Augustin, réfutation Parménien - Examen des autres passages de l'Ecriture, cités par Parménien.

24. Malheur aux aveugles qui se donnent pour guides, et aux aveugles qui se font esclaves des premiers! Les Donatistes. dans leur orgueilleux langage, ne craignent donc pas que sur cette immense étendue de l'univers, tout imprégné du parfum de la foi et du nom de Jésus-Christ, il ne se soit trouvé, dans une contrée très-éloignée de l'Afrique, des justes qui


1. Ps 25,4-5

auraient rompu toute relation avec les autres peuples pour se soustraire au contact du mal? Et alors les Donatistes, se trouvant devancés, ne pourraient-ils pas se demander s'ils ne vivent pas aujourd'hui au sein même de la contagion de l'iniquité? Si l'on doit se séparer des pécheurs, qui peut leur garantir qu'avant d'être faite par eux, cette séparation n'avait pas été accomplie sur quelque plage assez lointaine, pour que l'Afrique n'en eût aucune connaissance, pas plus que dans ces contrées reculées du monde on ne connaît la secte de Donat? Diront-ils que ce qu'ils ne connaissaient pas ne saurait leur nuire? Soit, mais alors qu'ils avouent donc aussi que ces contrées lointaines n'ont pu souffrir de ce qui s'est passé en Afrique, puisqu'ils ne le connaissaient pas, lors même que les crimes dont ils chargent calomnieusement certains évêques d'Afrique seraient véritables et prouvés. Diront-ils qu'un tel événement, s'il s'accomplissait, ne pourrait rester inconnu? Alors qu'ils nous disent quel schisme s'est produit dans l'univers. Mais c'est trop exiger de leur part. Sans sortir de l'Afrique, que les Donatistes Carthaginois, ou les habitants de Carthage, quels qu'ils soient, nous disent combien de sectes particulières sont sorties de la secte de Donat, dans la Numidie et la Mauritanie; ils doivent assurément connaître les causes de toutes ces divisions. Supposé que dans ces régions, quelques justes se soient crus obligés de se séparer et de sortir de la société et de l'assemblée des méchants, de se soustraire à tout contact impur et de ne jamais siéger avec les pécheurs, ne pourrait-on pas conclure qu'en se séparant depuis déjà plusieurs années pour se retirer dans quelque coin de la Numidie ou de la Mauritanie, ces froments ont laissé la paille à elle-même, sans même savoir que ce ne fût que de la aille? D'où vient donc la sécurité des Donatistes? Serait-ce de l'intime conviction qu'on ne saurait regarder comme justes des hommes qui se sont séparés de l'unité de communion de Donat, dont les partisans sont répandus dans toute l'Afrique? En effet, s'ils avaient à souffrir autour d'eux quelques méchants dont ils ne pouvaient prouver publiquement la culpabilité, ils devaient les tolérer plutôt que de se séparer de tant d'innocents auxquels ils n'ont pu prouver la culpabilité de quelques-uns de leurs frères, quoiqu'ils en fussent eux-mêmes parfaitement convaincus. Mais alors pourquoi (61) ne pas attribuer cette innocence à l'univers entier, à cette multitude de nations qui constituent l'héritage du Christ, et qui connaîtraient ainsi ce que peuvent être ces hommes qui se disent bons et qui se séparent de l'unité catholique? Ils se croient justes et ils méprisent les autres; comment donc pourraient-ils chanter le cantique nouveau, puisqu'ils sont tout remplis de l'orgueil du vieil homme? Ne sont-ils pas séparés de la communion à laquelle il a été dit: «Chante au Seigneur un cantique nouveau; toute la terre, chantez au Seigneur (1)?» S'ils étaient justes, ils seraient humbles; s'ils étaient humbles, lors même qu'ils auraient à souffrir autour d'eux de la présence des méchants qu'ils ne peuvent chasser de l'unité du Christ, ils les toléreraient avec charité, par amour pour Jésus-Christ. Mais comment pourraient-ils se montrer justes dans le jugement qu'ils portent sur les méchants qui les entourent, quand on les voit accuser indignement et avec un aveuglement des plus téméraires des chrétiens qu'ils ne connaissent aucunement et dont ils sont séparés par de vastes contrées? Quant à ceux de leurs concitoyens ou de leurs voisins qu'ils accusent, qu'ils aient l'intime conviction de leur culpabilité, c'est possible, mais l'univers n'en sait rien. S'agit-il, au contraire, de ceux dont ils sont séparés par une grande distance, et dont ils ne peuvent connaître la vie, l'univers sait parfaitement qu'ils s'en sont séparés par le schisme, fruit d'un aveuglement téméraire; l'univers sait également que la patience chrétienne ordonne de tolérer les méchants, dans la crainte de condamner les bons sans les connaître. Dès lors l'univers conclut en toute certitude, qu'on ne saurait regarder comme bons ceux qui se séparent du monde catholique, en quelque lieu qu'ils habitent.


