Augustin contre Fauste - CHAPITRE LXXIX. MOÏSE JUSTIFIÉ D'AVOIR PUNI LES ADORATEURS DU VEAU D'OR. ANECDOTE RELATIVE A L'APÔTRE SAINT THOMAS.


CHAPITRE LXXX. SUR OSÉE ÉPOUSANT, PAR L'ORDRE DE DIEU, UNE FEMME DE MAUVAISE VIE.

Il ne reste plus rien des critiques méchantes et sacrilèges de Fauste, auxquelles je réponds maintenant, sinon celle qui a pour objet ces paroles du Seigneur au prophète Osée

«Prends une femme de mauvaise vie et qu'elle te donne des enfants (1)». A propos de ce texte, le coeur impur de nos adversaires est tellement aveuglé qu'ils ne comprennent pas même les paroles si claires que le Seigneur adresse aux Juifs dans l'Evangile: «Les femmes de mauvaise vie et les publicains vous précéderont dans le royaume des cieux (2)». Qu'y a-t-il de contraire à la bonté divine, qu'y a-t-il d'opposé à la foi chrétienne, à ce qu'une femme de mauvaise vie renonce à ses désordres et devienne une épouse chaste? Et qu'y a-t- il de plus opposé, de plus répugnant à la foi d'un prophète, que de ne pas croire que tous les péchés d'une femme impudique lui sont reluis, dès qu'elle change de vie? Ainsi, dans ce prophète épousant une prostituée, et dans le salut de cette femme changeant de vie, nous voyons expressément la figure du sacrement dont je parlerai tout à l'heure. Mais qui n'est d'abord frappé de ce que ce fait renferme d'opposé à l'erreur des Manichéens? En effet, les femmes perdues prennent des mesures pour ne pas devenir mères. Or, nos adversaires devraient préférer voir cette femme persévérer dans sa mauvaise conduite, pour ne pas enchaîner leur dieu, plutôt que de la voir épouser un seul homme pour lui donner des enfants.

1. Os 1,2 - 2. Mt 21,31


CHAPITRE LXXXI. SALOMON JUGÉ PAR LES ÉCRITURES.

Mais de Salomon que dirai-je, sinon que les reproches que lui adresse la fidèle et sainte Ecriture sont bien plus graves que les violentes et niaises injures de Fauste? En effet, elle a exposé avec vérité et exactitude le bien qu'il y eut d'abord en lui, et le mal qu'il fit ensuite, en abandonnant la voie où il était entré (1). Fauste, au contraire, les yeux fermés, ou plutôt éteints, n'a pas suivi la lumière qui lui montrait clairement le chemin, mais s'est précipité où son extrême malveillance l'entraînait. Oui, aux yeux des lecteurs religieux et qui les aiment, les saints livres, en produisant les exemples des saints qui ont vécu chastes avec plusieurs femmes, ont mieux fait ressortir l'inconduite de Salomon, qui cherchait moins à remplir le but du mariage, qu'à assouvir sa passion; toujours également vrais et sans faire acception de personne, ils l'ont blâmé et désapprouvé en disant simplement qu'il aima les femmes, et que ce fut là ce qui l'entraîna dans le profond abîme de l'idolâtrie.

1. 1R 3,11 Si 47,13-23

CHAPITRE LXXXII. SENS MYSTIQUE DE LA VIE DES PATRIARCHES. ABRAHAM. ISAAC. JACOB. LOTH.

Nous avons passé en revue tous les personnages à l'occasion desquels Fauste attaque les Ecritures de l'Ancien Testament; nous avons rendu à chacun son langage propre; parmi ces hommes de Dieu, nous avons vengé les uns des calomnies des hérétiques charnels, nous avons blâmé les autres, mais en montrant que l'Ecriture est toujours digne d'éloge et de respect. Voyons maintenant, et selon l'ordre que Fauste lui-même a adopté pour les accuser, ce que signifient les actions de ces personnages, ce qu'elles renferment de prophétique, à quels événements futurs elles se rapportent: ce que nous avons déjà fait pour Abraham, Isaac et Jacob, dont Dieu a voulu être appelé le Dieu (2 - Ex 3,15), comme s'il ne l'était que d'eux, lui qui l'est de toute créature: ne leur accordant point cet honneur saris raison, mais parce que, possédant la science parfaite et souveraine, il voyait en eux une charité sincère et très-grande, et aussi, parce qu'il a, en quelque sorte, consommé dans ces trois Patriarches le (356) grand et admirable mystère de son peuple futur. Ils ont engendré, en effet, non-seulement pour la liberté par des femmes libres, comme Sara, par exemple (1), Rébecca (2), Lia et Rachel (3); mais aussi, pour la servitude, par la même Rébecca, mère d'Esaü à qui il a été dit: «Tu seras le serviteur de ton frère (4)». Ils ont ensuite engendré par des servantes, non-seulement pour la servitude, comme par Agar (5), mais aussi pour la liberté, comme par Bala et Zelpha (6). De même, dans le peuple de Dieu et par des hommes spirituels, il naît des enfants pour une glorieuse liberté, comme ceux à qui il est dit: «Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ (7)»; d'autres pour une misérable servitude, comme, par Philippe, Simon (8); puis, par des serviteurs charnels, il en naît, non-seulement pour un damnable esclavage, à savoir, ceux qui les imitent, mais encore pour une glorieuse liberté, comme ceux à qui l'on dit: «Faites ce qu'ils disent, mais ne faites pas ce qu'ils font (9)». Tout homme sage, reconnaissant ce grand mystère dans le peuple de Dieu, maintient, jusqu'à la fin, l'unité de l'Esprit dans le lien de la paix, en s'unissant aux uns, en supportant les autres. Nous en avons autant fait à propos de Loth, en montrant ce que l'Ecriture nous raconte de louable et de blâmable en lui, et quel sens il faut attacher à tout ce récit (10).


CHAPITRE LXXXIII. UNE ACTION MAUVAISE PEUT PROPHÉTISER LE BIEN.

