Augustin, de l'esprit et de la lettre - CHAPITRE XIX. LA FOI CHRÉTIENNE NOUS VIENT PAR LE SECOURS DE LA ORACE.

CHAPITRE XIX. LA FOI CHRÉTIENNE NOUS VIENT PAR LE SECOURS DE LA ORACE.


32. Que nul chrétien ne s'écarte de cette foi, car seule elle est la véritable foi chrétienne. Dire que nous sommes justes par nous-mêmes, de telle sorte que la grâce de Dieu soit absolument étrangère à cette justification, personne ne l'oserait en face de la réprobation dont il serait couvert par les fidèles, par les véritables chrétiens. Il prendra un moyen détourné et dira que nous ne pouvons être justes sans l'action de la grâce de Dieu, puisque Dieu nous a donné la loi, puisqu'il a établi une doctrine, puisqu'il nous adonné de bons préceptes. Qu'il sache donc que tout cela, sans le secours de l'Esprit, n'est qu'une lettre qui tue, tandis que sous l'action vivifiante de l'Esprit de Dieu, cette même loi écrite au dehors et n'inspirant que la crainte, est intérieurement gravée dans le coeur et


1. 2Co 3,5

trouve dans l'amour son accomplissement assuré.


33. Cette vérité se trouve admirablement confirmée par cet oracle du Prophète: «Le temps viendra, dit le Seigneur, dans lequel je ferai un nouveau Testament avec la maison d'Israël et la maison de Juda; non selon l'alliance que je fis avec leurs pères au jour où je les pris par la main pour les faire sortir de l'Egypte, parce qu'ils ont violé cette alliance; c'est pourquoi je leur ai fait sentir mon pouvoir, dit le Seigneur. Mais voici l'alliance que je ferai avec la maison d'Israël, après que ce temps-là sera venu, dit le Seigneur: j'imprimerai ma loi dans leurs entrailles et je l'écrirai dans leur coeur; et je serai leur Dieu et eux ils seront mon peuple. Et nul d'eux n'aura plus besoin d'enseigner son prochain et son frère en disant: Connaissez le Seigneur, parce que tous me connaîtront depuis le plus petit jusqu'au plus grand, dit le Seigneur; car je leur ci pardonnerai leur iniquité, et je ne me souviendrai plus de leurs péchés (1)». Qu'avons-nous à ajouter à ces paroles? En parcourant les livres anciens nous ne trouverions nulle part, ou du moins que très-difficilement, un passage prophétique aussi formel, et où surtout le Nouveau Testament soit désigné par son propre nom; dans beaucoup d'endroits nous sont décrits le caractère et les fruits de ce Nouveau Testament, mais sans que son nom nous soit indiqué formellement. Ainsi donc, d'après le témoignage même de Dieu, considérez attentivement la différence qui existe entre les deux Testaments, l'Ancien et le Nouveau.


34. Le Prophète avait dit: «Non pas selon le Testament que j'ai fait avec leurs pères au jour où je les ai pris par la main pour les tirer de la terre d'Egypte». Voyez ce qu'il ajoute: «Parce qu'ils n'ont pas persévéré dans mon Testament». Il leur fait un crime de n'avoir pas persévéré dans le Testament de Dieu, et cela parce qu'il ne veut pas que l'on puisse inculper la loi qu'ils ont alors reçue. Cette loi, en effet, n'est-elle pas celle dont le Sauveur a dit qu'il n'était pas venu pour la détruire, mais pour l'accomplir (2)? Et cependant ce n'est point par cette loi, mais par la grâce, que les pécheurs sont justifiés; car cette justification


