Augustin, du Baptême - CHAPITRE XIX.OPINION DE FELIX DE BAGAÜM.

CHAPITRE XIX.OPINION DE FELIX DE BAGAÜM.

32. «De même que si un aveugle conduit un aveugle, ils tomberont tous deux dans la (159) fosse (Mt 15,14), de même si un hérétique baptise un hérétique, ils tomberont tous deux dans la mort».
33. Ce rapprochement est parfaitement juste, ce qui ne prouve pas cependant que l'auteur ait le droit d'ajouter: «Voilà pourquoi tout hérétique doit être baptisé et vivifié, si nous ne voulons pas, nous qui sommes vivants, nous mettre en communication avec les morts». N'étaient-ils pas morts ceux qui s'écriaient: «Mangeons et buvons, car nous mourrons demain (1Co 15,32)?» Car ils refusaient de croire à la résurrection des morts. Mais alors tous ceux qui se laissaient corrompre par leurs discours mauvais, et suivaient leurs erreurs, ne tombaient-ils jas avec eux dans la fosse? Pourtant, c'était parmi eux que se trouvaient ces chrétiens auxquels l'Apôtre daignait adresser ses épîtres sans exiger qu'on leur réitérât le baptême dès qu'ils venaient à se convertir. L'Apôtre n'a-t-il pas dit: «La prudence selon la chair est la mort (Rm 8,6)?» Or, n'avaient-ils pas cette prudence selon la chair, ces avares, ces fraudeurs, ces voleurs, au milieu desquels Cyprien faisait entendre ses douloureux gémissements? Est-ce que la mort de ces hommes compromettait la vie de Cyprien? Ou bien dira-t-on que le baptême qu'ils avaient ou qu'ils conféraient était substantiellement atteint par leurs iniquités?


CHAPITRE XX.OPINION DE POLIANUS DE MILÉE.


34. «Il est juste que l'hérétique soit baptisé dans la sainte Eglise».
35. Cette opinion a du moins le mérite d'une extrême brièveté. Ma réponse ne sera pas plus longue: il est juste de ne pas réitérer le baptême dans l'Eglise de Jésus-Christ.


CHAPITRE XXI.OPINION DE THÉOGÈNE D'HIPPÔNE-ROYAL.


36. «Selon le sacrement de la grâce céleste que nous avons reçu de Dieu, nous croyons un seul baptême, lequel est dans la sainte Eglise».
37. Je pourrais adopter cette proposition, car elle est formulée de telle sorte qu'elle ne heurte aucunement la vérité. Nous aussi nous croyons un seul baptême, lequel est dans la sainte Eglise. Si Théogène eût dit du baptême qu'il ne se trouve que dans la sainte Eglise, nous aurions à lui réitérer la réponse que nous avons faite aux autres. Mais non, il se contente de cette forme générale: «Nous croyons un seul baptême, lequel est dans la sainte Eglise»; on peut dire qu'il est dans la sainte Eglise, sans nier qu'il soit ailleurs; vouloir aller plus loin, ce serait soulever une simple question de mots. A ces différentes questions: Y a-t-il un seul baptême? je réponds affirmativement. - Ce baptême est-il dans la sainte Eglise? Assurément. - Croyez-vous à ce baptême? J'y crois. - En d'autres termes je répondrais: Je crois un seul baptême, lequel est dans la sainte Eglise.Mais que l'on me demande si ce baptême unique ne se trouve que dans la sainte Eglise, et non point parmi les hérétiques ou les schismatiques, ma réponse est négative, et c'est également celle de toute l'Eglise. Comme Théogène n'a point restreint sa proposition, je me reprocherais d'y ajouter le moindre mot contre lequel j'aurais à discuter. S'il avait dit, par exemple: Le fleuve de l'Euphrate n'a qu'une seule eau, laquelle est dans le paradis; sa proposition n'aurait rien de répréhensible. Mais s'il affirmait que cette eau unique ne se trouve que dans le paradis, ce serait alors une erreur de sa part. Car cette eau coule non-seulement dans le paradis, mais encore dans les plaines voisines. Mais ne serait-ce pas une grande témérité de soutenir qu'il a répondu par un mensonge, quand il pouvait répondre par la vérité? J'en dis autant de la proposition de Théogène: puisqu'elle peut être vraie, pourquoi la rendre fausse en lui donnant un autre sens?


CHAPITRE XXII.OPINION DE DATIVUS DE BADE.