25. Enfin, si les Prophètes ont averti les générations futures de ne point attendre la ventilation suprême pour se séparer corporellement des pécheurs, et par cette séparation, de ne point toucher à ce qui est impur et de ne point s'allier avec les méchants, pourquoi donc l'apôtre saint Paul a-t-il désobéi à ces prescriptions prophétiques? Est-ce qu'ils n'étaient pas de la paille, ceux qui annonçaient Jésus-Christ, non par amour pour la vérité, mais par jalousie? N'étaient-ils pas impurs ceux qui souillaient la prédication de l'Evangile?


1. Ps 95,1

l'Apôtre nous apprend qu'il y avait de ces hommes à son époque (1), et la patience avec laquelle il les a tolérés est encore le plus beau modèle de charité que l'on puisse proposer aux générations futures. N'est-ce pas quelque alose d'impur que l'avarice, contre laquelle Cyprien protesta toujours de tout son coeur, tout en ayant des relations pacifiques avec les avares qu'il rencontrait parmi ses collègues? Il foulait donc aux pieds les paroles du Sauveur jusqu'à s'asseoir dans le couventicule de la vanité, jusqu'à pénétrer parmi les pécheurs, jusqu'à aimer l'assemblée des méchants et siéger avec les impies? Ne formaient-ils pas un conventicule de vanité, ces évêques qui n'aspiraient qu'à briller de l'éclat des richesses, pendant que dans l'Église leurs frères étaient poursuivis par la faim? N'étaient-ils pas criminels, ceux qui usaient de fraudes et de ruses pour s'emparer du bien d'autrui, et augmentaient leur fortune par des usures sans nombre? De son côté, Cyprien lavait ses mains avec les innocents et entourait l'autel du Seigneur. Si donc il tolérait les méchants, c'était pour ne point se séparer des justes avec lesquels il lavait ses mains, parce qu'il aimait la beauté de la maison de Dieu, beauté dont les vases d'honneur sont le principal rayon. «Or, dans une grande maison il.n'y a pas seulement des vases d'or et d'argent, on y en trouve aussi de bois et d'argile. Les uns sont des vases d'honneur, et les autres d'ignominie». Cyprien se purifiait donc de tout contact avec ces derniers, afin de devenir «un vase d'honneur, utile à Dieu et préparé pour toute espèce de bonnes oeuvres (2)». Toutefois, dans la présence des vases d'ignominie il ne trouvait pas une raison de se séparer de la grande maison; il les y tolérait en leur reprochant leur ignominie, et il se purifiait en refusant de les imiter.


26. Parménien n'hésite pas à citer ces paroles du Prophète: «Je ne suis point assis dans le conventicule de la vanité, je n'entrerai point chez les méchants et je haïrai l'assemblée des pécheurs. Je laverai mes mains avec les pécheurs et j'entourerai l'autel du Seigneur, afin, d'entendre les chants de la louange et de raconter vos merveilles. Seigneur, j'ai aimé la beauté de votre maison, et le tabernacle de votre splendeur. Ne perdez pas mon âme avec les pécheurs,


