Augustin, Cité de Dieu 1924

1924

CHAPITRE XXIV.

SUIVANT QUELLE DÉFINITION L'EMPIRE ROMAIN, AINSI QUE LES AUTRES ÉTATS, PEUVENT S'ATTRIBUER JUSTEMENT LES NOMS DE PEUPLE ET DE RÉPUBLIQUE.

Mais écartons cette définition du peuple, et supposons qu'on en choisisse une autre, par exemple celle-ci: Le peuple est une réunion d'êtres raisonnables qui s'unissent afin de jouir paisiblement ensemble de ce qu'ils aiment. Pour savoir ce qu'est chaque peuple, il faudra examiner ce qu'il aime. Toutefois, quelque chose qu'il aimes du moment qu'il y a une réunion, non de bêtes, mais de créatures raisonnables, unies par la communauté des mêmes intérêts, on peut fort bien la nommer un peuple, lequel sera d'autant meilleur que les intérêts qui le lient seront plus nobles et d'autant plus mauvais qu'ils le seront moins. Suivant cette définition, le peuple romain es-t un peuple, et son gouvernement est sans doute une république. Or, l'histoire nous apprend ce qu'a aimé ce peuple au temps de son origine et aux époques suivantes, et comment il a été entraîné à de cruelles séditions par la dépravation de ses moeurs, et de là conduit aux guerres civiles et sociales, où il a sapé dans sa base la concorde qui est en quelque sorte le salut du peuple. Je ne

1. Voyez plus haut, livre 10,ch. 6 et ailleurs

(446)

voudrais cependant pas dire qu'à ce moment l'empire romain ne fût plus un peuple, ni son gouvernement une république, tant qu'il est resté une réunion de personnes raisonnables liées ensemble par un intérêt commun. Et ce que j'accorde pour ce peuple, je l'accorde également pour les Athéniens, les Egyptiens, les Assyriens, et pour tout autre empire, grand ou petit; car, en général, la cité des impies, rebelle aux ordres du vrai Dieu qui défend de sacrifier à d'autres qu'à lui, et partant incapable de faire prévaloir l'âme sur le corps et la raison sur les vices, ne connaît point la justice véritable.


1925

CHAPITRE XXV.

IL N'Y A POINT DE VRAIES VERTUS OU IL N'Y A POINT DE VRAIE RELIGION.

Quelque heureux empire que l'âme semble avoir sur le corps, et la raison sur les passions, si l'âme et la raison ne sont elles-mêmes soumises à Dieu et ne lui rendent le culte commandé par lui, cet empire n'existe pas dans sa vérité. Comment une âme qui ignore le vrai Dieu et qui, au lieu de lui être assujétie, se prostitue à des démons infâmes, peut-elle être maîtresse de son corps et de ses mauvaises inclinations? C'est pourquoi les vertus qu'elle pense avoir, si elle ne les rapporte à Dieu, sont plutôt des vices que des vertus. Car, bien que plusieurs s'imaginent qu'elles sont des vertus véritables, quand elles se rapportent à elles-mêmes et n'ont qu'elles-mêmes pour fin, je dis que même alors elles sont pleines d'enflure et de superbe, et ainsi elles ne sont pas des vertus, mais des vices 1 . En effet, comme ce qui fait vivre le corps n'est pas un corps, mais quelque chose au-dessus du corps, de même ce qui rend l'homme bienheureux ne vient pas de l'homme, mais est au-dessus de l'homme; et ce que je dis de l'homme est vrai de tous les esprits célestes.


1926

CHAPITRE 26.

LE PEUPLE DE DIEU, EN SON PÈLERINAGE ICI-BAS, FAIT SERVIR LA PAIX DU PEUPLE SÉPARÉ DE DIEU AUX INTÉRÊTS DE LA PIÉTÉ.

Ainsi, de même que l'âme est la vie du corps, Dieu est la vie bienheureuse de

1. Comparez saint Augustin, aux livres 11II et 11V de son traité De la Trinité (XI1,n. 25, 26; 14,n.3 )

l'homme, d'où vient cette parole des saintes lettres des Hébreux: «Heureux le peuple qui a son Seigneur en son Dieu 1». Malheureux donc le peuple qui ne reconnaît pas ce Dieu I Il ne laisse pas pourtant de jouir d'une certaine paix qui n'a rien de blâmable en soi mais il n'en jouira pas à la fin, parce qu'il n'en use pas bien avant la fin. Or, nous chrétiens, c'est notre intérêt qu'il jouisse de la paix pendant cette vie; car, tant que les deux cités sont mêlées ensemble, nous nous servons aussi de la paix de Babylone, tout en étant affranchis de son joug par la foi et ne faisant qu'y passer comme des voyageurs. C'est pour cela que l'Apôtre avertit l'Eglise de prier pour les rois et les puissants du siècle, «afin, dit-il, que nous menions une vie tranquille en toute piété et charité 2». Lorsque Jérémie prédit à l'ancien peuple d'Israël sa captivité et lui recommande au nom de Dieu d'aller à Babylone sans murmurer, afin de donner au Seigneur cette preuve de sa patience, il l'avertit aussi de prier pour cette ville, «parce que, dit-il, vous trouverez votre paix dans la sienne 3»; c'est-à-dire une paix temporelle, celle qui est commune aux bons et aux méchants.


