Augustin, Cité de Dieu 1318

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CHAPITRE XVIII. DES CORPS TERRESTRES QUE LES PHILOSOPHES PRÉTENDENT NE POUVOIR CONVENIR AUX ÊTRES CÉLESTES

PAR CETTE RAISON QUE TOUT CE QUI EST TERRESTRE EST APPELÉ VERS LA TERRE PAR LA FORCE NATURELLE DE LA PESANTEUR.

Mais il est nécessaire, disent-ils, que le poids naturel des corps terrestres les fixe sur la terre ou les y appelle, et ainsi ils ne peuvent être dans le ciel. Il est vrai que les premiers hommes étaient sur la terre, dans cette région fertile et délicieuse qu'on a nommée le paradis; mais que nos adversaires considèrent d'un oeil plus attentif la nature de la pesanteur; cela est important pour résoudre plusieurs questions, notamment celle du corps avec lequel Jésus-Christ est monté au ciel, et celle aussi des corps qu'auront les saints au moment de la résurrection. Je dis donc que si les hommes parviennent par leur adresse à faire soutenir sur l'eau certains vases composés des métaux les plus lourds, il est infiniment plus simple et plus croyable que Dieu, par des ressorts qui nous sont inconnus, puisse empêcher les corps pesants de tomber sur la terre, lui qui, selon Platon, fait, quand il le veut, que les choses qui ont un commencement n'aient point de fin, et que celles qui sont composées de plusieurs parties ne soient point dissoutes? or, l'union des esprits avec les corps est mille fois plus merveilleuse que celle des corps les uns avec les autres. N'est-ce pas aussi une chose aisée à comprendre que des esprits parfaitement heureux meuvent leurs corps sans peine où il leur plaît, corps terrestres à la vérité, mais incorruptibles? Les anges n'ont-ils pas le pouvoir d'enlever sans difficulté les animaux terrestres d'où bon leur semble, et de les placer où il leur convient? Pourquoi donc ne croirions-nous pas que les âmes des bienheureux pourront porter ou arrêter leurs corps à leur gré? Le poids des corps est d'ordinaire en raison de leur masse, et plus il y a de matière, plus la pesanteur est grande; cependant l'âme porte plus légèrement son corps quand il est sain et robuste que quand il est maigre et malade, bien qu'il reste plus lourd à porter pour autrui dans son embonpoint que dans sa langueur; d'où il faut conclure que, dans les corps même mortels et corruptibles, l'équilibre et l'harmonie des parties font plus que la masse et le poids. (276) Qui peut d'ailleurs expliquer l'extrême différence qu'il y a entre ce que nous appelons santé et l'immortalité future? Ainsi donc, que les philosophes ne croient pas avec l'argument du poids des corps avoir raison de notre foi! Je pourrais leur demander pourquoi ils ne croient pas qu'un corps terrestre puisse être dans le ciel, alors que toute la terre est suspendue dans le vide; mais ils me répondraient peut-être que tous les corps pesants tendent vers le centre du monde. Je dis donc seulement que si les moindres dieux, à qui Platon adonné la commission de créer l'homme avec les autres animaux terrestres, ont pu, comme il l'avance, ôter au feu la vertu de brûler, sans lui ôter celle de luire et d'éclairer par les yeux 1, douterons-nous que le Dieu souverain, à qui ce philosophe donne le pouvoir d'empêcher que les choses qui ont un commencement n'aient une fin, et que celles qui sont composées de parties aussi différentes que le corps et l'esprit ne se dissolvent, soit capable d'ôter la corruption et la pesanteur à la chair, qu'il saura bien rendre immortelle sans détruire sa nature ni la configuration de ses membres? Mais nous parlerons plus amplement, s'il plaît à Dieu, sur la fin de cet ouvrage, de la résurrection des morts et de leurs corps immortels.


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CHAPITRE XIX. CONTRE LE SYSTÈME DE CEUX QUI PRÉTENDENT QUE LES PREMIERS HOMMES SERAIENT MORTS, QUAND MÊME ILS N'AURAIENT POINT PÉCHÉ.

Je reprends maintenant ce que j'ai dit plus haut du corps des premiers hommes, et j'affirme que la mort, par où j'entends cette mort dont l'idée est familière à tous et qui consiste dans la séparation du corps et de l'âme, ne leur serait point arrivée, s'ils n'eussent péché. Car bien qu'il ne soit pas permis de douter que les âmes des justes après la mort ne vivent en repos, c'est pourtant une chose manifeste qu'il leur serait plus avantageux de vivre avec leurs corps sains et vigoureux, et cela est si vrai que ceux qui regardent comme une condition de parfait bonheur de n'avoir point de corps condamnent eux-mêmes cette doctrine par leurs propres sentiments. Qui d'entre eux, en effet, oserait placer les hommes les plus sages

1. Voyez dans le Timée la théorie de la vision, tome 11I de la trad. fr., pages 192 et suiv

au-dessus des dieux immortels? et cependant le Dieu souverain, chez Platon, promet à ces dieux, comme une faveur signalée, qu'ils ne mourront point, c'est-à-dire que leur âme sera toujours unie à leur corps 1.Or, ce même Platon croit que les hommes qui ont bien vécu en ce monde auront pour récompense de quitter leur corps pour être reçus 2 dans Le sein des dieux (qui pourtant ne quittent jamais le leur). C'est de là que plus tard:

