Pie XII 1943 - INTRODUCTION


I PARTIE HISTORIQUE

SOLLICITUDE DE LÉON XIII ET DE SES SUCCESSEURS POUR LES ÉTUDES BIBLIQUES

I. — OEUVRE DE LÉON XIII

Doctrine de l'inerrance biblique

Le premier et principal soin de Léon XIII fut d'exposer la doctrine concernant la vérité des Livres Saints et de la venger des attaques lancées contre elle. Il proclama donc avec insistance qu'il n'y a absolument aucune erreur quand Phagiographe, traitant des choses de la nature, « a suivi ce qui apparaît aux sens », comme dit le Docteur angélique6, parlant « ou par une sorte de métaphore ou comme le comportait le langage usité à cette époque ; il en est encore ainsi aujourd'hui, sur beaucoup de points, dans la vie quotidienne, même parmi les hommes les plus savants ». En effet, « les écrivains sacrés ou, plus véritablement — ce sont les paroles mêmes de saint Augustin 6 —Lf4 l'Esprit de D)eu 1ui parlait par leur bouche n'a pas voulu enseigner aux hommes les vérités concernant la constitution intime des objets visibles, parce qu'elles ne detaient leur sertir de rien pour leur sahut » ; principe qu'il « sera permis `'appliquer aux saiences du meame genre et notamment à l'hi3toire Lcchs0 »cchs0 en réfutant « de lamême manière les objections fallacieuses des adversaires » et en défendant Xf4« la véLcchs0 rité historiq5e de l'Ecriture Sainte contre leurs aTtaques ».

b0caps0Il ne faut pas, e. outre, )mputer une erre5r àf4 l'aupeqr sacré « là où des copisteS, en exécutant leur travail, ont laissé échapper quelque hnexactitude » ou « lorsque le senc véritable de quelque passage demeure doutetx ». Enfin, il serait absolument funeste « soit de limiter l'inspiration à quelques paties seulement de la

65 %Cf. I», q. 70, art. 1 ad 3.

6 De Gen. ad litt. II, 9, 20 ; P. L., 34, col. 270 sq. : C. S. E. L., XXVIII (Sectio III, pars II), p. 46.

* lion XIII, Acta, 13, p. 355 ; Ench. Bibl., n. 106.

8 Cf. Benoît XV, ency3bcl. 'fSpirXu1053f116?us Par'3faclitus, A.'3f A. S., scaps?oIXu46? 3fXII, 1920, p. Xlang1036 396 ; Ench. Bibl., s135n. Tcs166471.

Sainte Ecriture, coit d'accorder que l'écrifain sacré lui-même s'est trompé »chs0 , puisque l#inspiration divine, « non seulemant par e,le)mêchs0 me exclut toute erreur, mais enCore l'exclut et y répugne aussi nécessairement que nécessairement Dieu, souveraine vérité, ne peut être l%aeteur d'aucune erreur. Delle est la foi a.tique et coNstante de l'Eglisa » 9.

s148`ndtw Cette dobtriNe, pud Notre prédécesseur L$éon XIII a expos%e9e avec tant de force, Nous la proposonc a5ssi avec Notre aetorité et Nous insistons pour qu'elle soit religieusement tenue par tous. Nous statuons aussi qu'on doit se conformer, aujourd'hui encore, avec la même application, aux conseils et aux encouragements qu'il a donnés, pour son temps, avec une si grande sagesse. En effet, comme de nouvelles et graves difficultés et problèmes avaient surgi, soit en raison des préjugés du rationalisme qui s'était insinué partout, soit surtout à la suite des fouilles et des explorations de monuments très anciens, effectuées en maintes régions de l'Orient, afin de rendre plus sûrement et plus abondamment accessible, pour l'utilité du troupeau du Seigneur, cette source insigne de la Révélation catholique, et aussi afin de ne pas 'la laisser profaner en aucun point, Notre prédécesseur, poussé par la sollicitude de la charge apostolique, souhaita et voulut « que plusieurs entreprennent, comme il convient, la défense des Saintes Lettres et s'y attachent avec constance, et que, surtout, ceux qui ont été appelés par la grâce de Dieu dans les ordres sacrés mettent de jour en jour un plus grand soin et un plus grand zèle à lire, à méditer et à expliquer les Ecritures, rien n'étant plus conforme à leur état » 10.

Impulsion donnée aux études bibliques : Ecole biblique de Jérusalem - Commission biblique

C'est pourquoi le même Pontife loua et approuva l'Ecole pour les études bibliques, fondée à Jérusalem, au couvent de Saint-Etienne, par les soins du Maître général du saint ordre des Frères Prêcheurs ; école grâce à laquelle, disait-il, « la science biblique a reçu des avantages sérieux et dont elle en attend de plus grands encore » u.

