Pie XII 1942 - RADIOMESSAGE AU MONDE ENTIER A L'OCCASION DE SON JUBILÉ ÉPISCOPAL


HOMÉLIE AU PEUPLE ROMAIN LORS DE LA CÉLÉBRATION DE SON JUBILÉ ÉPISCOPAL

(14 mai 1942) 1

Le jeudi 14 mai 1942, solennité de l'Ascension, le Saint-Père a célébré, dans la basilique de Saint-Pierre, la messe commemoratae du XXV" anniversaire de sa consécration episcopale. Après l'Evangile, s'adressant en particulier aux Romains, ses diocésains, il a prononcé cette homélie :

Chers fils de Rome, portion choisie de l'immense troupeau chrétien, confiée d'une façon spéciale à Notre sollicitude pastorale, permettez que Nous, évêque de Rome avec la charge du souverain pontificat, vous ouvrions Notre coeur reconnaissant pour la sainte affection de Père et de fils qui unit Notre âme à la vôtre et qui vous unit à Nous. Votre présence témoigne clairement du doux lien et de la perpétuelle dévotion qui s'est maintenue la même durant les siècles au milieu d'événements très divers, et qui unit le peuple romain au Siège de Pierre : sentiments filiaux que vous manifestez aujourd'hui plus vivement en cet anniversaire de Notre consécration episcopale. Nous vous adressons la parole en ce jour solennel où tout le peuple chrétien, répandu à la surface de la terre, vit de la foi de Rome, s'unit à Nous et à vous pour adorer ce Dieu, Sauveur des hommes, monté au ciel, assis à la droite du Père comme notre avocat auprès de Lui.

Tout à l'heure, pendant qu'au bas de cet autel, au milieu des graves souvenirs qui émouvaient et inondaient Notre âme. Nous revêtions les ornements sacrés pour Nous préparer à célébrer le Sacrifice eucharistique, Notre regard, en s'élevant, contemplait, resplendissante du sommet de ce merveilleux baldaquin, dans le cadre de rayons d'or, l'image de la colombe aux ailes déployées, symbole évangélique et consolant de l'Esprit-Saint, le divin Paraclet qui plane sur l'Eglise, lui insuffle et répand en elle les multiples charismes de sa grâce et l'abondance de sa paix spirituelle. C'est un symbole qui parle.

Les derniers appels du Christ.

Et quand pourrait-il parler au coeur humain avec une plus grande effusion de promesses qu'en cette fête de l'Ascension, où la disparition du Rédempteur de la vue de ses disciples sur le mont des Oliviers préludait et semblait ouvrir la voie céleste aux langues de feu de l'Esprit-Saint descendant sur le mont Sion ?

Chers fils, montons nous aussi avec le Christ au ciel ; disposons dans notre coeur ces ascensions de la foi qui traverse les nuées, de l'espérance qui dépasse le temps, de l'amour qui conquiert l'éternité. Au moment de son Ascension, le Christ adressa aux apôtres la dernière leçon et le dernier commandement : « Il ne vous est pas donné, leur dit-il, de connaître les temps et les moments que le Père a fixés dans sa toute-puissance » ; voici l'élévation de leur foi dans la soumission au gouvernement divin du monde. « Vous serez revêtus de force, de la force de l'Esprit-Saint » ; voici l'élévation de leur espérance dans le courage de l'action. « Vous serez mes témoins... jusqu'aux extrémités de la terre » ; voici l'élévation de leur charité avec tous les sac.ifices que comporte la diffusion de l'Evangile (Ac 1,7-8). Ce sont trois dons, trois vertus, trois avertissements qui ont triomphé du monde, qui ont régénéré et réconforté l'homme, qui ont rétabli ici-bas le règne de Dieu et ouvert le royaume des cieux.

Elévation des âmes par la foi

Elevons notre foi en cette heure où l'ouragan qui gronde et fait rage entraîne dans la lutte peuples et nations. Il ne nous appartient pas à nous non plus de connaître les temps et les moments que règle la main toute-puissante de notre Père céleste, les abrégeant ou les allongeant selon le conseil prévoyant et insondable avec lequel il dirige tous les événements vers la fin très haute et secrète de sa gloire. Il est l'heureux et unique souverain Roi des rois et Seigneur des seigneurs (1Tm 6,15) ; il ne change pas en lui-même, mais gouverne et régit tous les changements des temps et des moments

dans un dessein immuable, donnant et retirant la puissance à qui il veut, exaltant les humbles et humiliant les orgueilleux, afin que tous les hommes reconnaissent que tout pouvoir vient de Lui, et que personne n'aurait de pouvoir s'il ne l'avait reçu d'en haut (Jn 19,11). Notre foi s'élève au-dessus de ce bas monde ; le royaume du Christ n'est pas de ce monde, tout en ayant les pieds ici-bas : il est au-dedans de nous. Le Christ n'était pas venu rétablir, comme le demandaient les apôtres, le royaume d'Israël (cf. Actes, Ac 1,6), mais rendre témoignage à la vérité qui nous élève si haut, à la vérité qui est justice, qui est paix, qui est respect du droit, qui est liberté sainte et inviolable de la conscience humaine, qui est réconfort aussi au milieu des tribulations, des douleurs, des deuils actuels ; comme elle était réconfort aux temps et aux moments des martyrs, comme elle l'est pour vous, qui faites de la bienveillante Providence divine le fondement qui soutient votre espérance.

