Pie XII 1940 - MESSAGES AUX SOUVERAINS DE BELGIQUE, DE HOLLANDE ET DE LUXEMBOURG (10 mai 1940)

MESSAGES AUX SOUVERAINS DE BELGIQUE, DE HOLLANDE ET DE LUXEMBOURG (10 mai 1940)

1

Dans la soirée du 10 mai, aussitôt après la nouvelle de l'attaque par l'Allemagne de la Belgique, de la Hollande et du Grand-Duché de Luxembourg, le Saint-Père a adressé les messages suivants aux souverains de ces pays, respectivement S. M. le roi Léopold III 2, S. M. la reine Wilhelmme et S. A. R. la grande-duchesse Charlotte :

1 D'après les textes français de L'Osservatore Romano, du 12 mai 1940.
2 Le même jour, S. M. le roi Léopold de Belgique avait adressé au Saint-Père ce message, parvenu au Vatican dans la matinée du 11 mai :
« Au mépris d'engagements formels et répétés de respecter la neutralité belge, malgré notre attitude d'une loyauté absolue, l'Allemagne vient d'attaquer brutalement la Belgique sans préavis. Mon pays respectueux de son honneur et fidèle à sa parole se défend de toutes ses forces. Je me permets d'intervenir auprès de Votre Sainteté, Chef de la catholicité, pour qu'Elle soutienne de Sa haute autorité morale la cause pour laquelle nous nous battrons avec une invincible volonté.
Léopold. »

Sa Majesté le Roi des Belges, Bruxelles

Au moment où, pour la seconde fois, contre sa volonté et son droit, le peuple belge voit son territoire exposé aux cruautés de la guerre, profondément ému Nous envoyons à Votre Majesté et à toute cette nation si aimée l'assurance de Notre paternelle affection ; et en priant le Dieu tout-puissant pour que cette dure épreuve s'achève par le rétablissement de la pleine liberté et de l'indépendance de la Belgique, Nous accordons de tout coeur à Votre Majesté et à son peuple Notre Bénédiction apostolique.

Sa Majesté la Reine des Pays-Bas, La Haye

Apprenant avec une vive émotion que les efforts de Votre Majesté pour la paix n'ont pu préserver son noble peuple de devenir, -175 - contrairement à sa volonté et à son droit, le théâtre d'une guerre, Nous supplions Dieu, arbitre suprême des destinées des nations, de hâter par son tout-puissant secours le rétablissement de la justice et de la liberté.

Son Altesse Royale la Grande-Duchesse de Luxembourg En ce moment douloureux où le peuple du Luxembourg, malgré son amour de la paix, se trouve enveloppé dans la tourmente de la guerre, Nous Nous sentons plus proche de lui par le coeur, et en implorant de sa céleste patronne aide et protection, pour qu'il puisse vivre dans la liberté et l'indépendance, Nous accordons à Votre Altesse Royale et à ses fidèles sujets Notre Bénédiction apostolique.


BREF APOSTOLIQUE ACCORDANT A LA YOUGOSLAVIE UN JUBILÉ EXTRAORDINAIRE

(12 mai 1940) 1

Pour marquer le XIIIe centenaire du commencement des relations du peuple croate avec le Saint-Siège, Pie XII a daigné accorder, par ce bref apostolique, un jublilé extraordinaire à la Yougoslavie toute entière.

Nous avons appris par Notre Vénérable Frère l'archevêque de Zagreb que devait se célébrer cette année avec une particulière solennité le treizième centenaire du début des relations du peuple croate avec le Saint-Siège. Pour cette raison le même prélat, au nom aussi des autres évêques de Yougoslavie, Nous a prié de daigner leur accorder à cette occasion l'indulgence d'un jubilé. Pour ce motif, afin que les fidèles de cette nation en obtiennent un plus précieux soutien pour pratiquer la vertu et la piété, surtout dans les très dures difficultés de ces temps, Nous estimons devoir répondre avec bienveillance à cette demande. C'est pourquoi, ayant entendu Notre cher fils le cardinal Grand Pénitencier de la sainte Eglise romaine, mettant Notre confiance en la miséricorde du Dieu tout-puissant et en l'autorité des bienheureux apôtres Pierre et Paul, selon les teneurs des présentes lettres, Nous concédons et accordons une indulgence plénière pour toute peine qu'ils ont à subir pour leurs péchés, à gagner cependant une seule fois, à tous et chacun des fidèles des deux sexes vraiment contrits ayant reçu la confession et fait la communion qui, dès le 29 juin de la présente année au 29 juin 1941, auront fait deux visites dans une église cathédrale ou paroissiale de leur pays en y récitant dévotement cinq Pater, Ave et Gloria en l'honneur du sacrement de l'Eucharistie, trois Ave Maria en l'honneur de la Vierge Marie Mère de Dieu et enfin un Pater, Ave et Gloria à Nos intentions. Nous permettons que les fidèles sortis du lieu saint après la première visite puissent immédiatement y rentrer pour accomplir la seconde. Mais pour mieux pourvoir à l'avantage des fidèles de la nation yougoslave qui se trouvent dans des conditions particulières de choses et de lieux, Nous statuons ce qui suit :

