINAGE DE GÊNES POUR LE 450e ANNIVERSAIRE DE LAPPARITION DE NOTRE-DAME DE LA GARDE

(21 avril 1940)1

Après l'hommage filial de dévotion qui lui fut rendu par le pèlerinage des catholiques de Gênes, conduits par leur archevêque, S. Em. le cardinal Pietro Boetto, le Saint-Père leur a adressé les paroles suivantes :

Cette vivante couronne de pèlerins génois conduits par leur zélé pasteur et leur interprète autorise, le cardinal Boetto, qui Nous est très cher, représente à Nos yeux, chers fils, l'arc verdoyant de votre Riviera et rappelle à Notre coeur le jour proche où, dans le port de votre très noble capitale, salué par votre archevêque regretté, le cardinal Minoretti, Nous montâmes sur le superbe navire qui devait Nous emporter, comme légat pontifical, au Congrès eucharistique international qui se tenait dans la capitale de l'Argentine.

Nous revoyons en vous vos collines et vos montagnes ; Nous revoyons le Figogna avec la tour de la Madone de la Guardia surgissant sur ce sommet pour saluer, tel un phare de foi, d'espérance et d'amour, l'autre phare du port, lumière pour les navigateurs dans les calmes et les bourrasques de la mer, images de l'inquiète vie humaine. Nous avons besoin de deux phares, de deux étoiles dans notre obscur chemin ici-bas : de l'étoile divine de Jésus Notre-Seigneur qui dit de lui ; Ego sum radix et genus David, stella splendida et matutina (Ap 22,16) et de l'étoile de Marie, Maris stella, étoile de la mer. Jésus est une étoile splendide et matinale qui, dans les ténèbres (Mt 27,45) de ses suprêmes douleurs, fit de la croix du Golgotha le phare du salut de l'homme, illuminant tout autre phare et étendant sa lumière au-delà des limites de la terre. Au pied de cette croix, resplendit l'étoile de Marie, Mère du Crucifié et notre Mère, phare de miséricorde, notre vie, notre douceur et notre espérance. Chers fils, tenez fixé votre regard sur ces deux étoiles, sur ces deux phares. Dans les vagues tempétueuses de votre voyage et de votre journée, regardez Jésus, regardez Marie avec les yeux de cette foi qui vainc le monde, qui animait vos pères et vos ancêtres, alors qu'il y a quatre siècles et demi ils fléchirent pour la première fois sur le mont Figogna le genou devant la Vierge de la Guardia et son divin Fils, et, il y a cinquante ans, leur renouvelèrent avec la générosité d'un amour dévoué le somptueux hommage d'une église qui, surmontant la modestie de l'ancienne, témoigne qu'en vous et dans le peuple génois la piété reconnaissante et fidèle des aïeux, loin de diminuer et de décroître, est allée toujours grandissante et s'est faite plus ardente et plus profonde.

Jésus et Marie ne sont-ils pas les deux sublimes amours du peuple chrétien ? Ne sont-ils pas le nouvel Adam et la nouvelle Eve que l'arbre de la croix réunit dans la douleur et dans l'amour pour réparer la faute de nos parents dans l'Eden, l'un source, l'autre canal de grâce pour nous régénérer à la vie spirituelle et à la reconquête de la patrie céleste.

La dévotion des Génois à Notre-Dame de la Garde.

L'hommage et la louange que vous rendez à Marie en fêtant la bienveillante apparition qu'elle a faite sur le mont Figogna, et la reconstruction de son église, sont une louange et un hommage rendus au Christ. Les deux anniversaires que vous célébrez solennellement s'unissent en un même chant de foi, de confiance et d'affection qui franchit la cime du mont et monte à Dieu avec l'écho des vallées voisines et lointaines, répondent à la Riviera et aux collines qui chantent des hymnes avec vous, applaudissent et s'associent à vos choeurs et à votre joie. Dans le triomphe de Marie, triomphent avec vous la Ligurie et l'Italie, l'Italie chérie par la Vierge Mère qui, par les visions de sa bienveillance maternelle et par les miracles de sa miséricorde, a rendu sacrées ses plaines, ses vallées et ses montagnes et, parmi les mille beaux noms que lui donne et lui conserve la langue italienne, s'honore et s'exalte du titre puissant de Notre-Dame de la Garde en face de votre Gênes, heureuse et fière d'être sous son aimable tutelle. Le val Polcevera est la vallée de Marie. Sur ses flancs et sur ses pentes, au tournant de cette année d'heureux souvenirs, qui peut dire combien de troupes et de groupes de peuples

