Pie XII 1941 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX

(15 janvier 1941) 1

Le sacerdoce et le mariage.

Parmi les innombrables soucis et responsabilités qui pèsent sur Nos épaules depuis que la divine Providence Nous a appelé à gouverner l'Eglise en des temps si difficiles, les audiences publiques sont une des grandes consolations que le Seigneur Nous accorde pour Notre soulagement. Ces rencontres Nous transportent pour ainsi dire dans un air plus pur ; Nous Nous y sentons plus intimement le Père, un Père qui reçoit ses enfants et qui au milieu d'eux ouvre son coeur et l'épanché librement.

Mais Nous rangeons volontiers parmi les audiences qui Nous sont particulièrement douces et agréables, celles qui réunissent autour de Nous les jeunes mariés. Animés d'une foi vive, ils viennent, au moment de commencer une vie nouvelle, présenter à Notre paternelle bénédiction leurs âmes rafraîchies par la divine rosée des grâces qu'ils ont reçues du sacrement de mariage.

Deux seules formes de vie ont reçu leur sacrement : le sacerdoce et le mariage.

N'avez-vous jamais réfléchi que parmi les différents états, les différentes formes de vie chrétienne, il n'y en a que deux pour lesquelles Notre-Seigneur a institué un sacrement : le sacerdoce et le mariage ? Vous admirez sans doute les grandes cohortes des ordres et des congrégations religieuses, les mérites et les gloires dont ils brillent dans l'Eglise ; et pourtant, la profession religieuse — cette émouvante cérémonie, si riche d'un symbolisme nuptial sublime et

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. II, p. 375 ; cf. la traduction française des Discours aux jeunes époux, t. I, p. 179.

profond, si pleine de toutes les louanges dont Notre-Seigneur et l'Eglise exaltent la virginité et la chasteté parfaite — la profession religieuse, disons-Nous, si éminente que soit la place occupée dans la vie et l'apostolat catholiques par les religieux et les religieuses, la profession religieuse n'est pas un sacrement.

Au contraire, le plus modeste mariage que célèbrent deux fiancés pressés de retourner au travail et que bénit un simple prêtre, en présence de quelques parents ou amis, dans la pauvre petite église d'une campagne solitaire ou dans l'humble chapelle d'un quartier ouvrier, ce rite sans éclat ni pompe extérieure est un sacrement et il se place, par sa dignité de sacrement, à côté des magnificences de l'ordination sacerdotale ou de la consécration episcopale que l'évêque du diocèse en personne accomplit dans la splendeur des ornements pontificaux et dans la majesté d'une cathédrale remplie de ministres sacrés et de fidèles.

L'ordre et le mariage, vous le savez, occupent une place toute spéciale dans l'Eglise : ils terminent et couronnent les sept sacrements. Pourquoi donc Dieu en a-t-il disposé ainsi ? Sans doute il serait téméraire de dire au Créateur : Quare hoc fecisti ? « Pourquoi avez-vous fait cela ?» ; il serait téméraire de lui demander les raisons de son oeuvre et de ses perfections, si les grands docteurs, et en particulier saint Thomas d'Aquin, ne nous en avaient donné l'exemple. Marchons sur leurs traces, et il nous sera permis de rechercher et de goûter les convenances et les harmonies cachées au sein de la pensée et des élections divines, pour y puiser une plus amoureuse confiance et nous élever à une plus haute idée de la grâce reçue.

Double paternité.

Lorsque le Fils de Dieu daigna s'incarner, la parole du Sauveur de l'humanité ramena le lien conjugal de l'homme et de la femme à sa splendeur première. Les passions humaines avaient causé la déchéance de cette noble institution : la Rédemption l'éleva à la dignité de sacrement, et à ce sacrement l'union du Christ avec son Epouse, notre Mère l'Eglise, que féconde le Sang divin, confère une grandeur spéciale. Le Sang de Jésus nous régénère dans la parole de la foi et l'eau du salut et « il donne à ceux qui croient en son nom de devenir enfants de Dieu, à eux qui ne naissent ni du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme » (Jn 1,12-13). Ces solennelles paroles de saint Jean nous manifestent une double paternité : la paternité de la chair, par la volonté de l'homme ; et

la paternité de Dieu, par la puissance de l'esprit et de la grâce divine. Ces deux paternités, dans le peuple chrétien, marquent du signe du sacerdoce et du mariage les pères selon l'esprit, qui communiquent la vie surnaturelle, et les pères selon la chair, qui donnent la vie naturelle ; et c'est pour assurer et perpétuer à travers les siècles la génération et la régénération des fils de Dieu que le Christ a institué en faveur de son Eglise les deux sacrements du mariage et de l'ordre. Deux sacrements : deux paternités, deux pères qui fraternisent et se complètent l'un l'autre dans l'éducation des enfants, fils de Dieu, espérance de la famille et de l'Eglise, de la terre et du ciel. Telle est la haute idée que l'Eglise nous donne du sacerdoce et du mariage, l'Eglise, cette Jérusalem nouvelle, la Ville sainte que Jean vit descendre des cieux vêtue comme une jeune épouse parée pour son époux (Ap 21,2).

