Pie XII 1941 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX (24 septembre 1941)


ALLOCUTION AU TRIBUNAL DE LA SACRÉE ROTE ROMAINE (3 octobre 1941)

A l'occasion de l'ouverture de l'année judiciaire du Tribunal de la Rote, le Saint-Père rappelle les règles du devoir matrimonial :

C'est pour la troisième fois, chers fils, que pèse sur la solennelle inauguration de l'année judiciaire de la Sacrée Rote la lourde et douloureuse atmosphère de guerre qui, de mois en mois, de saison en saison, d'année en année, comme un ouragan qui ébranle, entraîne, renverse tout, se développe et grandit dans un toujours plus vaste espace sans limites, par-delà tout rivage, dans des vicissitudes, avec des formes et des ruines toujours plus affreuses. Le caractère tragique de cette situation du monde, tant du côté humain que du côté moral et religieux, étreint profondément Notre âme et en augmente les soucis et les peines, d'autant plus affligeants et étendus que Notre coeur de Pasteur universel des fidèles s'ouvre davantage pour embrasser tous les peuples. Nos sentiments — comme Nous l'avons également recueilli des nobles paroles de votre digne doyen — sont parfaitement compris par vous qui, en raison de la charge que vous a confiée le Siège apostolique, êtes au centre spirituel de la chrétienté, les ministres du droit, les représentants choisis d'un pouvoir judiciaire pénétré du sens sacré de la responsabilité, tout entier tourné vers le bien ordonné avec justice et équité dans le monde catholique. Car, ce n'est pas une chose nouvelle pour vous que l'administration de la justice dans l'Eglise soit une fonction de la cure des âmes, une émanation de cette puissance et de cette sollicitude pastorales, dont la plénitude et l'universalité sont enracinées et incluses dans la remise des clefs au premier Pierre.

L'Eglise, champion de la justice et du droit.

C'est pourquoi, au milieu des tendances contraires et dissolvantes d'un monde agité et bouleversé, l'Eglise a toujours marché, ferme et sereine, dans sa voie de justice, sans crainte à l'égard de ses ennemis, sans servilité à l'égard de ses amis. Vous qui étudiez les annales de son histoire chargée de luttes et de victoires, vous la voyez inchangée et immobile sur le fondement inébranlable de la constitution que lui a donnée son divin Fondateur. Faisant surgir au cours des siècles, sous le souffle de l'Esprit et comme expression de la féconde plénitude de sa vie, un droit qui, offrant à tous les peuples et à toutes les nations, à tous les groupements ethniques et à toutes les langues, la même situation juridique, a pu donner à l'universel grex dominicus, une organisation, un ordre où l'unité et l'ampleur, la liberté et la discipline se trouvaient admirablement conjuguées, vivifiées et soutenues. A l'heure présente, alors qu'apparaît davantage ébranlé chez beaucoup le respect envers la majesté du droit, et que des considérations d'utilité et d'intérêt, de force et de richesse prévalent sur le droit, il convient d'autant plus que les organes de l'Eglise consacrés à l'administration de la justice donnent et inculquent au peuple chrétien la vive conscience que l'épouse du Christ n'est jamais inférieure à elle-même, ne change pas de route avec le changement des jours, mais reste et va de l'avant, toujours fidèle à sa sublime mission. C'est à cette fin très haute que tend éminemment votre insigne collège.

La Rote, organe judiciaire du Saint-Siège

Chacun sait en quelle grande estime les autres tribunaux ecclésiastiques, les moralistes et les juristes tiennent les décisions de votre tribunal. Mais plus l'autorité dont elle jouit est considérable, plus aussi la Rote est tenue d'observer saintement et d'interpréter fidèlement les normes du droit selon la pensée du Pontife romain, sous les yeux duquel, en qualité d'instrument ou d'organe du Saint-Siège lui-même, elle exerce sa propre charge.

... spécialement dans les questions qui concernent le mariage.

Si on doit dire cela pour n'importe quelle matière dont s'occupe la Rote, cette affirmation vaut cependant spécialement pour les causes matrimoniales toujours plus fréquentes dont a parlé tantôt votre illustre doyen et dont l'exacte solution tend à ce que l'on

pourvoie de la meilleure façon possible à la sainteté et à la stabilité du mariage, en même temps qu'au droit naturel des fidèles, en tenant dûment compte tout à la fois du bien commun de la société humaine et du bien privé des particuliers.

Le droit au mariage et les incapacités.

I. — En premier lieu, si l'on considère le droit au mariage, Nos glorieux prédécesseurs, Léon XIII et Pie XI, ont déjà enseigné qu'« aucune loi humaine ne peut enlever à l'homme le droit naturel et premier de se marier». De fait, ce droit ayant été donné à l'homme immédiatement par l'auteur de la nature, législateur suprême, ne peut être refusé à personne, à moins qu'il ne soit prouvé que quelqu'un ou bien y a renoncé librement, ou bien est incapable de contracter mariage par un défaut de l'intelligence ou du corps. Mais pour que dans les cas particuliers le mariage à contracter puisse être empêché, ou, s'il est déjà contracté, puisse être déclaré nul, il est nécessaire que cette incapacité antérieure et perpétuelle soit établie non seulement d'une façon douteuse ou probable, mais avec une certitude morale ; sans une pareille condition de certitude, on ne peut permettre le mariage et, s'il a déjà été célébré, on ne peut le dire valide.

Il n'est pas rare qu'on défère à la Sacrée Rote romaine des causes relatives à cette incapacité, soit psychique, c'est-à-dire de l'esprit, soit corporelle, causes si délicates de leur nature et souvent très complexes. C'est tout à son honneur et à sa gloire de les avoir traitées avec un discernement extrêmement soigneux et sans acception de personnes.

