Bulle Jubilé




23 mai



BULLE D’INDICTION « APOSTOLORUM LIMINA » DE L’ANNÉE SAINTE





PAUL

SERVITEUR DES SERVITEURS DE DIEU

A TOUS LES FIDÈLES DU MONDE CATHOLIQUE

SALUT ET BENEDICTION APOSTOLIQUE



Les Limina Apostolorum, ou Mémoires apostoliques, sont les lieux sacrés de Rome où sont pieusement conservés et vénérés les tombeaux des Apôtres Pierre et Paul, les Pères Saints grâce auxquels la Ville devint non seulement disciple de la vérité, mais aussi maîtresse de vérité et centre de l’unité catholique1. C’est pourquoi, en ces jours où approche l’Année jubilaire qui doit y être célébrée, ils rayonnent d’une lumière plus éclatante, comme les buts proposés à la pensée des fidèles.

Au cours des siècles, ces mémoires ont toujours appelé le peuple chrétien au renouveau fervent de la foi et au témoignage de la communion ecclésiale, puisque l’Eglise reconnaît ce qu’elle est elle-même, et trouve la source de son unité, dans le fondement établi par le Christ Jésus : les Apôtres2. Dès le second siècle déjà, les fidèles se rendaient à Rome pour voir et vénérer les trophées des apôtres Pierre et Paul aux lieux mêmes où ils sont conservés3, et venaient aussi en pèlerinage à l’Eglise romaine pour en contempler la basileia, c’est-à-dire la royale majesté4. Au quatrième siècle, le pèlerinage de Rome devint, en Occident, la manifestation principale de ce pieux voyage, d’une signification religieuse parallèle et convergente à celle du pèlerinage qui, en Orient, conduisait à Jérusalem où se trouve le tombeau du Seigneur5. A l’époque du haut Moyen-Age, ces pérégrinations religieuses font affluer à Rome tous ceux qui, unis à la Chaire de Pierre6, viennent des diverses parties de l’Europe, mais aussi de l’Orient, comme c’est en particulier le cas des moines, pour témoigner sur la tombe des Apôtres de l’orthodoxie de leur foi 7.

Le désir de faire ce pèlerinage ne fit que grandir aux douzième et treizième siècles, accru qu’il était par le mouvement de religiosité et de piété populaire qui se développait dans l’Europe entière. Par là fut enrichie la vieille idée que l’Eglise avait reçue de la tradition, et qui est partagée aussi par d’autres religions, celle du pèlerinage pour Dieu8. Ainsi prit naissance le Jubilé, fruit d’un approfondissement doctrinal, biblique et théologique9. Sa première célébration officielle eut lieu en 1220 ; il fut promulgué par notre prédécesseur Honorius III à l’occasion du pèlerinage accompli au tombeau de Saint Thomas Becket10. Gomme on le sait, il eut ensuite pour but à Rome, les basiliques des saints Apôtres Pierre et Paul après que, en l’an 1300, le Pape Boniface VIII eut confirmé ce grand mouvement populaire de pénitence par lequel les âmes aspiraient au pardon de Dieu et à l’obtention de la paix pour les hommes11. Ce mouvement tendait donc à la fin la plus élevée : pour l’honneur de Dieu et l’exaltation de la foi12.

Le Jubilé célébré à Rome en 1300 fut le premier et le modèle de ceux qui se déroulèrent par la suite (tous les vingt-cinq ans depuis le quinzième siècle, sauf en cas d’empêchement dû à des difficultés extérieures). Ce fait témoigne de la continuité et de la vitalité de cette vénérable institution qui se révèle ainsi heureusement adaptée à toutes les époques.

Les Jubilés célébrés à l’époque contemporaine manifestent qu’ils ont conservé toute leur force, aussi bien pour exprimer de manière particulière l’unité et le renouvellement de l’Eglise, que pour constituer un appel adressé à tous les hommes à se reconnaître frères et à entrer dans les chemins de la paix. A l’aurore de ce siècle, ce désir inspirait le Jubilé proclamé en 1900 par le Pape Léon XIII ; ce désir était celui de la famille humaine qui, vingt-cinq ans après, était troublée par la montée de nouveaux périls ; les mêmes buts furent encore proposés pour l’Année Sainte extraordinaire promulguée pour le neuvième centenaire de la Rédemption ; ce sont enfin les plus hautes aspirations à la justice et à une pacifique vie en commun que notre prédécesseur Pie XII assigna comme but au dernier Jubilé de 1950.

