Augustin, contre Donatistes - CHAPITRE XXIII. RÉPONSE AUX OBJECTIONS DES DONATISTES, ET EXPLICATION DE PLUSIEURS TEXTES DES LIVRES SAINTS.

CHAPITRE XXIII. RÉPONSE AUX OBJECTIONS DES DONATISTES, ET EXPLICATION DE PLUSIEURS TEXTES DES LIVRES SAINTS.


64. Jérémie a dit, il est vrai: «Elle est devenue à mes yeux comme une eau menteuse n'ayant point de foi». Mais le Prophète n'a pas voulu parler de l'eau que tu penses. Lis avec attention. C'est la multitude des hommes menteurs qu'il a désignée à la manière des Prophètes par cette eau menteuse. Les Prophètes aiment le langage figuré. L'Apocalypse, nous le savons, appelle les peuples des eaux (3). Voici le passage de Jérémie: «Pourquoi ceux qui m'affligent sont-ils



1. Jn 13,10 - 2. Lc 24,46-47 - 3. Ap 17,15

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vainqueurs? Ma blessure est profonde; comment la guérir? Elle est devenue pour moi comme une eau menteuse n'ayant plus de fidélité (1)». C'est sa blessure qui est devenue pour lui comme une eau menteuse, et ce sont les peuples qui l'affligent qu'il appelle sa blessure. «Qui m'affligent»; et ensuite: «Ma blessure», c'est la même idée; comme aussi ces deux expressions: «Sont vainqueurs», et «profonde» désignent la même chose.


65. Vous tombez dans la même erreur à propos de ce texte: «Abstenez-vous de l'eau d'autrui, et ne buvez pas aux sources d'autrui (2)». Vous pensez qu'il s'agit ici du baptême donné par les hérétiques, et que ce baptême est une eau étrangère, parce que les hérétiques ne posséderont pas le royaume des cieux. Mais n'est-il pas dit également de ceux qui s'abandonnent à l'ivresse, à la haine et à d'autres vices semblables, qu' «ils ne parviendront pas au royaume de Dieu (3)». Cependant, pourvu qu'ils aient été baptisés selon l'Evangile, leur baptême est le baptême du Christ, et non pas le leur. Donc ce n'est pas une eau étrangère, bien qu'ils soient étrangers eux-mêmes; car c'est à ceux que le Sauveur dira: «Je ne vous connais pas (4)». Pourquoi ne pas voir dans cette eau étrangère, dans ces sources étrangères, la doctrine du malin esprit, qui trompe et séduit ceux qui se sont éloignés de Dieu par l'ignorance produite en eux par l'aveuglement de leurs coeurs. N'est-ce pas ce qu'enseigne expressément l'Apôtre: «L'Esprit dit manifestement que dans les derniers temps certains hommes s'éloigneront de la foi, s'attachant aux esprits séducteurs et aux doctrines des démons (5)?» Voilà cette eau étrangère et cette source étrangère. Si en bonne part l'eau s'entend de l'Esprit-Saint, pourquoi en mauvaise part l'eau ne s'entendrait-elle pas du malin esprit? Quand l'eau se trouve nommée, elle ne désigne pas toujours le sacrement de baptême: tantôt elle a ce sens, tantôt un autre. Ce baptême visible, déjà les Apôtres l'avaient donné à d'autres, avant de recevoir l'Esprit-Saint, selon la promesse du Sauveur, et cependant c'est de l'Esprit-Saint que Jésus a dit «Si quelqu'un a soif, qu'il vienne et qu'il boive; celui qui croit en moi, des fleuves d'eau vive, comme dit l'Ecriture, jailliront



1. Jr 15,18 - 2. Pr 5,15 - 3. 1Co 6,10 Ga 5,21 - 4. Mt 7,23 - 5. 1Tm 4,1

de son sein». L'Evangile explique ensuite en quel sens cela fut dit: «Or, Jésus parlait de l'Esprit-Saint que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui. Car l'Esprit-Saint n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié (1)». Par l'eau dont il parle il entend donc l'Esprit qui n'avait pas encore été donné, bien que l'eau du baptême eût été déjà donnée à un grand nombre.


