Pie XII 1945 - MESSAGE DE CONDOLÉANCES AU NOUVEAU PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS S. EXC. M. HARRY TRUMAN POUR LE DÉCÈS DE FRANKLIN D. ROOSEVELT


ENCYCLIQUE « COMMUNIUM INTERPRETES » PRESCRIVANT DES PRIÈRES PUBLIQUES POUR OBTENIR LA PAIX ENTRE LES PEUPLES

(15 avril 1945J 1

Comme les années précédentes, mais cette fois-ci par une encyclique et non plus par une lettre au secrétaire d'Etat, le Saint-Père a demandé au monde entier des prières pour la paix durant le mois de mai.

Interprète des douleurs communes dont, depuis longtemps déjà presque toutes les nations sont si cruellement accablées, Nous désirons ne rien négliger de ce qui peut procurer, selon les possibilités, un soulagement et un adoucissement à ces innombrables misères ou de ce qui peut hâter la fin d'un si terrible fléau. Mais Nous savons fort bien que les ressources humaines sont insuffisantes pour apporter un remède à ces si grandes calamités ; Nous savons que les plans de l'esprit de l'homme, surtout quand il est aveuglé par la haine et par les rivalités, aboutissent difficilement à établir un arrangement juste et équitable et à ramener la concorde fraternelle. Il ne faut donc cesser d'implorer le Père des lumières et des miséricordes (Jc 1,17 2Co 1,3) qui seul peut, en présence d'un si puissant retournement et d'une pareille agitation des âmes, les persuader tous que trop de ruines et de dévastations ont été accumulées d'une façon effrayante, que trop de larmes, trop de sang ont déjà été répandus, et qu'en conséquence les lois divines et humaines exigent absolument qu'un si horrible massacre s'arrête et cesse au plus tôt.

C'est pour cette raison qu'à l'approche du mois de mai, consacré d'une façon spéciale à la Vierge Mère de Dieu, Nous désirons aujourd'hui, comme Nous l'avons fait dans les années précédentes, exhorter de nouveau tous les fidèles — mais surtout les petits enfants pleins de délicatesse et d'innocence — à s'efforcer d'obtenir du divin Rédempteur, par leurs prières et par l'intercession de sa très sainte Mère, que les peuples égarés par les discordes, par les guerres, et en proie à toute sorte de malheurs, puissent enfin respirer après une si longue et angoissante affliction. Mais puisque ce sont les péchés que nous commettons devant Dieu (cf. Baruch, Ba 6,1) qui nous détournent de lui et nous précipitent dans le malheur et la ruine, il ne suffit pas, comme vous le savez bien, Vénérables Frères, d'adresser au ciel des prières ardentes ; il ne suffit pas de venir en très grand nombre près de l'autel de la Bienheureuse Vierge Marie pour y apporter des offrandes, des fleurs, des supplications ; mais il est absolument nécessaire de renouveler la vie tant privée que publique par des moeurs chrétiennes et ainsi d'établir les bases solides sur lesquelles on puisse s'appuyer et tenir debout l'édifice, ni disparate ni fragile, mais ferme et solide de la société domestique et civile. Que tous se souviennent donc des avertissements du prophète Zacharie et les mettent en pratique : « Revenez à moi, dit Yahvé des armées, et je reviendrai vers vous » (Za 1,3). De même qu'ils méditent ces sentences du très sage évêque d'Hippone : « Change le coeur et l'acte sera changé ; déracine la passion, sème la charité. » 2 « Désires-tu la paix ? Pratique la justice et tu auras la paix ; car la justice et la paix se donnent un mutuel baiser (Ps., lxxxiv, 11). Si tu n'aimes pas la justice, tu n'auras pas la paix ; car ces deux vertus, la justice et la paix s'aiment et se donnent un mutuel baiser ; de sorte que si tu accomplis ce qui est juste, tu trouveras la paix embrassant la justice... Si donc tu veux parvenir à la paix, pratique la justice ; éloigne-toi du mal et fais le bien, c'est cela aimer la justice ; et lorsque tu te seras éloigné du mal et que tu auras fait ce bien, cherche la paix et poursuis-la. » 3

Lorsque tous les fidèles seront animés de tels sentiments et agiront de telle façon, il n'est pas douteux que leurs prières monteront très agréables jusqu'au trône du Très-Haut et obtiendront du Seigneur favorablement disposé les soulagements et les bienfaits dont nous avons présentement un besoin si profond.

