Augustin, du Baptême - CHAPITRE VI.L'ERREUR DE CYPRIEN NE JUSTIFIERAIT PAS LE MÉPRIS POUR SA PERSONNE.

CHAPITRE VI.L'ERREUR DE CYPRIEN NE JUSTIFIERAIT PAS LE MÉPRIS POUR SA PERSONNE.

8. Cyprien ajoute: «Que parmi eux aucun ne dise: Nous suivons la voie qui nous est tracée par les Apôtres, car les Apôtres n'ont établi qu'une Eglise et qu'un seul baptême qui est la propriété exclusive de cette même Eglise». Ces paroles tendraient-elles à me convaincre que je dois réprouver le baptême de Jésus-Christ? Quand je le rencontre parmi les hérétiques, je n'ai besoin, pour les réfuter, que de leur opposer l'obligation où je suis d'approuver l'Evangile, toutes les fois que je le rencontre parmi les hérétiques dont cependant je repousse les erreurs. Mais du moins ces mêmes paroles nous apprennent qu'à l'époque de saint Cyprien, certains évêques présentaient comme venant des Apôtres cette coutume contre laquelle protestaient les conciles Africains, contre laquelle aussi le saint martyre s'écriait: «C'est en vain que ceux qui sont vaincus par la raison nous opposent la coutume». Je ne m'explique pas davantage, pourquoi cette coutume, qui depuis Cyprien fut sanctionnée par un concile général, et que Cyprien lui-même avait trouvée dans toute sa vigueur, fut si vivement attaquée par ce saint évêque, quand pour la condamner et la détruire sa profonde science ne pouvait lui fournir qu'un seul argument, c'est-à-dire un concile africain convoqué et présidé quelques années auparavant par l'évêque Agrippinus. Cyprien comprit facilement qu'un argument aussi faible ne pouvait rien contre une coutume aussi universelle; il eut donc recours à des raisonnements, mais ces raisonnements n'étaient que des vraisemblances et nullement des vérités, comme nous l'avons prouvé en nous fondant sur l'antiquité de cette coutume et sur l'autorité du concile général. Toutefois ces vraisemblances, il les prit pour des réalités sur une question aussi obscure que celle de la rémission des péchés, surtout quand il s'agit de savoir si cette rémission peut ne pas s'opérer dans le baptême de Jésus-Christ, ou si elle peut s'opérer par le ministère des hérétiques. Sur ce point la Providence avait permis qu'il ne fût pas complètement éclairé, afin de faire mieux ressortir cette grande charité qui l'empêcha toujours de se séparer de l'unité. Mais qui donc, s'appuyant sur cette insuffisance de lumières, et sous prétexte qu'il se sent plus éclairé que ne l'était Cyprien, oserait se préférer à ce grand évêque en qui brillèrent d'un si vif éclat les vertus les plus héroïques et les grâces les plus abondantes? Que celui qui aurait cette audace se souvienne qu'il possède aujourd'hui. ce que ne possédait pas alors l'Eglise, c'est-à-dire la sentence infaillible d'un concile universel. Autant vaudrait se préférer à Pierre, qui obligeait les Gentils à judaïser, quand, instruit par les lettres de Paul et mieux appuyé sur la coutume de l'Eglise, on n'impose pas aux Gentils cette obligation (Ga 2,14).
9. «Nous ne voyons nulle part qu'un homme baptisé par des hérétiques ait été reçu par les Apôtres dans la communion de l'Eglise, avec ce seul baptême, tel qu'il lui avait été conféré». Nous ne voyons pas davantage que les Apôtres aient réitéré le baptême à celui qui, voulant entrer dans l'Eglise, aurait été précédemment baptisé par des hérétiques. D'ailleurs, c'est à bon droit que nous regardons comme venant des Apôtres cette coutume que les hommes de cette époque, les yeux fixés sur les sphères supérieures, ne voyaient pas régner parmi leurs descendants. Combien d'autres faits du même genre, qu'il serait trop long d'énumérer de nouveau! Si donc les adversaires de Cyprien étaient parfaitement en droit de mépriser la défense que leur en faisait Cyprien et de s'écrier: «Nous suivons la voie qui nous a été tracée par les Apôtres»; combien plus encore nous sommes autorisés à dire: Ce que la coutume de l'Eglise a toujours pratiqué, ce qui peut braver toutes les discussions, ce qui (114) a été confirmé par un concile général, c'est là ce que nous suivons? Et puis, si nous étudions sérieusement les raisons alléguées de part et d'autre, ainsi que les témoignages de la sainte Ecriture,-nous pouvons ajouter sans crainte: Nous suivons la voie que nous a tracée la Vérité elle-même.


