Augustin, comment. Galates



AVANT-PROPOS.




1. - But de l'Epître.

- Le motif qui porte l'Apôtre à écrire aux Galates, est de leur faire comprendre que la grâce de Dieu demande d'eux qu'ils ne soient plus assujettis à la Loi. Quand en effet la grâce de l'Évangile leur eut été annoncée, ils eurent affaire à des hommes, issus de la circoncision, qui portaient le nom de chrétiens, mais qui ne s'attachant pas encore au bienfait même de la grâce voulaient rester courbés sous ces fardeaux de la Loi. Or, Dieu leur Maître en avait chargé, non pas des serviteurs de la justice mais des esclaves du péché, lorsqu'à ces hommes d'iniquité il avait donné une Loi juste, non pour les purifier de leurs crimes, mais pour les leur faire connaître; car il n'y -a pour effacer le péché que la grâce de la foi qui agit par amour. Et quoique les Galates fussent déjà établis sous l'empire de cette grâce, ces faux docteurs voulaient les ramener sous le joug de la Loi, ils leur assuraient même qu'ils ne pouvaient profiter de l'Évangile s'ils n'adoptaient la circoncision et les autres observances charnelles de la religion judaïque. Aussi s'étaient-ils mis à suspecter l'Apôtre saint Paul, qui leur avait prêché l'Évangile, et à l'accuser de ne suivre pas la même règle que les autres Apôtres, puisque ceux-ci forçaient les Gentils à pratiquer le Judaïsme. L'Apôtre Pierre en effet avait cédé devant les clameurs de cette espèce de chrétiens; il avait été amené à user de dissimulation et à laisser croire que selon lui l'Évangile ne serait salutaire aux Gentils que s'ils portaient les fardeaux de la Loi: c'est de cette dissimulation que le fit revenir l'Apôtre saint Paul, comme lui-même nous l'apprend dans cette Épître (1).
Une question semblable est traitée dans l'Épître aux Romains. Il semble pourtant y avoir une différence. Dans l'Épître aux Romains l'Apôtre met fin aux contestations ardentes qui s'étaient élevées entre les chrétiens sortis du Judaïsme et les chrétiens issus de la Gentilité, les premiers prétendant due l'Évangile leur avait

1 Ga 2,14.

été donné comme une récompense due aux bonnes oeuvres qu'ils avaient accomplies sous la loi et que les incirconcis ne l'ayant pas mérité, on ne devait pas les y admettre: tandis que ces derniers cherchaient à se préférer aux Juifs, meurtriers du Sauveur. Mais dans l'Épître aux Galates il s'adresse à des hommes déjà ébranlés par l'autorité des judaïsants qui les poussaient à la pratique des observances légales, et commençant. déjà à croire sur leur parole que l'Apôtre saint Paul ne leur avait pas enseigné la vérité en les empêchant de se faire circoncire. Voilà pourquoi il débute de cette manière: «Je m'étonne que vous quittiez si vite celui qui vous a appelés à la gloire du Christ pour passer à un autre Évangile:» Cette espèce d'exorde indique en peu de mots de quoi il est question. Déjà dans la salutation il a dit, ce qu'il n'a fait dans aucune Épître, qu'il est «Apôtre, non de la part des hommes ni par l'intermédiaire d'aucun homme (1):» ce qui était indiquer suffisamment que les faux docteurs des Galates venaient, eux, non de la part de Dieu, mais de la part des hommes, est qu'on ne devait pas regarder comme inférieure à celle des autres Apôtres l'autorité du témoignage qu'il rendait à l'Évangile; puisqu'il savait bien que son apostolat n'avait rien d'humain, mais qu'il venait immédiatement de Jésus-Christ et de Dieu son Père. Tel est le sens dans lequel nous avons entrepris, avec la permission et la grâce du Seigneur, d'étudier et d'expliquer en détail cette Épître, à partir des premiers mots.



2. Autorité apostolique de saint Paul.

- Paul, «Apôtre, non de la part des hommes ni par l'intermédiaire d'aucun homme, mais par Jésus-Christ et par Dieu son Père, qui l'a ressuscité d'entre les morts; et tous les frères qui sont avec moi, aux Églises de Galatie (2).» Être envoyé de la part des hommes, c'est être menteur; l'être par l'intermédiaire d'un homme, c'est pouvoir enseigner la vérité, attendu que Dieu, vérité même, peut donner mission par