1. Ph 1,15-17 - 2. 2Tm 2,20-21

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«et ma vie avec les hommes de sang; leurs mains ne sont pleines que de crimes, et leur droite est remplie de présents (1)». Parménien ose citer ces paroles, et il ne voit pas qu'elles sont la condamnation solennelle de toute division sacrilège. Ce qui fait la beauté de la maison et du tabernacle du Seigneur, c'est, comme je l'ai dit, l'éclat des vases, quoique parmi ces vases il 9 en ait d'ignominie; tout dépend donc des vases d'honneur, utiles au Seigneur, et préparés pour toutes sortes de bonnes oeuvres.Quiconque aime dans ces vases la beauté de la maison de Dieu et l'éclat de son tabernacle, tolère les vases d'ignominie, et se garde bien de trouver dans leur présence un motif de sortir de la maison, dans la crainte de devenir lui-même, non pas un vase d'ignominie, même toléré dans cette demeure, mais une sorte d'ordure qu'on en expulse avec horreur. Se voyant donc obligé temporairement de vivre avec les méchants dans la même maison, il adresse à Dieu cette prière: «Ne perdez pas mon âme avec les pécheurs, et ma vie avec les hommes de sang, car leurs mains sont pleines de péchés et leur droite est remplie de présents». Il fait cette prière, dans la crainte de périr avec ceux que la charité lui commande de tolérer, et c'est en vue de ce sacrifice qu'il a dit précédemment: «Seigneur, j'ai aimé la beauté de votre maison et l'éclat de votre tabernacle». Parce que j'ai aimé la beauté de votre maison, en raison même de cet amour, je tolère les vases d'ignominie, parce que la charité tolère tout et que je ne veux pas perdre mon âme avec eux. Dans ces paroles, ne croit-on pas entendre la voix de ceux qu'Ezéchiel nous montrait par avance gémissant et pleurant sur les iniquités dont le peuple se rendait coupable au milieu d'eux? Et parce qu'ils étaient des vases d'honneur, ils ont mérité de recevoir le sceau particulier des élus, de telle sorte qu'au sein de la dévastation et de la ruine générales, leur âme a été par Dieu soustraite à la perte des pécheurs (2)? Ceux dont on doit plaindre l'infortune, ce sont ceux qui se flattent de se soustraire à tout mélange avec les méchants, comme le bon grain à celui de la paille. Sous le coup de ce fâcheux orgueil, ils prennent le parti de trembler à la pensée seule de reprendre et de corriger ces foules coupables et criminelles, car


1. Ps 25,4-10 - 2. Ez 9,4

ils se verraient forcés d'avouer qu'ils sont eux-mêmes mauvais, et bientôt s'entendraient dire: Vous vous adressez au pur froment, pourquoi donc ces expressions qui sentent le mélange? Ainsi donc, précisément parce qu'ils ne sont pas justes, ils ne reprennent ni ne corrigent dans la miséricorde; au contraire ils oignent avec l'huile de l'adulation (1) la tête de ceux dont ils veulent être les chefs. Tout cela pour eux est la conséquence nécessaire du refus qu'ils opposent de faire partie sur la terre de cette unité catholique, dont la tête est au ciel. C'est en toute vérité que l'on peut dire à leurs peuples: «Ceux qui vous proclament a heureux, vous précipitent dans l'erreur et troublent les sentiers que vous parcourez (2)».


27. Que celui donc qui ne veut pas s'asseoir dans le conventicule de la vanité, ne se laisse pas enivrer par le poison de l'orgueil, car c'est en vain qu'il cherchera des conventicules de justes séparés de l'unité catholique, il n'en trouvera pas. Quant aux justes, ils se trouvent dans cette cité universelle, qui ne saurait être cachée parce qu'elle est établie sur la montagne (3). Je parle de cette montagne de Daniel sur laquelle «la pierre détachée sans aucune main d'homme, a grandi et rempli toute la terre (4)». Dans cette cité qui couvre toute la terre, les justes gémissent et pleurent sur les iniquités qui se commettent au milieu d'eux. Ne cherchez donc pas les justes séparés, mais pleurez avec eux dans ce mélange temporel qui les rapproche des pécheurs. Celui qui agira de cette manière ne siégera pas dans le conventicule de la vanité, il siégera là où il converse: or, il entendra cette parole de l'Apôtre: «Notre conversation est dans le ciel (5)». Là il ne sera pas mêlé à s criminels, là il n'aura pas à souffrir l'assemblée des pécheurs, là il ne siégera pas avec les impies. Qu'il habite dans cette espérance, afin qu'il mérite de parvenir un jour à ce qui fait l'objet de son espérance. Quant à notre condition présente, nous ne sommes pas encore ressuscités comme Jésus-Christ, nous ne siégeons pas encore avec lui dans le ciel; et cependant, comme il a déposé dans nos coeurs cette glorieuse espérance, comme cette espérance transporte pour ainsi dire notre conversation avec lui dans le ciel, l'Apôtre a pu dire: «Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, cher


