Pie XII 1942 - RADIOMESSAGE AU IVe CONGRÈS EUCHARISTIQUE NATIONAL DU BRÉSIL (7 septembre 1942)

RADIOMESSAGE AU IVe CONGRÈS EUCHARISTIQUE NATIONAL DU BRÉSIL (7 septembre 1942)


1

Le IV Congrès eucharistique national du Brésil s'est tenu durant la première semaine de septembre dans la ville de Sao Paulo, sous la présidence de Mgr Aloisi Masella, nonce apostolique, qui a remplacé comme légat pontifical S. Em. le cardinal Leme da Silveira Cintra, archevêque de Rio de Janeiro, primitivement désigné par le Saint-Père, mais empêché par la maladie. Ce radiomessage du Saint-Père a clôturé le Congrès de Sao Paulo :

Vénérables Frères qui, en si grand nombre, entourés de votre clergé, formez une majestueuse couronne à Jésus présent dans le Saint Sacrement ;

Excellentissimes membres du gouvernement et autres autorités qui, par votre présence, honorez cette grandiose assemblée eucharistique ;

Fils bien-aimés du Brésil catholique !

Nous sommes déjà heureusement représenté parmi vous en ce IVe Congrès national, en la personne de Notre digne légat. Cependant, c'est avec grand plaisir que Nous vous faisons entendre directement Notre voix pour adorer avec vous le divin Roi d'amour, répétant l'invocation si traditionnellement portugaise et si chrétienne : « Béni et loué soit le Très Saint Sacrement de l'Eucharistie, fruit du sein sacré de la très pure Vierge Marie ! »

Notre coeur se réjouit, Notre esprit s'extasie en contemplant le magnifique spectacle que votre piété offre au ciel et à la terre. Nous voyons tout le catholique Brésil, de l'Amazone à La Plata, de la Cordillère à l'Atlantique, à genoux autour du trône eucharistique élevé dans le splendide cadre de la cathédrale de Sao Paulo, pour chanter le Roi du divin Sacrement et lui rendre des hommages particuliers de ferveur et de dévotion, de solennels actes de réparation et de satisfaction, des protestations convaincues de fidélité, de soumission et d'indéfectible correspondance à son éternel amour.

Spectacle d'autant plus consolant qu'il est l'expression sincère de la foi et de la piété traditionnelles du catholique peuple brésilien. Ce dernier n'est-il pas entré dans l'histoire 2 sous le signe de la croix du Christ et avec le viatique de Jésus dans son coeur, dans cette glorieuse journée du 1er mai 1500, quand, à l'ombre de la première croix formée avec des troncs d'arbres brésiliens et plantée en terre brésilienne, fut chantée la première messe — baptême de grâce pour le nouveau continent — à laquelle communièrent le commandant de toute la flotte et ses meilleurs hommes, tandis que les autochtones, qui aidèrent spontanément à planter la croix, ne comprenant pas, étaient incapables de recevoir Jésus-Hostie, se battaient la poitrine et se prosternaient à terre, l'adoraient, du moins comme ils savaient et comme ils pouvaient ? 3

Plus tard, il n'y eut pas de ville ou de village qui ne se signalât par sa dévotion au Saint Sacrement, ne possédât sa confrérie à laquelle s'honoraient d'appartenir les principaux citoyens qui manifestaient leur dévotion en célébrant tous les mois une fête solennelle du Très Saint Sacrement, lui élevant de magnifiques trônes et les ornant, surtout les Jeudis saints, avec les plus précieux ornements d'or et d'argent de leurs maisons, « avec tout l'or qui se pouvait trouver sur la terre ».

Ce fut aussi dans la dévotion au Saint Sacrement et à la sainte Croix, unie à la dévotion à Notre-Dame, que furent élevés dans la foi les Indiens des villages, si bien que les nouveaux convertis ne connaissaient pas d'honneur plus grand que de pouvoir communier, ni de plus grand déshonneur que celui d'être éloignés de la Table eucharistique.

Nous bénissons le Seigneur de voir refleurir cette piété de vos ancêtres et bénissons en même temps tous ceux qui, pour leur apostolat eucharistique, ont contribué à cette floraison si prometteuse, particulièrement les organisateurs des Congrès diocésains qui préparèrent le national et l'oeuvre silencieuse, mais constante, et de jour en jour plus étendue et féconde de l'Action catholique, des tiers

2 Le 22 avril 1500, le capitaine-chef portugais Pedro Alvarez Cabrai, entraîné par les courants, aborda le Brésil, près de Bahia. C'est à ce fait que le Brésil dut d'appartenir au Portugal, possession d'ailleurs très disputée dans les siècles suivants par les Espagnols, les Français, les Hollandais, etc.
3 Lettre de Pedro Vaz de Caminha, du 1er mai 1500, au roi D. Manuel.

ordres, des congrégations mariales, de l'Apostolat de la Prière. Nous bénissons le Seigneur et lui demandons que ce printemps chargé de fleurs ne s'évanouisse pas avec les échos du congrès, mais s'étende et se traduise en fruits de bénédictions pour tout le Brésil.

L'Eucharistie, mystère de la foi.

L'Eucharistie est un triple mystère : mystère de foi, mystère d'amour, mystère de vie. Qu'elle soit pour tous et pour chacun des Brésiliens — comme elle le fut dans le passé et plus encore que dans le passé — fontaine abondante de foi pure et opérante, d'amour et d'union inébranlable, de vie sincère et intégralement catholique.

Le sacrement de l'Eucharistie est plus qu'aucun autre essentiellement mystère de foi, parce qu'il suppose la foi, exerce la foi, avive la foi, couronne la foi et parce qu'il est le gage le plus sûr et la marque distinctive de la vraie foi. Elle le fut pour vos aînés. De fait, n'était-elle pas vive la foi qui les animait quand la nouvelle d'un sacrilège commis à Lisbonne dans la chapelle royale jetait dans la consternation les populations du Brésil, comme s'il s'agissait d'une calamité nationale et qu'aussitôt s'organisaient des processions de pénitence et des cérémonies de solennelle réparation et d'amende honorable ? Et quand, plus tard, l'unité de la patrie et la tranquillité de la religion catholique se virent menacées, n'est-ce pas la foi en Jésus au Saint Sacrement qui donna du courage aux hommes d'armes pour la bataille et pour la victoire, et à tant de fidèles pour abandonner leur propre maison et tous leurs biens, et aussi pour sacrifier leur vie plutôt que de renier la foi 4.

Qu'il en soit ainsi pour vous, chers fils du Brésil catholique. Si à une heure quelconque l'erreur ou la superstition tentaient de menacer votre foi, de vous détacher de Jésus au Saint Sacrement, unissez-vous plus intimement à lui et, armés de sa force, puisque, comme a chanté votre grand apôtre le vénérable José de Anchieta : « Il est la nourriture des lutteurs, récompense des vainqueurs vaillants »5, résistez, combattez, vainquez ; conservez intact le plus précieux héritage que vous ont légué vos ancêtres, la foi catholique, apostolique, romaine.