1. Jr 31,31-34 - 2. Mt 5,17

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est l'oeuvre de l'Esprit vivifiant, sans lequel la loi n'est plus qu'une lettre qui tue. «Car si la loi qui a été donnée avait pu donner la vie, on aurait pu dire que la justice s'obtenait par la loi; mais l'Ecriture a renfermé tous les hommes sous le péché, afin que ce que Dieu avait promis fût donné par la foi en Jésus-Christ à ceux qui croiraient». C'est par la vertu de cette promesse, c'est-à-dire par la vertu du bienfait de Dieu, que la loi elle-même est accomplie, autrement elle ne ferait que des prévaricateurs; soit que la prévarication aille jusqu'aux oeuvres criminelles quand la flamme de la concupiscence brise et dépasse les barrières que la crainte pouvait opposer; soit qu'elle reste dans la volonté lorsque la crainte du châtiment est assez forte pour étouffer les attraits de la passion. «L'Ecriture», dit l'Apôtre, «a renfermé tous les hommes sous le péché, afin que ce que Dieu avait promis fût donné par la foi en Jésus-Christ à ceux qui croiraient». Il ne pouvait mieux formuler l'utilité de sa conclusion. En effet, il conclut: «Avant que la foi fût venue, nous étions sous la garde de la loi, qui nous tenait renfermés pour nous disposer à cette foi qui devait être révélée (1)». Voilà donc pourquoi l'Ecriture nous avait renfermés sous le péché. Par conséquent la loi nous a été donnée afin que nous cherchions la grâce; et la grâce nous a été donnée afin d'assurer l'accomplissement de la loi. D'un autre côté, si la loi n'était point accomplie, ce n'était point par un vice inhérent à sa propre constitution, mais par le vice de la prudence de la chair; ce vice a été démontré par la loi, mais il n'a pu être guéri que par la grâce. «Car ce que la loi ne pouvait accomplir parce qu'elle était affaiblie par la chair, Dieu l'a fait en envoyant son propre Fils revêtu d'une chair semblable à celle du péché; et, victime pour le péché, il a condamné le péché dans la chair, afin que la justice de la loi fût accomplie en nous, qui ne marchons pas selon la chair, mais selon l'esprit (2)». Telle est la pensée déjà formulée dans l'oracle prophétique cité plus haut: «Le temps viendra, dans lequel je ferai un Nouveau Testament avec la maison d'Israël». Remarquez qu'il est dit: «Je ferai», ou mieux encore: «J'achèverai». N'est-ce pas dire: j'accomplirai? «Non pas selon le Testament


1. Ga 3,21 - 2. Rm 8,3-4

que j'ai fait avec leurs pères au jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir de la terre d'Egypte».


CHAPITRE XX. LA LOI ANCIENNE. LA LOI NOUVELLE.


35. Ainsi donc le premier Testament n'est devenu l'Ancien que parce que nous en avons un Nouveau. Mais pourquoi l'un Ancien et l'autre Nouveau, quand la loi qui est accomplie dans le Nouveau Testament est bien celle qui disait dans l'Ancien: «Vous ne convoiterez pas (1)?» «Car vos pères», dit le Seigneur, «n'ont pas persévéré dans mon Testament, et moi je leur ai fait sentir mon pouvoir». Si donc le premier Testament est appelé Ancien, c'est. surtout à cause de la souillure de l'homme ancien, souillure qui n'était nullement guérie par la lettre prescriptive et menaçante; et si le second est appelé le Testament nouveau, c'est à cause de la nouveauté de l'esprit qui guérit l'homme nouveau du vice de l'ancienneté. Enfin, remarquez ce qui suit et voyez de quel éclat resplendit cette vérité que les Pélagiens orgueilleux n'osent con. sidérer en face: «Voici», dit le Seigneur, «le Testament que je ferai avec la maison d'Israël; quand ces jours seront venus, j'imprimerai ma loi dans leurs coeurs et je la graverai dans leurs esprits». Telle est la pensée qui a inspiré ces paroles déjà citées de l'Apôtre: «Non pas sur des tables de pierre, mais sur les tables du coeur, non pas avec de l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant». Et si l'Apôtre nous parle d'une manière aussi explicite du Nouveau Testament, quand il dit: «Le Seigneur nous a rendus les dignes ministres du Nouveau Testament, non pas de la lettre, mais de l'esprit», c'est parce que déjà il avait en vue la prophétie quand il s'était écrié: «Non pas sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, les tables de leur coeur». En effet, le Seigneur avait dit formellement: «J'imprimerai ma loi dans leurs coeurs» au moment même où il annonçait le Nouveau Testament.



CHAPITRE XXI. LA LOI ÉCRITE DANS LES COEURS.


