Pie XII 1942 - ALLOCUTION A UN GROUPE D'AVEUGLES DE GUERRE DE L'INSTITUT D'ASSISTANCE DE ROME


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX (8 avril 1942)

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Après avoir exposé le rôle de la femme dans la famille (cf. ci-dessus, PP 39 et 57), le Saint-Père parle aux jeunes époux de la responsabilité de l'homme dans la famille. Ce thème fait l'objet du présent discours et de celui qu'il devait prononcer le 15 avril.

I. — La responsabilité de l'homme dans le bonheur du foyer domestique.

Ne vous étonnez point, chers jeunes mariés, si Nous aimons, dans ces audiences générales, à vous adresser, à vous, la parole en particulier : c'est que dans les mouvements si divers de Notre pensée, elle en vient pour l'ordinaire à graviter dans l'orbite de la nouvelle famille que vous inaugurez. La famille humaine est le suprême prodige de la main de Dieu dans l'univers, la merveille suprême dont il a couronné le monde visible au dernier et septième jour de la création, lorsqu'il forma et établit au paradis de délices qu'il avait aménagé et planté lui-même, l'homme et la femme, leur ordonnant de le cultiver et de le garder (cf. Gen. Gn 2, 8, 15) et leur donnant autorité sur les oiseaux du ciel, les poissons de la mer et les animaux de la terre (cf. Gen. Gn 1,28). N'est-ce point là la royale grandeur dont l'homme conserve les signes même après sa chute aux côtés de la femme, et qui l'élève au-dessus de ce monde qu'il contemple au firmament et dans les étoiles, au-dessus de ce monde dont il parcourt hardiment les océans, au-dessus de ce monde qu'il foule et qu'il dompte par son travail et sa sueur pour en tirer le pain qui restaure et soutient sa vie ?

Epouses qui Nous écoutez, lorsque vous avez lu les paroles que Nous avons récemment prononcées sur la responsabilité de la femme dans le bonheur de la famille, vous avez peut-être dit en votre coeur que cette responsabilité ne concerne pas uniquement la femme, bien loin de là, qu'elle est mutuelle, qu'elle incombe non moins au mari qu'à l'épouse. Et votre pensée aura revu l'image de plus d'une femme que vous connaissez ou dont vous avez entendu parler : femme et épouse exemplaire, dévouée aux soins de la famille jusqu'au-delà de ses forces, elle se trouve encore, après plusieurs années de vie commune, en face de l'égoïsme indifférent, grossier, violent même peut-être, de son mari, et cet égoïsme, loin de diminuer n'a fait que se développer avec l'âge.

Ces héroïques mères de famille, filles d'Eve, oui, mais femmes fortes, généreuses imitatrices de la seconde Eve qui a écrasé la tête du serpent tentateur et gravi le douloureux calvaire jusqu'au pied de la croix, Nous ne les ignorons point. Nous n'ignorons pas non plus les procédés des maris, leurs manières parfois affectueuses et délicates, parfois sans égards et dures. Ils ont, eux aussi, leurs responsabilités dans le gouvernement de la famille. Ces responsabilités, Nous Nous étions réservé de les exposer dans une allocution spéciale et c'est ce que Nous faisons aujourd'hui même en ce bref discours.

C'est à l'homme d'assurer la subsistance des siens par une activité prévoyante et prudente.

I. — La responsabilité de l'homme à l'égard de sa femme et de ses enfants a sa première origine dans les devoirs qui lui incombent envers leur vie, devoirs dont il s'acquitte la plupart du temps par sa profession, son art ou son métier. Son travail doit procurer aux siens un gîte et une nourriture quotidienne, leur assurer la subsistance et les vêtements convenables. Sous la protection qu'offrent et donnent à la famille la prévoyance et l'activité de l'homme, il faut qu'elle puisse se sentir heureuse et tranquille. Le mari ne vit pas dans la condition de l'homme sans famille : il doit subvenir à l'entretien de son épouse et de ses enfants. Il doit penser à eux, lorsqu'il se trouve parfois devant des entreprises aventureuses qui attirent par l'espérance de gains élevés, mais qui facilement, par des sentiers insoupçonnés, mènent à la ruine. Les rêves de richesse trompent souvent la pensée plus encore qu'ils ne satisfont les désirs, et la modération du coeur et de ses rêves est une vertu qui jamais ne saurait nuire, parce qu'elle est fille de la prudence. Aussi, même en l'absence d'autres difficultés d'ordre moral, il y a des limites déterminées que l'homme marié n'a pas le droit de franchir, des

