Pie XII 1945 - ALLOCUTION A L'AMBASSADEUR DE FRANCE


MESSAGES AUX SOUVERAINS DE BELGIQUE, DE HOLLANDE ET DU LUXEMBOURG

(10 mai 1945)x

Ces trois télégrammes ont été adressés dans la matinée du 10 mai 1945, cinq ans jour pour jour après l'envoi des télégrammes au moment de l'invasion de ces trois pays (voir « Documents Pontificaux 1940 », p. 175).

A Son Altesse Royale le prince Charles,

régent de Belgique,

Bruxelles.

En ce jour où la joie que lui cause son retour à l'indépendance et à la liberté se mêle pour la Belgique au souvenir d'une date très douloureuse de sa vie nationale, Nous renouvelons avec une inaltérable affection la Bénédiction paternelle envoyée au peuple belge et à son Souverain au commencement de la très longue épreuve, tout en demandant à Dieu d'accorder à ce très aimé pays les précieux bienfaits d'une paix juste et durable.

A Sa Majesté la Reine de Hollande, La Haye.

Dans les sentiments mêmes que Nous avons manifestés il y a aujourd'hui cinq ans à Votre Majesté et à son peuple à l'heure de la tourmente, Nous prenons part maintenant à la vive joie de la nation hollandaise rentrée en possession de son indépendance et de sa liberté, et rendant grâce à la divine Providence, Nous la supplions d'aider et de bénir votre noble pays dans les oeuvres fécondes de la paix.

1 D'après le texte français de l'Osservatore Romano, du 13 mai 1945.



A Son Altesse Royale

la Grande-Duchesse du Luxembourg.

En l'anniversaire du jour où Nous vîmes avec tristesse le cher peuple du Luxembourg entraîné dans le tourbillon de la guerre, Nous prenons paternellement part à sa vive joie dans la liberté et l'indépendance recouvrées et renouvelons de tout coeur à Votre Altesse Royale et à ses fidèles sujets Notre Bénédiction apostolique.

s Après avoir nommé S. Em. le cardinal Paul Giobbe internonce apostolique en Hollande, le Saint-Père a adressé la lettre suivante aux êvèques de ce pays pour leur dire combien il avait pris part à leurs souffrances et pour les encourager à participer à l'oeuvre de reconstruction.

Au moment où, après les innombrables et effroyables malheurs qui ont frappé aussi votre patrie, les armes sont enfin tombées et où semble poindre l'aube des temps meilleurs, Nous avons un vif désir de vous ouvrir par cette lettre Notre coeur paternel. Comme vous le savez bien, dès que cela Nous a été possible, Nous avons envoyé de nouveau chez vous pour Nous représenter comme internonce apostolique, Notre Vénérable Frère Paul Giobbe, archevêque titulaire de Ptolémaïs en Thébaïde ; mais comme cela ne semblait pas suffire à Nos sentiments très aimants pour vous, Nous voulons maintenant vous donner ce nouveau témoignage de Notre bienveillance qui, pensons-Nous, sera agréablement reçu par vous et par votre peuple.

Les immenses dévastations, calamités et tribulations qui pendant les dernières années ont si cruellement torturé presque toute la communauté humaine, Nous ont causé une extrême douleur ; mais Nous avons éprouvé une particulière tristesse de ce que votre pays bien-aimé — aussi éloigné de la fureur guerrière qu'appliqué à protéger les droits et la paix des peuples, à promouvoir la concorde et la bienfaisance mutuelle — ait été entraîné dans cet effroyable ouragan qui a causé de si graves préjudices à son riche sol et à son


LETTRE AUX ÉVÊQUES DE HOLLANDE

(12 mai 1945J 1

ÉVÊQUES DE HOLLANDE

"5

peuple pacifique. Et ce n'est pas seulement sur le territoire de votre patrie, mais aussi dans les terres transmarines de la Hollande que vous avez subi des afflictions, des ruines, des pertes très préjudiciables aux hérauts de la vérité évangélique et aux entreprises missionnaires qui avaient produit des fruits si salutaires et en promettaient de meilleurs pour l'avenir. C'est pourquoi, chaque fois que la possibilité Nous a été donnée de vous apporter, à vous et à vos concitoyens, quelque secours et soulagement, Nous l'avons fait volontiers et avec un coeur débordant d'affection ; et lorsque les moyens humains manquaient à Nos voeux et à Notre volonté, Nous avons employé Nos prières comme interprètes et compagnes de vos douleurs auprès du « Père des miséricordes et du Dieu de toute consolation » (11 Cor., 1, 3), et Nous l'avons instamment supplié de daigner lui-même adoucir et soulager vos souffrances et de les rendre plus supportables en les dirigeant vers les choses du ciel.

Cependant, en ces tristes événements, des nouvelles Nous ont été apportées qui Nous ont grandement réconforté : Nous avons su que votre vaillance chrétienne et votre humble soumission à la volonté divine ont brillé en exemple aux yeux de vos compatriotes ; Nous avons su que vous avez courageusement défendu selon vos moyens l'intégrité de la foi catholique et les droits les plus sacrés de l'Eglise, et que vous n'avez épargné aucun soin et aucune peine pour protéger vos écoles, vos associations et vos groupements, pour écarter des fausses et pernicieuses doctrines le troupeau confié à chacun de vous et pour le mener aux saines pâtures de la vérité. Nous n'ignorons pas qu'une foule presque innombrable de prêtres, de vierges consacrées à Dieu et aussi, parmi les laïques, d'hommes et de femmes de toute catégorie, ont affronté les dangers en se confiant en Dieu pour ne pas dévier des droites règles de la conscience chrétienne.

