Augustin, adv. ariens 1010

1010 10. Au reste, ceux dont les doctrines sont venues jusqu'à moi et auxquels je réponds, n'osent pas dire que celui qui a été engendré, a été aussi fait: mais établissant une distinction entre ces deux choses, ils disent que le Fils a été engendré par le Père, et que le Saint-Esprit au contraire a été fait par le Fils. Cependant ils ne lisent cela nulle part dans les saintes Ecritures, puisque le Fils dit lui-même que le Saint-Esprit procède du Père.

1011 11. «Le Fils, disent-ils, prêche le Père; le Saint-Esprit annonce le Fils». Comme si le Fils n'avait pas annoncé la venue du Saint-Esprit; ou bien que le Père n'eût pas aussi prêché le Fils en ces termes: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toutes mes complaisances: écoutez-le (3)».


1012 12. Par là même non-seulement le Fils «révèle la gloire du Père», mais le Père aussi «révèle» la gloire du Fils; non-seulement «le Saint-Esprit manifeste la dignité du Fils», mais le Fils aussi «manifeste la dignité» du Saint-Esprit.


1013 13. Et conséquemment, comme «le Fils rend témoignage au Père, et le Saint-Esprit au Fils», de même aussi le Père «rend témoignage» au Fils, et le Fils au Saint-Esprit.


1.
1Co 6,15-19 - 2. Voir la Conférence avec Maximin, II. 14. - 3. Mt 17,5

556


1014 14. «Le Saint-Esprit a été envoyé» par le Père et «par le Fils»; et «le Fils a été envoyé par le Père» et par le Saint-Esprit.


1015 15. «Le Fils, disent-ils, est le ministre du Père; le Saint-Esprit est le ministre du Fils». Ils ne remarquent pas que de cette manière ils mettent les Apôtres au-dessus du Saint-Esprit. Car puisque ceux-ci se disent ministres de Dieu, nos adversaires assurément ne nieront pas qu'ils ne soient ministres de Dieu le Père lui-même. Car ils sont ministres de celui au nom, de qui ils ont donné le baptême, c'est-à-dire du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Conséquemment, suivant le langage inepte de nos adversaires, les ministres de la Trinité seront au-dessus du Saint-Esprit, celui-ci étant inférieur au Fils précisément parce qu'il est le ministre du Fils seul.


1016 16. «Le Fils, disent-ils, reçoit les ordres du Père; le Saint-Esprit reçoit les ordres du Fils». Ils ne lisent cela dans aucune page des livres saints: il est écrit, à la vérité, que le Fils est obéissant, suivant sa nature d'esclave par laquelle il est inférieur au Père; mais non pas suivant sa nature divine par laquelle il est une seule et même chose avec le Père.


1017 17. Ainsi on lit dans les saintes Ecritures que «le Fils est soumis au Père». Mais il s'agit alors de sa nature d'esclave, par laquelle il était soumis même à ses parents humains, suivant ces paroles de I'Evangile: «Et il descendit avec eux et il vint à Nazareth; et il leur était soumis (1)». Mais le texte sacré ne porte nulle part que le Saint-Esprit soit soumis au Fils.


1018 18. C'est pourquoi ce que le Père commande, le Fils l'exécute à raison de sa nature d'esclave; et ce que le Père accomplit, le Fils l'accomplit aussi à raison de sa nature divine. Aussi Jésus-Christ ne dit pas: Tout ce que le Père commande, le Fils le fait; mais il dit

«Tout ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement». Or, s'ils prétendent que le Saint-Esprit dit ce que le Fils lui commande de dire, précisément parce qu'il est écrit: «Il recevra de ce qui est à moi, et il vous l'annoncera (2)»; pourquoi le Fils ne dit-il pas de même ce que le Saint-Esprit lui commande de dire, puisque l'Apôtre dit aussi: «Ce qui est en Dieu, personne ne le connaît, sinon


1.
Lc 2,51 - 2. Lc 16,14

l'Esprit de Dieu (1)»; et que Jésus-Christ déclare que ces paroles de l'Ecriture ont eu en lui-même leur accomplissement: «L'Esprit du Seigneur est sur moi; c'est pourquoi il m'a consacré par son onction pour évangéliser les pauvres (2)?» En effet, s'il a été ton. sacré pour évangéliser les pauvres, parce que l'Esprit du Seigneur était sur lui, qu'est-ce donc qu'il annonçait aux pauvres, sinon ce que l'Esprit du Seigneur, dont il était rempli, lui inspirait? Car il est écrit aussi. de lui, qu'il est rempli du Saint-Esprit (3).


