Augustin, de l'esprit et de la lettre


DE L'ESPRIT ET DE LA LETTRE



CHAPITRE PREMIER. UNE CHOSE PEUT ÊTRE POSSIBLE, LORS MÊME QU'ELLE SERAIT SANS EXEMPLE.


1. Cher fils Marcellin, vous avez lu les opuscules que, depuis peu, je vous ai adressés et dans lesquels je traitais du baptême des enfants et de la perfection de la justice que nul homme n'a jamais possédée et ne possédera jamais, en exceptant toutefois notre souverain Médiateur, qui a subi toutes les infirmités de la chair, à l'exclusion du péché. Mais voici que vous m'écrivez pour me luire part de l'étonnement que vous a causé une phrase du dernier livre de cet ouvrage, et par laquelle j'affirmais qu'à l'exception de Celui en qui tous seront justifiés, personne, dans cette vie, n'a été et ne sera sans péché, quoique, d'une manière absolue, il soit parfaitement vrai de dire qu'avec le secours de la grâce et une bonne volonté l'homme puisse être sans péché. Vous trouvez une sorte d'absurdité à soutenir qu'une chose qui ne s'est jamais réalisée soit néanmoins possible. Cependant vous n'ignorez pas, que le Sauveur a parlé d'un câble qui passerait par le trou d'une aiguille (1), quoique vous sachiez fort bien que jamais ce fait ne s'est réalisé. Vous lisez également que douze mille légions d'anges auraient pu combattre pour le Christ, afin de l'empêcher de souffrir (2); et


1. Mt 19,24-26 - 2. Mt 26,53

cependant cela n'a jamais eu lieu. Vous lisez encore qu'une mort générale et simultanée aurait pu exterminer toutes les nations de la terre qui était donnée aux enfants d'Israël (1), quoique Dieu les eût exterminées successivement et l'une après l'autre (2). Enfin, on pourrait citer des milliers de passages qui nous présentent comme possibles des choses qui néanmoins sont restées sans exemple. Pourquoi donc n'admettrions-nous pas également qu'un homme puisse être sans péché, quoique personne ne l'ait jamais été, à l'exception de Celui qui possédait non-seulement la nature humaine, mais encore la nature divine?



CHAPITRE II. UN PLUS GRAND DANGER, C'EST CELUI DE NIER LA NÉCESSITÉ DE LA GRÂCE.


2. Vous allez sans doute me répondre que la possibilité de ces prodiges que je viens de rappeler repose uniquement sur la puissance divine; tandis que l'exemption du péché est l'oeuvre de l'homme lui-même, oeuvre de toutes la plus excellente, puisqu'il en résulte une justice pleine, parfaite et de tous points absolue. D'où il suit que si l'homme peut réaliser cette perfection, ce serait une erreur de croire qu'il n'y a eu, ou qu'il n'y a, ou qu'il n'y aura personne pour faire de cette possibilité une réalité éclatante. N'oubliez


1. Dt 31,3 - 2. Jg 2,3

(a) Un accident pleinement involontaire de notre part, nous a empêché de placer ce traité, ainsi que les deux suivants, dans le XVe volume, Immédiatement après le Traité des Mérites et de la Rémission des Péchés. (Note de l'Editeur)

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pas cependant que si cette perfection est l'oeuvre de l'homme, elle est aussi l'oeuvre de Dieu. «Car», dit l'Apôtre, «Dieu opère en vous le vouloir et le faire, selon sa bonne «volonté (1)»


3. Par conséquent il n'y a pas lieu de se montrer très-sévère à l'égard de ceux qui soutiennent qu'il est ou qu'il y a eu des hommes qui ont vécu ici-bas sans péché; ne les pressons même pas de citer des exemples. Car, il me semble clairement défini par la sainte Ecriture due nul homme vivant sur la terre, quoique usant de son libre arbitre, ne saurait être trouvé sans péché. Tel est, en particulier, le sens de ce passage: «N'entrez pas en jugement avec votre serviteur, car nul homme vivant ne sera trouvé juste en votre présence (2)». On essaiera peut-être de détourner de leur sens naturel ces paroles et d'autres semblables, afin de prouver que quelques hommes ont pu vivre ici-bas sans péché; et alors, pourvu que nous ne soyons pas déchirés parle cruel aiguillon de l'envie, nous lis féliciterons de leur bonheur, bien loin de nous poser contre eux en ennemis. Quoi qu'il en soit, et malgré la certitude ou je suis que cette perfection n'a été, n'est et ne sera l'apanage d'aucun homme sur la terre, je ne laisse pas de dire que celui qui soutient l'opinion contraire commet une erreur sans gravité aucune, et se trompe plutôt par excès de bienveillance que par le désir de nuire; pourvu, cependant, que ce ne soit lias à lui-même qu'il attribue ce privilège, tant qu'il n'a pas atteint sur ce point la dernière évidence.