La Rote s'est récemment occupée d'incapacité psychique, fondée sur quelque tare pathologique, et à cette occasion la sentence du juge eut à examiner certaines théories présentées comme très nouvelles par des psychiatres et psychologues modernes. Chose certainement louable et manifestation de recherches attentives et étendues ; car la jurisprudence ecclésiastique ne peut ni ne doit négliger le progrès authentique des sciences qui touchent aux matières morales et juridiques ; repousser ces sciences uniquement parce qu'elles sont nouvelles ne peut être regardé comme licite ni comme convenable. La nouveauté serait-elle donc ennemie de la science ? Sans de nouveaux progrès au-delà de la vérité déjà conquise, comment la science humaine pourrait-elle avancer dans l'immense champ de la nature ? Il faut cependant examiner et peser avec pénétration et grand soin s'il s'agit d'une vraie science à laquelle des expériences et preuves suffisantes confèrent la certitude, et non pas seulement de vagues hypothèses et théories non appuyées sur des arguments positifs et solides ; en ce cas, elles ne pourraient constituer la base d'un jugement sûr qui exclut tout doute prudent.

La Sacrée Rote romaine a dû traiter aussi plus d'une fois de l'incapacité due à un défaut corporel. Dans cette question, aussi délicate que difficile, deux tendances sont à éviter : celle qui, dans l'examen des éléments constitutifs de l'acte de la génération, donne de la valeur uniquement à la fin primaire du mariage, comme si la fin secondaire n'existait pas ou, du moins, n'était pas finis operis établie par l'ordonnateur même de la nature ; et celle qui considère la fin secondaire comme également principale, la détachant de son essentielle subordination à la fin primaire, ce qui, par une nécessité logique, conduirait à de funestes conséquences. En d'autres termes, s'il est vrai que la vérité se trouve dans le juste milieu, deux extrêmes sont ici à éviter : d'une part, nier pratiquement ou sous-estimer de façon excessive la fin secondaire du mariage et de l'acte de la génération ; d'autre part, dégager ou séparer outre mesure l'acte conjugal de la fin primaire à laquelle, selon toute sa structure intrinsèque, il est premièrement et principalement ordonné.

Les déclarations de nullité.

II. — En ce qui concerne les déclarations de nullité des mariages, personne n'ignore que l'Eglise ne soit, sur ce point, très réservée et bien éloignée de les favoriser. De fait, si la tranquillité, la stabilité et la sécurité de la société humaine en général exigent que les contrats ne soient pas à la légère proclamés nuls, a fortiori cela vaut-il pour un contrat d'une importance telle que le mariage, dont la solidité et la stabilité sont requises pour le bien commun de la société humaine et pour le bien privé des époux et des enfants, et dont la dignité de sacrement interdit que ce qui est sacré et sacramentel ne soit avec légèreté exposé au danger d'être profané. Qui ne sait d'ailleurs que les coeurs humains ne sont que trop enclins, dans des cas qui ne sont pas rares pour tel ou tel grief, par désaccord et dégoût de l'autre partie, ou pour ouvrir la voie à une alliance avec une autre personne coupablement aimée, à rechercher la libération du lien conjugal déjà contracté ? Aussi, le juge ecclésiastique ne doit-il pas se montrer facile à déclarer la nullité du mariage, mais plutôt s'employer avant tout à valider ce qui a été invalidement contracté, surtout si les circonstances le conseillent particulièrement.

Si la validation paraît évidemment impossible, parce que s'y oppose un empêchement dirimant dont l'Eglise ne peut ou n'a pas coutume de dispenser ou parce que les parties refusent de donner ou de renouveler leur consentement, la sentence de nullité ne peut alors être refusée à qui la demande justement et légitimement selon les prescriptions canoniques pourvu que soit constatée cette invalidité alléguée ; cette constatation est celle qui, dans les choses humaines, se dit habituellement de ce dont on a une certitude morale, certitude excluant tout doute prudent, c'est-à-dire fondé sur des raisons positives. On ne peut, en effet, exiger la certitude absolue de la nullité, certitude excluant non seulement toute probabilité positive, mais encore la pure possibilité du contraire. La règle du droit, selon laquelle matrimonium gaudet favore juris ; quare in dubio standum est pro valore matrimonii, donec contrarium probetur (can. 1014), ne s'entend de fait que de la certitude morale du contraire ; mais cette certitude doit être bien établie. Aucun tribunal ecclésiastique n'a le droit ni le pouvoir d'exiger davantage. En exigeant davantage, on en vient facilement à léser le droit strict des parties au mariage, puisque n'étant, en réalité, liées par aucun lien matrimonial, elles jouissent du droit naturel de contracter mariage.

'indissolubilité.

III. — Enfin, pour ce qui concerne la dissolution du lien vali-dement contracté, la Sacrée Rote romaine est aussi, en certains cas, appelée à rechercher si tout ce qui est requis pour la valide et licite dissolution du lien a bien été préalablement accompli et, par conséquent, s'il y a lieu, de conseiller au Souverain Pontife la concession de la faveur en question.

Ces conditions préalables regardent avant tout la dissolubilité même du mariage. Il est superflu, devant une assemblée de juristes comme la vôtre, mais non pas inutile à Notre propos, de répéter que le mariage ratum et consummatum est de droit divin indissoluble en ce qu'il ne peut être dissous par aucune puissance humaine (can. 1118) ; tandis que les autres mariages, bien qu'ils soient intrinsèquement indissolubles, n'ont pourtant pas une indissolubilité extrinsèque absolue mais, étant donné certaines conditions préalables nécessaires, peuvent (il s'agit, on le sait, de cas relativement bien rares) être dissous — en outre du privilège paulin — par le Pontife romain, en vertu de son pouvoir ministériel.

Le seul fait de dire que le juge ecclésiastique est appelé à rechercher s'il conste de l'existence de ces conditions vous fait comprendre tout de suite, ainsi que l'importance du sujet l'indique suffisamment, qu'une telle investigation doit être conduite avec le maximum de sévérité, de rigueur et de soin ; d'autant plus que, comme il s'agit de l'usage d'un pouvoir vicarial en matière de droit divin, la validité même de la dissolution de la rupture du lien dépend de l'existence des conditions requises. D'autre part, dans tous les cas, et à quelque stade qu'on en soit du procès, c'est un devoir d'observer pleinement et rigoureusement les règles que la modestie chrétienne impose en matière si délicate.