1019 19. «Le Fils, disent-ils, adore et honore le Père; le Saint-Esprit adore et honore le Fils». Il n'est pas nécessaire de vouloir ici rechercher scrupuleusement la différence qu'il y a entre honorer et adorer: l'un et l'autre se disent du Fils par rapport à sa nature d'esclave. Mais qu'ils nous apprennent donc, s'ils le peuvent, en quel endroit ils ont lu que le Fils est adoré par le Saint-Esprit. Car les textes qu'ils mettent en avant pour s'efforcer de le prouver, savoir: «Mon Père, je vous ai honoré sur la terre, j'ai accompli l'oeuvre que vous m'avez donnée»; et cet autre qui regarde le Saint-Esprit: «Il m'honorera parce qu'il recevra de ce qui est à moi et vous l'annoncera», ces textes ne se rapportent pas au sujet dont il s'agit. En effet, l'action d'adorer renferme nécessairement celle d'honorer; mais celle-ci ne renferme pas toujours la première. Suivant l'Apôtre, les frères se préviennent et se rendent honneur les uns aux autres (4), et cependant ils ne s'adorent pas mutuellement. Autrement, c'est-à-dire si l'action d'honorer et celle d'adorer sont identiques, que nos adversaires veuillent bien dire aussi que le Père adore le Fils et qu'en l'adorant à obéit à cet ordre du Fils même: «Honorez-moi (5)». Quant à ces paroles relatives au Saint-Esprit: «Il recevra du mien», Jésus. Christ lui-même a tranché la difficulté. Afin qu'on ne crût pas que le Saint-Esprit est du Fils comme le Fils lui-même est du Père et qu'il y a entre eux différents degrés, tandis que l'un et l'autre sont du Père, le premier par voie de génération, le second par voie de procession (deux choses extrêmement difficiles à distinguer avec précision dans une nature si sublime); afin, dis-je, qu'on ne crût pas cela, il ajoute aussitôt: «Tout ce que possède moi


1.
1Co 2,11 - 2. Lc 4,18-21 - 3. Rm 3,10 - 4. Jn 17,4-5

557

Père est à moi; c'est pourquoi j'ai dit qu'il recevra de ce qui est à moi (1)». Sans aucun doute il voulait faire entendre par là que le Saint-Esprit reçoit aussi du Père et qu'il reçoit du Fils, précisément parce que tout ce qui est au Père, appartient au Fils. Or, il n'établit en cela aucune diversité de natures, mais bien l'unité de principes.


1020 20. Si donc le Saint-Esprit ne parle point de lui-même, c'est parce qu'il ne reçoit pas l'être de lui-même, mais du Père dont il procède: de même que le Fils ne peut rien faire de lui-même, parce qu'il n'a pas non plus en lui le principe de son être, ainsi que nous l'avons déjà démontré plus haut; non pas toutefois que le Fils attende en toutes choses le signe de la volonté du Père; car il ne dit pas qu'il ne fait rien de lui-même, si ce n'est ce qu'il voit lui être commandé par le Père; mais si ce n'est ce qu'il voit que le Père fait aussi, conformément à ce que nous avons déjà démontré. Quant à ces paroles: «Que le Saint-Esprit attend en toutes choses le précepte du Christ», nos adversaires qui les ont prononcées, ne peuvent les lire nulle part. Car après avoir dit: «Il ne parlera point de lui-même», Jésus-Christ n'a pas ajouté: Il dira ce qu'il aura entendu de moi; mais bien: «Il dira les choses qu'il aura entendues (2)»: expressions dont le sens a été clairement exposé dans cette définition donnée par le Seigneur et que j'ai rappelée tout à l'heure: «Tout ce que possède le Père est à moi; c'est pourquoi j'ai dit qu'il recevra du mien». Or, sans aucun doute, celui de qui il reçoit, est aussi le principe des paroles qu'il prononce; celui dont il procède, est aussi celui de qui il entend. Car il connaît le Verbe de Dieu parce qu'il procède du même principe d'où naît le Verbe, et ainsi il est également l'Esprit du Père et l'Esprit du Verbe.

Et qu'on ne dise pas que cette expression: «Il recevra», désigne un temps futur, comme s'il n'avait pas encore. En effet, on se sert indifféremment des trois sortes de temps, quoique l'on sache très-bien que l'éternité exclut toute succession de temps. Car il a reçu, puisqu'il a procédé du Père; il reçoit, puisqu'il procède du Père; il recevra, puisqu'il ne cessera jamais de procéder du Père; c'est ainsi que Dieu est, a été et sera, quoiqu'il n'ait pas


1.
Jn 16,14-15 - 2. Jn 16,13

eu, quoiqu'il ne doive jamais avoir de commencement ni de fin temporelle.


