Augustin, du Baptême - CHAPITRE XVIII.ON NE RÉITÈRE PAS LE BAPTÊME AUX PÊCHEURS.

CHAPITRE XVIII.ON NE RÉITÈRE PAS LE BAPTÊME AUX PÊCHEURS.

23. «Comme mon Père m'a envoyé, je vous envoie. Après avoir prononcé ces paroles, il souffla sur eux et leur dit: Recevez le Saint-Esprit, les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez (Jn 20,22-23)». Si donc les Apôtres formaient la personne même de l'Eglise, et si c'est à ce titre que ces paroles leur furent adressées, il est hors de doute que la paix de 1'Eglise efface les péchés, tandis que, pour celui qui est hors de l'Eglise, les péchés lui sont retenus, non pas selon la volonté des hommes, mais selon la volonté de Dieu, et les prières des saints qui jugent toutes choses, et ne sont jugés par personne (1Co 2,15). C'est la pierre qui lie, c'est la pierre qui délie; c'est la colombe qui lie, c'est la colombe qui délie; c'est l'unité qui lie, c'est l'unité qui délie. Or, cette paix de l'unité n'est le privilège que des bons, c'est-à-dire des hommes spirituels ou de ceux qui tendent à le devenir par une obéissance humble et chrétienne. Quant aux méchants, cette paix leur est inconnue, soit qu'ils soulèvent au dehors le tumulte et la guerre, soit que dans l'intérieur même de l'Eglise ils soient péniblement tolérés, et qu'ils baptisent ou soient baptisés. Fussent-ils tolérés au prix des gémissements et des larmes; fussent-ils réellement étrangers à cette unité de la colombe, ou à cette Eglise glorieuse, sans tache, sans ride et sans souillure (Ep 5,27) toutefois, s'ils se convertissent et s'ils avouent qu'ils se sont présentés au baptême avec les dispositions les plus criminelles, jamais on ne leur réitère le baptême, et dès ce moment même ils commencent à appartenir à la colombe, qui par ses gémissements leur a obtenu la rémission de leurs péchés, alors même qu'ils n'avaient aucune part aux douceurs de la paix. De même s'il s'agit de ceux qui sont ouvertement hors de l'Eglise, pourvu qu'ils aient reçu les mêmes sacrements, et qu'ils reviennent sincèrement à l'Eglise, jamais on ne leur réitère le baptême, et pourtant ils sont délivrés de leurs péchés par cette même loi de la charité, par ce même lien de l'unité. En effet, «si le pouvoir ordinaire de baptiser n'appartient qu'aux pasteurs de l'Eglise, à ceux dont le titre est fondé sur la loi évangélique et sur l'ordination divine», doit-on regarder comme ministres ordinaires ceux qui s'emparaient du bien d'autrui par des moyens frauduleux, et augmentaient leur fortune par des usures scandaleuses? A qui peut être conférée l'ordination divine, si ce n'est à ceux qui offraient les garanties exigées par saint Paul: «Qu' il ne soit ni avare ni possesseur d'un gain «honteux (Tt 1,7)?» Cependant nous apprenons de Cyprien lui-même qu'un certain nombre de ses collègues en étaient arrivés à cette profonde dégradation; il en gémissait amèrement, et par sa tolérance acquérait des droits (105) à la plus belle récompense. Toutefois la rémission des péchés ne pouvait être conférée par ces indignes ministres à ces indignes sujets; et pourtant, quels que soient les ministres, si les sujets appartiennent à la paix de l'Eglise, ils obtiennent la rémission de leurs péchés par l'efficacité des prières des saints, c'est-à-dire par les gémissements de la colombe. Ce n'est pas aux voleurs et aux usuriers que le Seigneur disait: «Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez». Il est vrai «que rien ne peut être ni lié ni délié hors de l'Eglise, puisqu'il n'y a personne qui puisse ni y lier, ni y délier»; cependant on doit regarder comme délié celui qui a fait sa paix avec la colombe, et comme lié celui qui n'est pas en paix avec la colombe, soit qu'il appartienne ouvertement au schisme, soit qu'il paraisse appartenir à l'Eglise.
24. «Dathan, Coré et Abiron faisant schisme dans te peuple de Dieu, tentèrent d'usurper le droit de sacrifier; de même les enfants d'Aaron déposèrent sur l'autel un feu étranger», mais nous savons «qu'ils subirent un rigoureux châtiment (Nb 10,1 Lv 10,1-2). Nous, ne disons pas que de tels crimes restent impunis, à moins que les coupables ne se corrigent, si la patience de Dieu les amenant à la pénitence (Rm 2,4), leur accorde le temps de se corriger et de se convertir.


CHAPITRE XIX.LES DONS DE DIEU PEUVENT SE RENCONTRER DANS LE SCHISME ET L'HÉRÉSIE.