CHAPITRE VII.LES MÉCHANTS DANS L'UNITÉ ET HORS DE L'UNITÉ.

10. Les adversaires de Cyprien lui opposaient ces paroles de l'Apôtre: «Pourvu que Jésus-Christ soit annoncé de quelque manière que ce soit, par occasion ou par un vrai zèle, je m'en réjouis (Ph 1,18).» Or, le saint évêque les réfutait victorieusement en leur montrant que la cause de l'hérésie n'avait rien à voir dans ces paroles. En effet, l'Apôtreparlait uniquement de ceux qui prêchaient Jésus-Christ par un esprit d'envie et de contention; il est vrai qu'ils prêchaient Jésus-Christ et ne formulaient sur sa personne que des idées conformes aux vérités de la foi, mais l'esprit qui les dirigeait n'était point celui qui doit inspirer les prédicateurs, enfants dévoués de la Colombe. Voici les paroles de Cyprien: «L'Apôtre ne parlait ni de la personne ni du baptême des hérétiques, et c'est en vain que l'un voudrait invoquer ce passage dans la question qui nous occupe. Il parlait de ceux de ses frères qui dépassaient les limites de la sagesse, ou les règles de la discipline ecclésiastique, ou bien de ceux qui osaient annoncer sans crainte la parole de Dieu. Il rappelle que les uns ont toujours prêché la parole de Dieu avec constance et intrépidité, tandis que d'autres se laissentobséder par l'esprit d'envie et de contention; que les uns prêchent par charité cet les autres par un esprit de jalousie. Paul ajoute qu'il supporte tout patiemment, pourvu que, soit par occasion, soit par un vrai zèle, le nom de Jésus-Christ arrive à la connaissance de plusieurs, et que la parole évangélique, malgré la rudesse des formes, soit prêchée à plus de peuples et porte des fruits plus abondants. Or, autre chose est la prédication de ceux qui appartiennent àl'unité de l'Eglise et qui parlent au nom de Jésus-Christ; autre chose est de baptiser au nom de Jésus-Christ ceux qui sont hors de l'Eglise et qui combattent contre l'Eglise (Cyp., Lettre LXXII1,à Jubaianus). Ces paroles de Cyprien nous avertissent d'établir une distinction entre les méchants qui sont séparés de l'Eglise, et les méchants qui appartiennent à cette unité. Quant à ces hommes qui nous sont dépeints par l'Apôtre comme annonçant l'Evangile par un coupable esprit d'envie et de contention, Cyprien les regarde comme appartenant à l'Eglise, et-il a raison. Toutefois, je ne crois pas être téméraire en posant-le dilemme-suivant: Si nul homme séparé de I'Eglise ne peut rien posséder de ce qui nous vient de Jésus-Christ, aucun-de ceux qui appartiennent à l'unité ne peut rien posséder de ce qui nous vient du démon. Car si dans ce jardin fermé ont pu croître les épines du démon, pourquoi la source de Jésus-Christ ne pourrait-elle pas couler hors de ce même jardin? Si la première proposition est fausse, comment donc du vivant même de l'Apôtre des prédicateurs ont-ils pu tomber victimes d'un mal aussi grand que la jalousie et une dissension malveillante? Ce sont là, du reste, les propres paroles de Cyprien. Dira-t-on que la- jalousie et une dissension malveillante ne sont que des maux très-légers? Mais alors, qu'on nous dise pourquoi ces hommes n'étaient point dans la paix, quoiqu'ils fussent dans l'unité? Voici une parole qui n'est ni de moi ni des hommes, mais de Dieu lui-même; une parole qui a été dite non point parles hommes mais par les anges au moment de la naissance de Jésus-Christ: «Gloire à Dieu au plus «haut des cieux, et paix sur la terre aux e hommes de bonne volonté (Lc 2,14)».En formulant cet oracle par la voix des Anges et sur le berceau du Sauveur, Dieu ne voulait-il pas nous faire comprendre que pour appartenir à l'unité du corps de Jésus-Christ il faut être dans la paix de Jésus-Christ, et que pour être dans la paix de Jésus-Christ il faut être doué d'une bonne volonté? Or, si la bonne volonté se trouve dans la bienveillance, la mauvaise volonté ne se trouve-t-elle pas dans la malveillance?


