Augustin, Combat chrétien 1018

CHAPITRE XVI. ÉGALITÉ ET ÉTERNITÉ DES PERSONNES DIVINES.


1018 18. Repoussons également ceux qui prétendent que le Père seul est le Dieu éternel; que le Fils n'est pas né du Père, mais qu'il est formé par lui et tiré du néant, et qu'il n'a pastoujours été; que le Saint-Esprit est inférieur au Fils en majesté, et qu'il a été formé après le Fils; que les substances de ces trois personnes sont différentes comme le sont l'or, l'argent et l'airain. Ces hérétiques ne savent ce qu'ils disent, et les idées qu'ils se font sur les objets qu'ils ont accoutumé de ne voir qu'avec les yeux de la chair, ils les transportent sottement dans leurs discussions. De fait, c'est un grand travail pour l'intelligence de comprendre une génération qui se fait, non dans le temps, mais dans l'éternité; de comprendre la charité et la sainteté établissant entre le Père et le Fils une union ineffable; oui, notre intelligence, fût-elle calme et parfaitement tranquille, a peine à s'élever jusqu'à ces mystères.
A plus forte raison sont-ils inaccessibles à ceux qui considèrent de trop près les lois de la génération humaine, et qui à ces ténèbres inévitables ajoutent encore l'obscure fumée que leurs luttes et leurs disputes de tous les jours ne cessent de répandre. Leurs âmes sont affaiblies par leurs attachements à la chair, semblables à ce bois imprégné d'eau qui, tout en brûlant, ne donne que de la fumée sans jamais jeter une flamme brillante. Cette comparaison s'applique exactement à tous les hérétiques.


CHAPITRE XVII. DIVINITÉ DU CHRIST.


1019 19. Tout en croyant à l'immuable Trinité, nous devons croire aussi l'incarnation qui s'est faite dans le temps, pour le salut du genre humain. Loin de nous ceux qui prétendent que Jésus-Christ, Fils de Dieu, n'est qu'un homme, mais un homme si juste qu'il a mérité d'être appelé le Fils de Dieu. La discipline de l'Eglise catholique a banni de son sein ces hérétiques qui, séduits par l'amour d'une vaine gloire, ont voulu discuter sur ce sujet, avant de comprendre la Vertu de Dieu et la Sagesse de Dieu (1); ce que signifie: «Au «commencement était le Verbe, le Verbe par qui

1.
1Co 1,24

52

tout a été fait», et comment «le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous (1)».


CHAPITRE XVIII. RÉALITÉ DE L'INCARNATION.


1020 20. Nous n'accepterons pas non plus le langage de ceux qui avancent que Jésus-Christ ne s'est pas revêtu d'un vrai corps humain, qu'il n'est pas né de la femme, mais qu'il n'a montré aux regards qu'une fausse chair, qu'une forme simulée de notre corps. Ces hérétiques ne comprennent pas comment la substance de Dieu, en gouvernant toute la création, ne saurait jamais recevoir la moindre souillure; et cependant ils répètent partout que ce soleil suspendu au-dessus de nos têtes, pénètre de ses rayons les corps les plus vils et les plus corrompus, sans que ces mêmes rayons soient jamais altérés ni souillés. Or, si des objets visibles sont à l'abri des souillures et de la corruption d'autres objets visibles; à plus forte raison la vérité invisible et immuable prenant une âme par l'esprit, et un corps par l'âme, a-t-elle pu, en se revêtant de l'homme tout entier, le soustraire à toutes nos infirmités sans contracter elle-même aucune tache! Aussi se trouvent-ils dans le plus grand embarras, et, quand ils craignent, chose impossible, que la Vérité ne soit souillée par le contact de la chair, ils accusent la Vérité de mensonge. Jésus-Christ lui-même a fait ce commandement: «Que votre bouche dise: cela est, cela n'est pas (2)»; l'Apôtre aussi nous crie à haute .voix: «Il n'y avait pas en lui le oui et le non, le oui était en lui (3)!». Cependant ces malheureux ajoutent que le corps entier de Jésus n'a été chair qu'en apparence; aussi ne croiraient-ils pas imiter le Christ, s'ils n'employaient le mensonge auprès de leurs auditeurs.


CHAPITRE XIX. ESPRIT HUMAIN DANS JÉSUS-CHRIST.