Elle s'élève au cours des siècles cette Jérusalem, elle se bâtit de pierres vivantes, les âmes baptisées et sanctifiées, chante la sainte liturgie, jusqu'au jour de la fin des temps, où elle montera s'unir au Christ dans les célestes joies des noces éternelles.

Quels sont les ouvriers qui travaillent à la patiente construction de cette Jérusalem nouvelle ? Avant tout les successeurs des apôtres, le pape et les évêques avec leurs prêtres ; ensemble ils disposent, polissent et cimentent les pierres selon les plans de l'architecte. L'Esprit-Saint les a établis évêques pour paître l'Eglise du Seigneur (Ac 20,28). Mais que feraient-ils bien, s'il n'y avait auprès d'eux d'autres ouvriers pour extraire, pour tailler, pour polir les pierres, suivant les besoins de l'édifice ? Et qui sont donc ces ouvriers, sinon les époux ? Ce sont les époux qui donnent à l'Eglise ces pierres vivantes et qui les travaillent avec art ; ces ouvriers, bien-aimés fils et filles, c'est vous-mêmes.

Ministère corporel et spirituel des parents.

Notez donc bien que votre paternité, votre maternité, ne devra pas se borner à extraire et à réunir péniblement les blocs de pierre brute ; il vous faudra encore les préparer, leur donner la forme qui leur permettra d'entrer pour le mieux dans l'édifice. C'est en vue de ce double office que Dieu a institué le grand sacrement de mariage.

Comme l'enseigne le Docteur angélique saint Thomas d'Aquin 2,

2 Contra Gent., 4, 58.

ce sacrement qui a consacré votre union, fait de vous « les propagateurs et les conservateurs de la vie spirituelle, selon un ministère à la fois corporel et spirituel » qui consiste « à engendrer les enfants et à les former au culte de Dieu ». Vous êtes, toujours sous la conduite des prêtres, les premiers et les plus proches éducateurs et maîtres des enfants que Dieu vous a confiés. Dans l'édification du temple de l'Eglise, qui ne se compose pas de pierres mortes mais d'âmes vivantes pleines d'une vie nouvelle et céleste, vous êtes pour vos enfants des précurseurs spirituels, depuis leur berceau jusqu'à l'âge d'homme, et vous devez leur montrer le ciel.

Epoux chrétiens, vous n'avez pas dans l'Eglise la simple mission d'engendrer des enfants pour les offrir, pierres vivantes, au travail des ministres de Dieu que sont les prêtres. Les grâces si abondantes que le sacrement de mariage vous communique, vous ne les recevez pas seulement pour rester pleinement et constamment fidèles à la loi de Dieu dans l'auguste moment d'appeler vos enfants à la vie, et pour affronter et supporter avec un courage chrétien les peines, les souffrances et les préoccupations qui accompagnent ce moment et qui le suivent. Ces grâces vous ont été données également pour vous sanctifier, vous éclairer et vous fortifier dans votre ministère corporel et spirituel ; car, avec la vie naturelle, vous avez le devoir, comme instruments de Dieu, de conserver et de contribuer à développer dans les enfants qu'il vous donnera la vie spirituelle qu'ils reçoivent au baptême.

Mission sacerdotale des parents.

Aux enfants nouveau-nés, donnez aussi « le pur lait spirituel » (1P 2,2), afin « qu'il les fasse grandir pour le salut » ; faites-en des pierres vivantes du temple de Dieu, vous qui selon la parole de saint Pierre, formez, par la grâce du mariage, « un temple spirituel, un sacerdoce saint » (i Pierre, u, 5). Dans la formation chrétienne des petites âmes que Dieu vous confiera, une part vous est réservée, un ministère dont vous n'avez pas le droit de vous désintéresser et où personne ne pourra se substituer pleinement à vous.

Dans cette formation, vous irez bien demander l'aide de prêtres zélés et de catéchistes, l'aide aussi des excellents éducateurs que sont les religieux et les religieuses ; mais cette aide aura beau être grande, précieuse et large, elle ne vous libérera jamais de votre devoir et de vos responsabilités. Que de fois les maîtres chrétiens se plaignent et se lamentent des difficultés, parfois même des obstacles insurmontables, qu'ils rencontrent dans l'éducation des enfants confiés à leurs soins : ils doivent remédier aux déficiences de la famille, suppléer parfois à la famille elle-même ; ils doivent faire ce qu'elle a mal fait ou ce qu'elle n'a pas fait.

Hors de la famdle chrétienne pas d'éducation chrétienne.

Les petits anges que le ciel vous donnera, conservez-les pour le Seigneur, pour sa céleste Jérusalem et pour l'Eglise. N'oubliez jamais qu'auprès du berceau doivent se tenir deux pères et maîtres, l'un naturel et l'autre spirituel. Selon les dispositions ordinaires de la divine providence, les âmes ne peuvent parvenir à une vie chrétienne et au salut hors de l'Eglise et sans le ministère des prêtres que le sacrement de l'ordre a préparés. De même, ne l'oubliez jamais, les enfants ne peuvent pour l'ordinaire grandir dans la vie chrétienne que dans un foyer domestique où les parents, unis et bénits par le sacrement de mariage, remplissent le ministère qui leur est propre.