1021 21. «Le Fils, disent-ils, invoque pour nous le Père; le Saint-Esprit demande pour nous au Fils». Ils lisent à la vérité que le Fils demande au Père, ainsi que nous l'avons rappelé nous-même dans les raisonnements précédents: mais qu'ils trouvent de même un seul mot qui les autorise à dire que le Saint-Esprit demande au Fils. Il est vrai que l'Apôtre dit: «Nous ne savons ce que nous devons demander dans la prière; mais l'Esprit lui-même demande avec des gémissements inénarrables. Et celui qui scrute les coeurs sait ce que désire l'Esprit; car c'est selon Dieu qu'il demande pour les saints (1)»; mais de quelque manière qu'ils entendent ces paroles (et il est pour eux de la plus grande importance de les entendre comme elles doivent être entendues), il n'est pas dit: Le Saint-Esprit demande au Christ, ou bien, il demande au Fils; mais il est dit que le «Saint-Esprit demande», parce qu'il nous porte à demander. C'est ainsi que Dieu dit ailleurs: «Je sais maintenant (2)», comme s'il avait ignoré jusque-là, et cependant cette expression ne signifie pas autre chose que ceci: J'ai fait en sorte que vous connaissiez. L'Apôtre dit aussi dans le même sens: «Mais maintenant connaissant Dieu, ou plutôt étant connus de Dieu (3)»; de peur qu'ils ne s'attribuassent à eux-mêmes le mérite de la connaissance qu'ils avaient de Dieu. Il parle donc ainsi: «Etant connus de Dieu», pour leur faire entendre que Dieu leur adonné par sa grâce la connaissance qu'ils ont de lui-même. C'est encore suivant cette manière de parler qu'il a été dit: «Et ne contristez point le Saint-Esprit de Dieu (4)»: c'est-à-dire, ne nous contristez point, nous qui sommes par un mouvement du Saint-Esprit, contristés à votre sujet. Car ils étaient contristés par l'effet de la charité que le Saint-Esprit répandait dans leurs coeurs (5), et ainsi il les rendait lui-même tristes au sujet des maux de leurs frères. Enfin le même Apôtre dit: «Vous avez reçu l'Esprit d'adoption des fils, dans lequel nous crions: «Abba, (Père) (6)»; et ailleurs, exprimant la même pensée: «Dieu, dit-il, a envoyé dans vos coeurs l'Esprit de son Fils, criant: Abba, Père (7)!» Comment dit-il en un endroit: «L'Esprit dans lequel nous crions», et en un


1.
Rm 8,26-27 - 2. Gn 22,12 - 2. Ga 4,9 - 4. Ep 4,30 - 5. Rm 5,5 - 4 Rm 8,15 - 5. Ga 4,6

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autre endroit: «L'Esprit qui crie», sinon parce que cette dernière expression signifie l'Esprit qui nous fait crier? Cependant si nous voulons entendre comme eux cette expression, non pas en ce sens qu'il nous fait crier, mais en ce sens qu'il crie lui-même, dès lors qu'il dit: «Abba, Père», il n'adresse donc pas sa demande au Fils, mais au Père. Car ils n'oseront pas dire que le Saint-Esprit est le Fils du Christ, puisque pour ne pas prononcer ce mot ils ont mieux aimé dire qu'il n'a pas été engendré, mais qu'il a été fait par le Fils. Ainsi donc, par nous-mêmes nous ne savons pas ce que nous devons demander, mais l'Esprit lui-même demande, c'est-à-dire nous fait demander les choses qui sont selon Dieu: et tant qu'il ne le fait point, nos prières ne sont inspirées que par des pensées mondaines, par le désir de satisfaire la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux et la soif des honneurs temporels: trois choses qui ne viennent pas du Père, mais du monde (1). Plusieurs cependant pensent que ces paroles: «L'Esprit lui-même demande avec des gémissements», doivent être entendues de l'esprit de l'homme.


1022 22. Ils disent que le Fils est l'image vivante et véritable, personnelle et tout à fait digne, de toute la bonté, de toute la sagesse et de toute la puissance du Père. Cependant l'apôtre saint Paul ne dit pas qu'il est l'image de la puissance et de la sagesse de Dieu; mais il dit qu'il est Dieu même, «la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu». Donc par là même que le Fils est l'image du Père, il est aussi la puissance et la sagesse du Père. Or, cette image pleine et parfaite, qui n'a pas été faite de rien par lui, mais qui est engendrée de lui, cette image n'est en rien inférieure à celui qu'elle représente: car le Fils seul engendré est l'image souveraine du Père, c'est-à-dire tellement semblable qu'il n'y a en elle aucun trait non ressemblant. Et néanmoins ils n'ont pas osé dire que le Saint-Esprit est l'image du Fils, mais ils ont employé le mot de manifestation. Pour le même motif, ils ont dit qu'il a été, non pas engendré, mais fait par lui; ce qu'ils ne peuvent lire dans aucune page des saintes Ecritures.