66. Voici encore un autre texte que vous ne comprenez pas mieux: «Buvez l'eau de vos «vases et des sources de vos puits. Que la source de votre eau vous soit propre, et que personne ne la partage avec vous, et que vos eaux ne s'écoulent point dehors, et qu'elles n'arrosent que vos places (2)». Il ne s'agit pas ici du baptême visible que peuvent recevoir les étrangers, c'est-à-dire ceux qui ne posséderont point le royaume de Dieu; mais bien de ce don de l'Esprit-Saint, partage exclusif de ceux qui régneront éternellement avec le Christ. «Car», dit l'Apôtre, «la charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (3)». La charité dilate le coeur; c'est pourquoi il est dit qu'elle se répand, et c'est pourquoi aussi l'Apôtre dit aux Corinthiens: «Notre bouche s'ouvre vers vous, ô Corinthiens, notre coeur s'est dilaté (4)». Cette dilatation est figurée sous le nom de «places».


67. Quand donc on nous dit ouvertement «Ne croyez pas toute sorte d'esprits, mais éprouva les esprits pour savoir s'ils sont de Dieu (5)», c'est le sens caché dans cette figure: «Abstenez-vous des eaux étrangères et ne buvez pas à des sources étrangères». Cette autre pensée: «La charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs par l'Esprit«Saint qui nous a été donné», c'est J'explication de cette figure: «Que la source de ton eau te soit propre, et qu'aucun étranger ne la partage avec toi». Les étrangers peuvent bien recevoir de Dieu un grand nombre de présents; non-seulement ceux qui nous sont communs avec les pierres et les arbres, comme l'être et la force; non-seulement ceux qui nous sont communs avec les animaux, comme la faculté de respirer et celle de sentir, mais de plus grands encore et qui n'appartiennent qu'à l'homme, comme la raison, la parole, une foule d'arts utiles et beaucoup d'autres



1. Jn 7,37-39 - 2. Pr 5,15-17 - 3. Rm 5,5 - 4. 2Co 6,11 - 5. 1Jn 4,1

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choses. Les étrangers peuvent même recevoir quelques-uns des dons accordés à la maison de Dieu; oui, les étrangers, c'est-à-dire, ceux auxquels n'appartiendra pas le royaume de Dieu, auxquels le Seigneur dira: «Je ne vous connais pas,», alors même qu'ils diront à leur tour: «Nous avons prophétisé en votre nom et fait plusieurs miracles». Il les repoussera: «Car», dit l'Apôtre, «quand même j'aurais le don de prophétie, et que je posséderais tous les secrets et toute la science, quand j'aurais assez de foi pour transporter les montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien (1)». Voilà le don de l'Esprit-Saint qui appartient en propre aux saints, et auquel les étrangers ne participent point. Non, les méchants et les fils de la géhenne n'ont point la charité, quand même ils recevraient le baptême du Christ, comme Simon l'avait reçu. Les hérétiques n'ont point la charité: ils ne la reçoivent qu'après leur conversion, et lorsqu'ils embrassent sincèrement le lien de la charité. Sans ce don de l'Esprit-Saint, c'est en vain qu'ils auront reçu le baptême du Christ, ils ne posséderont point le royaume du Christ: car ils ne sont pas entrés dans cette fontaine dont les eaux coulent sur les places des saints, sans en sortir jamais pour couler ailleurs, dans cette fontaine qui répand en nos coeurs la charité de Dieu par l'Esprit-Saint qui nous a été donné. Cessez donc de nous rappeler ces témoignages que vous ne comprenez pas, ou que vous savez vous être contraires et nous être favorables. S'ils sont équivoques et qu'on puisse les interpréter dans votre sens et dans le nôtre, en quoi peuvent-ils servir votre cause? Ah! si nous voulions invoquer des textes obscurs, nous en trouverions mille qui pourraient nous défendre. Néanmoins de pareils textes soutiennent la mauvaise cause, ne serait-ce qu'en apportant des délais.