Vous savez de quels dons, de quelles richesses, de quels soulagements nous avons surtout besoin dans 'la situation si grave où nous

S. Augustin, Serm. de Script. LXXII, 4 ; P. L., 38, c. 468. Idem, In Ps. LXXXIV, 12 ; P. L., 37, c. 1078.




sommes. Avant tout il faut demander à Dieu avec instance que les esprits et les coeurs soient éclairés et renouvelés par les préceptes de la doctrine chrétienne, dont seuls il faut attendre le salut tant pour les individus que pour la société ; que cesse de sévir ce conflit meurtrier des peuples et des nations, et qu'ainsi 'les citoyens de toutes les classes sociales, réconciliés et réunis par les liens de l'amitié, travaillent à construire — sous les auspices de la justice et de la charité — sur les ruines accumulées un nouvel édifice pour la communauté humaine. Mais il faut encore chercher à obtenir autre chose du divin Rédempteur et de sa très sainte Mère, par la prière et par la pénitence : à savoir que la paix, une paix véritable et sincère, suive le plus tôt possible ce funeste et cruel conflit.

Assurément, il n'est pas aisé, dans une telle destruction et dans un tel bouleversement, alors que beaucoup d'esprits sont encore irrités, aigris, mal disposés les uns pour les autres, d'établir une paix qui soit équilibrée par le poids égal de la justice qui embrasse dans un amour fraternel tous les peuples et toutes les nations, qui ne comporte pas des germes cachés de discordes et de rivalités pour l'avenir. C'est pourquoi ceux-là ont besoin d'une façon spéciale de la lumière céleste à qui il appartiendra d'étudier cette très grave affaire, de la décider et de la conclure, ceux dont les avis engagent le sort ou la destinée non seulement de leur nation, mais aussi la situation de toute la communauté humaine et le cours des années à venir. Aussi, désirons-Nous que pour cette affaire aussi des prières ferventes montent vers Dieu ; que surtout les enfants à l'âme innocente implorent nommément de la Mère de la divine Sagesse durant le mois de mai la lumière surnaturelle pour ceux dont les avis décideront du sort de tous les peuples. Que ceux-là réfléchissent et considèrent attentivement devant Dieu que tout ce qui s'écarterait des limites de la justice et de l'équité sera certainement, tôt ou tard, très gravement dommageable aux vaincus et aux vainqueurs s'il s'y cache des germes de futures guerres qui éclateront un jour.

Nous souhaitons en outre que tous ceux qui, avec bonne volonté et de bon gré, écouteront Notre exhortation se souviennent également dans leurs prières du sort des exilés bannis de leur patrie et qui dans la douleur aspirent depuis longtemps à revoir leur foyer domestique, des prisonniers qui attendent impatiemment après la guerre leur légitime libération, et enfin des blessés soignés dans d'innombrables hôpitaux. Que la très compatissante Mère de Dieu daigne accorder les consolations surnaturelles à ces malheureux et à tous les autres auxquels cette guerre féroce a causé tant de tourments et de douleurs ! Qu'elle daigne leur procurer la force de la patience chrétienne par laquelle les maladies même les plus cruelles deviennent supportables et nous font mériter le bonheur éternel.

Il vous appartiendra, Vénérables Frères, de faire connaître aux fidèles qui vous sont confiés Nos désirs paternels ainsi que Notre exhortation. A eux, mais d'abord à vous tous et à chacun, Nous donnons, très paternellement dans le Seigneur, la Bénédiction apostolique, présage des célestes bienfaits et témoignage de Notre bienveillance.


ALLOCUTION AUX MEMBRES DU CONGRÈS DE L'ACTION CATHOLIQUE ITALIENNE

(29 avril 1945)1

Aux membres du Congrès de l'Action catholique des diocèses de l'Italie centrale et méridionale, le pape a rappelé la doctrine sociale de l'Eglise, spécialement à l'égard de la classe ouvrière.

Nous avions l'idée bien arrêtée, chers fils et filles, de Nous contenter ce matin de vous accueillir en toute simplicité et de Nous borner à vous bénir du fond de Notre coeur reconnaissant pour les témoignages de filiale dévotion et de fidélité que vous Nous avez manifestés au cours de votre grand congrès national couronné d'un si heureux succès. Notre intention n'était pas de vous adresser la parole en cette occasion, alors que si souvent déjà et en des circonstances si diverses, Nous avons traité de la nature et des buts de l'Action catholique ainsi que des devoirs du temps présent.

Mais en vous voyant accourus si nombreux et animés d'une telle ferveur, Nous ne pouvons plus Nous empêcher de vous adresser les quelques mots qui, en cet instant, Nous montent spontanément aux lèvres, dictés par Notre paternelle sollicitude en un moment si lourd de responsabilité pour les catholiques du monde entier et en particulier pour ceux de l'Italie.