1 Ga 1,6 - 2 Ga 1,2.

395

l'intermédiaire d'un homme. Conséquemment, n'être envoyé ni de la part des hommes, ni par l'intermédiaire d'aucun homme, mais par Dieu même, c'est recevoir de lui le don de véracité, puisqu'il l'accorde à ceux mêmes qu'il a envoyés par l'intermédiaire d'un homme. Si donc les premiers Apôtres sont véridiques pour avoir reçu leur mission, non des hommes mais de Dieu par l'intermédiaire d'un homme, de Jésus-Christ même durant sa vie mortelle; confiance n'est-elle pas due également au dernier des Apôtres, puisqu'il a été envoyé par Jésus-Christ, alors qu'après sa résurrection tout en lui était divin (1)? Les premiers Apôtres sont tous les autres, puisque le Christ les a établis quand sous un rapport il était homme encore, c'est-à-dire mortel; le dernier est l'Apôtre Paul, établi par lui aussi, mais quand tout en lui était divin, quand sous tout rapport il était immortel. Pourquoi donc son témoignage n'aurait-il pas la même autorité que le leur? La gloire dont brillait le Seigneur quand il l'a honoré de l'apostolat ne compense-t-elle pas le désavantage, si c'en est un, d'avoir été appelé après les autres? Aussi après avoir,dit: «Et par Dieu le Père,» il ajoute: «Qui l'a ressuscité d'entre les morts,» pour rappeler ainsi et en peu de mots, la gloire où était parvenu le Sauveur en lui donnant sa mission.



3. Salutation.

«Grâce à vous et paix de la part de Dieu le Père et de Jésus-Christ, le Seigneur (2).» La grâce de Dieu nous remet nos péchés pour nous réconcilier avec Dieu; la paix est cette réconciliation même. «Qui s'est livré lui-même pour nos péchés, afin de nous arracher à ce siècle mauvais.» Comprenez que ce siècle est mauvais, à cause des hommes pervers qui y sont; comme on dit mauvaise une maison où demeurent les méchants. a Selon la volonté de notre Dieu et Père, à qui est la gloire pour les siècles des siècles. Amen.» Si les hommes font quelque bien, doivent-ils donc se l'attribuer, puisque le Fils de Dieu lui-même assure dans l'Évangile qu'il ne cherche pas sa gloire (3), et qu'il n'est pas venu faire sa volonté, mais la volonté de Celui qui l'a envoyé (4)? Si l'Apôtre rappelle dès maintenant cette gloire et cette volonté du Père, c'est pour faire entendre qu'à l'exemple du Seigneur de qui il tient sa mission, il ne recherche pas sa gloire et ne fait pas sa

1 I Rét. ch. 24,n. 1. - 2 Ga 1,3-5. - 3 Jn 8,50. - 4 Jn 6,38.

volonté propre en prêchant l'Évangile. C'est du reste ce qu'il dira bientôt en ces termes: «Si je plaisais aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ (1).»



4. Entreprise impie des Judaïsants.

«Je m'étonne que vous quittiez si vite celui qui vous a appelés à la gloire du Christ, pour passer à un autre Evangile; et il n'en est pas d'autre (2).» Car s'il en est un autre en dehors de celui qu'a donné le Seigneur, soit par lui-même, soit par quelque envoyé, il ne mérite plus le nom d'Évangile. Après avoir dit: «Que vous quittiez celui qui vous a appelés,» il ajoute à dessein: «A la gloire du Christ;» car c'est elle qu'on voulait éteindre, puisqu'il serait venu en quelque sorte inutilement sur la terre, si la circoncision charnelle et les autres observances légales étaient capables de sauver l'humanité. «Seulement il est des hommes qui sèment le trouble parmi vous et veulent renverser l'Évangile du Christ.» S'ils parviennent à troubler les Galates, ils ne parviennent pas également à renverser l'Évangile, car il est inébranlable; mais ils en ont le dessein en détachant les croyants des choses spirituelles pour les attacher à ce qui est charnel. S'y attachassent-ils, l'Évangile reste debout. Aussi bien, après ces mots: «Qui sèment le trouble parmi vous,» il ne dit pas, et renversent, mais: «Et veulent renverser l'Évangile du Christ. - Mais si nous-mêmes ou un ange du ciel vous annonçait un Evangile différent de celui que nous vous avons prêché, qu'il soit anathème.» C'est pour elle-même qu'il faut aimer la vérité, ce n'est ni pour l'homme ni pour l'ange qui la publient. L'aimer pour ceux qui l'annoncent, c'est s'exposer à aimer le mensonge sils en disent d'eux-mêmes. «Nous l'avons dit, et je le répète: Si quelqu'un vous prêche un Evangile différent de celui que vous avez reçu, qu'il soit anathème.» Il leur avait dit cela de vive voix, ou bien il répétait ce qu'il venait de leur écrire; c'est pourquoi il s'exprimait ainsi: «Nous l'avons dit.» Cette répétition néanmoins fait une impression fort salutaire et prépare l'âme à conserver avec fermeté la foi recommandée avec tant d'instance.