1023 23. Qui donc, parmi les catholiques, dit que le Fils est une partie du Père, ou que le Saint-Esprit est une partie du Fils?


1.
Jn 2,18

Nos adversaires ont cru devoir nier cette proposition, comme si elle était l'objet d'une discussion: quelconque entre eux et nous. Cependant nous disons qu'il y a dans la Trinité une seule; et même nature; nous ne disons pas que aucune des trois personnes soit une partie d'une autre personne. Mais après avoir nié que le Fils soit une partie du Père, ils ajoutent que cependant il est proprement, et pleinement et parfaitement Fils unique et bien-aimé. C'est pourquoi il faut leur demander si les enfants que Dieu adopte par sa libre volonté et qu'il engendre par la parole de vérité, sont, eux aussi, proprement, pleinement et parfaitement les enfants bien-aimés de Dieu, quand ils sont parvenus à une perfection telle qu'il ne leur soit plus possible d'être plus parfaits? S'ils répondent affirmativement, le Fils, dès lors, ne sera plus seul engendré, puisqu'il aura un grand nombre d'égaux; il ne sera plus que le premier engendré. S'ils répondent négativement, comment faut-il entendre alors cette plénitude et cette perfection, si ce n'est en ce sens que le Fils soit tout à fait égal à celui qui l'engendre, sans aucun trait de non-ressemblance; et pour m'exprimer plus brièvement et avec plus de clarté, en a sens que l'un soit Fils par nature, et les autres, fils par grâce, le premier possédant la plénitude de la divinité, tandis que les autres ne possèdent qu'une participation de cette même divinité, quoique le Verbe en s'unissant à notre humanité et «en se faisant chair (1)» sans perdre sa nature de Verbe égal au Père, ait obéi en cela non pas à une exigence de sa nature, mais à une volonté libre? Ensuite, puisqu'ils prétendent que le Saint-Esprit est, non pas engendré, mais la première et la principale oeuvre du Fils en comparaison de nous les autres êtres, qu'ils nous disent donc, si ces fils que «le Père engendre de sa libre volonté par la parole de vérité», ne doivent pas être supérieurs au Saint-Esprit! Comment, en effet, pourraient-ils ne pas l'avouer, puisque sans aucun doute il vaut, mieux être l'enfant de Dieu que d'être l'oeuvre du Fils? Qu'ils réfléchissent à cela, et pour mettre fin à leurs blasphèmes insensés et impies, qu'ils reconnaissent qu'il n'y a dans la sainte Trinité aucune personne qui ait été créée d'une manière quelconque ou faite par Dieu, si ce n'est le Fils en tant qu'il s'est fait


1. Jn 1,14

559

homme sans cesser d'être Dieu; mais que chacune des trois personnes est Dieu véritable, suprême et immuable.

1024 24. A Dieu ne plaise en effet que, conformément à leur opinion, le Père soit plus grand que le Fils, en tant que celui-ci est son Verbe, seul engendré par lui; il l'est seulement en tant qu'il est le Verbe fait chair 1 Mais qu'y a-t-il en cela d'étonnant, puisque dans cette même chair il est devenu inférieur aux anges eux-mêmes? Aussi à Dieu ne plaise que, suivant leurs blasphèmes, le Fils soit incomparablement plus grand et plus parfait que le Saint-Esprit; et, ce qu'on ne peut croire sans une extrême folie, que les membres du plus grand soient le temple du plus petit!


1025 25. Le Père est, à la vérité, «Dieu et Seigneur à l'égard de son Fils»: parce qu'il y a dans celui-ci la nature d'esclave que le Prophète avait annoncée en ces termes: «Le Seigneur m'a dit: Tu es mon Fils (1)». Et dans ce même livre prophétique, le même Fils dit aussi à son Père: «Vous êtes mon Dieu dès le sein de ma mère (2)». Et en effet, dès le sein de sa mère où il a pris la nature humaine, le Père est son Dieu; de même qu'il est son Père parce qu'il l'a engendré non-seulement avant qu'il fût dans le sein de sa mère, mais avant tous les siècles et de toute éternité. Mais où donc ont-ils entendu, même en rêve, que le Fils fût, dans la sainte Ecriture, appelé Dieu et Seigneur de l'Esprit-Saint?