Nous voulons donc vous exprimer brièvement deux souhaits, vous faire deux recommandations qui Nous tiennent souverainement à coeur, pour assurer la réalisation efficace de vos délibérations et le bon succès de vos efforts.

La doctrine sociale de l'Eglise.

La première recommandation concerne la doctrine sociale de l'Eglise. Vous savez parfaitement combien de rapports essentiels et multiples rattachent et subordonnent l'ordre social aux questions religieuses et morales. Il s'ensuit que, surtout en période de bouleversements économiques et d'agitations sociales, l'Eglise a le droit et le devoir d'exposer clairement la doctrine catholique en si importante matière. Elle l'a fait, et même de nos jours. Mais si cette doctrine est fixée définitivement et sans équivoque dans ses points fondamentaux, elle est toutefois suffisamment large pour pouvoir être adaptée et appliquée aux vicissitudes variables des temps, pourvu que ce ne soit pas au détriment de ses principes immuables et permanents. Elle est claire en tous ses aspects ; elle est obligatoire ; nul ne peut s'en écarter sans danger pour la foi et l'ordre moral ; il n'est donc permis à aucun catholique (encore moins à ceux qui appartiennent à vos organisations) d'adhérer aux théories et aux systèmes sociaux que l'Eglise a répudiés et contre lesquels elle a mis ses fidèles en garde.

Vous comprenez maintenant pourquoi le Saint-Siège doit intervenir et intervient chaque fois que surgissent, même parmi ceux qui se disent catholiques, des idées sociales erronées ou des tendances pernicieuses. Soyez donc prudents et vigilants. Essentiels, à l'heure présente, sont la fermeté des convictions et le courage de les mettre en pratique, sans faiblesses et sans hésitations.

Position de l'Eglise en face de la classe ouvrière.

La seconde exhortation concerne la position de l'Eglise en face de la classe ouvrière. Dites également partout et hautement : l'Eglise a soutenu et soutient toujours ceux qui n'ont que leur travail pour se procurer à eux-mêmes et à leurs familles le pain quotidien ; elle a pris et prend toujours la défense de leurs justes droits et de leurs revendications raisonnables. Nous n'ignorons pas que l'Eglise a été, parfois, jusque parmi les rangs des catholiques, injustement soupçonnée d'avoir par sa doctrine sociale favorisé les systèmes subversifs ou de leur avoir frayé la voie. Si ceux qui pensent ou parlent ainsi n'ont pas voulu s'incliner devant l'autorité de l'Eglise, ils n'ont plus maintenant qu'à se courber devant l'imprescriptible réalité.

Les principes de l'Eglise, même dans la question ouvrière, ne sont pas d'aujourd'hui ; elle les a depuis longtemps formulés et enseignes avec toute la précision voulue et sans équivoque possible. Si elle n'admet pas d'exigences unilatérales ou exagérées, ce n'est pas seulement parce que l'ordre moral requiert que le bien commun, c'est-à-dire une condition de vie digne, assurée et pacifique pour toutes les classes de la population, soit maintenu comme norme constante ; c'est encore parce que les lois et programmes pratiquement inapplicables et socialement préjudiciables peuvent servir aux fins de la propagande, ils ne favorisent aucunement les vrais et durables intérêts des travailleurs eux-mêmes.

Après cela, il ne Nous reste plus, chers fils et filles, qu'à implorer pour vous et pour toute l'activité de l'Action catholique les bienheureux secours du Sauveur ressuscité et le feu sacré de l'Esprit-Saint, en même temps que, comme gage des plus abondantes grâces divines et dans la fervente attente d'une paix juste et sereine qui réponde aussi aux légitimes et chrétiennes aspirations de votre patrie italienne, Nous vous accordons, avec une particulière affection, Notre Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION AUX ÉLÈVES ET AUX RELIGIEUSES MISSIONNAIRES DU SACRÉ-COEUR DE L'INSTITUT FRANÇOISE-XAVIER CABRINI

(29 avril 1945j1

Aux religieuses du Sacré-Coeur de l'Institut Françoise-Xavier Cabrini, le Saint-Père recommande les vertus qui doivent être proposées aux jeunes filles, aux mères de famille et aux religieuses enseignantes.

L'audience d'aujourd'hui, qui Nous est très agréable, vous apporte certainement, chères filles, comme un présage et un avant-goût de la cérémonie solennelle que — malgré l'angoisse où vous laissent le sort incertain de tant de religieuses de votre institut, et la ruine de tant d'oeuvres si florissantes — vous attendez avec une légitime impatience, et à laquelle vous vous préparez avec une ferveur croissante. Elle vous apparaît comme l'aurore du jour triomphal où le Vicaire du Christ, s'il plaît à Dieu, exaltera votre bienheureuse Mère par les honneurs de la canonisation. Vous vous sentez saintement fieres d'elle, et il vous semble avec raison que, ce jour-là, se reflétera sur vous-mêmes un rayon de la splendeur qui brillera sur le front de votre fondatrice. Mais n'est-il pas juste aussi que, de votre côté, vous lui donniez la joie et la gloire de pouvoir, du haut du ciel, se féliciter de ses filles ?