1 Ga 1,10. - 2 Ga 1,6-9.



5. Pureté d'intention.

Maintenant donc est-ce des hommes ou est-ce Dieu que je veux persuader? Est-ce aux hommes que je cherche (396) à plaire? Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais point serviteur du Christ (1).» On. ne saurait persuader Dieu, puisque devant lui tout est à découvert; mais on a raison de chercher à persuader les hommes, quand on désire rendre agréable, non point sa personne, mais la vérité dont on les persuade. Plaire aux hommes sans chercher près d'eux sa propre gloire, mais la gloire de Dieu dans l'intention de les sauver, ce n'est point plaire aux hommes, c'est plaire à Dieu; au moins n'est-ce pas plaire aux hommes que de plaire à Dieu et aux hommes en même temps; car autre chose est de plaire aux hommes seulement et autre chose de plaire en même temps à Dieu et à eux. De même si l'on plaît aux hommes à cause de la vérité qu'on leur dit, ce n'est pas la personne, c'est la vérité qui leur plaît. «Si je leur plaisais,» dit saint Paul, si je cherchais à leur plaire, si j'en avais la volonté; tel est bien le sens, car si sans rien l'aire pour cela il plaisait aux hommes en quelque sorte à cause de lui-même et non à cause de Dieu et de l'Evangile qu'il prêche, il ne faudrait pas l'attribuer à son orgueil, mais plutôt à l'erreur de celui qui prend en lui ce plaisir désordonné. Voici donc quelle est sa pensée. Est-ce les hommes ou est-ce Dieu que je persuade maintenant? ou bien pour persuader les hommes, est-ce aux hommes que je cherche à plaire? Si je cherchais à leur plaire encore, je ne serais pas serviteur du Christ. En effet le Christ ordonne à ses serviteurs d'apprendre de lui à être doux et humbles de coeur (2). Or, on ne le peut quand c'est pour soi-même, c'est-à-dire pour sa gloire propre et personnelle qu'on cherche à plaire aux hommes. Quand donc l'Apôtre dit ailleurs: «Nous persuadons les hommes, mais nous sommes connus de Dieu (3);» c'est pour faire comprendre qu'à cette question: «Est-ce les hommes que je persuade, ou est-ce Dieu?» il faut répondre que ce n'est pas Dieu mais les hommes.
Aussi bien ne doit-on pas être surpris qu'il dise encore: «Comme moi-même je plais à tous en toutes choses;» car il ajoute: «Ne cherchant pas ce qui m'est avantageux, mais ce qui l'est au grand nombre, afin qu'ils soient sauvés (4).» Or il n'est ni avantageux ni salutaire à aucun homme qu'on lui plaise pour soi; on ne plaît utilement qu'en plaisant en vue de Dieu, c'est-à-dire qu'en faisant aimer et glorifier

Ga 1,10. - 2 Mt 11,29. - 3 2Co 5,11. - 4 1Co 10,33.

Dieu dont on admire les dons dans quelqu'un ou dont on les reçoit par l'entremise d'un homme; quand un homme plaît à ce point de vue, ce n'est plus lui, c'est Dieu qui plaît. Par conséquent on peut dire tout à la fois: Je plais et je ne plais pas, et quiconque sait comprendre comme il faut, et prier avec piété, saisira les deux propositions sans voir entre elles la moindre contrariété.



6. Autorité divine de l'enseignement de saint Paul.

Car je vous déclare, mes frères, que l'Evangile annoncé par moi n'est pas selon l'homme; je ne l'ai ni reçu ni appris d'aucun homme, mais par la révélation de Jésus-Christ (1).» Un Evangile humain serait un mensonge s; car tout homme est menteur; et tout ce qu'il y a de vérité dans quelqu'un ne vient pas de l'homme, mais de Dieu par un homme. Aussi ne doit-on pas donner le nom d'Evangile à un enseignement qui serait tout humain, tel que l'enseignement de ces docteurs qui attiraient de la liberté à l'esclavage ceux qui étaient appelés par Dieu de l'esclavage à la liberté.