» Léon XIII, Acta, 13, p. 357 sq. ; Ench. Bibl., n. 109 sq.

10 Cf. Léon XIII, Acta, 13, p. 328 ; Ench. Bibl., n. 67 sq.

11 Lettre apost. Hierosolymae in coenobio, 17 sept. 1892 ; Léon XIII, Acta, 12, pp. 239 - 241, T. p. 240.

Puis dans la dernière année de sa vie, il trouva un nouveau moyen pour rendre chaque jour plus parfaites ces études tant recommandées par son encyclique Providentissimus Deus et pour les faire progresser le plus sûrement possible. En effet, par la lettre apostolique Vigilantiae du 30 octobre 1902, il institua un conseil ou commission composé d'hommes compétents, « dont la fonction devait être de diriger tous leurs soins et tous leurs efforts, afin que les divines Ecritures trouvent partout, chez nos exégètes, cette interprétation plus critique que notre temps réclame et qu'elles soient préservées non seulement de tout souffle d'erreur, mais encore de toute témérité d'opinions » 12. Cette commission, Nous l'avons, Nous aussi, confirmée et renforcée, suivant l'exemple de Nos prédécesseurs, usant de son ministère comme il avait été fait plusieurs fois auparavant, pour rappeler aux interprètes des Livres Saints les saintes lois de l'exégèse catholique, que les saints Pères, les Docteurs de l'Eglise et les Souverains Pontifes eux-mêmes ont transmises13.


II. — OEUVRE DES SUCCESSEURS DE LÉON XIII

Pie X :

Grades académiques - Programme des études bibliques Institut biblique

Ici, il ne semble pas hors de propos de rappeler avec reconnaissance les contributions de Nos prédécesseurs au même but, du moins les plus importantes et les plus utiles ; contributions que nous appellerions volontiers les compléments ou les fruits de l'heureuse initiative de Léon XIII.

Tout d'abord, Pie X, « voulant fournir un moyen assuré de préparer en abondance des maîtres recommandables par la profondeur et l'intégrité de leur doctrine qui se consacreraient dans les écoles catholiques à l'interprétation des Livres Saints..., institua les grades académiques de licencié et de docteur dans la science de

12 Cf. Léon XIII, Acta, 22, p. 232 sq. ; Ench. Bibl., n. 130-141 ; v. n. 130, 132.

13 Lettre de la Commission pontificale des études bibliques aux archevêques et évêques d'Italie, 20 août 1941 ; A. A. S., 33, 1941, p. 465. Voir Documents Pontificaux 1941, p. 371 et suiv.

l'Ecriture Sainte..., à conférer par la Commission biblique » 14. Il porta ensuite une loi « sur les règles qui doivent présider à 'l'enseignement de l'Ecriture Sainte dans les grands séminaires », visant à ce que les séminaristes « non seulement eussent une pleine notion et compréhension de la portée, de la valeur et de la doctrine des Livres Saints, mais encore pussent, avec une science compétente et saine, se livrer au ministère de la parole sacrée et défendre... contre les attaques les livres écrits sous l'inspiration divine » 15. Enfin, Pie X voulut « qu'il y eût dans la ville de Rome un centre de hautes études relatives aux Livres Saints, afin de développer le plus efficacement possible, selon l'esprit de l'Eglise catholique, la science biblique et toutes les études annexes ». Il fonda donc l'Institut biblique pontifical, le confia aux soins de l'illustre Compagnie de Jésus ; il statua qu'il serait « pourvu de cours supérieurs et de toutes les ressources de l'érudition biblique » et lui donna lui-même des lois et un règlement, affirmant qu'il voulait réaliser en cela « le projet salutaire et fécond » de Léon XIII 18.

Pie XI :

Grades académiques rendus obligatoires Monastère de Saint-Jérôme pour la revision de la Vulgate

A tout cela enfin, Notre dernier prédécesseur, Pie XI, d'heureuse mémoire, donna son couronnement quand il décréta, entre autres choses, que nul ne serait admis « à professer l'enseignement des Saintes Ecritures dans les séminaires s'il n'avait pas obtenu légitimement, après avoir suivi des cours spéciaux de science scripturaire, les grades académiques devant la commission ou l'Institut biblique ». A ces grades il voulut que fussent reconnus les mêmes droits et les mêmes effets qu'aux grades dûment conférés en théologie et en droit canonique ; il établit en outre qu'à personne ne devrait être conféré « un bénéfice comportant canoniquement la charge d'expliquer au peuple la Sainte Ecriture s'il ne possédait, en plus des autres qualités, la licence ou le doctorat en science biblique ».