1. Ps 110,5 - 2 Is 3,12 - 3. Mt 5,14 - 4. Da 2,34-35 - 5. Ph 3,20

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chez les choses du ciel, où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu; cherchez les choses du ciel et non celles de la terre. Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu (1)». En vivant de cette vie qui est cachée avec Jésus-Christ en Dieu, nous ne siégeons pas dans le conventicule de la vanité; car, comme l'a dit l'Apôtre: «Il vous a ressuscités avec lui, et il vous a fait asseoir avec lui dans le ciel (2)». Ceci toutefois n'est encore qu'une espérance et non une réalité. «Or, l'espérance qui se voit n'est point une espérance; est-ce que nous espérons ce que nous voyons? Si donc nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous en attendons la réalisation par la patience (3)». Nos malheureux adversaires ont perdu cette patience; de là cet empressement prématuré à se séparer de la paille et à prouver qu'ils n'étaient eux-mêmes qu'une paille légère que le vent a chassée de l'aire. Recueillons cette parole du Sage: «Celui qui m'écoute habitera dans l'espérance; sans crainte et sans faiblesse il gardera le silence au milieu des méchants (4)». Puisque nous ne sommes encore que dans le séjour de l'espérance, pensons, non pas à ce que nous sommes, mais à ce que nous serons. «Nous sommes, il est vrai, les enfants de Dieu, mais nous n'avons pas encore vu ce que nous serons; quand nous l'aurons vu, nous lui serons semblables, parce que nous le contemplerons comme il est en lui-même (5)». Habitons dans cette espérance, et comme les méchants en sont exclus, nous n'aurons à souffrir ni les conventicules de la vanité, ni les méchants, ni les pécheurs, ni les impies. Il n'en est pas de même dans notre condition présente; membres de l'Eglise catholique répandue sur toute la terre, nous aurons toujours à souffrir de notre mélange avec les pécheurs, jusqu'à ce.que toute iniquité disparaisse, jusqu'à ce que vienne le temps de la moisson pour arracher la zizanie (6), jusqu'à ce que la purification suprême sépare la paille du froment (7), jusqu'à ce que, sur le rivage, les bons poissons soient séparés de tous les mauvais et délivrés des filets qui les enveloppaient tous indistinctement (8), jusqu'à ce que les boucs soient séparés des brebis avec lesquelles ils paissaient sous la conduite d'un même


1 Col 3,1-3 - 2. Ep 2,6 - 3. Rm 8,24-25 - 4. Pr 1,33 - 5. 1Jn 3,12 - 6. Mt 13,30 - 7. Mt 3,12 - 8. Mt 13,48

pasteur, et rejetés à la gauche du souverain Juge (1).


28. L'unité ne peut donc jouir de la sécurité qu'eu se fondant sur les promesses de Dieu à son Eglise qu'il a fondée sur la montagne afin qu'elle fût visible pour tous. Il faut donc que cette Eglise soit connue de toutes les parties de la terre. Dès lors, s'il est pour nous une vérité nécessaire et infaillible, c'est que les bons ne doivent jamais se séparer de cette Eglise; dussent-ils supporter la présence de pécheurs qui leur sont connus comme tels, et quelque part qu'ils habitent, jamais la présence de ces pécheurs ne justifierait le schisme sacrilège qu'ils consommeraient en se séparant témérairement des bons qu'ils ne connaissent pas et que l'on rencontre partout. Dès lors, toutes les fois qu'il est question d'un schisme présent, passé ou futur, lors même que toutes les contrées lointaines en ignoreraient l'existence ou la cause, pourvu qu'elles demeurent dans les liens de l'unité universelle, on peut être assuré que les auteurs de ce schisme n'ont pu accomplir leur oeuvre sacrilège que sous le coup des fureurs de l'orgueil, ou des ravages cruels de l'envie, ou de la corruption du siècle, ou de la perversité de la chair et des sens. Telles sont les causes ordinaires qui expliquent pourquoi trop souvent les bons sont calomnieusement accusés de crimes infâmes, pourquoi- le mal dont on les accuse est l'objet d'une crédulité si facile, pourquoi les méchants dont la présence tolérée dans un esprit de paix ne cause aucune souillure aux justes, troublent eux-mêmes la paix des bons, s'en séparent criminellement, et persécutent sans relâche le froment. Voilà enfin ce qui nous explique pourquoi des hommes osent usurper avant la moisson le rôle que doivent à la moisson remplir les anges.