«Ces âmes reviennent aux régions terrestres, libres de leur souvenir et désirant entrer dans des corps nouveaux 3»;

comme parle Virgile d'après Platon; car Platon estime, d'une part, que les âmes des hommes ne peuvent pas être toujours dans leur corps et qu'elles en sont nécessairement séparées par la mort, et, d'autre part, qu'elles ne peuvent pas demeurer toujours sans corps, mais qu'elles les quittent et les reprennent par de continuelles révolutions 4. Ainsi il y a cette différence, selon lui, entre les sages et le reste des hommes, que les premiers sont portés dans le ciel après leur mort pour y reposer quelque temps, chacun dans son astre 5,d'où, ensuite, oubliant leurs misères passées, et entraînées par l'impérieux désir d'avoir un corps, ils retournent aux travaux et aux souffrances de cette vie, au lieu que ceux qui ont mal vécu rentrent aussitôt dans des corps d'hommes ou de bêtes suivant leurs démérites 6. Platon a donc assujéti à cette dure condition de vivre sans cesse les âmes mêmes des gens de bien 7: sentiment si étrange que Porphyre, comme nous l'avons dit aux livres précédents 8,Porphyre en a eu honte et a pris le parti non-seulement d'exclure les âmes des hommes du corps des bêtes, mais d'assigner aux âmes des gens de bien, une fois délivrées du corps, une demeure éternelle au sein du Père 9. De cette façon, pour n'en pas

1. Voyez plus haut, chap. 16
2. Voyez, dans le Timée, la fin du discours de Dieu aux dieux (tome 11I de la trad. fr., page 138)
3. Virgile, Énéide, livre 6,vers 750, 751
4. Voyez le Phédon, le Phèdre et le Timée
5. Voyez le Timée, 1. 1, page 139
6. Timée, 1. 1, pages 242 et suiv.
7. Saint Augustin parait ici beaucoup trop affirmatif et on s'aperçoit qu'il n'a pas à son service les dialogues de Platon. Dans le Phèdre, en effet, dans le Phédon et ailleurs, Platon exempte certaines âmes d'élite de la transmigration perpétuelle (Voyez traduct. fr., tome 6,pages 54 et suiv.; tome 1,pages 240, 312 et suiv.) La contradiction signalée entre Platon et Porphyre n'existe donc pas
8. Particulièrement au livre 10,ch. 30
9. Le Père, dans le langage des néoplatoniciens d'Alexandrie, c'est le premier principe, l'Unité absolue, première hypostase de la trinité divine

(277)

dire moins que Jésus-Christ, qui promet une vie éternelle aux saints, il établit dans une éternelle félicité les âmes purifiées de leurs souillures, sans les faire retourner désormais à leurs anciennes misères, et, pour contredire Jésus-Christ, il nie la résurrection des corps et assure que les âmes vivront éternellement d'une vie incorporelle 1.Et cependant il ne leur défend point d'adorer les dieux, qui ont des corps, ce qui fait voir qu'il n'a pas cru ces âmes d'élite, toutes dégagées du corps qu'elles soient, plus excellentes que les dieux. Pourquoi donc trouver absurde ce que notre religion enseigne, savoir: que les premiers hommes n'auraient point été séparés de leur corps par la mort s'ils n'eussent péché, et que les bienheureux reprendront dans la résurrection les mêmes corps qu'ils ont eus en cette vie, mais tels néanmoins qu'ils ne leur causeront plus aucune peine et ne seront d'aucun obstacle à leur pleine félicité.

1. Voyez plus bas, livre 22,ch. 27


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CHAPITRE XX. LES CORPS DES BIENHEUREUX RESSUSCITÉS SERONT PLUS PARFAITS QUE N'ÉTAIENT CEUX DES PREMIERS HOMMES DANS LE PARADIS TERRESTRE,

