Pie XII 1941 - 12 novembre 1941

1

A coeur ouvert.

C'est quelque chose de grand que le coeur de l'homme et de la femme, lorsqu'ils s'unissent leur vie entière pour fonder une famille. C'est du fond du coeur que naissent les premiers désirs, les premiers regards, les premières paroles qui montent aux lèvres pour rencontrer dans un échange mutuel d'autres paroles jaillies d'un autre coeur, tandis que l'un et l'autre se dilatent dans le rêve d'un foyer heureux.

Le coeur, source de vie et symbole de la volonté qui anime tout.

Mais qu'est-ce donc que le coeur ? Le coeur est la source de la vie : en lui se forme et naît, croît, mûrit et s'épanche, vieillit et finit le mouvement de la vie ; mais il ressent aussi toutes les vicissitudes, toutes les alternatives et fluctuations de la vie, soit que les mouvements des passions le fassent bondir et palpiter, soit que les fibres en tressaillent sous le coup de ces sentiments contraires que sont l'amour et la haine, le désir et l'aversion, la joie et la tristesse, l'espérance et l'abattement, l'humilité et l'orgueil, la crainte et l'audace, la douceur et la colère.

Le coeur ouvert est une source de bonheur dans la vie commune des époux, tandis que le coeur renfermé en diminue la joie et la paix. Comprenez bien ce que signifie le coeur : c'est le symbole et l'image de la volonté. Comme le coeur physique est le principe de tous les mouvements corporels, ainsi la volonté est le principe de tous les mouvements spirituels. La volonté meut l'intelligence, elle meut les facultés inférieures et les passions, elle meut les forces extérieures vers l'oeuvre où visent l'intelligence, les sens internes et externes 2. Pauvre coeur humain, insondable à celui même qui le porte en sa poitrine, qui le connaîtra jamais ? Et pourtant, beaucoup s'efforcent de le pénétrer dans les autres et d'en faire connaître les sentiments et les mouvements.

Le coeur fermé, ennemi de la foi et de la paix.

A plus d'une reprise, des écrivains renommés ont représenté dans leurs récits, leurs nouvelles ou leurs drames ce paradoxe parfois tragique : la position morale de deux excellents époux faits pour s'entendre en perfection, et qui n'ont pas su s'ouvrir l'un à l'autre. Ces époux restent dans leur vie commune pour ainsi dire étrangers l'un à l'autre ; ils laissent s'élever et grandir en eux des incompréhensions et des malentendus, qui peu à peu troublent et menacent leur union et qui souvent les mettent sur le chemin des pires catastrophes. Hélas ! ces conditions morales ne se trouvent pas seulement dans les oeuvres des romanciers : elles se rencontrent, à des degrés divers, dans la vie de chaque jour et même parmi les bons chrétiens. Quelle en est la cause ? Ce sera parfois une sorte de timidité naturelle qui inspire à certains hommes et à certaines femmes une répugnance instinctive à manifester leurs sentiments intimes et à les communiquer à qui que ce soit. Une autre fois ce sera un manque de simplicité qui naît d'une vanité, d'un orgueil caché, inconscient peut-être. D'autres fois encore, il faudra en chercher la cause dans une éducation défectueuse, excessivement dure et par trop extérieure, qui a habitué l'âme à se replier sur elle-même, à ne pas s'ouvrir et à ne pas se donner, par crainte de se voir blessée en ce qu'elle a de plus profond et de plus délicat.

Le coeur ouvert, source de félicité et condition pour réaliser l'indispensable union des âmes.

Et pourtant, bien-aimés fils et filles, cette confiance mutuelle, cette ouverture réciproque des coeurs, cette simplicité de l'un et l'autre à mettre en commun vos pensées, vos aspirations, vos préoccupations, vos joies et vos tristesses, cette confiance est une condition nécessaire, un élément, un aliment même, et substantiel, de votre félicité.