4. Mais on doit s'élever avec énergie et véhémence contre ceux qui soutiennent que sans le secours de Dieu, et par les seules forces de sa volonté, l'homme peut acquérir une justice parfaite, ou y persévérer après l'avoir acquise. Dès qu'ils se sentent attaqués sur ce point, ils s'arrêtent, ils baissent le ton, car ils comprennent aussitôt qu'une telle doctrine est une véritable impiété. Aussi s'empressent-ils d'admettre le concours de là grâce divine, mais voici dans quel sens. Nous avons eu, nous, disent-ils, le secours de Dieu, puisque Dieu,a créé l'homme doué du libre arbitre de sa volonté; et puisqu'en


1. Ph 2,11 - 2. Ps 92

lui donnant des préceptes il lui enseigne comment il doit vivre. Dieu vient ainsi en aide à l'homme, puisque en l'instruisant il détruit son ignorance, afin que l'homme sache dans toutes ses oeuvres ce qu'il doit éviter et ce qu'il doit désirer. L'homme alors, par la vertu du libre arbitre qui lui a été donné naturellement, s'engage dans la voie qui lui est indiquée, y vit dans les limites de la justice et de la piété et mérite ainsi de parvenir à la vie bienheureuse et éternelle.



CHAPITRE 3. LA GRACE VÉRITABLE EST UN DON DU SAINT-ESPRIT.


5. De notre côté, voici ce que nous enseignons. Pour pratiquer la justice, l'homme trouve d'abord en lui-même le libre arbitre, dont Dieu l'a doué naturellement; il trouve ensuite hors de lui la doctrine qui lui trace le chemin qu'il doit suivre; mais en outre il a besoin de recevoir l'Esprit-Saint, qui seul peut faire naître dans son esprit le désir et l'amour de ce bien suprême et immuable qui est Dieu, et cela des ce bas monde où nous ne marchons que par la, foi, en attendant qu'au ciel nous voyons Diu face à face (1). Cette grâce, fruit du Saint-Esprit, est pour nous comme l'arrhe en garantie du présent gratuit que Dieu nous promet au ciel; c'est elle qui fait naître en nous le désir de nous attacher au Créateur; c'est elle qui nous presse de parvenir à la participation de celle lumière véritable qui doit nous rendre heureux par Celui-là même qui nous a donné l'existence. Supposez que la voie de la vérité nous soit inconnue, notre libre arbitre n'a plus d'énergie que pour nous porter au péché; d'un autre côté, malgré la connaissance que nous aurions de ce que nous avons à faire et du but que nous devons poursuivre, si nous ne sentons pour ces oeuvres et pour ce but aucune délectation, aucun amour, nous cessons d'agir et de chercher la perfection de nos oeuvres. Or, c'est afin que nous aimions, que la charité a été répandue dans nos coeurs, non point par le libre arbitre qui vient de clous, mais par le Saint-Esprit qui nous a été donné (2).


1. 2Co 5,7 - 2. Rm 5

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CHAPITRE IV. LA LOI, SANS L'ESPRIT VIVIFIANT EST UNE LETTRE MORTE.


6. Cette doctrine qui nous trace la voie pour vivre dans la tempérance et la justice, n'est qu'une lettre qui tue, à moins qu'elle ne soit vivifiée par t'Esprit. L'Apôtre a dit: «La lettre tue, mais l'Esprit vivifie (1)». Or, ces paroles ne doivent pas être seulement interprétées en ce sens qu'il existe dans les saintes Ecritures des passages figuratifs qu'il serait absurde de prendre à la lettre; mais elles signifient également que nous devons pénétrer plus loin que l'écorce; et nourrir l'homme intérieur par l'intelligence spirituelle; car, «juger selon la chair, c'est la mort, tandis que juger, selon l'esprit, c'est la vie et la paix (2)». Supposez, par exemple, que quelqu'un veuille interpréter charnellement un grand nombre de passages du Cantique des cantiques, il en recueillera non pas le fruit de la charité, non pas la lumière, mais les affections de la cupidité voluptueuse. Ce n'est donc pas seulement dans le sens purement littéral que l'on doit interpréter ces paroles de l'Apôtre: «La lettre tué, mais l'esprit vivifie»; leur sens véritable nous est clairement indiqué dans cet autre passage: «J'aurais ignoré la concupiscence, si la loi n'avait pas dit: Vous ne convoiterez pas». Un peu plus loin, le même apôtre ajoute: «L'occasion se présentant, le péché m'a trompé par le précepte et par lui m'a tué (3)». Tel est le sens de ces mots: «La lettre tue». D'un autre côté, ce n'est pas dans un sens exclusivement figuratif que l'on doit interpréter ces paroles: «Vous ne convoiterez pas.»; il y a là un précepte aussi formel que salutaire, et dont le parfait accomplissement produirait l'exemption de tout péché. En effet, l'Apôtre se sert ici d'une expression générale, qui renferme en quelque sorte dans son extension la défense de tout péché: «Vous ne convoiterez pas». Est-il un seul péché qui ne se commette pas par la convoitise? Par conséquent toute loi qui défend la convoitise est une loi bonne et louable. Mais si l'Esprit-Saint ne vient pas à notre secours, si, à la place de la concupiscence mauvaise, il ne nous inspire pas la bonne concupiscence, c'est-à-dire s'il n'est