1021 21. Fermons encore nos oreilles à ceux qui, tout en admettant la Trinité dans une substance unique et éternelle, ne craignent pas d'avancer que l'humanité dont Jésus-Christ s'est revêtu dans le temps, n'a pas eu l'intelligence de l'homme, qu'elle n'en a eu que l'âme et le corps. Cela revient à dire: Il ne fut pas homme, il n'avait que les membres qui constituent le

1.
Jn 1,1 Jn 3,14 - 2. Mt 5,37 - 3 2Co 1,19

corps humain. En effet, les animaux eux-mêmes sont doués d'une âme et d'un corps; mais ils ne possèdent pas la raison, qui est l'apanage de l'intelligence.
Si nous devons avoir en horreur ceux qui avancent que Jésus-Christ n'a pas eu un corps humain, parce que le corps est chez l'homme la partie inférieure, je ne puis entendre sans surprise ces autres hérétiques, quand ils disent que Jésus-Christ n'a pas eu ce qu'il y a de meilleur dans l'homme. Sans doute, l'esprit humain est bien misérable, quand il se laisse vaincre par le corps, car alors il n'a pas été réformé par son union avec cet homme divin dont le corps même a reçu déjà une forme céleste; mais Dieu nous garde d'une opinion produite par l'audace et l'orgueil de l'aveuglement et du bavardage.


CHAPITRE XX. LE CHRIST EST LA SAGESSE MÊME DE DIEU.

1022 22. Gardons-nous également de ceux qui avancent que la sagesse éternelle a inspiré l'homme né d'une Vierge, comme elle inspire tous ceux qui, dociles à ses leçons, finissent par devenir parfaitement sages. Ils ne comprennent pas le cachet propre de cet homme; ils se figurent qu'il n'a d'autre avantage sur les bienheureux que d'être né d'une Vierge. Si toutefois ils apportaient un peu plus de réflexion, peut-être finiraient-ils par croire que Jésus-Christ a mérité cette faveur, entre tous, parce que ce privilège même comporte une supériorité. Eh 1 n'y a-t-il pas une grande différence entre être sage par la sagesse de Dieu, et être soi-même la sagesse de Dieu incarnée? Bien que le corps de l'Eglise soit un dans sa constitution, cependant, qui ne comprend qu'il y a une grande différence entre la tête et les membres? Si la tête de l'Eglise est Celui par l'incarnation duquel «le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous», les autres membres comprennent tous les saints qui composent et remplisse l'Eglise. L'âme anime et vivifie tout notre corps; mais c'est dans la tête seulement qu'elle a conscience tout à la fois de la vie, de l'ouïe, de l'odorat, du goût et du toucher; dans les autres membres elle n'exerce que le toucher; aussi est-ce la tête qui les dirige tous pour l'action, et la tête est placée au-dessus d'eux comme en sentinelle, parce qu'elle représente pour ainsi dire l'âme (53) elle-même, qui est la sentinelle du corps; c'est dans la tête que sont réunis tous les selfs. De la même manière tout le peuple des saints, comme un seul corps, a pour tête le Médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ fait homme (1). En conséquence, la Sagesse de Dieu, le Verbe par qui, dans le principe, tout a été fait, ne s'est pas communiquée à Jésus-Christ fait homme, de la même façon qu'aux autres saints, mais c'est à un degré infiniment plus élevé et plus sublime; lui seul devait être choisi pour que la Sagesse suprême se manifestât par lui aux autres hommes, de la manière qu'il lui convenait de se montrer sous des signes visibles. Aussi tous les hommes dans le présent, le passé et l'avenir, ne sauraient être sages comme le Médiateur divin, Jésus-Christ fait homme, car il ne possède pas seulement, à titre de bienfait;la sagesse même par qui tout homme acquiert la sagesse, mais encore il est en personne cette même sagesse. Quant aux âmes sages et spirituelles, on peut dire avec raison qu'elles portent en elle le Verbe de Dieu «par qui tout a été fait»; mais d'aucune d'elles on ne saurait dire qu'en elle «le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous». Cette parole ne convient qu'à Notre-Seigneur Jésus-Christ.

1.
1Tm 2,5.


CHAPITRE XXI. LE CHRIST N'AVAIT PAS UN CORPS SANS AME.