Chers jeunes époux, daigne notre bon Seigneur et Maître, qui a restauré l'union conjugale, daigne le Christ verser dans vos coeurs l'intelligence et l'amour de la mission que ce sacrement vous a confiée dans l'Eglise, et vous donner l'élan, le courage et la confiance nécessaires pour vous maintenir dans une incessante fidélité à cette incomparable mission.


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX

(29 janvier 1941) 1

La pure et forte beauté de l'amour chrétien, selon saint François de Sales.

En ce jour de la saint François de Sales, l'Eglise rend au bon et grand évêque de Genève un culte qui n'exalte pas seulement ses hautes vertus et son zèle pastoral si ardent : l'Eglise vénère aussi la science et la sagesse de ce maître de la vie chrétienne, et elle l'a proposé comme patron et modèle des publicistes catholiques. Il Nous semble voir, chers jeunes mariés, le grand Docteur tourner du haut du ciel son doux regard vers vous durant cette audience, et il Nous semble recevoir de lui pour vous, dans Notre esprit et sur Nos lèvres, ces avis qu'il donnait lui-même aux personnes mariées dans son incomparable Introduction à la vie dévote. Il vit, il parle, il enseigne, il guide, il avertit dans ces pages, en tant que votre père, maître et ami, car c'est à vous qu'il s'adresse. Philotée, à qui le livre était destiné tout d'abord, était une mère de famille, Mme de Char-moisy, et les remaniements successifs n'ont rien changé au but du livre : instruire les personnes vivant dans le monde, leur apprendre l'amour et la pratique de cette chère dévotion qui n'est rien d'autre que la plénitude de la loi et de la vie chrétienne. Ce livre du doux évêque de Genève, les contemporains du saint le jugeaient le plus parfait en son genre, et Notre prédécesseur le tenait en très haute estime ; cet ouvrage, écrivait-il, devrait se trouver dans toutes les mains2. Lisez donc, chers époux, lisez et relisez ces pages aussi délicieuses que solides. Qu'elles deviennent une de vos lectures préférées, à l'exemple de cet excellent père de famille qui fut envoyé en Orient durant la Grande Guerre en qualité de colonel, et qui gardait ce livre dans sa

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. II, p. 383 ; cf. la traduction française des Discours aux jeunes époux, t. I, p. 185.

2 Cf. A. A. S., 15, 1923, p. 56.

valise d'officier comme un compagnon qui le réconfortait dans les durs travaux et les périls menaçants.

Mais parmi tous les enseignements du grand évêque de Genève, Nous Nous bornerons à vous rappeler les conseils spéciaux qu'il donne aux personnes mariées, et particulièrement le premier, le principal 3 : « J'exhorte surtout les mariés à l'amour mutuel, que le Saint-Esprit leur recommande tant en l'Ecriture. » Mais quel est cet amour que vous inculque le pieux maître de la vie chrétienne ? Est-ce peut-être le simple amour naturel et instinctif, comme celui d'une paire de tourterelles, écrit saint François, ou l'amour purement humain connu et pratiqué des païens ? Non, tel n'est point l'amour que le Saint-Esprit recommande aux époux. Il leur recommande plus que cela : un amour qui, sans renier les saintes affections humaines, monte plus haut, pour être dans son origine, dans ses avantages, dans sa forme et dans sa manière « tout saint, tout sacré, tout divin », semblable à l'amour qui unit le Christ et son Eglise.

L'affection naturelle est légitime, mais c'est l'amour surnaturel qui assure l'union des coeurs.

Une affection réciproque née de la seule inclination mutuelle ou de la seule complaisance dans les dons humains que les époux se découvrent l'un à l'autre avec tant de satisfaction, une telle affection, pour belle et profonde qu'elle se révèle dans l'intimité des conversations entre nouveaux mariés ne suffit pas. Elle ne saurait à elle seule réaliser l'union de vos âmes, telle que l'a entendue et désirée l'amoureuse Providence de Dieu en vous conduisant l'un vers l'autre. Seule, la charité surnaturelle, lien d'amitié entre Dieu et l'homme, peut former entre vous des noeuds que rien ne puisse desserrer, ni les secousses, ni les vicissitudes, ni les inévitables épreuves d'une longue vie à deux ; seule la grâce divine peut vous élever au-dessus de toutes les petites misères de chaque jour, au-dessus de toutes les oppositions et différences de goûts ou d'idées qui germent, comme de mauvaises herbes, sur les racines de la pauvre nature humaine. Cette charité et cette grâce, n'est-ce pas la force et la vertu que vous êtes allés demander au grand sacrement de mariage ? La charité divine, plus grande que la foi et l'espérance, voilà de quoi ont besoin le monde, la société et la famille.

3 Introduction à la vie dévole, p. III, c. 38.

Amour saint, et sacré, et divin : n'est-ce pas là, direz-vous peut-être, chose trop haute pour nous ? Un amour si surnaturel, deman-derez-vous encore, restera-t-il encore cet amour vraiment humain qui a été le battement de nos coeurs, cet amour que nos coeurs cherchent et où ils trouvent la paix, cet amour dont ils ont besoin et qu'ils sont si heureux d'avoir trouvé ? Rassurez-vous : par son amour, Dieu ne détruit ni ne change la nature, mais il la perfectionne ; et saint François de Sales, qui connaissait bien le coeur humain, concluait sa belle page sur le caractère sacré de l'amour conjugal par ce double conseil : « Conservez donc, ô maris, un tendre, constant et cordial amour envers vos femmes... Et vous, ô femmes, aimez tendrement, cordialement, mais d'un amour respectueux et plein de révérence, les maris que Dieu vous a donnés. »

Cordialité et tendresse.