La propagation de la dévotion au Sacré Coeur de Jésus par l'éducation chrétienne des jeunes filles

Et, en réalité, comment pourriez-vous honorer plus dignement une Mère si remarquable, qu'en correspondant, chacune à son poste

et dans l'accomplissement de son devoir personnel, aux ferventes aspirations de sa vie héroïque, et en vous appliquant à acquérir cette force intime, qui fut le ressort premier et surhumain de ses actes, prodigieux au point d'en être quasi inimitables, l'amour passionné pour le Coeur adorable de Jésus ?

Sa grande aspiration, phare lumineux de toute sa route terrestre, fut, vous le savez bien, de faire resplendir dans le monde la dévotion à ce Coeur divin, et sa mission fut d'en propager le règne dans son village natal, dans sa patrie, dans toutes les régions d'Europe et des deux Amériques. Pour réaliser cette aspiration et pour remplir cette mission dans l'infinie variété de ses entreprises, ses efforts visaient avant tout la famille et, comme moyen principal, ils recouraient à l'éducation de la jeunesse. Sous son regard, en Italie comme aux Etats-Unis, comme partout, chaque école, la plus humble et la plus populaire comme la plus haute et la plus distinguée, était un centre d'action et d'impulsion, dont l'efficacité devait sans doute s'exercer en premier lieu au foyer domestique, mais s'étendre ensuite à tous les degrés de la société humaine.

A vous qui êtes ses filles à divers titres revient la tâche de poursuivre son oeuvre, de réaliser peu à peu un projet si noble et si saint. Elle vous a laissé en héritage une magnifique mission apostolique ; une mission, toutefois, qui requiert des âmes lumineuses, ardentes, fortement trempées.

... qui doit former des âmes lumineuses, ardentes, fortement trempées

1. — Lumineuses, ardentes, fortement trempées : voilà les âmes que la bienheureuse Cabrini voulait former ; voilà ce que ses filles tendent à faire de vous, petites filles et adolescentes qui avez la bonne fortune de grandir à son école.

Il pourrait sembler étrange de compter parmi les causes des maux présents l'ignorance, l'inertie, le manque de caractère. Notre temps, en effet, n'exalte-t-il pas jusqu'à l'idolâtrie la science, l'action, l'indépendance ? Et cependant — sans vouloir généraliser ni méconnaître de nombreuses et remarquables exceptions — n'est-il pas vrai que trop souvent la culture moderne est superficielle et perd en clarté, en profondeur, en solidité ce qu'elle gagne en étendue ? La mémoire s'encombre d'un fatras de notions vagues que l'intelligence n'arrive pas à élaborer et à s'assimiler, et ainsi elle ne peut acquérir cette lumière intellectuelle qui guide et dirige avec sûreté la volonté vers les oeuvres de bien.

De même pouvons-nous appeler du beau nom d'ardeur cette agitation d'une vie dispersée et errante, dans une alternance désordonnée de la recherche, de l'abandon, de la reprise des objets de son inconstant caprice, ou d'une vie qui s'épuise à les vouloir atteindre tous à la fois sans arriver jamais à se satisfaire d'un seul ? Ne serait-ce pas là prendre pour la flamme d'une fournaise les feux follets qui folâtrent à la surface du marais ?

On ne pourrait surtout reconnaître la trempe d'un vrai caractère, la marque d'une nature puissante, dans cette vaine prétention d'indépendance, qui ne se soustrait au joug de l'autorité légitime, à la loi d'une conscience équilibrée, que pour céder à l'aiguillon des instincts aveugles, à l'influence de personnes dénuées de valeur et de compétence et qui ne refuse d'obéir aux autres que parce qu'elle ne sait pas se commander à elle-même.

Vous, au contraire, braves écolières, qui avez des éducatrices et des maîtresses qui sont toute affection et toute sollicitude pour votre bien et qui vous dirigent dans les voies du savoir et de la vertu, vous apprenez bien et d'une manière approfondie ce que l'on vous enseigne : et vous êtes en même temps assez pieuses et sages pour élever votre étude à la noblesse d'un mérite acquis en vue d'une vie meilleure, et pour transmettre les fruits de votre instruction et de votre éducation, les frémissements de vos coeurs juvéniles, aux pauvres et à ceux qui souffrent, à qui, dans ces jours de si grande misère, vous ouvrez gentiment vos mains généreuses et secourables.