1 Cf. st. léon le grand, Sermon LXXXII, 1 : PL 54, 522.
2 Cf. Ap 21,14.
3 Cf. le témoignage de Gaius, homme d’Eglise de l’époque du Pape Zéphyrin, rapporté dans eusebe, Histoire ecclésiastique, II, 25, 7.
4 Cf. Inscription d’Abercius, Évêque de Hiérapolis en Phrygie (ne siècle): M. guarducci, L’iscrizione di Abercio, dans Ancient Society 2, 1971, pp. 176-177.
5 Cf. st maxime de turin, Homélie 72 : PL 57, 405 B.
6 L’expression se trouve dans une lettre adressée en 613 par saint Colomban au Pape Boniface IV: Sancti Columbani opera, éd. G.S.M. Walker, Dublin 1957, p. 48.
7 Au sujet de cette coutume, cf. F. M. mionanti, Istoria della sacrosanta basilica Vaticana..., Roma-Torino, 1867, p. 180.
8 Cf., pour l’ensemble, B. kotting, Peregrinatio religiosa.Wallfahrten in der Antike und das Pilgerwesen in der alten Kirche, Regensburg 1950.
9 R. foreville, L’idée de Jubilé chez les théologiens et les canonistes (XII°-XIII° siècles) avant l’institution du Jubilé romain (1300), dans Revue d’Histoire Ecclésiastique, LVI, 1961, pp. 401-423.
10 P. pressuti, Regesta Honorii III, Roma 888-95, 1840, le texte est cité dans R. foreville, Le Jubilé de Saint Thomas Becket du XIII° au XV° siècle (1220-1470). Etudes et documents, Paris 1958, pp. 163-164.
11 Bulle Antiquorum habet fida relatio, du 22 février 1300: Extravagantes comm. V, IX, 1.
12 Cf. Glossa du Cardinal Jean Monaco au sujet de cette Bulle.


I.

1

Tous les thèmes fondamentaux des Jubilés du passé Nous semblent présents et résumés de manière synthétique dans ceux que Nous avons fixés pour la prochaine Année Sainte, lorsque Nous en avons annoncé pour la première fois la célébration le 9 mai 1973 : renouvellement et réconciliation13. Nous avons déjà présenté ces thèmes à la réflexion assidue des pasteurs et des fidèles pendant la célébration du Jubilé dans les Eglises locales ; Nous les avons accompagnés de nos exhortations et de notre catéchèse. Mais les aspirations signifiées par ces deux thèmes et les idéaux élevés qu’ils expriment trouveront une expression plus complète à Rome, où les pèlerins aux tombeaux des Apôtres Pierre et Paul ainsi qu’aux mémoires des autres martyrs entreront plus facilement en contact avec les sources anciennes de la foi et de la vie de l’Eglise, dans la résolution de faire retour à Dieu par la pénitence, de se fortifier dans la charité et d’être unis plus étroitement à leurs frères, par la grâce de notre Dieu.

Ce renouveau et cette réconciliation doivent porter en premier lieu sur la vie intérieure, car c’est au fond du coeur que se trouve la racine de tout bien comme aussi, hélas, de tout mal. C’est donc là que doit s’opérer la conversion, ou metanoia, c’est-à-dire le changement personnel d’orientation, de mentalité, d’options, de genre de vie.

Mais c’est aussi par rapport à l’Eglise universelle que, dix ans après la fin du Concile oecuménique Vatican II, l’Année Sainte Nous semble devoir en quelque sorte marquer l’achèvement d’un temps consacré à la réflexion et à la réforme, et inaugurer une nouvelle phase de construction, grâce à un travail théologique, spirituel et pastoral. Cette action doit s’appuyer sur les fondements laborieusement établis et consolidés au cours des années passées, conformément aux principes de la vie nouvelle dans le Christ et de la communion de tous en lui, qui nous a réconciliés avec le Père dans son sang14.