1927

CHAPITRE 26I.

LA PAIX DES SERVITEURS DE DIEU NE SAURAIT ÊTRE PARFAITE EN CETTE VIE MORTELLE.

Mais il y a une autre paix, qui est propre à la Cité sainte, et celle-là, nous en jouissons avec Dieu par la foi 4, et nous l'aurons un jour éternellement avec lui par la claire vision. Ici-bas, au contraire, la paix dont nous jouissons, publique ou particulière, est telle qu'elle sert plutôt à soulager notre misère qu'à procurer notre félicité. Notre justice même,. quoique vraie en tant que nous la rapportons au vrai bien, est si défectueuse en cette vie qu'elle consiste plutôt dans la rémission des péchés que dans aucune vertu parfaite. Témoin la prière de toute la Cité de Dieu étrangère en ce monde, et qui crie à Dieu par la bouche de tous ses membres: «Pardonnez nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés 5». Et cette prière ne sert de rien à ceux dont la foi sans oeuvres est une foi morte 6, mais seulement à

1. Ps 143,15 –2. 1Tm 2,2 –3. Jr 29,7 –4. 2Co 5,7 –5. Mt 6,12 –6. Jc 2,7

(447)

ceux dont la foi opère par amour 1. Les justes mêmes ont besoin de cette prière; car bien que leur âme soit soumise à Dieu, la raison ne commande jamais parfaitement aux vices en cette vie mortelle et dans- ce corps corruptible qui appesantit l'âme 2; car elle ne leur commande pas sans combat et sans résistance. C'est pourquoi, avec quelque vigilance que l'on combatte en ce lieu d'infirmité, et quelque victoire qu'on remporte sur ses ennemis, on donne quelque prise sur soi, sinon par les actions, du moins par les paroles ou par les pensées. Tant que l'on ne fait que commander aux vices, on ne jouit pas encore d'une pleine paix, parce que ce qui résiste n'est jamais dompté sans danger, et l'on ne triomphe pas en repos de ceux qui sont domptés, parce qu'il faut toujours veiller à ce qu'ils ne se relèvent pas. Parmi ces tentations dont l'Ecriture dit avec tant de concision, que «la vie de l'homme sur la terre est une continuelle tentation 3», qui présumera n'avoir point besoin de dire à Dieu: Pardonnez-nous nos offenses, si ce n'est l'homme superbe, qui n'a pas la glandeur, mais l'enflure, et à qui celui qui donne sa grâce aux humbles résiste avec justice? Ici donc la justice consiste, à l'égard de l'homme, à obéir à Dieu à l'égard du corps, à être soumis à l'âme, et à l'égard des vices, à les vaincre ou à leur résister par la raison, et à demander à Dieu sa grâce et le pardon de ses fautes, comme à le remercier des biens qu'on en a reçus. Mais dans cette paix finale, qui doit être le but de toute la justice que nous tâchons d'acquérir ici-bas, comme la nature sera guérie sans retour de toutes les mauvaises inclinations, et que nous ne sentirons aucune résistance ni en nous-mêmes, ni de la part des autres, il ne sera pas nécessaire que la raison commande aux passions qui ne seront plus, mais Dieu commandera à l'homme, et l'âme au corps, avec une facilité et une douceur qui répondra à un état si glorieux et si fortuné.Cet état sera éternel, et nous serons assurés de son éternité, et c'est en cela que consistera notre souverain bien.

1. Ga 5,6 –2. Sg 9,15 –3. Jb 6,1 –4. Jc 4,6



1928

CHAPITRE 28.

DE LA FIN DES MÉCHANTS.

Mais, au contraire, tous ceux qui n'appartiennent pas à cette Cité de Dieu, leur misère sera éternelle; c'est pourquoi l'Ecriture l'appelle aussi la seconde mort, parce que ni l'âme, ni le corps ne vivront: l'âme, parce qu'elle sera séparée de Dieu, qui est la vie, et le corps, parce qu'il souffrira d'éternelles douleurs. Aussi cette seconde mort sera la plus cruelle, parce qu'elle ne pourra finir par la mort. Or, la guerre étant contraire à la paix, comme la misère l'est à la béatitude et la mort à la vie, on peut demander si à ta paix dont on jouira dans le souverain bien répond une guerre dans le souverain mal. Que celui qui fait cette demande prenne garde à ce qu'il y a de mauvais dans la guerre, et il trouvera que cela ne consiste que dans l'opposition et la contrariété des choses entre elles. Quelle guerre donc plus grande et plus cruelle peut-on s'imaginer que celle où la volonté est tellement contraire à la passion et la passion à la volonté, que leur inimitié ne cesse jamais par, la victoire de l'une ou de l'autre, et où la douleur combat tellement contre le corps qu'aucun des deux adversaires ne triomphe jamais? Quand il arrive en ce monde un pareil combat, ou bien la douleur a le dessus, et la mort en ôte le sentiment, ou la nature est victorieuse, et la santé chasse ta douleur. Mais dans la vie à venir, la douleur demeurera pour tourmenter, et la nature subsistera pour sentir la douleur; car ni l'une ni l'autre ne sera détruite, afin que le supplice dure toujours. Or, comme c'est par le Jugement dernier que les bons et les méchants aboutiront, les uns au souverain bien et les autres au souverain mal, nous allons traiter ce sujet dans le livre suivant, s'il plaît à Dieu.