1026 26. «Le Père, disent-ils, a engendré le Fils, par sa volonté immuable et impassible le Fils, sans travail ni fatigue et par sa seule puissance, a fait l'Esprit». O éloge vraiment sublime du Fils et du Saint-Esprit! Comme si le Père avait agi malgré lui, et qu'il fût sorti de son état d'immobilité et d'impassibilité, quand il nous a engendrés volontairement par la parole de vérité: ou bien comme si le Fils n'avait pas créé le ciel et la terre sans travail et sans fatigue? Il faut donc, suivant eux, placer ces dernières oeuvres au même rang que le Fils ou le Saint-Esprit; ou bien s'il n'est en aucune manière possible d'établir cette égalité, pourquoi avoir parlé d'une chose que personne ne met en question, savoir que le Père, lorsqu'il engendre, et le Fils dans ce qu'il fait, agissent l'un et l'autre sans douleur aucune et sans fatigue? De plus, qu'ils considèrent bien dans quel sens ils


1.
Ps 2,7 - 2. Ps 21,11

disent que le Fils a fait le Saint-Esprit par sa propre puissance seule. D'après le sens même des paroles, ils sont forcés de reconnaître que le Fils a fait quelque chose qu'il n'a point vu être fait par le Père. Si, au contraire, il leur plaît de dire que le Père aussi a fait le Saint-Esprit, dès lors le Fils ne l'a donc point fait par sa propre puissance seule. Si enfin le Père avait auparavant fait un autre Esprit-Saint, afin que le Fils pût faire celui qu'il a fait ( le Fils ne pouvant rien faire sinon ce qu'il a vu être fait par le Père), en quel sens donc le Fils fait-il pareillement, non pas d'autres oeuvres semblables, mais identiquement toutes les mêmes oeuvres que fait le Père? Qu'ils prennent la peine d'y réfléchir, et sans aucun doute ils reconnaîtront la confusion qui règne dans tous ces systèmes appuyés sur leurs raisonnements charnels.

27.Il est incontestable que le Père adonné l'être à tout ce qui existe, sans l'avoir reçu lui-même de qui que ce soit; mais il n'a donné à personne de lui être égal à lui-même, si ce n'est au Fils qui est né de lui, et au Saint-Esprit qui procède de lui. Si donc il en est ainsi, la différence qu'ils prétendent introduire dans la Trinité n'existe pas; il n'y a dans la Trinité qu'une seule et même nature, qu'une seule et même puissance: «Afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père», suivant les expressions de Jésus-Christ lui-même (1). Et ceux qui veulent vivre dans la piété, doivent adorer le Seigneur leur Dieu et ne servir que lui seul, comme il a été commandé autrefois à nos pères par une loi de Dieu. Mais pour qu'il nous soit possible de rendre exclusivement à notre Seigneur et Dieu le culte qui est dû à la divinité (car il s'agit ici du culte même appelé en grec latreia, et cette expression se trouve précisément dans le texte «Vous ne servirez que lui seul (2)»), il faut de toute nécessité, que le Seigneur notre Dieu soit lui-même la Trinité tout entière. Autrement, suivant que ces paroles: «Vous ne servirez que lui seul», s'appliqueraient au Père et au Fils, nous ne pourrions plus rendre au Fils ou au Père le culte appelé culte de latrie et que les esclaves ne doivent pas à ceux qui sont leurs maîtres selon la chair, mais que tous les hommes doivent exclusivement à leur Seigneur et Dieu. De plus, si avec des éléments matériels nous bâtissions un temple au


1. Jn 5,19-23 - 2. Dt 6,13

560

Saint-Esprit, qui hésiterait à croire que nous lui rendons un culte de latrie, c'est-à-dire le culte dont je parle en ce moment? Comment donc pouvons-nous ne pas lui rendre un culte de latrie, puisque sans lui bâtir un temple, nous sommes nous-mêmes son temple? Ou bien comment lui-même peut- il ne pas être notre Dieu, puisque l'Apôtre dit de lui: «Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous?» et un peu après: «Glorifiez donc Dieu dans votre corps (1)?» Ainsi, suivant l'Apôtre, nos corps sont en nous le temple du Saint-Esprit. Conséquemment si d'une part nous rendons à la fois au Père, au Fils et au Saint-Esprit le culte appelé culte de latrie; si d'autre part nous lisons dans la loi de Dieu le précepte de ne rendre ce culte à nul autre absolument qu'à notre Seigneur et Dieu, il est donc hors de doute que la Trinité est elle-même notre seul et unique Seigneur et Dieu, à qui la piété nous fait un devoir de rendre ce culte, en même temps qu'elle nous défend de le rendre à tout autre.