1. S'il en est qui sont empêchés d'accomplir les visites prescrites, les Ordinaires des diocèses de Yougoslavie pourront, par eux ou par des ecclésiastiques délégués, commuer ces visites en d'autres exercices de piété selon la condition de chacun. Sont à considérer comme empêchées les moniales, les religieuses, les tertiaires régulières, les pieuses femmes, les jeunes filles et autres personnes demeurant dans des instituts féminins ou des conservatoires ; de même sont considérés comme empêchés les anachorètes appartenant à un ordre monastique ou régulier adonnés à la contemplation plutôt qu'à l'action, comme les Cisterciens réformés de la Trappe, les Ermites camaldules et les Chartreux ; en outre, les prisonniers ou les détenus en prison, les ecclésiastiques ou les religieux détenus dans des couvents ou autres maisons pour leur amendement. Sont aussi à considérer comme empêchés ceux qui, soit chez eux, soit dans les hôpitaux, souffrent de maladie ou de santé débile ou qui assistent les malades, et d'une façon générale tous ceux qui par un empêchement certain sont empêchés de remplir les visites prescrites ; et, pour le même juste motif, les ouvriers qui, travaillant pour leur pain quotidien, ne peuvent disposer d'heures libres, et les vieillards qui ont dépassé la 70e année.

2. En outre, les Ordinaires des diocèses de Yougoslavie sont autorisés à commuer, même par des délégués, les visites prescrites pour les collèges de clercs ou de religieux reconnus par l'autorité ecclésiastique, pour les jeunes gens qui vivent dans ces collèges ou qui les fréquentent quotidiennement ou à des jours déterminés dans un but de formation ou d'éducation. Mais les Ordinaires des diocèses de Yougoslavie ou leurs délégués ne pourront exempter personne de l'obligation de la confession sacramentellle et de la sainte communion, à moins de grave maladie empêchant l'une et l'autre.

Et, pour que soit d'autant plus grand le nombre des fidèles qui puissent jouir de ce grand bienfait du jubilé, Nous accordons à tous les confesseurs de cette nation approuvés selon les dispositions du droit, le pouvoir d'absoudre, par eux-mêmes seulement, au for de la conscience et dans l'acte de la confession sacramentelle, tous les pénitents bien disposés de toutes censures et cas réservés au Siège

apostolique en imposant à chacun, à leur jugement, une pénitence salutaire et autres dispositions à leur imposer de droit.

Sont exceptés de ces très larges facultés les cas de violation du secret du Saint-Office et les cas réservés très spécialement au Siège apostolique, ainsi que les cas auxquels se rapporte le décret de la Sacrée Pénitencerie donné le 17 avril 1936 Lex Sacris coelibatus. Les fidèles cependant, frappés nommément de quelque censure ou bien dénoncés comme tels publiquement, ne pourront jouir de cette faveur aussi longtemps qu'ils n'auront pas satisfait aux prescriptions du droit aussi au for externe. Si cependant, ils ont reconnu leur faute au for interne, et s'ils se sont montrés bien disposés, ils pourront être absous, tout scandale écarté, dans le seul but de pouvoir gagner l'indulgence plénière concédées par les présentes lettres, avec l'obligation de se soumettre au plus tôt au for externe aux termes du droit, nonobstant toutes choses contraires.

Enfin, Nous voulons que la même foi soit accordée aux exemplaires imprimés des présentes lettres, souscrits de la main d'un notaire public et portant le sceau d'une personne constituée en diginité ou fonction ecclésiastiques, qu'aux présentes lettres si elles étaient présentées ou montrées.


ALLOCUTION A L'OCCASION DE LA BÉATIFICATION DE LA VÉNÉRABLE PHILIPPINE DUCHESNE

(15 mai 1940) !

Le mercredi 15 mai, le Souverain Pontife reçut les nombreuses délégations de religieuses et élèves des Instituts du Sacré-Coeur, venues à Rome pour la béatification de la Rév. Mère Duchesne. A la même audience participaient quelques dames patronnesses pour l'assistance spirituelle aux forces armées d'Italie. A cette occasion, Sa Sainteté prononça cette allocution :

Le titre d'« enfants du Sacré-Coeur », qui vous a rassemblées à Rome pour glorifier une « religieuse du Sacré-Coeur » aurait, en des temps plus calmes, groupé autour de vous une multitude vraiment internationale. Les dures nécessités de l'heure, en tenant dispersées à travers le monde les soeurs et les clientes de la nouvelle bienheureuse, offrent du moins l'image sensible de l'universalité de son zèle universel. Car Philippine Duchesne brûla d'un zèle universel dont elle trouva dans le Sacré-Coeur et la source première et le principal moyen d'action.

Le zèle à l'exemple du Sacré-Coeur.

Le zèle, c'est la volonté ardente de faire régner Dieu partout, l'adhésion active de la créature à la volonté essentielle du Créateur, qui ne peut avoir d'autre but que lui-même : Universa propter semetipsum operatus est Dominus (Pr 16,4). Le Verbe divin, quand il prit une chair semblable à la nôtre, ressentit et concentra, comme chacun de nous, dans son coeur, avec les palpitations de sa vie physique, le contre-coup de ces mouvements que l'âme éprouve : attraits et répulsions, d'où naissent trop spontanément, chez le commun des hommes, les vouloirs déréglés ; mais qui chez lui, toujours soumis à l'âme et ordonnés en une harmonieuse concordance avec le Vouloir divin, devenaient le moteur et l'aliment même de sa vie morale : Meus cibus est, ut faciam voluntatem eius qui misit me (Jn 4,34). De ce mouvement intérieur jaillissait, comme un retour de flamme, ce souhait brûlant : Pater, adveniat regnum tuum, fiat voluntas tua ! Aussi appelle-t-on à bon droit le Sacré-Coeur de Jésus une fournaise d'amour : Cor Iesu, fornax ardens caritatis !2 Or, qui s'approche d'une fournaise s'embrase ; qui s'y plonge est consummé ; car « le feu ne dit jamais : c'est assez » (Pr 30,16). Entrer dans le Sacré-Coeur, c'est se livrer comme une proie volontaire aux flammes du zèle.