1023 23. Loin de nous encore ceux qui avancent que le Verbe divin n'a pris que le corps de l'homme. Cette parole: «Le Verbe s'est fait chair», ils l'interprètent en ce sens que l'Homme-Dieu n'a de l'homme que la chair, sans en avoir l'âme. Quelle erreur! ils ne comprennent pas que si dans ces mots: «Le Verbe s'est fait chair», on n'a désigné que la chair, c'est que la chair seule pouvait se rendre visible aux yeux des hommes, pour le salut desquels Dieu s'était incarné. En effet, si comme nous l'avons démontré plus haut, on ne peut sans absurdité, sans indignité, dire que l'Homme - Dieu n'a pas eu l'esprit de l'homme, à plus forte raison est-ce le comble de l'absurdité et du sacrilège d'avancer que, privé de l'esprit et de l'âme humaine, il n'aurait eu en partage que la partie la plus vile et la moins noble même chez les animaux, je veux dire le corps. Mettons notre foi à l'abri de ces impiétés, et croyons fermement que le Verbe de Dieu s'est revêtu de l'homme tout entier et de l'homme dans son état de perfection.



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CHAPITRE XXII. JÉSUS-CHRIST NÉ D'UNE FEMME.


1024 24. Il y en a, (mais leurs paroles ne nous en imposeront pas), qui prêtent à Notre-Seigneur un corps semblable à celui qui se montra sous la forme de la colombe que Jean-Baptiste vit descendre du ciel, et s'arrêter sur Jésus, comme emblème de l'Esprit-Saint: par là ils veulent persuader que le Fils de Dieu n'est pas né de la femme. S'il fallait, disent-ils, qu'il fût visible aux yeux de la chair, il a pu prendre un corps tel que l'avait pris l'Esprit-Saint. Or, ajoutent-ils, cette colombe n'est pas sortie d'un neuf; et cependant les yeux des hommes ont pu l'avoir. D'abord nous leur répondrons que dans le livre où nous lisons que l'Esprit-Saint est apparu à Jean sous la forme d'une colombe (1), nous trouvons aussi que Jésus-Christ est né de la femme (2). Il ne faut pas dans l'Evangile accepter tel passage pour rejeter tel autre. Pour quel motif croyez-vous que l'Esprit-Saint s'est montré sous la forme d'une colombe, si ce n'est parce que vous l'avez lu dans l'Evangile? Moi aussi j'ai donc raison de croire que Jésus-Christ est né d'une Vierge, puisque je lis cela dans l'Evangile.
Mais l'Esprit-Saint n'est pas né d'une colombe, comme Jésus-Christ est né d'une femme; en voici la raison: l'Esprit-Saint n'était pas venu pour affranchir les colombes, mais pour faire connaître aux hommes l'innocence et l'amour spirituel dont la colombe est le symbole. Or, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui était venu pour sauver l'humanité (et le salut importe aux deux sexes), n'a pas dédaigné les hommes, puisqu'il s'est fait homme, ni les femmes, puisqu'il est né de la femme. Voyez encore cet admirable mystère: la mort nous était venue par la femme, c'est par la femme que la vie devait nous être rendue, et par ces deux natures, de l'homme et de la femme, Satan a eu la douleur de se voir vaincu; et comme il avait eu la joie de les perdre toutes les deux, le châtiment restait incomplet, si les deux natures de l'humanité ne nous sauvaient l'une et l'autre.

1.
Mt 3,16 - 2. Mt 1,20-25

54

Aussi ne disons-nous pas que Jésus-Christ seul s'est revêtu réellement d'un corps, tandis que le Saint-Esprit se serait montré aux yeux des hommes, sous de fausses apparences; nous affirmons que nous croyons à ces deux corps, que ces deux corps sont vrais. Si le Fils de Dieu ne devait -pas tromper- les hommes, le Saint-Esprit non plus ne pouvait les abuser. Mais à Dieu, quia tiré du néant toute créature, il n'était pas plus difficile de former en dehors des lois de la nature un vrai corps de colombe, que de créer un corps dans le sein de Marie, sans le concours de l'homme. Dans le sein de la femme pour former l'homme, comme dans le ciel même pour créer une colombe, la nature n'obéissait-elle pas à la volonté souveraine du Seigneur? Mais ces malheureux hérétiques se figurent, dans leur aveuglement, que Dieu lui-même, dont la puissance est infinie, n'a pu faire ce qu'eux-mêmes se sentent incapables de faire, ou ce qu'ils n'ont jamais vu!


CHAPITRE XXIII. LE FILS DE DIEU N'EST-IL QU'UNE CRÉATURE?