En face de vos nouveaux devoirs et de vos nouvelles responsabilités, une union purement extérieure de vos vies ne suffira jamais pour mettre vos coeurs à la hauteur de votre mission — de cette mission que Dieu vous a confiée en vous inspirant de fonder une famille — de manière à demeurer dans la bénédiction du Seigneur, à persévérer dans sa volonté, à vivre dans son amour. Pour vous, vivre dans l'amour de Dieu, c'est élever jusqu'à son amour votre amour mutuel ; car votre amour mutuel n'est pas une simple bienveillance, mais cette souveraine amitié conjugale de deux coeurs qui s'ouvrent et se joignent l'un à l'autre afin de vouloir l'un et l'autre, ou de ne pas vouloir, les mêmes choses, et qui vont se rapprochant et s'unissant de plus en plus dans le sentiment qui les anime et qui les meut. Vous devez vous prêter un mutuel secours et marcher côte à côte, la main dans la main, pour affronter les besoins matériels de la vie, occupés l'un à diriger la famille et à travailler pour subvenir à ses nécessités, l'autre à veiller et pourvoir à tout à l'intérieur du foyer ; à plus forte raison convient-il que vous vous souteniez l'un l'autre et que vous vous prêtiez une aide mutuelle pour parer aux nécessités morales et spirituelles de vos âmes et des âmes que Dieu va confier à votre sollicitude, les âmes de vos chers petits anges. Or ce soutien et ce secours mutuels, comment pourrez-vous les donner si vos âmes restent étrangères l'une à l'autre et que chacune garde jalousement ses secrets particuliers, qu'il s'agisse d'affaires, d'éducation ou de contribution à la vie commune ? N'êtes-vous point comme deux ruisseaux qui, jaillis de deux familles chrétiennes, courent dans la vallée de la société humaine confondre leurs eaux limpides et féconder le jardin de l'Eglise ? N'êtes-vous point semblables à deux fleurs qui joignent leurs deux corolles et qui, à l'ombre de la paix domestique, s'ouvrent et s'entretiennent dans la langue de leurs couleurs et l'épanchement de leurs parfums ?

Secrets personnels de la vie extérieure ou intérieure.

Nous ne dirons point que cette ouverture mutuelle des coeurs doive être sans limite ; Nous ne dirons point que vous ayez, sans restriction aucune, à révéler et à manifester tout haut tout ce qui vous est passé ou qui vous passe par l'esprit, ou qui préoccupe votre pensée et votre attention. Il est des secrets inviolables que la nature, une promesse ou une confidence ne permettent pas de révéler. Vous pouvez devenir l'un et l'autre le dépositaire de secrets qui ne vous appartiennent point : un époux médecin, avocat, officier, fonctionnaire d'Etat ou employé d'une administration, saura ou apprendra nombre de choses que le secret professionnel ne lui permettra de communiquer à personne, pas même à son épouse, et, si elle est sage et prudente, elle lui témoignera sa propre confiance en respectant scrupuleusement et en admirant son silence, sans rien faire ni rien tenter pour le pénétrer. Souvenez-vous que dans le mariage, votre responsabilité et votre personnalité ne sont point supprimées. Bien plus, même en ce qui vous concerne personnellement, il est des confidences qui se feraient sans utilité et non sans dangers, et qui pourraient devenir nuisibles et troubler l'union au lieu de la rendre plus étroite, plus harmonieuse, plus joyeuse. Le mari et la femme ne sont point des confesseurs : les confesseurs, vous les trouverez à l'église, au tribunal de la pénitence. Le caractère sacerdotal élève là les prêtres à une sphère qui dépasse la vie de la famille, à la sphère des réalités surnaturelles, et il leur confère le pouvoir de guérir les plaies de l'âme ; là, les prêtres peuvent recevoir n'importe quelle confidence et se pencher sur n'importe quelle misère : ils sont les pères, les maîtres et les médecins de vos âmes.

Importance de l'harmonie sur le plan religieux.

A part ces secrets personnels et sacrés de la vie intérieure ou extérieure, vous devez mettre vos âmes en commun pour qu'elles se fondent en une seule âme. N'est-il pas d'une souveraine importance que deux fiancés s'assurent que leurs vies s'accordent et s'harmonisent parfaitement ? Si l'un des deux est sincèrement, profondément chrétien, et l'autre, ce qui, hélas ! peut arriver, peu croyant ou nullement, peu ou nullement soucieux des devoirs et pratiques de la religion, vous comprenez bien qu'il restera entre ces âmes, malgré leur intime amour, une douloureuse dissonance, qui ne s'harmonisera entièrement que le jour où se réalisera pleinement cette parole de saint Paul : « Le mari infidèle est sanctifié par la femme, et la femme infidèle est sanctifiée par le mari » (1Co 7,14).