limites tracées par l'obligation qui lui incombe de ne pas mettre en danger sans motif très grave la subsistance assurée, tranquille et nécessaire de son épouse et de ses enfants actuels ou à venir. Autre chose, si, sans faute ni coopération de sa part, des circonstances indépendantes de sa volonté et de son pouvoir compromettent le bonheur de son foyer, comme il arrive aux époques de bouleversements sociaux ou politiques, où les flots de l'angoisse, de la misère et de la mort se répandent par le monde et submergent des millions de foyers. Seulement, avant de passer à l'action ou d'y renoncer, avant d'entreprendre ou de risquer quoi que ce soit, que l'homme se demande toujours : est-ce que je peux assumer cette responsabilité devant ma famille ?

L'importance pour les siens de sa valeur sociale et de sa renommée.

Mais, si des liens moraux lient l'homme marié à sa famille, il y en a aussi qui le lient à la société : la fidélité dans l'exercice de sa profession, de son art ou de son métier, l'honnêteté sur laquelle ses supérieurs doivent pouvoir compter absolument, la droiture et l'intégrité de vie qui lui gagnent la confiance de tous ceux qui traitent avec lui. Ces liens ne sont-ils pas d'éminentes vertus sociales ? Ces vertus si belles ne forment-elles pas le rempart du bonheur domestique, de la paix de la famille, dont la sécurité est le premier devoir d'un père chrétien ?

Nous pourrions ajouter, puisque l'estime publique du mari tourne à l'honneur de sa femme, que l'homme doit, par égard pour elle, chercher à se signaler et à exceller parmi ses collègues. Toute femme, en général, désire pouvoir être fière de son compagnon de vie. Louons donc le mari qui, par un noble sentiment d'affection pour sa femme, s'efforce d'accomplir sa tâche de son mieux et de se distinguer.

Délicatesse du chef de famille qui assure à la mère l'affectueuse vénération de la maison.

IL — La digne et honnête élévation que sa profession et son labeur procurent à l'homme dans la société, tourne donc à l'honneur et à la consolation de son épouse et de ses enfants, puisque, « les pères sont, au dire de l'Ecriture (Pr 17,6), la gloire de leurs enfants ». Cependant, l'homme n'a pas non plus le droit d'oublier combien il importe au bonheur de la vie familiale qu'il porte en son coeur et témoigne sans cesse à la mère de ses enfants, à son épouse, par son attitude et ses paroles, le respect et l'estime qu'elle mérite. Si la femme est le soleil de la famille, elle en est aussi le sanctuaire, elle est le refuge du tout petit en pleurs, le guide des plus grands, le réconfort de leurs peines, l'apaisement de leurs doutes, la confiance de leur avenir. Maîtresse de douceur, elle est aussi maîtresse de maison. La considération que vous lui portez, chefs de famille, il faut que vos enfants et vos domestiques la discernent, la sentent et la voient dans votre attitude, dans votre conduite, dans vos regards, dans vos paroles, dans votre voix, dans votre salut. On dit que les couples mariés se distinguent des autres par les manières indifférentes, moins délicates ou parfaitement impolies et grossières de l'homme envers sa femme : qu'il n'en soit jamais ainsi. Au contraire, toute l'attitude du mari à l'égard de son épouse doit s'inspirer sans cesse d'une cordialité empressée, naturelle, noble et digne qui convient à un homme intègre et craignant Dieu, à un homme conscient de l'inestimable influence qu'exerce sur l'éducation des enfants la bonne entente vertueuse et délicate des époux. L'exemple du père a beaucoup de puissance sur les enfants : c'est pour eux une vivante et pressante invitation à entourer leur mère, et leur père lui-même, de respect, de vénération et d'amour.