CHAPITRE VIII.LA MALICE DE LA JALOUSIE.

11. Mais enfin, quelle est donc la malice de cette jalousie qui ne saurait être que malveillante? Ne cherchons pas d'autres témoins, (115) car il nous suffit d'un seul, saint Cyprien lui-même, à qui le Seigneur s'est plu à révéler les invectives les plus éloquentes et les préceptes les plus salutaires sur l'envie et la jalousie. Lisons donc la lettre de ce saint martyr sur ce double penchant; comprenons quel crime c'est de porter envie à ceux qui sont meilleurs que nous, et n'oublions pas que ce triste défaut n'a d'autre principe que le démon lui-même. «Jalouser ce qui vous semble bon, et porter envie à ceux qui sont meilleurs que vous, c'est là un crime que quelques-uns parmi vous, frères bien-aimés, regardent comme léger et de peu d'importance». Cherchant ensuite la source et l'origine de ce défaut: «C'est par ce vice», dit-il, «que dès les premiers jours du monde le démon s'est perdu et en a perdu un grand nombre avec lui». Un peu plus loin il ajoute: «Quel mal n'est donc pas, mes frères, ce crime qui a fait tomber l'ange lui-même, qui a précipité dans l'abîme les puissances célestes et qui a séduit le séducteur lui-même? Depuis cette époque la jalousie va croissant sur la terre, multipliant ses victimes, tristes esclaves du maître de la perdition, tristes imitateurs du premier jaloux, le démon; de là cette parole: Par l'envie du démon la mort est entrée dans le monde, et tous ceux qui lui appartiennent se font constamment ses imitateurs (Sg 24,25)». Ces paroles de Cyprien, empruntées à celle de ses lettres qui est la plus connue, sont aussi pleines de vérité que d'énergie. A lui plus qu'à tout autre il appartenait de formuler sur l'envie et la jalousie les leçons et les avertissements les plus graves, car dans l'abondance de sa charité il avait toujours su soustraire son coeur aux cruelles atteintes de ce mal. Sous l'influence de cette charité, il se montra toujours rempli de bienveillance pour ceux de ses collègues qui ne partageaient pas ses opinions au sujet du baptême; il ne connut jamais les dissensions malveillantes, se tint en garde contre les tentations humaines, et par sa persévérance dans la charité il mérita que Dieu le comblât dans la suite de ses grâces et de ses révélations (Ph 3,15). Il resta donc indissolublement attaché à l'unité, et pouvait hautement s'écrier: «Ne jugeant personne et nous abstenant de séparer de notre communion celui qui ne partagerait point notre opinion. En effet, personne d'entre nous ne s'est constitué l'évêque des évêques, et personne n'a voulu recourir à des menaces tyranniques pour réduire ses collègues à l'obéissance (Concile de Carthage). Voici, du reste, comment il terminait son épître: «Tels sont, frère bien-aimé, les conseils que dans ma bassesse j'ai cru devoir vous adresser; je ne prescris rien, je ne préjuge rien, car chaque évêque a le droit de faire ce qui lui paraît le plus convenable, il est parfaitement le maître de son libre arbitre. Dans la mesure de ce qui nous est possible, et pour ménager les hérétiques, nous ne discutons jamais avec nos collègues et nous conservons entre nous la concorde chrétienne et la paix du Seigneur. Nous avons toujours devant les yeux ces paroles de l'Apôtre: Si quelqu'un aime à contester; pour nous, ce n'est point là notre coutume ni celle de l'Eglise de Dieu (1Co 11,16). Nous conservons donc avec patience et avec douceur la charité du coeur, l'honneur de notre collège, le lien de la foi et la concorde du sacerdoce. C'est dans ce but, malgré notre médiocrité et avec l'aide et le bon plaisir de Dieu, que nous avons composé ce petit opuscule sur le Bien de la Patience et nous vous l'adressons comme gage de notre affection mutuelle (Lettre LXXII1,à Jubaiainus)


CHAPITRE IX.LA ZIZANIE DANS LE FROMENT ET LE BAPTÊME DANS LE SCHISME.