L'expansion de la dévotion au Sacré-Coeur.

En fait, il n'est pas téméraire de voir un lien entre l'admirable élan missionnaire qui caractérise les deux derniers siècles, et l'expansion de la dévotion au Sacré-Coeur. Alors que le siècle de Voltaire s'achevait dans la boue et le sang, lorsque la tempête révolutionnaire chassait de France des milliers de prêtres, quelques-uns de ceux-ci allèrent en Amérique ouvrir des sillons, où beaucoup d'autres après eux, et aussi des religieuses comme Madame Duchesne, viendraient semer l'Evangile. Peu d'années auparavant, le conciliabule de Pistoie avait tourné contre la dévotion au Sacré-Coeur le sacrilège effort de ses condamnations doctrinales ; or, voici que cette dévotion devenait irrésistiblement universelle ; et le zèle qu'elle allumait dans les âmes emportait par légions au-delà des mers les ouvriers et ouvrières de l'apostolat. C'est alors qu'auprès des anciens ordres renaissants — la Compagnie de Jésus, entre autres, les disciples de saint Jean Eudes, les Filles de saint François de Sales et de sainte Jeanne-Françoise de Chantai — on vit éclore un essaim de jeunes congrégations qui, presque toutes, à l'antique et rigoureuse pratique des conseils évangéliques, ajoutaient deux notes nouvelles : la dévotion au Sacré-Coeur et le zèle missionnaire.

L'exemple et la vie de la Mère Duchesne.

Parmi ces instituts, celui que venait de susciter sainte Madeleine Sophie Barat naissait à peine quand, en 1804, Philippine Duchesne, préparée à la vie religieuse par son noviciat à la Visitation, mûrie ensuite par la dure épreuve de la Terreur, fut mise en rapports avec la sainte fondatrice, de dix ans plus jeune qu'elle. Durant les trente-cinq années de sa vie ballottée par tant d'orages, elle s'était sentie sollicitée tour à tour par la vie monastique, l'enseignement, le travail apostolique ; c'est ce dernier attrait qui allait l'emporter, préparant pour l'éternité les plus beaux rayons de son auréole. Elle en attribuait la faveur décisive au Sacré-Coeur : « Dieu, écrivait-elle, ne fait ordinairement dans l'existence de chacun qu'une seule grâce distinguée. Cette grâce a été pour moi mon retour à Sainte-Marie (l'ancienne maison visitandine, où elle avait suivi les traces de Marguerite-Marie) et mon union avec la Société du Sacré-Coeur ».

Dès lors, rien ne lui tiendra plus à coeur que le départ pour les missions. Depuis surtout que, le jour de l'Epiphanie 1806, en entendant le moine-apôtre Dom de Lestrange parler de l'Amérique à la petite communauté de Sainte-Marie ; puis le Jeudi saint, en passant la nuit à prier devant le Saint Sacrement, elle aura compris dans une sorte d'extase que Dieu l'appelait à l'oeuvre missionnaire, elle ne cessera plus de redire à sa supérieure : Ecce ego, mitte me ! Et c'est sous l'élan d'une supplication plus véhémente qu'enfin elle emportera comme d'assaut l'ordre de départ. Ce qui l'attendait là-bas, elle l'ignorait bien ; tout ce qu'elle prétendait, c'était d'y apporter l'amour du Sacré-Coeur et de l'Hostie, d'accord en cela avec sa Mère Madeleine-Sophie qui lui enjoignait de s'estimer heureuse, « même si elle ne faisait qu'établir en Louisiane un seul tabernacle ».

Son apostolat missionnaire.

Ainsi, allumé au Coeur de Jésus dans l'Eucharistie, son zèle y retournait sans cesse. Le rêve qui, dans la nuit bénie du Jeudi saint, l'emmenait en esprit vers « de nouvelles terres à éclairer », elle le vivait enfin en s'embarquant, le jeudi saint 1818, sur le voilier Rebecca ; elle le réalisait pleinement, en atteignant le rivage de la Louisiane, le vendredi 29 mai suivant, jour de la fête du Sacré-Coeur.

Pleinement ? Non, pourtant ! L'idéal d'une grande âme va toujours au-delà des réalisations terrestres ; et dans les oeuvres de Dieu une part du succès, la plus belle souvent, reste cachée aux ouvriers. Philippine, qui se voyait d'avance « seule avec Jésus seul ou avec des enfants tout noirs », qui, parvenue au Missouri, espérait descendre plus tard à Carthagène et Lima, put bien franchir les mers, vivre dans la pauvreté héroïque des missionnaires, souffrir la faim, la soif et les attaques de la fièvre jaune ; elle ne passa effectivement qu'une petite partie de sa vie parmi « les sauvages » et ne put jamais apprendre leur langue. Qui cependant oserait nier l'influence profonde exercée dans Pévangélisation du Nouveau-Monde par cette société du Sacré-Coeur, dont elle fut vraiment aux Etats-Unis la fondatrice ?