Nous avons maintenant à examiner à quel événement futur a trait l'inceste de Juda avec sa belle-fille (11). Mais il faut d'abord admettre, pour ne pas choquer les esprits faibles, que certaines mauvaises actions, racontées dans les Ecritures, ne pronostiquent pas un mal, mais un bien. Car partout la divine Providence maintient la puissance de sa bonté; et comme, d'un commerce adultère, un homme se forme et vient au monde, Dieu tirant ainsi le bien du mal, ainsi que nous l'avons déjà dit (12), et cela par la fécondité de l'union conjugale et non par la honteuse puissance du vice; de même dans les Ecritures prophétiques, qui racontent les mauvaises actions des hommes aussi bien que les bonnes, puisque la narration

1. Gn 16,1-2 - 2. Gn 25,21 - 3. Gn 29,30 - 4. Gn 27,40 - 5. Gn 16,15 - 6. Gn 30 - 7. 1Co 4,16 - 8. Ac 8,13 - 9. Mt 23,3 - 10. Gn 19 - 11. Gn 38 - 12. Supra, ch. XLVIII.

elle-même est une prophétie, les biens à venir peuvent être prédits par des actions coupables, non par le fait de celui qui les commet, mais bien de celui qui les écrit. Assurément quand Juda, dominé par la passion, abusait de Thamar, il n'avait aucune intention d'attacher à son action un sens prophétique relatif au salut du genre humain; et Judas, qui a trahi le Seigneur, n'avait non plus aucune intention qu'il résultât de son crime rien qui se rapportât à ce même salut des hommes. Or, si, du crime de Judas, le Seigneur a fait résulter un bien immense, notre rédemption par le sang de sa passion; qu'y aurait-il d'étonnant à ce que son Prophète, celui dont il a dit lui-même: «Car c'est de moi qu'il a écrit (1)», eût attaché l'annonce de quelque bien à la mauvaise action de Juda, dans le but de nous instruire? Car, sous la direction et l'inspiration du Saint-Esprit, le Prophète narrateur recueille, parmi les actions des hommes, celles qui ont quelque rapport avec les choses qu'il veut prophétiser; et pour prophétiser des biens, il importe peu que les actions qui y sont destinées, soient bonnes ou mauvaises. Que m'importe, en effet, quand je veux lire l'histoire, qu'on me dise en encre rouge que les Ethiopiens sont noirs, ou en encre noire que les Gaulois sont blancs? Cependant, s'il s'agissait de peinture et non d'écriture, j'y trouverais à redire. De même, pour les actions qu'on nous propose à imiter ou à éviter, il importe beaucoup qu'elles soient bonnes ou mauvaises: mais quand il s'agit de prophéties ou écrites ou parlées, la conduite des acteurs est indifférente; qu'ils soient bons ou mauvais, peu importe, pourvu que leur action soit en quelque point la figure de la chose qu'il est question de prophétiser. Voilà, par exemple, Caïphe dans l'Evangile: à considérer son esprit méchant et malveillant, à peser même, au point de vue de l'intention qui les dictait, les paroles qu'il prononçait pour faire condamner un juste à une mort injuste, certainement ces paroles étaient mauvaises; ce. pendant, à son insu, elles exprimaient un grand bien quand il disait: «Il est avantageux qu'un seul homme meure pour le peuple, et non pas que toute la nation périsse». Aussi dit-on de lui: «Or, il ne dit pas cela de lui-même; mais étant le pontife de cette année-là, il prophétisa que Jésus

1. Jn 5,46

357

devait mourir pour la nation (1)». Ainsi l'action de Juda, comme inspirée par le libertinage, était mauvaise; mais, à son insu, elle prophétisait un grand bien: de lui-même il a fait le mal, mais ce n'est pas de lui-même qu'il a prophétisé le bien. Ces observations préliminaires ne doivent pas seulement s'appliquer à l'acte de Juda, mais à toutes les mauvaises actions des hommes qui pourront se rencontrer et qui sont, dans l'intention du narrateur, la prophétie de quelque bien.


CHAPITRE LXXXIV. THAMAR; LES TROIS FILS DE JUDA, HER, ONAN, SELOM.INTERPRÉTATION DE CES NOMS PROPHÉTIQUES.

Dans Thamar donc, belle-fille de Juda, on entend le peuple du royaume des Juifs, à qui les rois issus de la tribu de Juda étaient unis comme époux. C'est avec raison qu'on interprète ce mot de Thamar par amertume, car c'est ce peuple qui a présenté le vase de fiel au Seigneur (2). Deux espèces de princes qui agissaient mal au sein de la nation, les uns comme nuisibles, les autres comme inutiles, sont représentés par les deux fils de Juda, dont l'un était méchant ou cruel aux yeux du Seigneur, et dont l'autre abusait du mariage pour ne point rendre mère Thamar. Au fait, il n'y a que deux espèces d'hommes inutiles au genre humain: les uns parce qu'ils nuisent, les autres parce qu'ils ne veulent pas donner ce qu'ils ont de bien, préfèrent le perdre en cette vie terrestre et le répandent, pour ainsi dire, à terre. Et comme celui qui nuit est pire que celui qui est inutile, on appelle l'aîné méchant; celui qui abusait du mariage ne venait qu'après. De plus, le nom de Her, que portait l'ainé, veut dire «Vêtu de peaux»; car c'était de peaux que se revêtaient les premiers hommes, expulsés du paradis en vertu de leur condamnation (3). Le nom du second était Aynan (Onan) qui signifie «leur chagrin»: le chagrin de qui, sinon de ceux à qui il n'est point utile, bien qu'il ait de quoi l'être, et qui aime mieux répandre son bien à terre? Or, c'est un plus grand mal d'ôter la vie, ce que signifie «vêtu de peaux», que de ne pas lui venir en aide, ce que signifie «leur chagrin»; cependant, on dit que Dieu les mit tous les deux à mort, ce qui signifie en

1. Jn 11,50-51 - 2. Mt 27,34 - 3. Gn 3,21

figure qu'il a privé du royaume ces deux espèces d'hommes. Quant au troisième fils de Juda, il n'est point uni à Thamar, ce qui indique l'époque où les rois du peuple juif ont cessé d'être tirés de la tribu de Juda. Il était pourtant fils de Juda, mais on ne le donnait point pour époux à Thamar; la tribu de Juda subsistait encore, mais elle ne donnait plus de rois au peuple. Aussi le nom de celui-là est-il «Selom», qui signifie «son renvoi». Evidemment, cette signification ne s'applique point aux saints et aux justes qui, bien qu'ils vécussent en ce temps-là, appartenaient cependant au Nouveau Testament, auquel ils étaient utiles par des prophéties dont ils comprenaient le sens, comme David par exemple. Mais, à l'époque où la tribu de Juda a cessé de donner des rois à la Judée, il ne faut pas compter, parmi ses rois, Hérode le Grand, comme s'il eût été l'époux de Thamar; car il était étranger, et ne tenait point à la nation par le sacrement de l'onction mystérieuse, espèce de contrat de mariage; mais il régnait en qualité d'étranger et avait reçu le pouvoir des Romains et de César. Il en faut dire autant de ses fils les Tétrarques, dont l'un s'appelait Hérode, comme son père, et s'entendit avec Pilate lors de la passion du Seigneur (1). Ces étrangers étaient si peu regardés comme appartenant au royaume mystique des Juifs, que les Juifs eux-mêmes, frémissant de rage contre le Christ, s'écriaient: «Nous n'avons pas d'autre roi que César (2)». Cela n'était vrai qu'en ce sens que les Romains dominaient le monde entier: car César n'était pas proprement le roi des Juifs; mais ils se condamnaient ainsi eux-mêmes dans le double but de rejeter le Christ et de flatter César.