12. Grâce à cette patience et à cette charité, Cyprien a toléré ses collègues catholiques malgré la diversité, bienveillante toutefois, de leurs opinions sur cette question difficile et obscure, comme il a été toléré lui-même jusqu'à ce que la Providence eût permis que l'antique et salutaire coutume fût confirmée par décision d'un concile général. Et non-seulement il toléra les bons, mais il resta même en communion avec des évêques notoirement mauvais qui exprimaient des opinions diverses, non point à cause de l'obscurité même de la question, mais pour justifier la dissolution de leurs moeurs et s'autoriser à faire le mal quand ils prêchaient le bien, réalisant ainsi ces paroles de l'Apôtre: «Vous qui défendez le mal, vous le commettez vous-même (Rm 2,21). N'est-ce pas de ces évêques, ses contemporains et ses collègues dans l'unité, qu'il écrivait: «Pendant que leurs frères subissent les rigueurs de la faim, ils n'ont souci que d'amasser de plus grandes richesses, d'acquérir des trésors par la fraude et la ruse, et d'accroître leur fortune par des usures multipliées (Discours sur les Tombés)?» Sur ce point, en effet, la question n'est nullement obscure, car l'Ecriture dit hautement: «Ni les avares, ni les hommes rapaces ne posséderont le royaume de Dieu 1Co 6,10)»; «celui qui a placé son argent à usure (Ps 14,5)»; «nul fornicateur, nul impudique, nul avare, dont le vice est une idolâtrie, ne possédera l'héritage dans le royaume de Jésus-Christ et de Dieu (Ep 5,5)». Peut-on supposer que, s'il n'eût pas connu parfaitement les coupables, il aurait signalé avec autant de précision ces avares qui non-seulement avaient la passion de thésauriser, mais qui recouraient, pour s'enrichir, aux moyens les plus iniques et prouvaient ainsi pour la richesse un amour qui n'était autre chose qu'une véritable idolâtrie? Peut-on croire qu'il se fût permis de juger ainsi témérairement ses collègues dans l'épiscopat? Et cependant, pour se montrer le fidèle disciple de Jésus-Christ qui est mort pour les faibles et qui a défendu d'arracher la zizanie avant la moisson, dans la craince qu'on arrachât également le bon grain (Mt 13,29), Cyprien toléra ces coupables avec une charité véritablement paternelle et maternelle. Il devint ainsi l'imitateur du grand Apôtre qui, par amour pour l'Eglise, toléra ceux-là mêmes qui montraient à son égard le plus de jalousie et de malveillance (Ph 1,15-18).

13. Cependant «c'est par la jalousie du démon que la mort est entrée dans le monde, et tous ceux qui lui appartiennent marchent sur ses traces (Sg 2,24-25), non pas en tant qu'ils ont été créés par Dieu, mais en tant qu'ils se sont pervertis eux-mêmes. C'est l'observation que fait Cyprien lui-même; car le démon, avant de devenir démon, était un ange, et un ange véritablement bon. Mais alors ceux qui sont du parti du démon, à quel titre donc peuvent-ils appartenir à l'unité de Jésus-Christ? Le Seigneur a dit lui-même: «C'est là l'oeuvre de l'homme ennemi qui est venu semer la zizanie sur le bon grain (Mt 13,25-28). De même donc que nous devons condamner ce qui dans l'unité appartient au démon, de même devons-nous reconnaître ce qui, hors de l'unité, appartient à Jésus-Christ. N'y aurait-il plus rien pour Jésus-Christ en dehors de l'unité de l'Eglise, tandis que dans cette même unité le démon aurait ses victimes et ses oeuvres? Sans doute, s'il ne s'agit que des hommes eux-mêmes, on peut bien dire que Dieu ne reconnaît comme sien aucun de ceux qui sont formellement hors de l'Eglise, pas plus que le démon ne possède aucun des saints anges. Mais quant à l'Eglise de la terre, tant qu'elle porte le poids de cette misérable mortalité, et qu'elle chemine loin de Dieu, le démon peut venir y mêler la zizanie, c'est-à-dire des pécheurs; et si ce pouvoir lui est donné pendant notre pérégrination ici-bas, c'est afin que nous nous sentions enflammés d'un désir de plus en plus ardent pour ce repos de la patrie dont jouissent les élus. Au contraire, s'il s'agit des sacrements, nous ne pouvons plus tenir un semblable langage.En effet, de même que la zizanie intérieure peut recevoir et conférer ces sacrements, non point pour son salut, mais pour sa ruine éternelle, pendant laquelle elle sera dévorée par le feu de l'enfer; de même la zizanie extérieure, c'est-à-dire les schismatiques ou les hérétiques déclarés peuvent recevoir ces mêmes sacrements par le ministère de ceux qui, après avoir appartenu à l'Eglise, s'en sont ensuite séparés, et n'ont pu perdre ce qu'ils avaient reçu avant leur séparation. Pour le prouver, il suffit de rappeler que jamais la pensée n'est venue de réitérer le baptême à ceux qui, après s'être séparés de l'Eglise, demandent à y rentrer. Personne, je pense, n'aura la pensée de s'écrier: La zizanie peut-elle donc avoir quelque chose du froment? Si elle avait quelque chose du froment, l'unité et le schisme seraient placés dans une condition absolument semblable. Or, parmi la zizanie extérieure, nous ne trouvons aucun grain de froment, tandis qu'on en trouve dans la zizanie intérieure. - Quand il s'agit des sacrements, nous n'avons pas à demander si la zizanie renferme du froment, mais si elle possède quelque chose qui lui vienne du ciel; or, qu'elle soit extérieure, qu'elle soit intérieure, la pluie lui est commune avec le froment, et cette pluie ne laisse pas que d'être une rosée douce et céleste, quoiqu'elle donne un accroissement (117) stérile à la zizanie. De même le sacrement de Jésus-Christ est suave et divin; et, fût-il frappé de stérilité à l'égard de ceux qui vivent dans le schisme, on ne doit jamais ni le méconnaître ni le condamner.


