Pie XII 1942




DOCUMENTS PONTIFICAUX de Sa Sainteté PIE XII

« C'est un fait qu'une saine conception de la société humaine ne peut s'appuyer que sur l'inébranlable fondement des lois éternelles, inscrites dans la nature de l'homme, achevées et perfectionnées par la lumière de la Révélation apportée par le Christ. »

24 décembre 1942 Pie XII.


DOCUMENTS PONTIFICAUX



DOCUMENTS PONTIFICAUX

de ja Oaintete PIE XII

publiés sous la direction Je

Mgr SIMON DELACROIX

EDITIONS SAINT-AUGUSTIN SAINT-MAURICE (Suisse)


IMPRIMATUR

Seduni, die 22. Augusti 1 Jos. BAYARD Vie. gen.

Tous droits réservés

PRÉFACE

DE SON ÉMINENCE LE CARDINAL SUENENS Archevêque de Malines-Bruxelles

Voici plus de quatre ans déjà que Sa Sainteté le pape Pie XII est décédé. Mais sa parole et ses écrits restent d'une telle actualité qu'il est hautement utile d'en poursuivre la publication en langue française, commencée par M. l'abbé Kothen, de regrettée mémoire, et d'en assurer une diffusion toujours plus large.

Le volume consacré aux Documents pontificaux de l'année 1942 est profondément marqué par l'ambiance de la Deuxième Guerre mondiale. Les interventions du Saint-Père à la suite de bombardements aériens, à l'occasion d'audiences accordées à des mutilés de guerre ou lors de la remise de lettres de créance de nouveaux ambassadeurs ou ministres près le Saint-Siège, rappellent sans cesse combien le Père commun souffre personnellement des maux sans nombre que le fléau de la guerre inflige au monde et combien il multiplie les efforts pour restaurer une juste paix.

Dans le déchaînement impitoyable des passions qui ravagent l'univers, au milieu de cette marée de haine et de folie destructrice et homicide, le Vatican apparaît comme une oasis de paix et de sérénité, comme un phare lumineux indiquant la route que l'humanité doit suivre ou retrouver pour atteindre sa fin. Les nombreuses allocutions aux jeunes époux, que le Souverain Pontife se plaisait à recevoir en audiences spéciales, en sont un éloquent témoignage.

En outre, de nombreux discours, à l'occasion de jubilés ou de congrès, mettent en lumière certains points de la doctrine catholique, qui transcendent le moment présent et fournissent des directives précieuses même en des matières profanes.

A l'heure où le deuxième Concile du Vatican s'efforce de mieux mettre en lumière la doctrine catholique en fonction des besoins du monde d'aujourd'hui, et de rendre l'Eglise plus apte à remplir le rôle apostolique que le Christ lui a confié, nous engageons vivement tous les fidèles à se « ressourcer » à Venseignement si lumineux et si universel du grand Pape défunt.

f LÉON-JOSEPH, cardinal SUENENS Archevêque de Malines-Bruxelles


INTRODUCTION

Dans un monde où la guerre en sa troisième année étend ses ravages par l'intensité croissante des bombardements aériens, Pie XII s'efforce d'être présent à toutes les joies et à toutes les peines non seulement de ses enfants, mais de tous les hommes.

Son activité oratoire ne se ralentit pas.

C'est une joie pour lui de recevoir tous « les auditeurs que Dieu lui envoie ». Tous reçoivent de lui non seulement les encouragements les plus paternels, mais aussi des enseignements et des conseils merveilleusement adaptés à leur état de vie. Des aveugles de guerre (78), des jeunes filles (141), les élèves des Ecoles pontificales de bibliothêconomie et de paléographie (155), des hommes de l'Action catholique italienne (232), des savants (254), des écrivains et des journalistes (268), des professeurs (303).

Les jeunes époux sont, semble-t-il, l'objet d'une attention privilégiée. Il ne leur a pas parlé moins de dix-huit fois. Dix-huit allocutions parmi les soixante-douze documents de cette année 1942. De cette prédilection, il a donné les raisons le 21 janvier. Comme pour répondre à la question qu'on pouvait se poser devant ce ministère jusqu'ici peu pratiqué par ses prédécesseurs. Même «• si les soucis du gouvernement de l'Eglise sont bien vastes et bien nombreux », a-t-il expliqué, le pape ne saurait oublier pour autant le «¦ ministère de la parole que saint Pierre considérait comme le principal de ses devoirs d'apôtre avec la prière ». Cet apostolat, Pie XII entend l'exercer non seulement à l'égard des personnes de haut rang, mais aussi à l'égard * des plus humbles », auprès desquels il voudrait pouvoir apaiser sa * soif inextinguible de ce saint ministère... avec la joie d'un Père heureux de parler à ses enfants » et qui croit intensément à <¦ la grande valeur de la parole de Dieu ». Un Père heureux de rompre «• aux auditeurs que Dieu lui envoie le pain vivant et nourrissant de la parole évangélique » (24-25). Le pape diplomate sera aussi un pape pastoral.