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20

LIVRE VINGTIÈME:

LE JUGEMENT DERNIER.

Du jugement dernier et des témoignages qui l'annoncent dans l'Ancien Testament et dans le Nouveau.


2001

CHAPITRE PREMIER.

ON NE TRAITERA PROPREMENT DANS CE LIVRE QUE DU JUGEMENT DERNIER, BIEN QUE DIEU JUGE EN TOUT TEMPS.

Ayant dessein présentement, avec la grâce de Dieu, de parler du jour du dernier jugement et d'en établir la certitude contre les impies et les incrédules, nous devons d'abord poser comme fondement de notre édifice les témoignages de l'Ecriture. Ceux qui n'y veulent point croire ne leur opposent que des raisonnements humains, pleins d'erreurs et de mensonges, tantôt soutenant que l'Ecriture doit s'entendre dans un autre sens, et tantôt qu'elle n'a point l'autorité de la parole divine. Pour ceux qui l'entendent en son vrai sens et qui croient qu'elle renferme la parole de Dieu, je ne doute point qu'ils n'y donnent leur assentiment, soit qu'ils le déclarent au grand jour, soit qu'ils rougissent ou qu'ils craignent, sous de vains scrupules, d'avouer leur foi, soit même que, par une opiniâtreté qui tient de la folie, ils s'obstinent à nier la vérité de choses qu'ils savent être vraies, la fausseté de choses qu'ils savent être fausses. Ainsi, ce que l'Eglise tout entière du vrai Dieu confesse et professe, à savoir que Jésus-Christ doit venir du ciel pour juger les vivants et les morts, voilà ce que nous appelons le dernier jour du jugement de Dieu, c'est-à-dire le dernier temps. Car combien de jours durera le jugement suprême? cela est incertain; mais personne n'ignore, pour peu qu'il soit versé dans l'Ecriture sainte, que sa coutume est d'employer le mot jour pour celui de temps. Quand donc nous parlons du jour du jugement, nous ajoutons dernier ou suprême, parce que Dieu juge sans cesse et qu'il a jugé dès le commencement du genre humain, quand il a chassé du paradis et séparé de l'arbre de la vie les premiers hommes coupables. Bien plus, on peut dire qu'il a jugé, quand il a refusé son pardon 1 aux anges prévaricateurs, dont le

1. 2P 2,4


prince, vaincu par l'envie, trompa les hommes, après s'être trompé lui-même. Ce n'est pas non plus sans un juste et profond jugement de Dieu que les démons et les hommes mènent une vie si misérable et sujette à tant d'erreurs et de peines, les uns dans l'air, et les autres sur la terre. Mais quand personne n'aurait péché, ce serait encore par un jugement équitable de Dieu que toutes les créatures raisonnables demeureraient éternellement unies à leur Seigneur. Et il ne se contente pas de porter sur tous les démons et sur tous les hommes un jugement général, en ordonnant qu'ils soient misérables à cause du péché du premier ange et du premier homme; il juge encore en particulier les oeuvres que chacun d'eux accomplit en vertu de son libre arbitre. En effet, les démons le prient de ne point les tourmenter, et c'est avec justice qu'il les épargne ou les punit, selon qu'ils l'ont mérité. Lés hommes aussi sont punis de leurs fautes, le plus souvent d'une manière manifeste, et toujours du moins en secret 1, soit dans cette vie, soit après la mort, bien qu'aucun ne puisse faire le bien, s'il n'est aidé du ciel, ni faire le mal, si Dieu ne le permet par un jugement très juste. Car, ainsi que le dit l'Apôtre: «Il n'y a point d'injustice en Dieu 2»; et ailleurs: «Les jugements de Dieu sont impénétrables, et ses voies incompréhensibles 3». Mais nous ne parlerons dans ce livre ni des jugements que Dieu a rendus dès le principe, ni de ceux qu'il rend dans le présent, mais seulement du dernier jugement, alors que Jésus-Christ viendra du ciel juger les vivants et les morts. C'est bien là le jour suprême du jugement; car alors il n'y aura plus lieu à de vaines plaintes sur le bonheur du méchant ou sur le malheur du juste. Alors, en effet, la félicité véritable et éternelle des seuls justes, et le malheur irrévocable et mérité des seuls méchants seront également manifestes.