CHAPITRE X.LES ENNEMIS INTÉRIEURS ET EXTÉRIEURS DE L'ÉGLISE.

14. Quelqu'un me dira peut-être que la zizanie intérieure peut plus facilement se changer en froment. Soit, mais qu'est-ce que cela prouve par rapport à la réitération du baptême? Je suppose que tel hérétique promptement convaincu de son erreur et aidé par le temps et des circonstances plus faciles, se convertisse avant celui qui est dans l'unité et s'abandonne à ses crimes, devra-t-on s'abstenir de lui réitérer le baptême, tandis qu'on le réitérera à celui qui s'est laissé prévenir par cet hérétique et ne s'est converti que plus tard? Quant à la question qui nous occupe, il ne s'agit nullement de savoir si c'est bientôt, ou trop tard que le pécheur s'est converti à la foi, à l'espérance et à la charité. Il est certain que les pécheurs qui appartiennent à l'unité jouissent d'une plus grande facilité pour se convertir, et cependant nous voyons quelquefois des hérétiques ou des schismatiques précéder les mauvais catholiques dans leur retour vers Dieu, et produire des fruits au trentième, au soixantième ou au centième (Mt 13,23 Lc 8,15), tandis que les autres, quoique catholiques, restent frappés de stérilité. Enfin, si l'on soutient qu'il n'y a de véritable zizanie que celle qui persévère jusqu'à la fin dans son crime et son erreur, nous en conclurons qu'il y a beaucoup de froment hors de l'unité, et que dans l'unité il y a beaucoup de zizanie.
15. Quoi qu'il en soit, les pécheurs séparés de l'Eglise sont-ils plus coupables que les pécheurs dans l'unité? Il n'est pas facile de décider si Nicolas, hérétique séparé de l'Eglise', était plus coupable que Simon le Magicien, appartenant à l'unité (Ap 2,6). Qu'on soutienne que la séparation, par cela même qu'elle détruit manifestement la charité, est un péché plus grave, j'y consens. Et pourtant, il en est un grand nombre qui, après avoir perdu la charité, ne se jettent pas dans le schisme, parce qu'ils sont retenus par des avantages temporels, parce qu'ils se cherchent eux-mêmes et non pas Jésus-Christ (Ph 2,21); voilà pourquoi ils refusent de se séparer, non pas précisément de l'unité de Jésus-Christ, mais des avantages que cette unité leur procure. De là ce bel éloge que l'on fait de la charité: «Elle ne cherche pas ses propres avantages (2Co 13,5).»
16. Demandons-nous maintenant comment des hommes esclaves du démon pouvaient appartenir à cette Eglise, qui est sans tache, sans ride ou autre chose de ce genre (Ep 5,27); à cette Eglise dont il est dit: «Elle est ma colombe unique (Ct 6,8)?» Si les pécheurs ne peuvent lui appartenir, il reste évident pour nous que cette Eglise gémit parmi des étrangers, dont les uns lui tendent des embûches dans son propre sein, et dont les autres lui déclarent la guerre au dehors. Cependant ses ennemis intérieurs reçoivent le baptême, le possèdent et le confèrent dans toute sa sainteté essentielle, sans qu'il puisse recevoir aucune atteinte de la méchanceté dans laquelle ces pécheurs persévèrent jusqu'à la fin. Voilà pourquoi le même Cyprien nous enseigne que nous devons considérer le baptême tel qu'il est en lui-même, tel que le constituent les paroles évangéliques et tel qu'il a toujours été reçu par l'Eglise, sans tenir aucun compte de la perversité et de la malice de ceux qui le donnent ou le reçoivent. Il nous fait également observer que, même dans l'unité de l'Eglise, il en est qui ne