... par l'espérance

Oui ! votre espérance s'élève par la force du céleste Paraclet qui vient en nous ; espérance que ne confond pas, que n'obscurcit pas la nuée qui voile à nos regards le Christ montant au ciel. Par le chrême de l'Esprit-Saint, le chrétien est un soldat qui résiste jusqu'au sang, en combattant contre le péché ; à l'exemple et sous la conduite du Christ son Roi, il ne se lasse pas, en perdant courage ; parce que notre divin Capitaine, tout en étant remonté au ciel, reste toujours avec nous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles, et sur cet autel, dans les combats de l'âme, il se fait notre nourriture et notre breuvage sous le voile des espèces sacramentelles. Présent et caché, il combat avec nous ; dans les dangers et dans les angoisses, dans les tribulations et dans les peines, dans les deuils et dans les morts, il sublime notre espérance. Dure, future, mais possible encore pour nous, avec notre Capitaine tout-puissant qui nous a précédés au ciel, est la conquête du ciel, couronne de notre espérance. Non, en mourant dans le Christ, nous ne périrons pas. « Si nous avons placé dans le Christ nos espoirs pour cette vie terrestre seulement, criait saint Paul aux nations, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes » (1Co 15,19).

... par la charité.

Chers fils, ne manquons pas à la foi et à l'espérance. La vertu de l'Esprit-Saint s'est reposée également sur nous sous forme de langues de lumière et de feu, de ce feu de la charité apporté par le Christ sur terre, pour qu'il s'allume et s'embrase dans le monde. Nous aussi, nous devons rendre témoignage au Christ jusqu'aux extrémités de la terre, parce que la foi de Rome a été annoncée dans le monde entier ; la foi de Pierre et de Paul, les deux princes des apôtres, foi qu'il Nous semble entrevoir sous l'aspect de ces deux personnages vêtus de blanc qui, au moment de l'Ascension du Christ, s'approchèrent des disciples et leur dirent : « Galiléens, pourquoi rester ainsi à regarder le ciel ? Ce même Jésus qui vient de vous être ravi au ciel, en descendra de la même manière que vous l'y avez vu monter » (Ac 1,10-11). N'est-ce pas là la prédication de Pierre et de Paul ? N'ont-ils pas annoncé au monde et à Rome et témoigné de leur sang que ce Jésus, que nous cache maintenant la nuée de la foi, est le Rédempteur du monde, qu'il est vivant à la droite du Père, d'où il viendra juger les vivants et les morts ? Cet autel n'est-il pas la confession de Pierre qui, devant nous et les nations, répond à Jésus : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. Seigneur, à qui irions-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle » (Mt 16,16 Jn 6,69). Confessez vous aussi le Christ, chers fils ; que votre amour pour Lui soit la flamme de la charité envers le prochain ; que votre langue soit votre vie vertueuse ; que votre apostolat soit la lumière de cette action religieuse et sainte, intérieure et pieuse, qui exalte et atteste à la face des nations la foi et l'espérance de Rome.

Invocation à l'Esprit-Saint.

L'exhortation du divin Rédempteur montant au ciel s'adresse également à nous. Prenant modèle sur Pierre et les disciples dans le premier Cénacle de l'Eglise naissante, que notre coeur brûle d'amour pour s'élever en invoquant l'Esprit Illuminateur, Maître et Consolateur ; que de ce grandiose Cénacle rempli de fidèles monte au ciel l'humble appel de la fervente prière : Veni Creator Spiritus.

O Esprit créateur qui, en planant à la surface des eaux du monde, avez renouvelé la face de la terre ; vous qui avez fait parvenir la première annonce de la vérité et du salut aux Romains présents à Jérusalem et qui écoutaient la prédication de Pierre (Ac 2,10) ; tournez-vous vers les enfants de cette Rome, coeur du monde, à laquelle Pierre, plus tard, devait, par sa vie d'apôtre et par sa mort de martyr, prouver la fermeté de sa foi, l'immobilité de son espérance, l'étendue de son amour, « et regardez du haut du ciel et conservez et prenez soin de cette vigne, et protégez ce que vous avez planté de votre main » (Ps., lxxix, 15-16).

Descendez, ô Esprit Créateur. Oui, vous êtes déjà descendu ; vous êtes avec nous ; vous êtes auprès de l'Epouse du Christ ; vous êtes sa vie, son âme, son réconfort, son soutien à chaque instant, mais d'une façon particulière aux temps de la tribulation et de la douleur. Répandez d'en haut une telle plénitude de vos dons que tous, Pasteur et troupeau, rayonnent dans le monde la lumière de leur foi, le soutien de leur espérance, la force de leur amour.

Que par vous, Esprit illuminateur, Esprit de conseil et de force, les esprits chrétiens de toute condition, humble ou élevée, comprennent et éprouvent non seulement l'extraordinaire gravité, mais l'énorme responsabilité de l'heure présente, où un vieux monde qui décline dans la douleur est en train d'en engendrer un nouveau. Faites voir à tous ceux qui portent au front le nom du Christ le sentier étroit de la vertu qui seul conduit au salut, afin qu'ils se réveillent du sommeil de l'indifférence, de la tiédeur, de l'irrésolution, et qu'ils commencent à marcher en dehors des dédales tortueux des choses terrestres.

Par vous, Esprit consolateur, que non seulement l'adoucissement de la résignation, mais avant tout la vigueur de la foi reviennent en les vivifiant aux coeurs innombrables qui gémissent et sont sur le point de se briser, abattus sous le poids des anxiétés et des gênes, des sacrifices et des injustices, des oppressions et de l'avilissement. Soyez le repos dans la fatigue, le rafraîchissement dans les chaleurs, la chaleur dans le froid, le soulagement dans la douleur. Soyez le père des orphelins, le défenseur des veuves, la nourriture des pauvres, le soutien des abandonnés, l'abri des exilés, le défenseur des persécutés, la protection des combattants, le libérateur des prisonniers, le baume des blessés, le remède pour les malades, le refuge pour les pécheurs, l'aide pour les mourants. Consolez et réunissez ceux qui s'aimaient d'un amour pur et que les dures circonstances d'aujourd'hui ont séparés. Faites que là où la voix des consolations humaines se tait, parlent le sourire et le geste bienfaisant de la charité chrétienne ; faites que devant les yeux de la foi de ces chrétiens resplendisse, gage d'une joie qui ne cessera jamais, l'aurore du jour où la surabondance de votre ineffable récompense réalisera la parole de l'Apocalypse : « Dieu essuiera toute larme de leurs yeux ; la mort ne sera plus ! Il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les conditions premières auront disparu » (Ap 21,4).