Oui, hélas ! vous avez tous souffert pendant ce long espace de temps des douleurs, des angoisses, des misères telles qu'on ne pouvait pas même les prévoir et que, si l'immense miséricorde de Dieu ne vous avait pas donné force et courage, vous n'auriez pu certainement les supporter et les endurer. Nous Nous rappelons surtout avec tristesse que beaucoup de vos concitoyens ont été déportés loin de leurs foyers paternels et détenus dans des camps de captivité, ou bien contraints au travail des mines et à de pénibles besognes, tandis que leurs parents, loin d'eux, étaient plongés dans une extrême tristesse et torturés par le plus brûlant désir de leur retour ; et, parmi eux, beaucoup, même des membres du clergé, ont subi une mort atroce. Et Nos regards voient presque le tableau de vos régions malheureusement submergées par les inondations, vos villes, vos bourgs et villages, naguère florissants, réduits à la misère. Nous n'ignorons pas non plus que presque partout — surtout dans les provinces occidentales — a sévi une dure et cruelle disette.

Cependant, Nous Nous rappelons bien que beaucoup de Nos fils de Hollande ont supporté ces terribles maux avec les sentiments qui conviennent aux disciples de Jésus-Christ, et qu'ainsi leurs souffrances, unies aux tourments du divin Rédempteur, sont devenues salutaires et fécondes pour expier les fautes et pour apaiser Dieu et obtenir ses faveurs pour eux et leurs compatriotes.

C'est pourquoi, il est permis d'espérer que, sous le souffle de la grâce céleste, un important prcfit supérieur est sorti et sortira de ces horribles maux : beaucoup, sans doute, ont réalisé et réaliseront ce qu'exprime l'Apôtre des nations quand il écrit : « J'achève ce qui manque aux souffrances du Christ » (Col 1,24). Il a plu, en effet, à la divine sagesse, comme vous le savez bien, Vénérables Frères, de réserver cette part à nos peines dans l'achèvement et la consommation de l'oeuvre de la Rédemption ; ce qui, en vérité, peut profiter à tous les membres du Corps mystique de Jésus-Christ, même à ceux qui ne se distinguent pas par une juste expiation de leurs fautes et par la domination de leurs sens, et qui ne brillent pas par une volontaire et convenable mortification de leur corps.

Nous avons donc des motifs de vous adresser de vives félicitations, aussi bien pour votre chrétienne vaillance à supporter d'un coeur confiant ces très pénibles épreuves, que pour l'attention et la sollicitude vigilantes avec lesquelles vous vous êtes efforcés de pourvoir par tous les moyens au salut éternel du troupeau confié à chacun de vous, de soulager son infortune, d'apaiser ses douleurs et de ranimer son espérance, et notamment pour cette admirable et très étroite union des volontés avec laquelle, tous attachés par des liens de fidélité à votre auguste reine et à l'autorité légitime, vous avez attendu le jour si heureux où vous pourriez relever votre patrie dans la liberté recouvrée, la paix, la concorde et la prospérité.

Toutefois, comme vous le savez, il reste encore beaucoup à faire, et pour le réaliser il est à peine besoin de vous inspirer du courage, à vous et à vos compatriotes. Il faut avant tout déposer et rejeter non seulement les armes, mais aussi la rancoeur et la haine ; il faut, après l'apaisement des esprits et l'arrangement des choses dans la justice et l'équité, poser les justes fondements du redressement et du rétablissement, fondements sans lesquels aucun édifice social ne peut se construire et tenir debout.

En toute cette entreprise, vous voyez clairement combien il importe que les préceptes de la doctrine chrétienne resplendissent dans les esprits et brillent dans les moeurs privées et publiques ; combien il importe que les associations de tout genre et les oeuvres chargées de propager les journaux et autres imprimés appropriés retrouvent leur ancienne splendeur et façonnent à fond par leur force bienfaisante et leur influence l'organisme de la société civile ; combien il importe également que l'enfance, la jeunesse et l'âge mûr et adulte puisent la vie surnaturelle dans les sacrements, fontaines de vie céleste, surtout dans l'Eucharistie reçue le plus fréquemment et le plus pieusement possible ; combien il importe enfin que l'entente et la concorde harmonieuse de tous les citoyens — nourries par le souffle de la divine charité — s'efforcent de restaurer dans les âmes et les choses tout ce que les hostilités, les discordes et les conflits ont si misérablement saccagé et démoli. A tous, Vénérables Frères, Nous recommandons particulièrement et instamment la charité qui, dans les difficultés présentes, peut seule porter remède à tant de calamités et de maux ; aussi croyons-Nous ne pas pouvoir mieux terminer cette lettre qu'en redisant les paroles de l'apôtre Jean : « Mes enfants, aimez-vous les uns les autres. » 2

Comme gage des célestes bienfaits et en témoignage de Notre paternelle bienveillance, tant à vous, Vénérables Frères, qu'aux ouailles confiées à votre garde, Nous donnons de tout coeur dans le Seigneur la Bénédiction apostolique.