conservent ni la charité ni la bienveillance, et se laissent aller à la jalousie, à la malveillance et à la dissension, comme déjà l'Apôtre le faisait observer de son temps. D'un autre côté, dans sa lettre sur l'envie et la jalousie, il prouve clairement que tous ceux qui s'abandonnent à ce penchant mauvais appartiennent par là même au démon. Par conséquent, il est pour nous de la dernière évidence que ceux mêmes qui appartiennent au démon peuvent posséder dans toute son intégrité le sacrement de Jésus-Christ; non point pour leur salut, mais comme un titre à-leur condamnation, soit qu'ils aient donné libre cours à leur perversité après avoir reçu le baptême, soi qu'en le recevant, comme dit saint Cyprien, ils n'aient renoncé au siècle que du bout des lèvres et non point par leurs (118) oeuvres (Cyp., lettre 2,aux clercs). Si plus tard ils se convertissent, on n'aura donc pas à leur réitérer le sacrement qu'ils avaient reçu dans de mauvaises dispositions. Il me semble, en effet, que maintenant il doit être évident pour tous que dans cette question du baptême on n'a point à se préoccuper de celui qui donne, mais de ce qu'il donne; ni de celui qui reçoit, mais de ce qu'il reçoit; ni de celui qui possède, mais de ce qu'il possède. Si donc ceux-là mêmes qui appartiennent, non pas à la colombe unique, mais au démon, peuvent recevoir, posséder et conférer le baptême, sans que la sainteté de ce sacrement ait à subir aucune atteinte de la part de leur perversité, comme en convient Cyprien lui-même, pourquoi attribuer aux hérétiques ce qui ne leur appartient pas? Pourquoi regarder comme venant d'eux ce qui ne vient que de Jésus-Christ? La seule obligation que nous ayons à remplir, c'est de reconnaître en eux le caractère et les insignes de notre empereur et de travailler à corriger leurs oeuvres. A ce point de vue, je dirai donc avec Cyprien: «Autre chose est de parler au nom de Jésus-Christ, quand on appartient à l'unité de l'Eglise; autre chose est de baptiser au nom de Jésus-Christ, ceux qui vivent dans le schisme et travaillent contre l'Eglise (Cyp., lettre LXXII1,à Jubaianus). Parmi ceux qui appartiennent à l'unité de l'Eglise, il en est un grand nombre qui travaillent contre l'Eglise par leur mauvaise vie et par la séduction qu'ils exercent sur les âmes faibles. De même parmi les schismatiques, il en est plusieurs qui parlent au nom de Jésus-Christ et auxquels nous défendons, non point de faire les oeuvres de Jésus-Christ, mais de rester dans le schisme; et quand nous les corrigeons, quand nous les reprenons ou les exhortons, tout cela de notre part s'accomplit en vue de leur guérison. Appartenait-il à l'unité celui qui, refusant de suivre le Christ avec les disciples, chassait cependant les démons au nom de Jésus-Christ? et le Seigneur ordonna qu'on le laissât faire (Lc 9,49-50), et nonobstant cette autorisation, ce malheureux devait comprendre que la seule chose qui lui importât avant tout, c'était d'employer à sa guérison ces paroles du Sauveur «Celui qui n'est pas avec moi est contre moi, et celui qui ne recueille pas avec moi dissipe (Mt 12,30). Dans le schisme, certaines oeuvres peuvent donc se faire au nom de Jésus-Christ, et non pas contre l'Eglise; comme d'un autre côté, dans l'unité même de l'Eglise, des chrétiens peuvent appartenir au démon et agir contre l'Eglise.


CHAPITRE 11.LA VERTU INHÉRENTE AU SACREMENT DE BAPTÊME.