29. Dans un tel état de choses, si l'on invite ces schismes impies, ces hérésies sacrilèges à profiter des fléaux dont Dieu les frappe pour rentrer dans le bon chemin, on les voit aussitôt se faire des châtiments dus à leur fureur comme autant de titres, au martyre. Telle est aussi la pensée de Parménien, car vers la fin de sa lettre, il exhorte Tichonius à persévérer dans le donatisme et à souffrir la persécution. Voici ses paroles: «Ils ne doivent pas s'unir de volonté à ceux dont ils sont restés


1. Mt 25,33

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séparés, malgré la violence de la persécution». Il invoque, à l'appui, ce passage de l'Ecriture: «Malheur à ceux qui ont perdu patience et se sont jetés dans des chemins pervers! Que feront-ils, quand le Seigneur examinera leurs voies (1)?» C'est là une preuve nouvelle du besoin qui le presse de citer l'Ecriture, quoique chacun de ses oracles soit pour eux une condamnation. Si quelqu'un a perdu patience, ne sont-ce pas ceux qui, après avoir chargé de crimes, qu'ils n'ont pu prouver, certains de leurs frères, n'ont pu les tolérer dans la paix de Jésus-Christ; ceux qui, réfléchissant plus tard que leur secte ne devait pas se dissoudre dans de nombreuses ramifications, se sont crus obligés de recevoir parmi eux et de tolérer, pour la paix de Donat, des hommes qu'ils avaient solennellement condamnés pour crime manifeste de sacrilège? Ce qu'ils ont eu à souffrir, de la part de Maximien, les a convaincus de l'impiété de leur conduite; qu'ils le sachent donc pour ne l'oublier jamais. Mais les raisons qui les pressent de se convertir sont d'une telle évidence, qu'ils n'ont plus qu'à en rougir; d'ailleurs, après avoir refusé de se soumettre aux ordres des empereurs, ne craignent-ils pas, en se convertissant, de paraître renoncer aux mérites qu'ils se flattent d'avoir acquis par les souffrances auxquelles ils ont été soumis? Mais en vérité, ne serait-il pas plus sage de renoncer à ces prétendus mérites que de s'exposer eux-mêmes à une perte certaine? Que dans la résistance aux ordres d'un empereur, ils croient voir une certaine force d'âme, c'est possible, quoique cependant il y ait là plutôt un vain simulacre de force qu'une réalité; mais à qui pourra-t-on persuader que l'on s'acquiert un titre à la gloire humaine en se mettant en contradiction avec l'évidence même de la vérité?

Pourquoi citer, les yeux fermés, un si grand nombre de témoignages de l'Ecriture, sauf à les rejeter quand on leur a prouvé que, bien compris, ils se retournent contre eux? Dût-on même accepter l'interprétation qu'ils en donnent, ces passages suffiraient encore pour constater la perversité de leur coeur. N'est-il pas écrit: «N'opposez de contradiction d'aucune sorte à la vérité (2)?» Or, n'est-ce pas contredire la vérité que de résister aux ordres légitimes d'un chef? D'un autre