25. Quant à ceux qui soutiennent «que le baptême ne doit pas être réitéré, parce que les Apôtres se contentaient d'imposer les mains à ceux que le diacre Philippe avait baptisés (Ac 8,5-17)», un tel raisonnement est absolument sans valeur pour la question qui nousoccupe, et gardons-nous toujours de recourir à de semblables moyens lorsque nous cherchons la vérité. Pour confondre plus sûrement les hérétiques, il nous suffit d'affirmer que les sacrements qu'ils confèrent sont, non pas leurs propres sacrements, tuais les sacrements de l'Eglise de Jésus-Christ; parce qu'il y a des déserteurs qui traînent dans le crime les insignes de la milice, ce n'est pas une raison pour nous de méconnaître les insignes de notre empereur. Sachant que «notre Dieu «est un Dieu jaloux (Dt 4,24)», dès que nous trouvons quelque part telle ou telle chose qui vient de Dieu, quel qu'en soit le propriétaire, nous lui en refusons la possession. Dans l'Ecriture nous voyons ce Dieu jaloux décrivant sous la figure d'une femme adultère les prévarications de son peuple; il nous la représente donnant à ses complices les richesses qu'elle tenait de son époux légitime, et recevant de leurs mains des présents qui appartenaient à l'époux et non pas à ses complices. C'est ainsi que les dons de Dieu s'échangeaient réciproquement entre cette femme adultère et ses complices, et cependant, Dieu jaloux ne laissait pas de reconnaître et de revendiquer la possession de ces biens. Nous aussi nous proclamons la validité du baptême conféré par les hérétiques sous la forme prescrite dans l'Evangile, mais tout ce qui vient de Dieu, nous le rapportons immédiatement à Dieu; nous savons bien que ces hérétiques peuvent souiller les dons de Dieu, mais, quoi qu'ils fassent, nous ne permettrons jamais qu'ils s'attribuent à eux-mêmes ce qui vient uniquement de Dieu.
26. Quelle est donc cette femme adultère signalée par le prophète Osée, et s'écriant: «Je courrai sur les traces de mes amants qui me donnent le pain et l'eau, le vêtement, le linge et tout ce qui peut me convenir (Os 2,1-13)?» C'est là sans doute l'image de ce peuple juif obstinément prévaricateur; mais d'un autre côté, ces faux Israélites n'ont-ils pas pour imitateurs fidèles les faux chrétiens que nous désignons sous ce titre d'hérétiques et deschismatiques? Parmi les Juifs il y avait de vrais Israélites, comme le prouvent ces paroles du Seigneur à Nathanaël: «Voilà vraiment un israélite en qui ne se trouve aucune ruse(Jn 1,47)». Quant aux vrais chrétiens, ne sont-ils pas désignés dans ces autres paroles . «Celui qui m'aime observe mes commandements (Jn 14,21)?» Observer ses commandements, n'est-ce pas persévérer dans la charité? De là ces autres maximes: «Je vous donne un commandement nouveau, c'est que vous vous aimiez les uns les autres»; et encore: «Le signe auquel ils reconnaîtront tous que vous êtes mes disciples, c'est que vous vous (106) aimiez les uns les autres (Jn 13,34-35).». Or, n'est-il pas évident que ces paroles s'adressaient non-seulement à ceux qui étaient là pour les recueillir, mais encore à ceux qui les lisent aujourd'hui dans l'Evangile? Car elles ont pour auteur celui qui n'est pas venu détruire la loi, mais l'accomplir (Mt 5,17). Or, la plénitude de la loi, c'est la charité (Rm 13,10). Quelle ne fut pas la charité de Cyprien, puisque, malgré la fausseté de son opinion sur le baptême, il resta dans l'unité, ne cessa point d'être un rameau fertile de la vigne du Seigneur, et un rameau que le Vigneron céleste émonda par le fer du martyre, afin de lui faire porter des fruits en plus grande abondance (Jn 15,1-5)! Quant à ceux qui se posent en ennemis déclarés de cette charité fraternelle, ce sont de faux chrétiens et des antéchrists, soit qu'ils vivent ouvertement dans le schisme, soit qu'ils paraissent encore appartenir à l'Eglise. En effet, dès qu'ils en trouvent l'occasion favorable, ils brisent tous les liens d'unité, selon cette parole: «Celui qui veut se séparer de ses amis, ne cherche que l'occasion favorable ()». Si l'occasion manque, il semble toujours appartenir à l'unité, mais en réalité nous pouvons dire qu'il est séparé du corps invisible de la charité. De là ces mots de l'apôtre saint Jean: «Ils sont sortis de nos rangs; mais ils n'étaient plus dans nos rangs, car, s'ils eus-«sent été des nôtres, ils seraient restés avec nous (1Jn 2,19)». Ce n'est donc pas en se retirant qu'ils sont devenus des étrangers; mais ils étaient des étrangers, puisqu'ils se sont retirés. L'apôtre saint Paul parle également de certains hommes qui n'étaient plus dans la vérité, travaillaient à détruire la foi dans les autres, et faisaient de leur langage comme une sorte de chancre aux nombreuses et actives ramifications; il ordonne formellement de s'abstenir de tout contact avec eux, et cependant il indique clairement