Au reste, il est indubitable que le principe énoncé plus haut vaut ici également : à savoir qu'il suffit de la certitude morale excluant tout doute prudent du contraire. Il est bien vrai que, de nos jours, où le mépris et l'inobservation de la religion ont fait revivre l'esprit d'un nouveau paganisme jouisseur et orgueilleux, il se manifeste en beaucoup d'endroits comme une véritable manie de divorcer qui tendrait à contracter et à rompre le mariage avec plus de facilité et de légèreté qu'on ne le fait pour les contrats de location et de louage. Mais une telle manie, inconsidérée et imprudente, ne peut être une raison qui autoriserait les tribunaux ecclésiastiques à s'écarter de la règle et de la pratique que dictent et approuvent le jugement sain et la conscience délicate. Pour l'indissolubilité ou la dissolubilité du mariage, l'Eglise ne peut retenir d'autre règle ni d'autre pratique que celles établies par Dieu, auteur de la nature et de la grâce !

A cet égard, il est deux passages des Livres Saints qui, d'une certaine manière, indiquent les limites entre lesquelles la solution du lien doit se situer, excluant soit le laxisme actuel, soit le rigorisme contraire à la volonté et à l'ordre de Dieu. L'un : Quod Deus coniunxit, homo non separet (Mt 19,6), revient à dire que ce n'est pas l'homme, mais Dieu qui peut séparer les conjoints et, par conséquent, que la séparation est nulle là où Dieu lui-même ne délie pas du lien. L'autre passage : Non servituti subjectus est frater aut soror... ; in pace autem vocavit nos Deus (1Co 7,15), veut dire qu'il n'y a plus ni servitude ni lien là où Dieu les enlève, permettant ainsi au conjoint de convoler licitement en de nouvelles noces. En tout cas, la norme suprême selon laquelle le Pontife romain fait usage de son pouvoir vicarial de dissoudre les mariages est celle que Nous avons déjà indiquée au début comme la règle de l'exercice du pouvoir judiciaire dans l'Eglise, c'est-à-dire le salus animarum, le salut des âmes, pour l'obtention duquel tant le bien commun de la société religieuse et, en général, de la société humaine, que le bien des particuliers doivent trouver l'attention qui est requise et au degré qui convient.

Souhaits du Saint-Père pour la fécondité de la nouvelle année judiciaire.

Que Nos paroles, inaugurant la nouvelle année judiciaire de la Sacrée Rote romaine, soient un souhait aussi pour vous, chers fils. Qu'avec le secours de la grâce divine, vos travaux, rigoureux et pénibles, pour la recherche et la proclamation de la justice et de la paix au sein des fidèles qui recourent à votre tribunal pour n'importe quelle affaire, puissent vous mériter devant Dieu la récompense des athlètes qui luttent dans le stade de la jurisprudence chrétienne. Mais au début de cette année nouvelle, Nous voulons, d'autre part, saluer l'entrée de la Sacrée Rote romaine dans son nouveau siège, préparé et organisé par Nous — achevant ainsi l'oeuvre de Notre immortel prédécesseur — dans les salles majestueuses de la Chancellerie apostolique. Là, le sol de la Rome antique mis à nu, les murs historiés, les escaliers et les portiques témoins d'une histoire et d'un art renommés, vous inspireront de profondes réflexions. C'est pour Nous une satisfaction particulière de donner au doyen si méritant et aux autres membres de votre remarquable tribunal une preuve si manifeste de Notre estime pour votre sage et exemplaire travail. Aussi Nous espérons — et il Nous semble déjà le voir — que dans ces nouvelles chambres et salles qui répondent mieux à la situation centrale, à l'importance de la dignité hiérarchique de votre tribunal, la jurisprudence ecclésiastique fera arriver à maturité des fruits nouveaux et plus magnifiques, et cela pour l'honneur de l'Eglise et pour le salut des âmes.

Dans cette attente et avec cet espoir confiant, Nous invoquons sur tous et sur chacun de ceux qui sont ici présents, les lumières et l'assistance du Dieu tout-puissant, pendant que, de tout coeur, Nous donnons à tous Notre paternelle Bénédiction apostolique.



DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX (8 octobre 1941)

1

Le rosaire dans la famille.

Venus à Rome pour demander la bénédiction du Père commun des fidèles sur vos nouveaux foyers, il faudrait, bien-aimés fils et filles, que vous en remportiez également une dévotion accrue envers le rosaire de la Vierge Marie, à laquelle est consacré ce mois d'octobre : tant de souvenirs rattachent cette dévotion à la piété des Romains et elle s'harmonise si bien avec toutes les circonstances de la vie domestique, avec tous les besoins et les dispositions particulières de chacun des membres de la famille !

Au cours de vos visites aux sanctuaires de cette Ville éternelle, il vous est arrivé dans quelqu'une de ces antiques basiliques ou près de la tombe glorieuse d'un saint, de vous sentir plus vivement émus, et, non contents d'un passage rapide, vous vous êtes arrêtés pour une fervente prière à vos intentions communes : la prière qui montait alors spontanément à vos lèvres, n'était-ce pas souvent la récitation de quelque dizaine de votre rosaire ?

Rosaire des jeunes époux, que vous récitez côte à côte à l'aurore de votre nouvelle famille, en face de la vie qui s'ouvre avec ses joyeux présages, mais aussi avec ses mystères et ses responsabilités. Il est si doux, dans la joie de ces premiers jours de pleine intimité, de mettre ainsi ses espérances et ses projets d'avenir sous la protection de la Vierge toute pure et toute-puissante, de la Mère d'amour et de miséricorde, dont les joies, les douleurs et les gloires repassent devant les yeux de votre âme au rythme des dizaines d'Ave Maria, évocation des exemples de la plus sainte des familles.