17. Après un examen sérieux, on est tout étonné de voir tel prédicateur enseigner quelque chose d'inutile, quoique sans blesser nullement la charité. C'est ainsi que Pierre contraignait les Gentils à judaïser (Ga 2,14), et Cyprien condamnait les hérétiques à recevoir de nouveau le baptême. Parlant de ces docteurs fortement enracinés dans la charité, et pourtant s'éloignant de la saine doctrine en quelque point, l'Apôtre disait: «Si vous avez de vous-mêmes quelque autre sentiment, Dieu vous découvrira ce que vous devez en croire (Ph 3,15)». D'un autre côté, on rencontre des prédicateurs privés de la charité, et qui cependant émettent une doctrine salutaire; c'est en parlant de ces derniers que le Sauveur disait: «Ils siégent sur la chaire de Moïse. Faites ce qu'ils vous disent, et ne faites pas ce qu'ils font, car ils disent et ils ne font pas (Mt 23,2-3)». L'Apôtre, faisant allusion à ces prédicateurs jaloux et malveillants qui annonçaient cependant le salut chrétien, disait également: «Qu'importe, pourvu que Jésus-Christ soit annoncé de quelque manière que ce soit, par occasion ou par un vrai zèle (Ph 1,15)?». Ainsi donc, que la perversité se rencontre dans l'unité ou dans le schisme, corrigeons-la, mais n'attribuons aux hommes ni les divins sacrements ni les oracles divins. Ce n'est donc point patronner les hérétiques, que de ne pas leur réitérer ce qu'ils possèdent déjà, pourvu qu'on ne leur attribue pas ce dont ils ne sont pas les auteurs. «Nous ne concédons pas le baptême à l'hérétique», car partout où nous rencontrons ce sacrement, nous reconnaissons qu'il est l'oeuvre de Celui dont il est dit: «C'est lui seul qui baptise (Jn 1,33)». «Quant à l'homme perfide et blasphémateur», s'il persévère dans sa perfidie et dans son blasphème, nous déclarons qu'il ne reçoit «la rémission de ses péchés ni hors de l'Eglise», ni dans l'Eglise; ou bien, si en (119) vertu de la force inhérente à ce sacrement, il reçoit cette rémission pour, un moment, nous disons que cette vertu doit opérer indistinctement dans le schisme et dans l'unité, comme la vertu du nom de Jésus-Christ chassait les dénions, par le ministère d'un schismatique.


CHAPITRE XII.LE BAPTÊME EST INDÉPENDANT DES CRIMES DU MINISTRE ET DU SUJET.