Que par vous, Esprit maître de vérité, s'insuffle et se diffuse dans les coeurs et les intelligences des hommes, non par appréhension du sacrifice, mais par réveil moral, un intense désir de paix ; paix de justice, de modération et de sagesse, paix qui dans sa teneur, sa substance et son accomplissement, n'oublie pas votre avertissement : « Il n'y a ni sagesse, ni prudence, ni conseil contre le Seigneur » (Pr 21,30). En même temps, faites naître dans les hommes un vouloir si délibéré de cette paix, qu'ils n'en récusent pas les indispensables conditions, les données fondamentales, les conséquences nécessaires. Faites que les conducteurs des peuples élèvent et dirigent leur pensée vers la grandeur, la dignité, les avantages, les mérites d'une paix tant désirée, et mesurent les droits vitaux de leurs nations, non d'après la longueur de leur épée ni l'étendue des avantages ambitionnés, mais selon la sainte règle de la divine volonté et de la loi de Dieu.

O Esprit créateur, visitez les esprits de vos fidèles et remplissez les coeurs de votre grâce. Tant que durera ce temps d'épreuve, avec la toute-puissance de vos dons, accordez à Nous, le gardien du bercail du Christ, et à tous ceux qui écouteront Notre voix, de pouvoir accomplir et faire progresser, dans une foi ferme, une joyeuse espérance et une ardente charité, la mission de salut confiée par le Rédempteur à ses disciples : Eritis mihi testes, jusqu'au jour où l'Eglise ayant déposé le deuil de son indicible douleur, pourra, reconnaissante, s'écrier en liesse devant le Dieu de la paix et le Soleil de justice : « La main droite du Seigneur a fait des prodiges : la main droite du Seigneur m'a exaltée !... Je ne mourrai pas, mais je vivrai et je raconterai les oeuvres du Seigneur » (Ps., cxvn, 17). Ainsi soit-il.


ALLOCUTION AUX LECTRICES DE LA REVUE FÉMININE ITALIENNE « ALBA »

(17 mai 1942) 1

Le pape ayant reçu en audience spéciale plus de mille abonnées et lectrices, qui portent le beau nom d'« Azzurre», de la revue féminine «Alba», à l'occasion du XXe anniversaire de sa fondation, leur a adressé l'allocution suivante :

Vous avez eu, chères filles, l'heureuse pensée de célébrer à Rome le XXe anniversaire de votre revue hebdomadaire et de votre association des « Azzurre ». Vous avez voulu aussi vous réunir près du Père commun pour lui manifester votre filial attachement et demander sa Bénédiction. « Vraiment, dans la Ville éternelle — avez-vous dit — centre du monde, nous apprendrons le secret qui fait grands les peuples et nous connaîtrons la lumière qui dévoile des trésors de vertus domestiques et civiques. » Vous avez appelé votre revue Alba. Il nous plaît de voir en elle l'aurore joyeuse de votre vie, l'aube de votre esprit et de votre coeur ; l'aube de votre ascension surnaturelle, l'aurore de votre journée qui, sur les rives du Tibre, vous a fait contempler les fameuses ruines de la Rome des Césars, les Catacombes, les basiliques et les monuments de la Rome des papes, les vastes réalisations et transformations de la Rome moderne. Oui « centre du monde » est cette Rome qui se glorifie et se rend éternellement heureuse avec le Christ, cette Rome vers les bords de laquelle l'ange pilote, selon l'image de PAlighieri 2, « ramène ou recueille celui qui ne descend pas vers l'Achéron » 3.

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. IV, p. 97 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. IV, p. 142.
2 Dante.
3 Purgatoire, chant II, vers. 104-105.

Les vertus domestiques et sociales

La terre de Rome est terre de héros et d'apôtres de la vérité. Les vertus domestiques et sociales qui ont fait la grandeur de la Ville éternelle et qui font la vraie grandeur de tous les peuples, sont certainement de toutes les époques et de toutes les conditions sociales. Vous les trouvez chez les anciennes matrones romaines dont la dignité, cette vertu, fut respectée et honorée au sein de la civilisation païenne. Vous les voyez resplendir, ces vertus domestiques, à l'aube rose et rougeoyante du sang des confesseurs de la foi, dans les annales de l'Eglise, dans la figure des martyres chrétiennes, patriciennes ou esclaves, comme Agnès et Blandine, comme Perpétue et Félicité. Vous les voyez, à travers les siècles, briller dans la vie de famille et dans l'exercice de la charité communicative de Galla, de Françoise Romaine, d'Anne-Marie Taïgi.

doivent adapter leur expression extérieure à la vie moderne.

Toutefois ces vertus, qui demeurent toujours essentiellement les mêmes, prennent, au cours des générations, des modalités et des degrés divers. Leur expression extérieure arrive d'ordinaire à se modifier et à se transformer par l'effet d'une lente et peu sensible évolution, sous l'influence et les variations des époques. Au contraire, aujourd'hui comme aux temps des grandes crises, cette évolution semble douée d'une rapidité foudroyante qui déconcerte celui qui s'arrête à en observer la marche. Pour Nous, les grandes crises, ce ne sont pas seulement les calamités, les guerres, les révolutions, les troubles civils, économiques, sociaux, politiques, mais en particulier, également voudrions-Nous dire, toute rupture d'équilibre entre les conditions de vie subitement transformées ou détruites et les traits immuables de la nature humaine.