1. Mt 8,29 –2. Rm 10,14 -3. Rm 11,33

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2002

CHAPITRE II.

DU SPECTACLE DES CHOSES HUMAINES, OU L'ON NE PEUT NIER QUE LES JUGEMENTS DE DIEU NE SE FASSENT SENTIR, BIEN QU'ILS SE DÉROBENT SOUVENT A NOS REGARDS.

Nous apprenons ici-bas à souffrir patiemment les maux, parce que les bons même les souffrent, et à ne pas attacher un grand prix aux biens, parce que les méchants même y ont part. Ainsi nous trouvons un enseignement salutaire jusque dans les choses où les raisons de la conduite de Dieu nous sont cachées. Nous ignorons en effet par quel jugement de Dieu cet homme de bien est pauvre, et ce méchant opulent; pourquoi celui-ci vit dans la joie, lorsqu'il devrait être affligé en punition de ses crimes, tandis que celui-là qui devrait vivre dans la joie, à cause de sa conduite exemplaire, est toujours dans la peine. Nous ne savons pas pourquoi l'innocent n'obtient pas justice, pourquoi il est condamné, au contraire, et opprimé par un juge inique ou confondu par de faux témoignages, tandis que le coupable reste non-seulement impuni, mais encore insulte à l'innocent par son triomphe; pourquoi l'homme religieux est consumé par la langueur, tandis que l'impie est plein de santé. On voit des hommes jeunes et vigoureux vivre de rapines, et d'autres, incapables de nuire, même par un mot, être accablés de maladies et de douleurs. Ceux dont la vie pourrait être utile aux hommes sont emportés par une mort prématurée, et d'autres, qui ne méritaient pas de voir le jour, vivent plus longtemps que personne. Des infâmes, coupables de tous les crimes, parviennent au faîte des grandeurs, et l'homme sans reproche vit caché dans la plus humble obscurité!Encore si ces contradictions étaient ordinaires dans la vie, où, comme dit le Psalmiste:«L'homme n'est que vanité et ses jours passent comme l'ombre 1»; si les méchants possédaient seuls les biens temporels et terrestres, tandis que les bons souffriraient seuls tous les maux, on pourrait attribuer cette disposition à un juste jugement de Dieu, et même à un jugement bienveillant: on pourrait croire qu'il veut que les hommes qui n'obtiendront pas les biens éternels soient trompés ou consolés par les temporels, qui les

1. Ps 143,4

rendent heureux, et que ceux auxquels ne sont point réservées les peines éternelles, endurent quelques afflictions passagères en punition de fautes légères ou pour s'exercer à la vertu. Mais la plupart du temps, les méchants ont aussi leurs maux, et les bons leurs joies; ce qui rend les jugements de Dieu plus impénétrables et ses voies plus incompréhensibles. Et cependant, bien que nous ignorions par quel jugement Dieu fait ou permet ces choses, lui qui est la vertu, la sagesse et la justice suprêmes, lui qui n'a ni faiblesse, ni témérité, ni injustice, il nous est avantageux en définitive d'apprendre à ne pas estimer beaucoup des biens et des maux communs aux bons et aux méchants, pour ne chercher que des biens qui n'appartiennent qu'aux bons et pour fuir des maux quine sont propres qu'aux méchants. Lorsque nous serons arrivés à ce jugement suprême de Dieu, dont le temps s'appelle proprement le jour du jugement, et quelquefois le jour du Seigneur, alors nous reconnaîtrons la justice des jugements de Dieu, non-seulement de ceux qu'il rend maintenant, mais aussi des jugements qu'il a rendus dès le principe, et de ceux qu'il rendra jusqu'à ce moment. Alors on verra clairement la justice de Dieu, que la faiblesse de notre raison nous empêche de voir dans un grand nombre et presque dans le nombre entier de ses jugements, quoique d'ailleurs les âmes pieuses aient toute confiance en sa justice mystérieuse.


2003

CHAPITRE 3.

DU SENTIMENT DE SALOMON, DANS LE LIVRE DE L'ECCLÉSIASTE, SUR LES CHOSES QUI SONT COMMUNES AUX BONS ET AUX MÉCHANTS.

Salomon, le plus sage roi d'Israël, qui régna à Jérusalem, commence ainsi l'Ecclésiaste,que les Juifs, comme nous, reconnaissent pour canonique: «Vanité des hommes de vanité, a dit l'Ecclésiaste, vanité des hommes de vanité 1, et tout est vanité! Que revient-il à l'homme de tout ce travail qu'il accomplit sous le soleil 2?» Puis, rattachant à cettepensée le tableau des misères humaines, il rappelle les erreurs et les tribulations de cettevie, et démontre qu'il n'y a rien de stable ni

1. Saint Augustin avait d'abord admis la leçon de quelques manuscrits qui portent: Vanitas vanitantium! Plus tard, dans ses Rétractations (lib. 1,cap. 7,n. 3), il s'est prononcé pour la leçon aujourd'hui consacrée Vanitas vanitatum!
2. Si 1,2-3