Agée de 49 ans déjà, quand elle atteignit l'Amérique, elle écrivait : « Il y a grande apparence que nous sèmerons dans les larmes ; heureuses de notre sort, s'il procure à d'autres de moissonner dans la joie, et de voir les enfants de nos prières les environner avec empressement ».

Son esprit de prière.

« Les enfants de nos prières». — Oh ! la belle et profonde parole ! Comme François Xavier dans l'église de Goa, c'est devant le tabernacle que Philippine Duchesne enfantait à Dieu les âmes de ses néophytes. Cet apostolat par la prière, le plus efficace de tous, elle l'avait pratiqué dès sa jeunesse, quand, à huit ou dix ans, elle s'exaltait au récit d'un jésuite missionnaire et enviait la gloire des martyrs. Elle s'y adonnait surtout lorsque sainte Madeleine-Sophie, modérant l'impatience qu'elle avait de partir, l'exerça longuement à se sanctifier dans l'humilité et le détachement complet d'elle-même. Elle le continua toujours. Vingt ans avant sa mort, dans la solitude de Fleurissant, « la plus petite comme la plus abjecte des maisons du Sacré-Coeur », elle ne s'employait plus guère qu'aux travaux domestiques et au service des mères et des enfants ; mais ce qui l'occupait par-dessus tout, c'était la prière et les exercices spirituels. Les élèves s'émerveillaient de la voir passer de longues heures à genoux et les Indiens l'avaient surnommée « la femme qui prie toujours ». Deux mots résument donc sa vie, comme celle de tout apôtre : labeur, prière ; effort de la volonté humaine, confiance dans l'assistance divine. Puisant dans la dévotion au Sacré-Coeur la flamme du zèle, elle se servit de cette même dévotion pour atteindre le but du zèle : sauver les âmes en les donnant à Dieu. Que sa leçon ne soit pas perdue pour vous, chères filles !

Leçons pour notre temps.

Le monde actuel menace de périr dans la violence, parce que trop d'hommes n'ont pas de coeur : ce reproche, adressé par saint Paul au paganisme antique (cf. Rm 1,31 et 2Tm 3,3), on peut le retourner aux néo-païens, idolâtres de l'or, du plaisir et de l'orgueil. Le coeur, c'est le courage de la force, oui, mais au service du droit et de la justice ; le coeur c'est aussi la pitié envers les faibles, la tendresse qui se penche vers la douleur, le pardon qui surpasse l'offense. Le coeur s'insurge contre tout mal, mais condescend à tout bien. — Vous qui avez un coeur, ouvrez-le donc tout grand, aux grandes causes de Dieu, aux grandes misères des hommes ! Agissez et priez ; peut-être ne pouvez-vous pas toujours agir beaucoup : mais vous pouvez beaucoup prier.

Le dernier jour de ce mois de Marie, où l'Eglise implore anxieusement la paix, verra la fête de Notre-Dame, « Médiatrice de toute grâce », coïncider avec la fête du Sacré-Coeur. Rencontre providentielle, Nous l'espérons. Pour rendre un coeur à l'humanité, en voici deux, les plus purs, les plus forts et les plus tendres de tous. A ces deux sources, chères enfants du Sacré-Coeur, puisez, comme Philippine Duchesne, l'ardeur d'un zèle toujours dévoué à Dieu, par l'observation fidèle — dût-elle demain devenir héroïque — de tous ses commandements ; zèle dévoué aussi aux âmes, par l'apostolat de la parole, de l'exemple, de la prière. Cette double flamme, répandez-en autour de vous la lumière et la chaleur, pour éclairer les ignorants, stimuler les tièdes, réconforter et consoler ceux qui souffrent, en répétant la devise si chère à sainte Madeleine-Sophie et à sa bienheureuse disciple : « Courage et confiance ! »

Comme gage des grâces divines qui vous aideront à marcher dans cette voie, Nous accordons paternellement à chacune de vous, ainsi qu'à toutes les religieuses, enfants et anciennes élèves de la Société du Sacré-Coeur à travers le monde, la Bénédiction apostolique que Nous voulons étendre aussi à vos auxiliaires, à vos familles, enfin à toutes les personnes actuellement présentes à votre esprit ou chères à votre coeur.

LETTRE POUR LE IV\2e\0 CENTENAIRE DE LA MORT DE SAINTE ANGÈLE MERICI

(23 mai 1940) 1

A l'occasion des solennités qui devaient marquer le IVe centenaire de la mort de sainte Angèle Merici, fondatrice des Ursulines, le Saint-Père adressa à S. Exc. Mgr Tredici, évêque de Brescia, la lettre suivante :