7. Opposition entre les observances de la Synagogue et l'Eglise de Dieu.

«En effet vous avez ouï dire de quelle manière je vivais autrefois dans le Judaïsme, persécutant à outrance et ravageant l'Eglise de Dieu, progressant dans le judaïsme au dessus de plusieurs de mon époque et de ma nation, et zélateur fanatique des traditions de mes pères (3).» Sien persécutant et en ravageant l'Eglise de Dieu il faisait des progrès dans le judaïsme, c'est qu'évidemment il y a opposition entre le Judaïsme et l'Eglise; opposition provenant, non de cette loi spirituelle qui fut donnée aux Juifs, mais des pratiques charnelles dont ils s'étaient rendus esclaves. Et si le zèle ou l'ardeur de Paul à suivre les traditions de ses pères le portait à persécuter la sainte Eglise, c'est qu'à cette Eglise sont contraires ces traditions. La faute n'en est pas à la Loi, qui est spirituelle (4), et qui ne demande pas à être entendue charnellement; elle doit retomber sur les hommes qui donnent un sens charnel à ce qu'ils ont appris et qui y ajoutent beaucoup d'eux-mêmes, anéantissant ainsi, comme le leur reproche le Sauveur, les commandements de Dieu en faveur de leurs traditions (5).

1 Ga 1,11-12. - 2 Ps 115,11. - 3 Ga 1,13-14. - 4 Rm 7,14. - 5 Mt 15,3.


8. Saint Paul n'a appris l'Evangile de personne.

Mais lorsqu'il plut à Celui qui m'a séparé du sein de ma mère et qui m'a appelé (397) par sa grâce, de me révéler son Fils afin «de l'annoncer parmi les Gentils; aussitôt, sans acquiescer à la chair et au sang.» Etre séparé du sein de sa mère, c'est renoncer aux coutumes aveugles de ses parents selon la chair; et acquiescer à la chair et au sang, c'est suivre les impulsions charnelles de sa famille et de ses proches. «Et sans aller à Jérusalem près de ceux qui étaient apôtres a avant moi, je m'en allai en Arabie et je revins encore à Damas. Puis, après trois ans, je montai à Jérusalem pour voir, Pierre et je demeurai avec lui quinze jours.» Si Paul ne vit Pierre qu'après avoir prêché l'Evangile en Arabie, ce ne fut pas assurément pour apprendre de lui cet Evangile; c'était pour mettre le comble à sa charité fraternelle en faisant de tout près connaissance avec lui. «Mais je ne vis aucun autre Apôtre, si ce n'est Jacques, le frère du Seigneur (1).» Le frère du Seigneur, en ce sens que Joseph avait pu l'avoir d'une autre épouse, ou bien qu'il était de la famille de Marie, mère de Jésus.



9. Serment. Juifs nombreux convertis.

En vous parlant ainsi, je l'atteste devant Dieu, je ne ments pas.» Je l'atteste devant Dieu, je ne cents pas, c'est un serment. Et qu'y a-t-il de plus redoutable que ce serment? Cependant le serment n'est pas interdit quand il a pour cause, non pas le mal de celui qui le prête, mais le mal de l'incrédulité qui l'exige. Car si le Seigneur a défendu de jurer, c'est en ce sens que nul ne doit jurer de soi-même; comme beaucoup qui ont souvent le serment à la bouche, soit pour se distinguer, soit pour y prendre plaisir. L'Apôtre ne connaissait-il pas la défense du Seigneur? Et pourtant il a juré; car il ne faut pas écouter ceux qui prétendent que plusieurs de ses formules ne sont pas des serments. Comment expliqueront-ils autrement celle-ci: «Je meurs chaque jour, mes frères, par la gloire que je reçois de vous en Jésus-Christ Notre-Seigneur (2)?» car les exemplaires grecs prouvent avec la plus complète évidence que c'est une formule de serment (3). Autant donc qu'il le peut, l'Apôtre s'abstient de jurer; ce n'est ni la passion ni le plaisir qui l'y portent; car le serment étant plus que oui, oui, non, non, vient a du mal (4);» du mal, c'est-à-dire de la faiblesse ou de l'incrédulité de ceux qui sans lui ne voudraient pas croire.
«Je vins ensuite dans les contrées de la Syrie

1 Ga 1,16-19. - 2 1Co 15,31. - 3 V. serm. sur la Mont. I.1, ch.XVI1,n. 51. - 4 Mt 5,37.

et de la Cilicie; mais j'étais inconnu de visage aux Eglises de Judée qui sont unies au Christ.» Observez que ce n'est pas seulement à Jérusalem qu'il y a eu des Juifs pour croire au Christ et que ceux d'entre eux qui crurent en lui n'étaient pas assez peu nombreux pour être confondus au sein des Eglises des Gentils, mais assez nombreux pour former des Eglises. Seulement elles avaient ouï dire: «Celui qui autrefois nous persécutait annoncé maintenant la foi qu'il travaillait alors à détruire; et elles glorifiaient Dieu à mon sujet (1).» N'est-ce point ce qu'il avait en vue quand il disait qu'il plaisait aux hommes, non pour lui-même, mais pour les porter à glorifier Dieu? Notre-Seigneur dit aussi dans le même sens: «Que vos oeuvres brillent devant les hommes, afin qu'ils voient le bien que vous faites et qu'ils glorifient votre Père qui est aux cieux (2).»