38. «Selon toute la mesure de notre pouvoir, nous ne communiquons pas avec l'hérétique, à moins qu'il n'ait été baptisé dans l'Eglise, et qu'il n'ait reçu la rémission des péchés».
39. Je réponds: Si vous prétendez qu'on doit lui réitérer le baptême, parce qu'il n'a pas reçu la rémission des péchés, je vous présente un chrétien qui, en recevant le baptême, nourrissait de la haine contre son frère; comme vous connaissez cette parole infaillible (160) du Sauveur: «Si vous ne pardonnez pas, vous ne serez point pardonné (Mt 6,15)», ordonnerez-vous de lui réitérer le baptême, quand il se convertira? Non certes; eh bien! ne rebaptisez donc pas l'hérétique. A cette parole: «Nous ne communiquons pas avec l'hérétique»; Dativus ajoute aussitôt: «Du moins autant qu'il est en notre pouvoir»: cette observation ne doit pas être passée sous silence. En effet, il n'ignorait pas que l'opinion qu'il formulait n'était point partagée par beaucoup d'autres évêques, avec lesquels cependant lui et ses collègues devaient rester en communion, sous peine de produire aussitôt un schisme déplorable; de là ces mots: «Autant qu'il est en notre pouvoir». C'était dire clairement qu'il lui répugnait de rester en communion avec des hommes qu'il ne croyait pas baptisés, mais que la tolérance devait être sans borne quand il s'agissait de sauver le lien de la paix et de l'unité. C'est, d'ailleurs, ce que faisaient de leur côté ces autres évêques dont ils condamnaient la conduite et qui s'en tenaient rigoureusement à l'ancienne coutume dont la sagesse se révéla plus tard et fut confirmée par l'autorité d'un concile général. Tous ces évêques se partageaient en deux camps au point de vue de la réitération du baptême, et cependant ils se toléraient réciproquement dans la charité et s'appliquaient à conserver l'unité d'esprit dans le lien de la paix (Ep 4,2-3), jusqu'à ce qu'il plût à Dieu de révéler aux dissidents ce qu'ils devaient en croire (Ph 3,15). Voilà ce que ne devraient pas oublier ces Donatistes qui attaquent aujourd'hui l'unité, au nom d'un concile qui a prouvé de la manière la plus manifeste que l'unité doit survivre à toutes les différences d'opinions.


CHAPITRE XXIII.OPINION DE SUCCESSUS D'ABBIR.

40. «Rien n'est permis aux hérétiques, ou tout leur est permis. S'ils peuvent baptiser, ils peuvent donner le Saint-Esprit; mais s'ils ne peuvent donner le Saint-Esprit, parce qu'ils ne l'ont pas, ils ne peuvent baptiser spirituellement. Voilà pourquoi nous pensons que l'on doit baptiser les hérétiques»;
41. Pour répondre à Successus, je puis me servir de ses propres expressions. Rien n'est permis aux homicides ou tout leur est permis. S'ils peuvent baptiser, ils peuvent également donner le Saint-Esprit; et s'ils ne peuvent pas donner le Saint-Esprit, parce qu'ils ne l'ont pas, ils ne peuvent baptiser spirituellement. Voilà pourquoi nous pensons que l'on doit baptiser tous ceux qui l'ont été par des homicides, ou tous ceux qui en recevant le baptême étaient des homicides non convertis. Or, cette conclusion est évidemment fausse. En effet, «celui qui hait son frère est homicide (1Jn 3,15)»; et cependant Cyprien connaissait de son temps dans l'unité des ministres qui baptisaient malgré la haine qu'ils nourrissaient dans leur coeur. Le raisonnement ne prouve donc pas davantage en faveur de la réitération du baptême aux hérétiques.


CHAPITRE XXIV.OPINION DE FORTUNATUS DE THUCCABORUM.

42 «Jésus-Christ notre Seigneur et notre Dieu, Fils de Dieu le Père et Créateur, a fondé son Eglise sur la pierre et non pas sur l'hérésie; il a donné le pouvoir, de baptiser aux évêques et non aux hérétiques. Voilà pourquoi ceux qui sont hors de l'Eglise, ceux qui se posent en ennemis de Jésus-Christ, et dispersent ses ouailles et son troupeau, ne peuvent baptiser hors de l'Eglise».