Au quatrième centenaire du jour où sainte Angèle Merici s'endormit pieusement dans votre ville, il est tout à fait convenable que les habitants de Brescia, non seulement vénèrent par les honneurs solennels les saintes reliques qui sont conservées chez eux, mais rappellent aux esprits attentifs les très saints exemples de vertus qu'elle a manifestés avec éclat et les proposent à l'imitation, car les actions que cette vierge a opérées durant sa vie ne sont pas étrangères aux conditions et aux nécessités de notre temps. En effet, après qu'elle eut, très ambitieuse de perfection évangélique, dit un suprême adieu aux pompes fugitives du siècle, elle mit par la prière, par la méditation et par l'action, toutes ses forces à atteindre le sommet de la sainteté. Voyant autour d'elle les hérésies des novateurs s'élever pour ébranler la foi catholique et corrompre les moeurs de beaucoup et frappée d'une très grande douleur, elle s'efforça selon son pouvoir de ramener les autres dans les sentiers de la vérité et de la vertu. C'est pourquoi, guidée par une grâce surnaturelle et aussi instruite, comme le rapporte la tradition, par une voix et une vision célestes, elle fonda une congrégation de saintes vierges, à qui elle donna le nom de Sainte-Ursule en même temps que des règles spéciales. Cette congrégation apporta une nouvelle forme dans l'institution de la vie religieuse. En effet les vierges choisies par elle, tout en se dévouant entièrement à leur céleste Epoux, ont l'habitude de vivre à l'intérieur de leurs maisons selon les fonctions qu'elles ont reçues et de se vêtir des vêtements de tout le monde, mais modestes. Ce genre de vie qu'elles ont embrassé a été approuvé par les lettres apostoliques de Notre prédécesseur d'immortelle mémoire Paul III 2, afin qu'elles puissent atteindre facilement les catégories d'hommes auprès de qui souvent l'accès n'est pas facile pour les Soeurs appartenant à des communautés religieuses et auprès de qui elle peuvent produire des fruits extrêmement féconds pour la rénovation de la vie chrétienne. Particulièrement digne d'une louange spéciale semble être ce qu'elles font avec zèle et prudence en ramenant, dans la mesure du possible, tant de foyers à une vie légitime et plus sainte, en accordant leur aide dans les paroisses aux saints pasteurs, afin de promouvoir tout ce qui regarde l'enseignement des préceptes de la doctrine catholique à la jeunesse et en poursuivant avec beaucoup de soin leur mise en pratique. Il faut noter, en outre, qu'au cours des quatre derniers siècles de nombreux instituts, semblables à des rameaux nouveaux jaillis d'une vieille racine, ont pris le nom de sainte Ursule, regardent religieusement sainte Angèle Merici comme leur patronne, leur maîtresse et leur guide et consacrent leurs soins attentifs à l'éducation chrétienne des jeunes filles. Qui ne voit que ce louable projet est tout à fait digne de recommandation surtout en notre temps. C'est pourquoi, Nous exhortons paternellement toutes ces saintes vierges à trouver dans les célébrations à venir un heureux présage pour les aider à poursuivre de toutes leurs forces leurs très saintes entreprises et travaux qui répondent si bien aux nécessités de notre temps. Et puisque nous savons qu'Angèle Merici, surtout dans les dernières années de sa vie, alors que de graves discordes s'étaient élevées dans les domaines religieux et civil en Italie et dans toute l'Europe, au point de déclencher d'âpres luttes, obtint de Dieu par des prières et des pénitences spéciales que la paix chrétienne se rétablisse parmi les peuples et les princes, Nous désirons que tous ceux qui participent à ces fêtes prochaines n'oublient pas de supplier la Virgo Decantianensi de vouloir bien accorder aussi le plus tôt possible la paix et la tranquillité à notre temps agité et malheureux.

En gage des présents célestes et en témoignage de Notre bienveillance paternelle, Nous vous accordons, dans toute l'effusion de Notre âme, Vénérable Frère, ainsi qu'au troupeau qui vous est confié et à toutes les saintes religieuses qui honorent Angèle Merici comme leur fondatrice ou leur céleste patronne, la Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION AU SACRÉ COLLÈGE A L'OCCASION DE LA FÊTE DE SAINT EUGÈNE

(2 juin 1940) 1

Le 2 juin, fête de saint Eugène son patron, S. S. Pie XII a reçu les membres du Sacré Collège. A l'hommage de dévotion et aux voeux fervents qui lui furent adressés, le Saint-Père répondit par des paroles de vive gratitude, puis il entretint l'illustre assemblée de la particulière gravité du conflit qui ensanglante tant de nations et du danger qu'il représente pour la foi chrétienne.

C'est toujours avec une douce joie que Notre esprit voit revenir ce jour consacré à la fête de saint Eugène Ier, figure resplendissante de pontife zélé et sans peur, qui Nous fut donné comme spécial patron céleste, à l'aube de Notre vie, en cette heure dont le sens dépasse tout esprit humain, où Nous fûmes régénéré dans les eaux du baptême. Depuis le jour où, par un secret dessein de Dieu, sans aucun mérite de Notre part, Nous fûmes élu au souverain pontificat, Nous n'avons pas cessé d'élever le regard vers un aussi saint successeur de Pierre, comme vers Notre illustre patron et modèle, pour qu'il Nous guidât et Nous illuminât dans le ministère suprême qui Nous est confié. Son nom béni renouvelle aujourd'hui en Nous la joie sereine et profonde de vous voir, Vénérables Frères et chers fils, qui, avec un zèle et une dévotion si vifs, Nous donnez l'aide précieuse de votre expérience avertie et de votre sagesse éprouvée ; et en même temps que Nous invoquons et fêtons solennellement ce saint patron, Nous avons l'occasion de Nous entretenir avec vous de la façon simple et familière qui, répondant à un besoin de Notre coeur, est aussi adaptée à la particulière gravité de l'heure présente.

1 D'après le texte italien des A. A. S., 32, 1940, p. 270 : cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. II, p. 120.

es tristesses de la guerre.