CHAPITRE LXXXV. APPLICATION PROPHÉTIQUE. PROPHÉTIE DE JACOB RÉALISÉE DANS LE CHRIST.

Le temps où la royauté était sortie de la tribu de Juda, était donc celui de l'avènement du Christ, le vrai Sauveur, notre Seigneur, qui loin de nuire devait rendre tant de services. Car la prophétie portait: «Le roi ne sortira pas de Juda ni le prince de sa postérité, jusqu'à ce que vienne celui à qui appartient le sceptre; et il est lui-même l'attente des nations (3)». Déjà alors, suivant la prophétie de

1. Lc 23,12 - 2. Jn 19,15 - 3. Gn 49,10

358

Daniel, toute autorité avait disparu du milieu des Juifs, ainsi que l'onction mystique, qui donnait son nom aux christs. Alors vint celui à qui le sceptre était réservé, l'attente des nations, celui qui a reçu l'onction en qualité de saint des saints (1), l'onction de joie au-dessus de tous ceux qui doivent y participer (2). Il est né, en effet, sous Hérode le Grand (3), mais il a souffert sous Hérode le Jeune, le tétrarque. Venu pour les brebis perdues de la maison d'Israël (4), il avait été figuré par Juda allant tondre ses brebis à Thamna, qui veut dire «planquant», selon les interprètes. Car déjà le prince, l'autorité, l'onction des Juifs manquaient à Juda, en attendant l'arrivée de celui à qui tout cela était réservé. Or, Juda était accompagné de son berger d'Odollam, nommé Iras; et odollamite veut dire «témoignage dans l'eau». Evidemment le Seigneur est venu avec ce témoignage, quoique en ayant un plus grand que celui de Jean (5); néanmoins, par égard pour la faiblesse de ses brebis, il a reçu le témoignage de Jean dans l'eau. Le nom de ce berger, Iras, signifie «vision de mon frère». En effet, Jean vit son frère, son frère selon la race d'Abraham, selon la parenté de leurs deux mères, Marie et Elisabeth; et, en même temps, il vit son Seigneur et son Dieu, celui de la plénitude -duquel il a reçu, comme il le dit lui-même (6). Il l'a vu parfaitement, et voilà pourquoi il ne s'est pas élevé, entre les enfants des femmes, de plus grand que lui (7): parce que, de tous ceux qui ont annoncé le Christ, il a vu ce que beaucoup de justes et de prophètes ont désiré voir et n'ont pas vu (8). Il l'a salué dès le sein de sa mère (9); il l'a reconnu, mieux encore, à la colombe; et par là, en vrai odollamite, il lui a rendu témoignage dans l'eau (10). Or, le Seigneur est venu pour tondre ses brebis, c'est-à-dire les décharger de leurs peines et en former les dents de cette Eglise vantée dans le cantique des cantiques, qui ressemblent aux dents d'un troupeau de brebis dépouillées de leur toison (11).

1. Da 9,24-27 - 2. Ps 44,3 - 3. Mt 2,1 - 4. Mt 15,24 - 5. Jn 5,36 - 6. Jn 1,16 - 7. Mt 11,11 - 8. Mt 13,17 - 9. Lc 1,44 - 10. Lc 3,21-22 - 11. Ct 4,2


CHAPITRE LXXXVI. THAMAR, FIGURE DE L'ÉGLISE.

Maintenant que Thamar change d'habits: car Thamar veut dire aussi «qui change»; mais qu'elle conserve le nom d' «amertume», non de l'amertume du fiel qu'elle a présenté au Seigneur, mais de l'amertume des larmes de Pierre (1). Car Juda se traduit en latin par «confession». Que l'amertume se mêle donc à la confession, pour indiquer une vraie pénitence. C'est cette pénitence qui féconde l'Eglise établie chez toutes les nations. Car «il «fallait que le Christ souffrît, et qu'il ressuscitât d'entre les morts le troisième jour, et «qu'on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés à toutes les nations, en commençant par Jérusalem (2)». En effet, l'habit de la prostituée, c'est la confession des péchés. Thamar assise sous ce vêtement à la porte d'Enan ou Enaïm, qui veut dire «fontaines», est le type de l'Eglise formée de toutes les nations: celle-ci a couru, en effet, comme le cerf aux sources d'eau vive, pour arriver à la postérité d'Abraham, et là, elle est fécondée par quelqu'un qui ne la connaît point, parce qu'il a été prédit d'elle: «Un peuple que je ne connaissais point est devenu mon serviteur (3)». Elle a reçu en secret l'anneau, le collier et le bâton; elle est marquée de la vocation, ornée de la justification, exaltée par la glorification. Car «ceux qu'il a prédestinés, il les a appelés; ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés, et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés (4)». Mais tout cela, comme je l'ai dit, encore dans le secret, là où se forme la conception de la sainte fécondité. Puis on envoie, comme à une autre femme de mauvaise vie, le bouc promis, le bouc qui est le reproche du péché; et on l'envoie par ce même odollamite qui semble gronder et dire: «Race de vipères (5)». Mais le reproche du péché ne tombe plus sur celle que l'amertume de la confession a changée. Plus tard, en montrant les signes, l'anneau, le collier et le bâton, elle a confondu le jugement téméraire des Juifs déjà alors représentés par Juda, qui prétendent, même encore aujourd'hui, que ce n'est point là le peuple du Christ, que nous ne sommes point la race d'Abraham. Mais par la production des preuves les plus certaines de notre vocation, de notre justification, de notre glorification, ils seront sans doute confondus, et conviendront que nous sommes justifiés plus qu'eux.

1. Mt 26,75 - 2. Lc 24,46-47 - 3. Ps 17,43 - 4. Rm 8,30 - 5. Mt 3,7

359

Je m'étendrais avec plus de détail sur ce sujet et le traiterais en quelque sorte membre par membre et article par article, autant que Dieu voudrait bien bénir mes efforts, si le besoin de finir cet ouvrage, déjà plus considérable que je ne l'aurais voulu, ne m'interdisait des développements qui exigeraient trop de travail.


CHAPITRE LXXXVII. SENS PROPHÉTIQUE DU PÉCHÉ DE DAVID.