1* Lettre apost. Scripturae Sanctae, 23 février 1904 ; Pie X, Acta, 1, pp. 176-179 : Ench. Bibl., 142-150, v. n. 143-144.

15 Cf. lettre apost. Quoniam in re biblica, 27 mars 1906 ; Pie X, Acta, 3, pp. 72 - 76 ; ch. Bibl., n. 155-173 ; v. n. 155.

j? Lettre apost. Vinea electa, 7 mai 1909 ; A. A. S., vol. I, 1909, pp. 447 - 449 ; Ench. Bibl., 293-306. v. n. 294 et 296.

Il invitait en même temps les supérieurs généraux des ordres religieux et des congrégations religieuses, ainsi que les évêques du monde catholique, à envoyer les plus aptes parmi leurs sujets fréquenter les cours de l'Institut biblique et y conquérir les grades académiques. De plus, il confirmait ses exhortations par l'exemple en constituant généreusement, à cette fin précise, des revenus annuels 17.

Enfin, après que Pie X eût favorisé et approuvé, en 1907, « la tâche confiée aux religieux bénédictins de préparer, par leurs recherches et leurs études, les éléments nécessaires à une nouvelle édition de la traduction latine des Ecritures, connue sous le nom de Vul-gate »18 voulant assurer plus de solidité et de sécurité à cette « entreprise laborieuse et ardue » qui exige beaucoup de temps et de grandes dépenses, et dont la très grande utilité était manifestée par les excellents volumes déjà parus, fit bâtir depuis ses fondements le monastère romain de Saint-Jérôme, destiné à se consacrer uniquement à cette tâche et le dota largement d'une bibliothèque et de tous les autres instruments de travail19.


III. — SOLLICITUDE DES SOUVERAINS PONTIFES POUR L'USAGE ET LA DIFFUSION DES LIVRES SAINTS

Nous ne pouvons pas non plus passer sous silence le soin avec lequel Nos prédécesseurs, quand l'occasion s'en présentait, ont recommandé soit l'étude, soit la prédication des Saintes Ecritures, soit leur pieuse lecture et leur méditation. Pie X, en effet, approuva chaleureusement l'Association de Saint-Jérôme, qui s'applique à recommander aux fidèles la si louable coutume de lire et de méditer les saints Evangiles et à rendre, autant que possible, cette pratique plus facile. Il l'exhorta à persévérer avec ardeur dans cette entreprise en déclarant que « c'était là la chose la plus utile entre toutes, qui répondait très bien aux besoins du temps », puisque cela ne contribue pas peu à « dissiper ce préjugé selon lequel l'Eglise voit de mauvais oeil et entrave la lecture de l'Ecriture Sainte en langue vulgaire » 20.

17 Cf. Motu proprio Bibliorum scientiam, 27 avril 1924 ; A. A. S., vol. XVI, 1924, pp. 180 - 182 ; Ench. Bibl, n. 518 - 525.

!8 Lettre au Rme D. Aidan Gasquet, 3 décembre 1907 ; Pie X, Acta, 4, pp. 117 - 119 ; Ench. Bibl, n. 285 sq.

19 Const. apost. Inter praecipuas, 15 juin 1933 ; A. A. S., vol. XXVI, 1934, pp. 85 - 87.

20 Lettre à S. Em. le cardinal Cassetta, 21 janvier 1907 ; Pie X, Acta, 4, pp. 23 - 25.

A l'occasion du XVe centenaire de la mort de saint Jérôme, le plus grand des docteurs dans l'interprétation des Saintes Lettres, Benoît XV, après avoir scrupuleusement rappelé les préceptes et les exemples du saint Docteur, ainsi que les principes et les règles donnés par Léon XIII et par lui-même, et après d'autres recommandations des plus opportunes dans cette matière et qui ne doivent jamais être oubliées, exhorta « tous les enfants de l'Eglise, et principalement les clercs, au respect, en même temps qu'à la lecture pieuse et à la méditation assidue de la Sainte Ecriture » ; il les engagea à « chercher dans ces pages la nourriture qui alimente la vie spirituelle et la fait avancer dans la voie de la perfection », rappelant que « l'Ecriture sert principalement à sanctifier et féconder le ministère de la prédication ». Enfin, Benoît XV loua de nouveau l'oeuvre de l'association établie sous le nom de Saint-Jérôme, grâce à laquelle les Evangiles et les Actes des Apôtres sont répandus aussi largement que possible, « de manière que ces livres aient désormais leur place dans chaque famille chrétienne et que chacun prenne l'habitude de les lire et méditer chaque jour 21.