Cordialité et tendresse donc, de part et d'autre. « L'amour et la fidélité, observe-t-il, joints ensemble, engendrent toujours la privauté et la confiance ; c'est pourquoi les saints et saintes ont usé de beaucoup de réciproques caresses en leur mariage, caresses vraiment amoureuses, mais chastes, tendres, mais sincères. » Et il citait l'exemple du grand saint Louis, non moins dur pour soi que tendre pour son épouse, et qui savait plier son esprit martial et courageux « à ces menus offices requis à la conservation de l'amour conjugal », à ces « petites démonstrations de pure et franche amitié » qui rapprochent tant les coeurs et rendent douce la vie commune. La vraie charité chrétienne, dévouée, humble et patiente, vainc et dompte la nature ; elle s'oublie elle-même et songe à tout instant au bien et à la joie d'autrui ; qui donc saura, plus et mieux qu'elle, suggérer et diriger ces petites et vigilantes attentions, ces délicates marques d'affection, et les maintenir en même temps spontanées, sincères, discrètes, de manière à ne les rendre jamais importunes, et à les faire accepter toujours avec plaisir et reconnaissance ? Qui donc mieux que la grâce, source et âme de cette charité, vous apprendra à tenir le juste milieu dans ces marques de tendresse si humaine et si divine ?

Constance et respect.

Mais la pensée du saint descendait plus profondément encore dans les secrets du coeur humain. A la cordialité et à la tendresse réciproques, il ajoutait, en s'adressant aux maris, la constance, et en parlant aux femmes, le respect et la déférence. Craignait-il peut-être davantage l'inconstance des uns et le manque de soumission des autres ? Ou n'a-t-il pas plutôt voulu nous faire remarquer que dans l'homme la force du chef ne doit pas se séparer de la tendresse envers celle qui, plus faible, s'appuie sur lui ? Voilà pourquoi il recommande aux maris d'être pleins de condescendance, de « douce et amoureuse compassion » pour leurs femmes ; voilà pourquoi il recommande aux femmes que leur amour soit revêtu de respect envers celui que Dieu leur a donné pour chef.

Fidélité et réserve.

Vous comprenez toutefois que, si la cordialité et la tendresse doivent s'échanger entre époux et les orner l'un et l'autre, ce sont deux fleurs de beauté différente, puisqu'elles germent sur des racines différentes dans l'homme et la femme. Dans l'homme, elles ont pour racine une fidélité intégrale et inviolable, qui ne se permet pas la moindre petite faute que le mari ne tolérerait point dans son épouse, une fidélité qui donne, comme cela convient au chef, l'exemple ouvert de la dignité morale et de la courageuse franchise à ne jamais dévier ni s'écarter du devoir pleinement rempli ; chez la femme, cette cordialité et cette tendresse jaillissent d'une sage, prudente et vigilante réserve, qui écarte et repousse l'ombre même de ce qui pourrait offusquer la splendeur d'une réputation sans tache ou qui, d'une façon ou d'une autre, la mettrait en péril.

De cette double racine de cordialité et de tendresse naît l'olivier de la paix perpétuelle dans la vie conjugale, la mutuelle confiance, épanouissement de l'amour. Sans confiance, l'amour baisse, se refroidit, se glace, s'éteint, ou bientôt fermente, éclate, déchire et tue les coeurs. Aussi, observait le saint évêque, « tandis que je vous exhorte d'agrandir de plus en plus ce réciproque amour que vous vous devez, prenez garde qu'il ne se convertisse point en aucune sorte de jalousie ; car il arrive souvent que, comme le ver s'engendre de la pomme la plus délicate et la plus mûre, ainsi la jalousie naît en l'amour le plus ardent et pressant des mariés, duquel néanmoins il gâte et corrompt la substance, car petit à petit il engendre les noises, dissensions et divorces. » Non, la jalousie, fumée et faiblesse du coeur, ne naît point là où brûle un amour qui mûrit et conserve le suc de la véritable vertu ; car, ajoutait le saint, « la perfection de l'amitié présuppose l'assurance de la vertu de la chose qu'on aime, et la jalousie en présuppose l'incertitude ». N'est-ce pas là la raison pour laquelle la jalousie, loin d'être un signe de la profondeur et de la force d'un amour, en révèle les éléments imparfaits et bas, sources de soupçons qui navrent l'innocence et lui font verser des larmes de sang ? La jalousie n'est-elle pas le plus souvent un égoïsme voilé qui dénature l'affection, un égoïsme vide de ce don vrai, de cet oubli de soi, de cette foi sans mauvaises pensées et pleine de confiance et de bienveillance que saint Paul louait dans la charité chrétienne (1Co 13,4-7) et qui font d'elle, même ici-bas, la source la plus profonde et la plus inépuisable, en même temps que la gardienne la plus sûre, du parfait amour conjugal, si bien décrit par le saint évêque de Genève ?

'ne Dieu garde et approfondisse votre amour.