Je dirai maintenant le plus brièvement possible quel était le sens prophétique du péché de David (1). L'interprétation seule des mots indique déjà ce que ce fait figurait. David veut dire «Fort de la main», ou «Désirable». Or, quoi de plus fort que ce lion de la tribu de Juda, qui a vaincu le monde (2)? Et quoi de plus désirable que celui dont le Prophète a dit: «Le désiré de toutes les nations viendra (3)?» D'après les interprètes, Bersabée veut dire «Puits de rassasiement ou septième puits». Or, laquelle que ce soit de ces deux significations que nous adoptions, nous la trouverons assez convenable; car l'Eglise est cette épouse du Cantique des cantiques, que l'on appelle «Puits d'eau vive (4)»: et le nombre sept s'adapte à ce puits à cause du Saint-Esprit, à raison de la Pentecôte qui est le jour où le Saint-Esprit descendit du ciel (5). En effet, il est constant que ce jour se forme de semaines, ainsi que l'atteste le livre de Tobie (6). Or, à quarante-neuf, résultat de sept multiplié par sept, on ajoute un pour signifier l'unité. C'est à cette raison que se rapporte la pensée de l'Apôtre: «Vous supportant mutuellement en charité, appliqués à conserver l'unité d'esprit, par le lien de la paix (7)». Ainsi, en vertu du don spirituel, c'est-à-dire septénaire, l'Eglise est devenue le puits de rassasiement; parce qu'il s'est formé en elle «une source d'eau jaillissante jusqu'à la vie éternelle», et que celui qui en boira «n'aura jamais soif (8)». Quant à Urie, l'époux de Bersabée, que signifie son nom, si ce n'est le diable, à qui étaient unis par une alliance détestable, tous ceux que la grâce de Dieu affranchit, pour qu'une Eglise sans tache et sans ride soit unie à son véritable Sauveur (9)? En effet, Urie est interprété «ma lumière de

1. 2S 11 - 2. Ap 5,5 - 3. Ag 2,8. - 4. Ct 4,15 - 5. Ac 2,1-4 - 6. Tb 2,suiv. les Sept. - 7. Ep 4,2-3 - 8. Jn 4,13-14 - 9. Ep 5,27

Dieu»; et Chettéen (Héthéen) veut dire «Coupé», c'est-à-dire ou qui n'est pas demeuré dans la vérité (1), mais a été séparé, à cause de son orgueil, de la lumière supérieure qu'il tenait de Dieu; ou qui, tombé pour avoir perdu ses véritables forces, se transforme cependant en ange de lumière (2) et ose encore dire: Ma lumière est de Dieu. David a donc commis un péché grave, monstrueux; Dieu le lui reproche vivement par la voix du prophète, et il le lave lui-même par le repentir néanmoins le Désiré de toutes les nations a aimé l'Eglise se lavant sur le toit, c'est-à-dire se purifiant des souillures du siècle, s'élevant par la contemplation spirituelle, au-dessus de la maison de boue et la foulant aux pieds; puis, après avoir fait une première connaissance en s'unissant à elle, il en a tout à fait éloigné le démon, qu'il a tué ensuite, et contracté avec elle une alliance perpétuelle. Haïssons donc le péché, mais ne lui ôtons pas son sens prophétique; aimons, autant qu'il mérite de l'être, le David qui nous a délivrés du démon par sa miséricorde; aimons aussi l'autre David qui a guéri en lui, par l'humilité de la pénitence, la grave blessure que lui avait faite son iniquité.


CHAPITRE LXXXVIII. CONJECTURE SUR LE SENS DE LA CHUTE DE SALOMON.

Maintenant, que dire de Salomon, que la sainte Ecriture blâme vivement et condamne (3) sans dire nulle part qu'il ait fait pénitence ou que Dieu lui ait pardonné? Je ne vois absolument pas de quel bien sa déplorable chute a pu être la figure, à moins qu'on ne dise que les femmes étrangères qu'il aima passionnément, étaient le symbole des Eglises choisies du milieu des nations. Assurément, cette interprétation serait admirable si, pour plaire à Salomon, ces femmes eussent abandonné leurs dieux et adoré le sien; mais comme c'est lui, au contraire, qui, par condescendance pour elles, a offensé son Dieu et adoré les leurs, il n'est pas possible de voir là aucun symbole de bien. Cependant, je crois qu'il y aune prophétie, mais dans un mauvais sens, comme nous l'avons dit à propos de la femme et des filles de Loth. On voit en effet dans Salomon, un mérite étonnant et une chute non moins étonnante.

1. Jn 8,44 - 2. 2Co 11,14 - 3. 1R 11

360

Or, ce qui se montre en lui à des époques différentes, le bien d'abord et le mal ensuite, se fait voir encore aujourd'hui dans l'Eglise, mais en même temps. Je pense donc que le bien dans Salomon est la figure des bons dans l'Eglise, et le mal, celle des méchants; il n'y a qu'une aire ici, comme il n'y avait là qu'un homme; les bons sont représentés parles grains,, les méchants par la paille; ou, dans la même moisson, les bons par le froment, les méchants par l'ivraie'. Peut-être une lecture plus attentive de ce qu'on a écrit sur ce prince, pourrait-elle suggérer quelque chose de mieux ou à moi, ou à de plus savants et de plus vertueux. Mais, pour le moment, nous ne nous y arrêtons pas davantage, parce que nous sommes pressés par notre sujet, et que nous ne pouvons nous laisser aller à des digressions qui retarderaient notre marche.


CHAPITRE LXXXIX. EXPLICATION SUR OSÉE. TEXTE DE SAINT PAUL.

Pour ce qui concerne le prophète Osée, je n'ai pas besoin d'expliquer le sens de son action ni de l'ordre qu'il reçut du Seigneur: «Va, épouse une femme de mauvaise vie, et qu'elle te donne des enfants de fornication», puisque l'Ecriture elle-même nous fait assez voir l'origine et la raison de cet ordre. Voici, en effet, la suite du texte: «Parce que cette terre se prostituera et s'éloignera du Seigneur. Et il alla et il prit pour femme Gomer, fille de Débélaïm, et elle conçut et elle lui donna un fils. Et le Seigneur lui dit: Nomme l'enfant Jézrahel, car, dans peu de temps, je visiterai le sang de Jézrahel sur la maison de Juda, et je ferai cesser et disparaître le règne de la maison d'Israël. Et il arrivera en ce jour-là que je briserai l'arc d'Israël dans la vallée de Jézrahel. Et elle conçut encore et elle enfanta une fille. Et le Seigneur dit à Osée «Nomme-la: Sans miséricorde (Loruchama), parce que je ne serai plus touché de commisération pour la maison d'Israël, mais que je l'oublierai entièrement: et j'aurai pitié de la maison de Juda, et je les sauverai par le Seigneur leur Dieu, mais je ne les sauverai point par l'arc, ni par le glaive, ni par la guerre, ni par les chevaux, ni par les cavaliers. Et Gomer sevra celle qui s'appelait: «Sans miséricorde», et elle conçut, et elle enfanta