Quand, au contraire, dans un foyer un commun idéal de vie unit déjà les deux époux et qu'ils sont l'un et l'autre, par la grâce sanctifiante, enfants de Dieu et temples de l'Esprit-Saint, il devient aisé et doux de se confier mutuellement les joies et les tristesses, les craintes et les espérances, les pensées et les projets concernant l'ordre intérieur de la maison, l'avenir de la famille et l'éducation des enfants : tout cela, l'un et l'autre le rêveront, le prévoiront, le réaliseront dans une intime concorde. Alors, l'amour mutuel et la foi commune dissiperont tout désaccord et se transformeront en force et en secours, lorsqu'il faudra vaincre les doutes et les hésitations d'une timidité naturelle incertaine en ses démarches, ou ces tendances et habitudes d'isolement et de repliement sur soi-même qui sont bien propres à créer et à alimenter un silence mécontent ; et l'on n'hésitera point, en de pareilles circonstances, à agir avec la vigueur nécessaire pour cette victoire dont on comprend toute l'importance. Cet amour d'où naît le désir d'une intime fusion de vos vies vous donnera l'ardeur et le courage qu'il faudra pour modifier et adapter vos goûts, vos habitudes, vos préférences et prédilections naturelles selon les besoins de votre union et pour résister aux suggestions de l'égoïsme et de la nonchalance. Tout cela, la Providence de Dieu qui vous a unis, ne le demande-t-elle point à la générosité de votre coeur, à cet esprit de véritable communauté de vie qui fait sien tout ce qui plaît à la personne avec laquelle on vit ? N'est-il pas conforme aux intentions de Dieu sur votre union que vous preniez intérêt à ce qui intéresse votre mari, votre épouse ?

L'indifférence et l'insouciance, voilà peut-être, parmi les innombrables formes de l'égoïsme humain, les pires de toutes. Rien ne facilitera entre vous les mutuelles confidences autant que l'intérêt véritable, simple, sincère, cordial, manifesté, pour tout ce qui tient à coeur à celui ou à celle dont vous partagez la vie. Cette carrière, ces études, ce travail, cet emploi ne seront point les vôtres, épouses, et d'eux-mêmes ils ne vous diront rien ; mais c'est la carrière, les études, le travail, l'emploi de votre mari. Il y donne son ardeur passionnée, ses sueurs ; il y attache ses rêves d'avenir, l'espoir d'améliorer sa situation familiale et personnelle : pourraient-ils donc vous laisser indifférente ? Maris, vous ne manquez certes point de graves préoccupations professionnelles ; mais les mille soins de votre femme pour rendre votre intérieur plus confortable et plus tranquille, toutes ses industries pour vous plaire de plus en plus en toutes choses, toutes ses sollicitudes pour l'éducation de vos enfants, pour les oeuvres de bienfaisance et d'utilité religieuse et sociale, tout cela vous laissera-t-il froids, distraits, maussades même, peut-être, et grognons ?

Ouvrir son coeur aussi à la famille de son conjoint.

N'oubliez pas non plus que la famille que vous venez de fonder est fille de deux familles qui vous ont éduqués et instruits ; vous êtes, en un sens, entrés dans la famille l'un de l'autre : la famille de l'un, dorénavant, ne sera plus étrangère à l'autre et chacun pourra l'appeler sienne, puisque c'est à ce foyer qu'il a trouvé son compagnon ou sa compagne. Ne négligez donc point ces proches, ce père, cette mère qui vous ont donné leur fille chérie ou leur fils ; prenez part à tout ce qui les intéresse, à leurs joies comme à leurs deuils ; employez-vous à comprendre leurs idées, leurs goûts, leurs manières ; montrez-leur par votre affection le lien qui vous unit à eux. Dans cette famille aussi il faut que votre coeur sache s'ouvrir bien grand à la confiance et aux confidences. Quel chagrin pour votre mari ou pour votre épouse, si vous vous montriez dédaigneux, indifférent envers les personnes et le foyer où sont les siens.