IV. — FRUITS DE CETTE MULTIPLE ACTIVITÉ

Mais ce n'est pas seulement grâce à ces entreprises, à ces préceptes, à ces encouragements de Nos prédécesseurs, que la science des Saintes Ecritures et leur usage ont notablement progressé parmi les catholiques, c'est aussi, il est juste et agréable de le reconnaître, grâce aux efforts et aux travaux de tous ceux qui ont mis leurs soins à suivre leurs directives, en méditant, en étudiant, en écrivant, comme aussi en enseignant et en prêchant, en traduisant ou en propageant les Livres Saints. Déjà, en effet, de très nombreux professeurs d'Ecriture Sainte sont sortis des écoles de haut enseignement théologique et biblique, principalement de Notre Institut biblique, et il en sort chaque jour qui, animés d'un zèle ardent pour les Livres Saints, s'emploient à pénétrer le jeune clergé du même zèle généreux et se dévouent à lui communiquer la doctrine qu'ils ont reçue eux-mêmes. Nombre d'entre eux aussi, par leurs écrits, ont fait avancer et font avancer en différentes manières la science biblique, soit en publiant les textes sacrés selon la méthode critique, soit en les expli

,21 Encycl. Spiritus Paraclitus, 15 septembre 1920; A. A. S., vol. XII, 1920, pp. 385 - 422 n. Bibl., n. 457-508 ; v. n. 457-508 ; v. n. 457, 491, 495, 497.

quant, en les éclaircissant, en les traduisant en langue vulgaire, soit en les proposant à la pieuse lecture et à la méditation des fidèles, soit enfin en cultivant et s'assimilant les sciences profanes utiles pour l'interprétation de l'Ecriture.

Ces entreprises et d'autres initiatives encore qui, de jour en jour, se répandent plus largement et se développent, comme, par exemple, les sociétés, congrès et semaines d'études bibliques, les bibliothèques et les associations pour la méditation de l'Evangile, Nous font concevoir une ferme espérance que le respect, l'usage, la science des Saintes Lettres se développeront de plus en plus pour le bien des âmes. Il en sera ainsi, pourvu que tous observent avec une fermeté, une ardeur et une confiance toujours plus grandes la méthode des études bibliques prescrite par Léon XIII, développée et perfectionnée par ses successeurs, confirmée et enrichie par Nous, seule méthode sûre et pleinement approuvée par l'expérience, sans se laisser arrêter par les difficultés qui, ainsi qu'il arrive toujours dans la vie humaine, ne manqueront jamais à une oeuvre aussi excellente.


II

PARTIE DOCTRINALE DES ÉTUDES BIBLIQUES A NOTRE ÉPOQUE

ÉTAT ACTUEL DES ÉTUDES BIBLIQUES

Il n'y a personne qui ne soit à même de remarquer combien, au cours des cinquante dernières années, se sont modifiées les conditions des études bibliques et des disciplines auxiliaires. Ainsi, pour ne pas parler du reste, au temps où Notre prédécesseur publiait son encyclique Providentissimus Deus, c'est à peine si l'on avait commencé l'exploration de l'un ou de l'autre des sites de la Palestine en y opérant des fouilles intéressant les questions bibliques. Maintenant, les recherches de ce genre ont grandement augmenté en nombre et, grâce à une méthode plus sévère et à un art perfectionné par l'expérience, elles nous fournissent des résultats plus nombreux et plus certains. Quelle lumière jaillit de ces recherches pour une intelligence plus exacte et plus pleine des Saints Livres, tous les spécialistes le savent,

T ainsi que tous ceux qui se livrent à ces études. L'importance de ces explorations est encore accrue par la fréquente découverte de monuments écrits, qui sont d'un grand secours pour la connaissance des langues, des littératures, des événements, des moeurs et des cultes des plus anciens peuples. La découverte et l'étude des papyrus, aujourd'hui si fréquentes, ne sont pas d'un moindre intérêt, car ils nous font mieux connaître la littérature, ainsi que les institutions publiques et privées, surtout à l'époque de notre Sauveur. En outre, d'anciens manuscrits des Livres Saints ont été découverts et publiés avec soin et sagacité ; l'exégèse des Pères de l'Eglise a été étudiée d'une façon plus approfondie et plus étendue ; enfin, la façon propre aux anciens de raconter et d'écrire a été illustrée de nombreux exemples.