(450)

de solide ici-bas. Au milieu de cette vanité des choses de la terre, il déplore surtout que, la sagesse ayant autant d'avantage sur la folie que la lumière sur les ténèbres, et le sage étant aussi éclairé que le fou est aveugle, tous néanmoins aient un même sort dans ce monde i, par où il veut dire sans doute que les maux sont communs aux bons et aux méchants. Il ajoute que les bons souffrent comme s'ils étaient méchants, et que les méchants jouissent des biens comme s'ils étaient bons. Et il parle ainsi: «Il y a encore une vanité sur la terre: on y voit des justes à qui le mal arrive comme à des impies, et des impies qui sont traités comme des justes. J'appelle aussi cela une vanité 2». Cet homme si sage consacre presque tout son livre à relever ces sortes de vanités, sans doute pour nous porter à désirer cette vie où il n'y a point de vanité sous le soleil, mais où brille la vérité sous celui qui a fait le soleil. Comment donc l'homme se laisserait-il séduire par ces vanités, sans un juste jugement de Dieu? Et toutefois, tandis qu'il y est sujet, ce n'est pas une chose vaine que de savoir s'il résiste ou s'il obéit à la vérité, s'il est vraiment religieux ou s'il ne l'est pas; cela importe beaucoup au contraire, non pour acquérir les biens de cette vie ou pour en éviter les maux, mais en vue du jugement dernier, où les biens seront donnés aux bons et les maux aux méchants pour l'éternité. Enfin le sage Salomon termine ainsi ce livre: «Craignez Dieu, et observez ses commandements, parce que là est tout l'homme. Car Dieu jugera toute oeuvre, celle même du plus méprisable, bonne ou mauvaise 3». Que dire de plus court, de plus vrai, de plus salutaire? «Craignez Dieu, dit-il, et observez ses commandements; car là est tout l'homme». En effet, tout homme n'est que le gardien fidèle des commandements de Dieu; celui qui n'est point cela n'est rien; car il n'est point formé à l'image de la vérité, tant qu'il demeure semblable à la vanité. Salomon ajoute: «Car Dieu jugera toute oeuvre, c'est-à-dire tout ce qui se fait en cette vie, celle même du plus méprisable», entendez: de celui qui paraît le plus méprisable et auquel les hommes ne font aucune attention; mais Dieu voit chaque action de l'homme, il n'en méprise aucune, et quand il juge, rien n'est oublié.

1. Si 2,13-14 -2. Si 8,14 -3. Si 12,13-14


2004

CHAPITRE IV.

IL CONVIENT, POUR TRAITER DU JUGEMENT DERNIER, DE PRODUIRE D'ABORD LES PASSAGES DU NOUVEAU TESTAMENT, PUIS CEUX DE L'ANCIEN.

Les preuves du dernier jugement de Dieu que nous voulons tirer de l'Ecriture sainte, nous les puiserons d'abord dans le Nouveau Testament, ensuite dans l'Ancien. Bien que l'Ancien soit le premier dans l'ordre des temps, le Nouveau néanmoins a plus d'autorité, parce que le premier n'a servi qu'à annoncer l'autre. Nous commencerons donc par les témoignages tirés du Nouveau Testament, et pour leur donner plus de poids, nous les confirmerons par ceux de l'Ancien. L'Ancien comprend la loi et les Prophètes; le Nouveau, l'Evangile et les Epîtres des Apôtres. Or, l'Apôtre dit: «La loi n'a servi qu'à faire connaître le péché, au lieu que maintenant la justice de Dieu nous est révélée sans la loi, quoique attestée par la loi et les Prophètes. La justice de Dieu est manifestée par la foi en Jésus-Christ à tous ceux qui croient en lui 1»Cette justice de Dieu appartient au Nouveau Testament et est confirmée par l'Ancien, c'est-à-dire par la loi et les Prophètes. Je dois donc exposer d'abord le point de la Cause pour produire ensuite les témoins. C'est Jésus-Christ lui-même qui nous apprend à observer cet ordre, lorsqu'il dit: «Un docteur bien instruit dans le royaume de Dieu est semblable à un père de famille qui tire de son trésor de nouvelles et de vieilles choses 2». Il ne dit pas de vieilles et de nouvelles choses, ce qu'il n'aurait certainement pas manqué de faire, s'il n'avait eu plus d'égard au prix des choses qu'au temps.


2005

CHAPITRE V.

PAROLES DU DIVIN SAUVEUR QUI ANNONCENT QU'IL Y AURA UN JUGEMENT DE DIEU A LA FIN DES TEMPS.

