Pie XII 1940 - AU COURS DE LA MESSE POUR LA PAIX ET LES VICTIMES DE LA GUERRE


ALLOCUTION A LA CLOTURE DES EXERCICES SPIRITUELS AU VATICAN

(1er décembre 1940) 1

Après la prédication des Exercices spirituels à la chapelle Mathilde du Palais apostolique, le Saint-Père réunit autour de lui les cardinaux, archevêques, évêques et prélats de la Curie romaine qui y avaient participé, et leur adressa les paroles suivantes :

C'est toujours une grande faveur de Dieu que la solitude dans laquelle il parle à nos coeurs et par la voix de laquelle il fait résonner à nos oreilles la doctrine du Christ et nous montre son admirable exemple, qui est lumière de sagesse et vertu pour nos pas dans la vie, nous invite à tourner le regard sur nous-mêmes, à nous regarder en lui, Dieu Sauveur, à nous charger de cette croix qui nous rend dignes de lui, à espérer cette joie de la résurrection qui raffermit et élève la charité d'ici-bas pour ce sublimer et s'éterniser avec Dieu. Remercions par conséquent le Seigneur du don et des grâces reçus dans cette dévote et silencieuse retraite de notre esprit et que nos requêtes soient présentées à Dieu avec action de grâce, cum gratiarum actione petitiones nostrae innotescant apud Deum (cf. Ph 4,6). Parce que la reconnaissance est le parfum de la vie chrétienne et sacerdotale, parce qu'elle plaît à Dieu et parce qu'elle est la clef de ses trésors.

Dans ces jours de méditation sur notre vie, dans nos colloques avec Dieu, nous nous sommes faits tout petits devant lui, l'invoquant dans la connaissance mieux ressentie de notre rien, nous humiliant pour être davantage exaltés et réconfortés par la grâce et la miséricorde divines dans le chemin qu'il nous reste à parcourir, en nous avançant vers ce but très élevé de la perfection que le Christ lui-même nous montre dans le Père céleste ; ce but divin dont nous nous approchons sans pouvoir l'atteindre, mais qui comme le soleil illumine, dirige et valorise nos pas. Tel est le chemin et la science des saints ; tel est le progrès dans le bien et dans la vertu, dans les heures tranquilles et troublées du cours de notre vie, particulièrement dans cette heure attristée par des événements orageux et par des larmes de sang. Dans notre recueillement devant Dieu, certainement la pensée de l'heure qui passe a jeté nos âmes dans la prière pour implorer cette lumière et cette force qui nous soutiennent et que notre esprit et notre coeur ont connues et ardemment désirées plus claires, plus actives, plus vigilantes au besoin, pour n'être pas inférieurs aux peines, aux anxiétés et aux douleurs de l'Eglise. N'est-ce pas peut-être aussi l'un des beaux fruits mûris dans la concentration de l'esprit de celui qui sert l'épouse du Christ, qui souffre et combat sur la terre pour diffuser et établir la paix du Christ entre les hommes de bonne volonté ? La Curie romaine n'est-elle pas comme le sacré Dicastère de la prudence, de la justice et de la paix au milieu du peuple chrétien ?


MOTU PROPRIO PERMETTANT DE CÉLÉBRER LA MESSE DE LA NUIT DE LA NATIVITÉ LA VEILLE DE NOËL

(1er décembre 1940) 1

Par ce « Motu proprio », le Saint-Père permet de célébrer la veille de Noël avant la tombée de la nuit la messe que l'on a coutume de célébrer au milieu de la nuit de la Nativité de Notre-Seigneur Jésus-Christ. En voici le texte :

Puisque l'actuel conflit guerrier apporte la ruine et le carnage non seulement aux armées combattantes, mais parfois aussi aux citoyens pacifiques, Nous qui nourrissons à l'égard de tous les peuples une affection paternelle, Nous ne voulons rien omettre de ce qui peut apporter quelque consolation spirituelle à tous ceux qui, à cause de la guerre, sont de n'importe quelle manière très douloureusement éprouvés.

Aussi, à l'approche des solennités de Noël, Nous sommes préoccupé par la pensée que les rites sacrés que l'on a coutume de célébrer au milieu de la nuit de Noël avec tant de joie pour l'âme chrétienne ne pourront être accomplis en beaucoup d'endroits par les fidèles sans difficulté et sans danger. En effet, dans un grand nombre de nations, à cause des attaques aériennes nocturnes qui, de part et d'autre, sont faites par les ennemis, il est prescrit par la loi que toutes les lumières soient éteintes ou masquées afin que les villes, les places et les villages soient moins facilement exposés aux raids aériens de l'ennemi.

Qu'il Nous soit permis d'espérer et d'avoir confiance que du moins, pendant cette nuit très sainte et durant ce saint jour, soit spontanément, soit par mutuel accord, intervienne de la part de tous les belligérants une trêve de telle sorte que le fracas des armes ne couvre pas dans les édifices sacrés les chants angéliques de paix qui se répètent et que l'effusion de sang fraternel ne trouble pas ni n'éteigne malheureusement la joie céleste de cette journée.

Quoi qu'il en soit cependant, désirant extrêmement, ainsi que Nous l'avons dit plus haut, que rien ne manque aux fidèles comme grâces et consolations célestes, après y avoir mûrement réfléchi, de Notre propre mouvement et en vertu de la plénitude du pouvoir apostolique, Nous décrétons et statuons ce qui suit :

1. — Tant que durent la triste situation et les circonstances actuelles, dans les régions où est en vigueur la loi obligeant à masquer les lumières, il sera permis à chaque Ordinaire des lieux d'accorder que dans les églises primatiales, métropolitaines, cathédrales, collégiales et paroissiales, l'unique messe conventuelle ou paroissiale qui peut être célébrée à minuit à Noël soit célébrée la veille de Noël dans la soirée, de telle sorte qu'entre la fin de la messe et l'heure fixée par la loi pour voiler les lumières subsiste un certain intervalle. Les Ordinaires peuvent donner la même permission aux autres églises et oratoires publics — mais non aux oratoires semi-publics ou privés — pourvu que ces églises ou oratoires publics jouissent du privilège de dire à Noël la messe de minuit en vertu d'une coutume séculaire ou immémoriale ou en vertu d'un induit apostolique.