Rosaire des enfants. Rosaire des petits qui tiennent les grains du chapelet entre leurs doigts mignons encore malhabiles et qui lentement répètent, avec application et effort, mais déjà avec amour, les Pater et Ave que la patience de leur mère leur a enseignés ; ils se trompent, il est vrai, et parfois ils hésitent, ils confondent ; mais il y a dans le regard qu'ils attachent sur l'image de Marie, de Celle en qui ils savent déjà reconnaître leur Mère du ciel, une candeur si pleine de confiance ! Ce sera ensuite le chapelet de la première communion, qui aura sa place bien à lui dans les souvenirs de ce grand jour ; beau souvenir, à condition cependant de rester ce qu'il doit être, non pas un vain objet de luxe, mais un instrument qui aide à prier et qui évoque la pensée de Marie.

Rosaire de la jeune fille déjà grande, joyeuse et sereine, mais sérieuse en même temps et soucieuse de l'avenir. Elle confie à Marie, la Vierge Immaculée prudente et douce, les aspirations de dévouement qu'elle éprouve en son coeur ; elle prie pour celui qu'elle ne connaît pas encore, mais que Dieu connaît et que la Providence lui destine et qu'elle voudrait savoir pareil à elle-même, chrétien fervent et généreux. Ce chapelet qu'elle aime tant à réciter le dimanche avec ses compagnes, elle devra peut-être la semaine le dire durant les travaux du ménage, aux côtés de sa mère, ou entre les heures de travail au bureau où à la campagne, lorsqu'elle aura le loisir de se rendre à la chapelle voisine.

Rosaire du jeune homme, apprenti, étudiant ou agriculteur, qui se prépare par un travail courageux à gagner un jour son pain et celui des siens ; chapelet qu'il garde précieusement sur soi, comme une protection de cette pureté qu'il veut porter intacte à l'autel de ses noces ; chapelet qu'il récite sans respect humain dans les loisirs favorables au recueillement et à la prière ; rosaire qui l'accompagne sous l'uniforme du soldat, au milieu des fatigues et des périls de la guerre ; rosaire qu'il serrera une dernière fois le jour où peut-être la patrie lui demandera le suprême sacrifice, et que ses compagnons d'armes découvriront avec émotion entre ses doigts glacés et couverts de sang.

Rosaire de la mère de famille. Chapelet de l'ouvrière ou de la paysanne, simple et solide, usé par les ans, qu'elle ne pourra prendre en main que le soir peut-être, alors que, bien fatiguée de sa journée, elle trouvera encore dans sa foi et son amour la force de le réciter en luttant contre le sommeil, pour tous les siens, pour ceux surtout

qui sont le plus exposés aux dangers de l'âme ou du corps, peut-être tentés ou affligés, ou qu'avec tristesse elle voit s'éloigner de Dieu. Rosaire de la grande dame, plus riche peut-être, mais souvent accablée de préoccupations et d'angoisses plus lourdes encore.

Rosaire du père de famille, de l'homme de travail et d'énergie qui ne manque jamais d'emporter son chapelet avec son stylo et son calepin ; qui, grand professeur, ingénieur renommé, clinicien célèbre, avocat éloquent, artiste de génie, agronome expert, ne rougit point de réciter son chapelet avec une dévote simplicité durant les brefs instants qu'il arrache à la tyrannie du travail professionnel pour aller retremper son âme de chrétien dans la paix d'une église, au pied du tabernacle.

Rosaire des vieux. Vieille grand-mère qui égrène, infatigable, son chapelet dans ses doigts engourdis, au fond de l'église, aussi longtemps qu'elle s'y peut traîner sur ses jambes raidies, ou durant les longues heures d'immobilité forcée dans le fauteuil, au coin du feu. Vieille tante qui a consacré toutes ses forces au bien de la famille et qui, maintenant qu'approche le terme d'une vie toute dépensée en bonnes oeuvres, fait alterner, inépuisable de dévouement, les petits services qu'elle trouve encore le moyen de rendre, avec des dizaines et des dizaines d'Ave qu'elle dit sans relâche sur son chapelet.

Rosaire du mourant, serré aux heures suprêmes comme un dernier appui entre ses mains tremblantes, alors qu'autour de lui les siens le récitent à voix basse ; chapelet qui restera sur sa poitrine avec le crucifix, témoin de sa confiance en la miséricorde de Dieu et en l'intercession de la Vierge, de cette confiance dont était rempli ce coeur qui a fini de battre.

Rosaire, enfin, de la famille tout entière. Rosaire que tous récitent en commun, petits et grands ; qui réunit le soir aux pieds de Marie ceux que le travail de la journée avait séparés et dispersés ; qui les unit, ravivant les souvenirs dans une fervente prière, aux absents et aux disparus ; qui consacre ainsi le lien qui les rassemble tous sous l'égide maternelle de la Vierge Immaculée, Reine du Saint Rosaire.

A Lourdes comme à Pompéi, Marie a voulu montrer par d'innombrables faveurs à quel point cette prière lui est chère. Elle y invitait sa confidente Bernadette, elle accompagnait les Ave de l'enfant, elle égrenait avec elle lentement son chapelet, brillant comme les roses d'or qui éclataient à ses pieds. Répondez, chers jeunes époux, répondez à ces invites de votre Mère du ciel : assurez à son rosaire une place d'honneur dans les prières de vos nouvelles familles. Familles que Nous sommes heureux de bénir paternellement, et avec elles tous nos autres biennaimés fils et filles ici présents, au nom du Seigneur.


ALLOCUTION AUX MÈRES DE FAMILLES DE L'ACTION CATHOLIQUE ITALIENNE (26 octobre 1941)


A l'occasion d'une audience donnée aux femmes de l'Action catholique des femmes de Rome et du Latium, le Saint-Père a prononcé cette importante allocution qui rappelle leurs graves devoirs à l'égard de l'éducation de leurs enfants, l'importance de l'action éducatrice des mères et les principes qui doivent les guider en ce domaine :

D'après le texte italien des A. A. S., 33, 1941, p. 450 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. III, p. 188. Les sous-titres sont ceux donnés dans le texte original.

Les graves devoirs des parents dans l'éducation des enfants.