En ce qui concerne l’ensemble du monde, cet appel au renouvellement et à la réconciliation va à la rencontre de ce que les hommes désirent sincèrement partout où ils prennent conscience de leurs plus graves problèmes et sont affrontés à des conflits issus de divisions et de guerres fratricides : la liberté, la justice, l’unité et la paix.

C’est pourquoi l’Eglise, en annonçant l’Année Sainte, présente à tous les hommes de bonne volonté ce sens de la vie, sa dimension en quelque sorte verticale, à laquelle se réfèrent leurs désirs et leurs recherches d’un bien Absolu et vraiment Universel, en dehors duquel il est vain d’espérer voir les hommes trouver une possibilité d’union mutuelle ou la garantie d’une vraie liberté. Même si la sécularisation caractérise de nos jours nombre de secteurs du monde moderne, l’Eglise veut cependant, sans empiéter sur les domaines qui ne sont pas de sa compétence, conduire les hommes vers l’exigence de la conversion envers Dieu, l’unique nécessaire15, ainsi qu’à la nécessité d’imprégner toutes leurs activités de sa crainte et de son amour, afin de percevoir que la foi en Dieu est en effet le plus puissant appui de la conscience et le fondement solide des relations fondées sur la justice et la fraternité auxquelles le monde aspire.

Lorsque les pasteurs et les fidèles, représentant toutes les Eglises locales, se rendront en pèlerinage à Rome, ce devra être le signe d’une nouvelle orientation des esprits par laquelle les chrétiens se consacreront à la conversion et à la réconciliation fraternelle.

Voyant les bonnes dispositions intérieures manifestées par les pèlerins ainsi que l’effort de renouvellement spirituel du peuple chrétien qu’ils représentent, Nous, en tant que dispensateur de la parole et de la grâce de la réconciliation, Nous accordons, autant qu’il est en notre pouvoir, le don de l’indulgence du Jubilé à tous ceux qui accompliront le pèlerinage à Rome, et à tous ceux qui, empêchés de faire le voyage, s’y associeront spirituellement.

13 Cf. paul VI, Allocutio qua christifidelibus in Basilica Vaticana coram admissis nuntiat Se universale Jubilaeum in annum MCMLXXV indicturum, 9 mai 1973 : AAS 65, 1973, pp. 322-325; Documentation catholique, t. 70, Paris 1973, pp. 501-503.
14 Cf.
2Co 5,18-20 Rm 5,10.
15 Cf. Lc 10,42 Mt 6,33.


II.

2

Il ressort de la plus ancienne coutume de l’Eglise que le don de l’indulgence attachée à divers actes et pratiques de pénitence chrétienne était plus particulièrement accordé à l’occasion du pèlerinage aux lieux sanctifiés et consacrés par la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ, notre Rédempteur, ainsi que par le témoignage rendu à la foi par les Apôtres. Nous voulons, Nous aussi, suivre cette vénérable tradition, conformément aux principes et aux règles que Nous avons indiqués dans la Constitution apostolique Indulgentiarum doctrina16 et que Nous rappelons brièvement.

Parce que le Christ est notre « Justice » et qu’il a été très justement appelé notre « Indulgence », Nous, agissant en humble ministre du Christ Rédempteur, conformément à la tradition reçue de l’Eglise, Nous faisons volontiers participer au don de l’Indulgence les fidèles qui, l’esprit entièrement converti à Dieu, manifestent sincèrement et généreusement par leurs actes de pénitence, de piété et de solidarité fraternelle, qu’ils veulent demeurer unis dans la charité avec Dieu et leurs frères, et encore plus, grandir en elle17. Cette participation découle de la plénitude du salut qui est avant tout le Christ Rédempteur lui-même, dans lequel sont avec toute leur puissance les satisfactions et les mérites de sa rédemption18. Par cette plénitude du Christ, à laquelle nous avons tous eu part19, est clairement mis en lumière ce dogme très ancien de la Communion des Saints, selon lequel la vie de chacun des enfants de Dieu se trouve liée d’une façon admirable, dans le Christ et par le Christ, avec la vie de tous ses autres frères chrétiens, dans l’unité surnaturelle du Corps mystique du Christ, comme dans une unique personne mystique20.