2. — Avant cette messe conventuelle célébrée dans la soirée, on peut réciter au choeur les Matines, en les commençant, s'il en est besoin même à midi.

3. — Les prêtres qui auront fait usage de cette faveur ne pourront célébrer le jour suivant que deux messes, à condition d'avoir gardé le jeûne naturel à partir de minuit.

4. — Il faut toutefois que les prêtres qui useront de ce privilège n'aient pris aucune nourriture ou boisson durant les quatre heures qui précèdent le commencement de la messe la veille de Noël.

5. — Tous ceux qui auront pieusement assisté au sacrifice eucharistique célébré le soir de la vigile de Noël auront satisfait au précepte d'entendre la messe le jour de Noël.

6. — En outre, tous les fidèles qui assisteront à la messe du soir de la vigile de Noël, — même s'ils ont communié le matin — pour-


MESSE DE LA NUIT DE LA NATIVITÉ

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ront cependant s'approcher de la sainte Table, pourvu qu'ayant expié leurs fautes et qu'ayant les dispositions requises, ils n'aient pris aucune nourriture ni boisson durant les quatre heures précédant la messe. Ils ne pourront, le lendemain, recevoir de nouveau la sainte communion.

Nous voulons et ordonnons que tout ce qui a été établi par Nous dans ces présentes lettres données par Motu proprio ait valeur et force, nonobstant toutes choses contraires.

A l'adresse d'hommage de S. Exc. M. Léon Bérard, nouvel ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de France, venu présenter ses lettres de créance, le Souverain Pontife répondit par cette allocution :

Au moment où Votre Excellence, appelée par la confiance de l'illustre maréchal de France, chef de l'Etat français, à prendre la succession du si méritant comte d'Ormesson, inaugure solennellement son importante et honorable mission d'ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, les paroles qu'elle vient de Nous adresser révèlent une émotion et une tristesse devant lesquelles tout homme de coeur ne peut que s'incliner.

La profondeur de cette douleur, ses raisons bien connues, la virile résolution, en dépit d'obstacles presque surhumains, de ramener votre pays et votre peuple à des jours meilleurs et plus sereins, où pourraient-elles trouver une compréhension plus prompte, une sympathie plus intime, un encouragement plus sincère que chez le Père commun de tous les fidèles, ce Père dont le coeur est auprès de toutes les nations dans leurs joies comme dans leurs douleurs, et qui ne peut oublier combien puissant et bienfaisant a été dans l'histoire de l'humanité et du christianisme l'apport de pensée et d'action de la France croyante ?

Au milieu des événements et des bouleversements qui commencent à donner à l'aspect extérieur et à la physionomie spirituelle de l'Europe des traits nouveaux, et dont les développements ultérieurs restent pour le moment si obscurs, brille encore devant Notre pensée l'image de cette France catholique qui, à la grotte de Massabielle, priait si dévotement avec Nous la Reine de la


ALLOCUTION A L'AMBASSADEUR DE FRANCE

(9 décembre 1940) 1

paix, alors que montaient déjà sur l'horizon de l'Europe les signes des futures tempêtes.

L'image de cette France avec laquelle, dans le sanctuaire de Lisieux, il Nous fut donné de vivre des heures de haute édification spirituelle.

L'image de cette France à qui, sous les voûtes de Notre-Dame, d'un cceur aimant, mais soucieux, Nous lançâmes Notre cri : Orate, fratres — Amate, fratres — Vigilate, fratres.

Aujourd'hui, Monsieur l'ambassadeur, cette France, dont vous êtes le digne représentant, est vêtue de deuil. Frappée d'une épreuve comme il s'en rencontre peu dans l'histoire mouvementée des peuples, la nation française, pensant à son antique grandeur, contemple dans la tristesse ses campagnes dévastées, ses fils tombés, ses citoyens éloignés de leurs demeures, ses enfants prisonniers, tristesse encore augmentée par les incertitudes de l'avenir.

Mais, si profonde que puisse être cette douleur de la France, sous ses vêtements de deuil bat un coeur fort, dont la volonté de vivre ne s'éteindra pas.

Nous voulons espérer que tous ceux à qui est échue la mission de dominer le présent et de jeter les bases spirituelles de l'avenir, sauront développer dans l'ordre et la concorde les richesses d'énergie et de sentiment enracinées au plus profond de l'âme des peuples, et profiter du cours des événements pour fixer aux nations un but digne du dévouement et des sacrifices de leurs citoyens et, par là, éliminer les ombres et les inquiétudes qui font obstacle à un vrai accord des pensées et des volontés.

De tout coeur, Nous souhaitons à votre pays — au milieu de ses épreuves actuelles — cette force morale qu'une profonde parole de l'antique sagesse romaine définissait la scientia rerum perferen-darum vel adfectio animi in patiendo ac perferendo summae legi parens sine timore 2.

Puisse à cette vertu naturelle se joindre l'invicible énergie de l'espérance surnaturelle, qui sait la puissance et la fidélité de la Providence divine, aux dispositions de laquelle aucun peuple ne se confie en vain !

Elle est d'un des plus grands parmi les fils que la France a donnés au monde et à l'Eglise, Bernard de Clairvaux, cette parole

« La science du support des épreuves ou l'attitude de l'âme dans la patience et la persévé-en obéissant sans crainte à la loi suprême. » Cicéron, Tusculanes, 4, 24.

bien digne d'un saint et d'un héros : Vinces, spem tuum in Deo fortiter figendo et rei finem longanimiter exspectanda 3.