Tous ces résultats que notre temps a acquis, non sans un secret dessein de la Providence, invitent en quelque sorte les interprètes des Saintes Lettres et les engagent à user avec empressement d'une si belle lumière pour scruter plus à fond les paroles divines, les commenter avec plus de précision, les exposer plus lumineusement. Que si, avec une suprême consolation, Nous voyons que ces mêmes exé-gètes ont déjà répondu avec empressement à cet appel et y répondent encore, ce n'est certes ni le dernier ni le moindre fruit de l'encyclique Providentissimus Deus, par laquelle Notre prédécesseur Léon XIII, comme pressentant cette floraison nouvelle de la science biblique, a invité au travail les exégètes catholiques et leur a tracé avec sagesse la voie et la méthode à suivre dans ce travail. Nous aussi, par la présente encyclique, Nous désirons obtenir non seulement que ce travail soit continué, avec persévérance et constance, mais qu'il devienne de jour en jour plus parfait et plus fécond ; c'est pourquoi Nous Nous proposons principalement de montrer à tous ce qui reste à faire et dans quel esprit l'exégète catholique doit s'adonner aujourd'hui à une tâche si importante et si sublime, voulant aussi donner aux ouvriers, qui travaillent avec zèle dans la vigne du Seigneur, de nouveaux stimulants et un nouveau courage.


I. — RECOURS AUX TEXTES ORIGINAUX

Etude des langues bibliques

A l'exégète catholique qui se disposait à comprendre et à expliquer les Saintes Ecritures, déjà les Pères de l'Eglise, et surtout saint

Augustin, recommandaient avec force l'étude des langues anciennes et le recours aux textes originaux 22. Cependant, à cette époque, les conditions des études étaient telles que peu d'hommes connaissaient, même imparfaitement, la langue hébraïque. Au moyen âge, tandis que la théologie scolastique était à son apogée, la connaissance de la langue grecque elle-même était depuis longtemps si affaiblie en Occident que même les plus grands Docteurs de ce temps, pour commenter les Livres divins, ne se servaient que de la version latine, qu'on appelle la Vulgate. De nos jours, au contraire, non seulement la langue grecque, rappelée en quelque sorte à une vie nouvelle dès le temps de la Renaissance, est familière à presque tous ceux qui cultivent l'antiquité et les lettres, mais aussi la connaissance de la langue hébraïque et des autres langues orientales est largement répandue parmi les hommes cultivés. Il y a maintenant tant de moyens pour apprendre ces langues que l'interprète de la Bible qui, en les négligeant, s'interdirait l'accès aux textes originaux, ne pourrait échapper au reproche de légèreté et de nonchalance.

Il appartient, en effet, à l'exégète, de chercher à saisir religieusement et avec le plus grand soin les moindres détails sortis de la plume de l'hagiographe sous l'inspiration de l'Esprit divin, afin d'en pénétrer plus profondément et plus pleinement la pensée. Qu'il travaille donc avec diligence à s'assurer une maîtrise chaque jour plus grande des langues bibliques et des autres idiomes orientaux, et qu'il étaye son exégèse avec toutes les ressources que fournissent les différentes branches de la philologie. C'est ce que saint Jérôme s'efforça soigneusement de réaliser suivant l'état des connaissances de son temps ; c'est à cela qu'aspirèrent avec une ardeur infatigable, et non sans un réel profit, beaucoup des meilleurs exégètes des XVIe et XVIIe siècles, bien que la science des langues fût alors très inférieure à ce qu'elle est aujourd'hui. C'est en suivant la même méthode qu'il importe d'expliquer le texte primitif qui, écrit par l'auteur sacré lui-même, a plus d'autorité et plus de poids qu'aucune version, même la meilleure, ancienne ou moderne ; ce en quoi on réussira sans doute avec plus de facilité et de succès si l'on joint à la connaissance des langues une solide compétence dans la critique textuelle.

22 Cf. p. ex. S. Jérôme, Prae), in IV Evang. ad Damasum ; P. L. XXIX, col. 526, 527 ; Augustin, De doctr. christ., 2, 16 ; P. L., 34, col. 42, 43.