Le Sauveur lui-même, reprochant leur incrédulité à quelques villes où il avait fait degrands miracles, et leur en préférant d'autres qu'il n'avait point visitées: «Je vous déclare, disait-il, qu'au jour du jugement, Tyr et Sidon seront traitées moins rigoureusement que vous 3». Et quelque temps après, s'adressant à une autre ville: «Je t'assure, dit-il,

1. Rm 3,20-22 -2. Mt 13,52 - Mt 11,22-24

(451)
qu'au jour du jugement, Sodome sera traitée moins rigoureusement que toi». Il montre clairement par là que le jour du jugement doit arriver. Il dit encore ailleurs: «Les Ninivites s'élèveront, au jour du jugement, contre ce peuple et le condamneront, parce qu'ils ont fait pénitence à la prédication de Jonas, et qu'ici il y a plus que Jonas. La reine du Midi s'élèvera, au jour du jugement, contre ce peuple et le condamnera, parce qu'elle est venue des extrémités de la terre pour entendre la sagesse de Salomon, et qu'il y a ici plus que Salomon». Ce passage nous apprend deux vérités: la première, que le jour du jugement viendra; la seconde, que les morts ressusciteront en ce jour. Car en parlant des Ninivites et de la reine du Midi, Jésus parlait certainement d'hommes qui n'étaient plus, et il dit pourtant qu'ils revivront au jour du jugement. Et lorsqu'il dit qu'ils condamneront, ce n'est point qu'ils doivent juger eux-mêmes, mais c'est qu'en comparaison d'eux, les autres mériteront d'être condamnés.Ailleurs, à propos du mélange des bons et des méchants en ce monde et de leur séparation au jour du jugement, il se sert de la parabole d'un champ semé de bon grain, où l'on répand de l'ivraie, et l'expliquant à ses disciples: «Celui qui sème le bon grain, dit-il, est le Fils de l'homme; le champ, c'est le monde; le bon grain, ce sont les enfants du royaume, et l'ivraie les enfants du diable; l'ennemi qui l'a semée, c'est le diable; la moisson, c'est la fin du monde; les moissonneurs, ce sont les auges. Comme on amasse et comme on brûle l'ivraie, ainsi il sera fait à la fin du monde. Le Fils de l'homme enverra ses anges, et ils enlèveront de son royaume tous les scandales et tous ceux qui commettent l'iniquité, et ils les jetteront dans la fournaise ardente. Là il y aura des pleurs et des grincements de dents. Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur père. Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende 2». Il est vrai qu'il ne nomme pas ici le jour du jugement; mais il l'exprime bien plus clairement par les choses mêmes, et prédit qu'il arrivera à la fin du monde.Il parle de même à ses disciples: «Je vous dis, en vérité, que vous qui m'avez suivi,

1. Mt 12,41-42 – 2. Mt 13,37-43

lorsqu'au temps de la régénération le Fils de l'homme sera assis sur le trône de sa gloire, vous serez assis, vous également, sur douze trônes, et vous jugerez les douze tribus d'Israël 1». Ceci nous apprend que Jésus jugera avec ses disciples; d'où vient qu'ailleurs il dit aux Juifs: «Si c'est au nom de Belzébuth que je chasse les démons, au nom de qui vos enfants les chassent-ils? C'est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges». Il ne faut point croire, parce que Jésus a parlé de douze trônes, qu'il ne jugera qu'avec douze disciples. Le nombre douze doit s'entendre comme exprimant la multitude de ceux qui jugeront avec lui, à cause du nombre sept qui marque d'ordinaire une grande multitude, et dont les deux parties, trois et quatre, multipliées l'une par l'autre, donnent douze. En effet, quatre fois trois et trois fois quatre font douze; sans parler des autres raisons qui expliquent le choix de ce nombre. Autrement, comme l'apôtre Mathias a été mis à la place du traître Judas 2,il s'ensuivrait que l'apôtre saint Paul, qui a plus travaillé qu'eux tous 3,n'aurait point de trône pour juger. Or, il témoigne assez lui-même qu'il sera du nombre des juges, quand il dit: «Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges 4?» Il faut entendre dans le même sens le nombre douze appliqué à ceux qui seront jugés. Car bien qu'il ne soit question que des douze tribus d'Israël, il ne s'ensuit pas que Dieu ne jugera pas la tribu de Lévi, qui est la treizième, ni qu'il jugera le peuple d'Israël seul, et non les autres nations. Quant à la régénération dont il s'agit, nul doute qu'elle ne doive s'entendre de la résurrection des morts. Notre chair, en effet, sera régénérée par la foi.Je laisse de côté beaucoup d'autres passages qui semblent faire allusion au dernier jugement, mais qui, considérés de près, se trouvent ambigus ou relatifs à un autre sujet, par exemple à cet avénement du Sauveur qui se fait tous les jours dans son Eglise (c'est-à-dire dans ses membres, où il se manifeste partiellement et peu à peu, parce que l'Eglise entière est son corps), ou bien à la destruction de la Jérusalem terrestre, dont il est parlé comme s'il s'agissait de la fin du monde et du jour de ce grand et dernier jugement. Ainsi on ne saurait entendre clairement ces