Le cceur ouvert, tous les écrivains qui ont décrit et chanté les louanges de l'amitié, l'exaltent comme le fondement du lien qui unit deux amis dans l'affection ; mais au foyer de la vie conjugale il s'élève plus haut encore : jusqu'au faîte du sanctuaire de la paix et de la joie domestiques. Là un cceur s'ouvre à vous et il vous est donné à tout instant de lui ouvrir le vôtre, quel que soit le matin, le midi ou le soir de votre journée ; il est toujours source et aliment de la félicité que l'on goûte dans le mariage chrétien chrétiennement vécu plus encore que dans la simple amitié.

Que Dieu, chers jeunes époux, vous donne la grâce d'affronter avec une générosité croissante les petits sacrifices si souvent nécessaires à qui veut goûter pleinement pareille félicité. C'est ce que Nous demandons pour vous, en vous donnant de coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A L'AMBASSADEUR EXTRAORDINAIRE ET PLÉNIPOTENTIAIRE D'ARGENTINE

22 novembre 1941

1

A M. le Dr José-Manuel Llobet, ambassadeur d'Argentine, venu lui présenter ses lettres de créance, le Saint-Père a répondu par l'allocution suivante :

Elu par la confiance de son gouvernement comme digne sucesseur de l'illustre homme d'Etat, l'excellentissime M. le Dr Henrique Ruiz Guinazû, Votre Excellence se présente aujourd'hui devant Nous pour Nous remettre solennellement les lettres par lesquelles l'excellentissime M. le vice-président de la nation argentine, en vertu du pouvoir exécutif, l'accrédite comme ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire et inaugure ainsi une charge dont les vastes et hautes fonctions offriront un fécond labeur aux qualités de son esprit et une profonde satisfaction aux aspirations de son âme.

Après avoir consacré, avec ardeur et succès, ses meilleures énergies au bien et au progrès économique et politique de son peuple si rapproché de Notre coeur Votre Excellence entre aujourd'hui dans une enceinte spirituelle, dans un camp choisi de travail, digne de l'effort des esprits les plus nobles, où les fatigues et les soins qu'il exige sont couronnés de mérites impérissables.

Nous reconnaissons un dessein spécial de la divine Providence dans le fait qu'avant de placer sur Nos faibles épaules le poids et la responsabilité du suprême ministère pastoral, elle Nous a mis en contact étroit, vivant et toujours efficace avec les peuples de l'Amérique latine. Ce fut le Très Saint Sacrement qui éclaira Notre première rencontre avec cette si importante partie du troupeau du Seigneur - 281 -, à la foi si profondément enracinée et si riche de promesses pour l'avenir ; ce qui s'accomplit sous son ombre divine ne se flétrit ni ne vieillit avec le temps, comme les choses du monde.

Le Saint-Père évoque le Congrès eucharistique de Buenos Aires...

Lors de ces inoubliables journées d'octobre 2 que Votre Excellence vient d'évoquer, s'établit Notre premier contact personnel avec ce peuple dont Votre Excellence est l'interprète autorisé auprès de Nous. Nous admirâmes alors comment, à l'instar d'une mer entourant de ses flots le gigantesque autel du parc de Palerme, un peuple en prière, un gouvernement en prière, une armée en prière, tous unis, cor unum et anima una, en un hommage au Très-Haut dans une union exemplaire avec le successeur de Pierre. Ces journées-là ont gravé dans Notre cceur en caractères qui jamais plus ne s'effaceront le spectacle d'innombrables hommes, femmes, jeunes gens, ainsi que les interminables files d'enfants.

Cette splendide vision, Nous l'avions devant Notre esprit, non à la façon d'un vague souvenir du passé, mais comme un événement présent, tandis que Votre Excellence rappelait avec une pieuse émotion ces journées et Nous assurait pour Notre joie et Notre consolation qu'aujourd'hui encore se conservent vivants au sein du gouvernement et parmi le peuple les fruits spirituels de ce providentiel événement ; que gouvernants et gouvernés voient dans l'Eglise catholique la divine et inépuisable source des plus nobles et des plus bienfaisantes initiatives, même sur le terrain d'une formation humainement digne et moralement élevée de la vie politique et sociale. S'il est vrai que l'Eglise ne veut pas se mêler aux discussions concernant l'opportunité, l'utilité ou l'efficacité terrestre des diverses formes temporelles que peuvent revêtir des institutions ou des activités purement humaines, il n'en reste pas moins certain qu'elle ne peut ni ne veut renoncer à être la lumière et le guide des consciences dans toutes les questions de principe, où les hommes ainsi que leurs programmes ou leurs oeuvres pourraient courir le danger d'oublier ou de renier les éternels fondements de la loi divine.