2 Cf. S. Jérôme, Corn, de l'Ep. aux Gal., 2, 5 ; P. L., 26, col. 462.


DISCOURS AUX FORMATIONS SPORTIVES CATHOLIQUES D'ITALIE

(20 mai 1945) 1

A dix mille jeunes sportifs catholiques italiens, le Saint-Père a rappelé la doctrine chrétienne sur le corps humain, la signification du sport et sa place dans la vie humaine.

Au milieu de tant de sujets de tristesse et d'angoisse qui Nous affligent profondément, vous Nous apportez, chers fils, une grande joie et une grande espérance — cette joie, cette espérance qui inondaient le coeur de Jean, l'apôtre préféré de Jésus, l'ardent vieillard à l'âme toujours jeune, quand il s'écriait : « Je vous écris à vous, jeunes gens, parce que vous êtes forts et que la parole de Dieu demeure en vous et que vous avez vaincu le Mauvais » (i Jean, H, 14). Magnifique spectacle que celui d'une jeunesse hardie, franche, généreuse, audacieuse, qui en la « Pâque du sportif » a renouvelé, avec l'accomplissement des devoirs de la religion, ses énergies spirituelles et qui, réunie ici en ce moment, montre avec un chaud enthousiasme, je dirais même quelque peu bruyant, sa fidélité au Christ et à l'Eglise ! De ce spectacle et de la joie qu'il Nous cause, Nous sommes redevable à la méritante présidence du Centre sportif italien, qui, d'accord avec le Comité olympique italien et les Fédérations nationales, a pris la diligente initiative de cette manifestation si opportune. Nous appelons sur leur activité l'abondance des faveurs et des secours du ciel.

L'Eglise et la culture physique.

Ils sont loin de la vérité ceux qui accusent l'Eglise de ne pas s'occuper des corps et de la culture physique, aussi bien que ceux qui voudraient réduire sa compétence aux choses « purement religieuses », « exclusivement spirituelles ». Comme si le corps, créature de Dieu au même titre que l'âme à laquelle il est uni ne devait pas avoir sa part dans l'hommage à rendre au Créateur ! « Que vous mangiez, écrivait aux Corinthiens l'Apôtre des gentils, que vous buviez, que vous fassiez toute autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu » (1Co 10,31). Saint Paul parle ici de l'activité physique ; le soin du corps, le sport, rentrent donc bien dans ces « autres choses ». Souvent même son langage est explicite : il nomme les courses, les luttes, non pour les critiquer ou les blâmer, mais en connaisseur qui en élève le concept et lui confère une noblesse chrétienne.

Aussi bien, qu'est le sport sinon une des formes de l'éducation corporelle ? Or, cette éducation a un rapport étroit avec la morale ; comment donc l'Eglise pourrait-elle s'en désintéresser ?

Le corps humain dans la pensée chrétienne.

En réalité, elle a toujours témoigné à l'égard du corps humain une sollicitude et un respect dont le matérialisme dans son culte idolâtrique n'a jamais témoigné. Et c'est très naturel, puisqu'il ne voit, ne connaît du corps que la chair matérielle, dont la vigueur et la beauté naissent et fleurissent pour se flétrir bientôt et mourir, semblables à l'herbe des champs qui finit dans la cendre et la boue. Bien différente est la conception chrétienne. Le corps humain est en lui-même le chef-d'oeuvre de Dieu dans l'ordre de la création visible. Le Seigneur l'avait destiné à croître ici-bas, puis à s'épanouir immortel dans la gloire du ciel. Il l'a associé à l'esprit dans l'unité de la nature humaine pour faire goûter à l'âme le charme des oeuvres divines, pour l'aider à contempler dans ce miroir leur commun Créateur, à le connaître, l'adorer, l'aimer. Ce n'est pas Dieu qui a fait mortel le corps humain, c'est le péché : mais si, à cause du péché, le corps, tiré de la poussière, doit un jour retourner en poussière (Gn 3,19), le Seigneur l'en tirera de nouveau pour le rappeler à la vie. Même réduits en poussière, l'Eglise respecte et honore les corps morts dans l'espérance de leur résurrection.

Mais voici une vision encore plus haute où nous introduit l'apôtre Paul : « Ne savez-vous pas, dit-il, que votre corps est le temple

de l'Esprit-Saint qui est en vous, qui vous a été donné par Dieu ? Et que vous ne vous appartenez pas, car vous avez été bel et bien achetés ! Glorifiez donc Dieu dans votre corps. » (1Co 6,19-20)

Glorifiez Dieu dans votre corps, temple de l'Esprit-Saint. Ne reconnaissez-vous pas là, chers fils, les mêmes paroles qui se font entendre si souvent dans les psaumes : « Louez Dieu et glorifiez-le dans son saint temple » ? Mais alors il faut dire aussi du corps humain : « A votre maison convient la sainteté, Seigneur » (Ps., xcii, 5). Votre temple réclame la sainteté, ô Seigneur ! Il faut aimer et entretenir la dignité, l'harmonie, la chaste beauté de ce temple : « Seigneur, j'aime le séjour où tu habites et le lieu où réside ta gloire » (Ps 25,8).

Rôle et but du sport sainement compris.