Un amour viril et plein d'égards qui sait reconnaître les attentions de l'épouse et dominer ses propres soucis.

III. — Cependant la coopération de l'homme au bonheur du foyer domestique ne saurait s'arrêter ou se limiter à de respectueux égards envers sa compagne de vie : il faut encore qu'il sache voir, apprécier et reconnaître l'oeuvre et les efforts de celle qui, silencieuse et assidue, se dévoue à rendre la commune demeure plus confortable, plus charmante et plus gaie. Avec quels soins affectueux cette jeune femme n'a-t-elle pas tout disposé pour fêter aussi joyeusement que le permettent les circonstances, l'anniversaire du jour où elle s'est unie devant l'autel à celui qui devenait son compagnon de vie et de bonheur, et qui va maintenant rentrer du bureau ou de l'usine ! Regardez cette table : des fleurs délicates la parent et l'égaient. Elle a soigneusement préparé le repas : elle a choisi ce qu'il y avait de meilleur, ce qu'il aime le plus. Mais voici que l'homme, épuisé par les longues heures d'un travail plus fatigant peut-être que d'habitude, agacé par des contrariétés imprévues, rentre plus tard que de coutume, sombre, préoccupé d'autres pensées. Les paroles de joie et d'affection qui l'accueillent tombent dans le vide et le laissent muet ; il ne semble rien remarquer sur la table que sa femme a ornée avec amour ; il ne s'aperçoit que d'une chose : un plat, apprêté cependant pour lui faire plaisir, est resté trop longtemps sur le feu, et voilà qu'il se plaint, sans songer que c'est la longue attente, son propre retard, qui en est la cause. Il mange à la hâte, parce que, dit-il, il doit sortir tout de suite. La pauvre jeune femme avait rêvé d'une douce soirée passée côte à côte dans la joie, une soirée toute pleine de souvenirs, et le repas est à peine fini qu'elle se retrouve seule dans les chambres désertes : elle a besoin de toute sa foi, de tout son courage, pour refouler les larmes qui lui montent aux yeux.

Bien rares sont les foyers qui ne connaissent point de temps à autre des scènes de ce genre. Un principe proclamé par le grand philosophe Aristote veut que nous jugions des faits d'après ce que nous sommes en nous-mêmes 2 ou, en d'autres termes, que les choses plaisent ou déplaisent à l'homme selon ses dispositions naturelles ou ses passions du moment3. Et vous voyez comment les passions, même innocentes, les affaires et les événements font, à l'égal des sentiments, changer d'idées et de préoccupations, oublier les convenances et les égards, refuser ou négliger les gentillesses et amabilités. Sans doute le mari pourra-t-il faire valoir comme excuse l'accablante fatigue d'une journée de travail intense, aggravée par les contrariétés et les ennuis. Croit-il toutefois que sa femme ne ressente jamais de fatigue, n'éprouve jamais de déplaisirs ?

L'amour véritable et profond des époux devra se montrer dans l'un et l'autre plus fort que la fatigue et les déplaisirs, plus fort que les événements et les contrariétés de chaque jour, plus fort que les changements de temps et de saison, plus fort que les variations d'humeur et les malheurs inattendus. Il faut se dominer soi-même, il faut dominer les événements, sans se laisser influencer ni balloter par eux. Il faut savoir donner le sourire et le merci de l'affection mutuelle, apprécier les attentions de l'amour, procurer la joie à ceux qui vous consacrent leurs peines. Quand donc, maris, vous vous retrouverez à la maison, où la conversation et le repos restaureront vos forces, ne vous attachez pas à voir et à rechercher les petits défauts inévitables en toute oeuvre humaine. Regardez plutôt toutes les bonnes choses, grandes ou petites, qui vous sont offertes comme le fruit de pénibles efforts, de soins dili

2 Ethique à Nicomaque, 1. III, chap. 7 ; éd. de Leipzig 1912, p. 55.
3 Summa Theol., I 83,1 ad 5 ; I-II 9,2.

gents, d'affectueuses attentions féminines qui vont faire de votre demeure, même modeste, un petit paradis de bonheur et de joie. Ne vous contentez point de considérer ces bonnes choses et de les aimer dans le secret de votre pensée et de votre coeur : témoignez votre reconnaissance à celle qui n'a ménagé aucun effort pour vous les procurer et qui ne trouvera pas meilleure ni plus douce récompense que l'aimable sourire, la parole gracieuse, les regards d'attention et de complaisance qui lui traduiront votre gratitude.