Importance de la critique textuelle

Quelle importance il faut attribuer à cet art de la critique du texte, saint Augustin nous l'enseigne avec pertinence quand, parmi les préceptes à inculquer à qui étudie les Livres Saints, il met en première ligne le soin qu'il faut avoir de se procurer un texte correct. « La sagacité de ceux qui désirent connaître les Ecritures divines doit veiller en premier lieu à corriger les manuscrits — ainsi s'exprime l'illustre Docteur de l'Eglise — afin que les manuscrits incorrects cèdent le pas à ceux qui sont corrects » 23. Cet art, qu'on appelle la critique textuelle, qu'on emploie avec beaucoup d'éclat et de succès dans l'édition des textes profanes, doit s'appliquer aujourd'hui, à plus forte raison en vérité, aux Livres Saints, à cause du respect qui est dû à la parole divine. Le but de cet art est, en effet, de rétablir le texte sacré, autant qu'il se peut, avec la plus grande perfection, en le purgeant des altérations dues aux insuffisances des copistes et en le délivrant, dans la mesure du possible, des gloses et des lacunes, des inversions de mots et des répétitions, ainsi que des fautes de tout genre qui ont coutume de se glisser dans tous les écrits transmis à travers plusieurs siècles.

D'aucuns, il est vrai, ont employé la critique, il y a quelques dizaines d'années, d'une façon tout arbitraire, et souvent de telle sorte qu'on aurait pu dire qu'ils agissaient ainsi afin d'introduire dans le texte sacré leurs opinions préconçues ; mais aujourd'hui, il est à peine besoin de le remarquer, la critique possède des lois si stables et si sûres qu'elle est devenue un instrument de choix pour éditer la parole divine avec plus de pureté et d'exactitude, tout abus pouvant être facilement dépisté. Il n'est pas nécessaire de rappeler ici — car c'est trop évident et trop connu de ceux qui s'adonnent à l'étude de l'Ecriture Sainte — combien l'Eglise, depuis les premiers siècles jusqu'à nos jours, a eu en honneur ces travaux de l'art critique.

Aujourd'hui donc, après que cet art est arrivé à une si grande perfection, c'est pour ceux qui étudient les questions bibliques une tache honorable, sinon toujours facile, d'employer tous les moyens pour que, le plus tôt possible, les catholiques préparent et publient opportunément des éditions conformes auxdites règles, tant des Livres Saints que des anciennes versions, en unissant au respect

'e doctr. christ., 2, 21 ; P. L., 34, col. 46.

absolu du texte sacré l'observation attentive des lois de la critique. Que tous le sachent bien : ce travail de longue durée n'est pas seulement nécessaire pour comprendre, comme il faut, les textes écrits sous l'inspiration divine ; il est encore impérieusement requis par cette piété qui doit nous porter à être infiniment reconnaissants envers la Providence divine de ce qu'elle nous a destiné ces livres comme des lettres paternelles envoyées du trône où siège sa majesté à ses enfants.

Portée du décret du concde de Trente sur l'usage de la Vulgate Traductions en langues vulgaires

Et que personne ne voie dans ce recours aux textes originaux, conformément à la méthode critique, une dérogation aux prescriptions si sagement formulées par le concile de Trente au sujet de la Vulgate 24. Car c'est un fait appuyé sur des documents certains que le saint concile chargea ses présidents de prier le Souverain Pontife en son nom — et ils le firent — de faire corriger, autant que possible, d'abord l'édition latine, ensuite les textes grec et hébreu25, afin de les publier plus tard pour l'utilité de la Sainte Eglise de Dieu. S'il ne fut pas possible de répondre alors pleinement à ce désir, à cause des difficultés du moment et d'autres obstacles, Nous avons la confiance que, maintenant, il pourra y être donné plus parfaitement et plus entièrement satisfaction grâce à la collaboration entre savants catholiques.

Si le concile de Trente a voulu que la Vulgate fût la version latine « que tous doivent employer comme authentique », cela, chacun le sait, ne concerne que l'Eglise latine, et l'usage public qu'elle fait de l'Ecriture, mais ne diminue en aucune façon — il n'y a pas le moindre doute à ce sujet — ni l'autorité ni la valeur des textes originaux. Au surplus, il ne s'agissait pas alors des textes originaux, mais des versions latines qui circulaient à cette époque ; versions entre lesquelles le concile, à juste titre, ordonna qu'on préférât celle qui, « par un long usage de tant de siècles, était approuvée dans l'Eglise ».