1028 28. «Comme personne, disent-ils, ne peut aller au Père sans l'intermédiaire du Fils; de même aussi personne ne peut, sans le secours du Saint-Esprit, adorer le Fils en vérité»: comme si du reste quelqu'un pouvait venir au Fils sans le Père, tandis que Jésus-Christ dit lui-même: «Personne ne vient à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire (2)»; ou bien comme s'il nous était possible de parvenir au Saint-Esprit sans le Père et le Fils qui nous le donnent par leur grâce. En effet, venir à eux, qu'est-ce autre chose que les voir habiter en nous? Ils ne viennent pas eux-mêmes à nous d'une autre manière, puisque Dieu étant partout, il ne saurait être contenu dans aucun espace matériellement limité. Le Sauveur dit de son Père et de lui-même: «Nous viendrons à lui et nous établirons en lui notre demeure»; il dit pareillement du Saint-Esprit: «Si je ne m'en vais, l'avocat ne viendra pas à vous (3)». Que signifient donc ces paroles: «Comme personne ne peut aller au Père sans l'intermédiaire du Fils; de même aussi personne ne peut, sans le Saint-Esprit, adorer le Fils en vérité?» et celles-ci qu'ils ajoutent ensuite: «Donc c'est dans le Saint-Esprit que le Fils est adoré?» Est-ce que ces paroles révèlent

1.
1Co 6,19-20 - 2. Jn 6,44 - 3. Jn 14,23 Jn 16,7

cette différence de natures dont il est question entre eux et nous? Si personne ne peut, sans le Saint-Esprit, adorer le Fils en vérité; si d'autre part c'est dans le Saint-Esprit qu'on adore le Fils, il est donc incontestable que le Saint-Esprit, lui aussi, est la vérité; puisque, suivant leurs propres expressions, le Fils est adoré en vérité lorsqu'il est adoré dans le Saint-Esprit. Cependant le Fils dit lui-même: «Je suis la vérité (1)». Donc il est aussi adoré, en lui-même, lorsqu'il est adoré en vérité. Et conséquemment le Fils est adoré à la fois en lui-même et dans le Saint-Esprit. D'autre part, qui serait assez impie pour refuser au Père ce même privilège? Comment pourrions-nous ne pas adorer aussi en lui, puisque c'est en lui que nous avons l'être, le mouvement et la vie? Ainsi nous disons nous-mêmes que le Fils est adoré dans le Saint-Esprit; mais en quel endroit pourraient-ils lire que le Fils est adoré par le Saint-Esprit?


1029 29. «Le Père est glorifié par le Fils», personne ne prétend le nier. Mais qui oserait dire que le Fils n'est pas lui-même glorifié par le Père? N'est-ce pas au Père que le Fils adresse ces paroles: «Glorifiez-moi», aussi bien que celles-ci: «Je vous ai glorifié (2)?» Du reste, glorifier, honorer, louer sont trois mots différents, mais ils désignent une seule et même chose exprimée en Grec par doxadzein la diversité des expressions latines est née de la diversité des traducteurs.


1030 30. «L'oeuvre et l'application constantes du Saint-Esprit, disent-ils, est de rendre saints et de garder ceux qui le sont déjà; de sanctifier non-seulement les créatures raisonnables, comme quelques-uns le pensent, mais aussi plusieurs êtres privés de raison; de rappeler à leur ancien état ceux qui sont tombés par leur propre négligence; d'instruire les ignorants, d'avertir ceux qui sont oublieux, de reprendre ceux qui commettent le péché; d'exhorter ceux qui sont paresseux à penser à leur salut et à y travailler avec soin; de ramener dans la voie de la vérité ceux qui s'en écartent; de guérir ceux qui sont malades; de remédier aux faiblesses de la chair par l'ardente vivacité de l'esprit; d'affermir dans l'amour de la piété et de la chasteté, et de répandre la lumière dans toutes les âmes; mais surtout de donner à chacun la foi et la charité, à proportion de