43. Ces mots «hors de l'Eglise», nous obligent à certains développements dans notre réponse. Car autrement je lui répondrais dans les mêmes termes Jésus-Christ notre Seigneur et notre Dieu, Fils de Dieu le Père et Créateur, a fondé son Eglise sur la pierre et non sur l'iniquité; c'est aux évêques qu'il a donné le pouvoir de baptiser et non point aux pécheurs. Voilà pourquoi ceux qui n'appartiennent pas à la pierre, sur laquelle édifient les justes qui entendent et accomplissent la parole de Dieu; ceux qui vivent contre Jésus-Christ dont ils entendent et n'accomplissent pas la parole, édifient sur le sable, et par l'exemple de leurs moeurs criminelles corrompent les brebis du Christ et dispersent son troupeau, ceux-là ne peuvent baptiser.Ainsi formulée, cette proposition n'est que l'équivalent de celle de Fortunatus, et cependant elle est fausse. En effet, les pécheurs baptisent, car on doit regarder comme pécheurs (161) ces voleurs que Cyprien rencontrait dans l'unité et auxquels il reprochait leurs désordres ( Disc., sur les Tombés ). Mais Fortunatus a ajouté ces mots: «Hors de l'Eglise». Pourquoi donc ne peuvent-ils pas baptiser hors de l'Eglise? Sont-ils plus coupables par cela même qu'ils sont dans le schisme? Mais nous avons dit que l'intégrité du baptême est indépendante des dispositions plus mauvaises du ministre. Car entre un ministre bon et un ministre plus coupable, la différence n'est pas aussi grande qu'entre un ministre bon et un ministre mauvais; et cependant, lorsqu'un pécheur baptise, il donne absolument ce que donne un saint ministre. Par conséquent, lorsqu'un plus grand pécheur baptise, il ne donne pas autre chose que ce que donne un pécheur moins coupable. Ou bien, si le sacrement de baptême ne peut être conféré dans le schisme, cette impossibilité vient-elle, non pas du mérite du ministre, mais du sacrement lui-même? En ce cas, la possession seule du baptême ne serait même pas possible dans le schisme, et dès lors il faudrait réitérer le baptême autant de fois qu'il plairait à un catholique de quitter l'unité pour se jeter dans le schisme.

44. Mais demandons-nous sérieusement ce que signifient ces mots: «Hors de l'Eglise»; nous le devons d'autant plus que Fortunatus a fait mention de cette pierre sur laquelle Jésus-Christ a fondé son Eglise. Or, tous ceux qui sont dans l'Eglise, sont-ils sur la pierre? et ceux qui ne sont pas sur la pierre, sont-ils par là même hors de l'Eglise? Voyons s'ils construisent leur édifice sur la pierre, ceux qui entendent la parole de Jésus-Christ et cependant ne la mettent point en pratique. Le Sauveur les réfute lui-même par ces paroles «Celui qui entend ma parole et l'accomplit, je le comparerai à cet homme prudent qui bâtit sa maison sur la pierre»; un peu plus loin il ajoute: «Celui qui entend ma parole et ne l'accomplit pas, je le comparerai à cet insensé qui bâtit sa maison sur le sable (Mt 7,21-26)». Si donc l'Eglise est sur la pierre, ceux qui sont sur le sable, puisqu'ils sont hors de la pierre, sont par là même hors de l'Eglise. Maintenant rappelons-nous la multitude de ceux dont nous parle Cyprien, et qui jusque dans le sein de l'unité ne bâtissent que sur le sable, c'est-à-dire qu'ils entendent la parole de Jésus-Christ, et ne la mettent pas en pratique. Par cela même qu'ils sont sur le sable, il est prouvé qu'ils sont hors de l'Eglise; et cependant ils baptisent et sont baptisés sans qu'ils aient opéré dans leur conduite aucun changement sérieux; dans cet état, ils ne peuvent attendre que la damnation éternelle, et toutefois le baptême habite en eux dans toute son intégrité.