1 Ga 1,20-24. - 2 Mt 5,16.

10. Second voyage à Jérusalem.

«Quatorze ans après, je montai à Jérusalem avec Barnabé, ayant pris aussi Tite avec moi.» (Ga 2,1) S'il les nomme l'un et l'autre, c'est en quelque sorte pour citer plusieurs témoins. «Or, j'y montai d'après une révélation;» il parlait ainsi pour qu'ils ne fussent pas portés à demander pour quel motif il voulut y aller alors, après avoir été si longtemps sans s'y rendre. Si donc une révélation lui dit d'y aller, c'est qu'il était bon qu'il y montât en ce moment. «Et j'exposai aux fidèles l'Evangile que je prêche parmi les Gentils, et en particulier à ceux qui paraissent quelque chose.» S'il exposa en particulier l'Evangile à ceux qui surpassaient les autres dans l'Eglise et après l'avoir exposé devant tout le monde, ce n'était point qu'il eût enseigné publiquement quelques erreurs et qu'il voulût rétablir la vérité à part, devant un petit nombre; seulement il avait gardé le silence sur certains points que n'étaient pas capables d'entendre encore les petits, comme ceux, écrit-il aux Corinthiens, à qui il a donné du lait et non à manger (3); car il n'est jamais permis d'avancer rien de faux, tandis qu'il est quelquefois bon de taire une vérité. Il était donc utile que les Apôtres connussent combien il était parfait; attendu que pour être Apôtre il ne lui suffisait pas d'être fidèle, de conserver la bonne et vraie foi. En ajoutant: «Ne courrais-je pas ou n'aurais je pas couru en vain (4)?» il s'adresse, non pas à ceux avec qui il a confronté séparément son Evangile, mais à ceux à qui il écrit. C'est une espèce de question qu'il se fait dans l'intention de montrer que ce n'est pas en vain qu'il court ou qu'il a couru, puisque d'après le témoignage des autres Apôtres il ne s'écarte en rien de la vérité de l'Evangile.


- 3 1Co 2,2. - 4 Ga 2,1-2.

398


11. Tite demeure sans être circoncis.

«De plus, poursuit-il, Tite qui m'accompagnait, ne fut pas contraint à se faire circoncire, tout gentil qu'il était.» Tite était gentil et il n'y avait dans sa famille ni habitude ni alliance qui dût le faire circoncire comme te fut Timothée; cependant l'Apôtre lui aurait permis aisément de se soumettre à la circoncision; car il n'enseignait pas que la circoncision même fût contraire au salut, mais il montrait qu'on s'en écartait en plaçant son espoir dans la circoncision. Il pouvait donc tolérer tranquillement cette observance comme superflue; puisqu'il a dit ailleurs; «La circoncision n'est rien, l'incirconcision n'est rien non plus; mais l'observation des commandements de Dieu (1).»
«Or ce fut en considération de quelques faux frères qui s'étaient furtivement introduits,» que Tite ne fut pas contraint de se faire circoncire; en d'autres termes, ce qui empêcha qu'il ne consentit à le laisser circoncire, c'est que ces faux frères qui s'étaient introduits furtivement, «dit-il, pour examiner la liberté» des fidèles, l'observaient avec passion et désiraient vivement que Tite fût circoncis, afin de publier ensuite que d'après le témoignage et le consentement de Paul lui-même, la circoncision était nécessaire au salut, et par là «de réduire en servitude» les chrétiens, en les appelant à porter le fardeau des oeuvres serviles de la Loi. Mais « il ne consentit pas même un instant à se soumettre à eux, afin de conserver parmi les Gentils la vérité de l'Evangile (2).»

1 1Co 7,19. - 2 Ga 2,3-5.