A ces enfants privilégiés, il expose successivement et longuement le rôle de la femme (39, 57) et de l'homme (84, 90) dans la famille, l'indissolubilité du mariage (99, 104) et ses ennemis ; la séparation des coeurs (161), l'amour-propre et l'égoïsme (175), la beauté de la fidélité conjugale (257, 278, 288) et ses épreuves (315), le souci de collaboration et la communauté de pensée, de volonté et d'action qui doivent unir les époux (63), la préoccupation qu'ils doivent avoir d'éveiller des vocations (69), les précautions à prendre lors des séparations forcées (185), les rapports avec les domestiques (192, 202, 213).

Au patriciat et à la noblesse de Rome ( 17) et en même temps qu'à eux à tous les membres des classes sociales les plus favorisées, il rappelle que leurs devoirs doivent être à la hauteur de leurs privilèges de fortune et de culture.

Aux curés de Rome et aux prédicateurs de carême, il achève le commentaire du Credo qu'il avait inauguré l'année précédente (27). Et

11 leur recommande d'être «¦ des pères, des maîtres et des médecins sages et zélés » et de donner « une solide nourriture aux âmes affamées de nourriture spirituelle... qu elles ne puisent pas aux fontaines de la science et de la sagesse profanes ».

Le 7 mars, il appelle tous les savants à dépasser la science des phénomènes pour monter jusqu'à Dieu à l'exemple de saint Albert le Grand qu'il leur donne comme patron (53). Le 2 octobre, aux membres du congrès de la Société italienne pour l'avancement des sciences, et le

12 novembre aux membres du Congrès international des hautes sciences mathématiques, il adresse des paroles d'une admirable élévation de pensée pour célébrer le Dieu des sciences, la science elle-même et la vocation de chercheur, pour réaffirmer l'accord de la science sacrée et des sciences profanes, pour proclamer l'estime de l'Eglise pour les recherches scientifiques (256, 284). Il leur demande enfin de faire collaborer la science à l'avènement de la paix et à l'oeuvre de reconstruction du monde. Car, affirme-t-il, « la mathématique est une science de paix et non de conflits » (283).

Mais c'est la guerre, les destructions et les ravages de toute espèce qu'elle accumule, les hécatombes, les deuils, les souffrances qu'elle inflige à ses enfants, qui augmentent de façon sensible son angoisse. Et c'est la paix et les problèmes de la reconstruction du monde qui demeurent sa préoccupation constante et sont au centre de son enseignement.

Le radiomessage qu'il adresse au monde lors du XXVe anniversaire de sa consécration episcopale ( 13 mai), (qui lui vaut de nombreux témoignages de dévotion auxquels il est très sensible), lui est occasion de rappeler l'éternelle jeunesse de l'Eglise, « la maturité de sa mission de Mère universelle du peuple croyant » et l'étendue de cette mission, illimitée dans le temps et dans l'espace.

Aux ambassadeurs de Bolivie (111), du Japon (116), du Venezuela (173), d'Espagne (321), de Finlande surtout (200), il rappelle les bienfaits qu'elle dispense en même temps que les lois de justice et de solidarité qui doivent régir les rapports entre les nations. Mais il note aussi avec douleur combien, à l'heure du déchaînement des passions, l'accomplissement de cette mission qui est confiée au Père commun est difficile, de quelle prudence et de quelle impartialité il doit faire preuve « à l'égard de tous les belligérants », les difficultés qu'il rencontre à prononcer même « une parole de paix » au « risque de heurter l'une ou l'autre partie ». Si sa perspicacité politique lui fait aisément constater que l'état des esprits ne laisse pour le moment * aucune possibilité pratique immédiate de paix », il n'en proclame pas moins que les ruines sont telles qu'elles appellent « tout effort capable d'aboutir à une rapide conclusion du conflit» (131). Et il invite les hommes d'Etat responsables à rechercher « une paix honorable de justice et de modération ».

Mais c'est le discours du 24 décembre au Sacré Collège (324) et surtout le message de Noël (329) qui abordent directement et avec une hauteur de vue sans égale les graves problèmes de la reconstruction du monde. Fait nouveau, dans ce message, Pie XII ne s'adresse pas seulement à ses fils très chers de l'univers entier, mais «• à tous les croyants », à « tous les gens honnêtes », à « la conscience universelle », aux * grandes âmes » et aux * hommes de bonne volonté », à a tous ceux enfin qui, pour sortir du doute et de l'erreur, attendent lumière et guide ». Dans ce message, Pie XII poursuit son oeuvre constructive du monde de demain.