36. Que sont donc ces lois de Dieu, écrites


1. Ex 20,17

165

par Dieu lui-même dans les coeurs, si ce n'est la présence même du Saint-Esprit qui est le doigt de Dieu? Par le fait même de sa présence en nous, il répand la charité dans nos coeurs, et cette charité n'est autre chose que la plénitude de la loi et la fin du précepte. Dans le Testament Ancien, faisons d'abord la part des sacrements qui n'étaient que l'ombre des sacrements futurs, comme la circoncision, le sabbat, d'autres observances spéciales à tel jour, les cérémonies qui entouraient la manducation de certaines nourritures (1), les rites multipliés des sacrifices et des oblations, toutes choses appropriées à la vétusté et au joug servile de la loi charnelle. Il contient aussi les préceptes de la justice, les mêmes que nous sommes encore tenus d'observer aujourd'hui et qui sont contenus sans aucune figure dans les deux tables du Sinaï; tels sont par exemple: «Vous ne commettrez ni l'adultère ni l'homicide, vous ne convoiterez pas, et s'il est quelque autre commandement, vous le trouverez résumé dans celui-ci: Vous aimerez votre prochain comme vous-même (2)». Enfin ce même Testament abonde en promesses terrestres et temporelles, annonçant les biens de cette chair corruptible et sous la forme desquels nous trouvons la figure des biens éternels et célestes, les seuls dont s'occupe directement le Nouveau Testament. Maintenant, en effet, ce qui nous est promis c'est le bien du coeur, le bien de l'esprit, le bien de l'âme, c'est-à-dire le bien spirituel; et tel est le sens de ces paroles: «Je graverai mes lois dans deux esprit, et je les imprimerai dans leur coeur». C'était prédire assez clairement qu'ils n'auraient plus à craindre une loi terrifiant extérieurement par des menaces, mais qu'ils aimeraient la justice même de la loi habitant dans leur coeur.



CHAPITRE XXII. LA RÉCOMPENSE ÉTERNELLE.


37. Vient ensuite la récompense: «Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple». Le Psalmiste parlait à Dieu dans le même sens: «Il est bon pour moi d'adhérer à Dieu (3)». «Je serai leur Dieu», s'écrie le Seigneur, «et ils seront mon peuple». Qu'y a-t-il de mieux,


1. Liv. II des Rétract., ch. 37. - 2. Ex 20,14-17 - 3. Ps 72,28

qu'y a-t-il de plus heureux que de vivre pour Dieu, de vivre de Dieu en qui se trouve la source de la vie et dans la splendeur de qui nous voyons la lumière (1)? C'est de cette vie que le Seigneur disait: «La vie éternelle consiste pour eux à vous connaître, vous le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé (2)», c'est-à-dire vous et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ, le seul vrai Dieu. Le Sauveur en avait fait la promesse à ses disciples en leur disant: «Celui qui m'aime observe mes commandements, et celui qui m'aime sera aimé par mon Père, et moi je l'aimerai et je me manifesterai à lui (3)»; à savoir sous la forme de Dieu, dans laquelle il est semblable à sols Père, et non dans la forme d'esclave, dans laquelle il se montrera aux impies. Alors, en effet, se réalisera cette parole: «Que l'impie disparaisse, afin qu'il ne voie point la gloire du Seigneur (4)». C'est ce qui aura lieu lorsque les méchants placés à gauche seront précipités dans les flammes éternelles, tandis que les justes iront goûter les joies de l'éternité (5). Or, cette vie éternelle, comme je l'ai rappelé, consiste précisément à connaître le seul vrai Dieu. De là ces paroles de saint Jean: «Mes bien-aimés, nous sommes les enfants de Dieu et nous n'avons pas encore l'idée de ce que nous serons. Nous savons que lorsque Dieu nous aura apparu, nous serons semblables à lui; car nous le verrons comme il est (6)». Cette ressemblance commence pourtant à se faire en nous lorsque l'homme se renouvelle intérieurement de jour en jour (7) sur le modèle de celui qui l'a créé (8).



CHAPITRE XXIII. NOTRE RENOUVELLEMENT ACTUEL COMPARÉ A LA PERFECTION DE LA VIE FUTURE.


38. Mais pour arriver à cette éminente.perfection qui nous attend, que sommes-nous, ou que méritons-nous ici-bas? Pour rendre ces choses ineffables, l'Apôtre, cherchant des points de comparaison parmi les choses qui nous sont connues, nous appelle de petits enfants comparés à des hommes mûrs. «Lorsque j'étais petit enfant», dit-il, «je parlais comme un petit enfant, je jugeais comme


1. Ps 35,10 - 2. Jn 17,3 - 3. Jn 14,21 - 4. Is 26,10 - 5. Mt 25,46 - 6. 1Jn 3,2 - 7. 2Co 4,16 - 8 Col 3,10

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un petit enfant, je pensais comme un petit enfant; maintenant que je suis devenu homme, j'ai dépouillé tout ce qui était du petit enfant». Il nous dévoile immédiatement sa pensée: «Maintenant», dit-il, «nous voyons comme à travers un miroir et en énigme, mais alors nous verrons face à face; maintenant nous ne connaissons que par partie, mais alors je connaîtrai comme je suis connu (1)».



CHAPITRE XXIV. LA RÉCOMPENSE PROPRE AU NOUVEAU TESTAMENT PRÉDITE PAR LE PROPHÈTE.