1. Mt 19,28 -2. Ac 1,26 -3. 1Co 15,10 -4. 1Co 6,3

(452)

passages, à moins de comparer ensemble ce qu'en disent les trois évangélistes, saint Matthieu, saint Marc et saint Luc Tous trois, en effet, s'éclaircissent l'un l'autre, si bien que l'on voit mieux ce qui se rapporte à un même objet. C'est aussi ce que je me suis proposé dans une lettre que j'ai écrite à Hésychius d'heureuse mémoire, évêque de Salone, lettre que j'ai intitulée: De la fin du siècle 1.J'arrive maintenant à ce passage de l'Evangile selon saint Matthieu, où il est parlé de la séparation des bons et des méchants par un jugement dernier et manifeste de Jésus-Christ: «Quand le Fils de l'homme, dit-il, viendra dans sa majesté, accompagné de tous ses anges, il s'asseoira sur son trône, et tous les peuples de la terre seront assemblés en sa présence, et il les séparera les uns des autres, commue un berger sépare les brebis des boucs, et il mettra les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche. Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite: Venez, vous que mon père a bénis, et prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. Car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire; j'ai eu besoin d'abri, et vous m'avez donné l'hospitalité; j'étais nu, et vous m'avez vêtu; j'étais malade, et vous m'avez soulagé; j'étais prisonnier, et vous m'êtes venu voir. Alors les justes répondront et lui diront: Seigneur, quand vous avons-nous vu avoir faim et vous avons-nous donné à manger, ou avoir soif et vous avons-nous donné à boire? quand vous avons-nous vu sans abri et vous avons-nous donné l'hospitalité, ou sans vêtement et vous avons-nous vêtu? quand vous avons-nous vu malade et en prison, et sommes-nous venu vers vous? Et le roi leur répondra: Je vous le dis, en vérité, toutes les fois que vous avez rendu un tel secours aux moindres de mes frères, c'est à moi que vous l'avez rendu. Il dira ensuite à ceux qui seront à sa gauche: Retirez-vous de moi, maudits, et allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges». Il leur reproche ensuite de n'avoir point fait pour lui les mêmes choses dont il a loué ceux qui étaient à sa droite; et comme ils lui demandent: Quand donc vous avons-nous vu en avoir besoin? il leur répond de même que

1. Voyez les lettres de saint Augustin, Epist. CXCIX

tous les secours qu'ils ont refusés aux moindres de ses frères, c'est à lui qu'ils les ont refusés. Puis il conclut ainsi: «Et ceux-là iront au «supplice éternel, et les justes à la vie éternelle 1». Saint Jean l'évangéliste dit clairement que Jésus a fixé l'époque du jugement à l'heure où les morts ressusciteront. Après avoir dit que le Père ne juge personne, mais qu'il a donné au Fils tout pouvoir de juger, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père; parce que celui qui n'honore pas le Fils n'honore pas le Père qui l'a envoyé, il ajoute aussitôt: «En vérité, en vérité, je vous dis que celui qui entend ma parole, et qui croit en celui qui m'a envoyé, possède la vie éternelle et ne viendra point en jugement, mais qu'il passera de la mort à la vie 2». Il nous assure par ces paroles que les fidèles ne viendront point en jugement. Comment donc seront-ils séparés des méchants par le jugement et mis à sa droite, à moins qu'on ne prenne ici le jugement pour la condamnation? Il est certain, en effet, que ceux qui entendent sa parole, et qui croient en celui qui l'a envoyé, ne seront pas condamnés.


2006

CHAPITRE VI.

DE LA PREMIÉRE RÉSURRECTION ET DE LA SECONDE.

Il poursuit en ces termes: «En vérité, en vérité, je vous dis que le temps vient, et qu'il est déjà venu, que les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et que ceux qui l'entendront vivront; car, comme le Père a la vie en lui-même, il a aussi donné au Fils d'avoir la vie en lui-même 3». Il ne parle pas encore de la seconde résurrection, c'est-à-dire de celle des corps, qui doit arriver à la fin du monde, mais de la première, qui se fait maintenant. C'est pour distinguer celle-ci de l'autre qu'il dit: «Le temps vient, et il est déjà venu». Or, cette résurrection ne regarde pas les corps, mais les âmes. Les âmes ont aussi leur mort, qui consiste dans l'impiété et dans le crime; et c'est de celle-là que sont morts ceux dont le Seigneur a dit: «Laissez les morts «ensevelir leurs morts 4», c'est-à-dire laissez ceux qui sont morts de la mort de l'âme ensevelir ceux qui sont morts de la mort du corps. il dit donc de ces morts que l'impiété et le crime ont fait mourir dans l'âme: «Le temps