qu'ils sont encore dans la maison du Père de famille, mais seulement comme des vases d'ignominie. Je suis persuadé qu'ils n'avaient pas encore accompli leur séparation. Car s'il en eût été autrement, comment donc l'Apôtre aurait-il pu nous dire qu'ils étaient dans la maison avec les vases d'honneur? A moins, peut-être, qu'à raison des sacrements qu'ils avaient reçus validement, puisque ces sacrements conservent toute leur intégrité jusque dans les conventicules des hérétiques, saint Paul n'ait tenu à rappeler que tous, catholiques ethérétiques, appartiennent de droit à la seule et grande maison du Père de famille, mais àdes titres divers, puisque les uns y sont des vases d'honneur, et les autres des vasesd'ignominie. Voici les paroles de cet Apôtre à Timothée: «Fuyez les entretiens profanes, car ils sont très-capables d'inspirer l'impiété. Les discours que tiennent certaines personnes sont comme une gangrène qui répand insensiblement la corruption. De ce nombre sont Hyménée et Philète, qui se sont écartés de la vérité en disant que la résurrection est déjà accomplie, et qui ont ainsi renversé la foi de quelques-uns. Mais le fondement de Dieu demeure ferme, ayant pour sceau cette parole: Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui; et cette autre: Que celui qui invoque le nom du Seigneur s'éloigne de l'iniquité. Dans une grande maison il n'y a pas seulement des vases d'or et d'argent, mais aussi des vases de bois et de terre, et les uns sont pour des usages honorables, et les autres pour des usages honteux. Si quelqu'un dès lors se garde pur de ces choses, il sera un vase d'honneur sanctifié, et propre au service du Seigneur, préparé pour toutes sortes de bonnes oeuvres (2Tm 2,16-21)». Or, qu'est-ce que se purifier de ces choses, si ce n'est obéir au précepte formulé plus haut: «Que celui qui invoque le nom du Seigneur s'éloigne de toute iniquité?» De même à celui qui serait tenté de croire que dans une grande maison les vases d'honneur périssent avec les vases d'ignominie, l'Apôtre rappelle fort à propos que «le Seigneur connaît ceux qui sont à lui», c'est-à-dire ceux qui en s'éloignant de l'iniquité se purifient de tout contact avec les vases d'ignominie, pour échapper au danger de périr avec ceux qu'ils sont réduits à tolérer dans une grande maison.
27. Ainsi donc, tous ceux qui obéissent aux instincts d'une vie criminelle, charnelle, animale, diabolique, croient tenir exclusivement de leurs séducteurs des bienfaits qui ne sont en réalité que des présents de Dieu même, soit qu'il s'agisse des sacrements, soit qu'il s'agisse de certaines opérations spirituelles qui concernent directement l'oeuvre présente de notre salut. Dans de telles conditions, ils (107) n'ont assurément pas la charité envers Dieu, car ils sont exclusivement occupés de ceux dont l'orgueil les séduit, et ne ressemblent que trop parfaitement à cette femme adultère à laquelle le prophète prête ces paroles: «Je courrai sur les traces de mes complices, qui me donnent le pain et l'eau, le vêtement, le linge, l'huile et tout ce qui peut me convenir». Les schismes et les hérésies se forment dès qu'un peuple charnel, privé de la charité de Dieu, ose s'écrier: «Je courrai sur les traces de mes complices»; et, en effet, ces relations criminelles qui s'établissent entre eux, soit par la corruption de la foi, soit par le gonflement de l'orgueil, ne sont-elles pas une véritable fornication?Mais il en est qui, après avoir éprouvé les difficultés de haute sorte, les angoisses et les obscurités des vains raisonnements, à l'aide desquels on les avait séduits, se sentent toutà coup saisis de crainte, reviennent au chemin de la paix et cherchent Dieu dans toute la sincérité de leur âme. C'est à la vue de ces hommes que le Prophète s'écrie: «Je lui fermerai la voie par des pieux, j'élèverai des épines sur son chemin, et elle ne retrouvera plus ses sentiers; elle poursuivra ses complices et ne pourra les atteindre, elle les cherchera et ne pourra les trouver, et elle dira: J'irai et je retournerai à mon premier époux, parce qu'avec lui j'étais plus heureuse que maintenant». Enfin, nous avons dit que ces séducteurs possèdent dans leur intégrité certains dons, certains principes qui leur viennent de la vérité et à l'aidedesquels ils peuvent plus facilement tromper les simples sur la fausseté de leurs dogmes etde leurs discussions. Or, pour les convaincre que ce qu'ils peuvent avoir de bon ne vientpas d'eux, le Prophète ajoute: «Elle ne savait pas que c'est moi qui lui donnais le froment, le vin et l'huile, et qui multipliais sa fortune; aussi a-t-elle offert des vases d'or et d'argent à Baal (Os 2,5-8)». Elle avait dit un peu plus haut «Je courrai sur les traces de mes complices, qui me donnent le pain, etc»; ce qui prouve qu'elle regardait comme venant des hommes