Cette autorité éminente de la Vulgate ou, comme l'on dit, son authenticité, n'a donc pas été décrétée par le concile, surtout pour

24 Décret de editione et usu Sacrorum Librorum ; Conc. de Trente, éd. Soc. Goerres, t. V, p. 91 sq.

25 Ibid., t. X, p. 471 ; cf. t. V, pp. 29, 59, 65 ; t. X, p. 446 sq.

des raisons de critique, mais bien plutôt à cause de son emploi légitime dans les Eglises au cours de tant de siècles. Cet usage, en vérité, démontre, ainsi que l'Eglise l'a compris et le comprend, que cette Vulgate est absolument exempte de toute erreur en ce qui concerne la foi et les moeurs ; si bien que, comme même l'Eglise l'atteste et le confirme, on peut la citer en toute sûreté et sans péril d'erreur dans les discussions, dans l'enseignement et dans la prédication. Dès lors une authenticité de ce genre ne doit pas être qualifiée en titre principal de critique, mais bien plutôt de juridique. C'est pourquoi l'autorité de la Vulgate en matière de doctrine n'empêche donc nullement — aujourd'hui elle le demanderait plutôt — que cette doctrine soit encore justifiée et confirmée par les textes originaux eux-mêmes et que ces textes soient appelés couramment à l'aide pour mieux dégager et expliquer le sens exact des Saintes Lettres. Le décret du concile de Trente n'empêche même pas que, pour l'usage et le bien des fidèles, en vue de leur faciliter l'intelligence de la parole divine, des versions en langue vulgaire soient composées précisément d'après les textes originaux, comme Nous savons que cela a déjà été fait d'une manière louable en plusieurs pays, avec l'approbation de l'autorité ecclésiastique.

II. — DE L'INTERPRÉTATION DES LIVRES SAINTS Importance et recherche du sens littéral

Bien versé dans la connaissance des langues anciennes et pourvu des ressources de la critique, l'exégète catholique peut aborder la tâche — la plus importante de toutes celles qui lui incombent — de découvrir et d'exposer le véritable sens des Livres Saints. Que les exégètes, dans l'accomplissement de ce travail, aient toujours devant les yeux qu'il leur faut avant tout s'appliquer à discerner et à préciser ce sens des mots bibliques qu'on appelle le sens littéral. Ils doivent mettre le plus grand soin à découvrir ce sens littéral des mots au moyen de la connaissance des langues, en s'aidant du contexte et de la comparaison avec les passages analogues ; toutes opérations qu'on a coutume de faire aussi dans l'interprétation des écrits profanes, pour faire ressortir plus clairement la pensée de l'auteur.

Que les exégètes des Saintes Lettres, se souvenant qu'il s'agit ici de la parole divinement inspirée, dont la garde et l'interprétation ont été confiées à l'Eglise par Dieu lui-même, ne mettent pas moins de soin à tenir compte des interprétations et déclarations du magistère de l'Eglise, ainsi que des explications données par les saints Pères, en même temps que de « l'analogie de la foi », comme Léon XIII le fait observer très sagement dans l'encyclique Providentissimus Deus26. Qu'ils veillent d'une manière toute particulière à ne pas se contenter d'exposer ce qui regarde l'histoire, l'archéologie, la philologie et les autres sciences semblables — comme Nous regrettons qu'on le fasse dans certains commentaires — mais, tout en alléguant à propos ces informations, pour autant qu'elles peuvent aider à l'exégèse, qu'ils exposent surtout quelle est la doctrine théologique de chacun des livres ou des textes en matière de foi et de moeurs ; en sorte que leurs explications, non seulement aideront les professeurs de théologie à exposer et à prouver les dogmes de la foi, mais encore elles seront utiles aux prêtres pour expliquer la doctrine chrétienne au peuple et enfin à tous les fidèles pour mener une vie sainte, digne d'un chrétien.

Usage exact du sens spirituel

Quand les exégètes catholiques donneront une pareille interprétation, avant tout théologique, comme Nous avons dit, ils réduiront définitivement au silence ceux qui assurent ne rien trouver dans les commentaires de la Bible qui élève l'esprit vers Dieu, nourrisse l'âme et stimule la vie intérieure, prétendant en conséquence qu'il faut avoir recours à une interprétation spirituelle, ou, comme ils disent, mystique. Que cette manière de voir soit peu fondée, l'expérience de beaucoup d'hommes l'enseigne ; étudiant et méditant sans cesse la parole de Dieu, ils ont conduit leur âme à la perfection et ont été entraînés vers Dieu par un amour ardent. C'est aussi ce que montrent clairement et la pratique constante de l'Eglise et les avertissements des plus grands Docteurs. Ce qui ne signifie certes pas que tout sens spirituel soit exclu de la Sainte Ecriture ; car les paroles et les faits de l'Ancien Testament ont été merveilleusement ordonnés et disposés par Dieu de telle manière que le passé préfigurait d'avance d'une manière spirituelle ce qui devait arriver sous la nouvelle alliance de la grâce. C'est pourquoi l'exégète, de même qu'il

2« Léon XIII, Acta, 13, pp. 345 - 346 ; Ench. Bibl, n. 94-96.