Puisse un tel esprit animer beaucoup de ses compatriotes ! Puissent, en ce moment décisif de sa destinée, affluer de la foi de ses aïeux dans l'âme du peuple français ces pensées généreuses et ces élans puissants qui, en d'autres temps, furent si souvent pour la France croyante et prosternée devant Dieu secours providentiel et principe de salut !

Dans son travail d'éducatrice en vue du bien des âmes, l'Eglise mettra en oeuvre tout ce qui est en son pouvoir et répond à sa mission surnaturelle, pour entretenir et perfectionner dans le coeur des fidèles confiés à ses soins cet esprit de sacrifice et de fraternité qui est la base morale de toute action sociale.

Vous, Monsieur l'ambassadeur, comme profond connaisseur et représentant illustre de la vie intellectuelle française, et comme sincère catholique, vous êtes particulièrement en état d'apprécier tout le bien qu'un libre exercice de la mission éducatrice et réédu-catrice de l'Eglise est de nature à produire dans tout pays qui en ces temps de froide dureté et sans amour s'ouvre sagement aux chaudes effluves du sentiment et de la vie chrétienne. Nous en avons la ferme confiance, les cordiales relations existant entre le Saint-Siège et la France recevront de la main sage et expérimentée de Votre Excellence les développements qui répondent non moins aux désirs de l'éminent chef de l'Etat qu'à Nos propres voeux et à Notre volonté, comme aussi au vrai bien du peuple français.

C'est dans ces sentiments que Nous vous souhaitons, Monsieur l'ambassadeur, une cordiale bienvenue, avec l'assurance de Notre bienveillant et constant appui dans l'exercice de votre haute mission.


LETTRE AU SECRÉTAIRE D'ÉTAT POUR ENCOURAGER LES OEUVRES DE CHARITÉ EN FAVEUR DES VICTIMES DE LA GUERRE

(21 décembre 1940) J

Voici la traduction de cette lettre rédigée en italien à l'adresse de S. Em. le cardinal Maglione, secrétaire d'Etat :

De toutes parts Nous arrivent, même dans la grande fête de la paix, la Noël du Seigneur, les échos douloureux de la guerre dévastatrice. C'est la voix de Nos enfants qui se débattent dans de graves souffrances et implorent de l'aide.

Une telle somme de maux et de souffrances, qui vont chaque jour s'aggravant et s'élargissant, ne peut pas ne pas trouver un écho très douloureux dans Notre coeur de père, qui accueille sans distinction les douleurs et les larmes de tous Nos fils ; aussi n'avons-Nous pas de désir plus vif dans un tel bouleversement que de secourir les corps et de réconforter les coeurs. Ce n'est pas d'aujourd'hui que datent tous Nos efforts dans ce sens ; Nous avons tout tenté pour que, au milieu de cet amas de ruines, puisse s'épancher la pitié de Jésus, dont Nous sommes l'indigne Vicaire ici-bas, en semant ses bienfaits et récoltant ses fruits.

Beaucoup de Nos efforts se sont, hélas ! heurtés à des difficultés de tout genre, plus graves encore qu'à la dernière guerre mondiale : les unes tiennent au caractère même du nouveau conflit mondial, les autres — Nous devons aussi le dire — Nous sont opposées par la volonté des hommes.

Loin d'assister passivement à un si déplorable état de choses, d'un autre côté n'étant armé que des armes de la vérité, de la justice et de la charité chrétienne, ce que Nous pouvons encore faire une fois est d'inviter tous les chrétiens à la prière et à l'action en faveur des victimes du conflit. La prière est une force qui, faisant, par des voies mystérieuses, quasi violence au ciel, agit doucement, irrésistiblement sur la volonté des hommes ; jaillie d'un coeur pur et innocent, elle est tout particulièrement puissante sur le coeur de Dieu.

L'action est un devoir de tous et de chacun, à laquelle se vouent déjà diverses initiatives publiques et qui, aux heures graves comme celles que traverse présentement l'Europe, revêt une très haute valeur de solidarité fraternelle. D'où que viennent ces initiatives de pitié et d'humanité, Nous les bénissons avec gratitude. En vue d'un plus grand rendement, Nous exhortons ceux qui les conduisent à les coordonner de toutes les manières possibles et Nous faisons des voeux pour que tous y persévèrent sans se relâcher jamais de leur effort et de leur confiance.

Parmi tous ceux qui souffrent, Nous attirons l'attention sur les enfants ; en ces jours, ils évoquent, dans leur personne, l'Enfant de Bethléem, l'ami des enfants et de l'innocence. Le Christ, qui, pour les défendre du mal s'élève avec sévérité contre toutes les formes du scandale à leur égard, prend aujourd'hui Notre voix et les défend des maux de cette terre. Pour eux, il tend la main, pour eux qui sont les premiers entre les moindres de ses frères, il répète avec douleur : « J'avais faim et vous m'avez donné à manger ; j'étais sans toit et vous m'avez reçu... ; j'étais nu et vous m'avez revêtu » (Mt 25,35).

Notre coeur se serre à la pensée du malheur de ces tendres petits : à peine entrés dans la vie, ils sont ainsi bientôt condamnés à n'en goûter que les amertumes et à éprouver la dureté de coeur d'hommes dont la gloire devrait être de rendre heureuse l'enfance.

Nous les embrassons et les bénissons, ces petits, d'autant plus affectueusement, bien que Nos possibilités de secours ne répondent pas à l'ampleur des besoins ; et, une fois de plus, Nous voulons croire que les maîtres du pouvoir feront honneur aux bonnes traditions de la vraie civilisation et ne permettront pas que l'enfance des pays belligérants ou entraînés d'une façon ou d'une autre dans la guerre, supporte dans ces circonstances si calamiteuses des peines qu'elle n'a point méritées.