Ainsi la mort paraît légère aux âmes des fidèles trépassés, parce que leur chair repose en espérance, quelque outrage qu'elle ait paru recevoir après avoir perdu la vie. Car n'en déplaise à Platon, si les âmes soupirent après un corps, ce n'est pas parce qu'elles ont perdu la mémoire, mais plutôt parce qu'elles se souviennent de ce que leur a promis celui qui ne trompe personne et qui nous a garanti jusqu'au moindre de nos cheveux Lc 21,18. Elles souhaitent donc avec ardeur et attendent avec patience la résurrection de leurs corps, où elles ont beaucoup souffert, mais où elles ne doivent plus souffrir. Aussi bien, puisqu'elles ne haïssaient pas leur chair Ep 5,29 lorsqu'elle entrait en révolte contre leur faiblesse et qu'il fallait la retenir sous l'empire de l'esprit, combien leur est-elle plus précieuse, au moment de devenir spirituelle? Car de même qu'on appelle charnel l'esprit esclave de la chair, on peut bien aussi appeler spirituelle la chair soumise à l'esprit, non qu'elle doive être convertie en esprit, comme le croient quelques-uns 1 sur la foi de cette parole de l'Apôtre: «Corps animal, quand il est mis en terre, notre corps ressuscitera spirituel 2»; mais parce qu'elle sera parfaitement soumise à l'esprit, qui en pourra disposer à son gré sans éprouver jamais aucune résistance. En effet, après la résurrection, le corps n'aura pas seulement toute la perfection dont il est capable ici-bas dans la meilleure santé, mais il sera même beaucoup plus parfait que celui des premiers hommes avant le péché. Bien qu'ils ne dussent point mourir, s'ils ne péchaient point, ils ne laissaient pas toutefois de se servir d'aliments, leurs corps n'étant pas encore spirituels. Il est vrai aussi qu'ils ne vieillissaient point, par une grâce merveilleuse que Dieu avait attachée en leur faveur à l'arbre de vie, planté au milieu du paradis avec l'arbre défendu; mais cela ne les empêchait pas de se nourrir du fruit de tous les autres arbres du paradis, à l'exception d'un seul toutefois, qui leur avait été défendu, non comme une chose mauvaise, mais pour glorifier cette chose excellente qui est la pure et simple obéissance, une des plus grandes vertus que puisse exercer la créature raisonnable à l'égard de son créateur. Ils se nourrissaient donc des autres fruits pour se garantir de la faim et de la soif, et ils mangeaient du fruit de l'arbre de vie pour arrêter les progrès de la mort et de la vieillesse, tellement qu'il semble que le fruit de la vie était dans le paradis- terrestre ce qu'est dans le paradis spirituel la sagesse de Dieu, dont il est écrit: «C'est un arbre de vie pour ceux qui l'embrassent Pr 3,18».

1. C'était là, selon le docte Vivès, une des opinions professées par Origène dans ce livre Des principes dont il a été parlé plus haut. L'audacieux théologien d'Alexandrie y soutenait que toute chair doit un jour être transformée en substance spirituelle, bien plus, assimilée à la substance divine. C'est alors, disait-il, que Dieu sera tout en tous.
2. 1Co 15,44


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CHAPITRE XXI. ON PEUT DONNER UN SENS SPIRITUEL A CE QUE L'ÉCRITURE DIT DU PARADIS, POURVU QUE L'ON CONSERVE LA VÉRITÉ DE RÉCIT HISTORIQUE.

De là vient que quelques-uns 4 expliquent allégoriquement tout ce paradis où la sainte (278) Ecriture rapporte que furent mis nos premiers parents; ce qui est dit des arbres et des fruits, ils l'entendent des vertus et des moeurs, soutenant que toutes ces expressions ont un sens exclusivement symbolique. Mais quoi? faut-il nier la réalité du paradis terrestre parce qu'il peut figurer un paradis spirituel? c'est comme si l'on voulait dire qu'il n'y a point eu deux femmes, dont l'une s'appelait Agar et l'autre Sara, d'où sont sortis deux enfants d'Abraham, l'un de la servante et l'autre de la femme libre, parce que l'Apôtre dit qu'il découvre ici la figure des deux Testaments Ga 4,22-24; ou encore qu'il ne sortit point d'eau de la pierre que Moïse frappa de sa baguette Ex 17,6 Nb 20,11, parce que cette pierre peut figurer Jésus-Christ, suivant cette parole du même Apôtre «Or, la pierre était Jésus-Christ s 1Co 10,4. Rien n'empêche donc d'entendre par le paradis terrestre la vie des bienheureux, par les quatre fleuves, les quatre vertus cardinales, c'est-à-dire la prudence, la force, la tempérance et la justice, par les arbres toutes les sciences utiles, par les fruits des arbres les bonnes moeurs, par l'arbre de vie, la sagesse qui est la mère de tous les biens, et par l'arbre de la science du bien et du mal, l'expérience du commandement violé. Car la peine du péché est bonne puisqu'elle est juste, mais elle n'est pas bonne pour l'homme qui la subit. Et tout cela peut encore se mieux entendre de l'Eglise, à titre de prophétie, en disant que le paradis est l'Eglise même, à laquelle on donne ce nom dans le Cantique des Cantiques Ct 4,13; les quatre fleuves du paradis, les quatre évangiles; les arbres fruitiers, les saints; leurs fruits, leurs bonnes oeuvres; l'arbre de vie, le Saint des saints, Jésus-Christ; l'arbre de la science du bien et du mal, le libre arbitre. L'homme en effet qui a méprisé la volonté de Dieu ne saurait faire de soi qu'un usage funeste; ce qui lui fait connaître quelle différence il y a de se tenir attaché au bien commun de tous, ou de se complaire en son propre bien; car celui qui s'aime est abandonné à lui-même, afin que comblé de craintes et de misères, il s'écrie avec le Psalmiste, si toutefois il sent ses maux: «Mon âme, s'étant tournée vers elle-même, est tombée dans la confusion Ps 41,7», et qu'il ajoute après avoir reconnu sa faiblesse: «Seigneur, je ne «mettrai plus ma force qu'en vous 1». Ces explications allégoriques du paradis et autres semblables sont très bonnes, pourvu que l'on croie en même temps à la très fidèle exactitude du récit historique.