Nous vous avons promis d'être bref et, les quelques autres conseils qu'il Nous reste à donner aux maris, Nous les réservons pour un prochain discours.

Chers jeunes mariés, la Bénédiction apostolique que Nous allons vous accorder, Nous demandons qu'elle s'étende à tous ceux qui Nous écoutent et à tous les leurs. Cependant, Nous avons une pensée spéciale pour ces hommes qui, outre la charge souvent bien lourde que leur impose le gouvernement et l'entretien de leur famille, ont conscience de leurs devoirs envers la société et le bien public, surtout en ces temps de graves épreuves ; qui acceptent de s'acquitter de ces obligations souvent bien loin de leur foyer, dans les privations et les sacrifices ; qui savent, dans l'accomplissement de ces devoirs, unir à l'héroïsme un amour conjugal que Péloignement ne fait que rendre plus intense et plus noble, dans une vie fervente de fidélité et de vertu. C'est à eux tout particulièrement que Nous donnons la Bénédiction apostolique.

DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX (15 avril 1942)


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Voici la seconde partie du sujet que le Souverain Pontife développait dans son précédent discours aux jeunes époux (cf. ci-dessus, p. 84):

II. — La responsabilité de l'homme dans l'organisation et les besoins de la famille.

Que de merveilles l'homme découvre dans l'univers de la création, chers jeunes époux, soit qu'il contemple l'extrême variété des êtres inanimés avec les minéraux et les terrains, ou l'immensité du règne végétal avec les herbes, les fleurs, les fruits, les blés et les arbres, ou le vaste empire des animaux qui lui apparaissent dans les airs et dans les eaux, sur les monts, dans les plaines et dans les forêts. Vous remarquerez en outre, au sein de cette diversité, comment les individus d'une même espèce se différencient par leurs caractères morphologiques et physiologiques, par leur vigueur, par la beauté de leurs couleurs et de leurs formes. Et vous-mêmes, dans les enfants qu'il plaira au Seigneur de vous donner, vous pourrez également observer et discerner les inclinations qui distinguent un garçon d'une fille et qui, par des dispositions diverses, orientent l'homme et la femme vers la vie particulière que Dieu prépare à l'un et l'autre.

Devoir du mari d'apporter à sa femme le concours de sa force physique.

Il en va de même de l'union conjugale : l'homme est chef de la femme (1Co 2,3) et il la surpasse d'ordinaire en force et en vigueur. Cependant cette différence n'abaisse point la femme ; car, si elle met souvent la main à des tâches apparemment insignifiantes, elle n'en réalise pas moins de grandes et puissantes choses par la responsabilité qui lui incombe de procurer le bien-être de son foyer et de mériter la reconnaissance de son mari. Toutefois, hommes mariés, pour affectueuse que soit votre gratitude, vous pouvez et devez faire davantage. Si votre perfection de chef de famille vous impose d'accomplir votre devoir professionnel soit dans votre foyer soit au-dehors, elle vous demande davantage encore : dans votre maison aussi, dans le royaume même de votre épouse, vous avez une tâche à accomplir. Vous êtes plus forts et souvent plus habiles à manier les instruments ou les outils, et nombre de menus travaux que demande le confort de votre logement vous offriront des occupations qui conviennent mieux à l'homme qu'à la femme. Ce ne sera pas des tâches et entreprises comparables à celles du bureau, de l'usine ou du laboratoire où vous allez travailler, ni des occupations incompatibles avec votre dignité ; il s'agira de prendre part à la sollicitude de votre compagne, souvent accablée de soucis et de travaux ; il s'agira de donner un coup de main qui vienne bien à propos, ce qui sera pour elle une aide, un soulagement, et pour vous une distraction et un délassement. Pour cultiver un jardin — si la Providence vous a fait la grâce d'en avoir un — pour divers embellissements ou réparations, pour tant de choses plus ou moins faciles à enlever, à placer, à arranger, comme il s'en présente continuellement, n'avez-vous pas des mains mieux faites et plus alertes que celles de votre épouse ? Et en général lorsqu'un travail exigera plus de force, n'aurez-vous pas la délicatesse et la précaution de vous le réserver ? Pourrait-il se rencontrer dans une maison chrétienne rien de plus triste et de plus opposé au sens chrétien que des scènes de vie qui rappelleraient un spectacle trop fréquent autrefois chez certains peuples que n'avait pas encore éclairés ni adoucis le divin mystère de Nazareth : le spectacle d'une femme qui chemine ployée, telle une bête de somme, sous un pesant fardeau, tandis que son seigneur la suit et la surveille en fumant tranquillement ?