18. «Nous trouvons que dans toutes leurs épîtres les Apôtres exècrent et détestent la dépravation sacrilège des hérétiques, et les comparent à la gangrène qui répand de tous côtés la corruption». Quoi donc? Ces hommes qui s'écriaient: «Mangeons et buvons, car nous mourrons demain», ne travaillaient-ils pas à corrompre les bonnes moeurs par leurs conversations mauvaises, selon cette parole de l'Apôtre: «Les discours mauvais corrompent les bonnes moeurs?» Et cependant ce même apôtre nous indique clairement que ces hommes appartenaient à l'unité, puisqu'il ajoute: «Comment donc quelques-uns parmi vous peuvent-ils soutenir qu'il n'y a point de résurrection des morts (1Co 15,32-33 1Co 12)?». Quant aux avares, peut-il prononcer leur nom sans le couvrir d'anathème? Et puis, pouvait-il formuler plus. énergiquement sa pensée, qu'en disant de l'avarice qu'elle est une idolâtrie (Ep 5,5)? Ainsi l'a compris Cyprien, comme le prouvent clairement ses lettres, et cependant il n'hésite pas à proclamer qu'à l'époque où il vivait, l'Eglise renfermait dans son sein, non pas simplement des avares quelconques, mais des ravisseurs frauduleux du bien d'autrui; et ces ravisseurs du bien d'autrui n'étaient pas de simples fidèles, mais des évêques. De tels hommes dont l'Apôtre a dit que «leur discours est comme une gangrène qui répand la corruption», je voudrais pouvoir dire qu'ils n'appartenaient pas à l'unité, mais Cyprien ne me laisse pas cette consolation. En effet, dans sa lettre à Antonianus, après avoir montré qu'avant la séparation suprême des justes et des pécheurs, le mélange des bons et des méchants ne saurait être un motif suffisant de se séparer de l'unité de l'Eglise; après avoir prouvé par là son éminente sainteté et ses sublimes dispositions au martyre, il ajoute: «N'est-ce point le comble de l'arrogance, l'oubli le plus complet de l'humilité et de la douceur, et le suprême degré de la jactance, d'oser ou de se croire le pouvoir de faire ce que le Seigneur n'a pas même voulu permettre aux Apôtres, c'est-à-dire de séparer la zizanie du bon grain, de jeter la paille et de purifier l'aire, et cela d'une manière publique et solennelle? L'Apôtre n'a-t-il pas dit lui-même: Dans une grande maison se trouvent non-seulement des vases d'or et d'argent, mais encore des vases de bois ou d'argile? Et voici qu'un simple mortel se permet de choisir les vases d'or et d'argent, de mépriser, de rejeter et de condamner les vases de bois et d'argile, quand le Seigneur s'est réservé de jeter les vases de bois dans les flammes allumées par son courroux et de faire briser les vases d'argile par celui à qui a été confiée la verge de fer (Ps 2,9; Lettre LV)» Ces reproches adressés par Cyprien à ceux qui sous prétexte d'échapper à la société des méchants, se séparaient de l'unité, nous prouvent qu'à ses yeux cette grande maison renfermant des vases d'or et d'argent, de bois et d'argile, ne signifiait autre chose que l'Eglise elle-même, destinée à porter dans son sein ici-bas des bons et des méchants, jusqu'à ce qu'elle soit purifiée par la justice toute-puissante du père de famille. Selon ces principes, l'Eglise figurée par cette grande maison renfermait des vases d'ignominie, et ces vases d'ignominie n'étaient autres que ces hommes dont les discours étaient une gangrène qui répandait au loin la corruption. C'est de ces hommes que l'Apôtre parlait longtemps à l'avance, quand il disait: «Les discours que tiennent certaines personnes sont comme une gangrène qui répand insensiblement sa corruption. De ce nombre sont Hyménée et Philète, qui se sont écartés de la vérité en disant que la résurrection est déjà arrivée, et qui ont ainsi renversé la foi de quelques-uns. Mais le fondement de Dieu demeure ferme, ayant pour sceau cette parole: Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui; et cette autre: Que celui qui invoque le nom du Seigneur s'éloigne de l'iniquité. Dans une grande maison il n'y a pas seulement des vases d'or et d'argent, mais aussi des vases de bois et d'argile (2Tm 2,17-20)». (120)Si donc ces hommes, dont les discours ressemblaient à la gangrène qui répand insensiblement sa corruption, étaient des vases d'ignominie dans la grande maison, c'est-à-dire dans l'Eglise, comme le comprend Cyprien lui-même, est-ce que cette gangrène allait jusqu'à souiller le baptême de Jésus-Christ? N'est-il pas certain qu'un esclave du démon, fût-il dans le schisme ou l'unité, ne peut souiller ni en lui-même, ni en qui que ce soit le sacrement de Jésus-Christ? Sans doute, «le discours qui se répand comme une gangrène jusqu'aux oreilles des auditeurs, ne confère pas la rémission des péchés (Cyp., lettre LXXII1,à Jubaianus)»; mais du moment que le baptême est administré selon la forme évangélique, la sainteté qu'il tient de sa divine institution lui est inviolablement conservée, malgré toute la perversité de celui qui l'administre ou de celui qui le reçoit. Supposé qu'il n'y ait de perversité que de la part du ministre, et que le sujet adhère à l'unité de l'Eglise par la foi, l'espérance et la charité, il est aussitôt rendu participant, non point de l'indignité du ministre, mais de la sainteté du mystère, et dès lors il reçoit pleine et entière rémission de ses péchés. Enfin cette rémission lui est conférée, non point par les paroles gangrenées du ministre, mais par les sacrements évangéliques découlant comme autant de ruisseaux de la source céleste. Au contraire, si le sujet lui-même est animé de dispositions criminelles, le sacrement qu'il reçoit ne lui est d'aucune utilité pour le salut, et cependant le sacrement demeure en lui avec toute sa sainteté, et ne lui sera jamais réitéré, supposé que le coupable vienne à se convertir.



Augustin, du Baptême - CHAPITRE VI.L'ERREUR DE CYPRIEN NE JUSTIFIERAIT PAS LE MÉPRIS POUR SA PERSONNE.