4. Il s'agit ici soit de Philon le juif, soit d'Origène, lesquels avalent ce point commun de réduire les récits de l'Ecriture sainte à de purs symboles. Voyez Philon (De opif. mundi, au dernier livre, et Allegor. leg., - lib. I) et les commentaires d'Origène sur la Genèse



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CHAPITRE XXII. LES CORPS DES SAINTS SERONT SPIRITUELS APRÈS LA RÉSURRECTION, MAIS D'UNE TELLE FAÇON POURTANT QUE LA CHAIR NE SERA PAS CONVERTIR EN ESPRIT.

Les corps des saints après la résurrection n'auront plus besoin d'aucun arbre pour les empêcher de mourir de vieillesse ou de maladie, ni d'autres aliments corporels pour les garantir de la faim ou de la soif, parce qu'ils seront revêtus d'une immortalité glorieuse, en sorte que si les élus mangent, ce sera parce qu'ils le voudront, et non par nécessité. C'est ainsi que nous voyons que les anges ont quelquefois mangé avec les hommes, non qu'ils en eussent besoin, mais par complaisance et-pour se proportionner à eux. Et il ne faut pas croire que les anges n'aient mangé qu'en apparence, quand les hommes les ont reçus chez eux 2 sans les connaître et persuadés qu'ils mangeaient comme nous par besoin; car ces mots de l'ange à Tobie: «Vous m'avez vu manger, mais vous ne l'avez vu «qu'avec vos yeux 3», signifient: Vous croyez que je mangeais comme vous par besoin. - Que si toutefois il est permis d'entendre ce passage autrement et d'adopter une autre opinion peut-être plus vraisemblable, au moins la foi nous oblige-t-elle de croire que Jésus-Christ, après la résurrection, a réellement mangé avec ses disciples 4, bien qu'il eût déjà une chair spirituelle. Ce n'est donc que le besoin, et non le pouvoir de boire et manger, qui sera ôté aux corps spirituels, et ils ne seront pas spirituels, parce qu'ils cesseront d'être corps-, mais parce qu'ils seront animés d'un esprit vivifiant.


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CHAPITRE XXIII. CE QU'IL FAUT ENTENDRE PAR LE CORPS ANIMAL ET PAR LE CORPS SPIRITUEL, ET CE QUE C'EST QUE MOURIR EN ADAM ET ÊTRE VIVIFIÉ EN JÉSUS-CHRIST.

De même que nous appelons corps animaux

1. Ps 58,10 -2. Gn 18 Tb 11 -3. Tb 91,19 -4. Lc 14

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ceux qui ont une âme vivante, ainsi on nomme corps spirituels ceux qui ont un esprit vivifiant. Dieu nous garde toutefois de croire que ces corps glorieux deviennent des esprits! ils gardent la nature du corps, sans en avoir la pesanteur ni la corruption. L'homme alors ne sera pas terrestre, mais céleste, non que le corps qui a été tiré de la terre cesse d'être, mais parce que Dieu le rendra capable de demeurer dans le ciel, en ne changeant pas sa nature, mais ses qualités. Or, le premier homme, qui était terrestre et formé de la terre 1, a été créé avec une âme vivante et non avec un esprit vivifiant, qui lui était réservé comme prix de son obéissance. C'est pourquoi il avait besoin de boire et de manger pour se garantir de la faim et de la soif, et il n'était pas immortel par sa nature, mais seulement par le moyen de l'arbre de vie qui le défendait de la vieillesse et de la mort; il ne faut donc point douter que son corps ne fût animal et non spirituel, et cependant, il ne serait point mort, s'il n'eût encouru par son péché l'effet des menaces divines, condamné dès ce moment à disputer au temps et à la vieillesse, à l'aide des aliments dont la bonté de Dieu lui a continué le secours, une vie que son obéissance aurait pu prolonger à jamais.Alors donc que nous entendrions aussi de cette mort sensible qui sépare l'âme d'avec le corps ce que Dieu dit aux premiers hommes: «Du jour que vous mangerez de ce fruit, vous «mourrez 2», on ne devrait point trouver étrange que cette séparation de l'âme et du corps ne se fût pas faite dès le jour même qu'ils mangèrent du fruit défendu, Dès ce jour, en effet, leur nature fut corrompue, et, par une séparation très juste de l'arbre de vie, ils tombèrent dans la nécessité de mourir, avec laquelle nous naissons tous. Aussi, l'Apôtre ne dit pas que le corps mourra, «mais qu'il est mort à«cause du péché, et que l'esprit est vivant à cause de la justices. Et il ajoute: «Si l'Esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ donnera aussi la vie à vos corps mortels, parce que son Esprit habitera en vous 3». Ainsi donc le corps, qui n'a maintenant qu'une âme vivante, recevra alors un esprit vivifiant; mais, quoiqu'il ait une âme vivante, l'Apôtre ne laisse pas de dire qu'il est mort, parce qu'il est soumis à la nécessité de mourir, au lieu