Pour Nous, comme Nous avons naguère invité les enfants chrétiens et bons à la prière, Nous voulons aujourd'hui les exhorter à se souvenir de leurs petits frères sans pain, sans vêtements, sans famille.

Il Nous plaît d'espérer que la fête de Noël, avec ses dons pour


EN FAVEUR DES VICTIMES DE LA GUERRE

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tous, et la fête des Innocents, avec le souvenir des premières fleurs fauchées pour le Christ, suggéreront mille bonnes initiatives aux coeurs de tous les enfants qui se trouvent encore dans la paix et dans des familles aisées, de sorte que tout enfant abandonné — par suite de la guerre ou non — ait, grâce à eux, un morceau de pain, un cadeau, un secours.

Si, du fait de bien des obstacles, on ne peut, dans les circonstances présentes, songer à une vraie et propre organisation générale de bienfaisance en faveur des victimes de la guerre, et si, bien souvent, il est fort difficile de se servir des institutions spéciales déjà existantes pour faire arriver les secours là où le besoin s'en fait plus cruellement sentir, que chacun fasse tout le bien qu'il peut, où il peut, comme il peut ! Qu'on multiplie partout les initiatives de bienfaisance, qu'on suscite l'énergie des bons ; qu'ils se fassent un point d'honneur de remporter, même à distance, une victoire sur les maux : « Vaincs le mal par le bien » (Rm 12,21). « Elargissez le domaine de votre charité » 2.

En attendant, Nous ne voulons pas oublier de louer et remercier tous ceux qui Nous ont aidé dans Notre oeuvre de charité qu'il Nous a été donné de réaliser jusqu'ici. Sur ce point, Notre pensée et Notre gratitude vont spécialement à l'épiscopat américain qui, bien qu'éloigné des horreurs de la guerre, a une fois de plus manifesté sa pleine compréhension des besoins de l'Eglise souffrante ; en faisant appel à la traditionnelle générosité des catholiques — et spécialement des compatriotes des pays éprouvés par la guerre — il a largement soutenu la charité bienfaisante du Père commun.

A l'épiscopat américain va pleine et entière Notre gratitude et Notre bénédiction, comme elle ira, avec non moins d'affection, à tous ceux qui Nous permettront de distribuer avec une main plus large ce que l'autre reçoit.

Dans cet espoir, Nous prions Dieu d'abréger pour l'humanité souffrante les jours de l'épreuve. Et avec le vif désir que les saintes fêtes de Noël apportent à la famille chrétienne si tourmentée un présage de temps plus sereins, Nous bénissons tous Nos fils et implorons sur chacun d'eux le réconfort des miséricordes de Dieu.

En vous chargeant, Monsieur le Cardinal, de publier sous la forme qui vous semblera la plus opportune Nos sentiments et Nos intentions, Nous vous donnons de tout coeur une particulière Bénédiction apostolique.


MESSAGE DE NOËL AU SACRÉ COLLÈGE ET A LA PRÉLATURE ROMAINE

(24 décembre 1940) 1

Après avoir reçu les voeux exprimés par S. Em. le cardinal Granito Pignatelli di Belmonte au nom du Sacré Collège des cardinaux et de la Prélature romaine, le Saint-Père remercia et adressa à l'illustre assemblée ce pathétique message de Noël :

Nous vous remercions, Vénérables Frères et chers Fils, Nous vous remercions avec toute l'effusion de Notre coeur du cher don de votre présence en cette veille de Noël. Nous vous remercions avec émotion et gratitude de vos nobles voeux et de vos ferventes prières pro Ecclesia et Pontifice ; voeux et prières dont le vénéré doyen du Sacré Collège, si proche de Notre coeur et si digne de Notre estime et de Notre affection, s'est fait le digne et éloquent interprète. Cette richesse de dons Nous est d'autant plus chère que les temps actuels sont plus douloureux.

Nos sentiments paternels vous répondent ; ils vous répondent, Nos voeux accompagnés et renforcés de chaudes prières à Dieu pour les fêtes de Noël et de nouvel an ; à vous que le Seigneur, dans son aimante Providence, a appelés à être à Nos côtés des conseillers sages et fidèles, éprouvés et prompts au service du « troupeau du Seigneur » ; à vous qui, en votre qualité de membres de la Curie romaine, sentez profondément et comprenez votre haute mission, qui est de collaborer et de prendre part, chacun dans son office et sa sphère, à la sollicitude pastorale universelle du Vicaire de Jésus-Christ.

Sur tous et sur chacun de vous en particulier, ministres et gardiens de « la cité bâtie sur la montagne » (Mt 5,14), sur vous tous à qui, plus qu'aux autres, il appartient de mettre en pratique l'avertissement du Seigneur : « Que votre lumière brille devant les hommes », Nous implorons de l'éternel Grand Prêtre, à cette époque si grave aussi pour l'Eglise et les âmes qui lui sont confiées, ce que lui-même demandait à son Père pour ses apôtres en une heure solennelle et sainte : « Père saint, gardez-les dans votre nom... Je ne vous demande pas de les ôter du monde, mais de les garder du mal... Sanctifiez-les dans la vérité» (Jn 17, 11, 15, 17).

Ce matin, Vénérables Frères et chers Fils, l'admirable liturgie de la sainte Eglise a élevé les coeurs de ses prêtres par les grandioses paroles du martyrologe romain : « L'an 752 de la fondation de Rome, quarante-deuxième du règne d'Octave Auguste, la paix régnant dans tout l'univers, Jésus-Christ, Dieu éternel et Fils du Père éternel, voulant consacrer le monde par sa très pieuse venue, conçu du Saint-Esprit..., se fait homme et naît à Bethléem de Judée de la Vierge Marie. »

La joie de Noël

Lorsque le ton solennel de ce joyeux message, qui unit Rome à Bethléem, la très pieuse naissance du Sauveur du monde au souvenir de la fondation de cette illustre Rome qui, dans son plus haut et sacré destin, imperium terris, animos aequabit Olympo2 doit étendre son empire aussi loin que s'étend la terre elle-même et élever les coeurs aussi haut que les cieux — cela non par la gloire des armes mais par les victoires de la grâce divine ; — quand cette annonce augurale de la venue d'un Roi céleste, à l'époque où la paix s'étendait sur toute la terre, résonne de nouveau à l'oreille des fidèles du Christ, elle révèle et suscite dans des millions d'âmes de tous les peuples et nations, le souvenir de la Rédemption.