1. Mt 25,31-46 -2. Jn 5,22-21 -3. Jn 5,25-26 -4. Mt 8,22

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«vient, et il est déjà venu, que les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'entendront vivront». Ceux, dit-il, qui l'entendront, c'est-à-dire qui lui obéiront, qui croiront en lui et qui persévéreront jusqu'à la fin. Il ne fait ici aucune différence entre les bons et les méchants, parce qu'il est avantageux à tous d'entendre sa voix et de vivre, en passant de la mort de l'impiété à la vie de la grâce. C'est de cette mort que saint Paul dit: «Donc tous sont morts, et un seul est mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité à cause d'eux 1». Ainsi, tous sans exception sont morts par le péché, soit par le péché originel, soit par les péchés actuels qu'ils y ont ajoutés, par ignorance ou par malice, et un seul vivant, c'est-à-dire exempt de tout péché, est mort pour tous ces morts, afin que ceux qui vivent parce que leurs péchés leur ont été remis, ne vivent plus pour eux-mêmes, muais pour celui qui est mort pour tous à cause de nos péchés et qui est ressuscité pour notre justification, afin que, croyant en celui qui justifie l'impie et étant justifiés de notre impiété comme des morts qui ressuscitent, nous puissions appartenir à la première résurrection qui se fait maintenant. A celle-là n'appartiennent que ceux qui seront éternellement heureux, au lieu que l'Apôtre nous apprend que les bons et les méchants appartiendront à la seconde, dont il va parler tout à l'heure. Celle-ci est de miséricorde, et celle-là de justice; ce qui fait dire au Psalmiste: «Seigneur, je chanterai votre miséricorde et votre jugement 2».C'est de ce jugement que saint Jean parle ensuite, quand il dit: «Et il lui a donné le pouvoir de juger, parce qu'il est le Fils de l'homme». Il montre par là qu'il viendra juger, revêtu de la même chair dans laquelle il était venu pour être jugé. Et il dit pour cetteraison: «Parce qu'il est le Fils de l'homme». Puis, parlant de ce dont nous traitons: «Ne vous étonnez pas de cela, dit-il, car le temps viendra que tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du Fils de l'homme; et ceux qui auront bien vécu sortiront pour ressusciter à la vie, comme les autres pour ressusciter au jugement. 3» Voilà ce jugement dont il a parlé auparavant, pour désigner la condamnation, en ces termes:

1. 2Co 5,14-15 -2. Ps 100,1 -3. Jn 5,27-29


«Celui qui entend ma parole et qui croit en «celui qui m'a envoyé, possède la vie éternelle, et ne viendra point en jugement, mais «il est déjà passé de la mort à la vie 1». Ce qui signifie qu'appartenant à la première résurrection, par laquelle on passe maintenant de la mort à la vie, il ne tombera point dans la damnation qu'il identifie avec le jugement, quand il dit: «Comme les autres pour ressusciter au jugement», c'est-à-dire pour être condamnés. Que celui donc qui ne veut pas être condamné à la seconde résurrection ressuscite à la première; car: «Le temps vient, et il est déjà venu, que les morts entendront la voix du Fils de Dieu; et ceux qui l'entendront vivront». En d'autres termes, ils ne tomberont point dans la damnation que l'Ecriture appelle la seconde mort et où seront précipités, après la seconde résurrection, qui est celle des corps, ceux qui n'auront pas ressuscité à la première, qui est celle des âmes. Il poursuit ainsi: «Le temps viendra»; (et il n'ajoute pas: «et il est déjà venu», parce que celui-là ne viendra qu'à la fin du monde, au grand et dernier jugement de Dieu). - «Le temps, dit-il, viendra que tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront sa voix et sortiront». Il ne dit pas, comme lorsqu'il parle de la première résurrection, que ceux qui «l'entendront vivront». En effet, tous ceux qui l'entendront ne vivront pas, au moins de la vie qui seule mérite ce nom, parce qu'elle est bienheureuse. S'ils n'avaient quelque sorte de vie, ils ne pourraient pas l'entendre, ni sortir de leur tombeau, lorsque leur corps ressuscitera. Or, il nous apprend ensuite pourquoi tous ne vivront pas: «Ceux, dit-il, qui ont bien vécu sortiront pour ressusciter à la vie», voilà ceux qui vivront; «et les autres pour ressusciter au jugement», voilà ceux qui ne vivront pas, parce qu'ils mourront de la seconde mort. S'ils ont mal vécu, c'est qu'ils ne sont pas ressuscités à la première résurrection qui se fait maintenant, c'est-à-dire à celle des âmes, ou parce qu'ils n'y ont pas persévéré jusqu'à la fin. De même qu'il y a deux générations, dont j'ai déjà parlé ci-dessus, l'une selon la foi, qui se fait maintenant par le baptême, et l'autre selon la chair, qui se fera au dernier jugement, quand -la chair deviendra immortelle et incorruptible, de même il y a deux résurrections. La première, qui est celle des âmes, se fait présentement; elle empêche de tomber dans la seconde mort. L'autre ne se fera qu'à la fin du monde; elle ne regarde pas les âmes, mais les corps, qu'elle enverra, par suite du jugement dernier, les uns dans la seconde mort, et les autres dans cette vie où il n'y a point de mort.

1. Jn 5,24

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Augustin, Cité de Dieu 1924