Qu'il serve son épouse au foyer.

Un des grands bienfaits sociaux des temps passés, c'était le travail à domicile, que bien des hommes eux-mêmes pratiquaient alors, et qui unissait en un même labeur, en un même foyer, l'homme et la femme côte à côte, tous les deux auprès de leurs enfants. Mais les progrès de la technique, le gigantesque développement des usines et des bureaux, la multiplication des machines de toute sorte, ont rendu aujourd'hui ce genre de travail fort rare, excepté dans les campagnes, et les époux sont contraints par leurs occupations de se séparer et de passer de longues heures de la journée loin de leurs enfants.

Oh tïranno signore De' miseri mortali,... Bisogno, e che non spezza Tua indomita fierezza !
(O maître tyrannique des misérables mortels,... labeur, quand donc se brisera ton indomptable férocité ? 2)

2 Parini, Ode // Bisogno.

Toutefois, si absorbante que soit l'occupation qui vous tienne loin des vôtres une bonne partie de la journée, vous trouverez encore à votre retour, Nous n'en doutons pas, la force de rendre à votre compagne de menus services, vous conciliant par là sa reconnaissance. Une reconnaissance bien affectueuse, car il n'échappera point à votre épouse qu'il vous aura fallu, pour l'aider, vaincre la fatigue et un légitime besoin de repos, grâce à cette complaisance qui se dévoue jusque dans les humbles circonstances du foyer et qui associe la famille entière à la réalisation du bonheur domestique et à la joie qui en découle.

Que dans les heures pénibles, il soit un modèle de dévouement intelligent et généreux

Mais la vie de la famille connaît encore des circonstances plus difficiles, des heures mélangées de joies et de douleurs, des temps de peines et d'angoisses, de privations et de larmes : les naissances, les maladies, les deuils. Il s'agit alors de faire davantage. La mère ne pourra point ou ne pourra guère vaquer à ses diverses occupations : il faudra que tous à la maison, jusqu'aux petits, y mettent du leur, dans la mesure de leurs forces. Mais qui donc sera le premier à l'ouvrage, sinon le père, le chef de la famille ? N'est-ce pas lui qui se dépensera aussitôt à tous les instants pénibles, donnant l'exemple du dévouement et de la prévoyance ? N'est-ce pas en de pareilles circonstances que se révéleront sa digne sagesse de père et l'énergie de son gouvernement familial ?

Epoux, préparez-vous à ces graves et inévitables épreuves par un raffermissement de votre courage. Ne comptez point que l'avenir qui vous attend échappe au sort commun des foyers. Tirez lumière et profit des épreuves d'autrui. Ne vous arrêtez point à calculer les peines et les fatigues de votre personne, la générosité de vos efforts, pour les comparer au dévouement de votre épouse. Le véritable amour ne connaît pas de ces calculs ni de ces comparaisons : il se donne, estimant que ce qu'il fait pour la personne qu'il aime n'est jamais assez. Ce que l'Imitation du Christ 3 affirme de l'amour de Dieu vaut aussi pour l'amour si profond et si saint qu'est l'amour conjugal : « Rien ne lui pèse, rien ne lui coûte, il essaie plus qu'il ne peut, il ne prétexte jamais l'impossibilité... il peut tout et il accomplit en perfection beaucoup de choses où celui qui n'aime pas défaille et succombe. » Il ne faut donc point s'étonner que l'Apôtre des gentils — qui avait l'esprit et le coeur pleins de charité, au point d'exalter cette vertu au-dessus des prophéties, des mystères et de la foi miraculeuse, au-dessus du don des langues et de la science, au-dessus du martyre et de la libéralité envers les pauvres (cf. 1Co 13,1 et ss.) — il ne faut point s'étonner qu'il ose assimiler l'amour de l'époux pour son épouse à l'amour du Christ pour son Eglise (cf. Ep 5,25-29).