Nous demandons à saint François d'intercéder auprès de Dieu, auteur de la grâce et source de tout véritable amour, afin que cette union de vos coeurs — à la fois surnaturelle et tendre, divine dans son origine, et intensément, cordialement humaine dans ses plus hautes manifestations — se conserve toujours, joyeuse et tranquille, entre vous. Nous prions que votre union se resserre à mesure que vous avancerez dans la vie et dans une intime connaissance mutuelle, et à mesure aussi que votre amour mutuel grandira et se fortifiera, pour s'étendre à vos fils, couronne de votre amour, soutien de vos peines, divine bénédiction.

Nous souhaitons que Notre prière monte jusqu'à Dieu et, pour qu'il la bénisse et l'exauce plus sûrement, Nous vous donnons de grand coeur, en gage des grâces que Nous implorons pour vous, la Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION POUR L'INAUGURATION DU TOMBEAU DE PIE XI

(9 février 1941) 1

Au Comité présidé par LL. EEmes cardinaux Schuster et Caccia Dominioni qui avait pris l'initiative d'ériger un tombeau à Pie XI et qui le lui remit au deuxième anniversaire de sa mort, le Saint-Père a répondu par l'éloge vibrant qu'il a fait de son prédécesseur :

La vive satisfaction qui réjouit Notre esprit en vous voyant ici rassemblés, Vénérables Frères et chers fils, conduits par l'éminent pasteur de l'Eglise de saint Ambroise, venus ici comme membres du comité présidé par M. le cardinal Caccia Dominioni, pour inaugurer le magnifique sarcophage préparé pour y déposer les restes mortels de Notre incomparable prédécesseur Pie XI, est excitée par la gratitude qui Nous porte à exprimer Notre remerciement pour l'honneur et la vénération que vous rendez à un grand pontife ; en le vénérant et en l'honorant, Nous sentons que vous vénérez et que vous honorez Nos propres souvenirs et Nos affections les plus intimes.

De sa mémoire, Milan, Rome, l'Italie et le monde se sentent fiers : Milan, qui fut son berceau et dont il fut le pasteur ; Rome, qui lui donna la tiare et la tombe ; l'Italie, celle qui, de toutes les nations, lui fut la plus chère ; le monde, qui s'inclina en admiration et en applaudissement devant celui qui sut toujours dominer les temps et les passions. Il est là maintenant, dans les Grottes vaticanes, lieu du repos qu'il a choisi parmi les vénérables tombeaux, rendus plus vénérables encore par l'ombre qui entoure le sépulcre de Pierre, fondement inébranlable de l'Eglise ; dans cette retraite sacrée dont les profondeurs secrètes fermées depuis des siècles ont précisément

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. II, p. 391.

en ces jours commencé à s'ouvrir et à se dévoiler pour jeter une nouvelle et riche lumière comme il l'avait deviné, sur les premières et glorieuses traditions chrétiennes de Rome, il repose dans l'attente de la résurrection bienheureuse ; et de même que, dans ses jeunes années, il avait vu tant de cimes neigeuses des Alpes s'empourprer au lever du soleil, ainsi de la blanche hauteur du Vatican il put entendre murmurer dans le lointain et put voir se condenser l'ouragan ruineux et sanglant qui s'apprêtait à troubler et à bouleverser la paix des peuples. A cette vision, son coeur de père de tous ses frères en Jésus-Christ éprouva des battements qui le portèrent au sacrifice et, dans son immense amour, il jeta sa vie aux pieds de Dieu, comme autrefois Moïse sur le Sinaï pour apaiser la justice divine s'offrit à porter lui-même la peine du péché pour le peuple d'Israël coupable d'adorer le veau d'or (cf. Ex. Ex 32,32). Le ciel accueillit ce voeu et ce sacrifice et permit que sa vie fut brisée en holocauste au dessein impénétrable et toujours bienfaisant de Dieu.

Dans le sarcophage que votre dévotion et votre reconnaissance ont eu la noble pensée d'offrir reposera désormais le sage pontife. Le même marbre de Candoglia, qui jette vers le ciel lombard la masse merveilleuse du dôme de Milan, a accueilli et renferme en lui un des plus grands fils et pasteurs de cette illustre métropole ; mais son esprit immortel repose désormais, comme Nous en avons la très ferme confiance, au sein du Père qui récompense et couronne ses serviteurs et vicaires, héros et martyrs pour le salut des peuples. Mais sa tombe même fera entendre sa voix : elle parlera de la piété et de l'affection particulière des Milanais et des diocèses de Lombardie ; elle parlera par les symboles des évangélistes qui l'ornent, comme leurs pages ont éclairé son esprit ; elle parlera par sa figure tranquille et candide, image de la candeur de son zèle pastoral ; elle parlera par les inscriptions gravées dans le marbre, qui font revivre les accents solennels de ses dernières volontés et sont une des manifestations les plus émouvantes des derniers jours de son pontificat ; elle parlera par les mosaïques de l'arcosolium qui sur fond d'or porte l'effigie resplendissante du Roi des rois, Prince de la paix, Sauveur et juge du monde, soutenue par des anges, en signe de protection et de promesse sur son serviteur fidèle, dans l'âme forte et douce duquel la grandeur apostolique d'Ambroise et l'ardeur mystique de Thérèse de l'Enfant Jésus s'unissent harmonieusement.