1. Mt 3,12 Mt 13,30

un fils. Et le Seigneur lui dit: Appelle-le: «Non mon peuple» (Loammi), parce que vous n'êtes plus mon peuple, et je ne serai plus votre Dieu. Et le nombre des enfants d'Israël sera comme le sable de la mer, qui ne peut se mesurer ni se compter; et dans ce lieu même où il leur a été dit: Vous n'êtes plus mon peuple, on les appellera: Les fils du Dieu vivant. Et les fils de Juda et les fils d'Israël s'assembleront, et ils se donneront un seul chef, et ils s'élèveront de la terre parce que le grand jour de Jézrahel sera venu. Dites à vos frères: Mon peuple, et à votre soeur: Qui a obtenu miséricorde (1)». Quand donc le Seigneur explique lui-même clairement le sens figuré de l'ordre qu'il donne et de l'action qui s'ensuit, et quand les épîtres de l'Apôtre attestent que la prophétie s'est accomplie dans la prédication du Nouveau Testament: qui osera nier que cet ordre et cette action aient eu le but que lui assigne, dans les saintes lettres, celui même qui a fait agir le Prophète? En effet, l'apôtre Paul nous dit: «Afin de manifester les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde qu'il a préparés pour la gloire, sur nous qu'il a de plus appelés, non-seulement d'entre les Juifs, mais aussi d'entre les Gentils, comme il dit dans Osée: J'appellerai celui qui n'est pas mon peuple, mon peuple: celle qui n'a point obtenu miséricorde, objet de miséricorde; et il arrivera que dans le lieu même où il leur fut dit: Vous n'êtes point mon peuple, ils seront appelés enfants du Dieu vivant (2)», Paul prouve donc que cette prophétie concernait les Gentils. Pierre, à son tour, écrivant aux Gentils, reproduit la prophétie d'Osée, sans nommer le prophète: «Mais vous êtes, vous, une race choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple conquis, afin que vous annonciez les grandeurs de celui qui des ténèbres vous a appelés à son admirable lumière; vous qui, autrefois, n'étiez point son peuple, mais qui êtes maintenant le peuple de Dieu; vous qui n'aviez point obtenu miséricorde, mais qui maintenant avez obtenu miséricorde (3)». Cela prouve donc clairement que ces paroles du Prophète: «Et le nombre des enfants d'Israël sera comme le sable de la mer, qui ne peut se mesurer ni se compter», et celles qui suivent. «Et dans ce lieu même où il leur a été dit: Vous n'êtes plus

1. Os 1,2-11 Os 11,1 - 2. Rm 9,23-26 - 3. 1P 2,9-10

361

mon peuple, on les appellera: Les fils du «Dieu vivant»; que ces paroles, dis-je, ne s'appliquent nullement à Israël selon la chair, mais à cet autre Israël dont l'Apôtre dit aux Gentils: «Vous êtes donc la postérité d'Abraham, héritiers selon la promesse (1)» . Mais comme, dans l'Israël des Juifs, beaucoup ont cru et croiront, car de là venaient les Apôtres et tant de milliers d'hommes qui s'attachèrent à eux dans Jérusalem (2); de là venaient les Eglises dont Paul disait aux Galates: «Or, j'étais inconnu de visage aux Eglises de Judée qui sont dans le Christ (3)»: ce qui fait qu'il entend par la pierre angulaire dont parle le Psalmiste (4), le Seigneur lui-même, en ce sens qu'il a uni en lui deux murailles, à savoir, celles de la circoncision et de l'incirconcision «pour des deux former en lui-même un seul homme nouveau, en faisant la paix, et pour réconcilier à Dieu les deux réunis en un seul corps, détruisant en lui-même leurs inimitiés par la croix; et, en venant évangéliser la paix à ceux qui étaient loin et à ceux qui étaient près», c'est-à-dire aux Gentils qui étaient loin, et aux Juifs qui étaient près; «car c'est lui qui est notre paix, lui qui des deux choses, en a fait une seule (5)»: les choses, dis-je, étant ainsi, c'est avec raison qu'Osée désignant les Juifs par fils de Juda, et les Gentils par fils d'Israël, a dit: «Et les fils de Juda et les fils d'Israël s'assembleront, et ils se donneront un seul chef et ils s'élèveront de terre». Par conséquent, quiconque rejette une prophétie si évidemment vérifiée par l'accomplissement des faits, ne contredit pas seulement un prophète, mais aussi les épîtres des Apôtres; il ne repousse pas seulement, dans son insolence, des écritures quelconques, mais il s'obstine contre des faits accomplis et d'une évidence éclatante. Peut-être, pour l'action de Juda, fallait-il étudier plus soigneusement la question, afin de pouvoir reconnaître sous le vêtement de la femme appelée Thamar, la prostituée qui représente l'Eglise de la prostitution du culte idolâtrique; mais ici, comme l'Ecriture s'explique elle-même clairement, et comme le témoignage des Apôtres y apporte encore un nouveau jour, à quoi bon insister là-dessus, et ne pas passer à ce qui nous reste à dire de Moïse, le serviteur de Dieu, et voir ce que valent les objections de Fauste?

1. Ga 3,29 - 2. Ac 2,41 Ac 4,1 - 3. Ga 1,22 - 4. Ps 117,22 - 5. Ep 2,11-22



CHAPITRE XC. SENS SYMBOLIQUE DU MEURTRE DE L'ÉGYPTIEN PAR MOÏSE.

Moïse, défendant un frère et tuant un égyptien, c'est évidemment la figure du Christ Notre-Seigneur prenant notre défense et mettant à mort le démon, acharné à nous nuire pendant ce pèlerinage. Si Moïse ensevelit dans le sable l'homme qu'il a tué (1), il est clair qu'il a vu d'avance le cadavre caché chez ceux qui ne sont point établis sur un fondement solide. Aussi, le Seigneur fonde-t-il son Eglise sur la pierre, et il compare ceux qui écoutent sa parole et la mettent en pratique à un homme prudent qui bâtit sa maison sur la pierre, pour qu'elle ne cède pas aux tentations et ne tombe pas en ruine; et ceux qui l'écoutent et ne la mettent pas en pratique, il les compare à un insensé qui bâtit sur le sable, et dont la maison, éprouvée par les tentations, devient une grande ruine.


CHAPITRE XCI. CE QUE SIGNIFIENT LES DÉPOUILLES DES ÉGYPTIENS.