Considérez le mouvement et l'acheminement de la vie et de la civilisation moderne. N'observez-vous pas comment les progrès merveilleux de la science dans tous les domaines, les découvertes et les inventions bienfaisantes ou dangereuses dans tous les secteurs de l'industrie ont introduit, pour ainsi dire automatiquement, de profonds changements dans la vie matérielle et, par conséquent, dans toutes les manifestations de l'activité de l'homme ? Et ces changements n'ont-ils pas, à leur tour donné naissance à une transformation qu'il vaudrait mieux appeler renversement ou complet renouvellement des conditions sociales ? Il est superflu de vous indiquer de multiples exemples de ces changements à vous qui les avez continuellement sous les

yeux. Sources et moyens de loisirs, de bien-être, de commodités, qui insinuent, allument, excitent le plaisir ou la jouissance des uns en exaspérant la convoitise des autres. Domaines innombrables ouverts à la curiosité des sens et de l'esprit. Foule de problèmes débattus qui séduisent, excitent, troublent et captivent la raison et la conscience. Variété et suite sans fin de distractions, d'amusements, de divertissements, de plaisirs, depuis les plus nobles de l'esprit jusqu'aux plus vulgaires et sensuels. Vertigineuse rapidité des communications qui supprime la distance ou l'espace et se joue du temps. Cent autres dons de l'époque moderne plus ou moins utiles à la vie et à la conduite, offerts au regard et à la main de tous, sinon pour en jouir, au moins pour en connaître ou en sentir les réactions dans l'âme. Tout cela appelle et met en mouvement de multiples et diverses activités de la nature humaine, fait naître des professions et des arts nouveaux, de nouvelles façons de vivre et d'agir, de nouvelles tendances et affections, de nouveaux desseins, de nouvelles préférences du coeur. Pratiquement, tout cela invite à une activité plus prompte et plus directe la femme et la jeune fille elles-mêmes, les saisit et les entraîne dans le tourbillon qui pousse en avant et emporte le monde.

Comportement de la jeune fille dans le monde actuel.

Avec le nouvel aspect de la vie, nouveau devient aussi le comportement de la jeunesse féminine. Le contact permanent et continuel avec le monde, et avec le monde tel qu'il est, mêlé comme il est, arrive à donner à cette jeunesse quelque chose de plus libre, de plus décidé, de plus viril, dirait-on. La conscience de ses devoirs et de ses responsabilités lui confère en même temps plus d'assurance et de hardiesse.

Cette nouvelle physionomie de la vie est-elle un mal ? Elle n'est pas un mal en elle-même ; mais d'ordinaire, elle n'est pas exempte de dangers. De même le nouveau comportement de la jeune fille n'est pas, en lui-même, un mal. Cette espèce de désinvolture, conséquence des conditions actuelles de la vie, lorsqu'elle est bien réglée et comprise, est, à sa façon, une force ; maintenue en de justes limites et bien dirigée, elle peut devenir une arme : arme de défense en face des dangers personnels ; arme de conquête en face des périls des autres ; elle peut devenir une attitude sage, réservée, courtoise, qui, semblable à la vertu, n'humilie pas et n'offense pas, mais concilie l'estime, l'admiration, l'affection.

L'état de choses actuel est ce qu'il est, vous ne pouvez le changer ; serait-il même désagréable, il serait vain de se perdre en lamentations stériles. S'il a ses dangers, il faut les regarder en face pour s'en défendre et pour les surmonter. Mais d'où viennent ces dangers ? D'où vient la crise moderne elle-même ? Elle vient, Nous l'avons déjà dit, de ce que, au milieu des circonstances extérieures qui changent et nonobstant le changement d'allure qui en résulte, la nature, le caractère, le tempérament ne changent pas substantiellement ; s'ils se modifient, leur fond demeure immobile et immuable ; seule leur surface est remuée ; ils ne marchent pas au même rythme que l'air et le vent qui soufflent autour d'eux et leur caressent le front.

La nature féminine ne change pas.

Bien que, pour avoir acquis un air dégagé, de la force et de la fierté de pensée, la femme ou la jeune fille ne refera pas pour autant sa propre nature ; elle restera toujours sensitive, impressionnable, souvent sans douter ou se défier d'elle-même ; parfois elle se laissera d'autant plus conduire par les mouvements impulsifs de son esprit et de son coeur qu'il y aurait plus de raison de prendre des précautions, d'être réservée. Dans sa constitution elle garde cette générosité instinctive qui l'incline et la pousse au don total d'elle-même, qui la pousserait, si elle n'était pas vigilante et attentive, aux enthousiasmes irréfléchis, aux élans passionnés, aux imprudences fatales. Dans ce monde où elle passe et où elle vit, malheur si elle oublie que chez les autres non plus la nature humaine ne change pas, qu'elle n'a nullement perdu les stigmates et les blessures de sa chute première au paradis terrestre. Les rejetons d'une si mauvaise racine n'ont jamais cessé de dominer dans le coeur des hommes : l'orgueil et la superbe, la sensualité hardie, la convoitise toujours avide, la concupiscence brûlante ; le scandale voulu, calculé des séducteurs, des corrupteurs et des corrompus ; le scandale involontaire, mais non moins dangereux, des passionnés, des fragiles, des nonchalants, des étourdis, qui ne pèsent pas les conséquences d'une parole, d'un regard, d'une démarche, et de leur arc, comme les enfants ou les gamins de la rue, décochent un trait qui donnera peut-être la mort, ou pour le moins blessera un coeur pour toute la vie. Et cependant, il est inévitable, il est souvent obligatoire de fouler ce chemin, d'avancer au milieu de ces ronces, de vivre dans un tel monde et de traiter avec lui.