CHAPITRE XXIV. SUITE DU MÊME SUJET.


68. «Voici», disent-ils, «que l'eau a coulé du corps du Seigneur». Et quel parti peux-tu tirer de ce texte, ô hérétique? «Le voici», répond-il: «Le texte veut dire que le baptême ne se trouve que dans le corps du Christ, c'est-à-dire dans l'Eglise». Mieux vaudrait dire



1. 1Co 13,2

Le baptême vient du corps du Christ, c'est-à-dire de l'Eglise. Encore faut-il être sûr que cette eau figurait le baptême; ce qui demanderait un examen sérieux. Le baptême que vous recevez, nous disons, nous aussi, qu'il vient du corps du Seigneur, c'est-à-dire de l'Eglise, bien que vous ne soyez pas dans l'Eglise, comme n'y sont pas ceux qui, au lieu de bâtir sur la pierre, bâtissent sur le sable. Pourquoi ne le remarquez-vous pas? Cette eau, qui selon vous figure le baptême, n'était pas seulement dans le corps du Seigneur, mais elle est sortie de son corps, et cela par une blessure du persécuteur. Car ni les hérétiques, ni les méchants, quels qu'ils fussent, n'eussent emporté dehors les sacrements avec eux, s'ils eussent gardé l'unité dans le corps du Seigneur. Voyez-vous quelle profondeur dans ce texte, et comme le sens de ce mystère est caché?


69. Mais il suffit: cessez de recourir à de pareils moyens. Tous ces textes que vous pouvez produire, ou sont en notre faveur, ou bien, pour atténuer nos moyens de défense, ils ne favorisent pas plus les uns que les autres. Mais vous vous retranchez derrière ces témoignages obscurs, pour n'être pas obligés d'avouer ceux qui sont manifestes. Voici l'Eglise: elle vous demande quels sont vos sentiments; oui, cette Eglise que les témoignages si manifestes des saintes Ecritures louent, représentent, prédisent et montrent: «Ce que nous avons entendu, nous l'avons vu aussi (1)», elle vous dit: Pourquoi douter de la manière dont vous serez reçus? Pourquoi ne pas vouloir être reçus, comme l'Eglise reçoit, puisqu'elle a pour elle le témoignage de Celui qui ne peut mentir? Montrez-nous par les Ecritures canoniques, par des textes bien clairs, qu'il faut baptiser de nouveau dans l'Eglise catholique celui qui chez les hérétiques a été baptisé au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Si vous ne pouvez nous le montrer, montrez-nous du moins dans ces mêmes Ecritures quelque texte clair et évident qui soit favorable au parti de Donat. Alors j'avouerai que nous devons nous rendre et que les hérétiques doivent être reçus, comme les reçoit l'Eglise où vous êtes, puisqu'elle a été déclarée par un pareil témoignage. Pourquoi cette agitation? Pourquoi ce trouble? Vous ne trouvez pas dans les Ecritures canoniques ce que nous exigeons de