pieux se sont dévoués pour ouvrir chemins et sentiers afin de monter à la basilique de Marie, qui sur l'Apennin ligure veille sur le majestueux golfe de Ligurie ? Garçons et fillettes y apporteront les fleurs des champs cueillies sur les bords des sentiers ou dans les potagers et jardins domestiques, symboles des roses et des lis de leurs coeurs innocents. Jeunes gens et hommes au pied assuré y monteront, avec leurs espérances et leurs graves pensées tournées vers le présent et l'avenir. Le bâton de pèlerin soutiendra pour la montée la marche incertaine des vieillards, se souvenant de l'ancienne église, avides de contempler la nouvelle, plus resplendissante et plus belle, pour lui adresser au soir de leur vie un salut et une prière. Y monteront aussi à vos côtés, avec leurs croix et leurs bannières, en chantant les louanges de Marie, les populations fidèles conduites par leurs pasteurs, venues des petits villages et des bourgs pour s'acquitter aux pieds de la Reine du ciel d'un voeu ou d'une promesse, pour lui manifester leur reconnaissance et leur filiale affection et en invoquer la perpétuelle protection. Leurs chants et leurs hymnes résonneront à travers le val Polcevera et éveilleront les échos des chants de leurs ancêtres qui reposent en paix à l'ombre de la petite chapelle et des croix du cimetière vénéré. C'est la piété qui passe des pères et des mères dans les enfants et qui sanctifie le lit nuptial, la famille, la terre natale, le val Polcevera et le mont de Marie.

C'est ce mont que regardaient autrefois en entrant dans le port les capitaines des galères de votre sérénissime et glorieuse République. Les vaisseaux des marchands génois et ceux d'Espagne et de France saluaient avec des salves d'artillerie l'étoile de la mer, Marie, qui les avait conduits sains et saufs jusqu'au port, en les préservant des dangers, des tempêtes et des corsaires. Capitaines et soldats de terre et de mer rivalisaient avec les confréries pour s'avancer sous la bannière de la Madone de la Guardia ; trirèmes et cimbes se glorifiaient de porter son titre. Mais en pénétrant plus avant dans le temps et dans l'espace, vous voyez, deux ans après l'apparition de la bienheureuse Vierge sur le mont Figogna, dans les flots, les bourrasques et les typhons de l'Atlantique, un navire audacieux, le Santa Maria, navire capitaine escorté de deux plus petits, s'avancer vers un monde inconnu rêvé et deviné, sous la conduite d'un grand homme qui, débarqué sur les rivages de ce nouveau continent, y plantait la croix du Golgotha et pieusement aplanissait les routes aux miracles, aux temples et aux gloires futures du Christ et de sa Vierge Mère. Saluez, ô Génois, dans Christophe Colomb non seulement le hardi navigateur qui vainquit les contradictions des savants et les tempetes de la mer, mais le dévot de Marie qui, son rêve dans le coeur, invoque l'aide de la céleste Reine et s'en va errant sur les flots de la Méditerranée jusqu'à ce qu'il trouve une carène au nom de Marie, y monte, prend congé de l'Europe incrédule et stupide et s'aventure sur l'Océan redouté à la recherche d'un rivage où poser le genou devant le Christ dompteur des tempêtes et de Marie étoile de la mer 2.