2 Le XXXIIe Congrès eucharistique international s'est tenu à Buenos Aires du 10 au 14 octobre 1934, sous la présidence du Cardinal Pacelli, légat pontifical.

... et célèbre les bienfaits de l'harmonie entre l'Eglise et l'Etat.

Lorsque règne entre les autorités ecclésiastiques et les autorités civiles cette bienfaisante et honorable confiance réciproque à laquelle Votre Excellence faisait allusion, il résulte de cette harmonie des ressources de forces nombreuses et bien ordonnées dans les domaines d'activité qui ont aujourd'hui le plus besoin de culture : Nous voulons dire la diffusion, l'organisation et le perfectionnement des oeuvres d'assistance sociale, qui ont pour but de tendre une main secourable aux plus déshérités parmi les pauvres et de donner une place d'honneur au souci du bien-être physique et moral de la jeunesse. C'est là une activité à laquelle l'Eglise souhaite ardemment apporter son aide désintéressée de bon Samaritain, en formant le plus grand nombre possible de membres du clergé séculier aussi bien que des ordres et des congrégations religieuses d'hommes et de femmes, en vue de la féconde collaboration à l'oeuvre du salut et du progrès social, oeuvre qui compte parmi les plus impérieuses de notre temps. C'est pourquoi Nous avons été très heureux d'apprendre des lèvres de Votre Excellence que votre gouvernement apprécie la part toujours plus active que prennent le clergé séculier et le clergé régulier, dans l'exercice de leurs fonctions pastorales, à la tâche d'éducation charitable et sociale, pour le progrès et le bien du peuple.

Nous tenons à signaler avec la même satisfaction le grand intérêt que témoigne votre gouvernement à l'activité sociale croissante de la femme argentine, Votre Excellence peut être sûre que, de Notre côté, Nous ferons tout ce qui est en Notre pouvoir pour que les exhortations à la fraternité et à la charité chrétiennes que contient l'Evangile se convertissent en réalité et en action toujours plus fécondes en Nos chers fils et filles d'Argentine, et qu'ainsi surgissent une multitude d'hommes généreux, à la main compatissante et au coeur charitable, auxquels on ne fasse jamais appel en vain.

Dans ces sentiments, et en priant Votre Excellence de présenter à tous les membres de l'excellentissime gouvernement argentin Nos voeux intimes pour l'accomplissement de leur tâche, doublement ardue en ces temps difficiles et destinée à assurer le bien-être du pays et à le préserver des conséquences et des répercussions matérielles et morales occasionnées par le funeste conflit actuel, Nous bénissons de tout coeur Nos fils et Nos filles de cette très noble nation, et Nous supplions le Tout-Puissant d'étendre sur elle, maintenant et toujours, sa divine protection.

Enfin, en souhaitant à Votre Excellence, Monsieur l'ambassadeur, et à vos collaborateurs dans cette haute charge, Notre plus cordiale bienvenue et en vous assurant de Notre spéciale bienveillance, Nous implorons du ciel les plus abondantes et les plus précieuses bénédictions.


LETTRE APOSTOLIQUE AUX ÉVÊQUES DE BOLIVIE AU SUJET DES SÉMINAIRES

23 novembre 1941

1

Cette lettre aux évêques de Bolivie leur rappelle le souci de l'Eglise pour la formation des prêtres et leur recommande la création d'un séminaire central et le soutien du Collège Pio-latino-américain de Rome :


Vénérables Frères, c'est avec une grande joie que Nous avons appris qu'au mois de novembre de l'an dernier vous vous êtes réunis à Copacabana en une pieuse et fraternelle assemblée, sous les auspices et le patronage et auprès du sanctuaire de la Vierge Mère de Dieu que Nous avons récemment élevé à la dignité de basilique, afin de vous consulter sur les nécessités spirituelles de votre chère nation.