45. Mais, dira-t-on peut-être, quel est l'homme dont on puisse dire qu'il accomplit toutes les paroles du Seigneur, renfermées dans ce discours à la fin duquel le Sauveur ajoutait que celui qui écoute et accomplit sa parole, bâtit sur la pierre, tandis que celui qui l'écoute et ne l'accomplit pas ne bâtit que sur le sable? Oui, sans doute, il en est beaucoup qui n'accomplissent pas toutes ces paroles, mais ce même discours leur offre le remède dans ces mots: «Pardonnez et il vous sera pardonné (Lc 6,37)». C'est dans ce même discours que nous trouvons l'oraison dominicale; or, cette oraison est suivie de ces belles paroles: «Je vous l'affirme, si vous pardonnez aux hommes leurs péchés, votre Père céleste vous pardonnera les vôtres; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père céleste ne vous pardonnera pas (Mt 6,14-15)». De là ces mots de saint Pierre: «La charité couvre la multitude des péchés (1P 4,8)». Or, ceux que Cyprien nous représente, dès les temps apostoliques, se livrant à la malveillance et à la jalousie (Lettre LXXII1,à Jubaianus), n'avaient assurément pas la charité et par là même bâtissaient sur le sable. Ils paraissaient appartenir à l'unité, mais en réalité ils étaient hors de l'Eglise, puisqu'ils n'étaient pas sur cette pierre, image symbolique de l'Eglise.

CHAPITRE XXV.OPINION DE SÉDATUS DE TUBURBE.

46. «Autant l'eau sanctifiée dans l'Eglise par la prière du prêtre a d'efficacité pour effacer les péchés, autant cette même eau souillée par la parole de l'hérétique, comme par un cancer, a la vertu de multiplier les péchés. Voilà pourquoi nous devons déployer pacifiquement toutes nos forces, pour empêcher qu'un hérétique ne s'aveugle au point de refuser le seul véritable baptême sans lequel il est impossible à qui que (162) ce soit de parvenir au bonheur du ciel».
47. Je réponds à Sédatus que si l'eau n'est pas sanctifiée, lorsque par ignorance le suppliant prononce quelques paroles erronées, beaucoup de nos frères, non-seulement des pécheurs, mais des justes, ne sanctifient pas l'eau dans le sein même de l'Eglise. En effet, combien de formules de prières, récitées par des savants, se trouvent avoir besoin de corrections, et renfermer des propositions contraires à la foi catholique? S'il se rencontrait par hasard quelque fidèle, dont le baptême ait été accompagné de ces sortes de prières prononcées dans la bénédiction de l'eau, devrait-on les obliger à la réitération de ce sacrement? Pourquoi les y obliger? L'intention de celui qui prie suffit seule le plus souvent pour corriger le vice de la prière; et puis, du moment que le ministre a employé les paroles évangéliques, sans lesquelles le baptême ne saurait être conféré, ces paroles ont par elles-mêmes assez d'efficacité pour détruire, dans la prière, ce qu'il pourrait y avoir de vicieux et de contraire à la foi catholique; ne suffit-il pas d'invoquer le nom de Jésus pour chasser les démons?De son côté, quand un hérétique se sert d'une formule vicieuse, il n'a point en lui-même la charité pour contre-balancer son ignorance, et l'on peut très-justement lui comparer ce ministre catholique, jaloux et malveillant, dont Cyprien nous fait une si triste peinture. Je suppose donc sur ses lèvres telle ou telle prière contraire à la foi; car, combien se servent de prières composées non-seulement par des auteurs ignorants, mais encore parées hérétiques, et les répètent sans les comprendre, sans pouvoir discerner les erreurs qu'elles renferment, et les croyant parfaitement orthodoxes! Quoi qu'il en soit, la perversité personnelle de celui qui prie ne détruit pas ce qu'il y a de légitime dans ses prières; au contraire, ce qu'il y a de bon dans ses prières détruit ce qu'il y a de mauvais dans sa personne. Qu'il s'agisse, par exemple, d'un homme doué d'une espérance légitime et d'une foi probable, par cela même qu'il est homme il peut se tromper; or, la fausse opinion qu'il se fait sur un point, ne détruit pas la croyance légitime qu'il possède sur d'autres points, en attendant que Dieu lui révèle ce qu'il doit croire sur le sujet qui cause son erreur (Ph 3,15).Quant au ministre mauvais et pervers, lors même que la prière qu'il récite serait exacte et de tous points orthodoxe, il ne doit point conclure qu'il est bon lui-même, parce que sa prière est bonne. Et s'il se sert d'une formule erronée, n'oublions pas que c'est de Dieu seul que vient l'efficacité des paroles évangéliques, sans lesquelles aucune collation du baptême n'est possible, n'oublions pas que c'est Dieu lui-même qui sanctifie son sacrement et lui confère toute sa puissance pour le salut de l'homme, soit avant qu'il soit baptisé, soit lorsqu'il est baptisé, soit après qu'il a été baptisé, c'est-à-dire lorsqu'une conversion sincère est venue détruire tous les obstacles qui empêchaient le baptême de produire ses effets et faisaient de ce principe de salut un principe de damnation. D'ailleurs personne n'ignore que si les paroles de la forme telles qu'elles se trouvent dans l'Evangile ne sont pas prononcées, le baptême n'existe pas. Mais je dois ajouter qu'il y a plus d'hérétiques pour s'abstenir de baptiser, qu'il n'y en a pour omettre ces paroles en baptisant. Mettant donc de côté tous ces rites idolâtriques et sacrilèges que l'on voudrait assimiler au baptême, nous disons que le baptême de Jésus-Christ, c'est-à-dire le baptême conféré avec les paroles de l'Evangile, est partout essentiellement le même et ne peut être violé par la perversité, si grande fût-elle, de quelque ministre que ce soit.
48. Dans la proposition de Sédatus, nous devons une attention spéciale à ces paroles: «Voilà pourquoi il nous faut déployer pacifiquement toutes nos forces, pour empêcher qu'un hérétique», etc. Nous retrouvons dans cette phrase la pensée de saint Cyprien: «Ne jugeant personne, et nous abstenant de refuser le droit de communion à celui qui partagerait une opinion différente (Discours d'ouverture du concile)». Voilà ce que peut, dans les enfants soumis de l'Eglise, l'amour de la paix et de l'unité; se trouvant en face d'hommes qu'ils regardaient comme des sacrilèges et des profanateurs privés du baptême, et néanmoins admis dans l'Eglise, s'ils ne pouvaient les convertir, ils se résignaient à les tolérer, plutôt que de rompre, à leur occasion, le lien de l'uni té, et de s'exposer peut-être à arracher le bon grain avec la zizanie (Mt 13,29). S'inspirant pour ainsi dire du célèbre jugement rendu par Salomon, ils (163) préféraient que le corps de l'enfant fût nourri par celle qui n'en était pas la mère véritable plutôt que de le couper en deux (1R 3,26). C'est là ce que faisaient au spirituel tous ces évêques, soit ceux qui avaient conservé les véritables notions du baptême, soit ceux qui s'étaient fait une opinion erronée, mais dont la charité avait le droit d'attendre de Dieu qu'il leur révélât ce qu'ils devaient croire.