La tombe parlera ; mais de la tombe, il parlera aussi en personne par les souvenirs qu'il éveillera de lui-même, de ses vertus et de son oeuvre multiforme, en vous, dans les hommes d'aujourd'hui et dans


INAUGURATION DU TOMBEAU DE PIE XI

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ceux de demain qui viendront et s'inclineront devant son tombeau. Dans cette ombre souterraine et sacrée, éclairée par la triple lumière de la lampe votive d'argent que l'Action catholique italienne a voulu déposer aux pieds de celui qui l'a réorganisée et qui l'a patronnée, pourront revenir et descendre sa parole réfléchie et son geste tranquille, son regard pénétrant et son visage bienveillant, sa sollicitude paternelle, ses leçons et ses encouragements élevés, sa joie et sa bénédiction auxquels répondra perpétuellement, comme il l'a demandé, la prière de ses fils. Ce grand coeur ne bat plus ; mais l'ardeur qui le réchauffait et l'animait n'est pas morte ni enfermée dans une tombe ; elle vit en Dieu, comme une étincelle immortelle, passant d'âge en âge, de siècle en siècle, de coeur à coeur, de la terre au ciel, où elle a son origine, comme embrasée de ce feu qui, plus grand qu'en tout autre, s'enflamma dans le premier Vicaire du Christ, sur les rives du lac de Galilée, et lui fit répéter par trois fois au divin Fondateur de l'Eglise : Domine, tu scis quia amo te, « Seigneur, vous savez bien que je vous aime » (Jn 21,15-17).

C'est aussi l'amour du Christ que vous ressentiez dans votre âme qui vous a portés à vous présenter devant Nous pour inaugurer le sévère et grandiose monument funéraire élevé par votre dévotion et votre affection. Vous êtes bien dignes de descendre dans ces grottes sacrées, imprégnées de la vénération 'et de la prière des siècles, pour y inaugurer pieusement la tombe qui renferme Notre grand prédécesseur, votre gloire. Notre esprit vous accompagne qui aima en lui le père, le chef, le maître incomparable ; Notre Bénédiction apostolique vous accompagne que, du fond de Notre coeur ému et uni au vôtre, Nous vous accordons à tous, comme aussi à tous ceux qui par l'intelligence, par l'art, par la main, de quelque manière que ce soit, ont concouru à élever une oeuvre aussi digne et aussi noble à la mémoire perpétuelle de Celui qui, assis sur le trône de Pierre, portait en lui un esprit aux immenses horizons et un coeur qui embrassait dans le Christ le monde des nations et de leur histoire, avec le désir ardent et indomptable d'appeler tout le genre humain à la réconciliation avec Dieu.

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. II, p. 397 ; cf. la traduction française des Discours aux jeunes époux, t. I, p. 192.


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX

(12 février 1941) 1

La prière commune en famille.

Votre présence Nous apporte un grand réconfort et une grande espérance. Nous avons sous les yeux une assemblée de jeunes familles chrétiennes que le Seigneur se plaît à combler de ses faveurs, lui que vous invoquiez au pied de l'autel tandis que le prêtre bénissait votre union. Vous avez alors en effet invoqué le Seigneur ; à la prière du ministre de Dieu vous avez uni votre prière : c'est par la prière que vous avez commencé votre commune vie nouvelle. Allez-vous continuer à prier ? Invoquerez-vous encore Celui qui est la source de toute paternité et dans l'ordre de la nature et dans l'ordre de la grâce, le Père qui est dans les cieux ? Oui, votre présence ici Nous en donne un gage. Vous venez à Nous pour implorer sur votre jeune foyer Notre bénédiction de Père ; Notre bénédiction confirmera la prière du prêtre et la vôtre ; elle les renforcera pour toute la durée de votre vie : votre présence Nous est une promesse de fidélité à la prière.

Nous avons brièvement commenté dans Notre dernier discours aux jeunes époux les avis que saint François de Sales donne aux gens mariés. Sur la prière des époux, son pinceau a de délicieuses touches que Nous voudrions aujourd'hui offrir à votre considération :

« C'est la plus grande et fructueuse union du mari et de la femme que celle qui se fait en la sainte dévotion, à laquelle ils se doivent entreporter l'un l'autre à l'envi. Il y a des fruits, comme le coing, qui, pour l'âpreté de leur suc, ne sont guère agréables qu'en confiture ; il y en a d'autres qui, pour leur tendreté et délicatesse, ne peuvent durer, s'ils ne sont aussi confits, comme les cerises et abricots.

Ainsi les femmes doivent souhaiter que leurs maris soient confits au sucre de la dévotion, car l'homme sans dévotion est un animal sévère, âpre et rude ; et les maris doivent souhaiter que leurs femmes soient dévotes, car sans la dévotion, la femme est grandement fragile et sujette à déchoir ou ternir en la vertu » 2.

Sa valeur.