1. 2Co 3,6 - 2. Rm 8,6 - 3. Rm 7,7-11

pas là pour répandre.la charité dans nos coeurs; la loi, quoique bonne en elle-même, ne fait plus qu'aiguillonner, en le défendant, le désir du mal; tel le torrent que l'on repousse par une digue, se précipite avec plus de violence contre cette digue, et quand il est parvenu à la détruire, son impétuosité ne connaît plus de bornes ni ses ravages de limites. Je ne saurais dire pourquoi, mais enfin, ce que l'on convoite n'en devient que plus attrayant quand il est défendu. C'est ainsi que le péché nous trompe, par le précepte, c'est ainsi qu'il nous tue lorsque survient la prévarication, qui n'existerait pas si la loi n'existait pas (1).



CHAPITRE V. QUELLE EST ICI LA VÉRITABLE QUESTION.


7. Si vous le voulez, étudions ce passage tout entier de la lettre apostolique, et cherchons, avec l'aide de Dieu, à en approfondir la doctrine. Si je le puis, je prouverai que ces paroles de l'Apôtre: «La lettre tue, mais l'esprit vivifie», doivent s'interpréter dans le sens littéral et s'appliquent directement à la loi en tant qu'elle défend le mal. Après cette démonstration, il. restera bien évident que la justice est un don de Dieu, non pas seulement en ce sens que Dieu a donné à l'homme le libre arbitre sans lequel nos oeuvres n'auraient plus aucun caractère de moralité; non-seulement encore parce que Dieu nous a donné la loi qui nous trace la voie que nous avons à suivre, mais parce que, sous l'action du Saint-Esprit, il a répandu la charité dans le coeur de ceux qu'il a connus à l'avance pour les prédestiner, de ceux qu'il a prédestinés pour les appeler, de ceux qu'il a appelés pour les justifier, de ceux enfin qu'il a justifiés pour les glorifier (1).

Quand donc cette vérité nous sera apparue dans toute son évidence, vous verrez clairement, j'en suis persuadé, que c'est en vain que l'on rangerait exclusivement parmi les oeuvres possibles qui ne se sont jamais réalisées les oeuvres spéciales de la Divinité, par exemple, le passage d'un câble par le trou d'une aiguille, et autres choses semblables, absolument impossibles pour nous, mais très-faciles à la puissance divine; vous


1. Rm 4,15 - 2. Rm 8,29-30

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comprendrez combien il est faux de dire qu'on ne peut regarder la justice humaine comme ne s'étant jamais réalisée puisqu'elle doit être, non pas l'oeuvre de Dieu, mais l'oeuvre de l'homme, et que s'il est possible qu'elle soit parfaite en cette vie, il n'y a aucune raison de croire qu'elle ne se soit pas réalisée. Que ce soit là une erreur grossière, comment en douter quand il est de la dernière évidence que la justice humaine est avant tout l'oeuvre de Dieu, quoiqu'elle exige le concours de la volonté humaine? Par conséquent nous devons regarder comme possible, même sur la terre, la perfection de cette justice, parce que tout est possible à Dieu (1), soit ce qu'il accomplit par sa seule volonté, soit ce qu'il a résolu de faire avec le concours de la volonté de ses créatures. Si donc telle ou telle de ces oeuvres ne se réalise pas, il n'en est pas moins vrai que Dieu a le pouvoir de la réaliser, quoique dans sa sagesse il juge à propos de la laisser sans réalisation. Ces secrets de Dieu nous sont inconnus, mais n'oublions pas que nous ne sommes que des hommes, et gardons-nous d'attribuer à Dieu la folie, parce que sa sagesse dépasse la faible portée de notre esprit.


8. Ecoutez l'Apôtre expliquant aux Romains et leur démontrant que cette parole qu'il adresse aux Corinthiens: «La lettre tue, mais l'esprit vivifie», doit être entendue comme je l'ai indiqué plus haut. En effet, si la lettre de la loi, qui nous défend de pécher, n'est pas accompagnée de l'esprit vivifiant, elle tue; car elle apprend à connaître le péché plutôt qu'à l'éviter, elle en augmente l'attrait plutôt que de l'affaiblir, puisque la prévarication de la loi vient s'ajouter à la concupiscence mauvaise.



CHAPITRE VI. ABONDANCE DU PÉCHÉ PAR LA LOI.