1. Ps 47,9

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vous à si juste titre. Car votre texte favori: «Où fais-tu paître ton troupeau, où te reposes-tu au midi (1)?» vous voyez ce qu'il signifie, et combien il vous est peu favorable! N'en cherchez donc plus de semblables. Si le parti de Donat était dans les contrées de l'Aquilon, opposées à celles du midi, ce parti dirait que c'est à son sujet qu'il a été dit: «Les montagnes de Sion, les côtes de l'Aquilon sont la cité du Dieu très-grand (2)». Car la cité du grand Roi ne peut être que l'Église. On y découvrirait l'Église bien plutôt que dans ce texte: «Où fais-tu paître ton troupeau, où te reposes-tu dans le midi?» C'est sur ce passage peut-être que s'appuierait l'hérétique Marcion, qui, à ce que l'on dit, était du Pont, pays situé au Nord. Si le parti de Donat se trouvait à l'Occident, il dirait encore qu'il s'agit de lui dans ce passage: «Dirigez-vous vers Celui qui monte au-dessus du couchant. Le Seigneur est son nom (3)». Ces paroles: «il monte au-dessus du couchant», peut-être les trouverait-il plus sublimes que celles-ci: «Qui se repose au midi». Tous ces textes sont mystérieux, obscurs, figurés. Ce que nous vous demandons, ce sont des textes clairs, et qui n'aient pas besoin d'explication.


70. Je vous reçois donc, continue l'Église, comme reçoit la postérité d'Abraham, «dans laquelle toutes les nations sont bénies (4)». Ces mots seraient peut-être obscurs; mais saint Paul nous déclare que la postérité d'Abraham, c'est le Christ (5). Je vous reçois, comme reçoit «cette femme stérile dont les fils sont plus nombreux que ceux de la femme avant un époux», paroles obscures aussi, mais que saint Paul éclaircit en nous disant que cette femme c'est l'Église notre mère; cette Eglise à laquelle il a été dit: «Le Seigneur, qui .te délivre, sera appelé le Dieu de toute la terre (6)»; à laquelle il a été, dit encore: «Ta terre, c'est le monde entier (7)». Je te reçois comme reçoit cette reine dont il est dit dans les psaumes: «La reine s'est assise à votre droite»; et, à laquelle il, est dit: «Des fils te sont nés à la place de tes pères; tu les établiras princes sur toute la terre (8)». Enfin, pour ne pas prolonger, je te reçois comme reçoit l'Église «dans toutes les nations, à commencer par Jérusalem (9)»; comme reçoit



1. Ct 1,6 - 2. Ps 62,3 - 3. Ps 67,5 - 4. Gn 22,18 - 5. Ga 3,16 - 6 Is 54,1-5 Ga 4,26-27 - 7 Is 62,4 - 8. Ps 44,10-17 - 9. Lc 24,47

l'Église, «qui rend témoignage au Christ à Jérusalem et dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités du monde (1)». Celui qui te reçoit, n'est-ce pas celui-là même quia dit toutes ces choses à son sujet, qui l'a montrée dans des paroles si claires, pour que personne ne pût la méconnaître? Je te reçois comme reçoit le froment semé dans le champ et qui croît avec l'ivraie jusqu'à la moisson. «Car ce sont les fils du royaume; le champ est le monde, la moisson est la fin des siècles (2)». Le Seigneur a expliqué lui-même ces paroles, elles sont dans l'Évangile, elles sont les paroles du Sauveur, elles sont claires. Je pourrais ajouter: Je vous reçois, comme vous avez reçu ceux que Prétextat et Félicien, condamnés par vous, ont baptisés hors de votre communion. Vous n'auriez certainement rien à répliquer. Mais j'aime mieux vous tenir un langage qui puisse terrasser aussi les Maximianistes eux-mêmes, qui a leur tour ont triomphé de vous, en réfutant vos deux textes de prédilection sur le petit nombre et sur le midi, textes que vous expliquez si souvent et si maladroitement. Je vais donc vous tenir un langage qui vous accablera tous ensemble, puisque tous ensemble vous vous insurgez contre nous. Nous vous recevons, si vous voulez renoncer à vos erreurs, comme reçoit cette Eglise que Jésus-Christ a déclaré devoir commencer par Jérusalem, et que les Actes nous disent avoir en effet commencé par là; que Jésus-Christ a déclaré devoir se répandre dans toutes les nations, et que les Actes des Apôtres nous montrent répandue déjà dans mi grand nombre, avant d'être venue en Afrique; que Jésus-Christ a déclaré devoir remplir l'univers, avant que vienne la fin des siècles. Car le Seigneur lui-même a dit: «Cet Evangile sera prêché dans toutes les nations, et alors viendra la fin». Voici les immondices: «Parce que l'iniquité s'est multipliée, la charité d'un grand nombre se refroidira». Voici le froment: «Celui qui aura persévéré jusqu'à la fin sera sauvé (3)». Où voyez-vous l'Afrique désignée comme étant dans le parti de Donat? Voici encore le froment de l'Église: «Afin que tu saches», dit l'Apôtre, «comment tu dois te conduire dans la maison de Dieu, qui est l'Église du Dieu vivant, la colonne et l'appui de la vérité. Et assurément c'est un grand mystère