Ce message doit être lu en continuité avec les messages précédents. En 1939, Pie XII a rappelé les conditions essentielles d'une paix conforme à la justice, à l'équité et à l'honneur. L'année suivante, évoquant les légitimes aspirations des peuples à un ordre nouveau, il exposait les fondements juridiques sur lesquels cet ordre nouveau devrait être édifié. En 1941, il a proposé résolument un vaste programme de reconstruction du monde et jeté les bases d'organisation d'une vraie communauté internationale « conforme aux exigences divines ».

En 1942, soulignant le fait que relations internationales et ordre intérieur sont intimement liés et que « l'équilibre et l'harmonie entre les nations dépendent de l'équilibre intérieur et de la maturité intérieure de chaque Etat dans le domaine matériel, social et intellectuel », il définit «• les règles fondamentales » qui doivent assurer « l'ordre intérieur des Etats et des peuples ». Ces règles fondamentales, ces éléments de la paix sociale, il les groupe sous deux chapitres différents : «• La communauté dans l'ordre et la communauté dans la tranquillité. »

<¦ La vie commune dans l'ordre » exige d'abord une tendance vers la réalisation toujours plus parfaite de l'unité intérieure dans une diversité de fonctions. L'unité intérieure elle-même suppose une communion des esprits dans une juste conception de la vie sociale, qui reflétera « vraiment quoique imparfaitement son exemplaire, le Dieu un en trois personnes » et visera à «• conserver, développer et perfectionner la personne humaine », dont « la conservation, le développement et le perfectionnement » sont * l'origine et le but essentiel de la vie sociale ». « Toute l'activité de l'Etat — politique ou économique — doit être orientée vers la recherche du bien commun que Pie XII définit, à l'encontre des régimes totalitaires, en référence à la personne humaine * comme devant apporter à l'ensemble des citoyens... les conditions extérieures nécessaires... pour le développement de leurs qualités et de leurs aptitudes, de leur vie matérielle, intellectuelle et religieuse ». L'Etat est au service des personnes et doit les « servir », non les «• dominer ». La vie commune dans l'ordre exige aussi « une organisation juridique qui ait pour mission de seconder les énergies individuelles et d'assurer des rapports harmonieux entre les individus, les groupes et à l'intérieur des groupes, à l'encontre du positivisme juridique, des intérêts de classe ou de race, et des doctrines qui prônent la souveraineté absolue de l'Etat.

«• La vie commune dans la tranquillité » que requiert aussi comme règle fondamentale l'ordre intérieur des Etats, n'est point « fixisme dur et obstiné », mais « la lutte, l'action contre toute inaction, contre toute désertion dans la grande bataille spirituelle dont l'enjeu est l'édification, ou mieux, l'âme même de la société future ». Elle est « activité, entente » pour établir une vraie paix sociale qui, loin des «• divers systèmes du socialisme marxiste », se soucie de l'amélioration nécessaire de la condition des ouvriers et entende le « cri parti du plus profond de la masse qui dans le monde d'un Dieu juste appelle justice et fraternité ».

Les conditions de base ainsi définies, Pie XII lance un appel vibrant à une croisade sociale pour l'instauration de temps nouveaux. Il en trace même les cinq principes essentiels. Le premier est de rendre à la personne humaine la dignité qui lui a été conférée par Dieu dès l'origine et de respecter ses droits fondamentaux que Pie XII énumère dans une admirable déclaration, remarquable par sa plénitude, sa hardiesse, son équilibre nuancé. Ces droits de la personne humaine quels sont-ils ? « Le droit à maintenir et à développer la vie corporelle, intellectuelle et morale, en particulier le droit à une formation et à une éducation religieuses ; le droit au culte de Dieu, privé et public, y compris l'action charitable religieuse ; le droit, en principe, au mariage et à l'obtention de sa fin ; le droit à la société conjugale et domestique ; le droit au travail comme moyen indispensable à l'entretien de la vie familiale, le droit au libre choix d'un état de vie, et donc aussi de l'état sacerdotal et religieux ; le droit à l'usage des biens matériels dans la conscience des devoirs propres et des limitations sociales» (341).

Les autres principes de base de l'ordre social ? Ce sont : la défense de l'unité de la société dans «• la collaboration des diverses classes et professions » et la défense de la famille et de ses droits ; la reconnaissance de la dignité inaliénable du travail, les exigences d'un juste salaire et la sauvegarde de la propriété privée ; * la reconstitution profonde d'un ordre juridique » reposant sur le souverain domaine de Dieu et défendu contre tout arbitraire humain ; enfin une conception chrétienne de l'Etat qui le ramène * au respect absolu de la personne humaine et de son activité pour l'obtention des fins éternelles ».