Comme une divine symphonie universelle, de toutes les langues monte une hymne de jubilation, un chant d'adoration des coeurs humbles et reconnaissants : « Le Christ nous est né, venez, adorons-le » 3. Hymne immortelle de liberté que chantent dans leur exil les fils d'Eve ! Ils semblent alors oublier la douleur du paradis perdu par la faute de leurs premiers parents, les épines et les chardons que

Virgile, Enéide, 6, 782. Chant de \'Adeste fideles.

produit la terre profanée par la chute d'Adam, et, devant le céleste Enfant dans la crèche de Bethléem et la Vierge Mère de l'Emmanuel nouveau-né, ils se prosternent dans la poussière, émus et plein d'un saint étonnement devant les admirables desseins de la Providence divine.

. source de paix et de confiance

La sainte liesse de Noël, la joie intime qui jaillit naturellement comme un battement du coeur des fidèles du Christ, ne dépendent point des événements extérieurs, qui ne sauraient les diminuer ou les troubler ; la joie de Noël, qui les comble de félicité et de joie, a des racines si profondes et des cimes si hautes qu'elle ne peut être abattue par quelque événement d'ici-bas, que le monde soit en paix ou en guerre. La consolante vérité de la parole du Seigneur : « Votre coeur se réjouira et nul ne vous ravira votre joie » (Jn 16,22), qui donc saurait mieux la ressentir que le chrétien qui, le coeur sincère et la volonté purifiée, écoute de toute son âme l'hymne de paix aux hommes de bonne volonté, adressée à la terre de la crèche, la première chaire du Verbe divin fait homme ?

Celui qui pénètre le sens de cette hymne, celui qui a savouré, ne fût-ce qu'une seule goutte du suave nectar de vérité et d'amour qu'elle renferme, celui-là connaît un refuge dans le tumultueux désordre des événements, des peines et des angoisses du temps présent ; il se tiendra également éloigné d'un optimisme irréfléchi qui méconnaît la réalité, comme de la tendance — encore moins apostolique — qui incline à un lâche et déprimant pessimisme. Ne sait-il pas que la vie et l'action de l'Eglise, comme la vie et l'action du Rédempteur, sont toujours menacées par les satellites d'Hérode ? Mais il ne saurait oublier que la mystérieuse étoile de la grâce brille du ciel et brillera toujours pour les âmes qui soupirent vers la crèche de Dieu, pour les guider de l'erreur à la vérité, des égarements à la foi au Christ Sauveur.

Le vrai disciple du Christ connaît la ténébreuse audace du mal qui sévit dans cette vie ; il ne s'en sait que plus tenu à la vigilance pour lui-même et pour ses frères en péril. Sûr de la promesse de Dieu et du triomphe final du Christ sur ses ennemis, il se sent raffermi intérieurement contre les désillusions et les insuccès, les défaites et les humiliations ; il sait communiquer cette confiance à tous ceux qu'il approche et devient par là comme leur rempart spirituel ; sa conduite est un encouragement et un exemple pour tous ceux qui sont tentés de céder et de perdre courage en face du nombre et de la puissance des adversaires. Et — Dieu en soit infiniment remercié !

— même aujourd'hui, l'Eglise n'est pas pauvre de ces âmes d'élite, saintes et courageuses — parmi les laïcs comme dans le clergé — qui, avec un héroïsme le plus souvent ignoré du monde, avec une fidélité qui ne vacille jamais, au milieu d'autres personnes qui tombent dans la pusillanimité et la faiblesse, mettent en pratique l'exhortation du prophète : « Fortifiez les mains défaillantes et affermissez les genoux de ceux qui chancellent ! Dites à ceux qui ont le cceur troublé : prenez courage, ne craignez rien ; voici votre Dieu ; la vengeance vient, une revanche divine ; il vient lui-même et vous sauvera » (Isaïe, xxxv, 3-4).

... même pour les chrétiens égarés.

Mais il ne manque malheureusement pas de chrétiens qui, sous le poids quotidien des sacrifices et d'épreuves de tous genres, dans un monde qui s'éloigne de la foi et de la morale, ou du moins de la ferveur de la foi et de la morale chrétiennes, perdent de cette vigueur spirituelle, de cette joie et de cette assurance — et cela dans la pratique intérieure de la foi comme dans sa profession extérieure — vertus sans lesquelles un vrai et vital sentire cum Ecclesia (être dans les sentiments de l'Eglise) n'est point possible et ne soutient point à la longue. Vous les voyez parfois, peut-être sans qu'ils s'en aperçoivent, devenir les victimes et les intermédiaires de conceptions et de théories, de pensées et de préjugés qui, issus de milieux étrangers et hostiles au christianisme, viennent menacer les âmes des fidèles.

Des caractères de cette sorte souffrent, certes, en voyant l'Eglise

— à laquelle au fond d'eux-mêmes ils voulaient rester fidèles — incomprise devant le prétoire de Pilate ou parmi les serviteurs d'Hérode affublée d'habits de comédie. Ils croient au mystère de la croix, mais ils oublient de le méditer et de l'appliquer à nos jours. Aux heures éblouissantes et consolantes du Thabor, ils se sentent près du Christ ; aux heures tristes et obscures de Gethsemani, ils imitent trop facilement les disciples qui dormaient. Et lorsque les autorités de la terre leur font sentir leur puissance comme firent les ministres du sanhédrin avec Jésus, les voilà qui se dérobent par une fuite timide ou qui, ce qui revient au même, esquivent les résolutions franches et courageuses.