39. Le Prophète dont nous étudions le témoignage n'omet pas d'énoncer que c'est dans la connaissance de Dieu que se trouve la récompense, la fin, la perfection de notre félicité, le résumé de la vie heureuse et éternelle. Après avoir dit: «Je serai leur Dieu et ils seront mon peuple», il ajoute aussitôt . «Et nul d'entre eux n'aura plus besoin d'en soigner son prochain et son frère, en disant: Connaissez le Seigneur, parce que tous me connaîtront depuis le plus petit jusqu'au plus grand». Nous sommes assurément aujourd'hui sous le règne du Nouveau Testament dont le Prophète nous a fait la promesse par les paroles que j'ai rapportées; pourquoi donc chacun dit-il encore à son prochain et à son frère: «Connaissez le Seigneur?» N'est-ce pas le dire, en effet, que de prêcher l'Evangile, et toute la prédication ne se résume-t-elle pas dans cette parole? Si l'Apôtre des Gentils se dit docteur, n'est-ce point parce qu'il voit se réaliser ceci, dont il parle. «Comment invoqueront-ils le Seigneur, s'ils ne croient point en lui? et comment croiront-ils en lui, s'ils n'en ont point entendu parler? et comment en entendront-ils parler, si personne ne leur prêche (1)?» Maintenant donc que cette prédication se fait en tous lieux, comment peut-on affirmer que nous sommes sous le règne du Nouveau Testament dont le Prophète a dit: «Nul d'entre eux n'aura plus besoin d'enseigner son prochain et son frère en disant: Connaissez le Seigneur, parce que tous me connaîtront depuis le plus petit jusqu'au plus grand?»

La réponse est facile; le Prophète nous parle ici de la récompense éternelle du Nouveau


1. 1Co 13,11-12 - 2. Rm 10,14

Testament, c'est-à-dire de la contemplation bienheureuse de Dieu que nous verrons face à face.


40. Quels sont donc ceux qu'il désigne par ces paroles: «Depuis le plus petit jusqu'au plus grand?» Ne sont-ce pas tous ceux qui appartiennent spirituellement à la maison d'Israël et à la maison de Juda, c'est-à-dire à la famille d'Isaac et à la race d'Abraham? Ecoutons l'Apôtre rappelant la promesse faite à Abraham: «Il vous sera donné des descendants dans la personne d'Isaac, c'est-à-dire que ceux qui sont enfants selon la chair ne sont pas pour cela enfants de Dieu; ce sont les enfants de la promesse qui sont réputés les enfants d'Abraham. Car voici les termes de cette promesse: Je viendrai en ce même temps, et Sara aura un fils. Ce n'est pas seulement Sara, c'est aussi Rebecca qui conçut en même temps deux enfants d'Isaac notre père. Car avant qu'ils fussent nés, et avant qu'ils eussent fait aucun bien et aucun mal, afin que le décret de Dieu demeurât ferme selon son élection; non à cause de leurs oeuvres, mais par la volonté de celui qui appelle, il fut dit à la mère: «L'aîné sera assujéti au plus jeune, selon qu'il est écrit: J'ai aimé Jacob, et j'ai haï Esaü (1)». Telle est cette maison d'Israël ou cette maison de Juda, choisie en vue de Jésus-Christ qui est venu de la tribu de Juda. Si cette maison est devenue la maison des enfants de la promesse, ce n'est point grâce au mérite de leurs propres oeuvres, mais grâce au choix et au libre bienfait de Dieu.

En effet, Dieu promet ce dont il est lui. même l'auteur; ce qu'il promet ce n'est pas un autre qui l'accomplit; car alors ce ne serait plus promettre, mais prédire. De là ces mots: «Non à cause de leurs oeuvres, mais par la volonté de celui qui appelle»; car autrement ce serait leur oeuvre propre et non celle de Dieu, et la récompense serait imputée non pas selon la grâce, mais selon le mérite (2), et dès lors la grâce ne serait plus la grâce, malgré la parole formelle de cet Apôtre qui s'est constitué l'ardent défenseur de la grâce, et qui a plus travaillé que les autres, non pas lui, mais la grâce de Dieu avec lui (3) «Car», dit Dieu, «tous me connaîtront». «Tous», c'est-à-dire la maison d'Israël et la maison de Juda. «Tous ceux qui descendent