1.
Jn 14,8 - 2. Jn 12,28 Jn 17,4-5

561

son zèle personnel et de ses soins diligents, suivant la sincérité et la simplicité de son esprit, suivant la mesure de sa foi et le mérite de sa conduite; de distribuer la grâce conformément au besoin que nous en avons, et de placer chacun dans le genre l'occupations pour lequel sont ses goûts et ses aptitudes». Le Saint-Esprit accomplit à la vérité toutes ces oeuvres; mais à Dieu ne plaise qu'il les accomplisse sans le Fils! Et qui donc s'écarterait de la voie de la vérité, jusqu'à nier que les saints soient gardés par Jésus-Christ, que par lui ceux qui sont tombés soient replacés dans leur ancien état, les ignorants instruits, ceux qui sont oublieux avertis, les pécheurs réprimandés, les paresseux excités au travail, ceux qui s'égarent ramenés dans la voie de la vérité, les malades guéris, les aveugles éclairés? Et il en est de même de toutes les oeuvres que nos adversaires ont cru devoir attribuer au Saint-Esprit comme si elles étaient accomplies par lui seul. Car, pour ne pas faire ici une trop longue énumération, comment nieront-ils que les saints soient instruits par Jésus-Christ, puisqu'il leur dit lui-même: «Ne souffrez point qu'on vous appelle maîtres; car vous n'avez qu'un seul maître, Jésus-Christ (1)?» Comment nieront-ils que les aveugles soient éclairés par Jésus-Christ, quand ils lisent dans l'Ecriture, que Jésus-Christ «était la lumière véritable qui éclaire tout homme (2)?» Le Saint-Esprit donc ne sanctifie personne sans Jésus-Christ, de même que sans lui il n'instruit ou n'éclaire personne. Quant à ces paroles que Dieu a dites par la bouche d'un prophète: «Afin qu'ils sachent que c'est moi-même qui les sanctifie (3)», à laquelle des trois personnes divines prétendent-ils les attribuer? S'ils prétendent qu'elles ont été dites par le Père, pourquoi donc nient-ils toute communauté d'opérations entre le Père et le Saint-Esprit, puisque d'autre part ils croient qui la sanctification des justes appartient au Saint-Esprit comme son oeuvre propre et inséparable? S'ils attribuent ces paroles au Fils, ils ne doivent pas du moins séparer des oeuvres de ce même Fils, les oeuvres de l'Esprit sanctificateur. Enfin, s'ils aiment mieux les attribuer au Saint-Esprit, pourquoi donc refusent-ils de reconnaître sa divinité, puisqu'il dit lui-même par la bouche du Prophète: «Afin qu'ils


1. Mt 23,8 - 2. Jn 1,9 - 3. Ex 31,13

sachent que c'est moi-même qui les sanctifie». Mais si les meilleurs interprètes enseignent que la Trinité elle-même a prononcé cette parole par la bouche du Prophète, on ne peut plus douter que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne soient un seul Dieu: c'est de lui, par lui et en lui que sont toutes choses; à lui soit la gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il (1)!


1031 31. Cependant, quoique nous reconnaissions que les oeuvres attribuées par eux au Saint-Esprit, lui appartiennent réellement, la conclusion qu'ils tirent de là n'en est pas moins fausse: «Le Saint-Esprit», disent-ils, «est différent du Fils par sa nature et sa position, par son rang et ses inclinations, par sa dignité et sa puissance, par ses facultés et par ses oeuvres». Car il n'y a aucune différence entre les diverses natures humaines, et cependant leurs oeuvres peuvent être séparées entre elles, ce qui n'est pas possible à l'égard des oeuvres de la sainte Trinité. Quant à cette position, ce rang et ces inclinations que l'on rencontre dans les créatures par suite de leur inégalité et de leur faiblesse, ils n'existent pas dans cette Trinité dont les trois personnes sont à la fois coéternelles, égales et impassibles. Mais comment la dignité, la puissance et la force ne seraient-elles pas égales dans chacune de ces trois personnes, puisqu'elles accomplissent les mêmes oeuvres et de la même manière? Nos adversaires, il est vrai, disent que les opérations des trois personnes sont différentes entre elles; mais nous avons prouvé que cette assertion est tout à fait fausse.


1032 32. Ils ajoutent dans le même discours: «Impossible qu'il y ait unité et identité entre le Père et le Fils, entre celui qui engendre et celui qui naît; entre celui à qui on rend témoignage et celui qui rend ce témoignage; entre celui qui est plus grand et celui qui reconnaît cette supériorité; entre celui qui est assis à la droite ou qui se tient debout, et celui qui cède l'honneur de la préséance; entré celui qui est envoyé et celui qui a envoyé; on ne peut pas être à la fois disciple et docteur, comme Notre-Seigneur l'a déclaré lui-même en ces termes: Je parle comme mon Père m'a enseigné (2); impossible d'être à la fois celui qui ressemble et qui imite et celui à qui on ressemble et a que l'on imite; celui qui prie et celui qui