Notre nonce apostolique auprès de vous Nous ayant informé des graves et multiples questions concernant la religion catholique et les moeurs chrétiennes du peuple bolivien, que vous avez traitées en commun avec diligence et réflexion, Nous avons suivi de très près toutes ces questions et Nous avons confiance que vos délibérations et vos études, conduites avec prudence à leur fin, arriveront réellement avec le secours de Dieu à une meilleure et plus heureuse situation religieuse chez vous.

C'est pourquoi Nous avons été ému d'une joie particulière en apprenant votre empressement à traiter dans votre réunion de l'institution des séminaires et de la bonne formation du clergé. C'est précisément sur ce sujet d'une si grande importance et d'une si grande gravité d'où dépendent l'état de la religion et son accroissement dans l'avenir que Nous désirons Nous entretenir paternellement avec vous dans cette lettre, de telle manière que vous Nous sentiez comme présent auprès de vous et prenant une part très étroite à vos soucis pastoraux.

Le souci de l'Eglise pour la formation des prêtres.

On peut constater qu'en tous les temps et dans toutes les nations le principal souci, la principale sollicitude de l'Eglise fut toujours de consacrer ses forces à élever et à former saintement les futurs ministres des sacrements. Car, étant donné Péminente dignité du prêtre qui, à bon droit et à juste titre, est appelé un « autre Christ », étant donné sa puissance ineffable complètement cachée sur le Corps vrai et sur le Corps mystique du divin Rédempteur, étant donné que la fonction qui lui est confiée de promouvoir la sainteté du peuple chrétien est importante et très élevée, il est absolument nécessaire que le prêtre soit remarquable et eminent par la vertu et la doctrine aux yeux des hommes parmi lesquels il est choisi, et que, comme une lumière posée sur le candélabre « il brille aux yeux de tous ceux qui sont dans la maison » (Mt 5,15).

A ce sujet, il est à peine besoin de rappeler à votre mémoire, Vénérables Frères, les admirables préceptes que Pie XI, Notre prédécesseur d'impérissable mémoire, donna au peuple chrétien par son encyclique Ad catholici sacerdotii2 et qu'il confirma à plusieurs reprises jusqu'aux derniers jours de son éclatant pontificat comme, par exemple, par la lettre apostolique du 18 janvier 1939 aux Vénérables Frères les évêques des îles Philippines.

En ce qui Nous concerne, comme vous le savez, dès le début de Notre pontificat, dans une allocution du 24 juin 1939 aux étudiants des séminaires réunis très nombreux en Notre présence, Nous avons exposé de quelles qualités et quelles vertus intellectuelles et morales les ministres de l'autel devaient être munis, et combien il était nécessaire que les élèves des séminaires fussent activement formés en ces matières 3.

Nous désirons vivement et Nous demandons à Dieu que les candidats aux ordres sacrés méditent fréquemment et profondément la doctrine de l'Eglise sur la dignité du sacerdoce catholique, ses prérogatives et ses fonctions, afin qu'ils se sentent poussés à entreprendre les travaux nécessaires et à vaincre les difficultés et qu'ainsi ils deviennent moins indignes de leur vocation.

A. A. S., 1936, p. 5.
Cf. Documents Pontificaux 1939, pp. 151 et suivantes.

Ainsi arrivera-t-il que, sous l'inspiration et avec l'aide de l'Esprit divin, les séminaires reproduiront l'image du Cénacle ; et que les élèves de ces séminaires deviendront comme les hommes nouveaux qui, par l'intégrité de leur esprit, la droiture de leur volonté, leur ardeur à l'étude, seront capables de remplir leurs charges comme de vrais « ministres du Christ et dispensateurs des mystères de Dieu » (1Co 4,1).

La Sacrée Congrégation des Séminaires et Universités.