1025 25. Eloignons-nous encore de ceux qui cherchent à nous faire considérer le Fils de Dieu comme une créature, par la raison qu'il a souffert. Voici leur raisonnement: s'il a souffert, il est sujet au changement; s'il peut changer, il est une créature, parce que l'essence divine rie peut changer. Quant à nous, nous confessons avec eux que l'essence divine est immuable et que la créature peut changer; mais entre la créature et l'abaissement au rôle de créature,-, il y a un abîme. Ainsi le Fils unique de Dieu, je veux dire la Vertu, la Sagesse de Dieu, le Verbe par qui tout a été fait, étant immuable, a bien voulu se revêtir de notre humanité;elle était tombée et vieillie, il a daigné la relever et la rajeunir. Mais quand il a souffert sa passion pour elle, il n'a altéré en rien sa propre nature; au contraire, par sa résurrection il a amélioré le sort de notre humanité, et pourtant il faut reconnaître que le Verbe du Père, le Fils unique de Dieu, par qui tout a été fait, est né et a souffert pour nous. En effet, ne disons-nous pas que les martyrs ont souffert et sont morts pour posséder le royaume des cieux? et cependant par ces souffrances, par cette mort, leurs âmes n'ont pas été anéanties: car le Seigneur a dit: «Ne craignez point ceux qui tuent le corps, ils ne peuvent rien sur l'âme (1)». Ainsi donc nous admettons que les martyrs ont souffert et sont morts dans les corps dont ils s'étaient revêtus, sans que leurs âmes aient été exposées à la destruction ou à la mort; nous reconnaissons de la même manière que le Fils de Dieu a souffert et est mort dans l'humanité à laquelle il s'était uni personnellement, sans qu'il y ait eu changement ou mort pour sa nature divine.


CHAPITRE XXIV. IDENTITÉ DU CORPS DE JÉSUS-CHRIST RESSUSCITÉ.


1026 26. Nous repousserons aussi ceux qui prétendent que le corps du Sauveur n'était pas, après sa résurrection, tel qu'au moment où il fut placé dans le sépulcre. S'il en avait été ainsi, il n'aurait pas dit lui-même à ses disciples, après sa résurrection: «Touchez et regardez: car un esprit n'a ni chair ni os, comme vous m'en voyez (2)». II y aurait -sacrilège à croire que Notre-Seigneur, qui est la Vérité même, ait jamais pu faire un mensonge. Ne soyons pas non plus surpris de ce que l'Ecriture (3) dit qu'il apparut à ses disciples, bien que les portes fussent fermées; et n'allons pas lui refuser un corps humain, parce que nous voyons qu'il est contraire à la nature de ce corps de pénétrer à travers des portes fermées. «Tout n'est-il pas «possible à Dieu (4)?» Il est contraire en effet à la nature de nos corps de marcher sur les eaux, et cependant Notre-Seigneur avant sa passion y a marché, il y a même fait marcher saint Pierre (5). Ainsi donc, après sa résurrection, il a pu faire de son corps ce qu'il a voulu. Et si avant sa passion il a pu donner à son corps l'éclat resplendissant du soleil (6), pourquoi, après sa passion, lui aurait-il été impossible de rendre ce môme corps assez diaphane et délicat pour pénétrer à travers des portes fermées?


CHAPITRE XXV. ASCENSION.


1027 27. Nous n'écouterons pas non plus ceux qui avancent que Notre-Seigneur n'a pas élevé avec lui son corps dans le ciel. Ils rapportent ces mots de l'Evangile: «Personne n'est monté au ciel, que celui qui est descendu du ciel (7)»; puis ils ajoutent que comme son corps n'est pas descendu du ciel, il n'a puy monter. C'est

1.
Mt 10,28 - 2. Lc 24,39 - 3. Jn 20,26 - 4. Mt 9,26 - 5. Mt 14,25-29 - 6. Mt 17,2 - 7. Jn 3,13

55

qu'ils n'entendent pas ces mots: «Le corps «n'est pas monté au ciel». En effet, Notre-Seigneur est monté, mais son corps n'est pas monté; il a été porté au ciel, élevé par Notre-Seigneur qui y est monté.
Un exemple: Qu'une personne descende nue du sommet d'une montagne, et qu'une fois descendue elle prenne des vêtements, et, dans cet état, monte. Nous avons raison de dire: Personne n'est monté que celui qui est descendu; car nous ne faisons pas attention au vêtement que la personne a emporté avec elle, mais à la personne même qui s'est vêtue, et nous disons qu'elle seule est montée.


CHAPITRE 26. LE CHRIST ASSIS A LA DROITE DE SON PÈRE.