12. Accord constaté entre la doctrine de saint Paul et celle des autres Apôtres.

Les envieux de l'Apôtre saint Paul le signalaient et voulaient qu'on le suspectât comme ancien persécuteur de l'Eglise; c'est pour faire allusion à cela qu'il dit ensuite: «Quant à ceux qui paraissent quelque chose, peu m'importe ce qu'ils étaient jadis.» C'est seulement aux yeux des hommes charnels qu'ils semblent être quelque chose, car en eux-mêmes ils ne sont rien. Fussent-ils de bons ministres du Seigneur, c'est le Christ qui est en eux quelque chose, et non pas eux par eux-mêmes; car si c'était eux et par eux-mêmes, toujours ils auraient été ce qu'on les suppose. Si «peu importe à l'Apôtre ce qu'ils étaient jadis,» car eux aussi ont été pécheurs, c'est que Dieu ne fait point acception de la personne d'un homme,» puisque sans acception aucune il appelle tout le monde au salut, et n'impute a aucun ses péchés. Une preuve, c'est qu'en l'absence des premiers Apôtres qu'il avait choisis, le Seigneur fit de saint Paul un Apôtre parfait, afin qu'au lieu de rien ajouter à la perfection de son enseignement lorsqu'il vint le confronter avec le leur, ils reconnussent que le même Seigneur Jésus-Christ, qui sauve sans faire acception des personnes, avait accordé à Paul de distribuer aux Gentils ce qu'il avait accordé à Pierre de donner aux Juifs. Ainsi donc il fut constaté qu'ils ne différaient pas de lui, qu'ils ne pouvaient nier que son Evangile fût parfait comme lui le prétendait, ni vouloir y ajouter comme à un enseignement imparfait: et au lieu d'en blâmer les défauts ils en louèrent l'excellence. «Puis ils nous donnèrent la main en signe de communion;» ils consentirent à faire société, ils obéirent à la volonté du Seigneur, en approuvant que Paul et Barnabé allassent «vers les Gentils, tandis qu'eux se réserveraient pour la circoncision,» qui parait opposée à l'incirconcision, c'est-à-dire aux Gentils. Tel est en effet le sens qu'on peut donner à cette expression, au contraire, e contrario: il faudrait alors lire de la manière suivante: ceux qui semblent quelque chose ne m'ont rien appris; au contraire ils sont convenus avec moi et avec Barnabé que nous nous occuperions des Gentils, qui sont contraires à la circoncision, et eux de la circoncision même: ainsi «nous ont-ils donné la main en signe de communion (1).»

1 Ga 2,6-9.



13. Les Apôtres veulent n'être rien.

Qu'on se garde bien de considérer comme un outrage jeté à ses prédécesseurs dans l'apostolat ces paroles de saint Paul: «Peu m'importe ce qu'étaient autrefois ceux qui maintenant paraissent quelque chose.» Au contraire, ces hommes spirituels voulaient qu'on arrêtât les âmes charnelles qui les regardaient comme quelque chose, au lieu de voir le Christ en eux; et ils tressaillaient de bonheur quand on persuadait au monde que, comme Paul lui-même, eux qui le précédaient dans la carrière avaient été justifiés, de pécheurs qu'ils étaient; car Dieu ne fait point acception de personne, et d'ailleurs ils cherchaient (399) sa gloire et non la leur. Mais comme ces hommes charnels et orgueilleux s'irritent et se croient outragés lorsqu'on rappelle quelque souvenir de leur vie passée, ils jugent des Apôtres d'après les dispositions de leur propre coeur. Pierre, Jacques et Jean étaient les plus honorés du collège apostolique, car c'est à eux que se montra le Seigneur sur la montagne, lorsqu'il voulut donner une idée de son royaume, et six jours après avoir dit: «Il y en a ici, parmi ceux qui m'environnent, qui ne goûteront point la mort sans avoir vu le Fils de l'homme dans le royaume de son Père (Mt 16,28).» Cependant ils n'étaient pas des colonnes, ils le paraissaient seulement. Ah! Paul savait que la Sagesse s'était bâti une demeure et qu'elle avait établi, non pas trois colonnes mais sept (Pr 9,1); nombre mystérieux qui rappelle: soit l'unité qui règne entre les Eglises; car sept est souvent pris pour le tout, comme dans ce passage de l'Evangile: «Il recevra dans ce siècle sept fois autant (Mt 19,29),» ce qui revient à ces mots: «N'ayant rien et possédant tout (2Co 6,10),» et comme lorsque saint Jean écrit aux sept Eglise en qui se personnifie l'Eglise universelle (Ap 1,4); soit aux sept opérations de l'Esprit-Saint, car ces opérations de sagesse et d'intelligence, de conseil et de force, de science, de piété et de crainte de Dieu (Is 11,2-3), sont comme les sept colonnes qui soutiennent la demeure du Fils de Dieu, c'est-à-dire l'Eglise.