Cet admirable message de Noël 1942 prévoit, comme les précédents, les lendemains de guerre et avec une perspicacité, une précision et une hauteur de vues qui n'ont d'égales que l'idée très élevée que Pie XII se fait de la mission de l'Eglise et de la sienne à l'égard de l'humanité en désarroi. Le pape y pose les principes sur lesquels, pour revivre et pour survivre, devra s'élever la construction d'un monde nouveau.

S. DELACROIX


DOCUMENTS PONTIFICAUX



ALLOCUTION AU PATRICIAT ET A LA NOBLESSE DE ROME (S janvier 1942)

1

Aux membres du patriciat et de la noblesse de Rome venus comme chaque année lui présenter leurs voeux, le Saint-Père a répondu par l'allocution suivante :

Les voeux de Nouvel-An que votre illustre interprète Nous a présentés en un noble langage, veulent, dans votre pensée, surtout manifester le filial attachement au Siège apostolique qui anime votre foi et constitue la plus belle gloire du patriciat et de la noblesse romaine. Nous vous en remercions profondément et de grand coeur. Il est juste que Notre amour répondant au vôtre vous retourne les voeux que Nous formons pour vous et pour vos familles, afin de vous témoigner une fois encore Notre reconnaissante et particulière affection pour les sentiments si vivants de traditionnelle fidélité que vous nourrissez à l'égard du Vicaire du Christ.

Cette filiale et paternelle rencontre dans la maison du Père commun n'est certes pas une primeur ; cependant, la puissance de la coutume ou de la tradition n'en diminue pas la douceur et l'agrément, de même que le retour des fêtes de Noël n'amoindrit pas la joie religieuse, ni l'aurore du nouvel an ne peut voiler l'horizon des espérances. Le renouvellement de la sainte joie de l'esprit n'a-t-il pas quelque ressemblance avec le renouvellement du jour, de l'année, de la nature ? L'esprit a aussi son renouveau et sa renaissance. Nous renaissons, nous revivons quand nous commémorons les mystères de notre foi. Dans la grotte de Bethléem, nous adorons de nouveau l'Enfant-Dieu, notre Sauveur, nouveau soleil et lumière du monde,

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. III, p. 345 ; cf. la traduction française des Actes de S, S. Pie XII (Bonne Presse, Paris), t. IV, p. 20.

ï comme sur nos autels se renouvelle sans cesse le sacrifice du Calvaire accompli par le Fils de Dieu crucifié et mourant par amour pour nous.

Vous, en vous souvenant de vos aïeux, vous les revivez d'une certaine façon ; et vos aïeux revivent dans vos noms et dans les témoignages qu'ils nous ont laissés de leurs mérites et de leur grandeur. Ne sont-ce pas des mots lourds de gloire et riches de sens que ceux de patriciat et de noblesse de cette Rome, dont le nom a traversé les siècles et resplendit sur le monde comme estampille de foi et de vérité descendue du ciel pour ennoblir l'homme ?

Le patriciat païen et le patriciat chrétien.

Humainement, le nom de patriciat romain évoque en nous le souvenir de ces anciennes familles ou gentes dont les origines se perdent dans les brouillards de la légende, mais qui, à la claire lumière de l'histoire, apparurent comme des intelligences et des volontés, facteurs essentiels de la puissance et de la grandeur romaines aux époques les plus glorieuses de la République et de l'Empire quand les Césars dans leurs ordres ne remplaçaient pas la raison par le caprice. Hommes rudes, les plus anciens, tous pénétrés du sens des destinées de Rome, identifiant leurs propres intérêts avec ceux de la nation, poursuivant leurs vastes et audacieux desseins avec une constance, une persévérance, une sagesse et une énergie qui jamais ne se démentaient. Aujourd'hui encore, ils suscitent l'admiration de quiconque fait revivre dans son souvenir l'histoire de ces siècles lointains. Ils étaient les patres, les pères, et leurs descendants Patres certo ab honore, patriciique progenies eorum appellati 2 surent unir à la noblesse du sang, la noblesse de la sagesse, de la valeur et de la vertu civique dans une intention et dans un plan de conquête du monde, que Dieu, contre leur pensée, devait un jour, dans son éternel conseil, changer en un champ de luttes ouvertes et de victoires saintes pour les héros de son Evangile, quand de la Ville il ferait la Rome des nations croyant au Christ, élevant au-dessus des souvenirs muets des souverains du paganisme, le perpétuel pontificat et magistère de Pierre.