1. Rm 9,7-13 - 2. Rm 4,4 - 2. 1Co 15,9-10

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d'Israël ne sont pas pour cela de vrais Israélites»; il n'y a que ceux à qui il est dit dans le psaume: «pour la réception du matin», c'est-à-dire pour la lumière nouvelle, pour la lumière du Nouveau Testament: «Que toute la race de Jacob glorifie le Seigneur, et qu'il soit craint par toute la postérité d'Israël (1)» . Il ne s'agit pas ici de toute la race prise dans son universalité absolue en tant qu'elle renferme tous ceux pour qui ont eu lieu les promesses et la vocation, mais en tant qu'elle renferme ceux qui ont été appelés selon le décret divin. Car «ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés, et ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés, et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés (2)» . «Ainsi, c'est par la foi, afin que nous le soyons par la grâce et que la promesse demeure ferme pour tous ses enfants, non-seulement pour ceux qui ont reçu la loi» laquelle est passée de l'Ancien Testament au Nouveau, «mais encore pour ceux qui suivent la foi d'Abraham qui est le père de nous tous, selon qu'il est écrit: Je vous ai établi père de beaucoup de nations (3)». Ainsi donc tous ces hommes prédestinés, appelés, justifiés, glorifiés, connaîtront Dieu par la grâce du Nouveau Testament, depuis le plus petit jusqu'au plus grand.


41. De même donc que la loi des oeuvres, écrite sur les tables de pierre, et la récompense temporelle que reçut la maison charnelle d'Israël lorsqu'elle fut délivrée de l'Egypte, appartiennent à l'Ancien Testament; de même la loi de la foi, écrite dans les coeurs, et sa récompense qui n'est autre que la possession de Dieu, apanage de la maison spirituelle d'Israël délivrée de ce monde, appartiennent au Nouveau Testament. C'est alors que s'accomplira cette parole de l'Apôtre: «Les prophéties disparaîtront, les langues cesseront, la science s'évanouira»; il parle de cette science des enfants, qui est la seule possible ici-bas et qui ne nous permet de connaître qu'en partie, en énigme et comme dans un miroir., Une telle science rendait nécessaire la prophétie, puisqu'au passé succède l'avenir. De là les langues, c'est-à-dire la multiplicité des signes; car la vérité ne nous apparaît que successivement, jusqu'à ce que la lumière éternelle la fasse resplendir à nos yeux dans toute sa réalité. «Lorsque nous serons dans l'état


1. Ps 21,24 - 2. Rm 8,28-30 - 3. Rm 4,16-17

parfait, tout ce qui est imparfait sera aboli (1)». C'est alors que celui qui nous a apparu une première fois dans la chair se révélera à ceux qui l'aiment, et ce sera la vie éternelle, afin que nous connaissions le seul vrai Dieu (2); nous lui serons semblables (3), parce que nous le connaîtrons comme nous sommes connus (4).

Alors «nul d'entre nous n'aura plus besoin d'enseigner son frère ou son prochain, en lui disant: Connaissez le Seigneur; car tous le connaîtront depuis le plus petit jusqu'au plus grand». On peut donner à cette phrase de nombreuses significations. On peut y voir la différence qui sépare au ciel une étoile d'une autre étoile (5). Peu importe, d'ailleurs, que le Prophète se soit servi de la formule: «Depuis le plus petit jusqu'au plus grand», au lieu de dire: depuis le plus grand jusqu'au plus petit. De même il importe peu que par les plus petits nous entendions ceux qui se contentent de croire, tandis que les plus grands seraient capables de comprendre, autant du moins que cela nous est possible sur la terre, la lumière incorporelle et immuable. Peut-être aussi, par les plus petits l'Apôtre entendait-il ceux qui sont venus les derniers à la foi, tandis que les plus grands seraient les premiers convertis. Tous cependant posséderont en commun ce qui fait l'objet des promesses divines, la contemplation et la possession de Dieu; car, inspirés par les nobles élans de leur charité, les plus grands ont voulu nous procurer les biens par excellence et faire en quelque sorte de notre perfection le couronnement de leur propre perfection (6). A ce point de vue encore les premiers pourraient passer pour les plus petits, parce qu'on les a fait attendre moins longtemps; c'est ainsi que, dans la parabole évangélique la récompense du denier est accordée tout d'abord aux ouvriers venus les derniers à la vigne du père de famille (7). Du reste, on peut donner de ce passage une multitude d'autres interprétations qui m'échappent en ce moment et peuvent s'harmoniser avec la pensée de l'Apôtre.