l. iii, chap. v.


pour le bonheur de la famille.

Oh ! oui, aimez vos épouses : vous leur devez en conscience le don le plus haut et le plus nécessaire, le don de l'amour. C'est dans l'amour que la chasteté conjugale et la paix de la famille trouvent leur sauvegarde ; c'est l'amour qui affermit la fidélité, qui remplit de fierté les enfants, qui perpétue, inviolable, le sacrement qui a uni l'homme et la femme devant la face de Dieu. Epoux, sanctifiez vos épouses par l'exemple de vos vertus ; donnez-leur la gloire de pouvoir vous imiter dans la pratique du bien et dans la piété, dans l'assiduité au travail, dans la vaillance à supporter les lourdes épreuves et les cruelles souffrances auxquelles nulle vie humaine ne saurait échapper. D'où vient à l'époux sa joie, sa fierté de père, sinon de la maternité de la femme ? Pourra-t-il donc jamais oublier les peines et les douleurs de son épouse, les dangers où l'expose la maternité et les sublimes sacrifices alors parfois exigés de la mère ? Et là où l'instinct et l'amour maternels ont tout accepté sans compter, se permettra-t-il, lui, dans son amour d'époux et de père, de marchander son dévouement ?


Que l'époux considère la tendre vénération des siècles chrétiens pour la femme.

Jetez un regard sur l'histoire de l'Eglise, l'Epouse du Christ. Que de héros, que d'héroïnes dans le secret du sanctuaire familial ! Que de vertus connues de Dieu seul et de ses anges ! Au moyen âge, à cette époque si rude parfois, le peuple, les châteaux, les cours, sans parler des monastères, savaient rendre à la femme l'hommage d'une vénération mêlée de tendresse. Adolescentes, fiancées, épouses, mères, toutes semblaient couronnées d'une auréole céleste, soit que rejaillît sur toutes les filles d'Eve l'amour qu'inspirait au coeur des croyants la nouvelle Eve, la Mère du Christ et des hommes, soit qu'une autre pensée de foi sortie des profondeurs de l'esprit chrétien épanouît alors ce sentiment de déférente et affectueuse courtoisie ignorée des païens, anciens ou modernes, qui marchent toujours la tête haute dans leur orgueil d'homme, comme aussi dans les révoltes de l'orgueil féminin. La considération de la femme exaltait le poète croyant, dont l'enthousiasme éclatait en cantiques de louanges à « la Vierge Mère, fille de son Fils », à « la Vierge belle, de soleil revêtue », la priant de « le recommander à son Fils, vrai Dieu et vrai homme, pour qu'il daignât recueillir son dernier souffle dans la paix ».

Maris, tournez vos regards vers Nazareth ; entrez dans cette demeure. Considérez ce charpentier, ce très saint dépositaire des secrets de Dieu, cet ouvrier qui nourrit de son labeur une famille sans éclat, mais plus noble que la famille des Césars romains ; observez avec quelle dévotion, avec quel respect, il aide et vénère cette Mère, épouse immaculée et sans tache. Admirez celui qui passe pour « le fils du charpentier », lui, le Verbe, la Sagesse toute-puissante qui a créé le ciel et la terre, sans qui rien n'a été fait ni ne saurait se faire, et qui ne dédaigne point de se soumettre à Marie et à Joseph dans les services de la maison et de l'atelier ; contemplez ce modèle de sainteté dans la vie familiale, objet de l'admiration et de l'adoration des hiérarchies angéliques.