L'Eucharistie, mystère d'amour et d'union.

Dans l'Hostie divine est concentré tout l'amour infini du Coeur de Jésus, lequel s'est manifesté dans les grandes heures de la Rédemp

4 P. Antonio Vieira, Sermao pelo hom sucesso das armas de Portugal, Sermoes III, 467 ss.
5 P. José de Anchieta, Hïno ao S. S. Sacramento.

tion, puisque la très sainte Eucharistie est le Cénacle et le Calvaire étendus dans l'espace jusqu'aux confins de la terre, prolongés dans le temps jusqu'à la fin des siècles... Et comme l'amour est union, cet amour infini veut être union portée jusqu'à l'identité mystique : « Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui.. Comme je vis en mon Père et par mon Père, qui me mange vivra de moi et par moi » (Jn 6,57-58). Ou comme chantait Anchieta : « Je vous mange, vivant en vous, je vis en vous en vous mangeant, doux Amour ! » 6

Que le culte de la divine Eucharistie et la communion fréquente servent à exciter toujours plus l'amour et l'union avec le Coeur de Jésus, afin que de là ils se reversent en charité et en union fraternelle entre les ouvriers et les patrons, entre les fidèles et le clergé, entre les sujets et les autorités, entre le Nord et le Sud, entre les citoyens du même Etat et les Etats entre eux, pour le bien commun de tous dans cette unique grande famille qu'est la patrie brésilienne. Même humainement parlant, c'est l'union qui fait la force, comme la désunion la ruine. Par conséquent, combien davantage, s'il y a avant tout l'union des âmes en Dieu, vivifiée par l'amour de Jésus-Christ et, par lui, cimentée et bénie.

Que l'union et la charité ne se limitent pas à promouvoir le bien temporel du prochain, mais qu'elles cherchent plus encore les biens spirituels et éternels, en s'étendant à toutes les âmes rachetées par le sang du Christ. L'exemple d'enthousiasme et de générosité qu'a donné le Brésil, à plusieurs reprises, dans la Journée des missions, est magnifique. Splendide apostolat de l'aumône ! Mais, animés par la charité du Christ, soyez pareillement des apôtres du bon exemple, de la prière, du sacrifice, de la parole, de l'action, d'abord avec les chrétiens qui ne pratiquent pas la foi qu'ils professent, puis avec les infidèles qui n'ont jamais connu la vraie foi. Quand le Brésil et le Portugal formaient encore une seule nation, valait pour cette nation comme pour l'Empire mondial espagnol, au moins en principe et en conformité de la volonté des souverains, ce que vous disait le grand Antonio Vieira : « Dans les autres nations, les uns sont ministres de l'Evangile et les autres non ; dans le Portugal, tous sont ministres de l'Evangile... Etre apôtre, ce n'est pas autre chose qu'enseigner la foi et mener les âmes au Christ : et (dans le Brésil) il n'y a personne qui ne le puisse et aussi ne le doive faire » 7.

6 Loc. cit.
7 Sermao do Espirito Santo, Sermocs III, 392 ss.

Soyez apôtres, et alors le mystère de foi sera aussi pour vous mystère d'amour et de charité.

L'Eucharistie, mystère de vie.

« Pain de vie qui donne la vie au monde », c'est ainsi que Jésus appela l'Eucharistie, et il ajouta : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour » (Jn 6, 33, 35, 55).

Il est donc et surtout mystère de vie divine, parce qu'il assure en nous la vie de la grâce. Oh ! combien de morts qui se croient en vie et paraissent vivants mais sont, au contraire, des cadavres ambulants parce qu'ils ont perdu la vie divine qu'ils avaient reçue par le baptême, parce que leur âme est morte en eux ! Oh ! que ce soit un des fruits du congrès, à savoir que partout ressuscite la réception fréquente des sacrements, comme cela s'est vu à d'autres époques, quand les fidèles allaient si nombreux à la communion générale mensuelle et même à la communion hebdomadaire !

Mais l'Eucharistie est aussi mystère de vie physique : indirectement, de vie physique temporelle, parce que nourrissant la vie chrétienne et fortifiant les bonnes habitudes, elle préserve de multiples maladies qui débilitent l'organisme et tourmentent péniblement la vie du pécheur ; directement, de vie physique éternelle, parce que, comme Jésus nous l'assure, ceux qui le reçoivent avec les dispositions requises ont la résurrection glorieuse assurée au dernier jour : Et ego resuscitabo eum in novissimo die ».

Le problème des vocations sacerdotales.

Nous avons appris avec plaisir qu'un des buts principaux du congrès était l'étude et la solution du problème, vital pour toutes les nations, mais plus particulièrement pour le Brésil, des vocations sacerdotales. Nous avons confiance qu'on trouvera la solution pratique de cet important problème et que bientôt Nous pourrons la voir réalisée. En attendant, Nous voulons conclure en des termes destinés à tous Nos bien-aimés fils brésiliens.

Catholiques du Brésil, qu'un des grands fruits du congrès soit que vous sachiez tous apprécier la vie divine que vous donne l'Eucharistie et, par conséquent, que vous en sentiez la nécessité et que vous appréciez l'honneur d'avoir nombreux ceux qui vous préparent et vous distribuent ce pain ! Oh ! heureux celui que le Seigneur choisit, comme il a choisi les apôtres, pour son coopérateur dans le plus auguste des divins mystères ! Heureuse et honorée au-dessus de toutes la famille chrétienne dans laquelle Jésus-Christ choisit un ou plusieurs fils pour les ennoblir et les diviniser par la participation à son divin sacerdoce ! Comme il n'y a pas dans le ciel et sur la terre de dignité plus haute et plus royale que celle du Prêtre divin, de qui toute dignité descend, ainsi l'homme ne peut, dans ce monde, être élevé à une plus haute noblesse que celle de participer au sacerdoce éternel !

C'est pour cela, les parents vraiment catholiques, loin d'arracher du coeur des fils le germe de la vocation sacerdotale — parce qu'ils ont nettement conscience que s'ils le faisaient ils deviendraient coupables devant Dieu d'une très grande faute de lèse-religion et de lèse-patrie — cherchent eux-mêmes à jeter la semence et à l'entretenir par la prière, la bonne éducation, l'éloignement des périls qui lui porteraient préjudice. Et si, un jour, ils voient aboutir la vocation et le rêve de leur foi se réaliser, alors qu'ils rendent grâces à Dieu et qu'ils se sentent heureux d'avoir celui qui, à eux-mêmes et à tant d'autres âmes, prépare et distribue le pain de vie et la vie éternelle.

Exhortation.