A la dernière Cène, Notre-Seigneur priant pour ses apôtres, disait à son Père : « Je ne vous demande pas de les enlever du monde, mais de les garder du mauvais » (Jn 17,15). Il savait bien qu'il les envoyait dans le monde « comme des agneaux au milieu des loups » (Lc 10,3).

Le monde n'est pas essentiellement changé : Dieu le gouverne et le dirige, il ne peut se soustraire à son autorité ni à celle du Christ au pouvoir de qui sont le ciel et la terre. Aujourd'hui, beaucoup de barrières qui existaient autrefois entre le bien et le mal sont tombées ; vous ne pouvez plus, chères filles, attendre d'elles votre défense. La barrière qui reste n'est pas hors de vous, mais en vous. Saint Vincent de Paul disait gracieusement aux premières Filles de la Charité : « Vous n'avez pas et ne pouvez avoir le genre de vie des anciennes religieuses : vous aurez pour cloître les rues de la ville ; pour clôture l'obéissance ; pour grille, la crainte de Dieu ; pour voile, la sainte modestie 4.

Qualités et vertus nécessaires à la jeune fille chrétienne d'aujourd'hui

Ces paroles du saint ne s'appliquent-elles pas, d'une certaine façon, à vous également, jeunes filles et femmes chrétiennes ? Vous devrez parcourir les rues de la ville ; vous devrez vous défendre par vous-mêmes au moyen de la barrière et de l'arme qu'est votre vertu ; votre décision, votre franchise et votre attitude pourront aussi vous aider à vous défendre. Dans la rue, dans les réunions, dans les magasins, dans les ateliers, dans les bureaux, dans les universités, dans les bibliothèques, une parole cinglante, si besoin est, vous débarrassera d'un insolent ; un rire franc découragera un amoureux importun ; dans un geste aimable votre main jettera au feu ou dans la boue le dessin, le périodique, le livre venu de la boue d'où il n'aurait jamais dû sortir.

Toutefois, cela ne suffit pas. Ces belles qualités qui se manifestent à l'extérieur doivent jaillir de l'intérieur de votre âme ; c'est de là qu'elles acquièrent et reçoivent leur force. La prudence et l'humilité intérieures enseignent la modération dans les actes et les sentiments, la juste mesure dans la gracieuseté des paroles et de la personne. Elles font reconnaître et comprendre que la docilité est sagesse, que l'obéissance apprend à commander, que le silence est l'éducateur de la parole et plus d'une fois une véritable éloquence.

... pour lutter contre les dangers

Si les belles qualités extérieures ne proviennent pas de celles du dedans, moins brillantes, mais non moins nécessaires, elles finissent par montrer le revers de leur médaille. On se crée la conscience (ô l'illusion) de s'être élevées au-dessus de cette vulgarité qu'on effleure à chaque pas, de cheminer dignement et vertueusement au milieu des tentations et des séductions de tout genre. La fierté qui naît de cette conscience se change facilement en secret orgueil. On attribue volontiers à soi-même, à sa force propre, à l'élévation de caractère, la dignité de sa vie personnelle et la conservation de la vertu. On oublie qu'on est faible ; on ne prend pas assez garde à la complaisance dans l'estime que cette vertu elle-même et cette dignité font naître. En un mot, on ne se souvient pas qu'on est filles d'Eve, et dans une témérité imprudente on se croit en sécurité contre n'importe quelle attaque de l'ennemi (cf. Ps. Ps 29,7). Alors, insouciante du danger qui menace l'esprit, la foi, le coeur, la pureté, la jeune fille d'Eve est fascinée devant le serpent ; elle se laisse, au début, effleurer la vue par une page légère ou sceptique, par un sourire, une déclaration ou un aveu agréable, par une parole flatteuse ou présomptueuse, par une invitation à une promenade charmante. Prudence et humilité. Combien l'humilité est nécessaire pour être prudents ! Combien elle aide à trouver, à demander le secours divin et le secours humain, à reconnaître aussi le besoin qu'on en a ! Malheureuses ces jeunes filles qui ne ressentent pas un pareil besoin et qui ne demandent pas un pareil secours, sinon à l'heure de l'expérience douloureuse et humiliante de la chute, d'un faux pas, d'une situation délicate, d'un danger imminent, d'un lien qui déjà est sur le point d'être fortement serré.

... avec l'aide de Dieu

Non, chères filles, ne tardez pas à invoquer le secours divin et le secours humain. Dans n'importe quelle épreuve, calamité, douleur, rien au monde n'est véritablement puissant comme la religion et la foi, comme la prière qui sauve du désastre. Tout autant que l'homme, la femme a besoin de croire en Dieu ; au pied de l'arbre défendu, la première faute du genre humain est celle d'Eve qui croit davantage à la trompeuse promesse du serpent qu'au précepte et à la menace du Seigneur. La femme a besoin de prier, comme de connaître et d'aimer Jésus-Christ et la Vierge Immaculée, sa

Mère ; elle a besoin de la religion qui a fait de ses joies familiales une sanctification, de ses larmes une supplication et une hymne, qui l'a exaltée dans l'amour de son coeur au foyer et dans l'église. Approfondissez votre connaissance de la vie et de la doctrine du Sauveur ; elle vous révélera la nécessité et l'aimable puissance du secours divin ; la prière et la réception des sacrements vous l'assureront. Quant au secours humain, est-il besoin de vous indiquer à vous les « Azzurre » à'Alba, où le chercher et le trouver, alors que l'amour, la délicatesse d'esprit et de coeur de Celle qui vous est comme une Mère vous comprend et vous aime ? Sa bonté et sa sagesse sont lumière, conseil, réconfort pour chacun de vos pas.