Moïse dépouille les Egyptiens par l'ordre du Seigneur son Dieu (2), qui ne commande jamais rien qu'avec la plus parfaite équité. Je me rappelle avoir exposé, autant que je l'ai pu, le sens de cette figure, dans certains livres que j'ai écrits sur la doctrine chrétienne 3: à savoir que l'or, l'argent et les vêtements des Egyptiens signifiaient certaines doctrines qu'il n'est pas sans profit d'étudier dans les rites mêmes des Gentils. Mais que ce soit là la vraie signification, ou que cela veuille dire que les âmes précieuses, choisies parmi les Gentils, comme des vases d'or et d'argent, avec leurs corps, indiqués par les vêtements, se joignent au peuple de Dieu, pour être délivrées de ce siècle comme d'une autre Egypte que ce soit, dis-je, l'un ou l'autre de ces sens, ou peut-être un autre encore, il est certain, pour ceux qui lisent ces Ecritures avec piété, que ce n'est point au hasard et dans un but prophétique que tout cela a été commandé, exécuté, écrit.

1. Ex 2,12 - 2. Ex 3,22 Ex 11,2 Ex 12,35-38 - 3. Liv. 2,ch. XL.

362


CHAPITRE XCII. QUEL ENSEIGNEMENT RENFERME LE MASSACRE DES FABRICATEURS DU VEAU D'OR.

Il serait trop long de traiter en détail de toutes les guerres faites par Moïse. C'est assez d'avoir parlé plus haut, dans cet ouvrage même où je réponds à Fauste, de la guerre faite contre Amalech (1), et d'avoir, autant que le sujet me semblait l'exiger, exposé ce que ce fait contenait de prophétique et de mystérieux. Voyons, maintenant, sur quoi se fonde ce reproche de cruauté adressé à Moïse par des hommes, ou ennemis des anciennes Ecritures, ou étrangers à toute espèce de littérature: ce que Fauste n'a point dit expressément, quand il accusait Moïse d'avoir ordonné et commis bien des cruautés. Mais comme je sais que c'est là le thème habituel de leurs déclamations malveillantes, j'en ai moi-même fait mention plus haut, et justifié le fait pour que les Manichéens de bonne foi, ou les ignorants et les impies cessassent d'y voir un crime. Maintenant, il s'agit de chercher le sens prophétique de cette circonstance que Moïse fit mettre à mort, sans distinction, sans examen préalable, beaucoup de ceux qui avaient fabriqué l'idole en son absence (2). Or, il est facile de comprendre que le massacre de ces hommes, figure la guerre à déclarer aux vices, semblables à ceux qui ont entraîné ces Israélites au même acte d'idolâtrie. C'est à faire la guerre à ces vices que le Psalmiste nous excite, quand il dit: «Fâchez-vous et ne péchez point (3)». C'est encore l'ordre que nous donne l'Apôtre en ces termes: «Faites mourir vos membres qui sont sur la terre: la fornication, l'impureté, la luxure, les mauvais désirs, et l'avarice, qui est une idolâtrie (4)».


CHAPITRE XCIII. SENS MYSTIQUE DE LA DESTRUCTION DE CETTE IDOLE.

Mais nous avons besoin d'un examen plus attentif pour pénétrer le sens de ce que Moïse fit d'abord, quand il jeta le veau d'or dans les flammes, le réduisit en cendre, le mêla à de l'eau et le fit boire au peuple. Qu'il ait brisé les tables qu'il avait reçues écrites du doigt de

1. Ex 17,8-16 - 2. Ex 32 - 3. Ps 4,5 - 4. Col 3,5

Dieu, c'est-à-dire par l'opération du Saint-Esprit, parce qu'il jugeait ce peuple indigne de les entendre lire; qu'ensuite, pour détruire jusqu'aux derniers vestiges de l'idole, il l'ait livrée aux flammes, broyée, et jetée dans l'eau, soit! mais pourquoi la fit-il boire au peuple? Qui ne serait curieux de chercher et de saisir la signification prophétique de ce fait? Avec de l'attention on reconnaîtra d'abord dans ce veau le corps du démon, c'est-à-dire les hommes de toutes les nations, dont le démon est le chef et qu'il entraîne à de tels sacrilèges. Le veau est d'or, parce que les rites de l'idolâtrie sont institués par des hommes qui semblent sages. L'Apôtre dit d'eux: «Parce que, ayant connu Dieu, ils ne l'ont point glorifié comme Dieu, ou ne lui ont point rendu grâces, mais ils se sont perdus dans leurs pensées, et leur coeur insensé a été obscurci; en disant qu'ils étaient sages, ils sont devenus fous, et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une image représentant un homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles (1)». C'est cette apparence de sagesse qui avait fabriqué ce veau d'or, à l'exemple des Egyptiens dont les grands et les savants adoraient des idoles de ce genre. Ce veau figure donc tout le corps de la gentilité, c'est-à-dire tous les peuples livrés à l'idolâtrie. Or, cette société sacrilège, le Christ Notre-Seigneur la consume de ce feu dont il dit dans l'Evangile: «Je suis venu apporter le feu sur la terre (2)»; afin que, personne ne pouvant se dérober à sa chaleur (3), et les nations croyant en lui, le feu de sa vertu brûle en elles l'image du démon. Ensuite, tout le corps est brisé, c'est-à-dire, après avoir été séparé du moule d'une coupable fabrication, il est humilié par la parole de vérité; après quoi il est réduit en poudre et jeté dans l'eau, afin que les Israélites, c'est-à-dire les prédicateurs de l'Evangile, se l'assimilent par le baptême, c'est-à-dire, le fassent entrer dans le corps du Seigneur. C'est à un de ces Israélites, à Pierre, qu'il a été dit des nations mêmes: «Tue et mange (4)». «Tue et mange!» et pourquoi pas aussi, brise et bois? Ainsi ce veau, au moyen du feu, du zèle, du glaive de la parole et de l'eau du baptême, est absorbé par ceux mêmes qu'il s'efforçait d'absorber.

1. Rm 1,21-23 - 2. Lc 12,49 - 3. Ps 18,7 - 4. Ac 10,13

363


CHAPITRE XCIV. TOUT, DANS LES ÉCRITURES, TEND AU CHRIST ET À L'ÉGLISE.