Chers fils du catholique Brésil ! Videte vocationem vestram (1Co 1,26), voyez et considérez bien votre vocation ! Dieu vous a destinés à être une des grandes nations catholiques de l'Eglise, dans l'Amérique et dans le monde. Dans cette vocation est contenue la plus grande gloire, la plus grande élévation, la vraie félicité du Brésil. Mais cette grandeur impose des devoirs, entraîne des responsabilités ; le devoir, la responsabilité d'être catholiques au plein sens du mot, catholiques de foi intégrale et profonde, de charité sincère et généreuse, de vie sans tache ; en un mot, non seulement d'adorer, d'aimer, de recevoir, mais de vivre l'Eucharistie, mystère de foi, mystère d'amour, mystère de vie !

Béni et loué soit le Très Saint Sacrement de l'Eucharistie, fruit du sein sacré de la très pure Vierge Marie !

Ce sont les voeux que de l'intime de l'âme Nous formulons pour vous à Jésus au Saint Sacrement, et pour qu'ils se réalisent, à vous tous, Vénérables Frères et chers fils qui Nous écoutez, à tous ceux qui prirent une part active au congrès ou à ceux qui s'y unirent en esprit, à votre grande et chère patrie tout entière, avec toute la tendresse de Notre coeur paternel, Nous donnons, comme gage des grâces célestes, la Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION AU NOUVEAU MINISTRE D'HAÏTI (12 septembre 1942)


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Au nouvel embassadeur extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la République d'Haïti près le Saint-Siège, S. Exc M. Léon R. Thébaud, venu lui présenter ses lettres de créance, le Souverain Pontife a répondu par cette allocution :

Après avoir déjà exercé une activité multiple et féconde au service de sa patrie, Votre Excellence se voit, par la particulière confiance de M. le président de la République haïtienne, appelée à une mission dont la dignité et l'importance ne sauraient être exprimées en termes plus éloquents que les paroles prononcées par vous tout à l'heure en remettant entre Nos mains les lettres qui vous accréditent comme envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire auprès de ce Siège apostolique.

Dans ces paroles brillent avec une égale clarté et l'ardeur de vos sentiments patriotiques et la ferveur de votre foi catholique. L'harmonieuse union de si nobles sentiments est pour Nous un heureux présage que, dans l'accomplissement de votre mission, vous saurez promouvoir les plus hauts intérêts .de votre nation avec tout l'idéalisme d'une virile volonté et toute l'énergie d'une active conscience.

Les rapports entre le Saint-Siège et la République d'Haïti, grâce aux efforts d'hommes d'Etat aussi décidés que clairvoyants, et en plein accord avec les traditions catholiques du peuple, se sont développés dans une atmosphère et un esprit de mutuel respect et de confiance réciproque.

Sur la base d'un concordat qui, complété par une récente convention, a réglé les relations entre les deux pouvoirs, il a été possible à l'Eglise d'exercer une fructueuse activité évangélisatrice et éducatrice. De cette action, inspirée non moins par le zèle apostolique que par une absolue loyauté à servir la cause du pays, les effets, débordant le terrain proprement religieux, ont tourné à l'avantage aussi des progrès de la culture et des institutions sociales, en suscitant des énergies dignes de prendre une place d'honneur parmi les facteurs de la vraie prospérité du peuple et de l'Etat.

Rien ne saurait être plus conforme aux désirs de Notre coeur que de pouvoir accroître encore cette contribution au bien-être de votre peuple. Votre Excellence a mis particulièrement en relief, à cet égard, la formation d'un clergé indigène ; Nous pouvons l'en assurer, dans l'héritage spirituel que Nous a légué Notre grand prédécesseur, chère et précieuse au premier chef Nous est précisément cette formation qui, devant les événements présents et en vue de leurs possibles conséquences dans l'avenir, acquiert tous les jours une importance plus marquée.

Si impérissables et inoubliables qu'aient été les mérites des prêtres séculiers et réguliers, qui, avec un si grand esprit de renoncement, ont jusqu'ici porté le poids principal de l'assistance religieuse au peuple haïtien, si indispensable qu'ait été leur admirable et fécond travail de pionniers, ce sera avec une paternelle et surnaturelle joie que Nous saluerons le jour où le patrimoine sacré, fruit de leurs sollicitudes, de leurs sacrifices, de leurs expériences, pourra être, en toute conscience et sécurité, confié à une nouvelle génération qui — surtout en tant qu'elle a été formée en cette Ville éternelle — sera assez forte par la science et par la vertu, par la parole et par l'exemple, pour continuer à faire avancer les sillons ouverts par ses devanciers.

Le moment où Votre Excellence inaugure sa mission est dominé et assombri par la grande tristesse d'un conflit mondial tel que l'histoire du genre humain n'en a pas connu d'égal. Plus le sort des peuples se trouve aujourd'hui dépendre uniquement du tranchant de l'épée, plus aussi pénètre et s'aggrave dans les meilleurs éléments de toutes les nations l'anxieuse nostalgie d'un état de choses où le droit détrôné puisse reconquérir sa place et jeter les bases d'une nouvelle et juste paix. Quand cette heure sonnera-t-elle ? Dieu est seul à le savoir. Mais quand elle sonnera, ce sera pour le droit et la conscience morale des peuples, le moment de l'épreuve décisive. Cette conscience juridique et morale sera alors d'autant plus vive, sûre et nette, qu'elle se maintiendra plus éloignée de la trompeuse illusion d'un égoïsme effréné et qu'elle acceptera avec plus d'empressement de venir se ranger dans le cadre d'une solidarité - 229 - sociale qui naît de la loi divine naturelle et trouve son achèvement dans la doctrine et la loi du Christ.

Nous éprouvons une singulière satisfaction à constater par vos paroles quel écho profond ces principes moraux rencontrent dans le coeur de Votre Excellence comme dans l'esprit de son peuple et de son gouvernement. En vous priant donc de transmettre à S. Exc. M. le président de la République, à ses collaborateurs et à tout le peuple haïtien, Notre paternelle gratitude pour les sentiments qu'ils Nous ont exprimés par votre organe, Nous faisons monter Nos prières vers le Tout-Puissant afin qu'il daigne hâter le jour où, sous son ciel magnifique, la nation haïtienne pourra jouir en sécurité de la paix recouvrée et, fidèle à ses traditions religieuses, marcher forte et tranquille vers un avenir de bonheur.

C'est avec ces voeux dans le coeur et cette prière sur les lèvres, que Nous souhaitons la bienvenue à Votre Excellence et que, en l'assurant de Notre constant appui dans l'accomplissement de sa haute mission, Nous implorons sur Votre Excellence, sur sa chère famille et sur tout le peuple haïtien les meilleures et les plus abondantes bénédictions du Seigneur.