Inconstances qui ne peuvent ni ne doivent nous étonner ou nous troubler, Vénérables Frères et chers Fils, et moins encore nous faire oublier le courage exemplaire et la touchante fidélité avec lesquels d'innombrables catholiques, grâce à l'aide de Dieu, restent attachés et ancrés, plus tenaces que toutes les tempêtes, à l'inébranlable rocher de leur foi et à l'Eglise de Dieu, gardienne dépositaire et maîtresse infaillible de vérité.

Aussi, tout ému de reconnaissance envers le Très-Haut et paternellement fier de la couronne que forment autour de Nous une foule de nobles fils de toutes classes et conditions, Nous n'hésitons pas à affirmer que la conscience, la ferveur, le dévouement total et sincère au Christ et à son règne sont des vertus qui croissent visiblement en beaucoup de chrétiens et là précisément où la profession de la foi coûte des sacrifices que ne connut point le passé.

Quel que soit, toutefois, le rapport, que Dieu seul connaît, entre les victoires et les défaites, entre les âmes qui se gardent et celles qui se perdent, il n'en est pas moins hors de doute que les conditions extérieures et intérieures du temps présent soulèvent et posent à l'apostolat de gigantesques exigences, non seulement au cours de cette formidable guerre, mais plus encore pour le jour où, les hostilités apaisées, les peuples devront se mettre à guérir les plaies profondes d'un amer héritage social et économique, lorsque les nations entraînées dans la guerre en sortiront couvertes de blessures spirituelles et, plus que d'autres, auront besoin de soins assidus et vigilants, pour en diminuer et éloigner les pernicieux effets.

Le respect du droit des gens et le sort des prisonniers de guerre.

Avec une persistance tragique et quasi fatale, le conflit, une fois déchaîné, suit sa route ensanglantée, accumule les ruines, n'épargne ni temples vénérés, ni monuments insignes, ni hospices de charité ; il oublie facilement les règles de l'humanité, passe outre aux coutumes et conventions de guerre, au point qu'un temps moins bouleversé et agité que le Nôtre en enregistrera les phases comme les pages les plus douloureuses et les plus sombres de l'histoire du monde.

Notre pensée devance avec angoisse le moment où la triste chronique de tant de souffrances, de corps déchirés, d'âmes qui souffrent, de blessés, de prisonniers, de fugitifs, d'opprimés, d'affamés, de malades et de dispersés — chronique aujourd'hui encore ignorée ou connue seulement en partie — sera entièrement connue. Ce que Nous savons maintenant suffit à serrer le coeur et à le déchirer. Pour les femmes et les mères de plus d'une nation, il Nous semble entendre le cri angoissé du prophète, que la sainte liturgie rappelle dans l'octave de Noël : « Une voix a été entendue dans Rama, des plaintes et des cris lamentables : Rachel pleure ses enfants, et elle n'a pas voulu être consolée, parce qu'ils ne sont plus » (Mt 2,18).

Parmi tant d'infortunes que l'effroyable guerre a amenées, il en est une qui pèse plus lourdement sur Notre cceur : c'est celle des prisonniers de guerre. Nous en souffrons d'autant plus qu'il n'a pas été permis à Notre paternelle sollicitude d'y porter remède justement là où le nombre de ces malheureux était le plus grand et plus pitoyable la misère qui appelait secours et réconfort.

Au souvenir de ce que, au nom auguste du Souverain Pontife Benoît XV d'heureuse mémoire, Nous pûmes faire, durant la grande guerre, pour alléger les peines matérielles et morales de nombreux prisonniers, Nous espérions que, cette fois encore, les voies resteraient ouvertes aux initiatives religieuses et charitables de l'Eglise.

Si, dans certains pays, Notre intention a été frustrée, Nos efforts n'ont pas été vains partout, puisque, à une partie au moins des prisonniers polonais, Nous avons pu faire parvenir des gages matériels et spirituels de l'intérêt que Nous portons à leur sort ; de même, et dans une plus large mesure, aux prisonniers et internés italiens, spécialement en Egypte, en Australie et au Canada.

Et Nous n'avons pas voulu que le jour de Noël brillât sur le monde, sans envoyer, par le moyen de Nos représentants, aux prisonniers anglais et français en Italie, aux prisonniers allemands en Grande-Bretagne, aux prisonniers grecs en Albanie et aux prisonniers italiens dispersés dans diverses régions de l'Empire britannique, spécialement en Egypte, en Palestine, aux Indes, un témoignage de Notre souvenir encourageant et bénissant.

Avide de faire Nôtre l'anxiété des familles qui tremblent pour le sort de leurs membres lointains et malheureux, Nous avons entrepris et poursuivons une autre oeuvre qui consiste à rechercher et transmettre des nouvelles partout où il est possible et permis de le faire, non seulement au sujet des nombreux prisonniers, mais au sujet des réfugiés et de tous ceux que les présentes calamités séparent de leur patrie et de leur foyer. Nous avons ainsi pu sentir palpiter près du Nôtre des milliers de coeurs ; Nous avons perçu le tumulte de leurs sentiments les plus intimes, la lourde tension de leur incertitude, la joie et l'exultation de leur sécurité recouvrée ou leur apaisement résigné. Le réconfort n'a pas été moindre pour Nous d'avoir été en mesure de consoler, par l'aide morale et spirituelle de Nos représentants, ou par l'obole de Nos subsides, un nombre immense de réfugiés, d'expatriés, d'émigrés, même parmi les « non-aryens ». Notre secours aux Polonais a pu être particulièrement large, grâce à la charité de Nos fils des Etats-Unis qui a facilité Notre aide paternelle.