Dans les souhaits nobles et délicats que le vénéré et très cher cardinal doyen Nous a offerts en votre nom, et dans les prières que vous élevez pour Nous au Tout-Puissant, Nous avons senti passer encore les accents angoissés d'une intense et profonde tristesse pour les afflictions et les menaces des temps actuels qui exposent tant de fils de la sainte Eglise de Dieu à d'indicibles épreuves et souffrances, à des périls spirituels incessants devant lesquels un cceur de prêtre et de pasteur ne peut demeurer insensible. Que dans des jours si orageux, vous qui accompagnez d'un sens si haut des responsabilités votre participation étroite et immédiate à Nos charges et à Nos sollicitudes, à Nos joies et à Nos tristesses, vous vous rassembliez à Nos côtés et vous vous unissiez toujours davantage au Vicaire du Christ, c'est vraiment pour Nous une cause de joie et de réconfort ; et Nous vous en exprimons, avec une profonde émotion, Nos plus vifs remerciements.

Ah ! si Dieu avait pu, dans ses desseins insondables et toujours justes pour le gouvernement du monde, Nous permettre d'arrêter de quelque manière le cours cruel des événements ! Maintenant que s'achève le neuvième mois de la guerre, que la bataille fait rage avec plus d'impétuosité et de ravages sur les champs ensanglantés et les mers perfides, sous les foudres des navigateurs volants, et qu'elle s'étend même à des peuples étrangers au conflit, Nous avons présentes à Notre esprit ces semaines agitées où se succédaient les craintes et les espérances, quand, attiré encore par de faibles lueurs de paix, conscient des devoirs de Notre ministère apostolique, suivant les impulsions de Notre cceur, Nous consacrions toutes Nos pensées et tous Nos efforts au bien-être de tous les peuples, Nous employant à dissuader les gouvernants de recourir à la violence et à les gagner à l'idée d'un règlement pacifique, juste, honorable et proportionné au sens des responsabilités devant les hommes et devant Dieu.

Si, aujourd'hui, Vénérables Frères et chers fils, Nous regardons et contemplons l'Europe, terre de la foi et de la civilisation chrétienne par vocation divine, se déchirant par le fer et par le feu ; si Nous considérons les destructions et les ruines immenses et les souffrances cruelles qui s'accumulent et s'étendent dans tant de régions et de campagnes, qui donnaient auparavant le pain et la tranquillité à tant de peuples ; si Nous pesons les tristes effets économiques, sociaux, intellectuels, religieux et moraux, et les dures répercussions qui résultent même au-delà des océans, d'un prolongement et d'une cruelle aggravation du conflit ; si Nous regardons et pesons tout cela, c'est alors pour Notre esprit une vision affligeante et aggravante qui Nous fait lever les yeux au ciel en invoquant l'infinie pitié de Dieu sur ces pauvres enfants des hommes, divisés entre eux par des conflits d'idées et d'intérês, emportés par la zizanie, la haine, la rancoeur, la vengeance, dans un océan de misères et de deuils.

Peut-être, est-ce là l'heure terrible où Dieu pèse les mérites et les démérites ? Nous baissons la tête devant l'impénétrable jugement de Dieu ; et, rentrant en Nous-même et dans Notre conscience, Nous Nous sentons assuré d'avoir suivi, dans Notre action pacifiante, la voie royale qui conduit à la paix intérieure comme à la paix extérieure, au respect des sentiments humains, au sens de la vraie justice et de l'équité condescendante, à l'objectivité et à une appréciation équitable des intérêts de tous les peuples.

La guerre actuelle a désormais atteint toute son intensité de chocs sanglants et de progrès destructeur, et ses ruines prennent des proportions gigantesques, pas au point cependant que les pertes extérieures et matérielles puissent se comparer à la destruction du patrimoine spirituel et moral. Quel signe plus éloquent, plus épouvantable de l'anéantissement progressif et du renversement des valeurs spirituelles, que la dissolution croissante des règles du droit remplacé par la force qui comprime, enchaîne et étouffe les réactions morales et juridiques ? Et n'en avons-Nous pas une preuve très claire dans le fait que des régions et des nations les plus traditionnellement attachées à la paix ont été entraînées dans l'ouragan de la guerre ?

Nouvel appel à la paix...

Alors même qu'on est sous le poids des dures nécessités de la lutte, c'est une règle de prudence de détourner le regard du présent orageux pour le porter vers l'aube d'un avenir meilleur et plus ordonné, et de ne pas oublier les paroles si lumineuses de saint Augustin : Non pax quaeritur ut bellum excitetur, sed bellum geritur, ut pax acquiratur. Esto ergo etiam bellando pacificus, ut eos quos expugnas ad pacis utilitatem vincendo perducas 2. Animé

2 S. Augustin, Epist. 189, n. 6 ; Migne, P. L., vol. II, col. 856.


SACRÉ COLLÈGE

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par cette maxime de sagesse, comme d'ailleurs Nous l'avons exposé en d'autres circonstances, spécialement dans Notre allocution de Noël, Nous insistons, Vénérables Frères et bien-aimés fils, et Nous conjurons de nouveau toutes les parties adverses de se souvenir toujours de ces devoirs d'humanité qui ne perdent rien de leur valeur, même en face du droit et de la morale de guerre. Aussi le même grand Docteur s'écriait-il que fides quando promittitur, etiam hosti servanda est, contra quem bellum geritur 3 ; ni Notre parole ni Notre oeuvre ne sont partisanes ; Nous accomplissons un devoir que Nous dictent la vérité et l'amour, que Nous imposent le bien et la prospérité de tous, que Nous commande le Siège de Père commun des rachetés par le Christ ; et Nous contribuons de Notre côté, par les moyens qui Nous sont fournis par Notre ministère apostolique, à ne pas laisser les regards se détourner des normes idéales et des principes essentiels d'une paix qui veut être juste, honorable et durable.