LETTRE APOSTOLIQUE DÉCLARANT L'IMMACULÉE CONCEPTION PATRONNE PRINCIPALE ET SAINTES PUDENTIENNE ET ROSE DE LIMA PATRONNES SECONDAIRES DES ILES PHILIPPINES (12 septembre 1942)


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En vertu du ministère apostolique qui Nous a été imposé et dans le but de procurer le bien spirituel des fidèles, il est de Notre devoir, à la suite de Nos prédécesseurs, de pourvoir à donner à tous les diocèses de toute la terre des patrons célestes auprès de Dieu si riche de faveurs envers tous ceux qui l'invoquent. C'est dans cet esprit qu'ayant appris que Nos Vénérables Frères archevêques, évê-ques et préfets apostoliques des Iles Philippines s'étaient réunis à Manille pour leur assemblée annuelle et ayant manifesté le désir d'obtenir de Nous que la Bienheureuse Vierge Marie sous le titre de l'Immaculée Conception soit déclarée patronne principale et universelle des Iles Philippines et sainte Pudentienne et sainte Rose de Lima leurs patronnes' secondaires, Nous estimons qu'il y a lieu d'accueillir favorablement cette demande. C'est en effet depuis plusieurs siècles que dans ces Iles la Vierge Immaculée a été l'objet d'un culte particulier et d'une grande dévotion de la part des fidèles. En outre, au premier concile provincial de Manille, en 1907, Marie Immaculée fut nommée patronne principale et universelle de tout le peuple philippin. Des documents historiques prouvent aussi que, dès le XVIe siècle, sainte Pudentienne et, dès le XVIIe, sainte Rose de Lima étaient honorées comme patronnes de ces mêmes Iles, si

1 D'après le texte latin des A. A. S., 34, 1942, p. 336.

(231) bien qu'à la messe et dans la récitation de l'office aux jours des fêtes de ces saintes on observait un rite supérieur.

Tout cela sûrement pesé, comme rien ne Nous paraît plus opportun que de constituer comme patronnes des diocèses des Philippines, la Bienheureuse Vierge Immaculée et les saintes nommées, assuré que ce saint patronage tournera au plus grand bien et à l'avantage spirituel du peuple de ces diocèses ; le préfet de la Sacrée Congrégation des Rites, évêque de Palestrina, cardinal de la sainte Eglise romaine, entendu de science certaine, après mûre délibération et dans la plénitude de Notre pouvoir apostolique, Nous constituons selon la teneur des présentes lettres, à titre perpétuel, et déclarons la Bienheureuse Vierge Marie au titre de l'Immaculée Conception patronne principale et universelle et les saintes vierges Pudentienne et Rose de Lima comme patronnes secondaires, y ajoutant les droits et privilèges nécessaires afin qu'à la messe et dans l'office divin les fêtes de ces patronnes puissent être célébrées régulièrement selon les règles des rubriques...



ALLOCUTION AUX HOMMES DE L'ACTION CATHOLIQUE ITALIENNE A L'OCCASION DU XXe ANNIVERSAIRE DE SA FONDATION (20 septembre 1942)


1 D'après le texte italien des A. A. S., 34, 1942, p. 282 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie Xli, t. IV, p. 222. Les sous-titres sont ceux du texte original.


A l'occasion du XXe anniversaire de la fondation de l'Union des hommes d'Action catholique de l'Italie, qui compte 6000 associations, le pape a adressé l'allocution suivante à plusieurs milliers d'hommes venus de 128 diocèses d'Italie et qui lui furent présentés par le président de l'Union, Piero Panighi, et l'assistant ecclésiastique, Mgr Fernando Roveda.

ESPRIT DE FOI ET D'AMOUR

Votre présence Nous est extrêmement agréable, chers fils qui vous glorifiez de vous montrer des hommes d'Action catholique, semblables à une troupe qui tient haut le drapeau de la profession de son christianisme dans la vie privée et la vie publique. L'esprit de foi et de charité est la profonde et sainte poussée qui, sous la haute direction de l'éminent et très zélé cardinal patriarche de Venise2 et des autres prélats illustres, vous ont conduits aux côtés du Vicaire du Christ pour lui offrir l'hommage de votre esprit et de votre coeur, pour lui signaler avec une légitime liberté, comme en une hymne de joie filiale, le bien que votre activité, durant vingt ans, a accompli ou fait progresser au service du divin Roi, et pour Nous offrir vos dons, ainsi que le firent les pasteurs et les mages à Jésus, si pauvre dans sa richesse. Vous avez été poussés à venir non seulement par la foi et par l'amour, mais aussi par l'espérance que Notre coeur et Notre pauvre parole auraient aussi à votre adresse de paternels avis et encouragements.

Votre oeuvre ? Elle est là, devant Nous, en vous et dans votre vie sociale. Nous avons lu avec une satisfaction particulière le lumineux rapport dans lequel votre très digne et infatigable président Nous a décrit et présenté votre zèle. Vos offrandes ? Nous les avons regardées et admirées dans cette exposition extraordinairement vaste et belle. Nous vous en remercions du plus profond de l'âme. Est-ce que ne brillent pas dans ces offrandes à côté du don, l'amour qui les donne et la joie avec laquelle elles sont données ? Est-ce que Nos conseils et Nos exhortations ne doivent pas correspondre à votre activité toujours plus étendue et plus importante ?


EFFICACITÉ DE LA COLLABORATION DES HOMMES CATHOLIQUES POUR LA RENAISSANCE SPIRITUELLE DE LA SOCIÉTÉ HUMAINE

Notre pensée, Notre attente — tout en embrassant l'Eglise et l'humanité tout entières, dans l'étreinte de la charité et dans l'espérance du bien qui est le fruit de la lutte contre l'erreur et les passions — reposent particulièrement sur vous qui, à la maturité d'hommes faits, unissez la connaissance et l'expérience du sérieux de la vie, des vicissitudes et des besoins spirituels, moraux et matériels qui l'accompagnent et la suivent ; car, dans l'esprit et dans les mains des hommes mûrs se trouvent le savoir, le travail judicieux, le vigilant et bienfaisant gouvernement de la famille et du mouvement social. Vous êtes le nerf de la société ; dans votre maturité gît la racine de votre dignité. Dieu ne créa pas le premier homme à l'état d'enfant, mais dans la plénitude de ses forces et de ses perfections corporelles et spirituelles, car il était destiné à être le père, le maître, le guide de toute la famille humaine qui devait sortir de lui. Le genre humain, malheureusement, tomba, et son histoire, dont la première page fut maculée du sang fraternel répandu, n'a pas cessé d'être ensanglantée au cours des siècles, même après que l'homme fut relevé à la hauteur de sa première dignité par le Verbe de Dieu fait chair.