1. 1Co 15,47 -2. Gn 2,17 -3. Rm 8,10-11

que dans le paradis terrestre, quoiqu'il eût une âme vivante sans avoir encore un esprit vivifiant, on ne pouvait pas dire qu'il fût mort, parce qu'il n'avait point péché et qu'il n'était pas encore sujet à la mort. Or, Dieu ayant marqué la mort de l'âme (qui a lieu lorsqu'il la quitte), en disant: «Adam, où es-tu?» et celle du corps (qui arrive quand l'âme l'abandonne), en disant encore: «Vous êtes terre, et vous retournerez en terre 1», il faut croire qu'il n'a rien dit de la seconde mort, parce qu'il a voulu qu'elle fût cachée dans l'Ancien Testament, la réservant pour le Nouveau, où elle est ouvertement déclarée, afin de faire voir que cette première mort, qui est commune à tous, vient du premier péché, qui d'un seul homme s'est communiqué à tous. Quant à la seconde mort, elle n'est pas commune à tous, à cause de ceux que Dieu a connus et prédestinés de toute éternité»,comme dit l'Apôtre, «pour être conformes à l'image de son Fils, afin «qu'il fût l'aîné de plusieurs frères 3»; ceux-là, en effet, la grâce du Médiateur les en a délivrés.Voici comment l'Apôtre témoigne que le premier homme a été créé dans un corps animal. Voulant distinguer notre corps, qui est maintenant animal, de ce même corps qui sera spirituel dans la résurrection, il dit: «Le corps est semé plein de corruption, et il ressuscitera incorruptible; il est semé avec ignominie, et il ressuscitera glorieux; il est semé dans la faiblesse, et il ressuscitera dans la vigueur; il est semé corps animal, et il ressuscitera corps spirituel». Et pour montrer ce que c'est qu'un corps animal: «Il est écrit», ajoute-t-il, «que le premier homme a été créé avec une âme vivante». L'Apôtre veut donc qu'on entende par ces paroles de l'Ecriture: «Le premier homme a été créé avec une âme vivante 3», qu'il a été créé avec un corps animal; et il montre ce qu'il faut entendre par un corps spirituel, quand il ajoute: «Mais le second Adam a été rempli d'un esprit vivifiant»; par où il marque Jésus-Christ, qui est ressuscité d'une telle manière qu'il ne peut plus mourir. Il poursuit et dit: «Mais ce n'est pas le corps spirituel qui a été formé le premier, c'est le corps animal, et ensuite le spirituel»; par où il montre encore plus clairement qu'il a entendu le corps animal dans ces paroles: «Le premier homme a été créé avec une âme

1. Gn 3,9-19 -2. Rm 8,28-29 -3. Gn 2,7

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vivante», et le spirituel, quand il a dit: « Le second Adam a été rempli d'un esprit vivifiant».Le corps animal est le premier, tel que l'a eu le premier Adam (qui toutefois ne serait point mort s'il n'eût péché), tel que nous l'avons depuis que la nature corrompue par le péché nous a soumis à la nécessité de mourir, tel que Jésus-Christ même a voulu l'avoir d'abord; mais après vient le spirituel, tel qu'il est déjà dans Jésus-Christ comme dans notre chef et tel qu'il sera dans ses membres lors de la dernière résurrection des morts.L'Apôtre signale ensuite une notable différence entre ces deux hommes, lorsqu'il dit«Le premier homme est terrestre et formé de la terre, et le second est céleste et descendu du ciel, Comme le premier homme a été terrestre, ses enfants aussi sont terrestres; et comme le second homme est céleste, ses enfants aussi sont célestes. De même donc que nous portons l'image de l'homme terrestre, portons aussi l'image de l'homme céleste 1». Ce que dit ici l'Apôtre commence maintenant en nous par le sacrement de la régénération, ainsi qu'il le témoigne ailleurs par ces paroles: «Tous, tant que vous êtes, qui avez été «baptisé en Jésus-Christ, vous vous êtes revêtus de Jésus-Christ 2»; mais la chose ne s'accomplira entièrement que lorsque ce qu'il y a d'animal en nous par la naissance sera devenu spirituel par la résurrection; car, pour me servir encore des paroles de saint Paul: «Nous sommes sauvés par l'espérance 3». Or, nous portons l'image de l'homme terrestre à cause de la désobéissance et de la mort qui sont passées en nous par la génération, et nous portons celle de l'homme céleste à cause du pardon et de la vie que nous recevons dans la régénération par le médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme 4, qui est cet homme céleste dont veut parler saint Paul, parce qu'il est venu du ciel pour se revêtir d'un corps mortel et le revêtir lui-même d'immortalité 5. S'il appelle aussi les enfants du Christ célestes, c'est qu'ils deviennent ses membres par sa grâce pour faire ensemble un même Christ. Il déclare encore ceci plus

1. 1Co 15,42-49 -2. Ga 3,27 -3. Rm 8,24 -4. 1Tm 2,5
2. Saint Augustin parait ici penser à l'hérésie des Va1entiniens, qui prétendaient que le corps de Jésus-Christ n'était pas un corps humain, mais un corps spirituel et céleste. Voyez le livre de saint Augustin: Des hérésies (haer. 11)