Quel est, dès lors, en premier lieu, le rôle et le but du sport sainement et chrétiennement compris, sinon, précisément, de cultiver la dignité et l'harmonie du corps humain, d'en développer la santé, la vigueur, l'agilité et la grâce ?

Et qu'on ne reproche pas à saint Paul son énergique expression : « Je châtie mon corps et le réduis en servitude » (1Co 9,27), puisque dans le même passage il s'appuie sur l'exemple des fervents adeptes du sport (1Co 9,24-27). Vous le savez bien par expérience personnelle, le sport, pratiqué avec modération et conscience, fortifie le corps, le rend sain, frais et robuste ; mais pour la réalisation de cette oeuvre éducative, il doit se soumettre à une discipline vigoureuse et souvent dure, qui le domine et le tient rigoureusement en servitude : accoutumance à la fatigue, résistance à la douleur, habitudes de continence et de sévère tempérance, toutes conditions indispensables à qui veut remporter la victoire. Le sport est un antidote efficace contre la mollesse et la vie facile, il éveille le sens de l'ordre, il forme à l'examen et à la maîtrise de soi, au mépris du danger, sans forfanterie ni pusillanimité. Vous voyez comment il dépasse déjà la simple robustesse physique pour conduire à la force et à la grandeur morale. C'est ce qu'exprimait Cicé-ron, avec l'incomparable clarté de son style : « Exercez le corps et dressez-le de façon qu'il puisse obéir à la sagesse et à la raison, qu'il s'agisse d'affaires à expédier ou de labeur à soutenir. » 2

2 De ojf., 1. I", c. XXIII.

Le pays qui a donné naissance au sport a été aussi le pays d'origine du proverbial fair play, cette émulation chevaleresque et courtoise qui élève les esprits au-dessus des mesquineries, des fraudes, des détours que suggère une vanité ombrageuse et vindicative, et qui les préserve des excès d'un nationalisme étroit et intransigeant. Le sport est une école de loyauté, de courage, d'endurance, de résolution, de fraternité universelle : toutes vertus naturelles, mais qui fournissent aux vertus surnaturelles un fondement solide et préparent à soutenir sans défaillance le poids des plus lourdes responsabilités. Comment ne pas Nous rappeler, à cette occasion, l'exemple de Notre grand prédécesseur Pie XI, qui fut aussi un maître en alpinisme ? Relisez le récit si impressionnant dans sa calme simplicité, de cette nuit passée tout entière, après vingt heures d'une rude ascension, sur une étroite saillie de roche du Mont-Rose, à 4600 mètres d'altitude au-dessus du niveau de la mer, dans un froid glacial, debout, sans pouvoir faire un pas en aucun sens, obligé à ne pas se laisser vaincre un seul instant par le sommeil, mais au centre de ce panorama grandiose entre les plus grandioses spectacles alpestres, face à cette imposante révélation de la toute-puissance et de la majesté de Dieu ! 3 Quelle résistance physique, quelle ténacité morale suppose un tel effort ! Et comme ces entreprises hardies durent le préparer à déployer un courage intrépide dans l'accomplissement des devoirs formidables qui l'attendaient, dans l'étude des problèmes en apparence inextricables devant lesquels il serait un jour placé comme Chef de l'Eglise !

Fatiguer sainement le corps afin de reposer l'esprit en vue de nouveaux travaux, affiner les sens pour donner aux facultés intellectuelles une plus grande force de pénétration, exercer les muscles et s'habituer à l'effort pour assouplir le caractère et acquérir une volonté résistante et souple comme l'acier : telle était l'idée que le prêtre alpiniste s'était faite du sport.

Les excès du sport.

Cette idée est bien éloignée du matérialisme grossier pour qui le corps est tout l'homme. Elle n'est pas moins étrangère à cette folie d'orgueil qui, avide de conquérir la palme dans un concours de boxe ou de vitesse, n'hésite pas à miner par un surmenage insensé

3 Cf. Scripti alpinistici dei Sac. Dott. Achille Ratti, recueillis et publiés par G. fiobba «t F. Mauro, Milan 1923, pp. 42-43.

les forces et la santé du sportif, parfois même jusqu'à l'exposer témérairement à la mort. Le sport digne de ce nom rend l'homme courageux en face du danger présent ; il ne l'autorise pas — car la morale l'interdit — à braver un risque grave sans motif proportionné. Pie XI écrivait à ce propos : « Quand je parle de « vrai danger », j'entends... cet état de choses où, pour lui-même ou en raison des dispositions du sujet, il n'est pas présumable que celui-ci puisse l'affronter sans que mal s'ensuive. »4 Aussi observait-il, à propos de son ascension au Mont-Rose : « L'idée de tenter, comme on dit, un coup de désespoir, ne nous est pas passée par la tête... L'alpinisme vrai n'est pas un jeu de casse-cou ; c'est, au contraire, entièrement et seulement une question de prudence et d'un peu de courage, de force, de constance, d'amour de la nature et de ses plus mystérieuses beautés. » 5

Le sport n'est pas une fin, mais un moyen.

Ainsi compris, le sport n'est pas un but, il est un moyen. Comme tel, il doit être orienté vers sa fin, qui est la formation et l'éducation parfaite et équilibrée de tout l'homme qui trouve dans le sport une aide pour l'accomplissement prompt et joyeux du devoir tant dans sa vie de travailleur que dans sa vie familiale.