CHAPITRE 26.OPINION DE PRIVATIANUS DE SUFETULA.

49. «Que celui qui accorde aux hérétiques le pouvoir de baptiser, nous dise d'abord quel est l'auteur des hérésies. Car si l'hérésie vient de Dieu, elle peut être l'objet de l'indulgence divine; mais si elle ne vient pas de Dieu, comment peut-elle avoir ou conférer la grâce de Dieu?»
50. Je répondrai dans les mêmes termes: Que celui qui accorde aux malveillants et aux envieux le pouvoir de baptiser, nous dise d'abord quel est l'auteur de la malveillance et de la jalousie. Car si la jalousie et la malveillance viennent de Dieu, elles peuvent être l'objet de l'indulgence divine; mais si elles ne viennent pas de Dieu, comment peuvent-elles avoir ou conférer à d'autres la grâce de Dieu? Comme ma réponse est évidemment un mensonge, la proposition de Privatianus est également une erreur. En effet, les malveillants et les envieux confèrent le baptême, et appartiennent à l'unité, comme nous l'atteste Cyprien lui-même. Par la même raison, les hérétiques peuvent également baptiser, car le baptême est le sacrement de Jésus-Christ, tandis que la jalousie et l'hérésie sont l'oeuvre du démon, et dussent-elles se trouver dans un seul et même homme, elles ne font pas que le sacrement de Jésus-Christ, dans celui qui le possède, soit compté au nombre des oeuvres du démon.


CHAPITRE 26I.OPINION DE PRIVATUS DE SUFIBE.

51. «Ceux qui ratifient le baptême des hérétiques, ne se mettent-ils pas en communion avec les hérétiques?»
52. Je réponds: Le baptême que nous ratifions dans les hérétiques n'est pas le baptême des hérétiques; comme le baptême que nous ratifions dans les avares, les fourbes, les séducteurs, les voleurs et les envieux, n'est pas leur propre baptême. Ils sont tous pécheurs; mais -Jésus-Christ est juste, et toutes leurs iniquités ne peuvent souiller ce sacrement, du moins en ce qui le constitue essentiellement. S'il en était autrement, on pourrait dire avec autant de raison: Ceux qui ratifient le baptême des pécheurs, se mettent par là même en communion avec les pécheurs. Quiconque poserait cette objection à l'Eglise catholique devrait donc s'attendre à recevoir la même réponse.