9. L'Apôtre se proposait d'exalter la grâce qui est venue à toutes les nations par Jésus-Christ, afin d'empêcher les Juifs de se prévaloir, contre les autres nations, de la loi qu'ils avaient reçue. Voilà pourquoi, après avoir dit que le péché et la mort sont entrés par un seul homme dans le genre humain, et, par un seul homme aussi, la justice et la vie éternelle; il insinue clairement que de ces deux hommes le premier est Adam et le


1. Mc 10,27

second Jésus-Christ. «La loin», dit-il, «est survenue pour donner lieu à l'abondance du péché; mais, où il y a eu abondance de péché, il y a eu surabondance de grâce, afin que si le péché avait régné en donnant la mort, la grâce de même régnât par la justice en donnant la vie éternelle par Jésus-Christ Notre-Seigneur». Prenant ensuite la forme interrogative, il s`écrie: «Que dirons-nous donc? Demeurerons-nous dans le péché pour donner lieu à cette surabondance de grâce? A Dieu ne plaise!» Il comprenait que des hommes pervers pouvaient tirer un mauvais parti de ces paroles précédentes: «La loi est survenue pour donner lieu à l'abondance du péché; mais, où il y a eu abondance de péché, il y a eu surabondance de grâce»; on aurait pu en conclure que le péché est utile à cause de l'abondance de la grâce. Il repousse cette conclusion par l'énergique concision de cette parole: «A Dieu ne plaise!» Il ajoute: «Etant une fois morts au péché, comment vivrons-nous encore dans le péché?» En d'autres termes: puisque la grâce nous a accordé de mourir au péché, continuer à vivre dans le péché ne serait-ce pas répondre à la grâce par une coupable ingratitude?

Ne peut-on pas louer les bienfaits de la médecine sans affirmer par là l'utilité des maladies et des blessures dont la médecine guérit les hommes? Plus, au contraire, nous louons la médecine, plus nous jetons le blâme et l'horreur sur les blessures et les maladies contre lesquelles la médecine est notre seul refuge. De même la glorification de la grâce est par elle-même le blâme et la condamnation du péché. Il s'agissait donc de prouver à l'homme la honte de cette langueur devant l'iniquité de laquelle la loi, quoique sainte et bonne, avait été frappé d'une telle impuissance, qu'au lieu d'être un remède, elle avait été une occasion au péché. En effet, la loi est survenue pour donner lieu à l'abondance du péché. Convaincu et confus de cette vérité, que l'homme comprenne enfin qu'il a besoin non-seulement d'un docteur pour l'instruire, mais surtout du secours de Dieu pour diriger ses voies, pour le soustraire à l'empire de l'iniquité (1), et enfin pour le guérir par l'application de la divine miséricorde dans le sein de laquelle il a couru se réfugier.


1. Ps 118,133

C'est ainsi que là où il y a eu abondance de péché; il y a surabondance de grâce, non point par le mérite du pécheur, mais par la faveur de Celui qui vient à son secours.


10. Ce remède nous est offert mystiquement dans la passion et la résurrection de Jésus-Christ. C'est ce que nous enseigne l'Apôtre par ces paroles: «Ne savez-vous pas que nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous. avons été baptisés dans sa mort? Nous sommes donc ensevelis avec lui par le baptême pour mourir au péché; afin que, comme Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts par la gloire de son Père, nous marchions aussi dans une vie nouvelle. Car si nous avons été entés en lui par la ressemblance de sa mort, nous y serons aussi entés par la ressemblance de sa résurrection, sachant que notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que le corps du péché fût détruit et que désormais nous ne soyons plus asservis au péché. Car celui qui est mort est délivré du péché. Si donc nous sommes morts avec Jésus-Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec Jésus-Christ, sachant que Jésus-Christ, étant ressuscité d'entre les morts ne meurt plus, et que la mort n'aura plus d'empire sur lui. Car quant à mourir pour le péché, il est mort seulement une fois, mais quant à ce qu'il vit maintenant, il vit pour Dieu. Regardez-vous de même comme étant morts au péché et comme ne vivant plus que pour Dieu, en Jésus-Christ Notre-Seigneur (1)». En effet, le mystère de la mort et de la résurrection du Seigneur figure clairement la destruction de notre vie ancienne, le commencement d'une vie nouvelle, l'anéantissement de l'iniquité, et le renouvellement de la justice. D'où peut venir à l'homme un si grand bienfait? Serait-ce de la lettre de la loi? N'est-ce pas plutôt de la foi de Jésus-Christ.



CHAPITRE VII. DE QUELLE SOURCE DÉCOULENT LES BONNES OEUVRES.


11. Cette sainte pensée conserve ceux des enfants des hommes qui mettent leur espérance dans sa protection et attendent de lui seul la joie d'être enivrés de l'abondance de


1. Rm 5,20 Rm 6,11

sa maison, et de s'abreuver au torrent de sa volupté. Car ils savent qu'il est la source de la vie et que c'est dans sa splendeur que nous verrons la lumière. Ils savent qu'il verse sa miséricorde sur ceux qui le connaissent, et sa justice dans l'âme de ceux qui ont le coeur droit. Ils savent enfin que ce n'est point parce qu'ils ont le coeur droit, mais pour qu'ils aient le coeur droit, que Dieu leur accorde sa justice par laquelle il justifie le pécheur (1). Cette pensée, d'ailleurs, est loin d'engendrer l'orgueil: car ce vice a pour principe la confiance illimitée que l'homme place en sa propre personne, se regardant comme le maître absolu d'imprimer à sa vie la direction qu'il juge convenable.