Par un renversement lamentable de l'ordre naturel, certains jeunes gens consacrent avec passion tout leur intérêt et toute leur activité aux réunions et manifestations sportives, et à l'entraînement pour les compétitions ; ils mettent tout leur idéal dans la conquête d'un championnat. Mais ils ne prêtent qu'une attention distraite et ennuyée aux exigences importunes de l'étude ou de la profession. Le foyer domestique n'est plus pour eux qu'une auberge où ils s'arrêtent en passant comme des étrangers.

Tout autres êtes-vous, grâce au ciel, quand, chers fils, après une belle compétition, vous reprenez le travail, alertes et avec un nouvel entrain ; quand, revenus à la maison, vous réjouissez toute la famille par vos récits exubérants et enthousiastes.

Le sport et les devoirs du chrétien.

Au service de la vie saine, robuste, ardente, au service d'une activité plus féconde dans l'accomplissement du devoir d'état, le sport

* Ibid., p. 59. 5 Ibid., p. 22.

peut et doit être aussi au service de Dieu. C'est pourquoi il incline l'esprit à prendre la direction des forces physiques et des vertus morales qu'il développe. Mais tandis que le païen ne s'assujettissait à un austère régime sportif que pour obtenir une couronne périssable, le chrétien s'y soumet en vue d'une fin plus haute, d'une récompense immortelle (1Co 9,25).

Avez-vous remarqué le nombre considérable de soldats parmi les martyrs que l'Eglise vénère ? Le corps et le caractère aguerris par les exercices inhérents au métier des armes, ils ne se laissaient dépasser par leurs compagnons ni en dévouement à la patrie, ni en force, ni en courage : ils avaient de plus, sur eux, une incomparable supériorité, prêts qu'ils étaient aux luttes et aux sacrifices pour le loyal service du Christ et de l'Eglise. La même foi, le même esprit vous animent : soyez, vous aussi, décidés à faire passer avant tout vos devoirs de chrétiens.

Aussi bien, à quoi serviraient le courage physique et l'énergie du caractère, si le chrétien n'en usait que pour des fins terrestres, pour gagner une « coupe » ou pour se donner des airs de surhomme ? Si on ne savait pas, quand il y a lieu, réduire d'une demi-heure le temps de son sommeil, retarder un rendez-vous de stade, plutôt que d'omettre l'assistance à la messe du dimanche ; si on ne réussissait pas à vaincre le respect humain pour pratiquer et défendre sa religion ; si on ne profitait pas de son prestige et de son autorité pour arrêter ou réprimer d'un regard, d'un mot ou d'un geste un blasphème, un vilain propos, une action déshonnête, pour défendre les plus jeunes et les plus faibles contre les provocations et les assiduités suspectes ; si on ne s'accoutumait pas à conclure ses succès sportifs par une louange à Dieu, Créateur et Seigneur de la nature et de toutes ses forces ? Soyez toujours conscients de ce que le plus grand honneur et la plus sainte destinée du corps sont d'être la demeure d'une âme resplendissante de pureté morale et sanctifiée par la grâce divine.

La place du sport dans la vie humaine.

Ainsi, chers fils, se trouve défini et tracé le but du sport. Appliquez-vous résolument à le réaliser avec la conscience que sur le terrain de la culture physique la conception chrétienne n'a rien à recevoir d'autrui, mais plutôt à donner. Ce qui s'est avéré vraiment bon dans les différentes formes et manifestations sportives, vous pouvez l'accepter et l'adopter, tout autant que les autres.

Quant à la place due au sport dans la vie humaine, dans la vie de l'individu, de la famille, de tout le peuple, c'est l'idée catholique qui, simplement, éclaire et sauve. L'expérience des dernières décades est, sur ce point, fort instructive ; elle a bien montré que seule l'estimation chrétienne du sport est capable de s'opposer efficacement aux fausses conceptions et aux tendances pernicieuses, et d'en neutraliser la mauvaise influence ; par contre, elle enrichit la culture physique de tout ce qui contribue à élever la valeur spirituelle de l'homme ; mieux encore, elle la fait servir à une noble exaltation de la dignité, de la vigueur, de l'efficacité d'une vie pleinement et fortement chrétienne. En cela consiste l'apostolat que pratique le sportif quand il reste fidèle aux principes de sa foi.

Le symbolisme du sport, d'après saint Paul.

L'insistance est bien remarquable avec laquelle l'apôtre saint Paul, surtout dans sa première lettre aux Corinthiens, recourt à la comparaison du sport pour exprimer sa mission apostolique et la vie militante du chrétien sur la terre. « Ne savez-vous pas, écrit-il, que les coureurs du stade courent bien tous, mais qu'un seul remporte le prix ? Courez donc de façon à vous l'assurer. » A quoi il ajoute les paroles auxquelles Nous avons déjà fait allusion : « Tous ceux qui luttent dans l'arène s'imposent une abstinence rigoureuse, et eux, c'est pour une couronne corruptible ; nous, c'est pour une incorruptible. Je cours donc dans le stade, moi aussi, mais pas à l'aventure ; je fais du pugilat, non pas en donnant des coups dans le vide ; je traite durement mon corps et je le réduis en servitude, de peur qu'il ne m'arrive de succomber moi-même après y avoir provoqué les autres » (1Co 9,24-27).