14. Cotisations des communautés chrétiennes.

«Seulement nous devions nous souvenir des pauvres, ce que je me suis aussi appliqué à faire (7).» Tous les Apôtres s'étaient chargés en commun du soin des pauvres fidèles qui étaient dans la Judée et qui avaient déposé à leurs pieds le prix de leurs biens après les avoir vendus (8). Quand donc Paul et Barnabé furent adressés aux Gentils, ils durent exciter les Eglises de la Gentilité, qui n'avaient pas vendu leurs biens, à venir en aide à celles qui s'en étaient dépouillées. Ecoutez ce qu'il dit aux Romains: «Maintenant je vais aller à Jérusalem pour servir les saints; car la Macédoine et l'Achaïe ont trouvé bon de faire quelques collectes pour les pauvres des saints qui sont à Jérusalem. Or il leur a plu ainsi, et elles leur sont redevables; car si les Gentils sont entrés en partage de leurs biens spirituels, ils doivent leur faire part aussi de leurs biens temporels (9).»

- 7 Ga 2,10. - 8 Ac 4,35. - 9 Rm 15,26-27.



15. Réprimande de saint Paul à saint Pierre. Saint Pierre plus admirable ici que saint Paul.

Saint Paul n'était donc tombé dans aucune dissimulation, car il observait partout ce qu'il croyait convenable soit aux Eglises des Gentils soit aux Eglises des Juifs; ne détruisant point une coutume, quand elle n'était pas un obstacle au royaume de Dieu, et recommandant seulement, dans le cas même où pour ménager les faibles il voulait qu'on gardât un usage, de ne pas mettre l'espoir du salut dans ce qui n'y contribuait pas. C'est ainsi qu'il écrit aux Corinthiens: «Un circoncis a-t-il été appelé? Qu' il ne se donne point pour incirconcis. Est-ce un incirconcis qui a été appelé? Qu' il ne se fasse point circoncire. La circoncision n'est rien, 1'incirconcision n'est rien; mais l'essentiel est d'observer les commandements de Dieu. Que chacun persévère dans la vocation où il était quand il a été appelé (1).» Saint Paul ne voyait ici que des usages ou des états de vie qui ne font obstacle ni à la foi ni aux bonnes moeurs; car si un brigand avait été appelé au Christianisme, il ne s'ensuivrait pas qu'il dût rester brigand.

1 1Co 7,18-20.

Mais saint Pierre étant venu à Antioche, saint Paul lui reprocha, non pas de se conformer aux usages des Juifs, puisqu'il était né et avait été élevé parmi eux, et pourtant il ne les observait point parmi les Gentils; mais de vouloir les imposer à ces derniers lorsqu'il vit arriver quelques frères envoyés par Jacques, c'est-à-dire venus de la Judée, puisque Jacques, était le chef de l'Eglise de Jérusalem. Redoutant en effet ceux qui plaçaient encore le salut dans ces observances, Pierre se séparait des Gentils et feignait de se conformer aux Juifs pour assujettir les Gentils à ces servitudes. C'est ce que révèlent suffisamment les termes mêmes de la réprimande. Après avoir dit: «Si tout Juif que tu es, tu vis à la manière des Gentils et non en Juif,» il n'ajoute pas en effet: Comment reviens-tu encore aux usages des Juifs; mais: «Comment forces-tu les Gentils à judaïser?» S'il lui adressa cette réprimande en public, c'est qu'il y fut contraint pour guérir ainsi tout le monde. Quel besoin de relever en secret une faute propre à nuire au grand nombre?
Ajoutez à cette considération que le caractère ferme et la charité de Pierre, à qui le Seigneur avait dit jusqu'à trois fois: «Pierre, m'aimes-tu? (400) Pais mes brebis (1),» recevaient très-volontiers d'un pasteur moins élevé en dignité une réprimande qui pouvait procurer le salut du troupeau. Celui des deux apôtres à qui s'adressait la correction était plus admirable et plus difficile à imiter que celui qui la faisait. Il est effectivement plus facile de remarquer ce qu'il y a à corriger dans autrui et de le censurer, soit par le blâme soit par un reproche direct, que de voir ce qu'il y a à reprendre en nous et de le reprendre soit per nous-mêmes soit par un autre, surtout quand celui-ci nous est inférieur et qu'il fait sa correction en public. Ici donc quel magnifique exemple d'humilité, une dés premières règles de la vie chrétienne, puisque c'est l'humilité qui conserve la charité! Rien en effet ne la détruit plus vite que l'orgueil. Aussi le Seigneur n'a-t-il pas dit: Prenez mon joug et apprenez de moi que je ressuscite dans leurs tombeaux des cadavres de quatre jours, que je chasse tous les démons dés corps humains, que je dissipe les maladies et que je fais d'autres choses semblables; mais r Prenez mon joug et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur (2).» Ces miracles étaient les figures des oeuvres spirituelles: mais c'est une chose éminemment spirituelle de conserver la charité avec douceur et avec humilité; c'est à cela que sont conduits par la vue des prodiges ceux qui trop attachés encore aux choses sensibles demandent la foi au monde invisible, non point aux choses visibles connues et ordinaires, mais aux choses visibles qui arrivent extraordinairement et qui éclatent tout à coup.
Si donc les docteurs qui contraignaient les Gentils avaient appris à être doux et humbles de coeur, comme saint Pierre l'avait appris du Seigneur; surtout en voyant un si grand homme réformer sa conduite, ils eussent été portés à l'imiter et ils n'auraient plus considéré que si l'Evangile du Christ leur avait été prêché, c'était envers eux une dette de justice. «Sachant même que l'homme ne trouve point sa justification dans les oeuvres de la Loi, mais seulement dans la foi en Jésus-Christ,» afin de pouvoir accomplir la Loi avec l'aide, non pas de ses propres mérites mais de la grâce de Dieu; ces docteurs n'astreindraient point les Gentils aux observances charnelles de la Loi, ils sauraient qu'avec la grâce de la foi ils peuvent accomplir ce que la Loi contient de préceptes spirituels.