En effet, par un mystérieux dessein de la bonté de Dieu les hommes sont unis entre eux par un lien surnaturel en vertu duquel le péché de l’un nuit également aux autres, de même que la sainteté de l’un profite également aux autres21. C’est pourquoi, dans l’indulgence, l’Eglise, en vertu de ses pouvoirs de ministre de la rédemption du Christ Seigneur, communique aux fidèles la participation à cette plénitude du Christ dans la Communion des Saints22, leur permettant d’accéder largement aux moyens de salut.

Par là l’Eglise, comme d’une main maternelle, soutient la faiblesse et l’incapacité de ses fils et leur vient en aide ; ils trouvent un ferme appui dans le Corps mystique du Christ qui travaille tout entier avec eux à l’oeuvre de leur conversion par la charité, l’exemple et la prière. De cette manière, le fidèle pénitent trouve dans cette forme éminente de charité ecclésiale une aide puissante pour dépouiller le vieil homme et revêtir l’homme nouveau, car c’est en ceci que consiste au sens fort la conversion et le renouvellement23. En effet, le but de l’Eglise en accordant les indulgences n’est pas seulement d’absoudre les fidèles des peines méritées, mais aussi de les stimuler dans l’accomplissement des oeuvres de piété, de pénitence et de charité, celles en particulier qui favorisent l’accroissement de la foi et le bien commun24.

16 Const. Apost. Indulgentiarum Doctrina: AAS 59, 1967, pp. 5-24; Documentation catholique, t. 64, Paris 1967, c. 197-218.
17 Cf. Notre lettre Imziandosi ufficialmente du 31 mai 1973 au Cardinal Maximilien de Furstenberg au sujet du Jubilé universel de 1975: AAS 65, 1973, pp. 357-360; Documentation catholique, t. 70, Paris 1973, pp. 607-608.
18 Const. Apost. Indulgentiarum Doctrina, 5 : AAS 59, 1967, p. 11; Documentation catholique, t. 64, Paris 1967, c. 205.
19 Cf.
Jn 1,16.
20 Const. Apost. Indulgentiarum Doctrina, 5 : AAS 59, 1967, pp. 10-11; Documentation catholique t. 64, Paris 1967, c. 204 ; Cf. st thomas, Somme Théologique, III 48,2, ad 1, et q. III 49,1.
21 Const. Apost. Indulgentiarum Doctrina, 4 : AAS 59, 1967, p. 9; Documentation catholique, t. 64, Paris 1967, c. 202.
22 Const. Apost. Indulgentiarum Doctrina, 8 : AAS 59, 1967, p. 16; Documentation catholique, t. 64, Paris 1967, c. 210.
23 Cf. Notre lettre Sacrosancta Portiunculae ecclesia, du 14 juillet 1966, au R. P. Constantin Koser, Vicaire général de l’Ordre des Frères Mineurs, pour le sept-cent cinquantième anniversaire de « l’Indulgence de la Portioncule » concédée à Saint François par le Pape Honorius III : AAS 58, 1966, pp. 631-634.
24 Const. Apost. Indulgentiarum Doctrina, 8 : AAS 59, 1967, p. 17; Documentation catholique, t. 64, Paris 1967, c. 210.


III.

3

C’est pourquoi, Nous faisant en quelque sorte l’interprète des sentiments intimes de l’Eglise, Nous accordons à tous les fidèles convenablement disposés, qui, après s’être confessés et avoir communié, prieront aux intentions du Souverain Pontife et du Collège épiscopal, le don de l’Indulgence plénière à l’une des conditions suivantes :

1. s’ils accomplissent un pieux pèlerinage à l’une des Basiliques patriarcales (Saint-Pierre au Vatican, Saint-Paul hors les murs, Saint-Jean de Latran et Sainte-Marie-Majeure), ou à une autre église ou à un autre lieu de la ville de Rome désigné par l’Autorité compétente, en y participant avec dévotion à une célébration liturgique, particulièrement au Sacrifice de la Messe, ou à quelque autre exercice de piété (par exemple le chemin de croix, le rosaire marial) ;