C'est une grande vertu que la dévotion ; c'est la sauvegarde de toutes les autres vertus. Mais l'acte le plus beau et le plus ordinaire de la dévotion est la prière. L'homme est esprit et corps, et la prière est la nourriture quotidienne de l'esprit, comme le pain matériel est la nourriture quotidienne du corps. La prière a donc d'heureux effets. Mais de même que l'union fait la force, ainsi la prière en commun possède une plus grande efficacité sur le coeur de Dieu. Aussi Notre-Seigneur a-t-il accordé une bénédiction spéciale à la prière faite en commun et il a proclamé à ses disciples : « Je vous le dis encore : si deux d'entre vous s'accordent sur la terre, quelque chose qu'ils demandent, ils l'obtiendront de mon Père qui est aux cieux. Car là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux » (Mt 18,19-20). Mais quelles âmes se trouveront plus véritablement et plus intimement unies au nom de Jésus-Christ pour la prière, que les âmes où le saint sacrement de mariage a imprimé l'image vivante et permanente de la sublime union du Christ avec son Eglise, avec son Epouse bien-aimée sortie au Golgotha de son côté ouvert ?

Restez unis dans la prière

C'est donc une grande et fructueuse union que celle des époux qui se mettent à genoux l'un à côté de l'autre pour demander à Dieu de conserver, d'accroître et de bénir la fusion de leurs vies. Tous les chrétiens doivent, sans négliger la prière individuelle, accorder dans leur vie une place à la prière en commun, qui leur rappelle leur fraternité dans le Christ et leur devoir de sauver leurs âmes, non point isolés les uns des autres, mais dans la collaboration : à plus forte raison la prière des époux ne doit-elle pas les éloigner et les séparer, tels des ermites, dans une méditation solitaire, au point de ne les réunir que rarement devant Dieu ou au pied de l'autel. Or

2 Introduction à la vie dévote, p. III, c. 38.

où donc leurs coeurs, leurs intelligences, leurs volontés se rapprocheront-ils, se pénétreront-ils dans une union plus profonde, plus forte et plus solide que dans la prière à deux, où une même grâce divine descend du ciel pour harmoniser toutes leurs pensées, leurs affections et leurs désirs ? Quel doux spectacle pour les anges que cette prière de deux époux qui lèvent les yeux au ciel et implorent sur eux-mêmes et sur leurs espérances le regard de Dieu et sa main tutélaire ? Peu de scènes de l'Ecriture Sainte valent la prière de Tobie avec sa jeune épouse Sara ; loin d'ignorer les périls qui menacent leur félicité, ils prennent confiance en s'élevant devant Dieu au-dessus des basses vues de la chair, et ils s'encouragent à la pensée que, fils de saints, il ne leur convient point de s'unir « à la manière des Gentils, qui ne connaissent point Dieu » (Tb 8,4-5).

Comme Tobie et Sara, vous connaissez Dieu, jeunes époux, Dieu qui fait toujours lever, voilé ou éclatant, son soleil sur votre matin. Pour pleines et encombrées que soient vos journées, sachez trouver au moins un instant pour vous agenouiller et pour commencer votre journée en élevant votre coeur vers le Père céleste, et en implorant son aide et sa bénédiction. Le matin, au moment où le travail quotidien vous réclame et vous sépare jusqu'à midi, peut-être même jusqu'au soir, lorsqu'après un rapide déjeuner vous échangez une parole ou un regard d'adieu, n'oubliez jamais de réciter ensemble ne fût-ce qu'un simple Notre Père ou Je vous salue, et de remercier le ciel du pain qu'il vous a donné. La journée, longue et peut-être pénible, vous tiendra éloignés l'un de l'autre ; mais vous serez toujours, proches ou lointains, sous le regard de Dieu ; et peut-être même que vous élèverez vos coeurs ensemble en de pieux élans vers Dieu, en qui vous resterez unis et qui veillera sur vous et sur votre félicité.

Et quand tombera le soir sur la dure besogne achevée et que vous vous réunirez au foyer pour goûter la joie d'une commune présence et deviser ensemble des événements du jour, vous donnerez à Dieu, dans ces moments si doux et si précieux d'intimité et de repos, la place qui lui revient. N'ayez crainte : Dieu ne viendra pas vous importuner ni troubler la délicieuse intimité de vos entretiens ; au contraire, Dieu vous entend ; c'est lui qui vous a, dans son coeur, préparé et ménagé oes instants, et il vous donnera par sa présence de Père plus de tendresse et de réconfort.

Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Nous vous en supplions, chers jeunes époux, ayez à coeur de garder cette belle tradition des familles chrétiennes : la prière du soir en commun. Elle réunit à la fin de chaque jour, pour implorer la bénédiction de Dieu et honorer la Vierge Immaculée par le rosaire de ses louanges, tous ceux qui s'endormiront sous le même toit : vous deux, et puis, dès qu'ils auront appris de vous à joindre leurs menottes, les petits que la Providence vous confiera, et enfin vos domestiques et collaborateurs, — si le Seigneur en a placés auprès de vous pour vous aider dans les travaux de la maison — car eux aussi sont vos frères dans le Christ et ont besoin de Dieu. Que si les dures et inexorables exigences de la vie moderne ne vous laissent pas le loisir de consacrer à la reconnaissance envers Dieu ces quelques minutes bénies, ni d'y ajouter, suivant une coutume aimée de nos pères, la lecture d'une brève vie de saint, du saint que l'Eglise nous propose comme modèle et protecteur spécial pour chaque jour, gardez-vous de sacrifier en entier, pour rapide qu'il doive être, ce moment qu'ensemble vous consacrez à Dieu, pour le louer et pour lui présenter vos désirs, vos besoins, vos peines et vos occupations.