Les lauriers de la foi et de la religion grandissent les héros de la mer et de la terre ; et les hommages anciens et récents rendus à la Reine céleste du val Polcevera trois fois couronnée dans sa statue au cours des siècles, vénérée dans plusieurs pays, honorée par une confrérie dévote ressuscitée, exaltée par les bannières de mille processions, ne sont-ils pas l'éloge et la louange de la piété et de la dévotion génoise ? Ne manifestent-ils pas votre gratitude et votre reconnaissance pour les faveurs et la protection obtenues de la bienveillance de Marie, non seulement dans les événements douleureux, dans les maux et les malheurs de la vie, mais encore dans les périls, les craintes et les épreuves dont les conflits et les guerres troublèrent aussi la tranquillité du val Polcevera et de Gênes ?

La tendre bonté de Marie mérite bien la reconnaissance des Génois.

Marie, qui règne dans les cieux « plus humble et plus haute que la créature » à qui auprès de son trône Dieu a donné la garde des trésors de sa grâce multiforme, en est aussi le ministre et la dispensatrice généreuse, qui ne distingue pas les demeures seigneuriales et les palais princiers des humbles masures, et ne nourrit d'autre prédilection que pour les pauvres et les miséreux, les souffrants et les malheureux, pour toutes les âmes qui dans cette vallée de larmes y versent aussi les leurs, les âmes que le malheur abat, que la faute et le remords humilient, que la prière réconforte, que la pénitence régénère, que la grâce fait fils de Marie, images de son divin Fils. Si dans son humilité de Servante du Seigneur toutes les générations l'appellent et l'appelleront bienheureuse, la louange de notre époque s'ajoute aussi aux cantiques du passé et du futur ; elle exalte en Marie le coeur de Mère se sublimant dans le céleste enfant qu'elle porte dans ses bras et serre sur son sein, délice de son coeur et de l'univers, et dont le baiser attise cette flamme d'amour qui la fait Mère de miséricorde et de magnanime clémence à l'égard de tous les fils d'Adam.

De cette miséricordieuse clémence de Marie, vous avez mille fois goûté les fruits à ses pieds sur le sommet du Figogna et dans le chemin de votre vie. De cette montagne vous êtes descendus et avec vous votre eminent et très zélé pasteur qui a si éloquemment évoqué les glorieux souvenirs de votre fidélité au Siège apostolique ; vous vous êtes acheminés vers la Ville éternelle pour réunir dans les palpitations de votre coeur l'amour de Marie et l'amour du Christ en vénérant dans son tombeau le Prince des apôtres placé par le Christ comme pierre fondamentale de son Eglise. Exaltée au-dessus de Pierre, vicaire du Christ sur terre, la Mère de Jésus Notre-Seigneur a en commun avec Pierre, dans un mode tout à fait particulier, une dignité, une autorité, un magistère qui associe cette Reine au collège des apôtres. C'est à elle, qui aimait le Christ plus que Pierre, que Jésus, sous la croix rédemptrice du monde, confia, dans la personne de Jean, ses fils tous les hommes, brebis et agneaux d'un troupeau rassemblé et dispersé, la constituant ainsi divine Pastoresse et Mère commune et universelle des croyants, et l'assimilant à Pierre qui en est le Père commun et universel et le Pasteur terrestre. Elle, l'auguste souveraine de l'Eglise militante, souffrante et triomphante ; elle, la reine des saints ; elle, la maîtresse de toute vertu : de l'amour, de la crainte, de la science et de la sainte espérance. Par elle a germé la blanche rose du paradis ; par elle a commencé l'ère nouvelle de l'humanité qui vient en fleurissant le jardin de l'Eglise de lis, de violettes et de corolles aux plus doux et admirables parfums. Si Pierre a les clefs du ciel, Marie possède les clefs du coeur de Dieu ; si Pierre lie et délie, Marie aussi lie avec les chaînes de l'amour et elle délie avec l'art du pardon. Si Pierre est le gardien et le ministre de l'indulgence, Marie est la trésorière libérale et sage des divines faveurs et « qui veut la grâce et ne recourt pas à elle est comme s'il voulait voler sans ailes ».