Si donc ces passages des Ecritures, qui donnent occasion aux hérétiques de calomnier les Ecritures, étant soigneusement étudiés, et en quelque sorte interrogés, répondent qu'ils renferment des trésors de mystères, d'autant plus admirables qu'ils semblent plus obscurs; à combien plus forte raison, la bouche de ces impies blasphémateurs devrait-elle rester muette, quand ils sont comme éblouis par l'éclat de la vérité contre laquelle leur esprit oppressé ne sait plus que balbutier; bien que, les misérables, ils aiment mieux être étouffés par son évidence, que rassasiés de sa douceur! Ainsi, tout cela n'a qu'une voix pour nommer le Christ; c'est vers cette tête, déjà montée au ciel, et ce corps qui se débat sur la terre jusqu'à la fin des siècles, que converge la pensée de tous ceux qui ont écrit les saintes lettres; il faut croire qu'il n'y a pas un texte dans les livres prophétiques qui n'ait trait à un événement futur; sauf les passages dont le but est de relier ce qui prédit ce roi et son peuple, par des paroles ou des actes propres ou figurés. En effet, comme dans une lyre ou tout autre instrument de musique, tout ce qu'on touche ne rend pas des sons, mais les cordes seulement; et néanmoins les autres parties de l'instrument ont été fabriquées pour pouvoir attacher et tendre ces mêmes cordes que le musicien doit accorder et frapper pour en tirer une douce harmonie: ainsi, dans ces récits prophétiques, tout ce que l'esprit de prophétie choisit dans les actions humaines ou a quelque rapport avec l'avenir, ou est introduit dans le texte pour relier et rendre sonores, en quelque sorte, les parties qui renferment l'annonce des événements futurs.


CHAPITRE XCV. LES ÉCRITURES SONT IRRÉPROCHABLES EN TOUT.

Si les hérétiques ne veulent pas entendre comme nous ces récits de faits allégoriques, ou prétendent qu'il n'y faut voir autre chose que le sens littéral, il est inutile de lutter.avec des gens qui vous disent: Mon palais n'a pas le même goût que le vôtre; mais qu'au moins ils croient et comprennent (l'un et l'autre plutôt que ni l'un ni l'autre) que les commandements divins, ou sont destinés à former les moeurs et la piété, ou ont quelque sens figuré; et, dans ce dernier cas, qu'ils rattachent ces paroles et ces actions figurées à ces mêmes bonnes moeurs et à la piété. Donc, si les Manichéens ou d'autres ne goûtent pas, au sujet des figures renfermées dans les faits, notre interprétation, notre raison, notre opinion que ce soit assez pour nous, que nos pères, à qui Dieu lui-même rend le témoignage d'une vie vertueuse et fidèle à ses commandements, soient justifiés en vertu d'une règle de vérité qui ne peut déplaire qu'à des coeur s dépravés et faussés dans leurs voies: et aussi que cette partie de l'Ecriture, détestée de l'erreur manichéenne, reste exempte de reproches et digne de respect dans tous les récits qu'elle nous fait des actions des hommes, soit qu'elle les loue, soit qu'elle les blâme, soit qu'elle se contente de les raconter en les abandonnant à notre jugement.


CHAPITRE XCVI. UTILITÉ DES SAINTES ÉCRITURES.

Du reste, que pouvait-on imaginer de plus utile et de plus salutaire pour ceux qui lisent ou écoutent avec piété les saintes Ecritures, que de leur mettre sous les yeux, non-seulement des hommes de bien à imiter, et des hommes coupables propres à inspirer de l'horreur pour le mal, mais encore les faiblesses et les chutes de quelques hommes de bien, soit qu'ils aient fait pénitence et repris le droit chemin, soit qu'ils aient persévéré dans leur égarement; et encore la conversion de certains méchants et leurs progrès dans le bien, soit qu'ils aient tenu ferme j usqu'à la fin, ou qu'ils soient retombés dans leurs anciens désordres; en sorte que les justes ne s'enflent point d'orgueil dans une fausse sécurité, et que les méchants ne repoussent pas les remèdes dans l'endurcissement du désespoir? Quant aux actions humaines qui n'offrent rien à imiter ni à éviter et que la sainte Ecriture raconte néanmoins, ou elles sont là comme des traits d'union, comme préparation à des sujets plus importants; ou, par cela même qu'elles semblent inutiles, elles laissent supposer qu'il y a en elles quelque signification mystérieuse ou prophétique. Car nous ne parlons pas de ces livres qui ne contiennent point de prophéties, ou qui n'en renferment qu'un petit nombre, (364) dont l'accomplissement démontre l'autorité divine par l'éclat le plus visible, le plus frappant, de la vérité; en sorte qu'il faut être complètement fou, pour croire leur langage inutile ou ridicule, quand, non-seulement on les voit humblement acceptés par toute espèce d'hommes et d'esprits, mais qu'on lit ou qu'on sait que tout ce qu'ils contiennent de prédictions est parfaitement réalisé.


CHAPITRE XCVII. C'EST LE REMÈDE, ET NON LE POISON, QU'OFFRENT LES ÉCRITURES.

Quoi donc! si quelqu'un, par exemple, en lisant le fait de David, dont il a fait pénitence sur les reproches et les menaces du Seigneur, y prenait occasion de commettre le péché, quoi! faudrait-il s'en prendre à l'Ecriture? cet homme ne devrait-il pas, au contraire, être d'autant plus sévèrement condamné qu'il aurait abusé, pour se blesser ou se tuer, d'un récit qui était destiné à le guérir et à le délivrer? En effet, comme les hommes tombés dans le péché négligent par orgueil le remède de la pénitence, ou se perdent tout à fait parce qu'ils désespèrent de recouvrer la santé et de mériter le pardon: voilà pourquoi on a cité l'exemple d'un si grand homme, afin que les malades se guérissent, et non pour que ceux qui se portent bien se blessent. Ce n'est point à la médecine qu'il faut s'en prendre, si les remèdes servent aux fous à se tuer eux-mêmes, ou aux malfaiteurs à tuer les autres.


CHAPITRE XCVIII. LES PATRIARCHES ET LES PROPHÈTES, FUSSENTILS AUSSI COUPABLES QUE LE VEUT FAUSTE, VAUDRAIENT ENCORE MIEUX QUE LE DIEU DES MANICHÉENS.