CHAPITRE 28.OPINION D'HORTENSIANUS DE LARIBE.

53. «Quant à savoir combien il y a de baptêmes, nous en laissons le soin aux partisans ou aux fauteurs des hérétiques; pour ce qui nous regarde, nous ne connaissons qu'un seul baptême, qui ne se trouve que dans l'Eglise et que nous n'attribuons qu'à l'Eglise. Comment, du reste, pourraient baptiser au nom du Christ ceux que le Christ nous signale comme étant ses adversaires?»
54. Nous lui répondons dans les mêmes termes: Qu'en pensent les partisans ou les fauteurs des pécheurs? nous ne connaissons qu'un seul baptême, celui de l'Eglise, et quelque part que nous puissions le rencontrer, c'est à l'Eglise que nous l'attribuons. Comment donc peuvent baptiser au nom de Jésus-Christ, ceux que Jésus-Christ lui-même nous signale comme étant ses adversaires? N'est-ce pas à tous les pécheurs que s'adresse cette parole: «Je ne vous connais pas; retirez-vous de moi, vous tous qui accomplissez l'iniquité (Mt 7,23)?» Toutefois, lorsque ces pécheurs baptisent, ce ne sont pas eux qui baptisent, mais celui dont saint Jean a dit: «C'est lui qui baptise (Jn 1,33)».


CHAPITRE XXIX.OPINIONDE CASSIUS DE MACOMADE.

55. «Puisqu'il ne peut y avoir deux baptêmes, celui qui concède ce sacrement aux hérétiques se le refuse à lui-même. En conséquence, je déclare que ces malheureux (165) hérétiques doivent être baptisés lorsqu'ils demandent à entrer dans l'Eglise. Quand donc ils auront été purifiés dans le bain sacré et éclairés de la lumière de la vie; quand, d'ennemis qu'ils étaient, ils seront devenus partisans de la paix; qu'ils ne seront plus des étrangers, mais des serviteurs fidèles de Jésus-Christ; qu'ils ne seront plus des adultères, mais les enfants de Dieu; quand enfin ils n'appartiendront plus à l'erreur mais au salut, alors seulement ils seront reçus dans l'Eglise. Quant à ceux qui après avoir été baptisés dans le sein de l'Eglise, se sont précipités dans les ténèbres de l'hérésie, c'est uniquement par l'imposition des mains qu'ils pourront se faire réintégrer».
56. On pourrait dire également: Puisqu'il ne peut y avoir deux baptêmes de Jésus-Christ, celui qui concède ce sacrement aux pécheurs se le refuse à lui-même. Mais Cassius et ses collègues répondraient avec nous: Nous concédons le baptême aux pécheurs parce que, s'ils sont les auteurs de leur propre iniquité, ils ne sont point les auteurs du baptême; Jésus-Christ en est l'auteur, ce sacrement n'appartient qu'à lui, et ne saurait être souillé par l'iniquité des pécheurs. Or, ce qu'ils diraient avec nous en parlant des pécheurs, qu'ils le disent en parlant des hérétiques. Par conséquent, voici la seule conclusion qu'ils auraient dû tirer: Je déclare que ces malheureux hérétiques, lorsqu'ils demandent à entrer dans l'Eglise, ne doivent point être baptisés s'ils ont déjà reçu le baptême de Jésus-Christ; il suffit qu'ils se convertissent et renoncent à leur perversité. On dirait également des pécheurs, parmi lesquels les hérétiques ne forment qu'une catégorie particulière: Je déclare que s'ils sont déjà baptisés on ne doit pas leur réitérer le baptême, lorsqu'ils demandent à venir à l'Eglise, c'est-à-dire à cette pierre, hors de laquelle sont tous ceux qui entendent la parole de Jésus-Christ et ne l'accomplissent pas. Quand donc, au baptême qu'ils ont déjà reçu, viendront s'ajouter les lumières de la vie; quand d'ennemis qu'ils étaient ils seront devenus partisans de la paix, car les pécheurs ne goûtent pas les douceurs de la paix; quand ils ne seront plus des étrangers mais des serviteurs fidèles de Jésus-Christ, car c'est aux pécheurs qu'il est dit: «Vigne étrangère, comment vous êtes-vous changée en amertume (Jr 2,21)?» quand ils ne seront plus des fils adultérins mais des enfants de Dieu, car les pécheurs. sont les enfants du démon; quand enfin ils n'appartiendront plus à l'erreur mais au salut, car l'iniquité ne sauve pas; alors seulement ils seront reçus dans l'Eglise, c'est-à-dire sur cette pierre, dans cette colombe, dans ce jardin fermé, dans cette fontaine scellée que l'on ne trouve qu'avec le froment, et non point parmi la paille, soit que le vent l'ait dispersée au loin, soit qu'elle paraisse destinée à rester avec le froment jusqu'à la purification dernière. C'est donc en vain que Cassius ajoutait: «J'excepte ceux qui, après avoir reçu le baptême dans l'Eglise, se sont précipités dans les ténèbres de l'hérésie». S'ils omit perdu le baptême en se séparant de l'Eglise, qu'on le leur rende; et s'ils ne l'ont pas perdu, qu'on. sache reconnaître la validité du sacrement qu'ils ont conféré.