1 Jn 21,15. - 2 Mt 11,29.

Aussi bien lorsqu'on se croit capable d'observer pas ses propres forces et non par la grâce et la miséricorde de Dieu les oeuvres de la Loi; aucune chair, c'est-à-dire aucun homme, aucun de ceux qui ont ces sentiments charnels, ne peut par là être justifié (1). Voilà pourquoi ceux qui ont passé du joug de la Loi à la croyance en Jésus-Christ, ont obtenu la grâce de la foi, lion parce qu'ils étaient justes, mais pour le devenir.



16. Les oeuvres de la Loi ne sauraient justifier.

Les Juifs avaient donné aux Gentils le nom de pécheurs, c'était par suite de leur orgueil invétéré; mais en se croyant justes, ils voyaient la paille dans l'oeil d'autrui, et dans le leur ils ne voyaient pas la poutre. Se conformant donc à leur usage, l'Apôtre dit: «Nous sommes, nous, Juifs de naissance et non pécheurs d'entre les Gentils;» et non de ceux qu'ils appellent pécheurs, quoiqu'eux-mêmes le soient. Eh bien! nous qui sommes Juifs de naissance,» puisque nous n'étions point Gentils, de ceux qu'eux-mêmes appellent pécheurs et.qui, pourtant sommes pécheurs aussi, «nous croyons au Christ Jésus, pour être justifiés par la foi au Christ.» Auraient-ils cherché la justification, s'il n'eussent été pécheurs? Ou le sont-ils devenus pour avoir cherché leur justification dans le Christ? De fait ils auraient péché si étant justes ils avaient cherché ailleurs la justice. Mais s'il en est ainsi, «le Christ n'est-il donc pas ministre du péché?» Les Judaïsants même ne sauraient l'admettre, puisque tout en s'opposant à ce qu'on livrât l'Evangile aux Gentils qui ne se faisaient pas circoncire, eux-mêmes avaient cru en Jésus-Christ. Aussi c'est en leur nom comme au sien qu'il répond: «Nullement.»
L'Apôtre voulait donc anéantir l'orgueil qui se glorifiait des oeuvres de la Loi; cet orgueil devait et pouvait disparaître, car eût-on compris la nécessité de la grâce de la foi, si l'on avait regardé les oeuvres légales comme capables de, justifier sans elle? On est donc prévaricateur si on les rétablit sous le prétexte qu'elles justifient sans la grâce et l'on tend à faire de Jésus-Christ le ministre du péché. A ces mots: «Si je rétablis ce que j'ai détruit, je me constitue moi-même prévaricateur (2),» on pouvait objecter à l'Apôtre: Comment! c'est en appuyant aujourd'hui la foi du Christ que tu attaquais auparavant, que tu te constitues prévaricateur? Mais jamais il ne l'a détruite, puisqu'elle est indestructible.

1 Ga 2,11-15 - 2 Ga 2,16-18.

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Ce qu'il détruisait réellement, ce qu'il s'attachait constamment à détruire, c'était ce maudit orgueil qui pouvait être anéanti. Aussi n'était-il pas prévaricateur lorsque après avoir essayé de repousser-ce qu'il croyait faux, il s'est aperçu ensuite que. cela était vrai, indestructible et qu'il s'y est attaché pour sa propre sanctification; mais il eût été prévaricateur si après avoir rejeté une erreur réelle, ce qu'il est permis de détruire, il l'enseignait de nouveau.




Augustin, comment. Galates