ce qui vient uniquement de Dieu, c'est-à-dire les dogmes ou les sacrements que ces séducteurs ont su conserver dans leur intégrité et leur légitimité. D'un autre côté, leur prétention ne serait pas allée jusqu'à s'arroger la propriété de ces biens et de ces sacrements, s'ils n'avaient pas été séduits à leur tour- par les peuples qu'ils avaient séduits; la foi la plus aveugle, les honneurs les plus signalés dont ils se sont vus entourés, les ont en quelque sorte autorisés à s'attribuer une puissance sans borne, et à revendiquer la propriété des biens de l'Eglise. C'est ainsi que leur erreur a dû s'appeler la vérité et leur impiété passer pour la justice, à cause des sacrements et des Ecritures qu'ils conservent -pour la forme, mais d'une manière absolument inutile au salut.Voilà pourquoi, s'adressant à cette épouse adultère, le prophète Ezéchiel lui disait: «Vous avez pris ce qui servait à vous parer, ce qui était fait de mon or et de mon argent, et vous en avez formé des images d'hommes, auxquelles vous vous êtes prostituée. Vous avez pris vos vêtements brodés de diverses couleurs, et vous en avez couvert vos idoles, et vous avez mis mon huile et mes parfums devant elles. Vous leur avez présenté comme un sacrifice d'agréable odeur le pain que je vous avais donné et la plus pure farine, l'huile et le miel dont je vous avais nourrie. Voilà ce que vous avez fait (Ez 16,17-19)». Les sacrements et les paroles des saints livres, elle les a changés à l'image de ces fantômes dans lesquels son âme charnelle se roulait avec délices. Mais parce que ces images sont fausses, parce qu'el1e ne sont qu'une doctrine satanique et un tissu de mensonges hypocrites, ce n'est point là une raison qui autorise à déshonorer ces sacrements et ces divines Ecritures, jusqu'à les regardercomme étant leur propriété personnelle. Le Seigneur ne dit-il pas: «Vous avez pris mon or, mon argent, mes vêtements brodés de diverses couleurs, mon huile, mon encens, mon pain», et le reste? Parce que leurs disciples séduits leur attribuent ces biens qui n'ont été entre leurs mains que des instruments de séduction, devons-nous méconnaître le véritable auteur de ces biens? N'est-ce pas cet auteur de tout bien qui nous dit lui-même: «Elle n'a pas voulu reconnaître que c'est moi qui lui donne le froment, le vin, l'huile et l'accroissement de ses richesses?» Le Seigneur ne lui refuse pas la propriété de ces biens, quoiqu'elle soit adultère; elle les a possédés, mais ces biens ne lui venaient ni d'elle-même, ni de ses complices, mais uniquement de Dieu. Elle se roulait dans l'adultère, et cependant, ces biens dont elle parait sa fornication, soit pour se laisser séduire, soit pour séduire les autres, elle ne les tenait que de Dieu.Ces oracles prophétiques s'appliquaient à la nation juive, dans le sein de laquelle on voyait les Scribes et les Pharisiens rejeter les commandements divins, pour établir leurs propres traditions, et se livrer ainsi à une sorte de fornication avec ce peuple grossiers si souvent déserteur du culte de Dieu. Cependant, cette fornication que le Seigneur reprochait à son peuple en termes si pleins d'amertume, ne faisait pas que leurs sacrements cessassent d'appartenir à Dieu pour devenir la propriété immédiate de ce peuple infidèle. Voilà pourquoi le Sauveur, après avoir guéri les lépreux, les envoie à ces mêmes sacrements, avec ordre de présenter leur offrande aux prêtres; car alors n'était point encore établi ce sacrifice qui plus tard devait être offert pour tous et qui était figuré par tous les rites antérieurs, à plus forte raison, quand parmi les hérétiques ou les schismatiques nous trouvons les sacrements de la loi nouvelle, nous ne devons ni leur attribuer ces sacrements, ni les réprouver comme si nous ne les connaissions pas. Il est vrai que ces biens se trouvent entre les mains d'une femme adultère, mais ne laissons pas de les regarder comme des dons de l'Epoux légitime, de recourir au langage de la vérité pour corriger cette fornication. Condamnons cette fornication, qui est l'oeuvre propre de cette femme impudique, mais n'inculpons pas ces dons qui sont l'effet de la miséricorde de Dieu.
28. Frappés de ces considérations, nos pères, non-seulement avant Cyprien et Agrippinus, mais encore depuis, ne se sont jamais départis de cette coutume salutaire, d'approuver plutôt que de nier tout ce qu'ils trouvaient d'institutions vraiment divines et légitimes dans les hérésies ou les schismes. Quant aux institutions qui leur paraissaient l'oeuvre propre de leur erreur ou de leur dissension, ils les condamnaient rigoureusement et prenaient tous les moyens de les guérir. Quoi qu'il en soit, l'étendue de ce livre né nous permet pas de continuer l'examen de la lettre de Cyprien à Jubaianus; nous reprendrons cette discussion dans le livre suivant. (109)