Par le fait même d'une telle présomption, il s'éloigne de cette source de vie, dans laquelle seule nous puisons la justice, c'est-à-dire une vie sainte; il s'éloigne de cette lumière immuable à laquelle l'âme raisonnable ne saurait participer sans se sentir embrasée d'un feu qui la change à son tour en une sorte de lumière créée. C'est en ce sens que l'on dit de saint Jean: «Il était une lumière ardente et luisante (2)»; de son côté, n'ignorant pas de quelle source découlait sa lumière, il s'écriait: «Nous avons reçu de sa plénitude». De qui donc cette plénitude, si ce n'est de Celui devant lequel il n'était plus la lumière? En effet, c'est ce Verbe incarné qui «était la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde (3)». David, dans l'un de ses psaumes, venait de dire: «Déployez votre miséricorde sur ceux qui vous connaissent, et votre justice sur ceux qui ont le coeur droit». Il ajoute aussitôt: «Que le pied de l'orgue il ne vienne pas jusqu'à moi, que la main des pécheurs ne me touche point; là sont tombés tous ceux qui commettent l'iniquité: ils ont été repoussés et n'ont pu se tenir debout (4)». Cette iniquité qui porte l'homme à s'attribuer à lui-même ce qui n'appartient qu'à Dieu, refoule le pécheur dans ses propres ténèbres qui sont les oeuvres d'iniquité. Telle est son oeuvre propre, voilà de quoi il est capable par lui-même. Quant aux oeuvres de la justice, il ne les accomplit que dans la mesure où il puise à cette source et à cette lumière divine, où se trouve l'abondance de la vie pour


1. Rm 4,5 - 2. Jn 5,35 - 3. Jn 1,9-16 - 4. Ps 35,8-13

152

tous, où il n'y a ni changement ni vicissitude (1).


12. Revenons à l'apôtre saint Paul. Appelé Saul avant sa conversion, il ne me paraît avoir changé de nom, que, pour mieux montrer son humilité, se regardant comme le dernier des Apôtres. Or, il déclare une guerre énergique,et continuelle aux orgueilleux et aux arrogants qui mettaient toute leur confiance dans leurs propres oeuvres, et par là il se propose d'exalter d'autant plus la nécessité et la puissance de la grâce de Dieu. Quand donc, si ce n'est dans sa personne, cette grâce de Dieu s'est-elle révélée dans toute son évidence et son efficacité? Violent persécuteur de l'Eglise de Dieu, digne à ce titre des plus rigoureux châtiments, il reçut, non point la condamnation, mais la miséricorde; non point le châtiment, mais la grâce. C'est donc avant tout sa propre cause qu'il défend et justifie contre l'ignorance de ceux qui ne comprennent rien à ces mystères cachés et profonds, contre ceux,aussi qui voudraient dénaturer son langage si précis et si formel. Aussi ce qu'il prêche, ce qu'il proclame sans hésiter, c'est le don de Dieu par lequel seul arrivent au salut les fils du bienfait divin, les fils de la grâce et de la miséricorde, les fils du Testament Nouveau. Tout d'abord, écoutez son salut: «A vous la grâce et la paix par Dieu le Père et Notre-Seigneur Jésus-Christ (2)». Ensuite toute sa lettre aux Romains roule à peu près sur cette seule question qu'il traite avec tant de véhémence et d'abondance, qu'il fatigue à la vérité l'attention des lecteurs, mais d'une fatigue utile et salutaire; car il veut .seulement exercer et non briser les membres de l'homme intérieur.



CHAPITRE VIII. OBSERVATION DE LA LOI. - DE QUOI LES JUIFS PEUVENT SE GLORIFIER.


13. De là les conclusions que j'ai énoncées plus haut; de là les reproches qu'il adresse aux Juifs, leur disant qu'ils ne le sont que de nom, puisqu'ils n'accomplissent pas ce qu'ils promettent. «Mais vous, qui portez le nom de Juif, qui vous reposez sur la loi, qui vous glorifiez en Dieu, qui connaissez sa volonté et qui, étant instruit par la loi, savez discerner