2. s’ils visitent, en groupe ou individuellement, une des quatre Basiliques patriarcales et elles seules, et s’ils y passent un temps convenable en pieuses méditations, en les concluant par le Pater noster, par la confession de foi, récitée selon une formule légitime, et par l’invocation de la Bienheureuse Vierge Marie ;

3. si, étant empêchés par la maladie ou par une autre cause grave de quitter leur domicile pour participer à un pieux pèlerinage à Rome, ils s’y unissent spirituellement, offrant à Dieu leurs prières et leurs souffrances ;

4. si, se trouvant à Rome et étant empêchés par la maladie ou par une autre cause grave de participer — comme il est dit plus haut aux nn. 1 et 2 — à l’action liturgique ou à un pieux exercice ou à la visite qu’accomplit leur communauté (ecclésiale, familiale ou sociale), ils s’y unissent spirituellement, offrant à Dieu leurs prières et leurs souffrances.


Au cours de l’Année jubilaire demeurent, en outre, en vigueur les autres concessions d’indulgences, étant sauve cependant la règle selon laquelle on ne peut obtenir l’indulgence plénière qu’une fois par jour25. Toutes les indulgences, par contre, peuvent toujours être appliquées aux défunts par mode de suffrage26.

Dans le même but d’offrir le plus largement possible aux fidèles les moyens de salut et pour faciliter l’oeuvre des Pasteurs et spécialement des confesseurs, Nous déclarons et décidons que les confesseurs, qui participeront au pèlerinage jubilaire, pourront utiliser les facultés qu’ils ont reçues de l’autorité légitime dans leur propre diocèse 27 pour écouter, durant le voyage et à Rome, les confessions des fidèles qui font le pèlerinage avec eux et aussi des autres personnes qui s’adressent à eux, demeurant sauf le droit des pénitenciers des Basiliques patriarcales concernant les confessionnaux qui leurs sont réservés dans ces basiliques. A ces derniers, des facultés spéciales seront aussi conférées par la Pénitencerie Apostolique28.

25 Cf. Ench. Irtdulg., norma n. 24, paragraphe 1.
26 Cf. Ench. Indulg., norma n. 4.
27 Cf. Notre « Motu Proprio » Pastorale Munus, I, 14 : AAS 56, 1964, p. 8; Documentation catholique, t. 61, Paris 1964, c. 11.
28 Cf. Prima Synodus Romana, a. D. mcmlx, art. 63.


IV.

4

Nous avons indiqué ci-dessus les deux fins essentielles de l’Année Sainte ; le renouveau spirituel dans le Christ et la réconciliation avec Dieu. Elles concernent non seulement la vie intérieure de chacun, mais également l’Eglise dans son ensemble, et même, de quelque façon, toute la communauté humaine. Aussi voulons-Nous exhorter fortement tous ceux auxquels Nous nous adressons à étudier ces propositions, à prendre des initiatives, à s’apporter une aide réciproque. Ainsi, au cours de l’Année Sainte, des progrès réels pourront être accomplis dans le renouveau ecclésial et dans la poursuite de buts qui, selon l’esprit prospectif du Concile Vatican II, Nous tiennent particulièrement à coeur: que la pénitence, la purification des esprits et la conversion à Dieu soient telles que l’action apostolique de l’Eglise en reçoive un accroissement.

Il faut que l’Année Sainte suscite des efforts généreux pour promouvoir l’évangélisation, qui doit très certainement être placée au premier rang de toute activité. En effet, envoyée par Dieu aux païens pour être le sacrement universel du salut29, l’Eglise, durant son pèlerinage sur terre, est missionnaire par sa nature même30. Dans son cheminement historique, elle se renouvelle d’autant plus qu’elle se rend plus disponible pour accueillir et approfondir dans la foi l’Evangile de Jésus-Christ, fils de Dieu, et pour en donner au monde l’annonce salvifique, par la parole et le témoignage.

Du reste, la prochaine session du Synode des Evêques n’a pas avec cette Année Sainte un rapport purement extérieur et fortuit. Au contraire, comme Nous l’avons rappelé, il faut s’efforcer de faire que ces deux événements d’Eglise soient coordonnés et étroitement liés entre eux31. Le Synode proposera donc à la réflexion des Pasteurs, réunis autour du Vicaire du Christ, des directives et des suggestions afin que, guidés par la lumière de la foi, ils s’attachent avec soin à l’évangélisation du monde contemporain, attentifs aux voeux de l’Eglise universelle et aux besoins les plus urgents de notre temps, considérés dans la charité du Christ.