C'est une abondance de grâces choisies que vous avez reçues, Génois, des mains de Marie ; la fleur de votre reconnaissance est constituée par les fêtes du souvenir et du centenaire de son apparition parmi vous et le renouvellement de l'attestation de votre hommage filial, alors que vous célébrez en même temps, après dix lustres, l'inauguration d'une basilique plus insigne qui lui est dédiée. Sur ordre de Marie, Notre-Dame de la Garde, vous êtes venus dans la Ville éternelle, vous vous êtes rassemblés autour de Nous, afin que Nous aussi Nous participions à votre joie et que le Vicaire du Christ joigne à la vôtre sa gratitude à l'égard de Marie, protectrice

si puissante et si généreuse de tout le peuple chrétien qui lui est confié. Marie est aussi la sauvegarde de la Ville éternelle ; et si la colline du Capitole s'élève moins haute que votre Figogna, elle n'échappe pas au regard et à la garde de Marie, qui du ciel embrasse l'univers et sur la rive du Tibre contemple le centre et la métropole du saint Empire du Christ, qui est aussi le sien, où Pierre l'invoque comme la gardienne et la défenderesse des brebis et des agneaux de l'immense troupeau du Christ.

Notre louange et Notre prière à Marie s'élèvent, chers fils, avec la vôtre, à cette heure où à la joie se mêlent la tristesse et la crainte. C'est l'heure de la puissance, de la miséricorde et de la garde de Marie ; de celle qui, belle, douce et splendide, sait être terrible comme une armée rangée en bataille (Ct 6,3), et parmi ses noms conserve aussi celui de Notre-Dame des victoires bien connues de Lépante et de Vienne. En elle est Notre espérance ; en elle est Notre paix. Un orage passe sur le monde, teinté de colère et de couleurs de mort ; Dieu pèse dans les balances de sa justice les puissances et les nations ; mais la protection et la pieuse intercession de la Reine de la paix et de la miséricorde peuvent avoir une telle force sur le coeur de Dieu pour infléchir le cours de l'ouragan, pour en disperser les nuages, pour nous tirer des difficultés en changeant le coeur des hommes, en calmant les haines et les rancunes, en faisant apparaître l'aurore de la paix.

Vous retournerez, chers fils, dans votre glorieuse cité ; vous monterez à nouveau sur le mont consacré à Marie, votre céleste gardienne. Notre pensée, Notre regard, Notre esprit vous accom-gnent avec Nos désirs. Prosternez-vous devant son autel de grâces et de faveurs, si proche du ciel. Invoquez, suppliez Marie qui garde du mal et confirme dans le bien les enfants et les jeunes gens, espérances de la patrie et de l'Eglise ; qui garde et sanctifie les familles ; qui illumine celui qui gouverne les peuples ; qui préserve de toute douleur et calamité vos monts et vos vallées, votre Riviera, votre ville, toutes les terres d'Italie et le monde entier. Que par vos prières et celles de vos enfants qui s'agenouilleront avec vous aux pieds de Marie, par Nos prières qui seront compagnes des vôtres et par celles de millions d'âmes, elle obtienne de Dieu, qui domine les vents et les tempêtes des océans, qu'il calme aussi les tempêtes des coeurs humains en lutte et « nous donne la paix en notre temps » ; cette paix qui invite et appelle la lumière et les ténèbres, les éclairs et les nuées, le ciel et les vents, la terre et les montagnes, les mers et les fleuves, à bénir et remercier le Seigneur après le passage de la tempête.


HOMÉLIE LORS DE LA CANONISATION DES SAINTES GEMMA GALGANI ET MARIE EUPHRASIE PELLETIER

(2 mai 1940) 1

Le 2 mai, fête de l'Ascension, Pie XII éleva au suprême honneur des autels les saintes Gemma Galgani et Marie Euphrasie Pelletier, et prononça à la gloire de ces deux saintes l'homélie suivante :

Les leçons de la fête de l'Ascension.