... des mères de famUle et des enseignantes éclairées, généreuses et fortes.

2. — Et vous, chères filles, qu'un lien de reconnaissance et de fidélité unit à l'Institut de Françoise-Xavier Cabrini, soit pour y avoir reçu la formation dont vous portez l'empreinte, soit pour avoir confié vos petites filles à ses soins, soit parce que vous y remplissez la grande et délicate fonction d'enseignantes, vous aussi vous ressentez vivement le besoin d'être, d'une manière chaque jour plus parfaite, des âmes lumineuses, ardentes, fortement trempées, aussi bien dans l'intimité de la famille que dans votre vie extérieure. Car en ce monde bouleversé, où tout est à refaire, où tout est à reconstruire pour le règne social du Coeur de Jésus, il est nécessaire d'opposer à la frivolité des esprits, à l'inconsistance des idées et des principes, à une indifférence dédaigneuse à la vérité ou à l'erreur, la fermeté d'intelligences lucides et franches, dont la culture illuminée et enrichie par la foi, dont la foi cultivée par l'étude, puissent rayonner 'largement pour faire connaître, aimer et servir la vérité. Il faut opposer à l'apathie comme à l'agitation d'une vie sensuelle et inutile, sans idéal ni espérance, l'éternelle jeunesse des coeurs tendus vers tout ce qui est vrai, honnête, juste, saint, aimable (cf. Philip., rv, 8), reflet sur cette terre des beautés et des joies du ciel. Il convient d'opposer à la déchéance lamentable de tant de femmes en proie à toutes les passions, à la faiblesse humiliante de tant d'autres, pusillanimes devant l'intimidation ou le sourire, la dignité imperturbable et sereine d'âmes féminines moralement et surnaturellement fortes.

Tel est le modèle que vous présente l'admirable héroïne, dont l'action s'est exercée puissamment dans l'Ancien et le Nouveau-Monde. Sans prétendre atteindre un idéal aussi élevé et reproduire parfaitement en vous un modèle de si haute stature, vous-mêmes — tout en vous consacrant avant tout à vos devoirs domestiques quotidiens et en collaborant dans le même esprit et d'après les mêmes principes, à l'éducation de vos filles — vous apprendrez toujours mieux à consacrer, ainsi que vous l'avez déjà fait avec tant d'empressement, aux oeuvres de zèle, de charité, d'apostolat religieux et social, ces heures libres que tant d'autres femmes perdent et dissipent en divertissements frivoles ou périlleux. Et quel large champ d'action vous offre, en vérité, l'époque présente de dévastations et de ruines, pour convertir votre fine sensibilité en un sacrifice de vous-mêmes pour le soulagement des exilés, des malades, des malheureux de tout âge et de toute condition, pour le salut de vos soeurs égarées en chemin, cependant que les nouveaux droits accordés à la femme dans la vie publique vous imposent, à vous aussi, de nouveaux devoirs, dont l'accomplissement est requis, comme une stricte obligation de conscience par le bien de la religion et du pays !

Stimulées et mues par l'activité gigantesque et féconde d'une bienheureuse Cabrini, non moins grande dans les humbles travaux matériels de sa vie cachée que dans la conception des plus vastes projets et la réalisation des entreprises les plus audacieuses, vous ne croirez jamais payer trop cher le privilège de vivre de son esprit, vous n'estimerez jamais impossible de cheminer, même de loin, sur ses traces.

Exhortation aux religieuses missionnaires du Sacré-Coeur.

3. — A vous enfin, ferventes religieuses qui, attirées par le parfum de son âme et de sa vie, avez tout abandonné en ce monde pour vous ranger à sa suite, à vous surtout, à qui elle a commis le soin de continuer et de propager son oeuvre, en illuminant, en enflammant, en trempant fortement les âmes, en leur communiquant la flamme qui resplendit et agit en vous — à vous, plus encore qu'une mission et une oeuvre, votre Mère a légué un esprit, son esprit, sans lequel l'oeuvre serait morte et la mission demeurée stérile.

Or, cet esprit, elle l'a gravé dans le nom même qu'elle a pris pour elle et qu'elle vous a donné, et qui lui était aussi cher que la pupille de ses yeux : le nom de « Missionnaires du Sacré-Coeur de Jésus ». C'est pourquoi, dans la mesure où votre vie correspondra au sens plein d'un tel nom, dans la mesure où le Coeur de Jésus sera vraiment « le roi et le centre de vos coeurs », pour répandre de ces vivants foyers sa lumière et son ardeur dans le monde, dans cette même mesure vous montrerez que vous êtes les dignes filles de votre fondatrice.