LIVRE QUATRIÈME

Réfutation de Saint Cyprien.

Augustin y continue l'examen de la lettre de Cyprien à Jubaianus.


CHAPITRE PREMIER.L'ÉGLISE ET LE PARADIS TERRESTRE.

1. L'Eglise «comparée au paradis (Cyp. Lettre LXXII1,à Jubaianus)» nous enseigne que hors de son sein les hommes peuvent recevoir validement son baptême, mais qu'ils ne peuvent que par elle et avec elle marcher et persévérer dans la voie du salut éternel. L'Ecriture elle-même nous atteste que les fleuves qui prenaient leur source dans le paradis terrestre sortaient de ce lieu de délices et arrosaient au dehors de larges contrées. Chacun de ces fleuves est désigné par son nom, ainsi que les régions qu'il parcourait; personne n'ignore que ces fleuves se répandaient hors du paradis terrestre (Gn 2,8-14), et cependant ni la Mésopotamie ni l'Egypte, arrosées par ces fleuves, ne jouissent de la luxuriante végétation qui nous est décrite dans le jardin des délices. Ainsi donc les eaux du paradis se répandaient au dehors, mais son bonheur était exclusivement renfermé dans son enceinte. De même nous pouvons rencontrer hors de 1'Eglise le véritable baptême de I'Eglise, et cependant ce n'est que dans le sein de l'Eglise que nous trouvons le gage de la vie heureuse. Du reste, c'est cette Eglise qui a été fondée sur la pierre et qui a reçu le pouvoir de lier et de délier, ainsi que les clefs du royaume des cieux (Mt 16,18-19). «C'est bien cette Eglise qui seule possède et conserve toute la puissance de son Epoux et Seigneur»; par cette puissance conjugale elle peut enfanter jusque dans le sein des esclaves; si ces enfants ne se laissent pas séduire par l'orgueil, ils seront appelés à partager l'héritage du père de famille; mais s'ils cèdent à l'orgueil, ils resteront hors du foyer paternel.


CHAPITRE II.LES BIENS DE L'ÉGLISE POSSÉDÉS PAR LES MÉCHANTS.

2. Comme nous combattons pour l'honneur et pour l'unité de l'Eglise, gardons-nous d'attribuer aux hérétiques la possession des biens que nous trouvons parmi eux; au contraire, sachons leur faire comprendre que ces bienfaits qu'ils tiennent de l'unité n'auront d'efficacité pour leur salut qu'autant qu'ils reviendront à cette même unité. Car «l'eau de l'Eglise est fidèle, salutaire et sainte» pour ceux qui en font un bon usage. Or, personne ne peut en faire un bon usage en dehors de l'Eglise. D'un autre côté, ceux qui en font un mauvais usage soit à l'intérieur soit en dehors de l'Eglise, acquièrent des droits non pas à la récompense mais au châtiment. Il suit de là que «le baptême ne saurait être ni corrompu ni adultère», lors même qu'il serait possédé par des hommes impurs et adultères; «de même l'Eglise est elle-même incorruptible, chaste et pudique»; d'où il suit qu'elle repousse de son sein les avares, les voleurs, les usuriers, et pourtant Cyprien nous atteste dans ses lettres que ces coupables se rencontrent non-seulement hors de 1'Eglise, mais jusque dans son sein; leur coeur ne change donc pas, soit quand ils sont baptisés, soit quand ils baptisent.
3. C'est la pensée que ce saint évêque, dans l'une de ses lettres (Cyp., Lettre 11,aux Clercs), communique aux clercs, en les invitant à recourir à la prière, et en se chargeant lui-même des péchés de son peuple, comme avait fait avant lui le saint prophète Daniel. Parmi les maux qu'il énumère il signale celui-ci: «Ces hommes renoncent au siècle seulement par leurs paroles et non par leurs oeuvres»; l'Apôtre avait dit dans le même sens: «Ils confessent qu'ils connaissent Dieu, mais ils le nient par leurs oeuvres (Tt 1,16)». Cyprien reproche donc à ces hommes, en qui le baptême n'opère aucun changement du coeur et qui cependant appartiennent à l'unité de l'Eglise, de renoncer au siècle seulement en parole et nullement par leurs oeuvres, démentant ainsi ces paroles de saint Pierre: «Ce qui était la figure à laquelle répond maintenant le baptême qui ne consiste pas dans la purification des souillures de la chair, mais dans la promesse que l'on fait à Dieu de garder une conscience pure (1P 3,21)». Cette conscience pure n'était donc point le partage de ces hommes dont il est dit «qu'ils renoncent au siècle par leurs paroles et non par leurs oeuvres». Et cependant, Cyprien s'armant des plus sanglants reproches, les presse de marcher enfin dans la voie de Jésus-Christ et de chercher son amour plutôt que l'amour du siècle.


CHAPITRE 3.DIEU SEUL CONNAÎT CEUX QUI PERSÉVÉRERONT DANS L'UNITÉ DE L'ÉGLISE.