L'ordre nouveau à construire en Europe

Or, voici un an, Vénérables Frères et chers Fils, Nous faisions ici quelques déclarations de principe sur les conditions essentielles d'une paix conforme aux principes de la justice, de l'équité, de l'honneur, c'est-à-dire d'une paix vraiment durable. Et si les événements qui ont suivi en ont renvoyé la réalisation à une époque plus lointaine, les pensées exprimées alors n'ont rien perdu de leur vérité intrinsèque et de leur conformité à la réalité, ni de leur valeur d'obligation morale.

Nous nous trouvons aujourd'hui en présence d'un fait qui a une importance symptomatique. Des polémiques passionnées des parties en lutte sur les buts de la guerre et sur le règlement de la paix émerge de plus en plus claire comme une opinion commune, selon laquelle l'Europe d'avant la guerre et ses institutions publiques se trouvent dans un processus de transformation tel qu'il marque le début d'une époque nouvelle. L'Europe et l'ordre des Etats, affirme-t-on, ne seront plus ce qu'ils étaient ; quelque chose de nouveau, de meilleur, de plus mûri, un ordre organiquement plus sain, plus libre et plus fort doit remplacer le passé pour en éviter les défauts, la faiblesse, les défiances, dont on dit qu'ils ont manifestement apparu à la lumière des récents événements.

Il est vrai que les partis divergent dans leurs idées et leurs buts de guerre ; mais ils se rencontrent dans l'aspiration vers un ordre nouveau et ne retiennent point pour possible ou désirable un pur et simple retour aux conditions antérieures.

Le seul désir du changement ne saurait expliquer suffisamment ces courants et sentiments. A la lumière des expériences de cette époque en travail sous le poids écrasant des sacrifices qu'elle demande ou impose, des vues nouvelles et de nouvelles aspirations occupent les esprits et les coeurs : une claire vision des défectuosités de l'ordre actuel, une aspiration profonde vers un ordre de choses qui garantisse les règles juridiques de la vie nationale et internationale. Que ces puissantes aspirations se fassent sentir avec plus d'acuité dans les masses populaires qui vivent du travail de leurs mains, et qui, en temps de paix, comme en temps de guerre, éprouvent plus que d'autres l'amertume des discordances économiques, politiques et internationales, nul ne pourra s'en étonner ; moins encore l'Eglise s'en étonnera-t-elle, elle qui, Mère commune de tous les hommes, perçoit et comprend mieux que quiconque le cri qui s'échappe spontanément de l'âme tourmentée de l'humanité.

. selon les principes chrétiens proclamés par l'Eglise.

Entre les différents systèmes liés aux temps dont ils dépendent, l'Eglise ne peut être appelée à adopter l'un plutôt que l'autre. Dans les limites de la loi divine qui vaut pour tous et dont l'autorité oblige non seulement les individus, mais les peuples, il y a un large champ et une liberté de mouvement pour les formes les plus variées des conceptions politiques ; l'application pratique d'un système politique dépend dans une mesure souvent décisive des circonstances et des causes qui, considérées en elles-mêmes, sont étrangères à la fin et à l'action de l'Eglise. Gardienne et maîtresse des principes de la foi et de la morale, son seul intérêt et son seul désir est de transmettre à tous les peuples sans exception, avec ses moyens éducatifs et religieux, la claire source du patrimoine et des valeurs de la vie chrétienne, afin que chaque peuple, dans la mesure qui correspond à ses particularités, use des doctrines et des motifs éthico-religieux du christianisme pour établir une société humainement digne, spirituellement élevée, source de véritable bien-être.

Plus d'une fois, l'Eglise a dû prêcher à des sourds ; à son tour, la dure réalité prêche aujourd'hui, et à son cri : Erudimini (instruisez-vous !), des oreilles s'ouvrent, qui étaient fermées jusqu'ici à la voix maternelle de l'Epouse du Christ.

Les époques d'angoisse sont souvent plus que les temps de bien-être, riches de vrais et profonds enseignements, comme la douleur est souvent un maître plus efficace que le facile succès. « La terreur seule vous donnera l'intelligence » (Is 28,19). Et Nous espérons en Dieu que l'humanité tout entière, comme aussi chaque nation en particulier, sortira plus sage, plus expérimentée et plus mûre de l'école douloureuse et sanglante d'aujourd'hui ; qu'elle saura distinguer avec des yeux limpides la vérité des apparences trompeuses ; qu'elle ouvrira et tendra l'oreille à la voix de la raison, agréable ou non, et la fermera à la creuse rhétorique de l'erreur ; qu'elle reconnaîtra la réalité et prendra au sérieux la mise en pratique du droit et de la justice, non seulement quand il s'agit de réclamer l'accomplissement de ses propres exigences, mais aussi quand il faudra satisfaire aux justes revendications d'autrui.

Ce n'est qu'avec de telles dispositions d'esprit qu'on pourra verser dans la séduisante expression d'« ordre nouveau » un contenu beau, digne, stable, appuyé sur les règles de la morale. C'est à ces conditions seulement que sera évité le péril de concevoir et de former cet ordre nouveau comme un mécanisme purement extérieur, imposé par la force, un ordre sans sincérité, sans plein consentement, sans joie, sans paix, sans dignité, sans valeur. Alors, on pourra donner à l'humanité une nouvelle espérance qui apaise, un but qui réponde à ses nobles aspirations ; alors disparaîtra le règne oppressif et ruineux de la discorde chronique, qui, sous des formes occultes ou visibles, pèse actuellement sur le monde.

Ses conditions

Les conditions indispensables d'un tel ordre sont : 1° La victoire sur la haine, qui aujourd'hui divise les peuples ; partant, la renonciation à des systèmes et pratiques que la haine ne cesse d'entretenir. A l'heure actuelle, dans certains pays, une propagande effrénée, et qui ne recule point devant les altérations manifestes de la vérité, montre jour par jour, et quasi heure par heure, à l'opinion publique, les nations adverses sous un jour faux et outrageant.