En présence de cette magnifique assemblée, qui groupe aujourd'hui autour de Nous un aussi grand nombre de mères de familles avec des religieuses, des maîtresses, des délégués des enfants de l'Action catholique italienne, des apôtres de l'enfance, des surveillantes et des assistantes de colonies, Notre regard et Notre pensée franchissent le seuil de cette salle et se transportent aux frontières de l'Italie et du monde, embrassant dans Notre affection de Père commun tous les chers petits enfants, fleurs de l'humanité et joie de leurs mères (Ps., exil, 9). Cependant, Notre pensée émue évoque l'immortel pape Pie XI, qui, dans son encyclique Divini illius Magistri du 31 décembre 1929, a traité d'une façon si profonde de l'éducation chrétienne de la jeunesse. Sur ce sujet important, le pape, après avoir sagement déterminé le rôle qui revient à l'Eglise, à la famille et à l'Etat, remarque avec douleur comment, trop souvent, les parents ne sont pas ou sont peu préparés à remplir leur fonction d'éducateurs ; mais, n'ayant pu, dans ce document précis et étendu, s'occuper d'une façon spéciale des points qui regardent l'éducation familiale, il conjurait, au nom du Christ, les pasteurs des âmes, « de mettre tout en oeuvre, dans les instructions et les catéchismes, par la parole et les écrits largement répandus, pour que les parents chrétiens connaissent bien, non seulement d'une façon générale, mais encore en détail, leurs devoirs relativement à l'éducation religieuse, morale et civique de leurs enfants, et aussi les méthodes les plus propres à réaliser efficacement cette éducation, en plus du bon exemple de leur propre vie » 2.

Par les pasteurs des âmes, le grand pontife adressait son exhortation aux parents, pères et mères ensemble ; mais Nous croyons aussi répondre au désir de Notre vénéré prédécesseur en réservant cette audience spéciale aux mères de famille et aux autres éducatrices des petits enfants. Si Notre parole est pour tous, même quand Nous parlons aux nouveaux mariés, il Nous est agréable, en cette occasion favorable, de Nous adresser particulièrement à vous, chères filles, parce que, dans les mères de famille — et aussi dans les pieuses et compétentes personnes qui les aident — Nous voyons les premières et les plus intimes éducatrices des âmes des petits enfants qui doivent être élevés dans la piété et dans la vertu.

Nous ne Nous arrêterons pas ici à rappeler la grandeur et la nécessité de cette oeuvre d'éducation au foyer domestique ni l'obligation stricte pour une mère de ne pas s'y soustraire, de ne pas l'accomplir à moitié, de ne pas s'y adonner avec négligence. Parlant à Nos chères filles de l'Action catholique, Nous savons bien que dans cette obligation elles voient le premier de leurs devoirs de mères chrétiennes et une fonction dans laquelle personne ne pourrait les remplacer complètement. Mais il ne suffit pas d'avoir la conscience et la volonté d'accomplir ce devoir ; il faut, en outre, se mettre en mesure de bien le remplir.

Nécessité d'une sérieuse préparation pour l'oeuvre difficile de l'éducation.

Aujourd'hui, voyez cette chose extraordinaire que Pie XI déplorait déjà dans son encyclique : « alors qu'il ne viendrait à l'esprit de personne de se faire subitement, sur-le-champ, sans apprentissage ni préparation, ouvrier mécanicien ou ingénieur, médecin ou avocat, eh bien, chaque jour, de nombreux jeunes gens et jeunes filles s'épousent et s'unissent sans avoir pensé un seul instant aux devoirs ardus qui les attendent dans l'éducation des enfants ». Pourtant, si saint Grégoire le Grand n'hésite pas à appeler ars artium, l'art des arts 3,

2 Cf. A. A. S., 22, 1930, pp. 73-74.

3 Regul. pastor, lib. I, c. 1 ; Mignc, P. L., t. 77, col. 14.

tout gouvernement des âmes, c'est certainement un art malaisé et laborieux que celui de bien former les âmes des petits enfants, âmes fraîches, flexibles et donc faciles à se déformer par suite d'une impression imprudente ou d'une incitation trompeuse, âmes parmi les plus difficiles et les plus délicates à conduire, âmes sur lesquelles, souvent, plus que sur la cire, une funeste influence ou une coupable négligence sont capables d'imprimer des traces indélébiles et perverses. Heureux ces bambins qui dans leur maman trouvent près de leur berceau un second ange gardien pour leur inspirer le bien et leur en indiquer le chemin. Dès lors, tout en Nous réjouissant avec vous de tout ce que vous avez déjà heureusement accompli, Nous ne pourrons, par de nouveaux et plus chaleureux encouragements, que vous pousser à développer toujours davantage les belles institutions qui, comme la Semaine de la mère, s'emploient efficacement à former, à tous les degrés et dans toutes les classes sociales, des éducatrices qui, dans leur esprit et leur attitude, aient conscience de la grandeur de leur mission et soient pleines de retenue en face du mal, hardies et empressées pour le bien. C'est dans ce sentiment de femme et de mère que se trouvent toute la dignité et la vénération de la fidèle compagne de l'homme, laquelle est, ainsi qu'une colonne, le centre, le soutien et le phare de la maison familiale ! Aussi, sa lumière devient, dans une paroisse, un exemple et un modèle, et s'étend jusque-là où des groupements féminins spéciaux s'en trouvent à leur tour éclairés.

Action éducatrice de la mère durant l'enfance.