Il est la vraie lumière qui illumine tout homme venant dans ce monde, et il veut que vous aussi vous soyez la lumière du monde, pour rendre devant le monde témoignage à la lumière (cf. Jean, Jn 1,8-9 Mt 5,14). Il est venu pour apporter le feu sur la terre et il veut que pour rallumer vous soyez comme autant d'étincelles courant à travers un champ dë roseaux (Lc 12,49 Sg 3,7). Il est la force calme, humble et douce, qui a vaincu le monde (Jn 16,33), la pierre angulaire contre laquelle se brisent toute attaque et toute résistance (cf. Matth. Mt 21,42-44), et de même qu'il a rendu aussi ferme que le diamant la timide jeune fille de Codogno, en sorte que rien ne pût réussir à l'ébranler ou à la confondre (cf. Is. Is 50,7), de même il se fait votre force pour étendre son empire dans les coeurs et dans la société humaine. Vivez de l'esprit de Jésus, vivez de son Coeur, travaillez sans répit et sans crainte à l'exécution du programme tracé par votre nom lui-même : c'est là qu'est le secret de votre vie religieuse personnelle, le secret de la puissante vitalité et des progrès de votre Congrégation, même au milieu des épreuves présentes, le secret de votre action efficace pour la conquête salutaire des âmes.

C'est en formulant ce souhait que Nous implorons sur vous la grâce du Coeur Sacré de Jésus, par l'intercession du Coeur immaculé de Marie et de la bienheureuse Françoise-Xavier Cabrini, afin que l'esprit de votre Mère pénètre toujours plus profondément dans vos âmes ; en même temps, comme un gage de cette précieuse faveur et des réconforts célestes les plus abondants, et en appelant sur la terre l'avènement prochain, imminent, d'une paix juste,

Nous vous donnons, du fond du coeur, à vous toutes ici présentes, à vos familles, à votre institut très méritant, à toutes les Missionnaires du Sacré-Coeur qui se trouvent en Italie et à l'étranger, à toutes les personnes qui vous sont chères, à toutes vos saintes intentions, Notre paternelle Bénédiction apostolique.


RADIOMESSAGE A L'OCCASION DE LA FIN DE LA GUERRE EN EUROPE

(9 mai 1945) 1

Le 3 mai, les armées allemandes de l'Allemagne du Nord-Ouest, de Hollande et du Danemark capitulaient sans conditions. La reddition devait prendre effet le samedi 5 mai à 8 heures, tandis que l'acte était signé à Reims, le 7 mai, par le général Jodl, au nom du haut commandement allemand, et par les généraux Smith, pour les forces expéditionnaires alliées ; Susloparoff, pour les forces soviétiques ; et Sevez, pour la France.

A l'occasion de cet événement, le Saint-Père a prononcé, le 9 mai, le radiomessage suivant à l'adresse du monde entier :

Voilà enfin terminée cette guerre qui, durant près de six ans, a tenu l'Europe sous la contrainte des souffrances les plus atroces et des tristesses les plus amères. Un cri de reconnaissance, humble et ardent, monte du plus profond de Notre coeur vers le « Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation » (il Cor., 1, 3). Mais Notre cantique d'action de grâces s'accompagne d'une prière suppliante pour implorer de la toute-puissance de la bonté divine la fin, selon la justice, des luttes sanglantes, également en Extrême-Orient.

Prosterné par la pensée devant les tombes, les fosses bouleversées et rouges de sang, où reposent les dépouilles innombrables de ceux qui sont tombés victimes des combats ou des massacres inhumains, dé la faim ou de la misère, Nous les recommandons tous dans Nos prières, et particulièrement dans la célébration du saint sacrifice, à l'amour miséricordieux de Jésus-Christ, leur Sauveur et leur Juge. Et il Nous semble qu'eux, les morts, donnent un avertissement aux survivants du terrible fléau et leur disent : que de nos ossements et de nos tombeaux, et de la terre où nous avons été jetés comme grains de blé, surgissent les architectes et les bâtisseurs d'une Europe nouvelle et meilleure, d'un univers nouveau et meilleur, fondé sur la crainte filiale de Dieu, sur la fidélité aux saints commandements de Dieu, sur le respect de la dignité humaine, sur le principe sacré de l'égalité des droits pour tous les peuples et tous les Etats, grands et petits, faibles et forts.