Ces paroles jettent sur le sport les rayons d'une lumière mystique. L'important, aux yeux de l'Apôtre, c'est cette réalité supérieure dont le sport est l'image et le symbole : le travail incessant pour le Christ, le frein imposé au corps et son assujettissement à l'âme immortelle, la vie éternelle, enjeu de cette lutte. Même pour le sportif chrétien, même pour vous, chers fils, le sport ne peut pas être le suprême idéal, le but dernier : il doit vous servir à tendre vers cet idéal, à atteindre cette fin. Si un exercice sportif réussit à être pour vous un délassement, un stimulant pour remplir, frais et ardents, vos devoirs d'étude ou de travail, on peut d'ire qu'il se révèle dans sa vraie signification et sa vraie valeur, qu'il réalise heureusement son objet propre. Si, en outre, vous trouvez dans le sport non seulement l'image, mais en quelque sorte l'exécution même de votre plus haut devoir, c'est-à-dire si vous parvenez, grâce à l'activité sportive, à rendre le corps plus docile, plus soumis à l'esprit et à vos obligations morales ; si enfin votre exemple contribue à donner à l'activité sportive moderne une forme plus en rapport avec la dignité humaine et les préceptes divins, alors votre culture physique acquiert une valeur surnaturelle ; alors vous réalisez, en même temps et dans un seul acte, le symbole et la chose symbolisée dont parlait saint Paul ; alors, vous vous préparerez à pouvoir, un jour, répéter le cri du grand lutteur apostolique : « J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi ; désormais, la couronne de justice m'attend, que me donnera le Seigneur, le juste Juge, et non seulement à moi, mais à tous ceux qui espèrent son avènement (2Tm 4,7-8).

Pour que le Tout-Puissant, Créateur de vos corps et de vos âmes, le Saint-Esprit, dont votre corps est le temple, Marie, la Vierge puissante et la Mère sans souillure, vous gardent, vous protègent, vous accordent de jouir toujours de la santé de l'esprit et du corps, Nous vous mettons sous leur égide et vous accordons de tout coeur à vous, à vos compagnons, à vos familles, Notre paternelle Bénédiction apostolique.

DISCOURS AU SACRÉ COLLÈGE A L'OCCASION DE LA FÊTE DE SAINT EUGÈNE Ier

(2 juin 1945J1

Dans ce discours, le Saint-Père revient sur la condamnation du national-socialisme et la persécution religieuse infligée aux catholiques d'Allemagne :

En accueillant, Vénérables Frères, avec une vive gratitude les souhaits que Nous a offerts en votre nom à tous, le vénérable et très aimé doyen du Sacré Collège, Notre pensée Nous reporte à quelque six années en arrière, alors qu'en cette même circonstance vous Nous présentiez vos voeux de fête, pour la première fois après l'élévation de Notre indigne personne à la Chaire de Pierre.

Le monde était alors encore en paix : mais quelle paix ! et combien précaire ! Le coeur rempli d'angoisse, avec perplexité et en priant, Nous Nous penchions sur cette paix, comme on se penche au chevet d'un agonisant, qu'un ardent amour s'obstine à disputer, même contre toute espérance, aux étreintes de la mort.

Dans les paroles que Nous vous avons alors adressées 2 transparaissait Notre douloureuse appréhension pour le déchaînement d'un conflit, qui semblait devenir de plus en plus menaçant, et dont personne n'aurait pu prévoir ni l'extension ni la durée.

Les événements qui se sont déroulés depuis n'ont que trop démontré la justesse de Nos prévisions les plus sombres ; ils les ont même de beaucoup dépassées.

Aujourd'hui, après bientôt six ans, les luttes fratricides ont cessé, au moins dans une partie de ce monde dévasté par la guerre.

2 Cf. Documents Pontificaux 1939, p. 112.

C'est une paix — s'il est permis de l'appeler ainsi — bien fragile encore et qui ne pourra se maintenir et se consolider qu'au prix de soins assidus ; une paix dont la sauvegarde impose à toute l'Eglise, au Pasteur et au troupeau, de graves et très délicats devoirs : prudence patiente, fidélité courageuse, esprit de sacrifice ! Tous sont appelés à s'y consacrer, chacun dans son emploi et à sa place. Personne ne pourra jamais y apporter trop d'empressement ni trop de zèle.

Quant à Nous et à Notre ministère apostolique, Nous Nous sentons bien assuré, Vénérables Frères, de pouvoir compter sur votre sage collaboration, sur vos incessantes prières, sur votre dévouement inébranlable.


. I

L'EGLISE ET LE NATIONAL-SOCIALISME

En Europe la guerre est finie : mais quels stigmates elle y a imprimés ! Le divin Maître avait dit : « Tous ceux qui mettront injustement la main à l'épée périront par l'épée » (cf. Matth. Mt 26,52). Or, que voyez-vous ?

Vous voyez ce que laissent derrière elles une conception et une action de l'Etat qui ne tiennent aucun compte des sentiments les plus sacrés de l'humanité, qui foulent aux pieds les principes inviolables de la foi chrétienne. Le monde entier contemple aujourd'hui, stupéfait, l'écroulement qui en est la conséquence.