CHAPITRE XXX.OPINION DE JANUARIUS DE CÉSARÉE.

57. «Si l'erreur n'obéit pas à la vérité, à plus forte raison la vérité ne doit-elle pas céder à l'erreur. Voilà pourquoi, nous qui sommes établis les pasteurs de l'Eglise, et qui revendiquons pour nous seuls le véritable baptême, nous nous faisons un devoir de baptiser ceux qui n'ont pas été baptisés par l'Eglise».
58. Je réponds: Ceux qui sont baptisés par l'Eglise, le sont également par cette pierre hors de laquelle se trouvent tous ceux qui entendent la parole de Jésus-Christ, et refusent de l'accomplir. Par là même, tous ceux qui ont été baptisés par ces derniers doivent de nouveau recevoir le baptême. Si vous niez cette obligation, niez-la donc également pour les hérétiques; et, pourvu qu'ils se convertissent et réprouvent leur perversité, empressez-vous de reconnaître en eux et de ratifier le saint baptême.


CHAPITRE XXXI.OPINION DE SECUNDINUS DE CARPES.

59. «Les hérétiques sont-ils chrétiens, ou ne le sont-ils pas? S'ils sont chrétiens, pourquoi ne sont-ils pas dans l'Eglise de (165) Dieu? Et s'ils ne sont pas chrétiens, qu'ils le deviennent. Autrement, que peut signifier cette parole du Seigneur: Celui qui n'est pas avec moi est contre moi, et celui qui ne recueille pas avec moi, disperse (Mt 12,30)? Il suit de là que la seule imposition des mains ne saurait suffire pour faire descendre le Saint-Esprit sur ces enfants étrangers, sur cette génération de l'antéchrist, puisqu'il est évident que les hérétiques n'ont pas le baptême».
60. Je réponds: Les pécheurs sont-ils chrétiens ou ne le sont-ils pas? S'ils sont chrétiens, pourquoi ne le sont-ils pas sur cette pierre sur laquelle est fondée l'Eglise? Ils n'y sont pas cependant, puisqu'ils entendent la parole de Jésus-Christ et refusent de l'accomplir. Or, s'ils ne sont pas chrétiens, qu'ils le deviennent. Autrement, que signifierait cette parole du Sauveur: Celui qui n'est pas «avec moi, est contre moi, et celui qui ne recueille pas avec moi, disperse?» En effet, n'est-ce point disperser les brebis de Jésus-Christ, que de les entraîner par l'exemple dans les voies de la dépravation? Il suit de là que la seule imposition des mains, si elle n'est pas accompagnée d'une véritable conversion du coeur, ne saurait suffire pour faire descendre le Saint-Esprit sur des enfants étrangers, comme sont tous les pécheurs, et sur la génération de l'antéchrist, à laquelle appartiennent tous ceux qui se posent en ennemis de Jésus-Christ. N'est-il pas évident que les pécheurs, tant qu'ils restent pécheurs, s'ils peuvent avoir le baptême, ne peuvent du moins avoir le salut, dont le sacrement de baptême est le principe nécessaire?Voyons donc si nous pouvons appliquer aux hérétiques les caractères sous lesquelsnous sont dépeints les enfants étrangers dans ce passage du psaume: «Seigneur, délivrez-moi de la main des enfants étrangers, dont la bouche n'a prononcé que des faussetés, et dont la main ne sert qu'à l'iniquité. Leurs fils sont comme de nouvelles plantes dans la première vigueur de leur jeunesse; leurs filles sont d'une belle figure et parées comme un temple. Leurs celliers sont remplis ils se déversent l'un dans l'autre. Leurs brebis sont fécondes; on les voit sortir en foule de leurs étables; leurs vaches sont chargées de graisse. Il n'y a, dans les places de leurs villes, ni maisons ruinées, ni danger d'irruption de la part de l'ennemi, ni cris de sédition. On a dit: Heureux le peuple qui jouit de ces avantages; mais heureux le peuple qui n'a que Dieu pour maître (Ps 143,7-15)». Si donc ce sont là des enfants étrangers qui placent leur bonheur dans les choses temporelles et dans l'abondance d'une félicité terrestre, tandis qu'ils méprisent les préceptes divins, voyons si ce n'est point la peinture fidèle de ceux avec lesquels Cyprien restait en communication de sacrements, et auxquels il prêtait le langage suivant: «Tandis que nous ne suivons pas la voie du Seigneur, et que nous n'observons pas les commandements célestes qui nous ont été donnés pour nous conduire au salut. Notre Seigneur a fait la volonté de son Père, et nous ne faisons pas la volonté du Seigneur; nous n'avons de souci que pour accroître notre patrimoine ou augmenter nos richesses, nous nous abandonnons à l'orgueil, et le reste ( Lettre 11,aux Clercs ).» Or, si de tels clercs pouvaient avoir et conférer le baptême, pourquoi donc en refuser la possession aux enfants étrangers? Et cependant Cyprien se contente de les exhorter à l'observation despréceptes divins, proclamés par le Fils de Dieu; à ce prix seulement ils mériterontd'être les frères de Jésus-Christ et les enfants de Dieu.