. pour aider les autres jeunes filles.

Vous marchez sur les routes où le monde marche : chaque jour vous respirez l'air et vous êtes dans le tourbillon de la vie réelle ; dans la foule qui passe, qui se presse, s'agite, s'amuse, rit, vous rencontrez encore trop souvent des gens qui pleurent, que les larmes et les plaintes suffoquent. Vous apercevez et reconnaissez un très grand nombre de jeunes filles, sorties récemment de la maison, timides, saisies de peur, perdues ; vous en reconnaissez d'autres, déjà ébranlées, vacillantes sur le bord de l'abîme, d'autres encore qui, courbées sous l'humiliation d'une surprise, découragées, effleurant le bord du précipice, du désespoir et de l'abandon, prêtes à se jeter pour oublier, pour s'étourdir, dans le gouffre d'une situation humainement irréparable. N'abandonnez aucune de ces malheureuses. Elles sont vos soeurs. Le Christ est venu également pour elles. Ne les méprisez pas, ne les repoussez pas loin de vous. Ayez pitié. Aimez, priez, soutenez, consolez, aidez ; faites aux autres, moins bien favorisées que vous, un peu de ce bien qui vous a été fait à vous-mêmes.

En cette heure qui s'écoule si cruelle et si triste pour les peuples, les dangers sont aussi plus grands et plus pressants. Que votre coeur s'agrandisse dans l'amour du Christ et dans l'amour du prochain f Que votre prière demande la miséricorde, le pardon, la grâce, pour le monde entier, pour les frères et les soeurs, pour tous ceux qui souffrent, combattent, pour tous ceux qui pleurent dans les maisons et pour tous ceux qui versent leur sang sur les champs de bataille !

Afin que le Seigneur, qui voit tout, gouverne tout et organise tout dans ses desseins impénétrables vous exauce, Nous vous accordons, avec une paternelle affection, la Bénédiction apostolique.


LETTRE APOSTOLIQUE PROCLAMANT NOTRE-DAME DE LA CONSOLATA PATRONNE PRINCIPALE DE LA VILLE DE TURIN

(20 mai 1942) 1

Le culte et la dévotion des fidèles envers la Bienheureuse Vierge Marie doivent être favorisés partout à l'occasion. C'est en effet du sein maternel de la Mère de Dieu qu'émanent, comme d'une source inépuisable d'innombrables grâces sur le peuple chrétien. C'est pourquoi, inspiré par cette pensée, Nous avons jugé bon d'agréer avec bienveillance les voeux des habitants de Turin qui, dès le moyen âge, forts de la protection de la Bienheureuse Vierge de la Consolata l'ont toujours considérée fermement et avec ferveur comme la patronne particulière de chacun d'eux. Le cardinal de la sainte Eglise romaine archevêque de Turin Nous rapporte en effet — ce qui est connu de tous — que l'antique sanctuaire de la Vierge de la Consolata, à Turin, a été au cours des siècles magnifiquement rénové et agrandi à plusieurs reprises pour répondre à la dévotion des fidèles ; l'éminent Père ajoute que la piété a tellement augmenté en ces derniers temps qu'il n'y a pas dans la ville de maison qui ne possède l'image de la « Consolata » et presque pas de famille qui ne lui manifeste des signes particuliers de respect et de culte, principalement le samedi dédié à la grande patronne de la ville, quand les citoyens de toute classe affluent en foule au sanctuaire soit pour implorer le secours de la Vierge, soit pour lui rendre grâces pour les bienfaits reçus. Mais ce n'est pas seulement la confiance des gens du peuple envers la « Consolata » qui a fleuri dans les temps passés et qui fleurit encore grandement aujourd'hui, mais c'est aussi les rois, les princes, les chefs de la maison de Savoie qui entourent d'un culte particulier la Mère de Dieu sous ce titre de « Consolata », si bien qu'elle fut

1 D'»près le texte latin des A. A. S., 34, 1942, p. 222.

reconnue comme patronne de la maison et des Etats de Savoie par des décrets publics et que l'assemblée des magistrats de Turin l'avait, au début du XVIIIe siècle, choisie au même titre.

C'est pourquoi, comme le clergé et le peuple de cette très noble ville Nous ont instamment prié de reconnaître publiquement et solennellement ce céleste patronage et que le cardinal de la sainte Eglise romaine, archevêque de Turin, appuie ces voeux de son avis très autorisé, après avoir entendu Notre Vénérable Frère le cardinal de la sainte Eglise romaine, évêque de Palestrina, préfet de la Sacrée Congrégation des Rites, de Notre science certaine, après mûre délibération et dans la plénitude de Notre pouvoir apostolique, Nous constituons et confirmons à perpétuité, selon la teneur des présentes lettres, comme patronne céleste auprès de Dieu de la cité de Turin la Bienheureuse Vierge Marie dite de la Consolata, y attachant tous les droits et privilèges liturgiques propres aux patronages célestes de ce genre. Nous accordons volontiers cette faveur, convaincu qu'on peut en attendre des fruits de grande importance pour le bien spirituel et temporel de tous les habitants de Turin. Décrétant...