C'est la raison pour laquelle, au point de vue chrétien et surnaturel, le nom de patriciat romain éveille dans notre esprit une pensée et une vision d'histoire encore plus grandes. Si le terme patricius,

2 Liv., 1. I, c. VIII, n. 7.

patricien, désignait dans la Rome païenne le fait d'avoir des aïeux illustres, d'appartenir non à une descendance ou lignée de condition ordinaire, mais à une classe privilégiée et dominante, à la lumière chrétienne, ce mot revêt un aspect plus éclatant et résonne plus profondément, en tant qu'il associe l'idée d'une supériorité sociale à celle d'une illustre origine. Il y a un patriciat de la Rome chrétienne qui eut son éclat le plus grand et le plus ancien moins dans la noblesse du sang que dans la dignité de protecteur de Rome et de l'Eglise : patritius Romanorum (patrice des Romains), titre porté dès le temps des exarques de Ravenne jusqu'à Charlemagne et Henri III. A travers les siècles, les papes eurent aussi comme défenseurs de l'Eglise des soldats issus des familles du patriciat romain ; et Lépante en signala et immortalisa dans les fastes de l'histoire un grand nom. Aujourd'hui, chers fils et chères filles, le patriciat et la noblesse de Rome sont appelés à défendre et à protéger l'honneur de l'Eglise par les armes de la gloire d'une vertu morale, sociale et religieuse, qui doit resplendir au milieu du peuple de Rome et à la face de l'univers.

Les inégalités sociales.

Les inégalités sociales et aussi celles qui sont léguées par la naissance sont inévitables. La nature bienveillante et la bénédiction de Dieu sur l'humanité éclairent et protègent les berceaux, les couvrent de baisers, mais ne les rendent pas égaux. Regardez les sociétés les plus inexorablement nivelées. Aucune habileté n'a jamais pu faire que le fils d'un grand chef, d'un grand conducteur de foules, demeure en tout dans la même situation qu'un obscur citoyen perdu au milieu du peuple. Mais si, du point de vue païen, ces inégalités inéluctables peuvent apparaître comme une conséquence rigoureuse des conflits sociaux et de la puissance acquise par les uns sur les autres par suite des lois aveugles qui, pense-t-on, dirigent l'activité humaine et aboutissent au triomphe des uns et au sacrifice des autres, par contre, les esprits instruits et formés par la foi chrétienne ne peuvent considérer ces inégalités que comme un ordre de choses voulu par Dieu qui, dans son même conseil, permet des inégalités au sein de la famille. Dès lors ces inégalités sont destinées à unir davantage les hommes entre eux durant leur voyage terrestre vers la patrie du ciel, en permettant aux uns d'aider les autres, comme le père aide la mère et les enfants.

Devoirs des classes élevées.

Si cette concession paternelle de la supériorité sociale pousse parfois les âmes, en raison du heurt des passions humaines, à sortir du droit chemin dans les relations de personnes de rang plus élevé avec celles d'une condition plus humble, l'histoire de l'humanité déchue ne s'en étonne pas. De telles déviations ne peuvent ni diminuer ni voiler cette vérité fondamentale que pour le chrétien les inégalités sociales s'établissent dans une grande famille humaine ; dès lors, les rapports entre classes et rangs sociaux inégaux doivent toujours être régis par une justice probe et impartiale et, en même temps, être empreints de respect et d'affection réciproques qui, tout en ne supprimant pas les différences, diminuent les distances, atténuent les contrastes. Dans les familles vraiment chrétiennes, ne voyons-nous pas les plus grands parmi les patriciens et les patriciennes être particulièrement attentifs et empressés à garder, à l'égard de leurs domestiques et de tous ceux qui les entourent, un comportement en rapport sans doute avec leur rang, mais exempt de tout dédain, enclin à la bienveillance et à la courtoisie dans les paroles et dans les procédés exprimant les nobles sentiments de coeurs qui voient dans les inférieurs des hommes, des frères, des chrétiens comme eux et qui leur sont unis en Jésus-Christ par les liens de la charité ? De cette charité qui, dans les palais des ancêtres, au milieu des grands et des humbles de ce monde, surtout aux heures de tristesse et de souffrance qui ne manquent jamais ici-bas, réconforte, soutient, réjouit et adoucit l'existence.

Vous, chers fils et chères filles, en tant que patriciat et noblesse romaine, dans cette Rome qui est le centre de la communauté chrétienne, dans l'Eglise qui est la Mère qui gouverne toutes les Eglises du monde catholique, autour de celui que le Christ a établi son Vicaire et Père commun de tous les fidèles, vous, vous avez été placés par la divine Providence dans un rang élevé, afin que votre dignité brille devant le monde par votre dévouement au Siège de Pierre tel un exemple de vertu civique et de grandeur chrétienne. Si toute prééminence sociale entraîne avec elle des charges et des obligations, celle qui vous est échue par la volonté divine exige de vous, spécialement en cette heure grave et agitée — heure ténébreuse à cause des discordes, des affreuses et sanglantes disputes entre les hommes, heure qui invite à la prière et à la pénitence, ces vertus qui, chez tous, transforment et corrigent la façon de vivre comme nous le prêchent très clairement les maux présents et l'incertitude des dangers futurs — cette prééminence, disions-Nous, exige de vous une plénitude de vie chrétienne, une conduite irréprochable et austère, une fidélité à tous vos devoirs de famille, à toutes vos obligations privées et publiques, qualités qui ne doivent pas se démentir, mais briller avec éclat et vigueur devant les yeux de tous ceux qui vous regardent et vous observent attentivement ; à ceux-là, vous devez, par vos actes et par votre conduite, montrer, avec le véritable chemin pour avancer dans le bien, que le meilleur ornement du patriciat et de la noblesse romaine c'est l'excellence de la vertu.