CHAPITRE 32.OPINION DE VICTORICUS DE THABRACA.

61. «S'il est permis aux hérétiques de baptiser et de conférer la rémission des péchés,«pourquoi donc les couvrir d'ignominie jusqu'à les appeler hérétiques?»
62. Ne pourrait-on pas lui répliquer: S'il est permis aux pécheurs de baptiser et de conférer la rémission des péchés, pourquoi donc les couvrir d'ignominie jusqu'à les nommer pécheurs? Les arguments à apporter contre les uns, sont les mêmes à apporter contre les autres; en d'autres termes, le baptême qu'ils confèrent n'est pas leur propre baptême, et par conséquent il ne suffit pas de posséder le baptême de Jésus-Christ pour être parfaitement assuré de la rémission de ses péchés; cette rémission exige comme condition indispensable une véritable conversion du coeur.


CHAPITRE XXXIII.OPINION DE FÉLIX D'UTHINE.

63. «Bien-aimés collègues, il n'est un doute pour personne que la présomption humaine, si grande fût-elle, ne peut rien en comparaison de l'adorable et imposante majesté de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Nous souvenant donc du danger que courent les hérétiques, proclamons d'un accord unanime la nécessité de baptiser tous les hérétiques qui demandent à entrer dans le sein de l'Eglise notre mère; de cette manière, l'esprit de ces hérétiques, jusque-là souillé par une longue iniquité, trouvera dans le baptême une purification complète et le principe d'une rénovation salutaire».
64. Sans doute que cet évêque qui trouve dans une longue souillure à purifier, la cause principale de la réitération du baptême aux hérétiques, ferait grâce à ceux qui n'auraient appartenu que fort peu de temps à l'hérésie, et après une prompte conversion seraient entrés dans 1'Eglise catholique. De même il n'a pas remarqué que son raisonnement pourrait fort bien s'appliquer aux pécheurs qui veulent rentrer dans l'Eglise et qu'on devrait leur réitérer le baptême, pour purifier et renouveler l'esprit pervers qui les retenait hors d-e la pierre unique, et ne leur permettait de bâtir que sur le sable, puisqu'ils se contentaient d'écouter la parole de Jésus-Christ sans l'accomplir. Pourtant, dussent-ils le recevoir de nouveau et indéfiniment, le baptême ne produirait pour eux ni justification, ni rénovation, si en le recevant ils ne renonçaient au siècle que du bout des lèvres et non point par leurs oeuvres.



Augustin, du Baptême - CHAPITRE XIX.OPINION DE FELIX DE BAGAÜM.