1. Ac 1,8 - 2. Mt 13,30-39 - 3. Mt 24,12-14

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de piété, qui a été manifesté dans la chair, justifié dans l'esprit, qui a apparu aux Anges, qui a été prêché parmi les nations, cru dans le monde, élevé dans la gloire (1)». Voici les immondices: «Or, l'Esprit dit manifestement que dans les derniers temps certains hommes s'éloigneront de la vérité, s'attachant à des esprits séducteurs, aux doctrines des démons (2)», etc. Où donc voyez-vous encore l'Afrique désignée comme étant dans le parti de Donat, comme restant la colonne et l'appui de la vérité, le mystère de piété, duquel jusqu'à la fin on doit dire: «Il a été prêché parmi les nations, cru dans le monde, élevé dans la gloire?»


71. N'est-ce pas assez d'arguments? Si vous voulez répondre à cette lettre, interrogez les Écritures, citez un témoignage clair au sujet de l'Afrique, la seule des provinces où se trouve le parti de Donat, ou du moins la seule d'où il soit sorti. Cela est impossible, car l'Écriture ne peut contredire les textes si clairs que-nous avons produits. Si vous cherchez des lecteurs crédules à qui vous pourriez faire aisément partager vos soupçons, vos accusations et vos calomnies, si vous voulez leur présenter un nouvel Evangile, quand il n'en existe pas, et nous annoncer autre chose que ce que nous avons appris, fussiez-vous un ange du ciel, vous serez anathème (3). Si le démon, qui tomba du ciel pour ne s'être pas maintenu dans la vérité, eût été anathème pour l'homme, le jour où il lui annonça autre chose que ce que Dieu lui avait annoncé, nos premiers parents n'auraient pas été condamnés à la mort et n'auraient point quitté le séjour du bonheur.



CHAPITRE XXV. EXHORTATION FINALE.


72. Ainsi donc, mes bien chers, vous à qui j'écris cette lettre, gravez dans vos coeurs et observez fidèlement le précepte du Pasteur qui a donné son âme pour ses brebis, et qui maintenant, plein de gloire et de majesté, est assis à la droite de Dieu le Père. «Mes brebis entendent ma voix et me suivent (4)». Vous avez entendu ses paroles si lumineuses; ce n'est pas seulement par la loi, par les Prophètes et par les psaumes, mais par sa propre bouche qu'il recommande son Eglise future. La réalisation de ces prophéties, l'ordre dans



1. 1Tm 3,15-16 - 2. 1Tm 4,1 - 3. Ga 1,8 - 4. Jn 10,27

lequel elles se sont accomplies, vous le trouvez dans les Actes et dans les Epîtres des Apôtres, qui terminent le canon des livres saints. Ici rien d'obscur: vous ne pouvez vous laisser tromper par ceux qui, selon la prédiction du Seigneur, doivent un jour venir et dire aux hommes: «Le Christ est ici, il est là, il est dans le désert», c'est-à-dire là où n'est point la multitude. «Il est dans la chambre (1)», c'est-à-dire dans les traditions et les doctrines secrètes. Vous savez que l'Église doit se répandre partout et croître jusqu'à la moisson. Vous savez que l'Église est une cité, dont celui-là même qui l'a fondée a dit: «La cité bâtie sur la montagne ne peut être cachée (2)». Elle n'est donc pas dans quelque coin de la terre, mais elle est bien connue partout. Parfois le froment qu'elle contient est tellement éprouvé par la tempête qu'en certains endroits on ne le tonnait plus. Néanmoins il y demeure caché; car la sentence divine ne peut se tromper; il doit croître jusqu'à la moisson.