28 Nous rejetterons aussi ceux qui ne veulent pas que le Christ soit assis à la droite de son Père. Voici ce qu'ils disent: Dieu le Père a-t-il un côté droit et un côté gauche, comme les hommes? Mais nous n'avons pas une telle idée de Dieu le Père. Dieu ne peut se limiter et se renfermer dans aucune forme physique. On entend par la droite du Père, le bonheur éternel promis aux saints; et la gauche désigne très-justement l'éternité de souffrances qui attend les impies. Ainsi la droite et la gauche ne doivent pas s'entendre par rapport à Dieu, mais par rapport aux hommes. Aussi le corps du Christ, qui est l'Eglise, est-il aussi à la droite de Dieu pour goûter cette béatitude: «Il nous a ressuscités, dit l'Apôtre, et nous a fait asseoir avec lui dans le ciel (1)». Bien que notre corps n'y soit. pas encore, notre espérance s'y trouve déjà. Aussi Notre-Seigneur après sa résurrection commande-t-il aux disciples qu'il rencontre occupés à pêcher de lancer leurs filets à droite. A peine eurent-ils exécuté cet ordre, qu'ils prirent des poissons, qui tous étaient gros (2). C'est l'emblème des justes à qui la droite est promise. Voilà encore pourquoi, au jugement suprême, Dieu placera à sa droite les agneaux, et les boucs à sa gauche (3).


CHAPITRE 26I. LE JUGEMENT FUTUR.


1029 29. Gardons-nous également d'écouter ceux qui ne croient pas au jugement dernier, et

1.
Ep 2,6 - 2. Jn 21,6-11 - 3. Mt 25,33

qui s'appuient sur ces passages de l'Evangile «Qui croit en Jésus-Christ ne sera pas jugé; «qui ne croit pas en lui est déjà jugé (1)». Voici leur raisonnement: Si celui qui croit, n'est pas soumis au jugement, et si celui qui ne croit pas, est déjà jugé, où sont donc alors ceux que le Christ jugera au jour du jugement? Ils ne comprennent pas que les saintes Ecritures, en s'exprimant ainsi, prennent le passé pour le futur. C'est ainsi que plus haut, en citant ces paroles de l'Apôtre: «Il nous a fait asseoir avec lui dans le royaume des cieux», nous avons remarqué que noirs n'y sommes pas encore; mais puisque nous y serons certainement un jour, l'Apôtre s'est exprimé comme si le fait s'était déjà accompli. C'est de la même façon que le Seigneur dit à ses disciples: «Tout ce que j'ai entendu de mon Père, je vous l'ai fait connaître (2)». Bientôt il ajoute «J'ai encore plusieurs choses à vous dire, mais elles sont au-dessus de votre portée (3)». Comment aurait-il dit . «Tout ce que j'ai entendu de mon Père, je vous l'ai fait connaître», s'il n'avait parlé, comme d'un fait accompli, de ce qu'il devait certainement faire par le Saint-Esprit. Aussi, quand on nous dit «Quiconque croit en Jésus-Christ ne viendra pas en jugement», nous devons comprendre qu'il ne sera pas damné. Car ici, par jugement on entend damnation, suivant ces expressions de l'Apôtre: «Celui qui ne mange pas, ne doit pas juger celui qui mange (4)»; c'est-à-dire, ne doit pas mal penser de lui. Le Seigneur aussi ne dit-il pas: «Ne jugez pas, pour qu'on «ne vous juge pas (5)?» Il ne nous ôte pas la faculté de pouvoir juger, puisque le prophète dit: «Enfants des hommes, si vous aimez sincèrement la justice, jugez selon la droiture (6)». Le Seigneur lui-même ne dit-il pas aussi: «Ne jugez point d'après les apparences, «mais portez votre jugement selon la justice (7)?» Ici, en nous défendant de juger, il nous défend de condamner celui dont nous ne connaissons ni les pensées secrètes, ni la conduite à venir. Par conséquent, lorsqu'il a dit: «Il rie viendra «pas en jugement», le Seigneur a voulu faire entendre ceci: Il ne tombera pas sous un arrêt de condamnation. «Quiconque ne croit pas «est déjà jugé (8)»: cela signifie qu'il est déjà condamné par la prescience de Dieu, lequel sait tout ce qui attend les incrédules.

1. Jn 3,18 - 2. Jn 15,15 - 3. Jn 16,12 - 4. Rm 14,3 - 5. Mt 7,1 - 6. Ps 57,2 - 7. Jn 7,24 - 8. Jn 3,18

56


CHAPITRE 28. A QUI ÉTAIT PROMIS L'ESPRIT-SAINT.