La guerre a accumulé tout un chaos de ruines, ruines matérielles et ruines morales, telles que le genre humain n'en a jamais connues au cours de toute son histoire. Il s'agit maintenant de reconstruire le monde. Comme premier élément de cette restauration, Nous désirons voir, après une si longue attente, le retour prompt et rapide, dans la mesure où les circonstances le permettront, des prisonniers, des internés, combattants et civils, à leurs foyers domestiques, vers leurs épouses, vers leurs enfants, vers leurs nobles travaux de paix.

Et à tous Nous disons : ne laissez pas fléchir votre énergie ni s'abattre votre courage ; consacrez-vous ardemment à l'oeuvre de la reconstruction, soutenus par une foi robuste en la Providence divine. Mettez-vous au travail, chacun à son poste, décidé et tenace, le coeur animé d'un amour du prochain généreux et indestructible. La tâche qui vous attend est, certes, ardue, mais sainte aussi, pour réparer les effets immédiats et désastreux de la guerre ; Nous voulons dire le 'bouleversement de l'ordre public, la misère et la faim, le relâchement des moeurs et leur retour à la barbarie, l'indiscipline de la jeunesse. De cette façon, peu à peu, vous préparerez pour vos villes et vos villages, pour vos provinces et vos patries, un sort plus acceptable et la vigueur d'un sang renouvelé.

La mort traîtresse chassée de la terre, des mers et du ciel, la vie des hommes, créatures de Dieu, désormais garantie contre les coups des armes et avec ce qui leur reste de biens privés et publics, les hommes peuvent dorénavant consacrer leurs pensées et leur courage à l'édification de la paix !

Si nous nous bornons à regarder l'Europe, nous nous trouvons en présence de problèmes et de difficultés gigantesques, dont il faut triompher si l'on veut préparer le chemin à une paix véritable, la seule qui puisse être durable. Elle ne peut, en effet, fleurir et prospérer que dans une atmosphère de justice assurée et de loyauté parfaite, jointes à une confiance, une compréhension et une bienveillance réciproques. La guerre a fait naître partout la discorde, la méfiance et la haine. Si donc le monde veut retrouver la paix, il faut que disparaissent le mensonge et la rancune, et qu'à leur place régnent en souveraines la vérité et la charité.

Avant tout, par conséquent, dans Nos prières quotidiennes, Nous supplions instamment le Dieu d'amour de réaliser la promesse qu'il a faite par la bouche du prophète Ezechiel : « Je leur donnerai un seul coeur et je mettrai en eux un esprit nouveau ; j'extirperai de leur corps le coeur de pierre et je leur donnerai un coeur de chair, afin qu'ils marchent selon mes lois et qu'ils observent mes coutumes et les mettent en pratique. Alors ils seront mon peuple et moi je serai leur Dieu. » (Ez 11,19-20)

Que le Seigneur daigne susciter cet esprit nouveau, son esprit, dans les peuples, et particulièrement dans le coeur de ceux à qui est confiée la charge d'établir la paix future. Alors, et alors seulement, le monde ressuscité évitera le retour du redoutable fléau ; et la véritable, durable et universelle fraternité régnera, ainsi que cette paix, garantie par le Christ, même sur terre, à qui acceptera de croire et d'espérer en sa 'loi d'amour.


ALLOCUTION A L'AMBASSADEUR DE FRANCE

(10 mai 1945) 1

A S. Exc. M. Jacques Maritain, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de France, venu lui présenter ses lettres de créance, le Souverain Pontife a répondu par.cette allocution :

Nous avons accueilli avec une vive satisfaction le désir exprimé par M. le général de Gaulle, président du gouvernement provisoire de la République française, de « ne laisser aucune interruption dans les heureuses relations qui unissent la France et le Saint-Siège ».

La mission qui vous est confiée de les continuer s'ouvre en un temps troublé, au cours d'une de ces crises qui précèdent les heures décisives de l'histoire.

Certes, nous devons tous nous réjouir de nous voir arrivés en Europe au terme d'une guerre de titans pour laquelle les peuples ont sacrifié au suprême degré leurs énergies physiques et morales. Mais nous nous sentons encore bien loin de l'atmosphère sereine au sein de laquelle devrait non seulement s'accomplir la liquidation du conflit dans le domaine économique et politique, mais aussi se préparer la nouvelle organisation du monde, loin surtout de la tranquillitas magna des esprits, d'où l'humanité attend, après la tempête, comme fruit de ses efforts et de ses peines, une paix sage et juste.

Trop essentiel, trop précieux est le rôle qui revient à la France dans l'établissement d'un ordre pacifique — aussi bien du continent européen que de la grande communauté des nations — pour que Nous ne souhaitions pas ardemment la voir émerger toujours davantage de la ruine où la guerre l'avait précipitée et élever de nouveau sa voix dans l'élaboration d'une Europe nouvelle, dans la restauration d'une culture chrétienne, selon la doctrine sociale catholique.