1. Jc 1,17 - 2. Début des Epîtres.

ce qui est le plus utile; qui vous flattez d'être le conducteur des aveugles, la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, le docteur des ignorants, le maître des enfants comme ayant dans la loi la règle de la science et de la vérité; vous qui instruisez les autres, vous ne vous instruisez pas vous-mêmes; vous qui publiez qu'on ne doit point dérober, vous dérobez; vous qui dites qu'on ne doit point commettre d'adultère, vous commettez des adultères; vous qui avez en horreur les idoles, vous faites des sacrilèges; vous qui vous glorifiez dans la loi, vous déshonorez Dieu parla violation de la loi. Car vous êtes cause, comme dit l'Ecriture, que le nom de Dieu est blasphémé parmi les nations. Ce n'est pas que la circoncision ne soit utile, si vous accomplissez la loi; mais si vous la violez, tout a circoncis que vous êtes, vous devenez comme un homme incirconcis. Si donc un homme incirconcis garde les ordonnances de la loi, n'est-il pas vrai que, tout incirconcis qu'il est, il sera considéré comme circoncis? Et ainsi celui;qui, étant naturellement incirconcis, accomplit la loi, vous condamnera, vous qui, ayant reçu la lettre de la loi et étant circoncis, êtes un violateur de la, loi. Car le juif n'est pas celui qui l'est au dehors, et la circoncision véritable n'est pas celle qui se fait e dans la chair et qui n'est qu'extérieure; mais le vrai juif est celui qui l'est intérieurement et la circoncision véritable est celle du coeur qui se fait par l'esprit et non selon la lettre, et ce juif tire sa louange non des hommes, mais de Dieu (1)».

Voilà l'explication de cette parole: «Vous vous glorifiez en Dieu». Si le véritable juif se glorifiait en Dieu, comme l'exige la grâce, cette grâce qui est donnée non point en vertu du mérite des oeuvres, mais d'une manière absolument gratuite, la louange dont le juif est entouré lui viendrait de Dieu et non pas des hommes. Mais il n'en était pas ainsi. Les Juifs se glorifiaient en Dieu, en ce sens que seuls ils avaient mérité d'obtenir sa loi, car telle était l'interprétation qu'ils donnaient à ces paroles du psaume: «Il n'a pas agi de cette manière à l'égard des autres nations, et ne leur a pas révélé ses jugements (2)». Et cependant ils se flattaient d'accomplir la loi par leur propre justice, quand ils n'étaient que les prévaricateurs de la loi. C'est ainsi


1. Rm 2,17-29 - 2. Ps 147,20

153

que la loi les chargeait de colère (1), à cause de l'abondance du péché qu'ils commettaient en pleine connaissance. Quand, sans être mus par l'esprit de la grâce, ils accomplissaient les prescriptions, de la loi, c'était uniquement par la crainte des châtiments, et non par amour de la justice. Par conséquent le Seigneur ne trouvait pas dans leur volonté ce qui apparaissait dans leurs oeuvres aux yeux des hommes; et ils étaient plutôt coupables à ses yeux de toute la gravité des fautes qu'ils auraient commises s'ils avaient. pu le faire impunément. D'un autre côté, l'Apôtre appelle circoncision du coeur la volonté pure de toute concupiscence illicite, ce qui se fait non point par la vertu propre des enseignements ou des menaces de la lettre, mais par la grâce spirituelle qui nous est départie gratuitement pour nous aider et pour nous guérir. Quand nous possédons cette grâce, notre glorification ne nous vient pas des hommes, mais de Dieu; car s'est de lui que nous vient toute grâce et par conséquent toute louange, selon cette parole du psaume: «Mon âme sera louée a dans le Seigneur (2)». C'est à lui seul que nous pouvons dire: «Ma louange est en vous (3)». Peuvent-ils tenir ce langage, ces orgueilleux qui remercient le Seigneur de ce qu'ils sont hommes, mais ne veulent tenir que d'eux-mêmes leur propre justice?


14. «Mais», disent-ils, «nous aussi nous a louons Dieu, auteur de notre justification,,en ce sens qu'il nous a donné la loi dont la lumière nous apprend comment nous devons vivre». Ils ne comprennent donc pas cette parole: «Aucun homme ne sera par la loi justifié devant Dieu». L'homme, en effet, peut paraître juste devant ses semblables, sans (être nullement devant Dieu, qui scrute les coeurs et les volontés, et qui sait parfaitement ce que voudrait faire, s'il le pouvait, celui qui n'accomplit la loi que par la crainte du châtiment. Peut-être serait-on tenté de croire que l'Apôtre, en refusant à la loi le pouvoir de justifier, parlait exclusivement, de cette loi qui, dans les sacrements anciens, renfermait beaucoup de préceptes qui n'étaient que des figures comme, par exemple, la circoncision de la chair, que les enfants devaient recevoir le huitième jour après leur naissance (4). Mais pour dissiper cette illusion, l'Apôtre précise


1. Rm 4,15 - 2. Ps 33,3 - 3. Ps 21,26 - 4. Lv 3,3

la loi dont il parle: «Car», dit-il, «c'est par la loi que nous avons la connaissance du péché». C'est bien de cette loi qu'il dit également: «Je n'ai pas connu le péché si ce n'est par la loi; car je n'aurais pas connu la convoitise, si la loi n'avait pas dit: Vous ne convoiterez pas (1)». N'est-ce pas là le sens de ces mots: «C'est par la loi que nous avons la connaissance du péché?»