1.
Rm 11,36 - 2. Jn 8,28

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exauce; celui qui rend grâces et celui qui bénit; celui qui reçoit le commandement et celui qui donne le commandement; celui qui exécute et celui qui ordonne; celui qui supplie et celui qui protège; on ne peut pas être l'inférieur et le supérieur; le fils unique et celui qui n'est pas engendré; on ne peut pas être prêtre et Dieu». Ces paroles, entendues dans un certain sens, sont très-vraies; mais que nos adversaires, en parlant ainsi, s'attaquent aux Sabelliens et non pas aux Catholiques. Car les Sabelliens disent qu'il y a unité et identité entre le Fils et le Père; nous, au contraire, nous disons que le Père qui engendre et le Fils qui est engendré sont deux personnes, mais non pas deux natures distinctes et différentes. Le Père et le Fils ne sont donc pas une seule et même personne, mais un seul et même être. Il est vrai que le Père est plus grand; mais ici il ne s'agit pas de la nature de celui qui engendre comparée à la nature de celui qui est engendré; il s'agit de la nature humaine comparée à la nature divine: en tant qu'il a revêtu la nature humaine, le Fils est assis ou il se tient debout à la droite du Père, il prie, il rend grâces, il est prêtre, il est ministre, il est suppliant, il est sujet; mais en tant qu'il possède la nature divine, par laquelle il est égal au Père, le Fils est seul engendré et coéternel à celui qui l'engendre. Et quoiqu' «il soit le premier-né de toute créature, puisque toutes choses ont été créées en lui», quoiqu'il ait été engendré avant la création de tout le reste, il est cependant éternel comme le Père et il n'a pas commencé dans le temps. Car nous disons avec raison que le Père est antérieur à toutes les choses qu'il a créées, bien qu'il n'ait pas été engendré. La priorité en effet n'est jamais si rigoureuse que dans celui avant qui il n'y a absolument rien. Or, de même que rien n'existe avant le Père, de même aussi rien n'existe non plus avant le Fils, seul engendré et conséquemment coéternel au Père. Car, quoique le Père ait engendré et que le Fils ait été engendré; le Père ne possède pas pour cela une antériorité temporelle. S'il y a entre le Père qui engendre et le Fils qui est engendré, une différence quelconque de temps, dès lors il y a eu un temps avant le Fils, et conséquemment ce même Fils n'est plus «le premier-né de toute créature puisque le temps est lui-même une créature; toutes choses n'ont donc pas été faites par lui», si le temps a existé avant lui. Mais «tout a été créé par lui (1)», et par là même aucun temps n'a existé avant lui. Conséquemment, comme le feu et l'éclat qui est par le feu engendré et répandu de toutes parts, commencent à exister simultanément, sans que celui qui engendre précède celui qui est engendré; de même aussi le Père qui est Dieu, et le Fils qui est Dieu de Dieu, commencent à exister simultanément, parce qu'ils sont également exempts de tout commencement temporel, et que celui qui engendre ne pré. cède point celui qui est engendré. Comme le feu qui engendre et l'éclat qui est engendré datent du même instant; de même aussi Dieu le Père qui engendre, et Dieu le Fils qui est engendré, sont coéternels. Mais parce que celui-ci reçoit l'être du premier, et non pas réciproquement, le Fils, par là même, reçoit le commandement du Père, puisqu'il est lui. même ce commandement du Père; et le Père enseigne le Fils, puisque celui -ci est lui-même la doctrine du Père. Car le Fils reçoit la vie du Père, parce qu'il est lui-même la vie aussi bien que le Père; et il est tellement semblable au Père, qu'il ne diffère absolument en rien de lui. De plus, puisque le Père et le Fils se rendent l'un à l'autre un témoignage mutuel, je ne vois pas comment nos adversaires peuvent représenter l'un des deux comme rendant témoignage et l'autre comme celui à qui ce témoignage est rendu. Le Père ne dit-il pas. «Celui-ci est mon Fils bien-aimé (2)?» Le Fils ne dit-il pas aussi: «Mon Père, qui m'a envoyé, rend témoignage de moi (3)?» Pourquoi donc établir entre eux une distinction telle qu'on donne le nom de Père à celui à qui ce témoignage est rendu, et le nom de Fils -à celui qui rend ce témoignage? Pourquoi porter l'ineptie jusqu'à ce point? Pourquoi se boucher les oreilles et fermer les yeux avec une telle opiniâtreté? Quant à la mission donnée par le Père et reçue par le Fils, nous en avons suffisamment et surabondamment traité dans les chapitres précédents de cette controverse.



Augustin, adv. ariens 1010