CHAPITRE XXV. DIFFÉRENCE ENTRE L'ANCIEN ET LE NOUVEAU TESTAMENT


42. Quoi qu'il en soit, appliquez-vous à saisir


1. 1Co 13,8-9 - 2. Jn 17,3 - 3. Jn 3,2 - 4. 1Co 13,12 - 5. 1Co 15,41 - 6. He 11,40 - 7. Mt 20,8-12

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aussi parfaitement que possible le point que j'essaye de mettre en lumière. Dans la promesse que le Prophète nous fait du Nouveau Testament, nous ne retrouvons rien de ce qui, caractérisait l'Ancien Testament donné à Israël après sa sortie d'Egypte; il garde le silence sur la substitution du Nouveau Sacrifice et des Nouveaux Sacrements aux anciens, quoique cette substitution dût avoir lieu et se soit réellement opérée, comme nous l'atteste la sainte Ecriture dans un grand nombre de passages. Il se contente d'affirmer que dans le Nouveau Testament Dieu gravera ses lois dans l'esprit des fidèles et les écrira dans leur coeur. De là ce mot de l'Apôtre: «Vous êtes la lettre de Jésus-Christ, écrite non avec de l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair qui sont vos coeurs (1)». Quant à la récompense qui couronnera cette justification, il ne s'agit nullement de la terre dont furent chassés les Amorrhéens, les Chettéens et autres peuples désignés dans l'Ecriture (2); cette récompense, c'est Dieu lui-même à qui il nous est bon d'adhérer de telle sorte que ce Dieu qu'on aime est lui-même le bien après lequel on aspire. Entre ce Dieu et les hommes nulle séparation n'est possible, excepté par le péché, et le péché n'est effacé que par la grâce de Dieu.

Voilà pourquoi ces premières paroles du Prophète: «Tous me connaîtront depuis le plus petit jusqu'au plus grand», sont aussitôt suivies.de celles-ci: «parce que je pardonnerai leur iniquité, et je ne me souviendrai plus de leurs péchés». Ainsi donc par la loi des oeuvres le Seigneur nous dit: «Vous ne convoiterez pas (3)», et par la loi de la foi, ce même Seigneur s'écrie: «Sans moi vous ne pouvez rien faire (4)»; et dans ces paroles il s'agissait des bonnes oeuvres, c'est-à-dire des fruits que doivent porter les rameaux entés sur la véritable souche. Telle est donc la différence évidente qui existe entre l'Ancien et le Nouveau Testament. Dans l'Ancien la loi était, gravée sur des tables de pierre; dans le Nouveau, elle est écrite dans les coeurs; de cette manière ce qui effrayait au dehors produit maintenant la joie intérieure; ce qui rendait l'homme prévaricateur par la


1. 2Co 3,3 - 2. Jos 12 - 3. Ps 72,28 - 4. Ex 20,17 - 5. Jn 15,5

lettre qui tue, maintenant engendre l'amour par l'esprit vivifiant. Par conséquent, lorsque nous disons que Dieu nous aide à accomplir toute justice et opère en nous le vouloir et l'action selon son bon plaisir (1), ce n'est point parce qu'il fait retentir à nos sens extérieurs les préceptes de la justice, mais parce qu'il donne l'accroissement intérieur (2) en répandant la charité dans nos coeurs par le Saint Esprit qui nous a été donné (3).



CHAPITRE 26. DANS QUEL SENS EST-IL DIT QUE LES NATIONS ACCOMPLISSENT NATURELLEMENT LA LOI ÉCRITE DANS LEURS COEURS.


43. L'Apôtre écrivait aux Romains: «Car lorsque les Gentils qui n'ont point la loi font naturellement les choses que la loi commande, n'ayant point la loi, ils se tiennent à eux-mêmes lieu de loi, et ils font voir que ce qui est prescrit par la loi est écrit dans leurs coeurs». Ces paroles ont besoin d'être bien. comprises pour maintenir le caractère particulier du Nouveau Testament. En effet, nous avons vu que le Seigneur promettait d'y graver ses lois dans le coeur de son peuple, et voici que l'Apôtre déclare que les Gentils portent ces lois écrites naturellement dans leurs coeurs, de telle sorte que, n'ayant point la loi, ils font naturellement ce que la loi commande. En quoi donc dès lors les fidèles se distinguent-ils des Gentils? Ces derniers ne l'emportent-ils pas sur l'ancien peuple quia reçu la loi sur des tables de pierre, et même sur le peuple nouveau, du moins quant à la priorité, puisque nous n'avons reçu que par le Nouveau Testament ce que ces païens tenaient de la nature?