1. Si 2,16-17 - 2. Si 4,30

côté, un roi qui menace ou qui punit, ne laisse pas que d'être un fardeau pour un temps; il n'en est pas de même de ce roi qui se proclame la vérité même et leur crie par son prophète: «J'ai frappé vos fils en vain, ils n'ont pas reçu la discipline (1)». Si donc, dans sa miséricorde, Dieu nous avertit maintenant par l'organe des puissances humaines, c'est afin de n'avoir pas à nous frapper au dernier jour, et de ne pas laisser aux orgueilleux la triste ressource de se vanter de leur condamnation. Sous les coups de la vengeance des rois, l'obstination des hommes peut vouloir se donner le nom de force; mais il n'y aura jamais de force à brûler dans les flammes éternelles. En enfer, il ne sera plus possible de oindre sa tête de l'huile de l'adulation, il n'y aura plus personne pour couronner de fleurs les damnés et les endormir en leur disant: C'est bien, c'est parfait; jureront-ils par leurs cheveux blancs, ceux qui n'ont jamais eu la tête saine; jureront-ils par leurs coassociés, ceux qui n'ont jamais connu les voies de la paix? On aura vu sur la terre de ces multitudes se séparer de l'unité de Jésus-Christ, pour ne plus s'abriter que sous leur propre nom; puis, quand elles ont à subir les, châtiments mérités par leur schisme, elles se décernent la palme des martyrs, et célèbrent pompeusement le jour de leur mort, au milieu d'une foule de furieux. Dans ce nombre, il faut ranger tous ceux qui, sans être poursuivis par personne, se précipitent du h ut des montagnes dans la profondeur des abîmes, afin de terminer une vie mauvaise par un mort encore plus criminelle. Mais, au dernier jour, ils ne trouveront plus de ces multitudes insensées auxquelles ils puissent dire: Nous sommes justes, puisque nous souffrons persécution; on ne trouvera plus de ces aveugles auxquels on puisse vendre une pierre pour une.perle précieuse, c'est-à-dire la dureté charnelle pour la patience spirituelle. On n'en trouvera plus qui récitent le nom des princes de leur fureur, à des autels qu'ils ont soustraits à l'unité du Christ, ou qu'ils ont érigés sous le nom du Christ et contre le Christ lui-même. Et c'est pour mériter ces récompenses que, voulant avoir ce qu'ils désirent vendre, ils soulèvent contre eux, par la perversité de leur coeur, la sévérité des puissances humaines, pour empêcher que ceux qu'ils


1. Jr 2,30

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séduisent et qui se croient justes, ne rentrent sérieusement en eux-mêmes et ne se demandent ce qui peut leur attirer ces souffrances, dont ils se glorifient comme d'un titre de justice. Le langage que tient Parménien à Tichonius, au sujet des persécutions à subir et de la gloire qu'on s'acquiert par la patience, s'ils y avaient quelque peu réfléchi, ils auraient compris que ç'est le même langage qui est tenu par les hérétiques contre lesquels les rois ont également à sévir. C'est aussi le langage qu'adressait à ses fidèles de Membrésitanum l'évêque Salvius, que les Abitiniens avaient couvert d'affronts et d'outrages et chassé de son siége. Ces malheureux n'étaientils pas allés jusqu'à suspendre à son cou des cadavres de chiens crevés, et ne se livrèrent-ils pas avec lui à des chants honteux et à des danses profanes? Avec quelle éloquence ne dut-il pas leur dépeindre les souffrances dont il avait été la victime, puisque, malgré leur pauvreté, il sut obtenir d'eux les fonds nécessaires pour se construire une nouvelle basilique? Quels éloges ne fit-il pas de la justice, pour laquelle il avait mérité de subir toutes ces tortures? Il se décernait la couronne des saints, parce qu'il avait souffert; et il flétrissait de la plus criante iniquité ceux qui l'avaient persécuté. On cite la cruauté inouïe de certains tyrans de la Toscane qui attachaient des hommes vivants sur des cadavres en putréfaction, en ordonnant toutefois que ce fussent des cadavres humains; quant à lier des hommes et surtout des évêques à des chiens crevés, je ne sais si pareil fait a été accompli ou seulement raconté. Personne n'ignore que les évêques prohibent les danses honteuses; a-t-il jamais été dit que des hommes appelés comme auxiliaires par des évêques, aient dansé avec eux? Peut-être Salvius n'était-il pas alors évêque, parce que sa condamnation est prononcée dans le concile de Bagaïum? Que ne s'est-il donc, par la suite, réconcilié avec Primianus, comme l'a fait Félicianus; car après avoir été condamné «par sentence véridique du Concile (1)», il aurait été reconnu comme évêque? Ou bien refuserait-on de le reconnaître, parce que si fon peut être purifié, comme Félicianus, des souillures d'un schisme sacrilège, on ne saurait l'être de celles qu'on a contractées en portant des chiens suspendus à son cou? Je voudrais savoir ce qu'ils peuvent répondre