C'est une particulière et opportune lumière que répand votre Union d'Action catholique par le moyen des organisations de l'Apostolat du berceau et de la Mère des petits enfants, par lesquelles vous prenez soin de former et d'aider les jeunes épouses dès avant la naissance de leurs enfants et ensuite durant la première enfance. A l'imitation des anges, vous vous faites gardiennes de la mère et de l'enfant qu'elle porte dans son sein 4, et quand le bébé est venu, vous approchez du berceau où il vagit et assistez la maman qui, de son sein et de ses sourires, alimente le corps et l'âme de ce petit ange du ciel. Dieu a confié à la femme la mission sacrée et douloureuse, mais aussi source de joie très pure, de la maternité (cf. Jean, Jn 16,21) ; à la mère plus qu'à toute autre personne est

4 Cf. Summa TbeoL, I 113,5 ad 3.

confiée la première éducation du tout petit enfant durant les premiers mois et années. Nous ne parlerons pas des hérédités secrètes transmises par les parents aux enfants, qui ont une influence si considérable dans la future formation de leur caractère : hérédités qui parfois dénoncent la vie déréglée des parents si gravement responsables de rendre avec leur sang la pratique d'une vraie vie chrétienne peut-être bien difficile à leur progéniture. Pères et mères, chez lesquels la foi du Christ sanctifie l'amour mutuel, préparez dès avant la naissance du bébé la pureté de l'atmosphère familiale dans laquelle ses yeux et son âme s'ouvriront à la lumière et à la vie ; atmosphère qui imprégnera de la bonne odeur du Christ tous les pas de son progrès moral.

Vous, ô mères, parce que plus sensibles et aussi plus tendrement aimées, vous devrez, durant l'enfance de vos bébés, les suivre à tout moment de votre regard vigilant, veiller sur le développement et la santé de leur petit corps, qui est la chair de votre chair et le fruit de votre sein maternel. Songez que ces petits enfants, devenus par le baptême enfants de Dieu par adoption, sont les préférés du Christ et que leurs anges voient la face du Père céleste (Mt 18,10) : vous aussi, en gardant ces petits, en les fortifiant, en les éduquant, vous devez être d'autres anges qui, en donnant vos soins et en exerçant votre surveillance, regardent toujours vers le ciel. Dès le berceau, vous avez à commencer leur éducation non seulement corporelle, mais spirituelle ; parce que si vous ne les éduquez pas, ils s'éduqueront eux-mêmes, bien ou mal. Rappelez-vous que beaucoup de comportements même moraux que vous voyez dans l'adolescent et dans l'homme mûr ont vraiment pour origine les façons et les circonstances de la première croissance physique dans l'enfance ; des habitudes purement organiques, contractées par les tout petits deviendront peut-être plus tard un rude obstacle à la vie spirituelle d'une âme. Vous mettrez donc toute votre application à ce que les soins que vous donnez à vos bambins s'accordent avec les exigences d'une parfaite hygiène, de façon à préparer en eux et à fortifier, pour le moment où s'éveillera l'usage de leur raison, des facultés corporelles et des organes sains, robustes, sans déviation de tendances ; voilà pourquoi il est si désirable que, sauf le cas d'impossibilité, la mère nourrisse elle-même son enfant. Qui peut sonder les mystérieuses influences qu'exerce sur la croissance de cette petite créature la nourrice dont elle dépend entièrement dans son développement ?

N'avez-vous jamais observé ces petits yeux ouverts et interrogateurs, sans cesse en mouvement, qui glissent sur mille objets, se fixent sur celui-ci ou sur celui-là, qui suivent un mouvement ou un geste, qui déjà manifestent la joie et la peine, la colère et l'entêtement, et ces indices des petites passions qui se nichent dans le cceur humain, avant que les petites lèvres aient appris à articuler un mot ? Ne vous en étonnez pas. On ne naît pas, comme l'ont enseigné certaines écoles philosophiques, avec les idées d'une science innée ni avec les pensées d'un passé déjà vécu. L'esprit d'un petit enfant est une page sur laquelle rien n'est écrit dès le sein de la mère : là s'écriront les images et les idées des choses que rencontrent d'heure en heure, du berceau à la tombe, ses yeux et ses autres sens, externes et internes qui, à travers sa vie, lui transmettent la vie du monde. Un irrésistible instinct du vrai et du bien porte 1'« âme simplette qui ne sait rien » 8 sur les choses sensibles ; toute cette sensibilité, toutes ces sensations de l'enfant, par le chemin desquelles l'intelligence et la volonté vont lentement se manifester et s'éveiller, ont besoin d'une éducation, d'une instruction, d'une direction vigilante et indispensable pour éviter que ne soient compromis ou faussés l'éveil normal et le fonctionnement régulier de si nobles facultés spirituelles. Dès lors, le tout-petit, sous un regard de tendresse, sur une parole qui commande, devra apprendre à ne pas céder à toutes ses impressions, à discerner avec le développement de sa raison et à dominer la mobilité de ses sensations, à commencer, en un mot, sous la direction et les avertissements maternels, l'étape et le travail de son éducation.

Etudiez le bambin dans son jeune âge. Si vous le connaissez bien, vous l'éduquerez bien ; vous ne prendrez pas sa nature à rebours ou de travers ; vous saurez le comprendre et céder mais pas mal à propos : les petits enfants des hommes n'ont pas tous en partage un bon naturel !

Education de l'intelligence.

Eduquez l'intelligence de vos petits enfants. Ne leur donnez pas des idées fausses ni de fausses raisons des choses ; ne répondez pas à leurs questions, quelles qu'elles soient, par des badinages ou des affirmations menteuses auxquelles leur esprit se rend rarement ; mais profitez de ces interrogations pour diriger et soutenir, avec patience et amour, leur esprit qui ne désire pas autre chose que s'ouvrir à la possession de la vérité et apprendre à la conquérir par la marche encore naïve des premiers raisonnements et de la réflexion à leurs débuts. Qui ne saura jamais dire tout ce que tant de magnifiques intelligences humaines doivent à ces lointaines et confiantes questions et réponses de l'enfance, échangées au foyer domestique ?

Education du caractère.

Eduquez le caractère de vos fils ; atténuez-en ou corrigez-en les défauts ; faites grandir et cultivez les bonnes qualités et rattachez-les à cette fermeté qui prélude à la solidité des résolutions dans le cours de la vie. Les bambins, en grandissant, sentant au-dessus d'eux, au fur et à mesure qu'ils commenceront à penser et à vouloir, une volonté paternelle et maternelle bonne, ignorant la violence et la colère, constante et forte, exempte de faiblesse ou d'incohérences, apprendront de bonne heure à voir en elle l'interprète d'une volonté plus haute, celle de Dieu, et, de cette façon, inscriront et enracineront dans leur âme ces premières et puissantes habitudes morales qui forment et soutiennent un caractère, prompt à se dominer dans les incommodités et les contrariétés les plus diverses, intrépide pour ne pas reculer ni devant la lutte ni en face du sacrifice, pénétré d'un profond sentiment du devoir chrétien.