ALLOCUTION AU SACRÉ COLLÈGE A L'OCCASION DE LA FÊTE DE SAINT EUGÈNE

(2 juin 1942)1

Le Saint-Père a adressé aux cardinaux l'allocution suivante à l'occasion de la fête de saint Eugène :

Les paroles qu'en votre nom à tous, Vénérables Frères et chers Fils, le vénéré doyen du Sacré Collège Nous a adressées avec la chaleur et la délicatesse qui lui sont particulières, tout en témoignant, en ce retour de la fête de Notre céleste patron et prédécesseur dans la charge suprême de Pasteur de l'Eglise, de l'assurance de vos voeux fervents, de vos fidèles prières et de votre infatigable collaboration dans le gouvernement de l'Eglise universelle, éveillent dans Notre coeur un écho non seulement reconnaissant et durable, mais singulièrement profond. En cet abîme du coeur, Nous aussi, comme saint Paul, Nous fléchissons le genou devant le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de qui procède toute paternité au ciel et sur la terre ; et par le moyen de la foi, enracinés et affermis dans la charité, nous pouvons comprendre la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur des mystères du Christ (Ep 3,14-18) ; de sorte que vos paroles, et plus encore les nobles sentiments dont elles sont l'expression, résonnent en parfait accord avec le concert grandiose du monde catholique, dont la surnaturelle harmonie Nous manifeste la hauteur de sa foi intrépide qui est au-dessus de toutes les divisions terrestres, la profondeur de son sincère amour, la largeur de sa fidélité absolue, la longueur de sa persévérante confiance et de son espérance.

Les cardinaux, aide précieuse dans l'accomplissement de la charge pontificale.

Parmi les voix du peuple chrétien, du clergé, de l'épiscopat des divers rites, s'élève de manière éminente l'hommage du sénat de l'Eglise romaine, qui indique et symbolise l'unanimité de pensée et d'affection de tous ceux qui, sur terre, sont unis et vivent dans la foi au Christ et dans la fidélité à l'Eglise fondée par lui, unanimité qui se révèle dans sa concorde triomphante, dans sa spontanéité ouverte, dans son origine sainte, dans son inébranlable fermeté qui s'appuie sur des fondements divins.

Nous savons bien, Vénérables Frères et chers Fils, que la substance intime de ces sentiments de vénération, de dévouement et d'amour possède sa valeur, non certes par quelque mérite de Notre faible et indigne personne, mais parce que ces sentiments dérivent et descendent d'une source plus élevée, en raison de laquelle vous Nous appelez et vous voyez en Nous le Père commun et le Vicaire du Christ et parce que vous pensez au caractère sacré, à la sublime destinée et au pouvoir des clés, au souverain ministère et au magistère apostolique, que le dessein insondable de Dieu a placé sur Nos épaules, après la très douloureuse disparition de Notre vénéré et glorieux prédécesseur Pie XI. Depuis ce jour, déjà sillonné par les éclairs fulgurants de la prochaine bourrasque, connaissant et prévoyant l'accumulation de devoirs, de sollicitudes, d'angoisses et d'épreuves croissantes que cette période d'événements formidables allait verser dans le calice amer de Notre pontificat ; depuis ce jour, plus d'une fois, Notre pensée est revenue aux paroles par lesquelles la sainte franchise d'un Bernard de Clairvaux rappelait à l'esprit du pape Eugène III, arraché au silence de la solitude et du recueillement pour être placé sur le Siège de Pierre, la très haute dignité mais davantage encore le poids très lourd de sa charge : « Vous occupez une place plus élevée, mais non pas mieux abritée ; plus sublime mais non pas plus en sécurité. Oui, cette place est terrible, tout à fait terrible. La place, dis-je, où vous êtes, est une terre sainte. C'est la place de Pierre, la place du Prince des apôtres, où il a fixé ses pas. C'est la place de celui que le Seigneur a établi maître de sa maison et à la tête de tous ses biens » 2. En cette cité de Pierre, Prince des apôtres, près du tombeau que lui ouvre la croix sur laquelle il meurt la tête en bas, par suite de la vénération que son immense amour porte à la croix du divin Rédempteur, Notre coeur palpite, et même il s'humilie, il s'élève dans l'atmosphère du martyre et du sacrifice pour l'Epouse du Christ au visage empourpré par le sang de celui qui l'empourpre et rend plus éclatant et plus beau le sang de milliers et de milliers de ses fils martyrs mêlé au sang de ses Pontifes.

Présence et puissance de la grâce divine dans l'Eglise.

Dans la gravité extraordinaire de l'heure présente, Notre conscience sent la responsabilité qui nous incombe devant le Souverain et éternel Prêtre et Pasteur à l'égard des âmes dont il nous a confié la garde. Mais, plus Nous sentons vivement cette responsabilité, plus est agissante dans Notre âme, pour Notre consolation et Notre joie, l'expérience qui s'y enracine et s'y fortifie toujours plus, à savoir que la force mystérieuse de la grâce divine, de même qu'elle ne manque pas à ce monde en fermentation et en furie, secoué par la fièvre d'une crise à la vie et à la mort, ainsi elle est en ce moment, comme vie, protection et soutien, plus que jamais proche de son Eglise. Sur cette mer en tempête, parmi les flots croissants de la haine, les ondes de l'amour qui dirigent et portent les fidèles vers le rocher qu'est le Siège de Pierre sont comme une huile répandue qui apaise les vagues, qui éloigne le naufrage ; signe prometteur de victoire sur les tempêtes, aube de salut et de renaissance, murmure d'un doux zéphyr à la voix insinuante duquel fermer l'oreille serait paraître trop dur.