L'Eglise du Christ est la lumière du monde, elle est le sel de la terre, elle est la colonne de la vérité et de la grâce, elle est la chaire de la paix et de la justice. Dans la douloureuse fermentation

de l'humanité, il ne s'agit de rien moins que de tout restaurer et réordonner en Jésus-Christ, de rétablir dans son intégrité et sa vigueur tout l'ensemble de ce corps, dont le Christ est la tête, et qui, tout en triomphant dans le ciel, souffre et combat sur la terre. L'Eglise, fondée sur Pierre, Prince des apôtres, est l'unique bergerie du Christ. Et le Christ, qui donne sa vie pour ses ouailles, afin de les faire vivre en lui et de lui dans son Corps mystique, a d'autres brebis qui ne sont pas encore de son bercail, brebis errantes, inconnues du Pasteur, membres non insérés dans un corps vivifiant, mais séparés, desséchés, sevrés de sève spirituelle, et qu'il est pourtant nécessaire de conduire au divin Pasteur, pour qu'il n'y ait plus qu'un troupeau et un pasteur. En un mot, cette oeuvre de rénovation n'est pas autre chose que le rétablissement du règne de Dieu, inauguré par le Christ, qu'il nous faut chercher d'abord, tandis que le reste nous sera donné par surcroît (Mt 6,33).

On parle beaucoup, aujourd'hui, d'établir un ordre nouveau. A la veille du premier avènement du Christ, quand le monde romain paraissait être l'univers, on attendait déjà un ordre nouveau, et le doux Virgile en chantait la grande espérance, avec le retour de la virginale déesse de la justice : Magnus ab integro saeclorum nascitur ordo ; jam redit et Virgo 3.

En ce moment encore, le monde entier sent le besoin d'une renaissance de l'ordre, où chacun doive travailler à sa façon, à sa place, pour sa part. Voyez les hommes d'Etat : quelle est donc, que veut donc être leur noble mission ? N'est-ce pas d'assurer le bien commun dans l'ordre temporel, en harmonie, bien entendu, avec les exigences de l'ordre éternel et surnaturel ? Voyez, d'autre part, l'Eglise. Sa mission est encore plus haute : restaurer, promouvoir, étendre au sein de la société humaine le règne de Dieu, hors duquel il est impossible de raffermir, même sur le plan purement naturel, cet ordre véritable et sincère, permanent et serein, qui est la juste définition de la paix. Sans doute, il n'est pas donné à tous d'être hommes d'Etat ou d'Eglise, mais même les simples citoyens, les simples fidèles, dans la force adulte de leur jugement et de leur action, résolument dévoués à l'Eglise et à l'Etat, peuvent, par un travail souvent humble et obscur, mais diligent et efficace, soutenir et aider les deux sociétés, religieuse et civile, dans le progrès et la poursuite de leurs fins respectives.

3 Eclog., 4, 5-6.


1) PAR L'INFLUENCE DE LA VIE PERSONNELLE

Si modeste que puisse être la condition de quelques-uns d'entre vous, chers catholiques, si réduits que soient vos moyens et vos champs d'action, c'est déjà beaucoup que d'établir ou de rétablir d'abord en vous-mêmes le règne de Dieu. Et pourquoi ? Parce que, comme disait le divin Maître, c'est de l'abondance du coeur que la bouche parle (Mt 12,34). Un catholique convaincu, fervent, généreux, d'une foi active, quelle grande chose déjà ! Supposons, comme Nous voulons le croire, que chacun des deux cent mille hommes de l'Action catholique italienne soit chrétien catholique à fond, de pensée, de volonté, de pratique, pensez-vous que ce soit peu de chose aux yeux et dans la balance de Celui qui, par amour de dix justes, aurait épargné Sodome de la proie des flammes ? (Gn 18,32). Et si chacun de ces hommes faisait monter sans trêve vers le ciel la prière suppliante d'un coeur vraiment passionné pour la gloire de Dieu, pour le salut du monde ; si Y adveniat regnum tuum s'élançait comme un cri puissant de la légion de tous ces coeurs sincères, croyez-vous qu'un tel cri laisserait insensible le Père éternel, qui ne désire rien tant que voir son Fils bien-aimé, envoyé par lui comme Rédempteur des hommes, régner sur le monde pour le salut du genre humain ?

Deux cent mille hommes catholiques, fervents et priants ! Mais quel ne serait pas déjà le poids, pour la restauration chrétienne en Italie et dans le monde, de cette somme de vertus et de prières ! C'est d'ailleurs bien plus qu'un simple total. Dans l'ordre naturel lui-même, jusque dans l'ordre matériel et physique, il est impossible qu'une force quelconque agisse, sans que, si faible soit-elle, à sa résonance, un effet ne s'ensuive. Et ne voyons-nous pas, n'expérimentons-nous pas comment une petite quantité de radium, par sa seule présence peut, même à travers des parois cuirassées, exercer son action salutaire ou bien dévastatrice avec une puissance inouïe ? Notre pensée, notre vouloir, notre frémissement intérieur tirent de notre âme silencieuse leur vie et leur voix avant que nous les épanchions hors de nous et autour de nous. De même, avant que les découvertes modernes eussent permis de le recueillir et de le percevoir, le coup d'archet le plus délicat faisait déjà vibrer le champ immense des intimes émotions de l'artiste.

Le phénomène se produira d'autant plus dans l'ordre surnaturel que ce dernier surpasse et transcende davantage l'ordre naturel, se répand et s'enfonce profondément dans le monde de l'esprit et de la grâce. Qu'importe que nous ne le voyions pas ? Est-ce que nous voyons notre âme, immortelle de cet avenir qui est éternel et qui se trouve dans la main du Juge suprême, invisible et présent à toutes nos pensées et à notre activité et qui nous récompense si nous avons fait du bien ? Voyons-nous le lien intérieur et spirituel qui unit toutes nos âmes dans le sein de l'Eglise du Dieu vivant, en ce camp de ceux qui croient, qui espèrent et qui aiment ? Elevés par le Christ à l'ordre surnaturel, au-dessus du transitoire et de l'accidentel de la vie de tribulation d'ici-bas, nous avons, selon la doctrine de saint Paul, des yeux pour une double contemplation : avec les yeux du corps nous regardons ce qui se voit et avec les yeux de la foi nous contemplons ce qui ne se voit pas, puisque les choses qui se voient sont temporelles et celles qui ne se voient pas éternelles.

Aucun acte de l'ordre surnaturel, ni élan d'amour, ni oraison jaculatoire ne s'échappe, ne se meut, ne monte au ciel, sans en redescendre comme une rosée bienfaisante, sans agir sur tout le Corps mystique, sans en faire bénéficier le monde entier ! Et quand, avec cet influx mystérieux, invisible, puissant, se conjugue visiblement l'exemple patent de la vie morale et de la pratique d'un chrétien fervent, ne doutez pas que, tôt ou tard, cet exemple n'entraîne, ne signale la victoire sur l'indifférence et sur l'indolence, sur le respect humain et sur les passions ; on verra alors se répandre le sel, qui donne au monde le goût des choses divines, se diffuser la lumière qui, en illuminant les bonnes oeuvres, incite à glorifier le Père qui est dans les cieux, à s'engager sur la route qui mène à la cité qui, située sur la montagne, ne peut échapper à aucun regard (cf. Mt 5,13-16).