expressément dans la même épître, quand il dit: «La mort est venue par un homme, et la résurrection doit aussi venir par un homme; car comme tous meurent en Adam, ainsi tous revivent en Jésus-Christ 1» c'est-à-dire dans un corps spirituel qui sera animé d'un esprit vivifiant. Ce n'est pas toutefois que tous ceux qui meurent en Adam doivent devenir membres de Jésus-Christ, puisqu'il y en aura beaucoup plus qui seront punis pour toute l'éternité de la seconde mort; mais l'Apôtre se sert du terme général de tous, pour montrer que comme personne ne meurt qu'en Adam dans ce corps animal, personne ne ressuscitera qu'en Jésus-Christ avec un corps spirituel. Il ne faut donc pas s'imaginer que nous devions avoir à la résurrection un corps semblable à celui du premier homme avant le péché: alors même, le sien n'était pas spirituel, mais animal; et ceux qui sont dans un autre sentiment ne se rendent pas assez attentifs à ces paroles du grand docteur: «Comme il y a, dit-il, un corps animal, il y a aussi un corps spirituel, ainsi qu'il est écrit Adam, le premier homme, a été créé avec une âme vivante». Peut-on dire qu'il soit ici question de l'âme d'Adam après le péché? évidemment non; car il s'agit du premier état où l'homme a été créé, et l'Apôtre rapporte ce passage de la Genèse pour montrer justement ce que c'est que le corps animal.


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CHAPITRE XXIV.

COMMENT IL FAUT ENTENDRE CE SOUFFLE DE DIEU DONT PARLE L'ÉCRITURE ET QUI DONNE A L'HOMME UNE AME VIVANTE, ET CET AUTRE SOUFFLE QUE JÉSUS-CHRIST EXHALE EN DISANT: RECEVEZ L'ESPRIT-SAINT.

Quelques-uns se sont persuadé avec assez peu de raison que le passage de la Genèse où on lit: «Dieu souffla contre la face d'Adam un esprit de vie, et l'homme fut créé âme vivante 2», ne doit pas s'entendre de Dieu donnant au premier homme une âme, mais de Dieu ne faisant que vivifier par le Saint-Esprit celle que l'homme avait déjà 3. Ce qui les porte à interpréter ainsi l'Ecriture, c'est

1. 1Co 15,21-27 - Gn 2,7
3. C'était le sentiment d'Origène Peri Arkon, (lib. 1,cap. 3), auquel il faut joindre Tertullien (De Bapt., cap. 5), saint Cyprien (Epist. Ad. Jub.), saint Cyrille (In Joan., lib. 9,cap. 47), saint Basile (In Psal. XLVIII), saint Ambroise (De Parad.), et plusieurs autres Pères de l'Eglise. Voyez aussi le traité de saint Augustin (De Gn contra Man., lib. 2,n. 10, 11)

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que Notre-Seigneur Jésus-Christ, après la résurrection, souffla sur ses disciples et leur dit:«Recevez le Saint-Esprit s; d'où ils concluent que, puisque la même chose se passa dans la création de l'homme, le même effet s'ensuivit aussi: comme si l'évangéliste, après avoir parlé du souffle de Jésus sur ses disciples, avait ajouté, ainsi que fait Moïse, qu'ils devinrent âmes vivantes. Mais quand il l'aurait ajouté, cela ne signifierait autre chose, sinon que l'Esprit de Dieu est en quelque façon la vie de l'âme, et que sans lui elle est morte, quoique l'homme reste vivant. Mais rien de semblable n'eut lieu au moment de la création de l'homme, ainsi que le prouvent ces paroles de la Genèse: «Dieu créa (formavit) l'homme poussière de la terre»; ce que certains interprètes croient rendre plus clair en traduisant: «Dieu composa (finxit) l'homme du limon de la terre», parce qu'il est écrit aux versets précédents: «Or, une fontaine s'élevait de la terre et en arrosait toute la «surface 2»; ce qui engendrait, suivant eux, ce limon dont l'homme fut formé; et c'est immédiatement après que l'Ecriture ajoute«Dieu créa l'homme poussière de la terre», comme le portent les exemplaires grecs sur lesquels l'Ecriture a été traduite en latin. Au surplus, que l'on rende par formavit ou par finxit le mot grec eplasen, peu importe à la question; finxit est le mot propre, et c'est la crainte de l'équivoque qui a décidé ceux qui ont préféré formavit, l'usage donnant à l'expression finxit le sens de fiction mensongère. C'est donc cet homme ainsi fait de la poussière de la terre ou du limon, c'est-à-dire d'une poussière trempée d'eau, dont saint Paul dit qu'il devint un corps animal, lorsqu'il reçut l'âme. «Et l'homme devint âme vivante» entendez que cette poussière ainsi pétrie devint une âme vivante.Mais, disent-ils, il avait déjà une âme; autrement on ne l'appellerait pas homme, l'homme n'étant pas le corps seul ou l'âme seule, mais le composé des deux. Il est vrai que l'âme, non plus que le corps, n'est pas l'homme entier; mais l'âme en est la plus noble partie. Quand elles sont unies ensemble, elles prennent le nom d'homme, qu'elles ne quittent pas néanmoins après leur séparation. Ne disons-nous pas tous les jours: Cet homme est mort, et maintenant il est dans la paix ou