Dès lors, tout en demandant à Jésus Enfant, humble, pauvre, mais de race royale, roi, dans son humanité, des anges et des hommes, qu'il soit votre guide dans l'accomplissement de la mission qui vous est assignée, qu'il vous éclaire et vous fortifie par sa grâce, Nous vous donnons, chers fils et chères filles, dans l'effusion de Notre amour paternel, la Bénédiction apostolique. Nous voulons qu'elle descende et demeure également sur tous ceux qui vous sont chers ; en particulier, sur ceux qui sont loin de vous, qui, dans l'accomplissement de leur devoir, se trouvent exposés aux dangers auxquels ils font face avec une valeur égale à la noblesse de leur sang ; sur ceux qui sont peut-être disparus, blessés, prisonniers. Que cette bénédiction qui descend sur vous soit un baume, un réconfort, une protection, un gage des dons et des secours célestes les plus précieux et les plus abondants, et qu'elle soit pour le monde inquiet et bouleversé l'espoir de la tranquillité et de la paix !



DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX (21 janvier 1942)

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. III, p. 353 ; cf. la traduction française de Georges Huber, dans les Discours aux jeunes époux, publiés en 2 vol. par les Editions Saint-Augustin, Saint-Maurice, t. II, p. 93.

On trouvera la suite des discours aux jeunes époux ci-après, pp. 39, 57, 63, 69, 84, 90, 99, 104, 161, 175, 1S5, 192, 202, 213, 257, 278, 288, 315.

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Pourquoi le Saint-Père parle aux jeunes époux.

Votre aimable présence, chers jeunes époux, rappelle à Notre pensée et Nous remet sous les yeux en une vivante image les groupes nombreux d'autres époux venus, comme vous-mêmes aujourd'hui, demander Notre Bénédiction apostolique sur la tendre aurore et les ardentes espérances de leurs nouvelles familles. Au cours de ces audiences, Nous leur avons adressé la parole à plusieurs reprises, et sans doute est-il arrivé que Nos allocutions, parues dans les journaux catholiques ou en petits volumes, vous sont aussi tombées sous les yeux. Aujourd'hui toutefois, outre le désir de Notre Bénédiction apostolique, vous portez peut-être, Nous semble-t-il, cachée dans vos coeurs, une question : vous aimeriez savoir pourquoi Nous avons tant à coeur de prodiguer, chaque fois qu'il s'en présente l'occasion, Nos enseignements aux chers nouveaux mariés. Que pouvons-Nous, que devons-Nous vous répondre ? Vous voulez pénétrer dans Notre coeur, en surprendre les battements, les pensées qui en montent et qui s'enflamment sur les lèvres du Père universel de la famille chrétienne ; d'un Père qui brûle, à l'exemple de Pierre dont il est le successeur, de charité pour le Christ et l'Eglise, son Epouse, de cette charité pleine d'affection pour les brebis et les agneaux ; d'un Père qui voit, dans les jeunes rameaux de la famille chrétienne, se régénérer les fils de Dieu, s'étendre le jardin de la foi et de la grâce, s'élever et se multiplier les fleurs du ciel ; d'un Père qui parle à ses enfants, c'est-à-dire à vous-mêmes, des choses de la famille, et qui voudrait à ce propos ressusciter un vieux et beau souvenir de famille, un souvenir qui remonte aux temps apostoliques, aux origines mêmes de l'Eglise, la puissante Mère de la famille chrétienne.

Un jour, les chefs de cette famille — c'étaient les Douze et à leur tête ils avaient Pierre, dont Nous occupons, quoique indigne, la place — constatèrent, au milieu des fatigues de leur apostolat, que, du fait du nombre sans cesse croissant des disciples, ils n'arriveraient plus à subvenir aux besoins de leur troupeau, spécialement dans l'assistance quotidienne des veuves et dans le service des tables. Ils convoquèrent donc les fidèles et les invitèrent à choisir dans leur foule sept hommes de bonne réputation, pleins de l'Esprit-Saint et de sagesse — les diacres — afin de leur confier cet office, tandis que Pierre et les autres apôtres continueraient à vaquer « à la prière et au ministère de la parole » (Ac 6,14). Choisis par le Christ et envoyés pour enseigner toutes les nations, les apôtres ne devaient-ils pas, avant tout, rendre témoignage à sa mission divine et transmettre la bonne nouvelle ? De fait, ils ne se dispensèrent jamais de témoigner, soit de vive voix, soit par écrit, au milieu des périls et des persécutions, dans tout l'Empire romain et au-delà, prêts à sceller de leur sang la parole que leur infatigable courage annonçait aux peuples.