44. Mais la pensée de l'Apôtre est-elle d'affirmer que les nations ont réellement écrite dans leurs coeurs la loi propre au Nouveau Testament? Cherchons à bien saisir la portée de son langage. Voici d'abord ce qu'il nous dit de l'Evangile: «Il est la vertu de Dieu pour sauver tous ceux qui croient, premièrement les Juifs, et ensuite les Gentils. Car la justice de Dieu y est révélée, la justice qui vient de la foi et se perfectionne dans la foi, selon qu'il est écrit: Le juste vit de la foi». L'Apôtre parle ensuite de ces impies dont l'orgueil a rendu inutile pour eux la


1. Ph 2,13 - 2. 1Co 3,7 - 3. Rm 5,5

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connaissance même de Dieu, parce.qu'ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâce. De là il passe à ceux qui jugent et font ce qu'ils condamnent, c'est-à-dire aux Juifs qui se glorifiaient de la loi de Dieu. Cependant, pour ménager ces Juifs, il s'abstient de les nommer et s'écrie: «Colère et indignation, tribulation et angoisse sur tout homme qui fait le mal, sur le Juif d'abord et sur le Grec. Mais gloire, honneur et paix à tout homme qui fait le bien, au Juif d'abord, et ensuite au Grec. Car Dieu ne fait point acception des personnes. Ainsi tous ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi, et tous ceux qui ont péché étant sous la loi seront jugés par la loi. Car ce ne sont point ceux qui écoutent la loi, qui seront justes devant Dieu; mais ceux qui gardent la loi seront seuls justifiés». C'est alors que saint Paul formule ces paroles dont nous cherchons à pénétrer le sens: «Car lorsque les Gentils qui n'ont point la loi font naturellement les choses que la loi commande», et la suite que j'ai citée plus haut.

D'un autre côté, sous le nom de Gentils l'Apôtre entend parler soit des païens en général; soit des Grecs qu'il nomme en plusieurs endroits; par exemple, quand il dit: «au Juif d'abord, et ensuite au Grec». Or, si «l'Evangile est la vertu de Dieu pour le salut de tous ceux qui croient, du Juif d'abord et ensuite du Grec»; si «la colère et l'indignation, la tribulation et l'angoisse», sont le partage de tout homme qui fait le mal, du «Juif d'abord et ensuite du Grec»; si «la gloire, l'honneur et la paix sont la récompense de tout homme qui fait le bien, du Juif d'abord et aussi du Grec (1)»; si, enfin, ce Grec signifie tous les Gentils qui accomplissent naturellement ce que la loi commande et qui ont la loi écrite dans leurs coeurs, il est certain que ces Gentils, qui ont la loi écrite dans leurs coeurs, appartiennent à l'Evangile; car cet Evangile est pour eux la vertu de Dieu pour le salut de ceux qui croient. Or, peut-on supposer que ce soit à des Gentils placés en dehors de la grâce de l'Evangile que l'Apôtre promette la gloire, l'honneur et la paix, s'ils font le bien? Puisque Dieu ne fait point acception des personnes, puisque la justification est accordée non


1. Rm 1,16 Rm 2,14

pas à ceux qui se contentent d'écouter la loi, mais' à ceux qui l'accomplissent, on doit admettre que le salut par l'Evangile sera accordé à tout homme qui a la foi véritable, peu importe qu'il soit Juif, Grec ou Gentil. En effet, comme l'Apôtre le dit plus loin, «il n'y a aucune acception des personnes. Car tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu, étant justifiés gratuitement par sa grâce (1)». Quoi donc? le Grec qui accomplit la loi pourrait-il être justifié sans la grâce du Sauveur?


45. Par ces paroles: «Ceux qui accomplissent la loi seront justifiés», l'Apôtre ne se met nullement en contradiction avec lui-même. Cette contradiction existerait s'il affirmait qu'ils seront justifiés par leurs oeuvres et non point par la grâce; car ailleurs il proclame ouvertement que l'homme est justifié gratuitement par la foi sans les oeuvres de la loi (2); «gratuitement», c'est-à-dire que les oeuvres ne précèdent pas la justification. En effet nous lisons ailleurs: «Si c'est par la grâce, ce n'est donc point par les oeuvres, autrement la grâce n'est plus la grâce (3)». Ces paroles: «Ceux qui accomplissent la loi seront justifiés» doivent donc être entendues dans ce sens, à savoir: qu'il n'y a pour accomplir la loi que ceux qui sont justifiés, de telle sorte que ce n'est pas la justification qui vient s'ajouter aux oeuvres, mais c'est la justification qui précède les oeuvres. Etre justifié, n'est-ce pas être rendu juste par celui qui justifie l'impie (4), c'est-à-dire le fait passer du péché à la justice? Supposons que l'on dise: Les hommes seront délivrés, cela signifierait qu'à notre qualité d'hommes viendrait s'ajouter la délivrance. Mais, si l'on dit: Les hommes seront créés, cela ne peut plus signifier que ceux qui existaient déjà seront créés, on affirme uniquement que c'est par la création qu'ils sont devenus des hommes.