2) PAR L'ACTION APOSTOLIQUE EXTÉRIEURE

Telle est l'efficacité de votre vie personnelle. Est-ce pourtant là tout ce que Nous attendons de vous, hommes d'Action catholique ? Non, Nous vous demandons que, se déployant dans l'activité du zèle apostolique, cette vie, resplendissante en vous et pour votre profit, soit lumière et chaleur pour les autres aussi, soit une fleur de vertu qui ne donne pas son parfum seulement dans l'enceinte de votre maison, mais répande, autour de vous, en tout lieu, la bonne odeur de Jésus-Christ, et que, dans le sillage de ce parfum céleste, les âmes en grand nombre se trouvent entraînées. La conscience de la faiblesse de vos forces ne doit pas ressembler à la timidité du prophète Jérémie qui, à l'appel de Dieu, répondait en balbutiant : « Seigneur, mais je ne sais pas parler, je ne suis qu'un enfant ! » (Jr 1,6). Soucieux des difficultés à surmonter, désillusionnés peut-être par l'échec d'efforts antérieurs, n'imitez pas le prophète Elie, fuyant et découragé qui, à l'ombre d'un genévrier, s'étend pour dormir, tristement résigné et appelant la mort ; mais bien plutôt le prophète Elie qui, sur le mont Carmel, défie les adorateurs de Baal et, par sa prière, sa parole et son action, ramène le peuple au culte du vrai Dieu (1R 19,4 1R 18,20).

Même dans l'action apostolique extérieure, chacun de vous peut beaucoup, incomparablement plus que peut-être il ne croit. C'est à vous tous que Nous Nous adressons, et non pas seulement à quelques privilégiés, à ces héros que les conditions de la vie ou des dons extraordinaires prédestinent et préparent à une particulière et splendide mission. A vous tous, sans exception, Nous disons que vous pouvez beaucoup. Il n'est pas nécessaire pour cela de sortir du cercle de vos amitiés, de vos relations de profession ou de métier, de bureau, de travail et de peine, où vous passez d'habitude toute votre journée ; il n'est pas nécessaire que vous fassiez des choses grandes et extraordinaires en dehors ou en plus de votre devoir d'état ; mais dans les limites de l'accomplissement de ce devoir, si humble soit-il, vous pouvez tous, dans le milieu social où la Providence vous a placés, exercer un véritable et fécond apostolat. Voilà la vraie Action catholique des hommes catholiques, proclamée par Notre inoubliable prédécesseur Pie XI !

Chacun de vous, comme tout homme dans le monde, vit au centre de trois cercles concentriques : la famille, la profession ou le métier et le monde extérieur ; et dans ce triple cercle, votre action non seulement peut et doit se développer, mais de fait elle se développe déjà.

a) dans la famille.

Dans la famille, n'exercez-vous pas le rôle de chefs ? Votre parole, votre action, votre impulsion, votre orientation ne doivent-elles pas s'étendre à la génération et même au-delà, qui sourit sur vos genoux, qui se nourrit de votre pain et de vos paternels enseignements, qui, sous votre vigilant et paternel regard, devient adolescente aujourd'hui pour parvenir demain à la maturité ? Vous, hommes faits, conservez de doux souvenirs, une profonde vénération à l'endroit de votre père qui a bien rempli sa mission de chef et qui fut — ou est peut-être encore — dans son âge avancé, et restera même après sa mort, l'image d'un patriarche rayonnant de la beauté et de la dignité d'un tel nom. Quel magnifique spectacle, surtout en certaines régions, offrent ces familles appelées à bon droit patriarcales, où l'esprit de l'aïeul disparu plane encore, perdure, se communique, se transmet de génération en génération, comme le meilleur et le plus sacré patrimoine, gardé plus jalousement que l'or et l'argent ! C'est sur de tels patriarches et sur de telles familles que s'appuie vraiment la société avec toutes ses forces et ses espérances ; c'est de tels foyers, bénis et fécondés par la religion, que la société civile et la patrie tirent leur physionomie la plus sereine, leur cohésion la plus résistante, leur vigueur la plus forte. Là, vous retrouvez l'autorité paternelle respectée et puissante, parce qu'elle est vénérée religieusement, parce que dans son père le fils voit le reflet de la paternité de Dieu, parce que dans ces foyers la foi en Jésus-Christ tient le primat du respect, de l'union, de la soumission et de la concorde.

Mais combien de vertus de base et de soutien suppose ce point de vue ? Vertus humaines de loyauté, de patience, de fermeté, d'obéissance, de tendresse ; vertus surnaturelles, qui exaltent et transfigurent les vertus humaines et, en toute chose et affaire, les revêtent de l'esprit de foi. Le père qui vit, qui pense, qui parle, qui agit en chrétien, même quand il s'agit de choses et d'intérêts d'ici-bas, ne se fait-il pas éducateur et maître de son fils qui l'observe ? Père une seconde fois, non plus de son corps mais de son esprit, par la profonde influence qu'il exerce sur l'esprit de son fils, en lui transfusant son esprit de foi, bien mieux qu'au moyen de conseils et de remontrances ? Ainsi, le père fera de son fils un chrétien comme lui ; et ce fils, à son tour, s'enrichira et fera profit de la sagesse, des paroles, des actions, des traditions paternelles.

Si, sur l'horizon de la famille, domine et resplendit, avec la religion, que présuppose un tel ensemble de vertus, le Soleil du monde, Jésus-Christ, alors le chef de la famille lui-même, à qui ce Soleil fait une auréole, prodigue autant qu'il le peut la lumière de sa sagesse religieuse, la chaleur de son affectueuse charité, l'attrait de son exemple qui attire et stimule. Dès lors, il arrive que si vous pénétrez dans l'enceinte du foyer, vous demeurez doucement émus devant cette pratique de la vie religieuse, quand, le matin, dans la mesure où le permettent les besoins et les occupations de la famille, vous voyez le père, la mère, les enfants se préparer à sortir pour se rendre ensemble à la sainte messe, pour s'agenouiller ensemble, en beaucoup de fêtes, à la Table sainte de l'église. Emus, vous l'êtes aussi quand, le soir venu, après avoir été dispersés par les travaux de la journée, vous retrouvez tout le monde, parents, enfants, domestiques, rassemblés pour la prière commune à la maison. Là, comme dans un véritable sanctuaire, le père, dans un service qui donnait même à la civilisation païenne un caractère de dignité, préside au culte rendu à Dieu avec ce sentiment profond de foi sincère, qui fait qu'à travers les traits du père terrestre resplendit dans la civilisation chrétienne la majesté du Père qui est dans les cieux. Ces familles si vertueuses, Notre prédécesseur Pie XI, d'immortelle mémoire, les comparait à un jardin où doivent spontanément germer et s'épanouir les fleurs du sanctuaire 4. Ne sont-ce pas là, en effet, les plus beaux parterres fleuris de lis et de roses, sur lesquels descend d'ordinaire la souveraine bénédiction céleste des vocations sacerdotales et religieuses ?

b) dans la vie professionnelle.