1. Virg., Enéide, liv. 8,V. 484-487.

à ces faits certains, publics et tout récents, eux qui nous attaquent sans cesse de leurs anciennes calomnies. Si quelqu'un d'entre eux me soupçonne de fausseté, il lui est bien facile de se transporter à Membrésitanum, de s'y enquérir de ces faits et de les justifier, s'il le peut. S'il répond que ces traitements n'étaient que justice à l'égard de ceux que trois cent dix évêques Donatistes avaient condamnés, qu'ils ne s'étonnent pas que certains châtiments pèsent parfois sur des hommes condamnés comme schismatiques, non pas seulement par trois cent dix évêques, mais par l'univers tout entier. S'il répond que Salvius n'eut à subir que des peines très-légères, je demande à faire une supposition. Si l'empereur avait condamné, un évêque donatiste à danser, en menaçant, s'il refusait, de le jeter aux bêtes ou au feu, et que l'évêque, plutôt que de danser, préférât subir tous les châtiments possibles, est-ce que les Donatistes n'élèveraient pas au rang des martyrs un évêque qui aurait subi ces affreux traitements? Salvius a donc plus souffert, parce qu'on a dansé avec lui, qu'il n'aurait souffert, s'il eût été brûlé vif. Qu'on propose à un homme le choix, non pas de danser lui-même, mais de danser avec lui, ou d'être brûlé vif, quel, pensent-ils, serait son choix? Mais ne me répondra-t-il pas que les Primianistes n'ont obtenu du proconsul d'autre faveur que celle qui autorisait les Abitiniens à chasser Salvius de sa basilique, et qu'ils portent seuls la responsabilité des cruautés et des turpitudes qu'ils lui ont fait subir? Alors qu'il se dise à lui-même que les catholiques n'ont pu obtenir des empereurs d'autre pouvoir que celui de chasser les hérétiques des basiliques qu'ils occupaient dans un schisme sacrilège; que, du reste, même en écartant toute complicité de la part de la puissance royale, les abus auxquels ils ont pu se livrer ne sont que douceur et aménité en comparaison des traitements indignes que les Abitiniens, sans aucune délégation royale, ont fait subir à Salvius de Menlbrésitanum. Qu'ils pèsent bien toutes ces considérations et qu'ils sachent d'abord ce qu'ils doivent faire, et ensuite 'quels châtiments ils méritent. En s'obstinant à fermer les yeux sur leurs actes, pour ne les ouvrir que sur les peines qui leur sont infligées, ils s'exposent à subir, sans aucun fruit, ces maux temporels et à se voir frappés des supplices éternels, au (66) suprême jugement de Dieu qui ne les infligeait temporellement que pour opérer leur salut et leur conversion. Je néglige le passé et les séductions de toute sorte employées par eux pour tromper les faibles: je me contente du présent que je veux faire toucher du doigt. Après avoir été solennellement condamnés, les Maximianistes sont parfaitement réintégrés, et des nations tout entières sont accusées sans être ni connues ni entendues. On confirme le baptême des Maximianistes, et celui des nations est annulé. Voici les Assuritains, voici les Mustitains, voici Prétextat mort depuis peu, voici Félicianus encore plein de vie, voici le nom de ceux dont la condamnation, au concile de Bagaïum, nous est attestée par les actes proconsulaires, voici ces actes eux-mêmes encore tout récents et enregistrés en leur présence; est-ce que ces témoins et ces actes ne nous disent pas clairement ce qu'a été le Donatisme depuis son origine? Tant de crimes et de perversité devaient-ils rester impunis? Libre à eux de ne pas profiter de ces châtiments pour se convertir, mais du moins, qu'ils ne s'en glorifient pas!

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX


Augustin, réfutation Parménien - Examen des autres passages de l'Ecriture, cités par Parménien.