Et néanmoins, nos pères les Patriarches et les Prophètes, à qui l'Ecriture rend un si glorieux témoignage de sainteté et de piété: cette Ecriture donnée de Dieu pour le salut du genre humain, de l'aveu de quiconque la connaît ou n'a pas perdu le sens commun: nos pères, dis-je, dussent-ils être voluptueux et cruels, comme les en accuse l'erreur, ou plutôt la fureur des Manichéens, ne seraient-ils pas encore évidemment au-dessus, je ne dis pas de leurs élus, mais même de leur dieu? Ne vaut-il pas mieux qu'un homme marié se vautre avec une femme de mauvaise vie, que d'être la lumière très-pure, et de se souiller en se mêlant aux ténèbres? Voilà un homme qui, par avarice et par gourmandise, dit que sa femme est sa soeur, et la vend à un adultère, soit; mais combien plus pervers, combien plus exécrable est celui qui feint d'accommoder son sexe à la convoitise des impudiques, et se livre gratuitement à la profanation et à la corruption? Celui qui abuse, même sciemment, de ses filles, n'est-il pas moins coupable que celui qui mêle ses membres à de tels désordres, et à de plus grandes turpitudes encore? Car, que peut-on commettre d'impur, de criminel en ce genre, où votre dieu, Manichéens, ne participe pas? Si enfin Jacob, placé, comme dit Fauste, entre quatre femmes, eût passé vraiment comme un bouc de l'une à l'autre, sans s'inquiéter d'avoir des enfants, mais par pure volupté: combien il serait encore moins misérable que votre dieu, qui ne subirait pas seulement cette ignominie dans Jacob et dans ses quatre femmes, comme faisant partie de leurs corps et étant mêlé à tous leurs mouvements; mais éprouverait encore la passion dans le bouc même (hideux objet de comparaison produit par Fauste), et se retrouverait partout, par l'effet de son ignoble condition, brûlé d'une ardeur impure dans le bouc, conçu dans la chèvre et engendré dans le chevreau? Par conséquent, si Juda a été sciemment coupable, non-seulement de fornication, mais d'inceste avec sa propre fille, votre dieu se serait arrêté, vautré, enflammé dans ce crime honteux. David s'est repenti de l'iniquité qu'il avait commise en aimant une femme étrangère et en faisant périr son mari; p mais quand votre dieu se repentira-t-il d'avoir été aimé par la race infernale des princes des ténèbres, mâles et femelles, d'avoir livré ses membres à leur passion; d'avoir tué, non pas le mari d'une femme qu'il aurait aimée, mais ses propres fils dans les membres des démons dont il a été passionnément aimé? Et quand même David n'aurait pas fait pénitence, quand il n'aurait pas recouvré, au moyen de ce remède, la santé de la justice, il eût encore été meilleur que le dieu des Manichéens. Admettons, en effet, que par cette seule action ou par toutes celles qu'on voudra, il a commis tous les crimes qu'un homme peut commettre; le dieu des Manichéens, lui, est convaincu de participer à tous les crimes commis par tous (365) les hommes, d'être déshonoré et souillé par le mélange de tous ses membres. Et Fauste accuse le prophète Osée! Et si Osée, par un motif de honteuse convoitise, eût aimé et épousé une femme de mauvaise vie, les âmes des deux, celle du voluptueux amant et celle de l'immonde prostituée, eussent été, d'après vos enseignements, des parties, des membres, la nature même de votre dieu; par conséquent, cette prostituée, (à quoi bon user de détours et ne pas dire la vérité? ) cette prostituée eût été votre dieu! Car vous ne pouvez objecter qu'il eût maintenu et conservé la sainteté de sa nature, qu'il n'eût été que présenté et non enchaîné à ce corps de prostituée: puisque vous convenez que ces membres de votre dieu sont horriblement souillés, et qu'ils ont grand besoin d'être purifiés. Cette femme de mauvaise vie, que vous osez reprocher à l'homme de Dieu d'avoir épousée, serait donc votre dieu, quand même elle ne se fût pas convertie par un chaste mariage; ou, si c'est trop, tout au moins vous ne pouvez nier que son âme eût été une partie, quoique minime, de votre dieu. Et elle eût encore valu mieux que lui, parce que, après tout, ce n'était qu'une prostituée, tandis que lui, à raison de son mélange avec tout le peuple des ténèbres, est prostitué dans toutes les prostituées, se vautre, est délié, lié, au loin et au large, dans tous ceux, mâles et femelles, qui commettent la fornication ou se corrompent eux-mêmes, sauf à se vautrer de nouveau, à être délié, lié, dans toute leur progéniture, jusqu'à ce que cette très-immonde partie de votre dieu soit reléguée à l'extrémité du globe comme une prostituée perdue sans ressource. Et ces maux, ces turpitudes, ces déshonneurs, votre dieu n'a pu en préserver ses membres; il y a été invinciblement forcé par un impitoyable ennemi, qu'il n'a pu tuer, malgré ses injures et ses violences, pour sauver soit ses sujets, soit ses membres. Combien donc vaut mieux celui qui tue un égyptien pour défendre un frère et sans souffrir lui-même, cet homme que Fauste accuse, avec une étonnante légèreté, et sans songer à son Dieu: aveuglement plus étonnant encore! Qu'il eût bien mieux valu pour ce dieu enlever les vases d'or et d'argent des Egyptiens que de voir ses membres devenir la proie du peuple des ténèbres! Et après qu'il a fait une guerre si malheureuse, ses adorateurs reprochent au serviteur de notre Dieu d'avoir fait des guerres; des guerres où lui et les siens ont constamment triomphé des ennemis, où le peuple d'Israël a fait des prisonniers et des prisonnières: ce que votre dieu n'eût certainement pas manqué de faire s'il l'avait pu. Ce n'est donc pas là blâmer le mal, mais jalouser plus heureux que soi. Et en quoi Moïse a-t-il été cruel pour avoir puni par le glaive un peuple qui avait si gravement offensé Dieu? Et pourtant il demande grâce pour cette faute et s'offre lui-même comme victime à la vengeance céleste. Mais admettons qu'il ait agi en cette circonstance par cruauté, et non par pitié: il serait encore bien au-dessus de votre dieu. Car certainement s'il eût envoyé contre un gros d'ennemis un des siens, un homme innocent et docile, et que celui-ci eût été fait prisonnier, jamais, après la victoire, il n'eût condamné cet homme; et c'est cependant ce que votre dieu a fait d'une partie de lui-même qu'il clouera au globe, parce qu'elle a obéi à ses ordres, parce qu'elle a marché contre les bataillons ennemis, et bravé la mort pour sauver son royaume. Mais, dit-on, pendant une série de siècles, cette partie déjà mêlée et unie aux méchants, n'avait point obéi aux commandements. Voyons pourquoi. Si c'était de sa propre volonté, la faute était réelle et la peine était juste; mais si la volonté peut être coupable, il n'y a donc pas de nature contraire qui force à pécher, et par conséquent le système des Manichéens est convaincu de mensonge et se trouve sapé par la base. Si, au contraire, elle a été vaincue par l'ennemi contre qui on l'avait envoyée, si elle a été accablée par un désastre extérieur auquel elle n'a pu résister, la peine est injuste et devient une monstrueuse cruauté. Mais on invoque, pour excuser le dieu, la loi de la nécessité. Eh bien! que ce soit là le dieu de ceux qui ne veulent par adorer Dieu. Il faut néanmoins convenir que les adorateurs de ce dieu, quoique très-coupables de l'adorer, valent encore mieux que lui, puisqu'ils existent; tandis qu'il n'est, lui, que néant, qu'une vaine fiction, une chimère. Passons maintenant aux autres arguties et rêveries de Fauste.



Augustin contre Fauste - CHAPITRE LXXIX. MOÏSE JUSTIFIÉ D'AVOIR PUNI LES ADORATEURS DU VEAU D'OR. ANECDOTE RELATIVE A L'APÔTRE SAINT THOMAS.