1030 30. Loin de nous encore ceux qui avancent que le Saint-Esprit, promis par le Seigneur dans l'Évangile à ses disciples, est venu à l'apôtre Paul ou à Montan et à Priscilla, d'après le sentiment des Cataphrygiens; ou bien à je ne sais quel Manès ou Manichée, selon l'opinion des Manichéens. Ils sont assez aveuglés pour ne pas comprendre le sens si clair de l'Écriture, ou bien ils négligent assez leur salut polir ne pas la lire. Qui, en effet, à une simple lecture, ne comprendrait les paroles écrites dans l'Évangile même, après la résurrection du Seigneur, et où il dit en personne: «Je vous envoie ce que mon Père vous a promis; pour vous, demeurez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la vertu d'en haut (1)». Et dans les Actes des Apôtres, quand le Seigneur a disparu aux yeux de ses disciples pour s'élever au ciel, ces impies ne voient pas que le jour de la Pentecôte, le Saint-Esprit est venu sur eux d'une façon visible; et pendant que ces mêmes disciples étaient encore dans la cité, selon la promesse faite auparavant, il les a remplis de lui-même et leur a fait le don des langues. En effet, il y avait là des hommes de diverses nations, et chacun les comprenait dans la propre qu'il parlait (2). Mais ces incrédules abusent les âmes indifférentes qui ne veulent pas s'instruire de leur foi si clairement prouvée dans l'Écriture; et, ce qu'il y a de plus grave et de plus déplorable, c'est que ces âmes, si négligentes pour la foi catholique, prêtent une oreille attentive aux suggestions de l'hérésie.


CHAPITRE XXIX. L'ÉGLISE CATHOLIQUE ET LES DONATISTES.


1031 31. Nous nous garderons aussi du langage de ceux qui prétendent que l'Église, une et catholique, n'est pas répandue dans le monde entier, mais qu'elle ne vit qu'en Afrique, c'est-à-dire dans le parti de Donat. C'est ainsi qu'ils se ferment les oreilles en présence du prophète qui s'écrie: «Tu es mon Fils, je t'ai engendré aujourd'hui; demande-moi, et je te donnerai pour héritage les nations, et pour possession, jusqu'aux extrémités de la terre (3)». Et combien d'autres paroles ne trouve-t-on pas,

1.
Lc 24,49 - 2. Ac 2,1-11 - 3. Ps 2,7-8

soit dans l'Ancien, soit dans te Nouveau Testament, où l'on voit clairement que l'Église du Christ est répandue dans le monde entier? A cette objection ils nous répondent que tout, sans doute, en était rempli avant l'existence du parti de Donat, mais ils prétendent qu'ensuite l'Église entière a péri, et que ses restes ne se trouvent que parmi les Donatistes. O langage superbe et criminel! Non, la chose n'est pas `possible, quand même ils vivraient de manière à conserver la paix entre eux.
Mais, ils ne remarquent pas qu'à l'égard de Donat s'est accomplie cette parole: R On vous «mesurera avec la même mesure qui vous «aura servi à mesurer les autres (1)». Il a cherché à diviser le Christ, ainsi lui-même chaque jour est divisé et morcelé par les siens. C'est aussi ce que fait entendre cette autre parole du Seigneur,: «Qui frappe du glaive, périra par le glaive (2)». En effet dans ce passage, le glaive, mis aux mains d'un méchant, désigne une langue amie de la discorde; or, ce malheureux en a alors frappé l'Église, mais sans la tuer. Car le Seigneur n'a pas dit: «Qui tuera par le «glaive, périra parle glaive»; mais: «Celui «qui aura fait usage du glaive, mourra par «le glaive». Donat a frappé l'Église avec sa langue séditieuse, et aujourd'hui il est lui-même déchiré de manière à disparaître et à mourir complètement.
Pourtant l'apôtre Pierre s'était servi du glaive, non pas poussé par l'orgueil, mais par l'amour de Dieu, amour tout humain encore; aussi sur un avertissement remit-il le fer au fourreau; mais cet impie, même vaincu, ne veut pas obéir. Comme il soutenait son hérésie devant Cécilien, à Rome, en présence des évêques qu'il avait lui-même convoqués, il ne put venir à bout de prouver aucune de ses propositions. Ainsi il persista dans son schisme pour mourir par le glaive. Mais le peuple même de cet impie, quand il n'écoute ni les prophéties, ni l'Évangile, où il est dit en termes si précis que l'Église du Christ est répandue dans toutes les nations, et que d'un autre côté, il s'en rapporte à des schismatiques qui ne cherchent pas la gloire de Dieu mais la leur, ce peuple fait assez voir qu'il est esclave et non libre, et que l'oreille droite lui a été coupée.
Pierre, en effet, dans son amour de Dieu, coupa par erreur l'oreille droite à un esclave et non à un homme libre. N'est-ce pas dire