Cet écroulement, Nous l'avions vu venir de loin, et bien peu, croyons-Nous, ont suivi avec une plus grande tension d'esprit l'évolution et le rythme précipité de cette chute inévitable. Plus de douze années, qui comptent parmi les meilleures de Notre âge mûr, Nous avons vécu, par devoir de la charge qui Nous était confiée, au milieu du peuple allemand. Durant cette période, avec la liberté que permettaient les conditions politiques et sociales d'alors, Nous Nous sommes employé à consolider la situation de l'Eglise catholique en Allemagne. Nous eûmes ainsi l'occasion de connaître les grandes qualités de ce peuple et Nous Nous trouvâmes en relations personnelles avec ses meilleurs représentants. C'est pourquoi Nous avons confiance qu'il pourra s'élever une fois encore à une nouvelle dignité et à une nouvelle vie, quand il aura repoussé de lui le spectre satanique exhibé par le national-socialisme et quand les coupables (comme Nous avons déjà eu l'occasion de l'exposer d'autres fois) auront expié les crimes qu'ils ont commis.

Tant qu'il restait encore une lueur d'espoir que ce mouvement pût prendre une tournure différente et moins pernicieuse, soit par la résipiscence de ses membres plus modérés, soit par une opposition efficace de la partie non consentante du peuple allemand, l'Eglise a fait tout ce qui était en son pouvoir pour opposer une digue puissante à l'envahissement de ces doctrines aussi délétères que violentes.

a) Le Concordat avec l'Allemagne.

Au printemps de 1933, le gouvernement allemand pressa le Saint-Siège de conclure un concordat avec le Reich, idée qui rencontra aussi l'assentiment de l'épiscopat et de la plus grande partie tout au moins des catholiques allemands. En effet, ni les concordats déjà conclus avec quelques Etats particuliers de l'Allemagne (Lander) ni la Constitution de Weimar ne leur semblaient assurer et garantir suffisamment le respect de leurs convictions, de leur foi, de leurs droits et de leur liberté d'action. Dans de telles conditions, ces garanties ne pouvaient être obtenues qu'au moyen d'un accord, dans la forme solennelle d'un Concordat avec le gouvernement central du Reich. Il faut ajouter qu'après la proposition faite par celui-ci la responsabilité de toutes les conséquences douloureuses seraient retombées, en cas de refus, sur le Saint-Siège.

b) Persécution religieuse et violation du Concordat.

Ce n'est pas que, de son côté, l'Eglise se laissât leurrer par d'excessives espérances ou que, en concluant le Concordat, elle entendît approuver de quelque manière que ce soit, la doctrine et les tendances du national-socialisme, comme déclaration et explication en furent alors expressément données3. Toutefois il faut reconnaître que le Concordat, dans les années suivantes, procura quelque avantage ou du moins empêcha des maux plus grands. En effet, malgré toutes les violations dont il fut bientôt l'objet, il laissait aux catholiques une base juridique de défense, un camp où se retrancher pour continuer à affronter, tant qu'il leur serait possible, le flot toujours croissant de la persécution religieuse.

3 Cf. VOsservatore Romano du 2 juillet 1933. Voir dans La Documentation catholique, t. XXX, 1933, col. 506, la traduction de ce document dans l'étude consacrée au Concordat du 20. 7. 33 entre le Saint-Siège et le Reich allemand (n° spécial 672).

En fait, la lutte contre l'Eglise allait toujours s'aggravant : c'était la destruction des organisations catholiques ; c'était la suppression progressive des écoles catholiques, publiques et privées, si florissantes ; c'était la séparation forcée de la jeunesse d'avec la famille et l'Eglise ; c'était l'oppression exercée sur la conscience des citoyens, particulièrement des employés de l'Etat ; c'était le dénigrement systématique, au moyen d'une propagande habilement et rigoureusement organisée, de l'Eglise, de son clergé, de ses fidèles, de ses institutions, de sa doctrine, de son histoire ; c'était la fermeture, la dissolution, la confiscation de maisons religieuses et d'autres institutions ecclésiastiques ; c'était l'anéantissement de la presse et de l'édition catholiques.

Pous résister à ces attaques, des millions de vaillants catholiques, hommes et femmes, se serraient autour de leurs évêques, dont la voix courageuse et sévère ne manqua jamais de se faire entendre jusqu'en ces dernières années de guerre ; autour de leurs prêtres, pour les aider à adapter sans cesse leur apostolat aux nécessités et aux circonstances nouvelles ; jusqu'à la fin, avec patience et fermeté, ils opposèrent au front de l'impiété et de l'orgueil le front de la foi, de la prière, de la conduite et de l'éducation franchement catholiques.

) L'encyclique «- Mit brennender Sorge ».

Pendant ce temps, le Saint-Siège, sans hésiter, multipliait auprès des gouvernants allemands ses instances et ses protestations, les rappelant avec énergie et précision au respect et à l'accomplissement des devoirs dérivant du droit naturel lui-même et confirmés par le Concordat. Dans ces années critiques, Notre grand prédécesseur Pie XI, joignant à la vigilance attentive du Pasteur la patiente longanimité du Père, remplit avec une force intrépide sa mission de Pontife suprême.