Education du coeur.

Eduquez le coeur. Quels destins, quelles dépravations, quels périls préparent trop souvent dans le coeur des enfants qui grandissent les admirations béates et les louanges, les sollicitudes imprudentes, les fades condescendances de parents aveuglés par un amour mal compris, qui habituent ces petits coeurs volages à voir toute chose se mouvoir et graviter autour d'eux, se soumettre à leurs volontés et à leurs caprices, et greffer ainsi en eux la racine d'un égoïsme effréné, dont les parents eux-mêmes seront plus tard les premières victimes ! Punition non moins fréquente que juste de ces calculs égoïstes qui poussent à refuser à un fils unique la joie de petits frères qui, participant avec lui à l'amour fraternel, l'auraient détourné de penser seulement à lui.

Que de profondes et puissantes capacités d'affection, de bonté et de dévouement ou d'obéissance dorment dans le coeur du petit enfant ! Vous, ô mères, vous les éveillerez, les cultiverez, les dirigerez, les élèverez vers ceux qui doivent les sanctifier, vers Jésus, vers Marie ; la Mère céleste ouvrira ce coeur à la piété, lui enseignera à offrir au divin Ami des petits enfants, avec la prière, ses sacrifices et ses victoires pleins de candeur et d'innocence, à éprouver aussi dans sa main de la compassion pour les pauvres et pour les malheureux. O heureux printemps de l'enfance sans vents ni tempêtes !

Education de la volonté pendant l'adolescence.

Mais poindra le jour où ce coeur d'enfant sentira s'éveiller en lui de nouvelles impulsions, de nouvelles inclinations qui troubleront le beau ciel du premier âge. Dans cette épreuve, rappelez-vous, ô mères, qu'éduquer le coeur c'est éduquer la volonté, pour qu'elle s'oppose aux pièges du mal et aux embûches des passions ; dans ce passage à la pureté consciente et victorieuse de l'adolescence, votre rôle est capital. Il vous appartient de préparer vos fils et vos filles à traverser avec hardiesse, comme celui qui passe au milieu des serpents, cette période de crise et de transformation physique sans rien perdre de la joie de l'innocence, mais en conservant ce naturel et spécial instinct de pudeur dont la Providence veut entourer leur front, comme un frein imposé aux passions trop portées à dépasser la mesure et à s'égarer. Ce sentiment de pudeur, frère plein de suavité du sentiment religieux, dans sa modestie spontanée, auquel on pense peu aujourd'hui, vous éviterez qu'il soit enlevé à vos enfants par le vêtement, par la façon de s'habiller, par une familiarité peu bienséante, par les spectacles et les représentations immorales ; au contraire, vous le rendrez toujours plus délicat et vigilant, sincère et pur. Vous tiendrez les yeux ouverts sur leurs démarches : vous empêcherez la candeur de leurs âmes de se souiller et de se corrompre au contact de compagnons déjà corrompus et corrupteurs ; vous leur inspirerez une haute estime et un amour jaloux de la pureté, en leur indiquant pour gardien fidèle la maternelle protection de la Vierge immaculée. Enfin, avec votre perspicacité de mères et d'édu-catrices, grâce à la confiante ouverture de coeur que vous aurez su infuser à vos enfants, vous ne manquerez pas de chercher et de découvrir l'occasion et le moment où, certaines questions secrètes s'étant présentées à leur esprit, auront produit dans leurs sens des troubles particuliers. Alors, il appartiendra à vous pour vos filles, au père pour vos fils, de soulever — autant que cela vous apparaîtra nécessaire — avec précaution et délicatesse le voile de la vérité ; de donner une réponse prudente, juste et chrétienne à leurs questions et à leurs inquiétudes. Les révélations sur les mystérieuses et admirables lois de la vie, reçues de vos lèvres de parents chrétiens à l'heure opportune dans la mesure qui s'impose et avec toutes les précautions requises, seront écoutées avec respect et reconnaissance ; elles éclaireront les âmes des adolescents avec beaucoup moins de danger que s'ils les apprenaient au hasard des rencontres louches, des conversations clandestines, à l'école de compagnons peu sûrs et déjà trop au courant, par le moyen de lectures faites en cachette et d'autant plus dangereuses et pernicieuses que le secret enflamme davantage l'imagination et les sens. Vos paroles, si elles sont dites à propos et prudentes, deviendront une sauvegarde et un conseil au milieu des tentations de la corruption environnante, « une flèche qui est prévue arrive plus lentement » 6.

L'aide puissante de la religion.

Mais vous comprenez aussi que dans cette oeuvre magnifique de l'éducation chrétienne de vos fils et de vos filles, la formation familiale, pour aussi sage et profonde quelle soit, ne suffit pas : elle doit se compléter et se parfaire par le puissant secours de la religion. Vous devez vous faire coopérateurs du prêtre dont, depuis le baptême, la paternité et l'autorité spirituelle et pastorale sur vos enfants se situent à vos côtés pour enseigner les premiers rudiments de piété et de catéchisme qui sont le fondement de toute éducation solide et dont il convient que vous, les premiers maîtres de vos bambins, ayez une connaissance suffisante et sûre. Comment pour-riez-vous enseigner ce que vous ignorez ? Enseignez à aimer Dieu, Jésus-Christ, l'Eglise notre mère, les pasteurs de l'Eglise qui vous guident. Aimez le catéchisme et faites-le aimer à vos petits enfants : le catéchisme est le grand livre de l'amour et de la crainte de Dieu, de la sagesse chrétienne et de la vie éternelle.

Précieux coopérateurs dans l'éducation des enfants.