Nous n'ignorons pas, Vénérables Frères, les différentes sortes de difficultés qui dans votre nation sont un obstacle à la solution rapide, aisée et adaptée aux besoins de la question des séminaires. C'est pourquoi, comme il s'agit d'une chose d'où dépend par-dessus tout le progrès de la religion chrétienne dans le peuple bolivien, Nous l'avons confiée pour l'étudier mûrement et en décider à la Sacrée Congrégation des Séminaires et Universités qui, après avoir examiné attentivement et avec soin les études et les décisions qui firent l'objet de votre réunion episcopale et après avoir demandé l'avis d'hommes savants et qualifiés, a abouti, dans sa réunion plé-nière du 29 juillet écoulé, aux délibérations que Nous vous communiquons avec la présente lettre apostolique.

Comme vous avez adopté nettement le projet, ainsi qu'il ressort des actes de votre assemblée, d'engager à cette fin des moyens et des ressources non seulement communs mais extraordinaires, cette décision Nous fait espérer fermement que vous êtes disposés à accepter avec gratitude et soumission les règles que le Siège apostolique édictera dans ce but pour aller au-devant de vos désirs et pour vous aider selon ses possibilités à réaliser vos voeux par le concours des efforts et des forces de tous.

Un grand séminaire central.

Nous avons confiance en particulier que vous mettrez tous vos soins à ouvrir le plus tôt possible pour l'enseignement des disciplines plus hautes un grand séminaire, qui deviendra comme le centre des petits séminaires.

A ce sujet, Nous vous rappelons ce que Notre prédécesseur Pie XI, de vénérée mémoire, écrivit dans la même encyclique Ad catholici sacerdotii faisant remarquer la nécessité qu'il y avait pour les diocèses de certaines régions d'établir un séminaire commun qui répondrait mieux et plus convenablement à sa fonction et au but visé.

« Les grands bienfaits qui en résulteraient compenseraient sans aucun doute les inconvénients et les dépenses engagées ; et ce qui parfois attriste l'âme des évêques peu désireux de voir leurs séminaristes longtemps éloignés de leur pasteur, qui aimerait transmettre aux futurs compagnons de son labeur le zèle apostolique qui l'enflamme, et aussi éloignés des lieux où ils auront un jour à exercer leur ministère, ces inconvénients, disons-Nous, seront amplement compensés par le fait qu'au temps fixé ces étudiants leur seront rendus, instruits et formés dans ces sciences spirituelles qu'ensuite ils pourront transmettre aux autres pour le plus grand avantage de leur diocèse. »

Le collège Pio-latino-américain.

Nous jugeons opportun de faire ici une mention spéciale de l'institution établie presque sous Nos yeux et qui Nous est vraiment très chère : le collège Pio-latino-américain de Rome, qui depuis plus de quatre-vingts ans a tant contribué à former à la science et à la vertu des prêtres nombreux, venus des différentes nations de l'Amérique latine. C'est pourquoi Nous avons le ferme espoir que ce collège ne manquera pas à l'avenir de former solidement et dignement les séminaristes que vous, ainsi que Nos Vénérables Frères des diocèses de l'Amérique centrale et méridionale, aurez vraiment à coeur de lui confier plus nombreux et en toute confiance, afin que près de Nous et du Vatican ils se préparent avec soin à recevoir l'ordination sacerdotale.

Nous estimons superflu de vous engager paternellement à faire en sorte, pour autant que cela dépend de votre générosité et de votre charité, que ne manquent pas les ressources nécessaires à ce collège, afin qu'il puisse remplir la lourde mission qui lui incombe. Nous avons confiance que, soit du sein des séminaires de Bolivie, établis, comme Nous l'avons dit plus haut, selon un ordre et une formule nouvelle, que, comme Nous en sommes certain, vous aurez devant les yeux, soit avec le concours effectif du collège Pio-latino-américain, se lève bientôt auprès de vous un corps de ministres sacrés qui par la piété, la doctrine et le nombre soit à la hauteur des besoins spirituels de la Bolivie actuelle.

L'aide de tous est nécessaire.

Pour réaliser ce projet, vous aurez comme compagnons de votre labeur apostolique, tous ceux qui sont confiés à vos soins. Nous souhaitons nommément que vous soyez aidés par les autorités publiques de votre nation, ainsi que par les prêtres, les pères et les mères de famille, et les membres de l'Action catholique.