. et au respect du droit des gens et des populations civiles.

Nous ne croyons pas pouvoir renoncer en cette occasion à exprimer la douleur que Nous éprouvons en voyant combien, dans plus d'une région, les traitements infligés aux non-combattants sont loin d'être conformes aux règles de l'humanité. Dieu Nous est témoin qu'en affirmant cette vérité, Nous ne sommes poussé ni par l'esprit de parti ni par la considération de qui que ce soit. Le jugement moral d'une action ne peut être appuyé sur des considérations personnelles. Aucun peuple n'est à l'abri du danger de voir quelques-uns de ses fils se laisser mener par leurs passions et sacrifier au démon de la haine. Ce qui importe surtout, c'est le jugement que porte l'autorité publique sur de telles déviations et dégénérescence de l'esprit de lutte, et sa promptitude à y mettre fin.

C'est donc à la dignité du nom de l'autorité elle-même qu'il appartient, lorsque les théâtres de la guerre s'étendent au-delà des frontières de son propre pays, de veiller à ce que ne sombre pas la dignité imperturbable de la raison qui dicte les principes souverains l'obligeant à promouvoir le bien et à contenir le mal ; ces principes renforcent et honorent les ordres de ceux qui commandent ; et ils concilient, rendent ceux qui sont soumis plus enclins et prompts

à plier leur volonté et à travailler au bien commun. C'est pourquoi plus les territoires, que le conflit soumet à une domination étrangère, prennent d'extension, plus il devient urgent de mettre l'ordre juridique, qu'on entreprend d'y établir, en harmonie avec les dispositions du droit des gens et surtout avec ce qu'exigent l'humanité et l'équité. Il ne faut pas non plus méconnaître qu'à côté des précautions de sûreté justifiées par les vrais besoins de la guerre, le bien des populations des territoires occupés ne cesse d'être une règle obligatoire pour ceux qui exercent le pouvoir. La justice et l'équité requièrent qu'elles soient traitées comme la puissance occupante désirerait qu'en un cas analogue fussent traités ses propres compatriotes.

Il n'est pas malaisé à qui veut s'élever au-dessus des passions humaines, de tirer les conséquences de ces principes élémentaires de la saine raison pour établir un règlement des questions spéciales concernant les pays occupés, qui soit aussi conforme à la conscience humaine et chrétienne qu'à la vraie sagesse d'Etat : le respect de la vie, de l'honneur et de la propriété des citoyens, le respect de la famille et de ses droits ; et au point de vue religieux, la liberté de l'exercice privé et public du culte divin et de l'assistance spirituelle qui convient à chaque peuple et à sa langue, la liberté de l'instruction et de l'éducation religieuse, la sécurité des biens ecclésiastiques, la faculté laissée aux évêques de correspondre avec leur clergé et avec leurs fidèles dans tout ce qui concerne le soin des âmes.

Voeux aux populations en guerre.

Quant à Nous, nemini dantes ullam offensionem, ut non vituperetur ministerium nostrum (2Co 6,3), désireux d'adoucir au moins les conséquences de la guerre, Nous adressons Notre amour paternel à tous Nos fils et filles, soit des populations germaniques, qui Nous sont toujours chères, au milieu desquelles Nous avons passé de longues années de Notre vie, soit des Etats alliés à qui Nous lient de même de pieux et doux souvenirs, Nous souvenant aussi avec une sollicitude constante de la nation polonaise si éprouvée et tant aimée de Nous, comme d'autres nobles peuples aux souffrances tragiques desquelles Nous prions le Très-Haut d'envoyer sans tarder le réconfort souhaité. D'ailleurs, Nous mettons Notre inébranlable confiance en Dieu ; de même qu'il gouverne sagement les hommes et les événements, ainsi, du haut du ciel, il régit l'Eglise à qui il a donné l'empire sur les âmes et à qui il a appris, en lui assignant la route de vérité et de vertu divine qu'elle doit suivre sans arrêt, à avancer per arma iustitiae a dextris et a sinistris, per gloriam et ignobilitatem, per infamiam et bonam famam (2Co 6,7-8), faisant du bien à ceux qui la calomnient et à ceux qui la louent, aimant ceux qui l'aiment et ceux qui la haïssent, priant pour ceux qui la persécutent et pour ceux qui la protègent, appelant les nations dans l'unique bercail du Christ, suppliant le ciel pour les rois et les puissants, ut quietam et tranquillam vitam agamus in omni pietate et castitate (1Tm 2,2), et apaisant dans sa marche vers l'éternité les discordes et les conflits du monde.

Devoirs des chrétiens.