Par conséquent, l’écoute religieuse de la Parole de Dieu, jointe à une formation catéchétique donnée aux fidèles de toute catégorie et de tout âge, devra conduire les chrétiens à une purification des moeurs et à une plus profonde connaissance de la foi, éclairer ceux qui doutent et inciter les négligents à traduire en acte dans leur vie, d’un coeur joyeux, le message évangélique. Elle devra en outre les entraîner tous à participer aux sacrements, de façon consciente et fructueuse, et enfin inviter les communautés comme les personnes à témoigner de leur foi dans leur vie, de manière sincère et vigoureuse, afin de rendre compte au monde de l’espérance qui est en nous32.

Alors que, depuis plus de dix ans, grâce au Concile Vatican II, une oeuvre importante et salutaire de rénovation a été entreprise dans le ministère pastoral, l’exercice de la pénitence et la liturgie, Nous estimons très opportun que cette oeuvre soit révisée et reçoive de nouveaux développements. De la sorte, en tenant compte de ce qui a été fermement approuvé par l’autorité de l’Eglise, on pourra discerner et retenir, parmi les multiples expériences faites partout, celles qui ont une véritable valeur et sont légitimes ; on en poursuivra l’application avec encore plus de zèle, selon les critères et les méthodes conseillés par la prudence pastorale et inspirés par une vraie piété.

La grande affluence de pèlerins, pasteurs et fidèles, des communautés chrétiennes de l’univers entier, unis dans un effort fraternel, pour venir chercher à Rome les véritables biens de la grâce et de l’amour du Christ, fournira certainement d’excellentes occasions d’informations, d’échanges, de confrontation et d’appréciation au sujet d’expériences et de propositions diverses. Cela sera possible surtout si on tient, à divers niveaux et dans des groupes d’experts, des congrès et des réunions dans lesquels on saura unir à la fois la prière et un ferme engagement pour l’action apostolique.

Nous désirons rappeler ici de façon particulière la nécessité de trouver un juste équilibre entre les diverses tendances du ministère pastoral actuel, comme ce fut le cas, de façon remarquable, pour la liturgie : équilibre entre la tradition et l’oeuvre de renouveau, entre le caractère essentiellement religieux de l’apostolat chrétien et son efficacité dans tous les domaines de la vie sociale ; entre la façon libre et spontanée d’exercer cet apostolat — façon que certains ont pris l’habitude d’appeler charismatique — et la fidélité envers les lois qui s’appuient sur la volonté expresse du Christ et des Pasteurs de l’Eglise ; ces lois en effet, portées par l’Eglise et sans cesse adaptées aux différentes époques, permettent aux expériences particulières d’être reçues dans la communauté chrétienne pour servir à l’édification du Corps du Christ qui est l’Eglise, et jamais pour s’y opposer33.

Nous voulons aussi attirer l’attention sur la nécessité, de plus en plus urgente, de promouvoir le genre d’apostolat adapté aux conditions de lieux ou de groupes humains particuliers. Bien loin de nuire aux institutions traditionnelles nécessaires, c’est-à-dire aux diocèses et aux paroisses, un tel apostolat pénètre au contraire; en y insérant le ferment évangélique, les formes de la vie sociale moderne — surtout le monde du travail, celui de la culture et celui de la jeunesse — souvent éloignées des formes de vie sociale héritées de nos aînés et qui paraissent étrangères aux communautés qui regroupent les fidèles dans une communion de prière, de foi et de charité.

Quant aux façons de faire la catéchèse et de concevoir la prédication de la parole de Dieu, telles qu’elles correspondent aux nécessités de notre temps, il faudra y accorder une considération spéciale, dans le but de recueillir des conseils efficaces en la matière, en tenant compte particulièrement de l’effort à faire pour que les moyens de communication sociale servent au progrès humain et chrétien, aussi bien des hommes pris en particulier que des communautés.