Dans votre oeuvre éducatrice qui s'étend à un grand nombre de choses, vous sentirez le besoin et l'obligation de recourir à d'autres auxiliaires ; choisissez-les chrétiens comme vous et avec tout le soin que mérite le trésor que vous leur confiez, c'est-à-dire la foi, la pureté, la piété de vos enfants. Mais quand vous les aurez choisis, ne vous regardez pas, par cela même, libres et dégagées de vos devoirs et de votre vigilance ; vous devrez collaborer avec eux. Que ces maîtres et maîtresses soient autant que vous voulez les éminents éduca

8 Dante, Paradis, 17, 27.

teurs que vous désirez ; ils ne réussiront à faire que peu de choses pour la formation de vos enfants si vous ne joignez pas votre action à la leur. Qu'obtiendrez-vous, dès lors, si votre action, au lieu d'aider et de fortifier l'oeuvre de ces maîtres, venait à se dresser pour la contrarier et se mettre en travers ? Si vos faiblesses, si vos partis pris, par un amour qui ne sera que fait d'un égoïsme mesquin, détruisent au foyer familial ce qui a été bien fait à l'école, au catéchisme, dans les associations catholiques pour former le caractère et guider la piété de vos enfants ?

Mais, dira peut-être quelque mère de famille, les enfants d'aujourd'hui sont si difficiles à gouverner ! Avec mon fils, avec ma fille, il n'y a rien à faire, on ne peut rien obtenir. C'est vrai ; à 12 ou 15 ans, beaucoup de garçons et de filles se montrent intraitables. Mais pourquoi ? Parce que, quand ils avaient 2 ou 3 ans, tout leur fut accordé et permis, tout leur fut passé comme bon. Il y a, il est vrai, des tempéraments ingrats et rebelles ; mais quel petit, fermé, têtu, insensible, cesse en raison de ces défauts d'être votre enfant ? L'aimeriez-vous moins que ses frères s'il était infirme ou estropié ? Dieu vous l'a confié aussi ; gardez-vous de le laisser devenir le rebut de la famille. Personne n'est si farouche qu'il ne s'adoucisse grâce aux soins, à la patience, à l'affection ; bien rare sera le cas où, sur ce terrain rocailleux et sauvage, vous ne réussirez pas à faire naître quelque fleur de soumission et de vertus, pourvu que vous ne risquiez pas de décourager dans cette petite âme orgueilleuse, par des sévérités partiales et déraisonnables, le fond de bonne volonté cachée en elle. Vous dénatureriez toute l'éducation de vos enfants, si jamais ils découvraient chez vous (et Dieu sait s'ils ont des yeux pour être capables de le faire) des prédilections pour des frères, des préférences dans les faveurs, des antipathies à l'égard de l'un ou de l'autre ; pour votre bien et celui de la famille, il est nécessaire que tous sentent, que tous voient dans vos sévérités pondérées comme dans vos doux encouragements et dans vos caresses, un égal amour qui ne fait pas de distinction entre eux, sinon pour corriger le mal et pour promouvoir le bien ; ne les avez-vous pas reçus également tous de Dieu ?

Les éducatrices à côté des mères chrétiennes.

O mères de familles chrétiennes, c'est particulièrement à vous que se sont adressées Nos paroles. Mais avec vous, Nous voyons aujourd'hui autour de Nous une couronne de religieuses, de maîtresses, de déléguées, d'apôtres, de gardiennes, d'assistantes qui consacrent leurs fatigues et leur travail à l'éducation et à la rééducation de l'enfance ; elles ne sont pas mères selon la nature, par le sang, mais par leur élan d'amour envers les tout-petits, si chers au Christ et à son Epouse, l'Eglise. Oui, vous aussi qui vous faites éducatrices à côté des mères chrétiennes, vous êtes mères, parce que vous avez un coeur de mère dans lequel palpite la flamme de la charité que l'Esprit-Saint a répandu dans vos coeurs. Dans cette charité, qui est la charité du Christ qui vous pousse au bien, vous trouverez la lumière, le secours et votre programme qui vous rapproche des mères, des pères et de leurs enfants ; des rejetons aussi vigoureux de la société, espoirs des parents et de l'Eglise, vous faites une plus grande famille de vingt, de cent, de mille et mille bambins et petits enfants dont vous eduquez plus profondément et plus noblement l'intelligence, le caractère et le coeur, en les élevant dans cette atmosphère spirituelle et morale où brillent, avec la joie de l'innocence, la foi en Dieu et le respect pour les choses saintes, la piété filiale à l'égard des parents et le patriotisme. A vous vont, avec la reconnaissance des mères, Notre louange et Notre reconnaissance. Educatrices comme les mères, soeurs d'une maternité spirituelle que les lis couronnent, vous rivalisez avec elles et vous les surpassez dans vos écoles, dans vos asiles et dans vos collèges, dans vos associations.

Conclusion.

Quelle mission incomparable et de nos jours hérissée de graves obstacles et difficultés, mères chrétiennes et chères filles — combien vous vous fatiguez à cultiver les jeunes pousses des oliviers familiaux — est votre mission dont Nous avons à peine évoqué la beauté ! Combien paraît grande dans Notre pensée une mère dans la maison familiale, elle qui est destinée par Dieu à être auprès d'un berceau, nourrice et éducatrice de ses bébés ! Etonnez-vous de son activité que, pourtant, on serait tenté d'estimer insuffisante pour le besoin, si la grâce divine toute-puissante n'était à ses côtés pour l'éclairer, la diriger, la soutenir dans les soucis et la fatigue de chaque jour ; si, pour collaborer avec elle dans la formation de ces âmes toutes jeunes elle n'avait pas inspiré et appelé d'autres éducatrices dont le coeur et le travail rivalisent d'amour maternel. Pour cela, en implorant du Seigneur qu'il vous remplisse toutes de la surabondance de ses faveurs et qu'il développe l'oeuvre multiforme qui vous est confiée au profit de l'enfance, Nous vous accordons de tout coeur, gage des meilleures grâces célestes, Notre paternelle Bénédiction apostolique.



Pie XII 1941 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX (24 septembre 1941)