Des expériences funestes, une tragique évolution politique d'après-guerre d'abord, puis la marée montante des idées de domination et de violence, ont mis la France à mal ; elle en a tant souffert que, à présent, à tous les degrés de l'échelle sociale, les esprits réfléchis et conscients de leurs responsabilités répudient avec plus d'horreur que jamais l'idolâtrie de la force.

Tout ce qui se pouvait faire pour conduire à résipiscence, pour acheminer vers une pacifique collaboration les mouvements dominés par cet esprit de violence, l'Eglise, et en particulier son autorité suprême, l'a fait, et Nous ne doutons pas que l'histoire, impartiale et sereine, saura le reconnaître. Mais que de larmes eussent été épargnées si ceux qui aujourd'hui contemplent, épouvantés, les conséquences de leurs erreurs, avaient voulu écouter l'Eglise quand elle les avertissait que leurs rêves d'ambition et de grandeur leur faisaient prendre le chemin des ténèbres et de l'abîme !

C'est à ce moment de crises et de responsabilités, Monsieur l'ambassadeur, que le chef du gouvernement vous a confié la tâche de représenter votre pays auprès du Saint-Siège. Nous apprécions et Nous saluons en Votre Excellence un homme qui, faisant ouvertement profession de sa foi catholique et de son culte pour la philosophie du Docteur commun, tient à mettre ses riches qualités au service des grands principes doctrinaux et moraux que surtout en ces temps d'universel désarroi l'Eglise ne cesse d'inculquer au monde. Et Nous Nous plaisons à considérer dans le choix de votre personne pour la mission que vous inaugurez aujourd'hui la preuve que ceux qui vous l'ont commise entendent bien, dans l'oeuvre de restauration de la France et de l'Europe, promouvoir les bienfaits qui dérivent de bonnes relations entre l'Eglise et l'Etat.

Nous ne pouvons que formuler l'espérance de voir tous les organes appelés à constituer la nouvelle France apporter à l'affermissement de ces confiantes relations, surtout sur le terrain sacré de l'enseignement et de l'éducation chrétienne de la jeunesse, la franche clarté, la sincère compréhension qui sont un des premiers devoirs de toute sage et Clairvoyante politique.

Vous-même, Monsieur l'ambassadeur, vous rappeliez un jour — c'était avant l'explosion de la guerre — un mot du vénéré et regretté cardinal Verdier. Il parlait de « ce nouvel axe de civilisation que la France a à constituer avec l'Eglise »2. Nul ne montrera jamais plus de spontanéité que Nous à faire tout ce qui est compatible avec 'les devoirs de Notre charge pour préparer la réalisation de ce voeu du grand cardinal, de ce fils modèle de sa patrie. Entre les nobles aspirations d'une humanité soucieuse du progrès social et les enseignements de la foi chrétienne, il ne saurait y avoir tension ou opposition que là où l'ignorance, le préjugé, la passion s'appliquent à rompre le lien d'une concorde voulue par Dieu.

Nous qui avons ressenti dans Notre coeur les indicibles douleurs du peuple de France pendant ces années de guerre, qui avons pleuré sur les tombes innombrables de ses fils et de ses filles, sur leur interminable captivité et sur leur dure servitude, comment ne souhaiterions-Nous pas aujourd'hui la voir, malgré toutes ses blessures, se redresser pour surmonter les obstacles ardus et se préparer un avenir digne d'elle ?

Confiant dans la protection de la très glorieuse Vierge Marie, dans celle de sainte Jeanne d'Arc dont le rêve était de voir une France forte, libre et pieuse vivre en paix et amitié avec les peuples voisins, dans celle de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus que Nous leur avons naguère jointe pour être avec elles patronne de la France, dans l'intercession de tant de saints issus du meilleur sang de France, qui ont travaillé, lutté, souffert pour étendre par le monde le règne de Dieu, Nous n'avons pas de voeu plus cher que de voir la Fille aînée de l'Eglise grande, prospère, unie dans la vérité et dans la justice, jouer un rôle dans le renouvellement spirituel et temporel d'un monde si profondément ébranlé. Veuillez en assurer le vaillant chef du gouvernement provisoire de votre noble et bien-aimée patrie.

Quant à vous, soyez certain, Monsieur l'ambassadeur, que, dans l'accomplissement de sa haute mission, Votre Excellence trouvera toujours de Notre part l'appui le plus empressé et le plus chaleureux.


Pie XII 1945 - MESSAGE DE CONDOLÉANCES AU NOUVEAU PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS S. EXC. M. HARRY TRUMAN POUR LE DÉCÈS DE FRANKLIN D. ROOSEVELT