Il s’agit là de questions d’une très grande importance que nous devrons aborder. Pour les résoudre, il faut implorer la grâce de l’Année Sainte par des prières instantes et en toute humilité.

29 Ad Gentes,
AGD 1: AAS 58, 1966, p. 947.
30 Ad Gentes, AGD 2: AAS 58, 1966, p. 948.
31 Discours aux membres du Secrétariat général du Synode des Evêques : L’Osservatore Romano, 6 avril 1974, p. 4.
32 Cf. 1P 3,15.
33 Cf. Rm 15,2 1Co 14,3 Ep 4,12.


V.

5

Comme on le sait, une des plus vives préoccupations de l’Eglise, en notre temps, a été de diffuser partout un message de charité, d’esprit Social et de paix, et aussi de promouvoir, autant qu’elle le pouvait, des oeuvres de justice et de solidarité en faveur de tous les indigents, des marginaux, des exilés ; des opprimés : en faveur de tous, disons-Nous, qu’il s’agisse des personnes, des groupes sociaux ou des peuples. C’est pourquoi Nous souhaitons vivement que l’Année Sainte, grâce aux oeuvres de charité qu’elle inspire et demande aux fidèles, soit un temps favorable pour raffermir et éclairer la conscience morale chez tous les chrétiens et dans la vaste communauté de tous les hommes auxquels il sera aussi possible de faire parvenir le message de l’Eglise.

Les origines très anciennes du Jubilé, dans les lois et les institutions d’Israël, attestent clairement qu’il possède, de par sa nature même, cette dimension sociale. En effet, comme nous le lisons dans le Lévitique34, l’Année du Jubilé, précisément parce qu’elle était spécialement consacrée à Dieu, comportait une nouvelle réglementation de tout ce qu’on reconnaissait comme appartenant à Dieu: la terre, laissée en jachère et restituée à ses anciens possesseurs ; les biens économiques, au plan desquels avait lieu la rémission des dettes ; et par-dessus tout l’homme, dont la dignité et la liberté étaient réaffirmées, grâce à la libération des esclaves. L’Année de Dieu était donc aussi l’Année de l’Homme, l’Année de la Terre, l’Année des Pauvres ; et sur cette réalité de l’univers matériel et de la vie humaine brillait une lumière nouvelle qui provenait de la reconnaissance du souverain domaine de Dieu sur toutes choses.

Il Nous semble que dans le monde d’aujourd’hui également, les problèmes qui agitent et tourmentent le plus l’humanité — problèmes économiques et sociaux, écologiques et énergétiques, et surtout la libération des opprimés et l’élévation de tous les hommes à une plus grande dignité de vie — sont éclairés par le message de l’Année Sainte,

Mais nous voudrions inviter tous les fils de l’Eglise et spécialement tous les pèlerins qui viendront à Rome, à s’engager sur certains points concrets que, comme successeur de Pierre et Chef de l’Eglise, qui préside à l’assemblée de la charité35, Nous signalons publiquement et recommandons à l’attention de tous. Il s’agit de réaliser des oeuvres de charité et de foi au service des plus nécessiteux de nos propres frères, à Rome et dans les autres Eglises du monde. Ce ne seront certes pas des oeuvres grandioses, bien qu’elles ne soient pas à exclure ; en bien des cas, il suffira de choses modestes, de micro-réalisations, comme on dit aujourd’hui, qui répondront cependant à l’esprit de charité évangélique. Il peut se faire qu’en ce domaine l’Eglise doive se limiter toujours davantage et n’offrir aux hommes que « l’obole de la veuve »36, étant donné l’exiguïté de ses ressources : mais elle sait et enseigne que le bien qui compte davantage est celui qui, par des moyens modestes et souvent inconnus, parvient à secourir les petites nécessités, à guérir les petites blessures, qui souvent ne tiennent aucune place dans les grands projets de réforme sociale.

Cependant, l’Eglise éprouve le besoin d’encourager aussi les grandes entreprises pour la justice et le progrès des peuples, c’est pourquoi elle renouvelle son appel à tous ceux qui ont la possibilité et le devoir, en raison de leurs fonctions, d’instaurer dans le monde un ordre plus parfait des rapports humains et sociaux, afin qu’ils ne renoncent pas à ce travail à cause des difficultés du moment et ne se laissent pas déborder par des intérêts partisans.