Mais autour de votre vie familiale s'étend et occupe beaucoup de votre temps le cercle de votre vie professionnelle, diverse et différente selon les inclinations, l'intelligence, les formes et les besoins d'un chacun. L'arène s'élargit, où doit se faire sentir également votre influence spirituelle, même si, par sa nature, votre profession semble n'avoir rien de commun avec l'activité apostolique. Certes, il y a des arts et des professions auxquels il semble que l'exercice de l'apostolat, soit, pour ainsi dire, naturellement inhérent. Voyez le professeur, l'éducateur, l'écrivain, le médecin, l'infirmier ; ne sont-ils pas comme les auxiliaires-nés du prêtre ? Regardez, d'autre part, ceux qui, dans leurs emplois, tiennent un rôle de chefs ; qui douterait qu'ils aient à pratiquer le zèle des âmes ? C'est avec raison également qu'on parle du rôle social, c'est-à-dire de l'action apostolique, du juriste, de l'officier, de l'ingénieur. Mais même dans les métiers manuels de l'ouvrier, de l'artisan, du travailleur des champs, l'ardeur apostolique, pour peu qu'elle galvanise le coeur, sait facilement trouver de quoi alimenter sa flamme et embraser les autres.

Dans ce champ professionnel, la pratique excellente des vertus morales confère au catholique et, par conséquent, à la religion qu'il professe, une estime prééminente et avec l'estime une influence considérable, qui domine sans offenser, qui attire sans violenter, qui agit même sans être sentie. Telle est l'efficacité des vertus morales de probité et de loyauté, surtout quand s'y ajoute l'habileté professionnelle, à laquelle on vise et l'on parvient avec vigueur. Ces qualités

* Cf. Encycl. Ad catholici sacerdotii, 20 décembre 1935.

assurent à celui qui les possède un grand crédit, une attrayante et active réputation dans son milieu, sur ses collègues et sur ses compagnons de travail, sur ses subordonnés, sur les apprentis et sur les commerçants, jusque sur les clients et sur toutes les personnes avec lesquelles sa profession, son art ou son métier le mettent en relations. Il n'est pas rare que l'impression produite sur les maîtres et les supérieurs s'élève à un degré plus élevé que la simple estime humaine. Naturellement, il convient que cette prééminence morale soit dirigée par la prudence et qu'on sache en user et profiter avec discrétion et modération ; plus elle sera de bon aloi et plus elle agira avec adresse et avec fruit. Rappelez-vous que l'apostolat chrétien est multiforme : il y a un apostolat du silence et un apostolat de la parole ; un apostolat d'affection et d'estime et un apostolat d'oeuvre et de secours ; un apostolat d'action et un apostolat d'exemple.

Funestes conséquences du recpect humain.

Oh ! l'exemple, et avant tout l'exemple de la dignité chrétienne ! Ici, le devoir s'impose, impérieux. Rien n'endolorit l'âme comme de voir que, d'ordinaire, ce n'est pas tant la présence d'éléments mauvais qui rend malsain et pernicieux le champ du travail professionnel que le respect humain. Respect humain des jeunes gens, dont certains se donnent des airs désinvoltes et rient de tout ce qui touche à la religion et aux bonnes moeurs ; d'autres suivent des usages inconvenants, sans avoir le courage de réagir, on dirait qu'ils ne connaissent pas d'autre revanche sur ceux qui les ont corrompus que celle de corrompre avec eux les nouveaux venus. C'est ainsi que vous les voyez établir dans les magasins, dans les usines, dans les bureaux, comme des traditions indéracinables, de tristes habitudes de langage, de familiarité, de licence, qui font frémir. Si tout cela est vrai et lamentable dans la jeunesse qui entre dans la vie de travail, bien plus déplorable encore dans ses effets devient le respect humain chez les hommes mûrs, qui pourraient si facilement s'opposer à tant de mal, corriger un abus avec bonne grâce, arrêter une étourderie indécente, faire changer le cours d'une conversation qui, de la légèreté, s'oriente vers l'obscénité. Mais ils n'osent pas ; pourquoi donc ? Parce que le respect humain est comme la peur, comme la crainte de l'obscurité chez les enfants. Et voici alors le spectacle tristement paradoxal : tout un rassemblement d'hommes, de femmes, de jeunes gens, de jeunes filles transforme en lieu de perdition le sanctuaire du travail, tandis que chacun d'eux, dégoûté au fond du coeur de ce qu'il voit, de ce qu'il entend, du manque de dignité et de caractère de l'entourage, et surtout de lui-même, de sa propre couardise et pusillanimité, pourrait, d'une parole lancée à temps, d'un regard sévère, d'un sourire de réprobation, et même d'une facétie, purifier l'atmosphère viciée, certain de s'attirer avec l'approbation des pères et des mères, la respectueuse confiance et même la filiale reconnaissance de ces jeunes gens et de ces adolescents !

Ne vous étonnez donc pas si tout ce que Nous avons dit de la dignité morale du chrétien, Nous l'appliquons également à la dignité professionnelle. C'est pourquoi, où que vous alliez, où que vous vous arrêtiez, quoi que vous fassiez, vous portez avec vous la dignité chrétienne qui, conjointement avec la dignité professionnelle, se révèle et se revêt d'une force très influente et efficace pour éveiller en autrui la conscience du devoir d'état, pour faire disparaître d'humiliantes traditions de gaspillages, de « sabotages », de gains déshonnêtes, tous obstacles d'incalculable embarras dans l'oeuvre de la restauration sociale et chrétienne.

c) dans le monde extérieur.

Enfin, autour de votre personne et de votre famille, autour de votre champ professionnel, s'étend et se meut la grande orbite du monde extérieur, qui entoure et enveloppe tout, monde immense et mélangé. Dans ses rues se rencontrent tous les âges, toutes les conditions, tous les caractères, et en même temps toutes les valeurs et toutes les bassesses, toutes les vertus et tous les vices. C'est la rencontre et le mélange de deux mondes, du monde de Satan et du monde du Christ, qu'est le règne de Dieu sur la terre, dans lequel, s'il y a bien quelque scandale, les anges sauront l'extirper quelque jour (Mt 13,41) 5. Personne ne peut se croire tellement à l'écart, tellement reclus, tellement retenu à son travail et à sa maison qu'il n'ait aucun contact avec le monde, « autrement, comme l'écrit saint Paul aux Corinthiens, vous devriez tout à fait sortir du monde » (1Co 5,10). Un tel contact, un tel commerce sont, peut-on dire, de tous les instants. C'est en vain que vous vous efforceriez de vous confiner dans votre chambre sans jamais en franchir le seuil : le monde lui-même arriverait jusqu'à vous. Jusque dans les cloîtres les plus austères, les plus écartés, dans les forêts et sur les montagnes,

5 Cf. S. Grégoire le Grand, Homil. in Evang. XII, n. 1.

parvient l'écho lointain des voix du monde : rires déplacés, plaintes endolories, chants de volupté ou de haine, clameurs de triomphe ou de désespoir, qui lancent aux âmes dégagées des soucis et des tourments du monde leur appel, leur besoin de piété, d'amour, de prière, de rédemption. Le Christ ne demanda-t-il pas à son Père, à la veille de sa Passion, non pas de tirer du monde ceux qu'il avait appelés ses amis, mais de les garder du mal (cf. Jean xv, 15 ; xvii, 15), tandis qu'il les envoyait au milieu du monde, comme lui-même y avait été envoyé pour soulager, guérir, sanctifier les âmes ? Sans doute, vous n'êtes pas prêtres, mais soyez amis du Christ, apôtres de son amitié et de sa charité divines. Votre apostolat, votre devoir, sont ainsi nettement tracés ; avec le concours de la grâce, que vous obtiendrez par la prière et la vigilance, gardez-vous du mal ; et, par votre zèle et votre charité, qui sont aussi des dons de l'Esprit de Dieu, vous collaborerez à arracher le monde à la domination de Satan pour le replacer et le restaurer dans le royaume salutaire du Christ.