73. Parfois dans d'autres nations les troubles de l'hérésie et du schisme ont prévalu, et plusieurs membres de l'Église ont été opprimés et comme voilés d'un sombre nuage. Mais ils étaient toujours là, et peu, de temps après ils ont brillé d'un nouvel éclat que tous ont aperçu. Dans l'Afrique elle-même, après ce conciliabule de Sécundus de Tigisit, où à la faveur de la sédition et du trouble, une femme noble, Lucilla, se rendit coupable de menées corruptrices, rappelées par les actes judiciaires, une lettre fut envoyée à toutes les églises d'Afrique, et on y ajouta foi. Il ne pouvait en être autrement. Et ainsi l'on put croire que dans une partie du champ le froment du Seigneur avait péri. Mais non, ils n'avaient point péri, ces grains vraiment prédestinés et semés, qui avaient poussé de profondes racines et portaient des fruits abondants. Ils avaient ajouté foi à la lettre du concile, sans blesser leur conscience; car on ne leur disait rien d'incroyable sur d'autres hommes; on pouvait en croire cette lettre, sans aller contre l'Évangile. Mais quand les membres du concile, à force d'obstination et de fureur, eurent rompu sacrilègement avec tout l'univers chrétien, quand cette rupture eut été connue des bons que de fausses accusations avaient séparés de Cécilien, ils virent bien qu'en restant



1. Mt 24,23-26 - 2. Mt 5,11

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dans cette communion ils portaient un jugement pervers, non contre un homme ou plusieurs hommes, mais contre l'Eglise répandue dans le monde entier; et ils aimèrent mieux s'en rapporter à l'Evangile du Christ, qu'à l'assemblée de leurs collègues. Ils les laissèrent donc, et on vit un grand nombre d'évêques, de clercs et de fidèles revenir à la paix catholique. Même avant ce retour, on les comptait dans le bon grain. Ils n'avaient pas lieu de revenir, tant qu'ils s'élevaient contre des hommes perfidement accusés devant eux, et non contre l'Eglise de Dieu qui croît dans toutes les nations. C'est pourquoi en Afrique, le froment que le Fils de l'homme avait semé est demeuré froment. Depuis ce moment jusqu'à maintenant il a grandi, et grandit encore; il fructifiera, il croîtra jusqu'à la moisson, comme dans le monde entier.


74. Quelques hommes de bonne volonté, aveuglés par des considérations charnelles, restèrent plus longtemps dans cette erreur et dans cette révolte, même après que les méchants eurent fait éclater leur fureur contre l'Eglise de Dieu: c'étaient des épis encore tendres que l'on foulait aux pieds; bien que la racine fût vive, la vigueur de la tige était arrêtée; mais Dieu connaissait son froment, bien qu'il fallût reprendre et blâmer pour lui rendre la vie. Le Sauveur dit à Pierre: «Eloigne-toi de moi, Satan (1)»; mais non pas dans le même sens qu'il dit à Judas: «Un de vous est un démon (2)». D'autres aussi s'obstinèrent à contredire la vérité, malgré son évidence. Ils furent déracinés ou coupés. Mais ils ne persistèrent point dans l'infidélité, comme ces rameaux brisés dont parle l'apôtre saint Paul; ils furent replantés par la main de Dieu ou greffés de nouveau (3). Celui qui ne porte point de fruit, sans avoir été séparé de la racine, est sous l'empire de la concupiscence et se rend coupable de ces oeuvres dont il a été dit: «Ceux qui agissent ainsi ne posséderont point le royaume de Dieu (4)». Mais si, au lieu de produire des oeuvres de salut, il se met à résister à la vérité qui le reprend, malgré son évidence, alors il est retranché. Combien ne s'en trouve-t-il pas qui participent aux sacrements de l'Eglise, sans être pour cela dans l'Eglise. Si, pour être retranché de l'Eglise, il faut être excommunié notoirement; pour