Encore une fois, Notre appel veut être particulièrement vibrant en faveur des pays en voie de développement et des populations toujours affligées par la famine ou par la guerre. Qu’on s’efforce de répondre aux nombreux besoins, souvent urgents, de notre époque, comme par exemple : le travail à assurer à ceux qui doivent en tirer leurs moyens de vivre ; le logement, dont beaucoup manquent ; l’enseignement, qui doit être favorisé de multiples manières ; l’aide sociale et médicale, sans oublier de promouvoir et de garantir l’honnêteté des moeurs publiques.

Qu’il Nous soit permis, enfin, d’exprimer humblement et franchement le voeu qu’au cours de la présente Année Sainte — selon la tradition des Jubilés anciens — les autorités compétentes des divers pays envisagent la possibilité de concéder, selon les suggestions de leur sagesse, une remise de peine inspirée par la clémence et l’équité, spécialement en faveur des prisonniers qui ont donné la preuve suffisante d’une réhabilitation morale et civile, ou qui ont été mêlés de façon fâcheuse à des situations de désordre politique et social qui les dépassent et dont ils ne peuvent être tenus pour pleinement responsables.

Et maintenant, Nous exprimons notre gratitude et Nous adressons la Bénédiction du Seigneur à tous ceux qui s’emploieront à ce que ce message de charité, d’esprit social et de liberté, que l’Eglise lance ouvertement avec la vive espérance qu’il soit écouté et compris de tous, soit effectivement reçu et traduit dans les réalités d’ordre social et politique. En parlant ainsi et en formant de tels souhaits, Nous avons conscience de nous avancer sur le chemin d’une admirable tradition qui, commençant avec la loi d’Israël, a trouvé sa plus haute expression dans le Seigneur Jésus-Christ. Dès le début de son ministère, il se présenta lui-même comme le réalisateur des anciennes promesses et des figures en rapport avec l’Année du Jubilé : L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce que Yahvé m’a oint ; Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, guérir ceux qui ont coeur contrit, annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, rendre la liberté aux opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur37.

34
Lc 25,8 sq.
35 Cf. st ignace d’antioche, Epist. ad Romanos, Inscr.: funk 1, 252; S Sh 10, p. 125.
36 Cf. Lc 21,2 Mc 12,42.
37 Lc 4,18-19.


VI.

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S’il est un fruit de l’Année Sainte qui nous tient spécialement à coeur, c’est celui d’un accroissement du nombre de ceux qui consacrent toute leur vie au service de l’Eglise, c’est-à-dire spécialement des vocations sacerdotales et religieuses. Afin que les moyens de grâce et de salut que l’Année Sainte signale spécialement à l’attention de tous les fidèles et met à leur disposition soient bien expliqués et administrés, il y aura toujours besoin de ministres sacrés, tout comme il y aura aussi toujours besoin de témoins de l’Evangile du Christ qui montrent à leurs frères, c’est-à-dire aux hommes d’aujourd’hui et de demain, par leur total attachement au Seigneur, le chemin de la pénitence et de la sainteté.

Il faut donc être attentifs à écouter la voix de Dieu. Elle ne manque jamais d’appeler et d’inviter des hommes choisis à se donner et à se vouer au service de l’Eglise et du monde entier en exerçant le sacerdoce ministériel et en rendant fidèlement un témoignage de vie religieuse. Les uns sont appelés par Dieu à s’offrir à lui par l’obéissance et le célibat sacré pour enseigner, sanctifier et conduire comme prêtres du Christ, le peuple fidèle partout où ils seront ; de même d’autres, hommes et femmes, d’âges et de conditions divers, sont attirés vers la vie religieuse pour vivre totalement dans l’Esprit et servir vraiment l’Eglise et la société dans l’accomplissement des promesses du baptême par un mode de vie plus élevé. C’est pourquoi Nous souhaitons grandement que le nombre de ces fidèles du Christ privilégiés grandisse et soit de plus en plus florissant afin que, par leur sacerdoce et leur vie religieuse, le message joyeux du Christ parvienne aux extrémités de la terre et rende gloire au Père céleste.



Bulle Jubilé