De même, si l'on disait: Ceux qui accomplissent la loi seront honorés, nous entendrions par là que l'honneur viendra s'ajouter dans leur personne à l'accomplissement de la loi. Mais quand on dit: «Ceux qui accomplissent la loi seront justifiés», ces paroles ne signifient-elles pas que les justes seront justifiés? car il n'y a que les justes pour accomplir la loi. C'est donc comme si fon disait: Les observateurs de la loi seront créés, c'est


1. Rm 2,23-24 - 2. Rm 3,28 - 3. Rm 11,6 - 4. Rm 4,5

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à-dire qu'étant déjà des hommes ils seront rendus observateurs de la loi. De là les Juifs qui avaient reçu la loi devaient comprendre qu'ils avaient besoin de la grâce du souverain Justificateur, avant de pouvoir observer la loi. Ou bien encore ce mot: «Ils seront justifiés», pourrait signifier: Ils seront regardés comme justes, ils passeront pour justes; c'est ainsi qu'il est dit de tel personnage de l'Evangile: «Pour lui, voulant se justifier (1)», c'est-à-dire voulant se faire passer et regarder comme juste. Mais il n'en est plus ainsi quand:nous disons: Dieu sanctifie ses saints; ou bien: «Que votre nom soit sanctifié (2)». Dans la première proposition nous affirmons que Dieu rend saints ceux qui ne l'étaient pas; tandis que, tout en reconnaissant que le nom de Dieu est essentiellement saint, nous demandons qu'il soit regardé comme tel par les hommes et entouré par eux d'une crainte salutaire.


46. Si donc, en disant des Gentils qu'ils font naturellement ce que prescrit la loi et qu'ils ont la loi écrite dans leurs coeurs, l'Apôtre entend parler de ceux qui croient en Jésus-Christ et qui viennent à la foi avant d'avoir reçu, comme les Juifs, la manifestation de la loi, nous n'avons plus à nous préoccuper de savoir quelle distinction nous pouvons établir entre les Gentils et ceux auxquels le Seigneur, par son Prophète, a promis le Nouveau Testament et dont il a dit qu'ils avaient la loi écrite dans leurs coeurs. En effet ces Gentils, se trouvant entés sur l'olivier, ne font plus qu'un avec cet olivier, c'est-à-dire avec le peuple de Dieu (3). Par conséquent il règne un parfait accord entre l'oracle prophétique et le témoignage de l'Apôtre; de telle sorte que l'on appartient au Nouveau Testament par cela même qu'on a la loi écrite, non pas sur des tables de pierre, mais dans son coeur; c'est-à-dire qu'on embrasse la justice de la loi dans toute la sincérité de son âme dès que la foi opère par la charité (4). «Car le seigneur justifie les nations par la foi»; c'est là aussi «ce que prévoyait l'Ecriture quand elle adressait à Abraham cette promesse prophétique: «Toutes les nations seront bénies dans votre race». En vertu de cette promesse l'olivier sauvage devait être enté sur l'olivier franc et les Gentils fidèles devaient devenir les enfants d'Abraham «par la race d'Abraham, qui est


1. Lc 10,19 - 2. Mt 6,9 - 3. Rm 11,24 - 4. Ga 5,6

Jésus-Christ (1)». En effet, ne partageaient-ils pas la foi de celui qui, sans avoir reçu la loi sur des tables de pierre, et avant même de posséder la circoncision, «a cru à Dieu, et sa foi même lui a été imputée à justice (2)?»

C'est dans le même sens que l'Apôtre a dit des Gentils «qu'ils ont l'oeuvre de la loi écrite dans leurs coeurs (3)», «non pas sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, c'est-à-dire dans leurs coeurs (4)». Ainsi en est-il de la maison d'Israël, lorsque le prépuce leur est imputé à circoncision, parce qu'ils montrent la justice de la loi, non point par la mutilation de leur chair, mais par la charité de leur coeur. Car «si un homme incirconcis garde les ordonnances de la loi, n'est-il pas vrai que, tout incirconcis qu'il soit, il sera considéré comme circoncis (5)?» Par conséquent, tous les vrais enfants d'Israël, de cette maison dans laquelle la ruse n'habite pas, deviennent participants du Nouveau Testament, parce que Dieu grave ses lois dans leur esprit et les imprime de son doigt dans leurs coeurs, par le Saint-Esprit; et le Saint-Esprit, de son côté, répand dans ces coeurs la charité, qui est la plénitude de la loi (6).




Augustin, de l'esprit et de la lettre - CHAPITRE XIX. LA FOI CHRÉTIENNE NOUS VIENT PAR LE SECOURS DE LA ORACE.