... en chrétiens conscients.

De telles pratiques de dévotion ne reviennent point à transformer la maison en église ou en oratoire : ces exercices ne sont que les mouvements sacrés d'âmes qui ont pris conscience de la force et de la vie de la foi. Dans la vieille Rome païenne elle-même, la demeure familiale avait son petit sanctuaire avec un autel dédié aux dieux lares ; on les ornait de guirlandes de fleurs, spécialement aux jours de fêtes ; on y offrait des sacrifices avec des supplications 3. C'était un culte entaché de l'erreur polythéiste ; mais cette dévotion devrait faire rougir de honte beaucoup de chrétiens, qui, le baptême au front, ne trouvent ni une place dans leurs chambres pour l'image du vrai Dieu, ni dans les vingt-quatre heures de la journée le temps de rendre au Christ l'hommage collectif de la famille.

Pour vous, bien-aimés fils et filles, qui avez dans l'âme l'ardeur qu'allume la grâce du sacrement de mariage, le centre de votre existence doit être le Crucifié ou l'image du Sacré-Coeur de Jésus : que le Christ règne sur votre foyer et vous réunisse chaque jour autour de lui. En lui vos espérances trouveront leur soutien et vos angoisses leur réconfort, ce soutien et ce réconfort si nécessaires en cette vie terrestre où les journées, même les plus longues, ne rencontreront jamais une heure de parfaite sérénité.

3 Cf. Plaute, AuluUire, prol-, v. 23-26 ; Caton l'Ancien, traité sur l'Agriculture, c. 143.

Prenez part ensemble à la vie eucharistique.

Mais voici pour vous unir l'un à l'autre davantage encore, voici un chemin plus haut : le chemin qui vous conduit de votre demeure à celle qui est la maison du Père par excellence, votre chère église paroissiale. Là est la source des bénédictions divines ; là vous attend ce Dieu qui a sanctifié votre union et qui vous a déjà donné tant de grâces ; là est l'autel autour duquel la messe dominicale réunit le peuple chrétien, et l'Epouse du Christ, l'Eglise, vous y convie par une invitation solennelle. Vous y assisterez ensemble toutes les fois que vous le pourrez ; et ce sera un spectacle édifiant — et Nous souhaitons que ce soit souvent, très souvent — chaque fois que vous vous approcherez ensemble de la Table sainte, dans l'union la plus intime de toutes, pour recevoir le Corps de Notre-Seigneur, ce très saint Corps, le lien le plus puissant entre les chrétiens qui s'en nourrissent et qui, membres du Christ, vivent de sa vie, ce très saint Corps qui accomplira en vous, par des voies toutes divines, la pleine fusion de vos âmes dans les hauteurs de l'esprit. Et de quelle incomparable joie vous exulterez, lorsque vous ferez place entre vous deux à une petite tête d'ange aux yeux candides, qui se lèvera à vos côtés pour recevoir sur d'innocentes lèvres l'hostie de neige où vous lui aurez enseigné à croire que demeure la présence réelle de son cher Jésus. Chaque fois qu'autour de vous le baptême aura régénéré un de vos petits, votre joie augmentera et se multipliera ; et leurs coeurs peu à peu s'ouvriront et se prépareront à participer avec vous à ce divin banquet.

Certes, les événements et les nécessités de la vie ne vous laisseront pas toujours le loisir de vous agenouiller ensemble au pied de l'autel ; vous serez plus d'une fois obligés d'accomplir chacun pour soi ces actes de piété chrétienne ; peut-être que de longues séparations vous seront imposées par vos devoirs de l'heure présente, par les exigences de la guerre. Mais les coeurs déchirés par l'éloignement trouveront-ils meilleur rendez-vous que la sainte communion, où Jésus lui-même les réunira, à travers tous les espaces, dans son propre Coeur ?

Dernière recommandation.

Vous êtes de jeunes époux ; de l'autel qui a béni votre mariage, vous regardez vers l'avenir et vous rêvez d'années nombreuses, de brillantes et roses aurores. Saint François de Sales termine ses avis aux gens mariés en les invitant à célébrer le jour anniversaire de leurs noces par une fervente communion reçue côte à côte : c'est une si belle recommandation que Nous ne pouvons manquer de la répéter à votre adresse. Au pied de l'autel qui vous a vus échanger vos promesses, vous vous retrouverez vous-mêmes, vous rentrerez en vos âmes, et alors est-ce que les grâces de cette union dans le Christ n'assureront pas une durée et une force sans défaillance à vos résolutions de mutuelle confiance, d'intime et inébranlable affection et de don réciproque sans réserve ? Oui, les grâces de cette union dans le Christ nourriront ces sentiments qui forment et illuminent dans vos pensées et dans vos coeurs la fidélité des premiers jours de votre vie commune, et qui doivent, dans les intentions de Notre-Seigneur, continuer à posséder et à soutenir toute votre vie de pèlerinage terrestre.

Puisse l'effusion de Notre Bénédiction apostolique vous obtenir, chers jeunes époux, l'abondance de cette tendre et forte, franche et persévérante dévotion, qui est, tout au cours de la vie, une source féconde et intarissable de vrai réconfort, de vraie paix, de vraie joie et de véritable félicité.


Pie XII 1941 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX