Pie XII 1943





PONTIFICAUX

de Sa Sainteté PIE XII

« Nous jugeons que Notre haute et principale mission est la défense et la sauvegarde de l'héritage spirituel de nos saint? et éclairés prédécesseurs et la dénonciation avec franchise, mais avec amour, des erreurs qui se trouvent à la racine de tant de maux. »

2 juin 1943 Pie XII.


DOCUMENTS PONTIFICAUX

DOCUMENTS PONTIFICAUX

de Sa Sainteté PIE XII

publiés sous la direction de

MSr SIMON DELACROIX

EDITIONS SAINT-AUGUSTIN SAINT-MAURICE (Suisse)


IMPRIMATUR

Seduni, die 22. Augusti 1962 Jos. BAYARD Vic. gen.

Tous droits réservés

PRÉFACE

DE SON ÉMINENCE LE CARDINAL MARELLA

La publication des Documents pontificaux de S. S. Pie XII en leur traduction française est une entreprise si utile, non seulement à la compréhension de la pensée et de l'action de ce grand pape, mais aussi à la juste appréciation de l'action de la papauté durant la seconde guerre mondiale, plus encore à la connaissance et à la claire vision de la mission de l'Eglise dans le monde contemporain, que je suis heureux d'apporter à nouveau et de grand coeur mes encouragements à cette oeuvre et à ses bons ouvriers.

Cette collection se signale par des mérites qui en font l'originalité. Sa volonté d'être complète, la soigneuse vérification et présentation des textes et la richesse des tables qui les répertorient en font un instrument de travail de premier ordre, indispensable à quiconque veut aisément s'orienter dans la production extraordinaire de Pie XII. Aussi suis-je heureux d'en saluer le proche achèvement qui est annoncé pour la fin de la présente année.

La Providence avait magnifiquement préparé Pie XII à la tâche quasi surhumaine qu'elle allait imposer à son pontificat. De cet observatoire qu'en l'occurrence on peut qualifier de privilégié qu'était la nonciature apostolique en Allemagne, il avait pu voir grandir la menace qui planait sur le monde. Depuis 1930 secrétaire d'Etat de Pie XI, il fut, près de vingt années durant, le confident de ce pape, dont le vigoureux tempérament appréciait sa souplesse d'esprit, son dévouement inlassable et son inaltérable douceur.

La guerre mit à rude épreuve sa sensibilité si vive. Mais elle le trouva d'un courage intrépide et d'une lucidité sans égale. Il tenta l'impossible pour l'éviter et il ne cessera de le rappeler avec force. Le conflit déchaîné, il ne songera plus qu'à partager l'angoisse de ses enfants et à consoler les victimes du monde entier. Il ne manquera aucune occasion d'adoucir leurs souffrances par ses paroles de compassion et ses encouragements à l'espérance. Devant les ruines qui s'accumulent et les atteintes portées aux populations civiles, il rappellera aux belligérants les lois de la guerre. Il ne cessera avec une patience inlassable d'éclairer les esprits sur les origines lointaines et les causes profondes du drame gigantesque au fur et à mesure que se développe la tragédie. Il en mesure les conséquences imprévisibles et traduit les sentiments de tous les hommes qui souffrent en proclamant la nécessité d'instaurer dans l'après-guerre un monde nouveau.

Ses messages de Noël sont désormais un événement attendu par le monde anxieux et suscitent de longs retentissements. Admirable connaisseur de son temps et défenseur intrépide de la vérité, il diagnostique et analyse avec une lucidité et une netteté courageuses et incomparables les raisons du conflit. Conscient plus encore que ses illustres prédécesseurs du rôle que l'Eglise peut jouer dans le monde, il rappelle et précise l'ampleur de sa mission et revendique l'honneur et le devoir d'en être le théologien et le héraut.

Ce diagnostic et cette analyse lui permettent d'indiquer, chaque année avec plus d'ampleur et de précision, les conditions fondamentales qui devront être réunies pour établir une paix durable entre les peuples. Il est amené ainsi à définir les bases d'un droit international qui devra régir la société de l'après-guerre.

Nul pape n'avait jusqu'alors donné cet enseignement, abordé le problème de la guerre et de la paix avec une telle vigueur, proposé aux hommes, aux non-chrétiens comme à ses fils, un idéal de concorde aussi précis et aussi riche de sagesse que d'expérience.

Pour atteindre tous les hommes, quel que soit leur credo philosophique, Pie XII ne cessera, depuis 1942, d'en appeler non seulement à l'ordre surnaturel et au précepte de la charité, mais encore au droit naturel et aux lois de la solidarité humaine.

L'équilibre et la richesse de son information et de sa pensée furent une des raisons qui lui valurent une telle audience. Son enseignement original, dans le domaine international surtout, a apporté une contribution de premier ordre à l'instauration d'un ordre nouveau. Son action si riche, si multiforme et si féconde, lui a valu d'être reconnu par tous comme le pape de la paix.

Pie XII n'est plus, mais son enseignement demeure. Il appartient à tous les catholiques d'en comprendre la valeur en même temps que la grandeur et de le connaître assez pour le faire connaître autour d'eux, et travailler ainsi, comme il n'a cessé pendant dix-neuf années d'y inviter les chrétiens, à l'édification d'un monde nouveau plus juste et plus fraternel auquel aspirent tous les hommes de bonne volonté.

f PAUL, cardinal MARELLA


INTRODUCTION

La guerre en cette année 1943 a raréfié le nombre des visiteurs venus au Vatican chercher les encouragements, les consignes et la bénédiction de Pie XII. Le long enseignement qu'il avait entrepris de donner aux jeunes époux qui formaient jusqu'alors la partie la plus nombreuse de ses auditeurs prend fin cette année par cinq discours dans lesquels le Saint-Père traite du foyer centre de rayonnement (29), des vertus qui doivent y fleurir (82, 88) et, en particulier, de la foi (109 à 123).

La guerre se prolonge. Son action destructrice s'étend. Pie XII, «• vigie attentive choisie et placée par Dieu pour la garde de toute la famille humaine », ne cesse d'alerter l'opinion sur les causes qui l'ont provoquée. « Les peuples de la terre expient en ce moment les erreurs de leurs penseurs et de leurs maîtres », dit-il au nouvel ambassadeur d'Italie. La leçon ? L'absolue nécessité pour la coexistence pacifique des nations des principes et valeurs morales qui découlent de la vérité éternelle (53, 54) et « la dénonciation avec franchise mais avec amour des erreurs qui se trouvent à la racine de tant de maux» (128).

Plus le conflit s'étend, plus Pie XII est soucieux de remplir sa mission qui est la mission de l'Eglise et qu'il a, on l'a vu dans les documents des années précédentes, conçue plus large qu'aucun de ses prédécesseurs et qu'il ne cesse de proclamer. « L'Eglise, gardienne de la justice et de la paix non seulement entre les peuples, mais encore entre les classes d'un même peuple, partout où elle en aura la possibilité, exercera sa mission surnaturelle de messagère de vérité, de tutrice des normes du droit, de protectrice de la sainte discipline et de l'honnêteté morale, d'éducatrice sage et maternelle de la jeunesse, de promotrice de la concorde au sein de la communauté sociale, de courageuse promulgatrice d'une conception de la vie consciente et responsable de ses propres devoirs» (213).

L'action de l'Eglise et des chrétiens sur la marche du monde ne cesse de le préoccuper. L'histoire ignore que, du mouvement réformiste de Cluny à la Révolution française, en passant par la réforme thérésienne, « les grands faits et gestes de l'Epouse du Christ ont toujours été dirigés et soutenus par la prière et le sacrifice des fidèles ». Et à l'occasion de son centenaire de souligner l'importance de l'Apostolat de la Prière et de ses orientations vers les besoins spirituels du monde (21-25).

Mais cet esprit de prière est en baisse. Les prédicateurs de carême doivent rappeler la nécessité de la prière personnelle, de la prière familiale, de la sanctification du dimanche (61-69). Tous les chrétiens y sont conviés au mois de mai (93), pour l'Assomption (222), à l'occasion du premier anniversaire de la consécration du genre humain au Coeur Immaculé de Marie (273).

Mais la prière ne saurait dispenser de l'action. Pie XII plus qu'aucun de ses prédécesseurs a fait confidence de la haute idée qu'il se faisait de la mission du pape dans un monde dévoyé, douloureux et bouleversé.

Pie XII parle, recommande avec insistance la prière, mais aussi il agit. Son action est tout à la fois si discrète et en même temps si puissante qu'il est accusé tout à la fois de partialité et de silence. Il a dit lui-même la situation difficile dans laquelle le mettait « la violence des passions » qui donne prise aisément aux tentatives d'altération ou de travestissement de la parole du Vicaire du Christ, malgré « l'évidence même des faits, non moins que la clarté du langage ».

Pie XII sera même contraint de se défendre avec vigueur. Car la calomnie s'en mêle. « Une propagande d'esprit antireligieux s'en va semant parmi le peuple, surtout dans les milieux ouvriers, le bruit que le pape a voulu la guerre, que le pape entretient la guerre et fournit l'argent pour la continuer, que le pape ne fait rien pour la paix» (143). Aussi doit-il faire remarquer que « toute parole » adressée par lui «• aux autorités compétentes, toute allusion publique » doivent être «- sérieusement pesées et mesurées » dans l'intérêt même de ceux qui souffrent. Mais c'est pour proclamer aussitôt que le pape n'a pour tous les peuples indistinctement et sans aucune exception que des pensées de paix et non d'affliction (226).

Sa seule partialité, il le déclare avec force, le porte vers ceux qui sont faibles et abandonnés ; les travailleurs dont « l'Eglise affirme et défend courageusement les droits» et les aspirations (139); ceux qui sont persécutés « à cause de leur nationalité, de leur race... et livrés, même sans faute de leur part, à des mesures d'extermination» (129); «les petites nations » aussi qui « par leur position géographique ou géopolitique » deviennent « le théâtre de luttes dévastatrices » ( 129). L'allusion aux persécutions des Juifs est claire. La défense des petites nations vise « le sort tragique du peuple polonais » ( 130). Et de rappeler encore tous les belligérants au respect du droit et « des lois de l'humanité dans la guerre aérienne» tout spécialement (131).

Car les bombardements aériens ne font que croître en intensité. Le premier qui atteint Rome, le 19 juillet, fait frémir son coeur d'évêque, de père et de Romain de Rome, et chacun sait quelle émotion populaire il souleva quand il se précipita pour consoler les habitants des quartiers de Saint-Laurent hors les murs et de Campo Verano durement touchés et aussi pour rappeler au respect des richesses chrétiennes et artistiques de Rome (219, 282). L'attaque contre la Cité du Vatican, le 6 novembre, lui paraît le « symptôme difficile à dépasser du degré de bouleversement spirituel et de déchéance morale de la conscience dans lesquels certains esprits pervertis sont tombés» (285).

Le mal est au coeur de l'homme. La guerre est la conséquence inexorable de ses erreurs et surtout de son abandon de la foi chrétienne. Les faits sont là, terribles accusateurs. La déchristianisation le préoccupe. Elle est un des caractères essentiels dans l'histoire de la civilisation en Europe durant les deux derniers siècles ( 16, 17). « La route suivie par l'humanité dans la confusion actuelle des idées a été une route sans Dieu, et même contre Dieu ; sans le Christ et même contre le Christ ». Les mystiques de remplacement ont fait faillite et laissé les hommes aigris et désemparés.

Ses appels à la paix se font plus pressants et sont marqués au coin d'une très fine psychologie de diplomate. La paix viendra un jour. « L'aspiration des peuples à la paix » doit être entendue.

Cette paix, il faut dès maintenant la préparer. Il en rappelle les conditions foncières. Pour qu'elle soit durable, il est nécessaire qu'elle soit juste et « digne », acceptable pour tous les peuples et qu'elle n'offense ni leur droit à la vie ni leur sentiment d'honneur. Et aussi les conditions psychologiques. Pour les chefs responsables d'abord, «• la vraie paix n'a pas à craindre d'être généreuse ». « La vraie paix n'est pas le résultat, pour ainsi dire, mathématique, d'une proportion de forces, mais, dans sa dernière et plus profonde signification, une action morale et juridique... La fonction propre de la force, si elle veut être moralement irréprochable, doit servir à protéger et à défendre, non à restreindre ou à opprimer le droit» (302).

Le discours traditionnel au Sacré Collège à l'heure des vaux (281) appelle les hommes à l'espérance chrétienne par-delà les espoirs et les ambitions humaines déçus. La faillite des espoirs mis dans la vertu de l'expansion économique, dans la valeur suprême de la science et de la culture, dans la poursuite d'un travail acharné, dans les jouissances de la vie, dans la force physique ou dans le confort est désormais éclatante.

L'heure des chrétiens a sonné. L'heure de l'examen lucide d'abord. <i II convient pourtant que la chrétienté considère aussi cette part de responsabilité qui lui incombe dans les épreuves d'aujourd'hui. Beaucoup de chrétiens n'ont-ils pas fait, peut-être, eux aussi, des concessions à ces fausses idées et à ces manières de vivre, si souvent désapprouvées par le magistère de l'Eglise ? » L'heure de l'action résolue ensuite «• pour reconstruire un nouveau monde social au Christ» (298).


S. DELACROIX.

DOCUMENTS PONTIFICAUX

ALLOCUTION AU PATRICIAT ET A LA NOBLESSE ROMAINE

(11 janvier 1943) 1

S'adressant aux représentants du patriciat et de la noblesse de Rome, le Saint-Père a rappelé la haute vocation de la noblesse et surtout ses responsabilités en face de la déchristianisation.

Aux souhaits fervents, chers fils et filles, que votre illustre interprète Nous a présentés en votre nom en termes si élevés, comment pourraient ne pas répondre les voeux que Nous adressons à Dieu pour vous ? Nous éprouvons, en ce moment, une douce consolation et une joie profonde qui ne sont pas anéanties par la tristesse de l'heure présente, parce qu'en vos personnes Nous voyons en quelque sorte représentée devant Nous toute Notre chère Rome. La divine Providence vous a élevés, au cours de l'histoire, à une situation aussi éminente ; vous en avez conscience et en concevez en même temps une légitime fierté ainsi qu'un sentiment de grave responsabilité.

Par privilège de naissance, le conseil divin vous a placés comme une cité sur la montagne ; vous ne pouvez donc rester cachés (cf. Matth. Mt 5,14) ; elle vous a ensuite destinés à vivre en plein XXe siècle, actuellement en des jours de restrictions et d'angoisses. Si vous êtes encore placés dans les hautes sphères et si, vous, vous dominez de haut, ce n'est plus à la manière de vos ancêtres. Vos aïeux, vivant sur leurs rocs et dans leurs châteaux isolés, difficilement accessibles, pourvus d'une formidable garde — tours et manoirs épars dans toute l'Italie, y compris la région romaine — avaient là un refuge contre les incursions de rivaux ou de malfaiteurs, y

1 D'après le texte italien de Dhcorsi e Radïomessaggi, t. IV, p. 357 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XÎI, t. V, p. 25.

organisaient la défense armée et de là descendaient combattre dans la plaine. Vous aussi, leurs petits-fils, vous attirez vers vous les regards de ceux qui vivent en bas dans la vallée. Considérez dans l'histoire les grands noms, ceux que vous portez, rendus fameux par la valeur militaire, par les services sociaux dignes de toute louange et de toute récompense, par le zèle religieux, par la sainteté ; quelles nombreuses auréoles de gloire ceignent leur front ! Le peuple les a chantés et exaltés par la voix de ses écrivains et de ses poètes, par la main de ses artistes ; mais il a jugé aussi, et il juge encore, avec une implacable sévérité, qui va parfois jusqu'à l'injustice, leurs erreurs et leurs fautes. Si vous en cherchez la raison, vous la trouverez dans leur haute charge, dans leur poste de responsabilité, qui ne s'accommodent ni des chutes ni des manquements, ni même d'une honnêteté commune ni d'une simple et ordinaire médiocrité.

Responsabilité de la noblesse à l'égard du peuple.

La responsabilité que vous, chers fils et filles, et en général la noblesse, portez à l'égard du peuple, n'est pas aujourd'hui moins lourde que celle qui déjà pesait jadis sur vos ancêtres des siècles passés, ainsi que l'enseigne si clairement l'histoire.

Si, en effet, nous regardons les peuples qui, autrefois, dans l'union et la concorde professaient la foi et vivaient dans la civilisation chrétienne, nous voyons présentement de vastes champs de ruines religieuses et morales et bien rares sont les contrées du vieil Occident chrétien au sein desquelles l'avalanche du bouleversement spirituel n'a pas laissé de traces de sa dévastation.

Non pas certes que tout et tous en soient restés bouleversés et opprimés ; bien au contraire, Nous n'hésitons pas à affirmer que rarement au cours des âges la vivacité et la fermeté de la foi, le dévouement au Christ et l'ardeur à défendre sa cause n'ont été dans le monde chrétien aussi notoires, aussi manifestes, aussi vigoureux qu'aujourd'hui, à tel point qu'on pourrait, à divers points de vue, faire comme une comparaison avec les premiers siècles de l'Eglise. Mais la comparaison elle-même fait apparaître le revers de la médaille.

La déchristianisation actuelle a commencé par les classes dirigeantes.

Le front chrétien se heurte maintenant encore contre une civilisation non chrétienne, et même, dans notre cas — et c'est ce qui

aggrave la situation par rapport aux premiers siècles du christianisme — contre une civilisation qui s'est éloignée du Christ. Cette déchristianisation est aujourd'hui si puissante et si audacieuse qu'il est trop souvent difficile à l'atmosphère spirituelle et religieuse de se répandre et de se maintenir entièrement libre et préservée de son souffle empoisonné.

Il convient cependant de rappeler que cet acheminement vers l'incrédulité et l'irréligion a commencé, non pas d'en bas, mais d'en haut, c'est-à-dire par les classes dirigeantes, par les couches élevées de la société, par la noblesse, par les penseurs et les philosophes. Nous n'entendons pas parler ici — notez-le bien — de toute la noblesse, et encore moins de la noblesse romaine qui, dans l'ensemble, s'est distinguée par sa fidélité à l'Eglise et au Siège apostolique — les éloquentes et filiales expressions que Nous venons d'entendre en sont une nouvelle et lumineuse preuve — mais, en général, de la noblesse européenne. Au cours des derniers siècles n'a-t-on pas constaté, dans l'Occident chrétien, une évolution spirituelle qui, pour ainsi dire, horizontalement et verticalement, en largeur et en profondeur, démolissait toujours plus et foulait aux pieds la foi conduisant à cette ruine que présentent aujourd'hui des multitudes d'hommes sans religion et hostiles à la religion, ou tout au moins, poussés et égarés par un scepticisme profond et déraisonnable envers le surnaturel et le christianisme ?

Les origines de l'athéisme dans la haute société.

L'avant-garde de cette évolution a été la Réforme protestante durant les vicissitudes et les guerres de laquelle la noblesse européenne se détacha de l'Eglise catholique et s'appropria ses biens. Mais l'incrédulité proprement dite se répandit dans les temps qui précédèrent la Révolution française. Les historiens notent que l'athéisme, même sous l'apparence du déisme, s'était alors propagé rapidement parmi la haute société en France et ailleurs : croire en Dieu Créateur et Rédempteur était devenu, dans ce monde adonné à tous les plaisirs des sens, une sorte de chose ridicule et indigne d'esprits cultivés et avides de nouveauté et de progrès. Dans la plupart des « salons » des dames les plus distinguées et les plus raffinées, où l'on agitait les problèmes les plus ardus de religion, de philosophie, de politique, les lettrés et les philosophes, fauteurs de doctrines subversives, étaient considérés comme l'ornement le plus beau et le plus recherché de ces centres mondains. L'impiété était de mode dans la haute

t noblesse, et les écrivains les plus en vogue auraient été moins audacieux dans leurs attaques contre la religion s'ils n'avaient pas recueilli les applaudissements et les encouragements de la société la plus élégante. Non pas, certes, que la noblesse et les philosophes se proposassent tous et directement comme but la déchristianisation des masses. Au contraire, la religion, pensaient-ils, devait rester pour le simple peuple comme un moyen de gouvernement aux mains de l'Etat. Quant à eux, ils se sentaient et s'estimaient supérieurs à la foi et à ses préceptes moraux ; politique qui s'est vite avérée funeste et à courte vue, même pour qui la considérait sous son aspect purement psychologique. Avec une logique rigoureuse, puissante pour le bien, terrible pour le mal, le peuple sait tirer les conséquences pratiques de ses observations et de ses jugements, quelque fondés ou erronés qu'ils soient. Consultez l'histoire de la civilisation des deux derniers siècles : elle vous révèle et vous montre manifestement quels préjudices causèrent à la foi et aux moeurs des peuples le mauvais exemple venu d'en haut, la frivolité religieuse des classes élevées, da lutte ouverte des intellectuels contre la vérité révélée.

mission du patriciat et de la noblesse romaine.

Et maintenant, que faut-il déduire de ces enseignements de l'histoire ? Qu'aujourd'hui le salut doit avoir son point de départ là même où la perversion a commencé. Il n'est pas en soi difficile de maintenir dans le peuple la religion et les saines moeurs lorsque les hautes classes le précèdent par leur bon exemple et créent des conditions publiques qui ne rendent pas difficile outre mesure la pratique de la vie chrétienne mais la favorisent et la présentent comme réalisable et douce. Ne serait-ce pas votre tâche à vous aussi, chers fils et filles, qui par la noblesse de vos familles et par les charges que vous occupez bien souvent appartenez aux classes dirigeantes ? La grande mission qui vous est confiée, et avec vous à beaucoup d'autres — c'est-à-dire de commencer par la réforme et le perfectionnement de la vie privée, en vous-mêmes et dans votre maison, et puis de vous employer, chacun à son poste et pour sa part, à faire surgir un ordre chrétien dans la vie publique — ne permet ni atermoiement ni retard. Mission très noble et riche de promesses en un moment où en réaction contre le matérialisme dévastateur et avilissant on constate dans les masses une nouvelle soif des valeurs spirituelles, et contre l'incrédulité, une très forte inclination des âmes vers les choses religieuses ; manifestations qui laissent espérer que le niveau le plus bas de la décadence spirituelle est désormais arrêté et dépassé. C'est donc à vous que revient la gloire de faire que, en vous élevant par la lumière et l'attrait du bon exemple, au-dessus de toute médiocrité non moins que par de bonnes oeuvres, ces initiatives et ces aspirations au bien religieux et social aboutissent à leur heureuse réalisation.

Que dire de l'action efficace et de la puissance des coeurs généreux de votre rang qui, pénétrés de la grandeur de leur vocation, ont consacré entièrement leur vie à répandre la lumière de la vérité et du bien, de ces « grands seigneurs de la plume », ainsi qu'on les a appelés, grands seigneurs de l'action intellectuelle, morale et religieuse ? Notre voix ne saurait trop les louer ; c'est à eux que le divin Maître adresse la haute louange de bons et fidèles serviteurs qui font rapporter d'excellents fruits aux talents qui leur ont été confiés.

Nous ajoutons volontiers que la fonction de la noblesse n'est pas de se contenter de resplendir à la manière d'un phare, qui éclaire les navigateurs mais qui ne bouge pas. Votre noble rôle est de vous tenir aussi aux aguets, du haut de la montagne sur laquelle vous êtes placés, toujours prêts à guetter dans la basse plaine toutes les peines, les souffrances, les angoisses pour descendre les soulager, comme de bons consolateurs et secouristes. En ces temps de calamité, quel vaste champ s'offre au dévouement, au zèle et à la charité du patriciat et de la noblesse ! Combien de grands exemples de vertu de la part d'illustres membres de la noblesse viennent réconforter Notre coeur ! Certes, si la responsabilité devant les besoins est grande, l'action de celui qui s'engage est d'autant plus glorieuse qu'elle est plus pénible ! Vous serez de la sorte de plus en plus à la hauteur de votre rang, car le Père céleste qui vous a, d'une façon particulière, choisis et élevés pour être un refuge, une lumière, un secours au milieu du monde désolé, ne manquera pas de vous accorder en abondance et surabondance les grâces nécessaires pour répondre dignement à votre haute vocation.

Oui, véritablement haute est votre vocation, dans laquelle esprit chrétien et condition sociale s'unissent et rivalisent pour faire resplendir cette bonté diffusive d'elle-même, vous acquérant avec profusion des mérites et de la reconnaissance auprès des hommes et aussi des mérites plus grands et plus précieux auprès de Dieu, juste rémunérateur du bien fait au prochain qui est considéré par lui comme fait à lui-même. Ne cessez donc pas de vous employer afin que, par votre action généreuse, non seulement soit honoré votre nom bienfaisant, mais encore que le peuple exalte ce christianisme qui anime votre vie, inspire votre activité et vous élève vers Dieu.

C'est en implorant de Dieu, chers fils et filles, toutes les faveurs célestes sur vos familles, sur vos enfants à l'ineffable sourire, sur les tout jeunes gens de la sereine adolescence, sur les jeunes gens à l'ardeur confiante, sur les hommes mûrs aux desseins virils, sur les vieillards aux sages conseils, honneur et soutien de vos illustres familles, et spécialement sur les chers et valeureux absents, objet de vos pensées anxieuses et de votre particulière affection, Nous vous donnons, avec toute l'effusion de Notre âme, Notre paternelle Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION AUX MEMBRES DE L'APOSTOLAT DE LA PRIÈRE - 17 janvier 1943

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. IV, p. 365 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. V, p. 30.

Aux 7000 membres des centres italiens de l'Apostolat de la Prière qui lui ont été présentés par le R. P. Venturini, S. ]., le Saint-Père a adressé le discours suivant sur l'importance de la prière et spécialement du « Pater » dans l'Eglise et la vie du monde entier.

En vous contemplant ici, réunis autour de Nous, chers croisés de l'Eucharistie, chers zélateurs, zélatrices, directeurs et membres de l'Apostolat de la Prière, il semble que Nous puissions faire Nôtre, en la revivant pour ainsi dire, une scène grandiose et émouvante que nous présente la Sainte Ecriture. Nous voyons au sommet du mont Horeb, tandis que le peuple de Dieu combattait dans la plaine, Moïse priant les bras levés vers le ciel, image anticipée et inconsciente du grand Médiateur aux bras étendus sur la croix. Aux côtés du guide en prière, de peur que les forces ne vinssent à lui manquer dans cette fatigante attitude de supplication, deux de ses plus fidèles compagnons lui soutenaient les bras avec une filiale sollicitude, pleins de foi dans l'efficacité de la prière de leur chef (Ex 17,9-14).

Nous aussi, du haut de cette colline du Vatican, Nous assistons à une grande lutte, incomparablement plus vaste et plus terrible que celle, pourtant cruelle, qui met en conflit, les uns contre les autres, les peuples de la terre ; lutte spirituelle, qui n'est pas autre chose qu'un épisode de la lutte permanente et profonde du mal contre le bien, de Satan contre le Christ.

Pour Nous, les mains tendues vers le ciel, Nous sentons peser sur Nos épaules le poids d'une indicible responsabilité, et Notre coeur éprouve une douleur profonde qui trouve en vous, Nos fils très fidèles, un réconfort du fait que vous vous tenez auprès de Nous, unissant votre prière à la Nôtre, vos sacrifices à Nos peines, vos activités à Nos fatigues. N'est-ce pas vous, en effet, qui, au cours de chaque mois, unissez « toutes vos prières, actions et souffrances de la journée » aux grandes intentions générales de la divine Victime, à la réparation des péchés et aux intentions particulières que Nous vous donnons Nous-même comme consigne ?

Importance de la prière dans la vie de l'Eglise.

1. — Le monde trop souvent a ou se fait une idée bien mesquine de la force de la prière et de ceux qui prient. Il ne voit dans la prière qu'une occupation pieuse bien tranquille, ou une supplication d'un coeur inquiet, ou encore l'exaltation lyrique d'âmes absentes de la terre et de la vie commune et sociale, âmes qu'il appelle mystiques, sans comprendre la beauté, la grandeur, la signification profonde de ce mot.

Elle était donc absente de la terre et elle se désintéressait du monde la grande mystique Thérèse d'Avila, dont l'oeuvre était inspirée et guidée par l'ardent désir d'arracher les pays catholiques à l'erreur qui envahissait et déchirait le sein de l'Epouse du Christ ? 2 D'ailleurs, l'un des coryphées de la libre-pensée, au siècle dernier, donna à la méprisante conception de frivoles amateurs de philosophie un vigoureux démenti en disant : « Thérèse fut un véritable adversaire de la Réforme. Elle fonda un ordre religieux pour la combattre par la prière, par les larmes et par l'amour. On n'avait jamais entendu semblables gémissements depuis le Golgotha. »

La prière, les larmes, l'amour sont réellement de grandes choses ; ce sont les dons que chaque matin vous présentez au Coeur de Jésus, par l'intermédiaire du Coeur immaculé de Marie, dans votre offrande quotidienne de l'Apostolat de la Prière ; ce sont les dons de votre coeur au Coeur de Jésus, afin qu'il vous réconforte, vous et le monde, dans les peines et les fatigues d'ici-bas.

Vous les offrez en union avec les sacrifices que Jésus lui-même offre continuellement sur l'autel. Mais, comme vous êtes unis à Lui, votre prière, elle aussi, doit monter vers le Père éternel, de cette terre dont vous prenez en main et faites vôtres tous les intérêts.

2 Cf. Ste Thérèse d'Avila, Chemin de la perfection, chap. I.

Car on ne peut comprendre pleinement le caractère et la vigueur de l'Eglise ni mesurer adéquatement les bienfaisants effets de son action, si on ne tient pas compte et si on n'apprécie pas particulièrement les prières et les sacrifices offerts ainsi par les fidèles. La recherche historique se propose l'entreprise ardue d'examiner et de déterminer jusqu'à quel point et dans quel degré l'Eglise est parvenue, au cours des diverses périodes de son existence, à accomplir la mission qui lui a été confiée. Nous n'entendons pas ici examiner les difficultés d'ordre général que rencontre pareille entreprise, ni non plus, sans nous arrêter à une étude qui semble presque impossible, renfermer en quelque sorte dans les limites de formules historiques le tranquille courant, toujours puissant même dans les temps de trouble et de déclin, de la vie et de l'activité quotidiennes de l'Eglise. Sur un point, cependant, une telle recherche historique est en défaut. La fin propre de toute l'action de l'Eglise est surnaturelle ; c'est pourquoi ce n'est que dans l'autre monde qu'apparaîtront avec une lumineuse clarté les immenses bienfaits qu'elle a apportés à la famille humaine, ainsi que le grand nombre d'âmes que, par la vertu de la prière et du sacrifice du Christ et des fidèles unis à Lui, elle a conduites à Dieu et à leur bonheur éternel. Quant à vous, chers fils et filles, vous pouvez avoir la joyeuse et sûre conscience d'appartenir, comme disciples du passé, comme avant-gardes du présent et de l'avenir, à l'armée de ceux qui, grâce à leurs sacrifices et à leurs prières de chaque jour, ont coopéré, coopèrent et coopéreront avec le Christ à l'obtention de cette fin sublime.

Le « Pater », prière apostolique.

2. — La vraie prière du chrétien, enseignée à tous par Jésus, mais qui est, à un titre spécial, la vôtre, est essentiellement une prière d'apostolat. Elle assume en elle-même la sanctification du nom de Dieu, l'avènement et la diffusion de son règne, la filiale adhésion aux dispositions de son amoureuse Providence et à sa volonté rédemptrice et bienfaisante ; puis tous les intérêts, matériels et spirituels des hommes : le pain quotidien, le pardon des péchés, l'union fraternelle qui ne connaît ni haine ni rancoeurs, le secours dans les tentations afin de ne pas succomber, la délivrance de tout mal. De quelle autre plénitude un si grand cumul de faveurs peut-il venir sinon des trésors de Dieu, de ce Dieu qui daigne les accorder à notre prière ? Voilà pourquoi, dans le malheur et la crise immense du genre humain, Nous avons confiance en l'aide de vos prières plus encore qu'en l'habileté des plus sages hommes d'Etat et en la valeur des plus intrépides combattants. Devant Dieu, l'arme de la prière et de la foi est plus puissante que ne le sont les armes d'acier et de bronze.

De tout cela, l'histoire ne rend-elle pas, dans chacune de ses pages, un témoignage éclatant ? Les grands faits et gestes de l'Epouse du Christ ont toujours été dirigés et soutenus par la prière et par le sacrifice des fidèles. La restauration ecclésiastique, au XIe siècle, fut préparée par le mouvement de Cluny, commencé déjà cent ans auparavant : mouvement de vie intérieure, de prière, de moeurs pures et austères, qui traça le sillon aux grands hommes d'Eglise, ayant à leur tête Grégoire VII. Jetez un rapide coup d'oeil sur le XVIe siècle, si douloureux pour la catholicité. Au cours des premières décennies, on entend de toutes parts de hautes lamentations sur la décadence morale. Mais vers la fin du siècle, voici refleurir l'Eglise, animée d'une force juvénile, avec une prospérité et dans une sainteté que l'on ne connaît qu'en ses temps les plus heureux et les plus fortunés. Qui a opéré un si admirable changement ? L'histoire l'attribue au puissant travail de réforme ecclésiastique, d'une façon particulière aux décrets du Concile de Trente. Mais à quoi auraient servi tous les programmes et décrets de réforme sans la préparation, la collaboration et les prières des grands saints, dont ce siècle fut riche comme bien peu d'autres de l'histoire de l'Eglise ? On s'est demandé avec un sentiment de stupeur comment la France catholique avait pu survivre à la tempête de la grande Révolution, qui semblait avoir détruit toute trace de vie ecclésiastique. La recherche historique a répondu que le mérite principal en revient à la piété et à la foi intrépide de la femme catholique. Mais ce ne sont là que quelques exemples entre mille.

Si aujourd'hui l'Eglise se trouve en face d'immenses devoirs et de multiples préoccupations : action en faveur de la paix, oeuvres de charité et d'aide à ceux qui souffrent, travail missionnaire, retour des incrédules à la foi, des frères séparés à l'unité de l'Eglise, de la civilisation actuelle à l'honnêteté des moeurs chrétiennes ; comment pourrait-elle espérer mener à bonne fin une aussi formidable entreprise sans une phalange de fidèles en prière et de pénitents dont les supplications et les sacrifices montent chaque jour vers Dieu ? Vous vous êtes incorporés à cette phalange par votre promesse de fidélité au Coeur du divin Sauveur. Demandez et vous recevrez.

Comme le « Pater », la prière du croisé embrasse l'universalité des besoins du monde.

3. — Immense dans sa brièveté, l'Oraison dominicale comprend et embrasse l'universalité des besoins du monde ; tous ces besoins, le Sauveur les prend en considération et les recommande à son Père céleste dans les moindres détails, car chacun lui est particulièrement présent et le presse comme s'il n'y en avait pas d'autres sur terre. Tel est votre modèle. Que si la pauvre nature humaine ne peut arriver jusque-là et si votre regard ne peut voir dans leur ensemble les plus petites nécessités, voici l'Apostolat de la Prière qui propose à votre zèle non seulement les intérêts généraux eux-mêmes du Coeur de Jésus, qui sont les véritables intérêts du monde, mais encore, l'un après l'autre, certains intérêts particuliers et précis de l'heure présente.

Regardez vos petits « billets mensuels » ! Quelle ampleur et quelle valeur ils ont pour qui sait en user comme il convient et comme ils le méritent ! Ils font passer et repasser tour à tour devant votre regard toutes les misères et toutes les angoisses surnaturelles ou naturelles, physiques ou morales, personnelles ou sociales ; ils vous recommandent, chacun à son tour, tous les pays, toutes les races, toutes les conditions de la vie privée ou publique ; ils font défiler sous vos yeux et devant votre pensée et votre coeur les oeuvres qui, dans leur variété, s'efforcent de remédier à tous les maux, de satisfaire toutes les justes et nobles aspirations. C'est à vous de fixer, chaque mois, votre esprit sur ces intentions, afin d'en mieux comprendre l'importance et l'urgence, de connaître avec plus de perspicacité et d'amour les misères qui implorent du secours, les dévouements qui attendent le moment d'intervenir. Combien ces intentions sont-elles capables d'élargir les horizons de votre esprit, d'élever et d'ennoblir les affections de votre coeur !

Les besoins du monde : encouragements à la prière.

Ainsi, vous ne vous contenterez pas de votre petit billet mensuel. Saintement curieux, vous voudrez, grâce à votre beau « Messager », suivre les péripéties de la lutte spirituelle engagée dans le monde entre les deux cités, celle de l'amour et celle de la haine. Qui, de la haine ou de l'amour, remportera la victoire, le triomphe ? Quelle incertitude ! Quelle impressionnante vision ! Quelle angoissante compétition ! Et quand, durant trente jours, vous aurez prié, travaillé, souffert, la nouvelle intention que l'on vous proposera pour le mois suivant n'ensevelira pas dans l'oubli, comme disparue, celle qui vous aura coûté tant de peine et tant d'amour. Bien plus, votre prière se modelant sur celle de Jésus se fera alors de plus en plus universelle, mais non moins précise, non moins intense ; en ces moments, vous vous sentirez irrésistiblement poussés par l'amour au sacrifice actif qui ne se tranquillise pas dans la prière aussi longtemps que la peine et la souffrance n'ont pas atteint, pour ainsi dire, la limite des forces ; en ces moments, suivant l'expression sculpturale d'un écrivain inconnu de l'antiquité chrétienne, consumés par l'ardeur de la charité, par la véhémence du désir, vous ne serez plus des priants, mais des prières vivantes. 3

Nous ne pouvons former pour vous ni pour Nous-même un voeu plus cher ; l'espérance qu'il se réalise de jour en jour plus parfaitement, exalte Notre âme en vous.

Dans votre pieuse association de l'Apostolat de la Prière, Nous admirons, en effet, une armée pacifique d'âmes qui prient avec Nous, des millions de fidèles qui, derrière l'étendard du Christ, entonnent la divine Oraison dominicale, la plus puissante invocation qui, de la terre, s'élève jusqu'au trône de Dieu pour sa gloire, pour nos besoins et pour ceux du monde entier. Avec cette Oraison dominicale, monte au ciel également votre riche trésor spirituel, joint à vos prières et à vos sacrifices que, en ces temps tristes, pénibles et douloureux, vous avez offerts pour Notre réconfort et Notre soutien ; ils montent vers ce Dieu qui est le Père des miséricordes et de qui Nous implorons pour vous tous, comme expression de la reconnaissance de Notre âme, l'abondance de faveurs spirituelles, de ce Dieu qui récompense toute grâce par une grâce et surnaturalise l'obole elle-même qui Nous a été offerte si généreusement, pour laquelle Nous vous sommes aussi très reconnaissant. C'est pourquoi, avec toute Notre affection paternelle, Nous donnons au bien méritant directeur général de votre sainte et immense association, au très zélé et éloquent directeur national pour l'Italie, aux directeurs diocésains et locaux, à tous les membres ici présents et à ceux qui, de loin, sont unis et s'unissent à vous à travers le monde, petits et grands croisés, famille du Sacré-Coeur, zélateurs et zélatrices de toute nation et de tout grade, Notre Bénédiction apostolique.

S. Grégoire le Grand, in I Reg., 13, 2 ; Migne, P. L., t. 79, col. 338.


Pie XII 1943