Puisse cette contemplation cultiver en vos coeurs les sentiments de reconnaissante et tendre donation de vous-mêmes, afin qu'ils se traduisent dans votre vie quotidienne par votre généreux concours au bonheur et à la sécurité de la famille. Dans votre vie professionnelle, vous mettez, maris, votre honneur à n'éluder aucune de vos responsabilités : mettez de même dans votre vie chrétienne le noble courage et la fierté de votre conscience, mettez votre générosité et votre amour à prendre, en collaboration avec votre épouse, la part de travail et de soucis qui vous revient dans l'édification du bonheur de votre foyer.

Implorant donc, bien-aimés fils et filles, pour vous tous, époux ou épouses, les grâces nécessaires à cette féconde et sainte collaboration, Nous vous accordons de coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique.


LETTRE AU SECRÉTAIRE D'ÉTAT PRESCRIVANT DES PRIÈRES PUBLIQUES POUR OBTENIR L'UNION DES PEUPLES ENTRE EUX (15 avril 1942)

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Par cette lettre adressée à S. Em. le cardinal Maglione, secrétaire d'Etat, le Saint-Père lui demande de prescrire des prières publiques en faveur de la paix durant le mois de mai prochain :

Pendant que le monde, se confiant dans la force des armes et les ressources de tout genre apportées par l'époque pour faire la guerre, poursuit sa marche toute marquée de sang humain, Nous qui souffrons de la destruction de tant de vies humaines et qui avons des sentiments paternels à l'égard de tous les peuples, Nous ne pouvons Nous empêcher, en employant et en recommandant les moyens les plus aptes à ménager une paix véritable et une concorde fraternelle et à établir un nouvel ordre basé sur une droite orientation et les principes chrétiens, principalement confiant en Dieu, Nous ne pouvons Nous empêcher d'élever vers lui Nos mains suppliantes et Nous exhortons tous ceux qui, dans le monde entier, sont Nos fils dans le Christ, à prier derechef avec dévotion.

Aujourd'hui comme dans les années précédentes 2, à l'approche du mois de mai, Nous désirons par vous qui Nous assistez de façon si proche dans le gouvernement de toute l'Eglise, inviter à une sainte croisade de prières tous les hommes et, nommément, les enfants qui, par l'âge et l'innocence, Nous sont chers par-dessus tous les autres, comme ils l'étaient au divin Rédempteur.

1 D'après le texte latin des A, A. S., 34, 1942, p. 125 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. IV, p. 74.
2 Chaque année, depuis le début de son pontificat, Pie XII exhorte les chrétiens à adresser à la Vierge Marie des supplications particulières durant le mois de mai (Cf. Lettre du 20 avril 1939, Documents Pontificaux 1939, p. 60 ; Lettre du 15 avril 1940, Documents Pontificaux 1940, p. 124 ; Lettre du 20 avril 1941, Documents Pontificaux 1941, p. 106).

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Puisqu'il est permis d'espérer tous les biens par l'entremise de Marie, Nous souhaitons que tous recourent à elle, en particulier durant le prochain mois qui lui est spécialement consacré. Surtout que viennent près de son autel, en suppliants, conduits par leurs parents, les petits garçons et les petites filles, dont les prières candides et confiantes ne peuvent pas ne pas être agréées par la Mère de Dieu et notre très bonne Mère à tous. Chacun sait que, de même que Jésus-Christ est Roi universel et Seigneur des seigneurs (cf. 1Tm 6,15 Ap 17,14 xix, Ap 16) et tient dans ses mains le sort des individus et des peuples, ainsi son auguste Mère Marie, honorée par tous les fidèles du titre de « Reine du monde », exerce auprès de Dieu la plus grande puissance d'intercession. Et si le premier miracle accompli par le divin Rédempteur « à Cana de Galilée » (Jn 2,1-11) est dû à sa supplication miséricordieuse ; si son Fils unique, alors qu'il était sur le point de mourir attaché à la croix, nous a laissé ce qui lui restait encore de plus cher sur la terre, en nous donnant pour mère sa propre Mère •; si enfin, au cours des siècles, nos aïeux ont recouru à elle dans une prière confiante en face de n'importe quel danger privé ou public, pourquoi, disons-Nous, dans cette effroyable diversité de maux qui depuis si longtemps nous angoissent, ne pas confier nos personnes et tous nos biens à sa très puissante protection ? De même que toutes les créatures sont soumises et obéissent aux ordres éternels de Dieu qui les concernent, ainsi on peut affirmer d'une certaine manière que son fils unique exaucera toujours et avec bienveillance les prières de la Vierge Mère de Dieu ; spécialement maintenant que cette Bienheureuse Vierge jouit de l'éternelle béatitude dans le ciel et que, couronnée de la couronne triomphale, elle est saluée Reine des anges et des hommes.