Or, je suppose que ces coupables lui eussent obéi et qu'ils eussent entrepris de vivre désormais non pas en faux chrétiens, mais en véritables disciples de Jésus-Christ, pensez-vous que Cyprien eût ordonné de leur réitérer le baptême? Non assurément, car la grâce d'une sincère conversion leur aurait mérité le glorieux avantage de voir le baptême opérer leur salut, tandis qu'avant leur conversion il n'était pour eux qu'un nouveau gage de l'éternelle réprobation.
4. On ne saurait regarder comme «dévoués à l'Eglise (Cyp., Lettre LXXII1,à Jubalanus)» ceux qui, paraissant être dans l'Eglise, vivent cependant en opposition avec Jésus-Christ, C'est-à-dire profanent ses commandements; par conséquent ils doivent être traités comme entièrement séparés de cette Eglise que le Sauveur purifie dans le baptême de l'eau par la parole de vie, pour la faire paraître devant lui pleine de gloire, n'ayant ni tache, ni ride ni rien de semblable (Ep 5,26-27). S'ils ne sont pas dans cette Eglise, s'ils n'en sont pas les membres, ils n'appartiennent pas davantage à cette même Eglise en tant qu'elle nous est prophétisée dans ces paroles: «Elle est «ma colombe unique, la bien-aimée de sa mère (Ct 6,8)», car elle est sans tache et sans ride. Et d'ailleurs, qui donc oserait regarder comme membres de cette colombe ceux qui renoncent au siècle dans leurs paroles et non point par leurs oeuvres? N'est-ce point la pensée que nous trouvons formulée dans ces paroles: «Celui qui distingue les jours, les distingue pour plaire au Seigneur (Rm 14,6)?». Et, en effet, tous les jours relèvent du Seigneur. Or, si nous envisageons les choses au point de vue de sa prescience infinie, en vertu de laquelle il connaît de toute éternité ceux qu'il a prédestinés à devenir conformes à l'image de son Fils, on peut affirmer en toute sécurité qu'il est des hommes actuellement hors de l'Eglise et appelés hérétiques, qui l'emportent de beaucoup à ses yeux sur un grand nombre de bons catholiques. Nous voyons bien ce que sont aujourd'hui ces hérétiques, mais nous ne savons pas ce qu'ils deviendront demain. Or, ce qu'ils doivent devenir, ils le sont déjà aujourd'hui aux yeux de ce Dieu, tour qui les choses futures sont réellement présentes. Nous, au contraire, qui ne connaissons les hommes que par ce qu'ils sont actuellement, nous nous demandons si nous devons regarder aujourd'hui comme membres de cette Eglise appelée la colombe unique et l'épouse de Jésus-Christ, sans tache et sans ride, tous ces hommes dont Cyprien disait «qu'ils ne persévéraient pas dans la voie du Seigneur, qu'ils n'observaient pas les préceptes qui «leur avaient été donnés pour leur salut, et «qu'ils n'accomplissaient pas la volonté du «Seigneur. Au contraire, ils s'appliquaient «tout entiers à grossir leur patrimoine et leur pécule, à assouvir leur orgueil, à fomenter leur jalousie et leurs dissensions, à prouver leur négligence pour la simplicité et la «foi, ne renonçant au siècle que du bout des lèvres et non point par leurs oeuvres, se complaisant en eux-mêmes et déplaisant à tous (Lettre 11,aux Clercs) ». Si donc la colombe ne les compte pas parmi ses membres, et surtout s'ils doivent persévérer dans leur iniquité, jusqu'à mériter ces dures paroles de la part du Sauveur: «Je ne vous connais pas; retirez-vous de moi, «vous qui commettez l'iniquité (Mt 7,23)», c'est en vain qu'ils nous paraissent appartenir à l'Eglise, ils ne lui appartiennent pas réellement. Bien plus encore, «ils travaillent contre l'Eglise. Comment donc peuvent-ils baptiser du baptême de 1'Eglise (Lettre LXXII1,à Jubalanus)», quand ce sacrement en pareil cas ne profite ni à ceux qui le confèrent, ni à ceux qui le reçoivent, à moins qu'il ne s'opère en eux une conversion véritable? Parce qu'en recevant le baptême, ils ne renonçaient au siècle que du bout des lèvres et non point par leurs oeuvres, ce sacrement restait pour eux absolument inutile; (111) mais il commence à porter ses fruits dès que leurs oeuvres réalisent le renoncement qui leur est commandé. De même, s'il s'agit de ceux dont la séparation est évidente, il est certain qu'aucun d'eux n'appartient aujourd'hui à la colombe unique, mais quelques-uns peuvent plus tard lui appartenir réellement.



CHAPITRE IV.LA VALIDITÉ DU BAPTÊME EST INDÉPENDANTE DES QUALITÉS DU MINISTRE.