CHAPITRE IX. LA JUSTICE DE DIEU MANIFESTÉE PAR LA LOI ET LES PROPHÈTES.


15. Mais ici, peut-être, cette présomption humaine qui ignore la justice de Dieu et qui voudrait être à elle-même sa propre justification, applaudira à ces paroles de l'Apôtre: «Nul homme ne sera justifié par, la loi», prétendant que la loi se borne à nous montrer ce que nous devons faire, ou ce que nous devons éviter, de telle sorte que la volonté, par ses propres forces, accomplit ces prescriptions de la loi et se justifie elle-même, non point par l'autorité de la loi., mais par son libre arbitre. Mais, ô homme, remarquez donc ce qui suit: «Maintenant la justice de Dieu sans la loi, a été manifestée, elle a été attestée par la loi et par les prophètes». A moins que vous ne soyez frappés de surdité, n'entendez-vous pas: «La justice de Dieu a été manifestée?» Cette justice est ignorée de tous ceux qui veulent établir leur justice propre, et ils repoussent cette oeuvre divine par excellence (2). «La justice de Dieu», dit l'Apôtre, «a été manifestée»; il ne dit pas la justice de l'homme, ou la justice de la volonté propre. Il ne parle que de «la justice de Dieu», non pas de celle qui forme l'attribut. essentiel de Dieu, mais de celle dont Dieu revêt l'homme, lorsqu'il justifie l'impie. Cette justice est attestée par la loi et par les Prophètes; car la loi et les Prophètes lui rendent témoignage. La loi d'abord, car en commandant, en menaçant et en ne justifiant personne, elle fait assez connaître que c'est Dieu qui justifie l'homme par le secours et la grâce de l'Esprit-Saint. Les Prophètes ensuite, parce que la venue du Sauveur a réalisé ce qu'ils avaient prédit.

Aussi l'Apôtre ajoute aussitôt . «La justice de Dieu par la foi dé Jésus-Christ», c'est-à-dire


1. Rm 7,7 - 2. Rm 10,3

dire par la foi qui nous fait croire en Jésus-Christ. En parlant de la foi de Jésus-Christ nous n'entendons certes pas la foi par laquelle Jésus-Christ croit; de même la justice de Dieu ne signifie pas la justice par laquelle Dieu est juste. Il s'agit, en réalité, de notre foi et de notre justice, et pourtant nous disons la justice de Dieu et la foi de Jésus-Christ, parce que c'est de Dieu et de Jésus-Christ que nous recevons la justice et la foi. Ce qui a été manifesté, c'est donc la justice de Dieu sans la loi, ce qui ne veut pas dire qu'elle ait été manifestée sans la loi. En effet, comment pourrait-elle avoir été attestée par la loi. si elle avait été manifestée sans la loi? Nous appelons donc justice de Dieu sans la loi celle que Dieu, par l'esprit de grâce, confère au fidèle sans le secours de la loi, c'est-à-dire à celui qui croit sans être aidé par la loi. Est-ce que par la loi Dieu ne montre pas à l'homme sa faiblesse, afin de le déterminer à chercher, par la foi, son refuge et sa guérison dans son infinie miséricorde?

Il a été dit de la sagesse divine «qu'elle porte sur sa langue la loi et la miséricorde (1)»; la loi, pour rendre coupables les orgueilleux, et la miséricorde pour justifier les humbles. Donc «cette justice de Dieu par la foi de Jésus-Christ, est donnée à tous ceux qui croient en lui, car il n'y a aucune distinction parmi les hommes. En effet, tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu» et non de leur propre gloire. Qu'ont-ils donc, qu'ils ne l'aient reçu? Et s'ils l'ont reçu, pourquoi s'en glorifient-ils comme s'ils ne l'avaient pas reçu (2)? Ils ont donc besoin de la gloire de Dieu, et voyez la suite: «Etant justifiés gratuitement par sa grâce (3)», ils ne sont donc justifiés ni par la loi, ni par leur propre volonté; mais «ils sont justifiés gratuitement par sa grâce», non pas, sans doute, en ce sens que notre volonté y reste entièrement étrangère; il suffit que sa faiblesse soit manifestée par la loi, afin que la grâce guérisse la volonté, et que la volonté guérie accomplisse la loi, sans qu'elle soit pour cela constituée sous le joug de la loi ou qu'elle ait besoin de la loi.


1. Pr 16 selon les Septante. - 2. 1Co 4,7 - 3. Rm 3,20-21



CHAPITRE X. DANS QUEL SENS LA LOI N'EST-ELLE PAS ÉTABLIE POUR LE JUSTE.