doit rechercher et exposer le sens littéral des mots, tel que l'hagiogra-phe l'a voulu et exprimé, ainsi doit-il exposer le sens spirituel, pourvu qu'il résulte certainement qu'il a été voulu par Dieu. Dieu seul, en effet, a pu connaître ce sens spirituel et nous le révéler. Or, ce sens, notre divin Sauveur nous l'indique et nous l'enseigne lui-même dans les saints Evangiles ; à l'exemple du Maître, les apôtres le signalent ouvertement dans leurs paroles et leurs écrits ; la tradition constante ¦de l'Eglise le montre ; enfin, l'antique usage de la liturgie l'exprime chaque fois qu'on est en droit d'appliquer l'adage connu : « La loi de la prière est la loi de la croyance ».

Ce sens spirituel donc, voulu et fixé par Dieu lui-même, les exégètes catholiques doivent le mettre en lumière et le proposer avec le soin qu'exige la dignité de la parole divine. Qu'ils veillent religieusement, toutefois, à ne pas présenter comme sens authentique de la Sainte Ecriture des significations métaphoriques des choses. Car si, dans le ministère de la prédication surtout, un emploi plus large et métaphorique du texte sacré peut être utile pour éclairer et mettre en valeur certains points de la foi et des moeurs, à condition de le faire avec modération et discrétion, il ne faut cependant jamais oublier que cet usage des paroles de la Sainte Ecriture lui est comme extrinsèque et adventice. Il arrive même, surtout aujourd'hui, que cet usage n'est pas sans danger, parce que les fidèles, et en particulier ceux qui sont au courant des sciences sacrées comme des sciences profanes, cherchent ce que Dieu nous signifie par les Lettres sacrées, de préférence à ce qu'un écrivain ou un orateur disert expose en jouant habilement des paroles de la Bible. « La parole de Dieu, vivante et efficace, plus affilée qu'une épée à deux tranchants, si pénétrante qu'elle va jusqu'à séparer l'âme et l'esprit, les jointures et les moelles, démêlant les sentiments et les pensées des coeurs » (He 4,12), n'a pas besoin d'artifice ni d'accommodations humaines pour émouvoir et frapper les esprits. Les pages sacrées, en effet, écrites sous l'inspiration de Dieu, sont, par elles-mêmes, riches en signification ; douées de vertu divine, elles valent par elles-mêmes ; ornées d'une beauté qui vient d'en haut, elles brillent et resplendissent par elles-mêmes, pourvu que le commentateur les explique si pleinement, si soigneusement, que tous les trésors de sagesse et de prudence qu'elles contiennent soient mis en lumière.

L'étude des saints Pères et des grands exégètes doit être stimulée

Pour s'acquitter de sa tâche, l'exégète pourra trouver une aide très appréciable dans l'étude sérieuse des oeuvres que les saints Pères, les Docteurs de l'Eglise et les plus illustres exégètes des temps passés ont consacrées à l'explication des Saintes Lettres. Ceux-là, en effet, bien que parfois leur érudition profane et leurs connaissances linguistiques fussent moins poussées que celles des exégètes modernes, l'emportent en raison du rôle que Dieu leur a attribué dans l'Eglise, par une sorte de suave intuition des choses célestes et par une admirable pénétration d'esprit, grâce auxquels ils vont plus avant dans les profondeurs de la parole divine et mettent en lumière tout ce qui peut servir à expliquer la doctrine du Christ et à faire progresser la sainteté de la vie.

Il est certes regrettable que ces précieux trésors de l'antiquité chrétienne soient si peu connus de maints écrivains de notre temps et que les historiens de l'exégèse n'aient pas encore accompli tout ce qui semblerait nécessaire pour une étude méthodique et une juste appréciation de cette matière si importante. Plaise au ciel que se lèvent en grand nombre des travailleurs qui recherchent avec soin les auteurs et les ouvrages catholiques qui ont interprété les Saintes Ecritures et qui y puisent, pour ainsi dire, toutes les richesses presque incommensurables amassées par ces auteurs. Ils contribueront ainsi à montrer toujours mieux avec quel soin ces anciens exégètes ont scruté et mis en lumière la doctrine des Livres Saints et à obliger les exégètes contemporains à s'inspirer de leur exemple, à chercher chez eux des arguments opportuns. Ainsi se réalisera enfin l'heureuse et féconde union de la doctrine et de l'onction des anciens avec l'érudition plus vaste et l'art plus perfectionné des modernes ; union qui produira des fruits nouveaux dans le champ des Lettres divines, lequel ne sera jamais ni assez cultivé ni entièrement épuisé.


Pie XII 1943 - INTRODUCTION