1. Jn 20,22 -2. Gn 2,7

dans les supplices, bien que cela ne se puisse dire que de l'âme seule; ou: Cet homme a été enterré en tel ou tel lieu, quoique cela ne se puisse entendre que du corps seul? Diront-ils que ce n'est pas la façon de parler de l'Ecriture? Mais elle ne fait point difficulté d'appeler homme l'une ou l'autre de ces deux parties, lors même qu'elles sont unies, et de dire que l'âme est l'homme intérieur et le corps l'homme extérieur 1,comme si c'étaient deux hommes, bien qu'en effet ce n'en soit qu'un. Aussi bien il faut entendre dans quel sens l'Ecriture dit que l'homme est fait à l'image de Dieu, et dans quel sens elle l'appelle terre et dit qu'il retournera en terre. La première parole s'entend de l'âme raisonnable, telle que Dieu la créa par son souffle dans l'homme, c'est-à-dire dans le corps de l'homme; et la seconde s'entend du corps, tel que Dieu le forma de la poussière, et à qui l'âme fut donnée pour en faire un corps animal, c'est-à-dire un homme ayant une âme vivante.C'est pourquoi, quand Notre-Seigneur souffla sur ses disciples en disant: «Recevez le Saint- Esprit», il voulait nous apprendre que le Saint-Esprit n'est pas seulement l'Esprit du Père, mais encore l'Esprit du Fils unique, attendu que le même Esprit est l'Esprit du Père et du Fils, formant avec tous deux la Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, qui n'est pas créature, mais créateur. En effet, ce souffle corporel qui sortit de la bouche de Jésus-Christ n'était point la substance ou la nature du Saint-Esprit, mais plutôt, je le répète, un signe pour nous faire entendre que le Saint-Esprit est commun au Père et au Fils; car ils n'en ont pas chacun un, et il n'y en a qu'un pour deux. Or, ce Saint-Esprit est toujours dans l'Ecriture appelé en grec pneuma 2,ainsi que Notre-Seigneur l'appelle ici, lorsque l'exprimant par le souffle de sa bouche, il le donne à ses disciples; et e ne me souviens point qu'il y soit appelé autrement: au lieu que dans le passage de la Genèse, où il est dit que «Dieu forma l'homme de la poussière de la terre, et qu'il souffla contre sa face un esprit de vie», le grec ne porte pas pneuma, mais pnoè 3,terme dont l'Ecriture se sert plus souvent pour désigner la créature que le Créateur;

1. 2Co 4,162. Pneuma, souffle, esprit.3. Pnoé, souffle, vent.

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d'où vient que quelques interprètes, pour en marquer la différence, ont mieux aimé le rendre par le mot souffle, que par celui d'esprit. Il se trouve employé de la sorte dans Isaïe, où Dieu dit: «J'ai fait tout souffle 1», c'est-à-dire toute âme. Les interprètes donc expliquent quelquefois, il est vrai, ce dernier mot par souffle, ou par esprit, ou par inspiration ou aspiration, ou même par âme; mais jamais ils ne traduisent l'autre que par esprit, soit celui de l'homme dont l'Apôtre dit: «Quel est celui des hommes qui connaît ce qui est en l'homme, si ce n'est l'esprit même de l'homme qui est en lui 2?» soit celui de la bête, comme quand Salomon dit: «Qui sait si l'esprit de l'homme monte en haut dans le ciel, et si l'esprit de la bête descend en bas dans la terre 3?» soit même cet esprit corporel qu'on nomme aussi vent, comme dans le Psalmiste: «Le feu, la grêle, la neige, la glace, l'esprit de tempête 4»; soit enfin l'esprit créateur, tel que celui dont Notre-Seigneur dit dans l'Evangile, en l'exprimant par son souffle: «Recevez le Saint-Esprit», et ailleurs: «Allez, baptisez toutes les nations «au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit 5», paroles qui déclarent clairement et excellemment la très sainte Trinité; et encore: «Dieu est esprit 6», et en beaucoup d'autres endroits de l'Ecriture. Dans tous ces passages, le grec ne porte point le mot équivalent à souffle, mais bien celui qui ne peut se rendre que par esprit. Ainsi, alors même que dans un endroit de la Genèse où il est dit que «Dieu souffla contre la face de l'homme un esprit de vie», il y aurait dans le grec pneuma et non pnoè, il ne s'ensuivrait pas pour cela que nous fussions obligés d'entendre l'Esprit créateur, puisque, comme nous avons dit, l'Ecriture ne se sert pas seulement du premier de ces mots pour le Créateur, mais aussi pour la créature,Mais, répliquent-ils, elle ne dirait pas esprit de vie, si elle ne voulait marquer le Saint-Esprit, ni âme vivante, si elle n'entendait la vie de l'âme qui lui est communiquée par le don de l'Esprit de Dieu, puisque, l'âme vivant d'une vie qui lui est propre, il n'était pas besoin d'ajouter vivante, si l'Ecriture n'eût voulu signifier cette vie qui lui est donnée par le Saint-Esprit. Qu'est-ce à dire? et raisonner ainsi, n'est-ce pas s'attacher avec ardeur à ses