Parmi les nombreuses et pénibles difficultés qui nous étreignent de toutes parts, la célébration de la fête d'aujourd'hui remplit Notre âme et la vôtre d'un réconfort qui descend d'en-haut en avivant et dilatant notre commune espérance de réaliser les éternelles destinées. De fait, pour reprendre le mot de Notre prédécesseur Léon le Grand : « L'Ascension du Christ est cause de notre élévation, et là où, en nous précédant, est monté le Chef glorieux, ses membres ont aussi l'espoir de monter eux-mêmes... Non seulement, nous nous trouvons aujourd'hui confirmés dans la possession du paradis, mais par et avec le Christ nous avons même pénétré dans la royale et supérieure demeure du ciel, obtenant, par la grâce ineffable du Christ, bien plus que ce que nous avions perdu par l'envie du démon. En effet, ceux que l'ennemi, avec ses procédés empoisonnés, avait chassés du premier séjour de bonheur, le Fils de Dieu, après se les être corporellement attachés, les a placés à la droite du Père » 2.

Mais vous savez bien que pour entrer dans cette éternelle gloire, que nous a acquise le divin Rédempteur, il est absolument néces-

1 D'après le texte latin des A. A. S., 32, 1940, p. 171 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. II, p. 80.

2 Sermo LXXIII, de Ascens. Dom., 1, n. 4 ; Migne, P. ., 54, 396 B.

saire que, dans le temps que nous vivons sur la terre, nous marchions sur ses traces sacrées. La palme de la victoire se nourrit par les vertus chrétiennes, et, comme nous enseigne l'apôtre Paul, personne « ne sera couronné, s'il n'a légitimement combattu » (2Tm 2,5).

Que si, parfois, le chemin qui conduit au ciel nous semble âpre et étroit, et si, regardant la hauteur du but notre esprit et nos forces semblent défaillir, rappelons-nous, Vénérables Frères et chers fils, que jamais ne sont refusés les divins secours à qui les implore avec humilité et confiance. Tournons aussi les yeux de notre âme vers ceux qui, avant d'être en possession de la félicité éternelle dont ils jouissent, affrontèrent, dans l'arène de la vie mortelle, de nombreuses luttes et difficultés victorieusement surmontées avec l'aide de la grâce divine.

L'exemple de deux saintes.

A notre considération et imitation se présentent aujourd'hui deux habitantes du ciel, que Nous venons, avec grande joie, dans la majesté de cette basilique vaticane, d'honorer des lauriers de la sainteté : Marie de Sainte-Euphrasie Pelletier et Gemma Galgani. Toutes deux brillèrent de la suave et éternelle vertu de virginité, « qui fait des mortels les émules des anges » 3, et qui s'impose tellement aux âmes de tous, même des mauvais, qu'elle semble les éperon-ner, les élever et, en quelque manière, les ravir dans les régions du monde surnaturel. Toutes deux brûlèrent du divin amour au point de s'offrir non seulement en victimes d'expiation à l'Eternel pour tant et de si graves péchés des hommes, mais cherchèrent aussi à communiquer à tous ceux qu'elles pouvaient la flamme sacrée dont elles étaient embrasées. Et, tandis que tout au long de leur vie, elles protégaient soigneusement ces ornements de leur âme avec les épines de la pénitence, elles ne cessèrent non plus jamais de revigorer leur vertu par une instante application à la prière.

Sainte Marie Euphrasie Pelletier.

Si ensuite nous désirons examiner et nous proposer d'imiter quelque vertu particulière qui soit la caractéristique propre de la sainteté de chacune de ces deux vierges, dans la première — c'est-à-dire en Marie de Sainte Euphrasie Pelletier — il nous est donné d'admirer la force d'âme et la magnanimité chrétiennes, qui lui permirent au milieu des très graves troubles de sa patrie, de vaincre toutes les difficultés et d'accomplir de très nobles actions pour la gloire de Dieu et le salut des âmes.