5. Nous n'acceptons donc pas le baptême des hérétiques, quoique nous refusions de réitérer ce sacrement à ceux qui l'ont déjà reçu de leurs mains, Avant tout, ce baptême est l'oeuvre de Jésus-Christ, même dans les pécheurs, soit dans les schismatiques déclarés, soit dans ceux qui ne sont séparés que d'une manière occulte; que les uns et les autres corrigent ce qu'il y avait en eux de répréhensible, et nous le recevons aussitôt avec toute la vénération qui lui est due. Je puis paraître embarrassé lorsqu'on me presse par cette question: «Un hérétique remet donc les péchés»; mais à mon tour je presse mes adversaires lorsque je leur dis: Les péchés sont donc remis par celui qui n'observe pas les commandements divins, par l'avare, le voleur, 1'usurier, l'envieux et par quiconque ne renonce au siècle que dans ses paroles et non point par ses oeuvres? Si la rémission des péchés s'opère par la vertu propre du sacrement de Dieu, qu'importe tel ou tel ministre? au contraire, si c'est par son propre mérite que le ministre confère la rémission des péchés, cette rémission n'est opérée ni par l'un ni par l'autre de ceux que nous venons de signaler. En effet, quelque mauvais que soient les hommes le baptême reste toujours le sacrement de Jésus-Christ; mais ces hommes mauvais, quels qu'ils soient, n'appartiennent pas à cette colombe unique, incorruptible, sainte, pudique, n'ayant ni tache ni ride (Ep 5,27). De même donc que le baptême n'est d'aucune utilité pour celui qui, en le recevant, ne renonce au siècle que du bout des lèvres et non point par ses oeuvres; de même il est sans résultat pour celui qui est baptisé dans le schisme ou l'hérésie; tous deux cependant l'ont reçu validement: qu'ils se convertissent et ils éprouveront les effets de ce qui pour eux jusque-là était sans aucun résultat.
6. «Celui qui est baptisé dans l'hérésie ne devient donc pas le temple de Dieu»; et cependant, faut-il le regarder comme n'ayant pas reçu le baptême? L'avare baptisé dans l'unité de l'Eglise ne devient pas davantage le temple de Dieu, s'il ne veut pas renoncer à son avarice, car ceux qui deviennent le temple de Dieu, possèdent également le royaume de Dieu. Or, l'Apôtre déclaré formellement que «ni les avares, ni les voleurs ne posséderont le royaume de Dieu (1Co 6,10). Ailleurs il compare l'avarice à l'idolâtrie: «Et l'avarice qui est un culte des idoles (Ep 5,5)». Cyprien portant peut-être jusqu'à l'exagération la sévérité des paroles de l'Apôtre, écrivait à Antonianus qu'il n'hésitait pas à comparer l'avarice au péché de ceux qui dans un temps de persécution s'étaient engagés par écrit à offrir de l'encens aux idoles (Lettre LV, à Antonianus). Ainsi donc celui qui dans l'hérésie est baptisé au nom de la sainte Trinité, et qui ne renonce pas à son hérésie, subit le même sort que l'avare qui reçoit le baptême et ne renonce pas à son avarice; ni l'un ni l'autre ne deviennent le temple de Dieu. De là cette parole de saint Paul: «Quelle relation entre le temple de Dieu et les idoles (2Co 6,16)?» Qu'on ne nous demande donc plus de quel Dieu devient le temple, celui à qui nous refusons l'honneur de devenir le temple de Dieu. Et cependant nous sommes loin d'affirmer par là qu'il n'ait point été baptisé, ou que son erreur et son impiété aient le triste pouvoir d'annuler radicalement le sacrement qu'il a reçu selon toutes les formes évangéliques. De même nous nions que l'avarice de l'autre, ou que ses nombreuses souillures invalident essentiellement le baptême, lors même que ce sacrement lui aurait été conféré par un avare, mais selon les formes évangéliques.


CHAPITRE V.PARALLÈLE ENTRE L'HÉRÉTIQUE ET L'AVARE.