C'est pourquoi Nous exhortons paternellement tous ceux qui dans votre pays ont la gloire de porter le nom de catholique de bien vouloir considérer comme un devoir qui s'impose à tous de coopérer d'une volonté large et généreuse à votre oeuvre. Par le moyen des prières qu'ils adressent à Dieu et par les aumônes rassemblées de partout, ils contribueront à éveiller et à entretenir les vocations sacerdotales et à promouvoir chez vous la très grave cause des séminaires.

Nous considérons surtout comme certain que les dirigeants mêmes de votre République, convaincus sans doute qu'un clergé formé à la meilleure école contribue grandement à accroître et à relever le niveau spirituel du peuple et à former de dignes citoyens, ne manqueront pas de vous fournir les secours et les soutiens dont vous avez besoin et qui rendront ainsi votre effort moins pénible.

Les pères et les mères de famille, chacun pour leur part, feront en sorte que le foyer domestique devienne comme un verger où croîtront et fleuriront spontanément les germes de futures vocations sacerdotales. Quoiqu'ils doivent laisser à leurs enfants l'entière liberté de choisir leur propre genre de vie et leur voie, les parents doivent cependant de leur mieux, c'est-à-dire par l'intégrité exemplaire de leurs moeurs, par leur assiduité à la prière et par des conseils opportuns, favoriser la vocation de l'un ou l'autre de leurs fils aux ordres sacrés ; cette vocation, ils la considéreront comme un signe important de grâce et d'amour surnaturels et comme une source de faveurs célestes pour eux et leurs familles.

Les membres de l'Action catholique doivent aussi promouvoir cette oeuvre, car ils sont à considérer comme les troupes auxiliaires du sacerdoce et de la hiérarchie ecclésiastique ; c'est pourquoi Nous avons le joyeux espoir qu'aussi dans la nation bolivienne ils répondront avec bonne grâce à Nos exhortations par les moyens que vous, Vénérables Frères, vous jugerez opportuns.

Mais il n'y a pas de doute que dans une cause aussi importante la principale responsabilité appartient aux prêtres ; ceux-ci, en effet, en raison du ministère qui leur est confié et en vertu de la loi de l'Eglise 4, doivent rechercher les jeunes gens qui donnent des indices de vocation au sacerdoce, les exciter à la piété et à l'étude des sciences sacrées, tout en veillant sur leur innocence et en la protégeant. Mais comme il n'est pas de meilleur moyen pour engager à la vertu que le modèle de vie exemplaire, ils ne seront aptes à remplir leur obligation qu'en donnant l'exemple d'une vie animée par la piété, brillante par l'intégrité des moeurs, remarquable de zèle et de dévouement ; ainsi attireront-ils les regards des fidèles par une image éminente et resplendissante de la fonction sacerdotale. C'est pourquoi, Nous les exhortons à nouveau à entretenir en eux de toutes leurs forces le zèle apostolique, à augmenter et à fortifier par la prière et le recueillement la grâce qu'ils ont reçue dans l'ordination sacrée, afin que nulle tache ne puisse les souiller (Tt 2,8), mais qu'ils puissent eux-mêmes en toute sincérité donner aux fidèles le même conseil que saint Paul, l'Apôtre des gentils : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ » (1Co 4,16 1Co 11,1).

Mais, afin que Nos voeux et les vôtres, Vénérables Frères, d'élever de dignes et saints ministres sacrés pour que la très chère Bolivie brille et fleurisse chaque jour d'une louange plus étendue de vertu chrétienne, se réalisent heureusement, Nous prions très vivement la Vierge Mère de Dieu, patronne de votre patrie, afin qu'elle veuille bien accroître en vous, chez les prêtres, chez les séminaristes et chez tous les fidèles le désir des choses célestes et ranimer le désir efficace d'étendre le royaume de son divin Fils dans les vastes régions de votre République.

Que la Bénédiction apostolique, que de tout coeur Nous vous accordons, Vénérables Frères, ainsi qu'au clergé, aux candidats aux ordres sacrés et à toute la nation bolivienne et nommément à ceux qui en dirigent le destin et la fortune, attire sur vous les faveurs célestes et soit le gage de Notre paternelle bienveillance.

4 Code de Droit canonique, can. CIS 1353.




Pie XII 1941 - 12 novembre 1941