1. Mt 16,23 - 2. Jn 6,71 - 3. Rm 11,17-23 - 4. Ga 5,21

être rétabli dans l'Eglise, il faudra 'aussi être rendu notoirement à sa communion. Si l'on revient à l'Eglise avec dissimulation, le coeur plein de haine contre la vérité et contre l'Eglise, quand même on se réconcilierait solennellement, serait-on vraiment réconcilié, vraiment redevenu membre de l'Eglise? Non, certes. Ainsi donc, il ne suffit pas d'être en communion avec l'Eglise pour être vraiment rétabli dans l'Eglise; et de même, avant toute excommunication visible, on est retranché de l'Eglise dès que l'on résiste à la vérité, qui convainc et qui blâme. D'où il suit que le bon grain et le mauvais grain croissent dans le champ jusqu'à la moisson. Les fils du royaume et les enfants pervers croissent ensemble dans le monde jusqu'à la fin des siècles: les uns portent des fruits par la patience; les autres demeurent stériles et se dessèchent.


75. Pour vous, vous appuyant sur tant de témoignages si manifestes rendus par la loi, les Prophètes, les psaumes, le Seigneur lui. même et les Apôtres, à la sainte Eglise répandue dans tout l'univers, exigez des Donatistes qu'ils vous montrent dans les livres canoniques des textes indiquant clairement que l'Afrique appartient au parti de Donat. Il est impossible, je l'ai déjà dit, que cette Eglise qui, d'après eux ce qu'à Dieu ne plaise, doit sitôt disparaître de tant de nations, soit proclamée par des témoignages si sublimes et si manifestes, et qu'il ne soit pas dit un seul mot de leur propre Eglise qui, à ce qu'ils prétendent, durera jusqu'à la fin des siècles. Rappelez-vous les paroles adressées à ce mauvais riche tourmenté dans les enfers et demandant que l'on envoyât à ses frères quelqu'un d'entre les morts. «Ils ont Moïse et les Prophètes», lui fut-il répondu. Il répliquait en disant qu'ils ne croiraient pas si l'on ne leur envoyait quelqu'un des morts. On lui répondit encore: «S'ils n'écoutent pas Moïse et les Prophètes, ils ne croiront pas davantage, à supposer qu'un mort ressuscite (1)». Moïse a dit que «toutes les nations seront bénies dans la postérité d'Abraham (2)». Les Prophètes ont dit: «Tu seras appelée ma volonté, et ta terre sera l'univers (3)»; et encore: «Tous les pays de la terre se souviendront et se convertiront au Seigneur (4)». Voilà des prédictions qui



1. Lc 16,29-31 - 2. Gn 22,18 - 3 Is 62,4 - 4. Ps 21,28

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certes annoncent clairement l'Eglise, et les Donatistes n'ont pas voulu y croire. Le Seigneur est ressuscité d'entre les morts, et il a dit qu' «en son nom la pénitence et la rémission des péchés seraient prêchées par toute a la terre, à commencer par Jérusalem (1)». Ils n'avaient pas voulu croire Moïse ni les Prophètes; ils n'ont pas cru davantage le Seigneur ressuscitant d'entre les morts. Quel peut être leur sort, sinon celui du mauvais riche? Fuyez de tels tourments, tandis qu'il en est temps encore, et avant la fin de la vie présente. Attachez-vous avec constance aux enseignements divins, afin d'éviter le trouble ici-bas, et de mériter de recevoir après cette vie ce qui a été promis à la postérité d'Abraham. Ainsi soit-il.



1. Lc 24,47

Traduction de M. Eug. JOLY, docteur en sthéologie.


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