L'action pour défendre la moralité publique.

Comme tous les chrétiens même les personnes simplement dotées de bon sens et d'honnêteté naturelle s'étonnent et s'affligent à la vue de la marée montante de l'immoralité qui, en des temps pourtant si graves, menace de submerger la société. Personne n'hésite à en reconnaître en particulier la cause dans les publications licencieuses et les spectacles déshonnêtes qui s'offrent aux yeux et aux oreilles des jeunes gens et des hommes mûrs, des enfants et des vieillards, des mères et de leurs filles. Et que dire de l'art, de la mode, des moeurs publiques et privées, chez les hommes comme chez les femmes ? On ne peut s'imaginer à quel degré de corruption morale n'ont pas craint de descendre certains auteurs, éditeurs, artistes, divulgateurs de pareilles oeuvres littéraires et dramatiques, artistiques et scéniques, convertissant l'usage de la plume et de l'art, du progrès industriel et des admirables inventions modernes en moyens, en armes et amorces d'immoralité. Ecrits et travaux qui déshonorent les lettres et les arts, mais qui trouvent néanmoins des milliers de lecteurs et de spectateurs. Et l'on voit des adolescents se jeter sur cette nourriture de l'esprit et des yeux avec la fougue et le bouillonnement de leurs passions qui s'éveillent : l'on voit des parents porter et conduire à de tels spectacles leurs garçons et leurs filles, dans le tendre coeur et dans les yeux desquels s'imprimeront ainsi, au lieu d'innocentes et pieuses visions, des désirs et des images fatales qui souvent ne s'effaceront plus jamais.

Que doit-on donc penser ? Que la nature humaine est universellement et profondément dépravée et que sa frénésie de scandale est sans remède ? Non, certes, dans le coeur humain, Dieu a mis comme fondement la bonté, mais qu'assiègent Satan et la concupiscence sans frein. Sauf une petite minorité, le peuple ne chercherait pas spontanément et demanderait encore moins des divertissements malsains s'ils ne lui étaient offerts, présentés et, parfois même, imposés par surprise. Aussi, s'il est vrai que « contre la bonne volonté, la mauvaise volonté se déchaîne » e, il est de souveraine importance d'entrer en lice pour la défense de la moralité publique et sociale. Ce n'est pas un combat avec des armes matérielles et du sang répandu, mais une lutte de pensées et de sentiments entre le bien et le mal. Il convient que tous ceux-là, et ils sont si nombreux, donnent tout leur effort et mettent tout leur talent à créer et à promouvoir une littérature, un théâtre, un cinéma, qui soient éducatifs et sains d'idées et de moeurs, et en même temps intéressants et attrayants, vraies oeuvres d'art. Nous ne saurions trop louer et encourager les intellectuels si méritants qui se dévouent à cette entreprise en vrais apôtres du bien, encore qu'il soit évident que ce genre d'apostolat ne soit pas le fait de tout le monde.

Mais les autres n'auront-ils donc rien à faire ? Peuvent-ils se bercer de l'espoir que l'attrait des bonnes et belles oeuvres suffira à faire naître et triompher invinciblement dans le monde le dégoût et le rejet de toutes les turpitudes ? Sur ce point, personne n'est assez naïf pour se faire illusion ! Vous déclarerez-vous donc désarmés devant les perfides exploiteurs de la presse, de la scène, de l'écran, de l'humour ? Cela serait et paraîtrait injuste à quiconque connaît et envisage la louable législation qui honore notre pays. Aux citoyens responsables, aux pères de famille, aux éducateurs, la voie est donc ouverte pour assurer l'application et l'efficace sanction de ces lois prévoyantes, en présentant aux autorités civiles de façon convenable les dénonciations basées sur des faits, exactes, contrôlées, pour ce qui concerne les personnes, les choses et les paroles, afin que ce qui a été présenté de répréhensible au public soit empêché et réprimé.

Nous ne Nous dissimulons pas que ce travail est immense et divers : immense, il offre un large champ à toutes les bonnes volontés ; varié, il se prête à toutes les aptitudes. Mais si son ampleur a de quoi effrayer et décourager les pusillanimes, elle est bien propre aussi à enflammer d'une plus grande ardeur les âmes généreuses que vous êtes, vous qui avez déjà combattu et vaincu dans de bons combats, vous qui savez bien tout ce qui vous reste à faire : multiplier et organiser vos groupes dans chaque région, dans chaque ville, pour une fin bien définie, une action bien répartie, un travail bien distribué.

EXHORTATION FINALE

Quel vaste amphithéâtre s'offre à l'activité des hommes catholiques qui, en se souvenant de leur jeunesse, dans la religiosité de leur présent, aiment et recherchent la beauté morale de la jeunesse qui monte au sein du peuple ! Du centre de votre famille, du cercle de votre profession, vous entrez dans l'immense arène du monde extérieur pour la sauvegarde de la moralité chrétienne contre les moeurs paganisantes, animés de cet esprit supérieur avec lequel, dans les cirques de Rome, les martyrs, les vierges, les matrones romaines luttaient et mouraient, non seulement en témoins de la foi du Christ, mais en champions et en vengeurs de la modestie et de la pureté. Marchez, persévérez vous-mêmes dans ce projet social et saint qui est en même temps l'honneur et la défense de la grandeur du pays, en implorant du ciel vertu et réconfort, et tandis que s'élèvera votre fervente prière, descendront d'en haut les armes spirituelles et la force qui, dans toute épreuve pour le bien, soutiennent la faiblesse du héros chrétien.

Cependant, quant à Nous, chers fils, en implorant du Seigneur la fécondité de la grâce divine sur votre oeuvre, Nous vous accordons dans toute l'effusion de Notre coeur, Notre paternelle Bénédiction apostolique.




Pie XII 1942 - RADIOMESSAGE AU IVe CONGRÈS EUCHARISTIQUE NATIONAL DU BRÉSIL (7 septembre 1942)