1. Is 57,16 sec. LXX -2. 1Co 2,11 -3. Si 3,21 -4. Ps 148,8 -5. Mt 28,19 - Jn 4,24

propres pensées au lieu de se rendre attentif au sens de l'Ecriture? Sans aller bien loin, qu'y avait-il de plus aisé que de lire ce qui est écrit un peu auparavant au même livre de la Genèse: «Que la terre produise des âmes vivantes 1», quand tous les animaux de la terre furent créés? Et quelques lignes après, mais toujours au même livre: «Tout ce qui a esprit de vie et tout homme habitant la terre péri 2», pour dire que tout ce qui vivait sur la terre périt par le déluge? Puis donc que nous trouvons une âme vivante et un esprit de vie, même dans les bêtes, selon la façon de parler de l'Ecriture, et qu'au lieu même où elle dit: «Toutes les choses qui ont un esprit de vie», le grec ne porte pas pneuma, mais pnoè, que ne disons-nous aussi: Où est la nécessité de dire vivante, l'âme ne pouvant être, si elle ne vit, et d'ajouter de vie, après avoir dit esprit? Cela nous fait donc voir que lorsque l'Ecriture n usé de ces mêmes termes en parlant de l'homme, elle ne s'est point éloignée de son langage ordinaire; mais elle a voulu que l'on entendît par là le principe du sentiment dans les animaux ou les corps animés. Et dans la formation de l'homme, n'oublions pas encore que l'Ecriture reste fidèle à son langage habituel, quand elle nous enseigne qu'en recevant l'âme raisonnable, non pas émanée de la terre ou des eaux, comme l'âme des créatures charnelles, mais créée par le souffle de Dieu, l'homme n'en est pas moins destiné à vivre dans un corps animal, où réside une âme vivante, comme ces animaux dont l'Ecriture a dit: «Que la terre produise toute âme vivante»; et quand elle dit également qu'ils ont l'esprit de vie, le grec portant toujours pnoè et non pneuma, ce n'est assurément pas le Saint-Esprit, mais bien l'âme vivante qui est désignée par cette expression.Le souffle de Dieu, disent-ils encore, est sorti de sa bouche; de sorte que si nous croyons que c'est l'âme, il s'ensuivra que nous serons obligés aussi d'avouer qu'elle est consubstantielle et égale à cette Sagesse qui a dit: «Je suis sortie de la bouche du Très-Haut 3». Mais la Sagesse ne dit pas qu'elle est le souffle de Dieu, mais qu'elle est sortie de sa bouche. Or, de même que nous pouvons former un souffle, non de notre âme, qui nous fait hommes, mais de l'air qui nous entoure et que

1. Gn 1,24 - 2. Gn 7,22 - 3. Si 24,5

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nous respirons, ainsi Dieu, qui est tout-puissant, a pu très bien aussi en former un, non de sa nature, ni d'aucune chose créée, mais du néant, et le mettre dans le corps de l'homme. D'ailleurs, afin que ces habiles personnes qui se mêlent de parler de l'Ecriture et n'en étudient pas le langage, apprennent qu'elle ne fait pas sortir de la bouche de Dieu seulement ce qui est de même nature que lui, qu'elles écoutent ce que Dieu y dit: «Tu es tiède, tu n'es ni froid ni chaud; c'est pourquoi je vais te vomir de ma bouche1».Il ne faut donc plus résister aux paroles expresses de l'Apôtre, lorsque distinguant lecorps animal du corps spirituel, c'est-à-dire celui que nous avons maintenant de celui que nous aurons un jour, il dit: «Le corps est semé animal, et il ressuscitera spirituel. Comme il y a un corps animal, il y a aussi un corps spirituel, ainsi qu'il est écrit: Adam, le premier homme, a été créé avec une âme vivante, et le second Adam a été rempli d'un esprit vivifiant. Mais ce n'est pas le corps spirituel qui a été formé le premier, c'est le corps animal, et ensuite le spirituel. Le premier homme est le terrestre formé de la terre, et le second homme est le céleste descendu du ciel. Comme le premier homme a été terrestre, ses enfants sont aussi terrestres; et comme le second homme est céleste, ses enfants sont aussi célestes. De la même manière donc que nous avons porté l'image de l'homme

1. Ap 3,16

terrestre, portons aussi l'image de l'homme céleste 1». Ainsi le corps animal, dans lequel l'Apôtre dit que fut créé le premier homme, n'était pas composé de telle façon qu'il ne pût mourir, mais de telle façon qu'il ne fût point mort si l'homme n'eût péché. Le corps qui sera spirituel, parce que l'Esprit le vivifiera, ne pourra mourir, non plus que l'âme, qui, bien qu'elle meure en quelque façon en se séparant de Dieu, conserve néanmoins toujours une vie qui lui est propre. Il en est de même des mauvais anges qui, pour être séparés de Dieu, ne laissent pas de vivre et de sentir, parce qu'ils ont été créés immortels, tellement que la seconde mort même où ils seront précipités après le dernier jugement ne leur ôtera pas la vie, puisqu'elle leur fera souffrir de cruelles douleurs. Mais les hommes qui appartiennent à la grâce et qui seront associés aux saints anges dans la béatitude seront revêtus de corps spirituels, de manière à ce qu'ils ne pécheront ni ne mourront plus.Reste une question qui doit être discutée et, avec l'aide de Dieu, résolue, c'est de savoir comment les premiers hommes auraient pu engendrer des enfants s'ils n'eussent point péché, puisque nous disons que les mouvements de la concupiscence sont des suites du péché. Mais il faut finir ce livre, et d'ailleurs la question demande à être traitée avec quelque étendue; il vaut donc mieux la remettre au livre suivant.

1. 1Co 15,44-49

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Augustin, Cité de Dieu 1318