1. Mt 7,2 - 2. Mt 26,52

57

que ceux qui sont frappés par le glaive du schisme, sont les esclaves des désirs charnels? car ils n'ont pas encore été amenés à la liberté que donne l'esprit, de manière à ne point mettre leur confiance dans un homme; en outre ils n'entendent pas ce qui est à droite, c'est-à-dire la gloire de Dieu répandue au loin dans l'Eglise catholique entière, mais ils saisissent bien ce qui est à gauche, c'est-à-dire les erreurs de la présomption humaine.
Cependant, comme le Seigneur dit dans l'Evangile que la fin du monde arrivera quand l'Evangile aura été prêché par toutes les nations (1); comment osent-ils prétendre que déjà toutes les autres nations ont perdu la foi, que l'Eglise est restée seulement dans le parti de Donat; lorsqu'il est évident que, depuis la séparation de ce parti d'avec la grande unité, quelques nations sont venues à la foi, qu'il en reste plusieurs qui ne croient pas encore, mais auxquelles l'Evangile est annoncé sans relâche? N'est-on pas surpris de rencontrer un homme qui se déclare chrétien et se laisse entraîner à l'impiété contre la gloire du Christ, au point d'oser prétendre que tous les peuples de la terre qui viennent d'entrer dans l'Eglise de Dieu, qui se hâtent, pour ainsi parler, d'avoir la foi en Jésus-Christ, travaillent en vain, parce qu'un Donatiste ne leur donne pas le baptême? Sans aucun doute on repousserait avec horreur de pareilles propositions et on abandonnerait bien vite ces hérétiques, si on cherchait Jésus-Christ, si on aimait l'Eglise; si on était libre, et qu'on eût encore l'oreille droite intacte.


CHAPITRE XXX. L'ÉGLISE CATHOLIQUE ET LES LUCIFÉRIENS.


1032 32. Nous n'écouterons pas non plus ces autres qui, sans réclamer pour personne un second baptême, se sont néanmoins retranchés de l'unité de l'Eglise, ont préféré s'appeler Lucifériens plutôt que catholiques. Ils sont dans la saine doctrine en comprenant que le baptême du Christ ne doit pas se réitérer. Ils voient, en effet, que le sacrement de la sainte ablution ne vient que de l'Eglise catholique, et que les sarments coupés conservent la forme qu'ils avaient prise sur le cep avant d'être tranchés. C'est à eux toutefois que s'adressent ces paroles de l'Apôtre: «Ils ont l'apparence de la piété, mais ils en ont rejeté la vertu (2)».

1.
Mt 24,11 - 2. 2Tm 3,5

En effet, la grande vertu de la piété, c'est la paix et l'unité, parce que Dieu est un. Or, les Lucifériens ne l'ont pas, cette vertu, parce qu'ils se sont séparés de l'unité. Aussi, quand l'un d'entre eux revient à la foi catholique, il n'a pas besoin de reprendre l'apparence de la piété, qu'il possède, mais il en reçoit la vertu, qu'il n'avait pas. Semblables à des branches coupées mais non desséchées, qui sont susceptibles d'être encore entées, eux aussi peuvent revenir à la foi, s'ils ne persévèrent pas dans l'incrédulité, ainsi que l'enseigne l'Apôtre en termes précis,. Voilà ce que comprennent les Lucifériens, et ils ne donnent pas le baptême une seconde fois; alors nous ne les blâmons pas. Mais lorsqu'ils ont voulu se séparer eux-mêmes de la racine, qui n'aurait jugé ce dessein condamnable? surtout quand ce qu'ils rejettent dans l'Eglise catholique, est vraiment le caractère distinctif de sa sainteté. Nulle part, en effet, les entrailles de la miséricorde ne s'émeuvent autant que dans l'Eglise catholique; comme une véritable mère, elle ne traite pas avec orgueil ses fils quand ils commettent des fautes, elle leur pardonne aisément quand ils se sont corrigés. Ce n'est pas sans motif que Pierre, entre tous les Apôtres, représente le caractère de cette Eglise catholique; car c'est à elle que furent données les clefs du royaume des cieux lorsqu'elles furent remises à Pierre (2). A tous s'adresse cette parole qui lui fut adressée: «M'aimes-tu? pais mes brebis (3)» . L'Eglise catholique doit donc pardonner avec empressement à ses fils quand ils se sont amendés et fortifiés par la piété, puisque Pierre lui-même, qui la représente, obtint son pardon après avoir tremblé sur la mer (4); après avoir d'une manière trop charnelle, cherché à détourner le Seigneur de souffrir (5); après avoir coupé avec le glaive l'oreille d'un esclave; après avoir renié trois fois le Seigneur (6) et s'être ensuite laissé aller à une feinte superstitieuse (7); mais il s'était corrigé et fortifié au point de mériter la gloire de souffrir comme le Sauveur.
Aussi, après la persécution excitée par les Ariens, quand la paix, que l'Eglise catholique tient toutefois de son union avec le Seigneur, eut été rendue, même par les grands de ce monde, beaucoup d'évêques qui, dans cette persécution, étaient du parti d'Arius, préférèrent, après