Ceux qui veulent vraiment le bien-être du peuple, ceux qui désirent contribuer à préserver d'incalculables dommages les bases spirituelles et morales de la future collaboration des peuples, ceux-là considéreront comme un devoir sacré et une haute mission de ne pas laisser se perdre, dans la pensée et le sentiment des hommes, les idéaux naturels de la véracité, de la justice, de la courtoisie et de la coopération au bien, et surtout le sublime idéal surnaturel de l'amour fraternel apporté dans le monde par le Christ.

2° La victoire sur la défiance, qui pèse comme une masse déprimante sur le droit international et rend irréalisable toute entente véritable ; un retour par conséquent au principe : Justitiae soror incorrupta fides : « la fidélité à toute épreuve est soeur de la justice » 4 ; un retour à cette fidélité dans l'observance des pactes, sans laquelle il ne saurait y avoir une communauté internationale sûre, ni surtout coexistence de peuples puissants et de peuples faibles. Fundamentum autem, proclame l'antique sagesse romaine, est iustitiae fides, id est dictorum conventorumque constantia et veritas. « Le fondement de la justice est la bonne foi, c'est-à-dire la fidélité et la franchise dans les paroles et les engagements » 5.

3° La victoire sur le funeste principe selon lequel l'utilité est la base et la règle des droits, et la force crée le droit ; principe qui rend chancelants tous les rapports internationaux, au grand dommage spécialement des Etats qui, soit par leur traditionnelle fidélités aux méthodes pacifiques, soit par leur modeste potentiel de guerre, ne veulent ou ne peuvent rivaliser avec les autres ; un retour donc à une sérieuse et profonde moralité dans les normes de la vie internationale, ce qui, évidemment, n'exclut ni la recherche des intérêts honnêtes ni un usage opportun et légitime de la force pour protéger des droits pacifiques attaqués par la violence ou pour exiger réparation du tort subi.

4° La victoire sur ces germes de conflit qui consistent dans les différences trop criantes dans le domaine de l'économie mondiale ; partant, une action progressive, équilibrée par des garanties correspondantes, pour arriver à un ordre qui donne à tous les Etats les moyens d'assurer à leurs citoyens de toutes classes un genre de vie convenable.

5° La victoire sur l'esprit de froid égoïsme qui, s'enivrant de sa force, aboutit facilement à violer la liberté juste, saine et disciplinée des citoyens, aussi bien que l'honneur et la souveraineté des Etats.

A sa place doit régner une sincère solidarité juridique et économique, une collaboration fraternelle, selon les préceptes de la loi divine, entre les peuples devenus sûrs de leur autonomie et indépendance.

. à proclamer dès maintenant.

Aussi longtemps que, dans les dures nécessités de la guerre, les armes parleront, on accomplira difficilement des actes définitifs dans le sens de la restauration de droits moralement et juridiquement imprescriptibles. Mais il serait à désirer que, dès maintenant, une déclaration de principe touchant leur reconnaissance vînt calmer l'agitation et l'amertume de tous ceux qui se sentent menacés ou lésés dans leur existence ou le libre exercice de leur activité.

Cicéron, De Officiis, 1, 7, 23.

Vénérables Frères et chers Fils ! Au moment désiré de tous et inconnu à l'homme où se tairont les armes et se graveront dans les paragraphes du traité de paix les effets de ce gigantesque conflit, Nous faisons des voeux pour que l'humanité et ses chefs soient assez mûrs d'esprit et assez habiles dans leur action pour aplanir la voie à l'avènement d'un ordre nouveau solide, vrai et juste. Nous supplions Dieu qu'il en soit ainsi. Et Nous vous exhortons tous à unir votre prière à la Nôtre, afin que la lumière et la protection du Tout-Puissant préservent ceux dans les mains desquels reposeront les décisions si importantes pour la tranquillité du monde et si lourdes de responsabilités ; qu'elles les préservent de répéter, sous une autre forme, d'anciennes erreurs et de retomber dans les fautes du passé, et, par là, d'acheminer, même sans le savoir ou le vouloir, l'avenir des peuples et celui de leur propre nation dans une voie où ne se trouverait aucun ordre véritable, mais seulement des raisons de craindre de nouveaux malheurs.

Puissent les chefs, de la perspicacité, de la force de volonté, de la prévoyance et de la modération desquels dépendra le bonheur ou le malheur des peuples, prendre pour guide la maxime : Bis vincit qui se vincit in victoria : « Se vaincre dans la victoire, c'est vaincre deux fois » 6.

Avec une confiance illimitée et inébranlable, Nous déposons Nos désirs, Nos espérances et Nos prières dans les petites, toutes-puissantes et miséricordieuses mains du Rédempteur nouveau-né et Nous l'implorons avec vous, avec tous les prêtres, avec tous les fidèles de la sainte Eglise, avec tous ceux qui, dans le Christ, reconnaissent le Seigneur et Sauveur, Nous le prions de délivrer l'humanité des discordes où l'a jetée la guerre : « O rejeton de Jessé, qui êtes comme l'étendard des peuples, devant lequel les rois eux-mêmes garderont le silence, et que les nations imploreront, venez nous racheter, ne tardez plus » 7.

C'est avec ces anxieuses paroles sur les lèvres et cette intention dans le coeur que Nous vous accordons, Vénérables Frères et chers Fils, à vous, à tous Nos fils du monde entier, et spécialement aux victimes de la guerre dans chaque nation, comme gage d'abondantes grâces divines, avec une affection toute particulière, la Bénédiction apostolique.


Pie XII 1940 - AU COURS DE LA MESSE POUR LA PAIX ET LES VICTIMES DE LA GUERRE