Dix-neuf siècles se sont écoulés, et leur parole de voie, de vérité et de vie a passé, d'âge en âge, de pays en pays, de montagne en montagne, de mer en mer, de continent en continent, de peuple en peuple, de bouche en bouche, des terres de Palestine jusqu'aux extrémités du monde, portée par les vaillants hérauts de la foi. Le petit grain de sénevé jeté à Jérusalem a grandi jusqu'à devenir un arbre immense : ses rameaux couvrent la terre et dans sa ramure habitent près de quatre cents millions de croyants.

C'est là ce royaume de Dieu dont l'oraison dominicale nous fait demander l'avènement. Royaume spirituel, sans doute, mais qui se développe et qui travaille en ce monde où nous marchons en pèlerins vers une patrie située plus haut que les étoiles. Royaume immense où s'est épanouie, avide et sûre d'un avenir qui ne se terminera qu'avec les siècles, la petite famille des premières années. Composée d'hommes unis entre eux par des liens visibles et pareille à un immense troupeau sous un souverain Pasteur unique, elle ne peut se passer d'un organisme de gouvernement, d'une subordination de personnes, d'une administration de choses, et nombreux sont les émules des premiers diacres, à Rome et à travers le monde, qui secondent le pape avec un zèle admirable dans l'accomplissement de sa lourde tâche.

Comme les apôtres, il veut s'adonner au «¦ ministère de la parole ».

Mais, si les soucis du gouvernement de l'Eglise sont bien vastes et bien nombreux, le Souverain Pontife ne saurait oublier pour autant le « ministère de la parole » que saint Pierre considérait comme le principal de ses devoirs d'apôtre avec la prière. Le Christ ne lui avait-il pas dit, à lui et aux autres disciples : « Allez, prêchez à toutes les nations ce que je vous ai enseigné » ? (cf. Matth. Mt 28,19). Saint Paul ne s'écriait-il pas : « Je dois ma parole aux savants et aux ignorants » ? (cf. Rom. Rm 1,14 Rom. ) N'est-ce pas par l'ouïe que la foi entre dans les coeurs ? La parole de Dieu n'est-elle point la voie, la vérité et la vie ? Elle est vivante et efficace, plus acérée qu'une épée à deux tranchants, si pénétrante qu'elle va jusqu'à séparer l'âme et l'esprit, les jointures et les moelles ; elle démêle les sentiments et les pensées du coeur (He 4,12). Nous aimons la parole de Dieu parce qu'en elle c'est le Verbe divin qui resplendit, se manifeste et en quelque sorte s'incarne une seconde fois pour nous.

Sans doute, c'est avant tout lorsque, dans les occasions solennelles, Nous Nous adressons à toute l'Eglise, aux évêques, Nos Frères dans l'épiscopat, que Nous exerçons ce ministère ; cependant, Nous sommes le Père de tous, même des plus humbles ; Nous sommes le Pasteur des brebis, mais aussi des agneaux : comment donc pourrions-Nous renoncer au simple et saint exercice du ministère de la parole et ne point porter à Nos enfants directement, de Notre propre voix, l'enseignement que Nous a confié le Christ Notre Maître ? Dieu n'a-t-il pas mis et allumé dans le coeur de tout prêtre, de tout évêque, par la grâce même de l'ordination sacerdotale et de la consécration episcopale, la soif inextinguible de ce saint ministère au milieu du peuple chrétien ?

Vous comprenez donc, bien-aimés fils et filles, quelle joie intime et quel profond réconfort possèdent et enflamment Notre âme quand, au milieu des graves soucis de l'Eglise universelle, Nous pouvons venir parmi vous avec la joie d'un Père heureux de parler à ses enfants, avec la joie d'un prêtre qui rompt aux auditeurs que Dieu lui envoie le pain vivant et nourrissant de la parole évangélique et qui coopère ainsi directement à l'oeuvre de la grâce pour fortifier, accroître et affermir dans leur esprit la foi, la confiance et l'amour, ces vertus qui sanctifient pour le ciel le cours — joyeux ou triste, selon que Dieu voudra — de leur vie d'ici-bas. - 25 -

Estimez donc la parole de Dieu, et faites-en le pain spirituel de votre foyer.