1. Rm 11,23 - 2. Mt 16,19 - 3. Jn 21,17 - 4. Mt 14,30 - 5. Mt 16,22 - 6. Mt 26,51 Mt 26,70-71 - 7. Ga 2,12

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s'être corrigés, rentrer dans la foi catholique, condamnant ce qu'ils avaient cru ou feint de croire. L'Eglise catholique les reçut dans son sein maternel, comme elle y avait reçu Pierre lorsqu'il pleura après que le chant du coq l'eut averti de son reniement, et lorsqu'après de coupables feintes, il se fut corrigé à la voix de Paul.
En traitant avec hauteur, en blâmant avec impiété cette charité de notre mère, ces hérétiques ont mérité, pour n'avoir pas félicité Pierre se relevant au chant du coq (1), de tomber avec Lucifer, qui le matin se levait avec éclat (2).


CHAPITRE XXXI. L'ÉGLISE ET LES CATHARES.


1033 33. Nous n'écouterons pas non plus ceux qui refusent à l'Eglise le pouvoir de remettre tous les péchés. Aussi ces malheureux, en ne voyant point la pierre dans Pierre, en ne voulant pas croire que les clefs du royaume des cieux ont été remises à l'Eglise, les ont laissé échapper de leurs mains. Ce sont eux qui condamnent comme adultères les veuves qui se remarient, et qui se prétendent plus purs que la doctrine des Apôtres (3). S'ils voulaient reconnaître leur véritable nom,ils s'appelleraient impurs, plutôt que purs. Puisqu'ils ne veulent pas se corriger quand ils ont péché, ne préfèrent-ils pas se damner avec ce monde? Car, en refusant aux pécheurs le pardon de leurs fautes, ils ne rendent pas la santé à leurs âmes, mais il privent les malades de tout remède; et, en ne permettant pas à leurs veuves de se remarier, ils les forcent de brûler (4).


CHAPITRE 32. LA RÉSURRECTION DE LA CHAIR.


1034 34. Nous ne devons pas écouter non plus ceux qui, pour n'admettre pas la résurrection de la chair, nous citent ces paroles de l'apôtre Paul «Ni la chair ni le sang ne posséderont le royaume de Dieu». Ils ne comprennent donc pas cet autre passage du même Apôtre: «Il faut que corruptible, ce corps se revête d'incorruptibilité, et que mortel, il se revête d'immortalité». Alors il n'y aura plus ni chair ni sang, mais un corps célestes. Le Seigneur ne nous

1.
Mt 26,75 - 2. Is 14,12 - 3. 1Tm 5,4 - 4. 1Co 7,9 - 5. II Rétr. ch. 3.

en fait-il pas la promesse quand il dit: «Les hommes n'auront point de femmes, ni les femmes de maris, mais ils seront comme les anges de Dieu (1)?» Une fois devenus semblables aux anges, ils ne vivront plus pour les hommes, mais pour Dieu seul. La chair et le sang seront ainsi changés et formeront un corps céleste pareil à celui des anges. «Les «morts ressusciteront dans un état d'incorruptibilité, et nous, nous serons transformés (2)». Ainsi, il est vrai que la chair ressuscitera, et il l'est aussi que ni la chair ni le sang ne posséderont le royaume de Dieu.



Augustin, Combat chrétien 1018