Quelle puissance mystérieuse, insaisissable aux mains terrestres, inaccessible aux séductions du monde, inexpugnable quelle que soit l'arme de combat employée, fait que des millions et des millions d'âmes placent dans l'Eglise leur joie et leur gloire, leur salut et leur bonheur, la constance de leur foi et de leur amour, le but de leur fidélité et la lumière de leur espérance ? Qui donc leur apprend à lui rester fidèles, tandis qu'en plusieurs endroits penser avec l'Eglise n'est pas autre chose que souffrir pour l'Eglise ? Qui les entraîne et les pousse à aimer cette Eglise — pour laquelle, comme déjà pour son divin Fondateur, les Herodes et les Pilâtes modernes ont préparé le vêtement d'ignominie et la couronne d'épines — sinon le fait de contempler en elle l'Epouse du Christ, imitant mystiquement dans sa souffrance maternelle la Passion du Rédempteur, ce qui la rend d'autant plus aimable et digne d'un amour fervent et absolu ? « Les grandes eaux ne sauraient éteindre l'amour ! » (Ct 8,7).

Vénérables Frères et chers Fils, Nous pouvons encore aujourd'hui, avec confiance et dans une reconnaissance fervente, invoquer le Dieu tout-puissant qui, dans cette violente tempête de l'océan humain, marche sur les eaux furieuses, les dompte, garde et guide parmi les ténèbres la barque de Pierre, opérant par sa grâce, jour par jour, dans des millions de ses élus un tel miracle spirituel de foi inébranlable, d'espérance sereine, d'amour fort. A une si grande reconnaissance envers Dieu, Nous pousse la gratitude paternelle et émue que bien vivement Nous éprouvons aussi pour ceux qui, coopérant à la grâce, donnent au monde l'exemple d'une générosité et d'une grandeur d'âme qui rappellent les vaillants et les héros des plus belles époques du passé.

L'Eglise attirera de plus en plus à elle les esprits et les coeurs.

Jamais peut-être comme aujourd'hui l'action pacifique de ces âmes fortes et fidèles n'a été aussi importante, aussi vivante, aussi efficace, aussi prometteuse pour la conservation et la diffusion du règne de Dieu qu'elle apparaît aujourd'hui. Une Eglise à laquelle n'ont jamais manqué ni des hérauts intègres de la vérité, ni des modèles irréprochables de vertus héroïques, ni des guides spirituels éclairés, ni de loyaux et sagaces formateurs et maîtres d'une noble humanité et d'une charité agissante, ni de candides lis d'innocence, ni de roses empourprées, prêtes à confesser la foi fût-ce en sacrifiant leur vie pour une telle Eglise, n'en doutez pas, Dieu a marqué le temps où se tourneront vers elle d'innombrables intelligences et d'innombrables coeurs qui s'attardent encore à écouter d'autres voix et sont à la remorque d'un autre idéal ou plutôt de fallacieuses idoles. Ce jour doit venir et viendra — parce qu'aucune parole de Dieu ne s'efface — où l'humanité égarée par l'erreur et la tromperie sera prête à prêter l'oreille avec un nouvel intérêt et une nouvelle espérance au sermon de la montagne de l'amour et de la fraternité qui ne ment pas. Et quand cette humanité, récemment encore si fière de sa richesse, et aujourd'hui plus consciente que jamais de la pauvreté de son esprit, radotant dans son trouble face à l'inévitable et décisif carrefour de sa marche, en viendra à considérer dans le brillant horizon d'un christianisme authentique, immuablement profond, riche et prodigue de vastes et bienfaisantes formes de vie familiale et sociale, le Christ resplendir, nous avertissant, nous invitant, nous attirant à lui, Lumière du monde, vrai Dieu et vrai homme, tandis qu'à terre giseront, éteints, les vains flambeaux des faux prophètes ; alors beaucoup d'âmes de bonne volonté et au clair regard ne tarderont pas à comprendre que la salutaire mission de l'Eglise du Christ n'est pas un rêve du passé, ni un éphémère réveil, mais le prolongement d'un présent qui dure depuis des siècles, qui se renouvelle chaque jour et renouvelle avec soi toute civilisation dont il s'accompagne et qu'il perfectionne ; d'un présent qui plante un avenir riche de promesses, porteur comme il est de nouvelles semences qui produiront de bons et de magnifiques fruits dans leur féconde maturité.

La réponse des hommes à l'appel du Christ.

Alors, sur le seuil d'un nouvel et véritable ordre social des peuples retentira la parole du Maître au coeur enflammé d'amour, signe et source de grâces, auquel est consacré ce mois : « Voici que je me tiens à la porte et que je frappe » (Ap 3,20). Quelle sera la réponse de la chrétienté à cette voix divine ? Quelle sera la réponse de la famille humaine tout entière ?

Notre devoir, Vénérables Frères et chers Fils, collaborateurs très aimés dans l'accomplissement de Notre ministère apostolique, le devoir de tous les membres de l'épiscopat, de tous les prêtres, de toutes les âmes consacrées à Dieu dans l'état religieux, de tous les laïques collaborant à l'apostolat hiérarchique, le devoir de tous les fidèles aussi, c'est de préparer spirituellement par la prière et par l'exemple, par la purification et par la pénitence, par l'action et par le sacrifice, cette future rencontre du Christ et d'un monde qui, plus que jamais, a besoin de sa lumière et de sa grâce, de son secours et de sa rédemption, de sorte qu'en cette rencontre brille enfin l'heure providentielle de nouvelles relations d'entente mutuelle et de bienfaisantes activités communes.

Avec ce voeu dans le coeur, avec cette prière sur les lèvres, Nous répondons aux souhaits que vous Nous avez offerts, par des sentiments d'une estime inchangée de profonde reconnaissance, en ce jour où il est si doux à Notre âme de s'élever dans l'augure des faveurs célestes et dans la confiance en la protection et dans le secours de notre grand et saint patron, le pape Eugène Ier, Nous accordons, à chacun de vous et à tous ceux compris dans vos intentions, la Bénédiction apostolique.


Pie XII 1942 - RADIOMESSAGE AU MONDE ENTIER A L'OCCASION DE SON JUBILÉ ÉPISCOPAL