7. «C'est donc en vain, a dit-saint Cyprien, que nos adversaires vaincus par la raison nous opposent la coutume, comme si la coutume pouvait l'emporter sur 1a vérité; ou bien comme si dans les choses spirituelles on ne devait pas s'attacher de préférence à ce qui nous a été révélé par le Saint-Esprit». (112) On ne peut qu'applaudir à ce langage, car la coutume est sans valeur devant la raison et la vérité. Au contraire, quand la vérité vient confirmer la coutume, on a atteint le dernier degré de la certitude. Le saint martyr ajoute: «On peut pardonner à celui qui est simplement dans l'erreur, mais sans aucune obstination de sa part». C'est ainsi que l'Apôtre a dit de lui-même: «J'ai d'abord été blasphémateur, persécuteur et outrageux, mais j'ai mérité d'obtenir miséricorde, parce que j'agissais dans l'ignorance (1Tm 1,13). - Mais quand, après avoir reçu l'inspiration et la révélation, le coupable persévère sciemment dans son erreur première, il n'a plus le droit d'invoquer l'ignorance pour obtenir plus facilement son pardon. Dès que la raison le condamne, n'est-ce point de sa part obstination et présomption, de persévérer dans sa voie criminelle?». Il est parfaitement exactde dire que le péché commis en pleine connaissance est de beaucoup plus grave que celuique l'on commet dans l'ignorance. Voilà pourquoi ce saint martyr, aussi savant, que docile, commentant les éloges prodigués par saint Paul à un évêque (2Tm 2,24), s'exprimait en ces termes: «Ce que l'on doit surtout aimer dans un évêque, c'est non-seulement qu'il enseigne pertinemment, mais aussi qu'il sache recevoir avec patience les lumières qui lui viennent de ses frères (Cyp., Lettre 69,à Pompeius)». Je suis persuadé que si la question de la réitération du baptême dans l'Eglise avait été soumise à un long et minutieux examen entre lui et de saints et savants collègues, comme ceux qui plus tard confirmèrent l'ancienne coutume par décret rendu en concile général, non-seulement Cyprien aurait prouvé sa profonde science dans les matières où il avait pour lui la vérité, mais encore il aurait fait preuve de la plus édifiante docilité sur les matières qu'il ne possédait que d'une manière imparfaite. Quoi qu'il en soit, tout homme avouera sans peine qu'on est de beaucoup plus coupable quand on pèche en pleine connaissance, que quand on pèche par ignorance. Or, je voudrais qu'on me dît lequel des deux est le plus criminel, ou celui qui tombe dans l'hérésie sans en comprendre la gravité, ou celui qui s'obstine dans son avarice dont il apprécie la culpabilité. Je pourrais également poser la question en ces termes: Quel est le plus coupable de celui qui, sans le savoir, tombe dans l'hérésie, ou de celui qui, avec une pleine connaissance, s'obstine dans l'idolâtrie? Je me sers de cette dernière expression,. parce que l'Apôtre a dit de l'avarice «qu'elle est un culte «idolâtrique». Cyprien lui-même interprète dans le même sens ce passage de l'Apôtre, quand il écrit à Antonianus (Cyp., Lettre LV, à Antonianus): «Que nos nouveaux hérétiques modèrent l'enthousiasme avec lequel ils s'écrient qu'ils ne sont point en communion avec les idolâtres; car dans leurs rangs se trouvent des adultères et des voleurs, dont le crime constitue une sorte d'idolâtrie. Car, dit l'Apôtre, sachez que nul fornicateur, nul impudique, nul avare, dont le vice est une idolâtrie, ne sera héritier du royaume de Jésus-Christ et de Dieu (Ep 5,5)». Et ailleurs: «Mortifiez vos membres qui sont sur la terre; c'est-à-dire la fornication, l'impudicité, la concupiscence mauvaise et l'avarice, qui est un culte rendu aux idoles (Col 3,5)». Je demande donc lequel des deux est le plus coupable, ou celui qui tombe dans l'hérésie sans le savoir, ou celui qui sciemment refuse de renoncer à l'avarice qui est une idolâtrie? D'après ce principe que celui qui pèche avec connaissance est plus coupable que celui qui pèche par ignorance, nous devons conclure contre celui qui reste sciemment dans l'avarice. Je consens même à placer au même rang de culpabilité l'hérétique inconscient et l'avare convaincu, afin qu'on ne m'accuse pas de ne faire consister que dans la science du coupable la grandeur du crime de l'hérésie comme on le fait pour l'avarice; j'avoue cependant que cette supposition paraît en contradiction avec le passage de l'Apôtre; et en effet, ce que nous détestons avant tout dans les hérétiques, ce sont leurs blasphèmes. D'un autre côté, voulant nous prouver que l'ignorance est une raison sérieuse d'obtenir plus facilement son pardon, Cyprien apporte en témoignage ces paroles de l'Apôtre: «J'ai d'abord été blasphémateur, persécuteur et outrageux, mais j'ai obtenu miséricorde parce que j'ai agi dans l'ignorance (1Tm 1,13)». Mais enfin, comme je l'ai dit plus haut, je suppose sur le pied de parfaite égalité le blasphème de celui qui ignore et l'idolâtrie de celui qui connaît; je frappe d'une seule et même condamnation celui qui en cherchant Jésus-Christ se laisse (113) tromper par les apparences, et celui qui, en pleine connaissance de cause, résiste à cet oracle divin formulé par l'Apôtre: «Nul fornicateur, nul impudique, nul avare, dont le vice est une idolâtrie, ne sera héritier du royaume de Jésus-Christ et de Dieu»; et je demande pourquoi annuler dans le premier, et approuver dans le second, le baptême et les paroles évangéliques, quand il est prouvé que ni l'un ni l'autre ne sauraient être membres de la colombe unique? Refusera-t-on l'entrée au premier, parce qu'il est un batailleur manifeste, tandis que l'on conservera l'autre, quoiqu'il ne soit qu'un disciple fourbe et rusé?



Augustin, du Baptême - CHAPITRE XVIII.ON NE RÉITÈRE PAS LE BAPTÊME AUX PÊCHEURS.