Si elle jouit d'un tel pouvoir auprès de Dieu, elle n'éprouve pas cependant une moindre compassion à notre égard, étant notre Mère très aimante à tous. Dès lors que tous accourent vers elle avec une foi vive et un fervent amour ; qu'ils lui apportent non seulement des prières et des supplications, mais aussi des oeuvres salutaires de pénitence et de charité capables d'apaiser la justice divine outragée par tant et de si graves fautes. « La prière — pour employer les paroles de Notre très sage prédécesseur Léon XIII — a pour effet de nourrir l'âme, de l'armer de courage, de l'élever aux choses divines ; la pénitence nous donne la force de nous dominer, et surtout de commander au corps qui, par suite de la faute originelle, est l'ennemi le plus redoutable de la doctrine et de la loi évangéliques. Il existe entre ces vertus, cela est évident, une cohésion parfaite ; elles s'entraident et tendent ensemble à détacher des choses périssables l'homme né pour le ciel et à l'élever pour ainsi dire jusqu'à l'intimité céleste avec Dieu » 3.

Que si en tous les temps ces vertus furent nécessaires aux chrétiens, sans nul doute, la très triste situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui les postule encore davantage. En effet, par ces vertus nous pouvons plus facilement, grâce à l'intercession de la Vierge Marie, obtenir du « Père des miséricordes » (2Co 1,3) et du Dieu qui donne les faveurs célestes, cette paix véritable, solide, durable, inspirée et modelée par la justice et par la charité, paix que Nous désirons et attendons si ardemment.

Faisant pénitence et priant avec un coeur humble, que tous les fidèles — et surtout les enfants innocents, garçons et fillettes — demandent avec insistance au divin Rédempteur et à sa très sainte Mère que, pendant que le ciel et la mer frissonnent d'épouvante sous une tempête chaque jour plus agitée, brille devant Nous qui naviguons au gouvernail de la nef de l'Eglise la lumière surnaturelle, que l'aide de Dieu nous soit présente ! Que tous demandent avec instance à Jésus et à Marie que les pauvres et les affamés reçoivent la nourriture du corps et de l'âme qui leur est nécessaire ; que soient rendues aux exilés leur patrie, aux blessés et aux malades la santé, aux prisonniers la liberté ; enfin, qu'après avoir dompté les ambitions par la raison et rétabli l'ordre normal de la justice et de la charité à l'égard de Dieu et du prochain, soit un jour restaurée pour le monde entier, tant dans la vie privée de chacun que dans la société civile, la seule véritable paix, qui est la paix chrétienne.

Nous avons voulu, par cette présente lettre, renouveler ces paternelles exhortations, et vous les confier, à vous, Notre cher fils, afin que, de la façon qui vous sera possible, vous les communiquiez à tous, et principalement aux évêques du monde catholique qui, Nous le savons par expérience, répondent toujours avec une volonté empressée et toute dévouée non seulement à Nos ordres mais aussi à Nos voeux et à Nos désirs.

En attendant, Nous accordons très cordialement dans le Seigneur la Bénédiction apostolique, gage des divines faveurs et témoignage de Notre particulière bienveillance, tant à vous, Notre cher fils, qu'à tous ceux qui se plairont à réaliser les exhortations de cette lettre, et spécialement à toutes ces légions d'enfants qui Nous sont si chers.


Pie XII 1942 - ALLOCUTION A UN GROUPE D'AVEUGLES DE GUERRE DE L'INSTITUT D'ASSISTANCE DE ROME