16. «La loi n'est pas établie pour celui qui est juste», et cependant cette loi «est bonne si l'on en use légitimement (1)». Il y a une sorte de contradiction dans ce langage, et l'Apôtre, en l'énonçant, voulait sans doute forcer le lecteur à scruter et à résoudre la question. «La loi est bonne si l'on en use légitimement (2)»; comment accorder cette proposition avec la suivante: «Sachant ceci, c'est que la loi n'a pas été établie pour le juste?» Et qui donc use légitimement de la loi, si ce n'est celui qui est juste? Et cependant ce n'est pas pour lui que la loi a été établie, mais pour le pécheur. Est-ce donc que le pécheur, pour être justifié, c'est-à-dire pour devenir juste, doit user légitimement de la loi, afin que cette loi, lui servant de pédagogue, le conduise à la grâce par laquelle seule peuvent être accomplies toutes les prescriptions de la loi? Or, la grâce nous justifie gratuitement, c'est-à-dire sans aucun mérite antérieur de notre part: «autrement la grâce n'est plus une grâce (3)»; car elle nous est donnée non point parce que nous avons accompli des bonnes oeuvres, mais afin que nous puissions les accomplir; ou encore elle nous est donnée non point parce que nous avons accompli la loi, mais afin que nous puissions l'accomplir. En effet, le Sauveur a dit: «Je ne suis pas venir détruire la loi, mais l'accomplir (4)», lui dont il est écrit: «Nous avons vu sa gloire, la gloire du Fils unique du Père, rempli de grâce et de vérité (5)». Telle est la gloire dont il est dit: «Tous ont «péché, et ils ont besoin de la gloire de Dieu»; telle est aussi la grâce dont l'Apôtre dit aussitôt: «Nous avons été justifiés gratuitement par sa grâce».

Si donc le pécheur use légitimement de la loi, c'est afin de devenir juste; et quand il aura obtenu cette justice, il doit voir dans la loi, non plus une sorte de véhicule pour arriver au terme, mais plutôt, selon la comparai. son de l'Apôtre, une sorte de pédagogue qui lui a appris ses devoirs. En effet, comment la loi n'a-t-elle pas été établie pour le juste, si elle est nécessaire à celui-là même qui est


1. 1Tm 1,8-9 - 2. Ga 3,21 - 3. Rm 11,6 - 4. Mt 5,17 - 5. Jn 1,14

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juste, non pas dans ce sens que cette loi le conduise du péché à la grâce sanctifiante, mais en tant que, devenu juste, il en use légitimement? Ne fait-il pas assurément un usage légitime de la loi, l'homme juste qui, pour inspirer une terreur salutaire aux coupables, leur impose les prescriptions de la loi, afin que sous le feu de la concupiscence mauvaises se révoltant contre la défense et augmentant le nombre et la gravité de ses prévarications ils cherchent promptement, et par la foi, un refuge assuré dans la grâce justifiante, et échappent aux menaces de la lettre en goûtant les douceurs de la justice par la vertu dit Saint-Esprit? De cette manière toute contradiction cesse entre ces deux passages cités plus haut, car nous voyons comment le juste peut user légitimement d'une loi bonne, quoique la loi ne soit point établie pour l'homme juste. En effet, ce n'est point par la loi qu'il a été justifié, mais par la loi de la foi, par laquelle il a cru qu'il avait absolument besoin de la grâce divine pour accomplir, malgré sa faiblesse, les prescriptions de la loi.


17. De là ces paroles de l'Apôtre: «Où est donc le sujet de votre gloire? Il est exclu. Et par quelle loi? Est-ce par la loi des oeuvres? Non, mais par la loi de la foi (1)». Cette gloire, dont parle saint Paul, peut s'entendre dans un double sens. Ou bien il s'agit de la gloire vraiment louable qui pour nous réside dans le Seigneur, gloire exclue, non pas qu'elle soit rejetée, mais parce que son excellence la fait sortir du rang des choses ordinaires. C'est ainsi que certains raffineurs de métaux sont appelés: «excluants, exclusores». «Afin», dit le Psalmiste, «que soient exclus tous ceux qui ont été éprouvés par l'argent (2)», comme s'il eût dit: «Afin que ceux qui ont été éprouvés par la parole du Seigneur» soient placés dans un poste éminent. Nous lisons encore: «Les oracles du Seigneur sont des oracles chastes; c'est de l'argent éprouvé par le feu (3)».

Peut-être aussi L'Apôtre a-t-il voulu parler de la gloire criminelle qui vient de l'orgueil, gloire dont se repaissent tous ceux qui, se flattant de mener une vie juste et sainte, n'attribuent qu'à eux-mêmes ce précieux privilège. Or un tel sujet de gloire, l'Apôtre le regarde comme exclu, non point par la loi des oeuvres, mais par la loi de la foi, qui le


1. Rm 3,27 - 2. Ps 67,31 - 3. Ps 11,7

réprouve d'une manière absolue. En effet, par cette loi de la foi, chacun de nous reste pleinement persuadé que s'il fait quelque oeuvre bonne, c'est à la grâce de Dieu qu'il le doit, car c'est de cette grâce que lui vient exclusivement tout ce qu'il fait pour se perfectionner dans l'amour de la justice.




Augustin, de l'esprit et de la lettre