Voilà pourquoi, et c'est ici le fond de Notre coeur que Nous vous ouvrons, voilà pourquoi Nous aimons à Nous entretenir avec vous et Nous ne vous laisserons point partir aujourd'hui sans ajouter quelque enseignement pour vos âmes. A vrai dire, ces confidences que Nous vous avons faites ne renferment-elles pas un enseignement ? Ne vous montrent-elles pas la grande valeur de la parole de Dieu ? Ne vous manifestent-elles pas l'estime où vous devez la tenir lorsqu'elle vous est distribuée même sous une forme des plus simples et des plus sobres et dans la plus humble de vos paroisses ? Saint Paul remerciait le Seigneur de ce que ses chers Thessaloniciens avaient reçu la parole de Dieu non comme parole des hommes, mais, ainsi qu'elle l'est véritablement, comme une parole de Dieu qui déploie sa puissance en ceux qui croient (cf. 1Th 2,13).

Si, en ces temps de vie difficile, un de vos premiers soucis lors de la fondation d'un foyer a été de connaître et de trouver le moyen d'assurer à votre famille le pain quotidien, ne mettez pas moins de sollicitude à procurer aussi à vos âmes l'assurance du pain spirituel. Le plus grave des châtiments dont Dieu menaçait le peuple d'Israël, par la bouche du prophète Amos, était d'envoyer la famine sur la terre : « Non une faim de pain, non une soif d'eau, mais d'entendre les paroles de Dieu... Ils iront de côté et d'autre pour chercher la parole de Dieu, et ne la trouveront pas » (Am 8,11-12). Plus encore que toutes les difficultés d'approvisionnement matériel auxquelles les circonstances actuelles peuvent vous exposer, craignez, bien-aimés fils et filles, craignez par-dessus tout la faim, la disette de la parole de Dieu. Aimez, recherchez le pain de vos âmes, la parole de la foi, la connaissance de la vérité nécessaire au salut de l'homme, afin que votre intelligence ne se laisse point obscurcir par les erreurs et l'ignorance des fabricants de sophismes et d'immoralité. Que vos âmes, que les âmes de vos fils et de vos filles, ne défaillent point sur le chemin de la vertu, du devoir et du bien, faute de s'être suffisamment nourris de la parole de Dieu, de cette nourriture supersubstantielle qui donne force et vigueur sur le sentier de cette vie et nous permet ainsi de gagner la cité bienheureuse où les élus « n'auront plus ni faim ni soif » (Ap 7,16).

Ne vous montrez point à l'égard de la parole de Dieu négligents, paresseux ou sourds. L'heure douloureuse que nous vivons est l'heure où Dieu parle sur les terrains sanglants de ce cruel conflit et dans la désolation des cités plus que dans les pieux tressaillements de la joie. Dieu est maître des nuages et des tempêtes, et il les gouverne par sa parole. Dans les nuages, les éclairs et les tonnerres, il parla un jour sur le Sinaï pour promulguer le Décalogue de sa loi que les hommes, par la suite, ont gravement violée. Aujourd'hui, il donne la parole aux vents et aux tempêtes ; il semble se taire alors qu'il passe sur les flots mouvants des mers et des océans, et que grondent les tempêtes, secouant les nacelles que la main des hommes a construites dans leurs arsenaux terrestres. Adorons son passage et son silence. Cette heure de tempête est l'heure du retour à Dieu et du souvenir de Dieu (cf. Ps., lxxvii, 34-35) ; c'est l'heure de la prière, l'heure d'invoquer le Très-Haut ; c'est l'heure où, réalisant une parole de vérité, le Seigneur « renverse les desseins des nations et réduit à néant les pensées des peuples » (Ps 32,12). Il tient et manoeuvre le gouvernail de chaque navire pour le guider à travers les flots vers le bien qu'il a choisi.

En ces moments de graves épreuves, la parole de Dieu accueillie dans l'humilité et méditée dans la ferveur de la prière, est la seule voix qui pénètre le coeur pour en apaiser les craintes et les angoisses et pour l'animer à la confiance et à la résignation. C'est la seule voix qui éclaire l'esprit sur les mystères des insondables desseins de Dieu ; -c'est l'unique parole qui réconforte, soutienne et réchauffe vos âmes, chers enfants, l'unique parole qui conserve et stimule la foi, l'espérance et l'amour. Ecoutez-la donc, recueillez-la avidement et docilement des lèvres de vos pasteurs. Afin qu'elle trouve en vous des coeurs bien disposés et qu'elle y produise, selon la parabole de Notre-Seigneur (Mt 13, 8, 23), des fruits en abondance, du trente, du soixante, du cent pour un, Nous demandons au divin Maître que la richesse de sa grâce féconde en vous la bonne semence et Nous vous en donnons le gage, de tout coeur, dans Notre Bénédiction apostolique.


Pie XII 1942