Une d'entre elles est digne d'une mention spéciale : voyant avec une peine profonde d'innombrables jeunes filles s'égarer malheureusement par les chemins perdus du vice, la sainte voulut, dans un élan de généreuse bonté, leur ouvrir un refuge pour leur vertu et un asile pour leur pénitence, où elles pussent, non seulement se réhabiliter moralement, mais même, si elles le veulent, parcourir la voie de la perfection évangélique. A considérer attentivement toutes ces oeuvres accomplies par une femme presque privée de tout secours humain on peut constater que la naturelle grandeur d'âme, mise au service non de calculs terrestres mais d'intérêts supérieurs, multiplie immensément ses capacités et peut tout accomplir, si elle s'appuie sur le secours de Dieu.

Sainte Gemma Galgani.

L'autre, Gemma Galgani, dont le nom est un augure, est appelée avec raison « fleur de la Passion » du Christ, sa vie entière fut « cachée avec le Christ en Dieu » (Col 3,3). Elle était si enflammmée d'amour pour le divin Rédempteur crucifié qu'elle n'avait rien de plus cher, rien de plus doux, que de méditer, loin des bruits du monde, les plaies sacrées de Jésus-Christ ; elle se pénétrait tellement des douleurs cruelles du Sauveur, qu'elle expérimentait en elle-même ce que l'Apôtre des gentils disait de lui : « Je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi » (Gai, 2, 20).

Celui qui « exalte ceux qui se sont abaissés » (Jb 5,11) accorda à la vierge de Lucques des dons et des charismes admirables : en particulier, quiconque contemplait son visage et ses yeux, purs reflets vivants de son âme innocente, était suavement détourné et détaché des choses terrestres et comme ravi vers les divines. Et il n'était pas rare que des hommes de moeurs perverties, frappés à sa vue d'un éclair soudain de grâce divine, se sentissent stimulés à pratiquer les vertus chrétiennes.

Exemples pour notre monde.

Combien notre époque est éloignée de la vie resplendissante de sainteté de ces deux vierges ! Il y a tant d'hommes aujourd'hui qui cherchent, non pas les joies éternelles, mais les terrestres, et tant d'hommes qui ne se soucient pas de racheter leurs fautes par la pénitence et le travail pieusement accompli et qui cherchent avec une ardeur croissante à satisfaire leurs passions déréglées et leurs désirs coupables, dans lesquels ils s'enlisent souvent, oublieux de leur patrie éternelle. Par convoitise immodérée de grandeur humaine et d'accroissement de puissance et par le rejet de la loi de Dieu, il arrive parfois même que, dans les rapports sociaux, on méprise, par un aveuglement de l'esprit, les raisons de la vérité et les règles de la charité, on brise les liens qui unissent les peuples entre eux, on renverse les barrières de la justice.

La conséquence de tout cela, vous le savez, est la guerre qui, depuis huit mois, fait couler le sang fraternel entre des hommes qui Nous sont très chers, la guerre qui a déjà détruit d'immenses richesses, qui a mis à feu et à sang tant de régions et par qui des citoyens forcés à l'exil pleurent sur leur patrie lointaine, des enfants innocents ont perdu leurs parents, des pères et des mères versent des larmes sur leurs enfants ravis par la mort.

En quittant des spectacles si terrifiants, Nos yeux se tournent vers le ciel et, pendant que Nous vénérons solennellement notre Sauveur monté là-haut, désireux de suivre ses traces, Nous supplions ces vierges qui jouissent déjà de sa gloire de vouloir tourner leurs regards vers nous et d'intercéder afin que, par la grâce divine, nous puissions atteindre notre patrie éternelle vers laquelle nous devons tendre par un redoublement progressif de vertu. Qu'il leur plaise en outre d'obtenir de Dieu que toutes les nations et les peuples, se souvenant de leur origine commune et du Père et Créateur commun, actuellement séparés par des rivalités, secoués par la haine, et luttant avec acharnement pour la suprématie, rétablissent entre eux l'unité, la concorde et la paix. Ainsi soit-il.


Pie XII 1940 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX ET A UN PÈLERINAGE DE PÉROUSE