On ne connaît que trop, Vénérables Frères et chers fils, les excitations et les dangers spirituels et moraux qui, en ces jours de tempête, menacent plus que jamais, dans les âmes, les principes chrétiens de foi et de vie. Un ramassis confus d'opinions nouvelles et opposées, d'impressions et de stimulants de tendances mal criblées, excitent les masses populaires, pénètrent jusque dans des milieux qui en des temps plus tranquilles étaient dociles à se laisser éclairer et guider par des normes limpides et sages, et imposent à la conscience chrétienne une vigilance continuelle et obstinée pour demeurer fidèle à sa droiture et à sa vocation. Attirés dans le vertigineux et passionné tourbillon des événements, les esprits courent trop souvent le danger de voir leurs facultés obscurcies et de voir affaiblie leur promptitude à juger selon les indéfectibles et pures règles de la loi divine. Or, si le chrétien, fort de sa foi, intrépide dans l'accomplissement de son devoir, doit être prêt à prendre part aux événements, aux tâches et aux sacrifices du jour, il ne doit pas être moins attentif et prêt à en récuser les erreurs ; de manière que plus il voit s'épaissir les ténèbres de l'incrédulité et du mal, plus aussi il doit redoubler de courage et d'élan, même au milieu des épreuves, pour faire resplendir la brillante lumière du Christ, afin qu'elle soit pour ceux qui se trompent un guide qui les dirige et les accompagne vers un retour au patrimoine spirituel oublié et abandonné par tant de gens ! Inaccessible aux influences des autres, le chrétien marchera et avancera sans dévier dans la nuit ténébreuse d'ici-bas, mais il fixera son regard vers les étoiles resplendissantes dans le firmament de l'éternité, terme et récompense consolante de son espérance. Si plus durs et plus pesants sont les sacrifices demandés à l'humanité, c'est aussi avec plus de vigueur et d'efficacité qu'il alimentera et développera dans son âme la force jaillissante du précepte divin de l'amour et désir anxieux d'en faire le pôle de ses intentions et de ses actions. Il ne se pliera ni ne se soumettra dans la pusillanimité devant l'âpreté des temps ; même quand les périls semblent fermer toute voie de salut, c'est dans les périls eux-mêmes que le chrétien sentira croître ses forces dans les proportions mêmes de la grandeur de sa mission. Et si l'esprit orgueilleux d'un matérialisme athée lui adresse la demande : ubi est spes tua ? alors, sans crainte ni du présent ni de l'avenir, il répondra avec les justes de l'antiquité : Nolite ita loqui ; quoniam filii sanctorum sumus, et vitam illam expectamus, quam Deus daturus est his, qui fidem suam nunquam mutant ab eo (Tb 2,17-18).

La foi et l'espérance.

La foi et la fidélité immuables envers Dieu sont le fondement de l'espérance des héros chrétiens, de cette espérance qui ne confond pas. A tous ceux qui ont vu leur bonheur d'ici-bas brisé et détruit par l'ouragan de la guerre, à tous ceux qui gémissent en proie à d'incroyables souffrances extérieures et intérieures, à tous ceux qui souffrent, frères des premiers croyants en Jésus-Christ, Nous montrons les légions de héros et d'héroïnes antiques et modernes, et nous leur crions avec l'Apôtre des nations : Fratres... non contristemini, sicut et ceteri, qui spem non habent (1Th 4,13). N'est-elle pas une puissante consolation l'espérance qui nous est proposée comme une ancre assurée et stable de notre âme et qui pénètre au-delà du voile du ciel, où est entré Jésus, notre précurseur ? (He 6,20). En ce mois du Sacré-Coeur, unique Maître de l'humanité, Maître d'une douceur qui vainc toute cruelle atrocité, et d'une humilité qui ne piétine pas le faible et la victime, puissent les douleurs et les sacrifices, généreusement supportés par ceux qui à la cuirasse de la foi joignent l'ancre de l'espérance, puissent-ils leur donner une force nouvelle plus pure afin que sur cette terre, travaillée par la souffrance, germe et fleurisse un raffermissement moral plus franc et persévé-• rant, selon la parole de l'Apôtre : Omne gaudium existimate, fratres mei, cum in tentationes varias incideritis ; scientes quod probatio fidei vestrae patientiam operatur. Patientia autem opus perfectum habet (Jc 1,2-4). Tel est le haut degré de la joie dans la souffrance où s'exhausse la patience en montant par les degrés de la souffrance résignée et de la souffrance embrassée volontiers.

Mais la patience est aussi un grand don de Dieu, et devient persévérance, quand elle ne défaille pas, mais au contraire accom-

pagne d'un pas égal le crescendo des souffrances et des épreuves. Par là, la patience s'unit aussi à la prière persévérante, que le divin Rédempteur lui-même nous a inculquée. Nous ne pouvons donc cesser d'exhorter tous ceux qui, sur la terre, sont les fils de l'Eglise du Christ, à adresser, avec une sainte violence, leurs inlassables prières au Coeur du divin Sauveur, Roi de la paix, pour qu'il répande les fleuves de la douceur et de l'humilité sur les peuples exaspérés par les conflits, pour qu'il arrête les massacres qui ensanglantent les champs et les cités, pour qu'il inspire aux chefs des nations ces grandes pensées de modération et de paix qui viennent du coeur, où Dieu posa pour fondement la bonté à la ressemblance divine, afin que cessent la lutte sanglante et la tragique destruction du bien-être des peuples, et qu'ainsi, parmi tant de ruines et de larmes, s'ouvre enfin le chemin vers le temple d'une paix saine, scellée non par la haine et la vengeance, mais marquée de la noble majesté de la justice.

C'est avec ce souhait dans le coeur et cette prière sur les lèvres, que Nous vous donnons de tout coeur, Vénérables Frères et chers fils, comme gage de grâce et de consolation céleste, la Bénédiction apostolique.


Pie XII 1940 - MESSAGES AUX SOUVERAINS DE BELGIQUE, DE HOLLANDE ET DE LUXEMBOURG (10 mai 1940)