Lorsque néanmoins, après avoir vainement essayé toutes les voies de la persuasion, il se vit de toute évidence aux prises avec les violations délibérées d'un pacte officiel et d'une persécution religieuse, dissimulée ou manifeste, mais toujours durement menée, le dimanche de la Passion 1937, dans son encyclique Mit brennender Sorge 4, il dévoila au regard du monde ce que le national-socialisme était en réalité : l'apostasie orgueilleuse de Jésus-Christ, la négation

Cf. La Documentation catholique, t. XXXVII, 1937, col. 901.

de sa doctrine et de son oeuvre rédemptrice, le culte de la force, l'idolâtrie de la race et du sang, l'oppression de la liberté et de la dignité humaine.

Comme un coup de trompette qui donne l'alarme, le document pontifical, vigoureux — trop vigoureux, comme le pensait déjà plus d'un — fit sursauter les esprits et les coeurs.

Beaucoup — même hors des frontières de l'Allemagne — qui, jusqu'alors, avaient fermé les yeux sur l'incompatibilité de la conception nationale-socialiste et de la doctrine chrétienne, durent reconnaître et confesser leur erreur.

Beaucoup, mais pas tous ! D'autres, dans les rangs mêmes des fidèles, étaient par trop aveuglés par leurs préjugés ou séduits par l'espoir d'avantages politiques. L'évidence des faits signalés par Notre prédécesseur ne réussit pas à les convaincre, encore moins à les décider à changer de conduite. Est-ce une simple coïncidence ? Certaines régions, qui furent ensuite les plus durement frappées par le système national-socialiste, furent précisément celles où l'encyclique Mit brennender Sorge avait été le moins ou même n'avait été aucunement entendue.

Aurait-il été possible alors de freiner une fois pour toutes, par des mesures politiques opportunes et adaptées, le déchaînement de la violence brutale et de mettre le peuple allemand en état de se dégager des tentacules qui l'étreignaient ? Aurait-il été possible d'épargner de cette manière à l'Europe et au monde l'invasion de cette immense marée de sang ? Personne n'oserait se prononcer avec certitude. En tout cas, pourtant, personne ne pourrait reprocher à l'Eglise de n'avoir pas dénoncé et indiqué à temps le vrai caractère du mouvement national-socialiste et le danger auquel il exposait la civilisation chrétienne.

« Quiconque érige la race, ou le peuple, ou l'Etat, ou une de ses formes déterminées, les dépositaires du pouvoir ou d'autres éléments fondamentaux de la société humaine... en règle suprême de tout, même des valeurs religieuses, et les divinise par un culte id'olâtrique, celui-là pervertit et fausse l'ordre des choses créé et voulu par Dieu. » 5

Cette phrase de l'encyclique résume bien l'opposition radicale qui existe entre l'Etat national-socialiste et l'Eglise catholique. Au point où en étaient venues les choses, l'Eglise ne pouvait plus, sans

« A. A. S., 29, 1937, pp. 149 et 171.

manquer à sa mission, renoncer à prendre position devant le monde entier. Par cet acte, pourtant, elle devenait, une fois de plus, un « signe de contradiction » (Lc 11,34), devant lequel les esprits s'affrontèrent et prirent position en deux groupes opposés.

Les catholiques allemands, on peut le dire, furent d'accord pour reconnaître que l'encyclique Mit brennender Sorge avait apporté lumière, direction, consolation, réconfort à tous ceux qui prenaient au sérieux et pratiquaient de manière conséquente la religion du Christ.

d) Hostilité croissante contre l'Eglise.

La réaction, pourtant, ne pouvait faire défaut de la part de ceux qui avaient été frappés ; et, de fait, l'année 1937 fut précisément, pour l'Eglise catholique en Allemagne, une année d'indicibles amertumes et de tempêtes terribles.

Les grands événements politiques qui marquèrent les deux années suivantes et ensuite la guerre n'atténuèrent aucunement l'hostilité du national-socialisme contre l'Eglise, hostilité qui se manifesta jusqu'en ces derniers mois, quand ses adhérents se flattaient encore de pouvoir, la victoire militaire une fois remportée, en finir pour toujours avec l'Eglise. Des témoignages autorisés et incontestables Nous tenaient informé de ces desseins ; ceux-ci, du reste, se dévoilaient d'eux-mêmes par les mesures réitérées et toujours plus hostiles prises contre l'Eglise catholique en Autriche, en Alsace-Lorraine et surtout dans les régions de la Pologne qui, déjà pendant la guerre, avaient été incorporées à l'ancien Reich ; tout y fut frappé, anéanti ; tout, c'est-à-dire tout ce qui pouvait être atteint par la violence extérieure °.

e) Les messages du pape durant la guerre.

Continuant l'oeuvre de Notre prédécesseur, Nous n'avons pas cessé, Nous-même, durant la guerre, spécialement dans Nos messages, d'opposer les exigences et les règles indéfectibles de l'humanité et de la foi chrétienne aux applications dévastatrices et inexorables de la doctrine nationale-socialiste, qui en arrivaient à employer les méthodes scientifiques les plus raffinées pour torturer ou supprimer des personnes souvent innocentes. C'était là, pour Nous, le moyen le

6 Cf. La Documentation catholique, 1945, col. 353 et 457.

plus opportun et, pourrions-Nous dire, le seul efficace de proclamer devant le monde les principes immuables de la 'loi morale et d'affermir, parmi tant 'd'erreurs et de violences, les esprits et les coeurs des catholiques allemands dans l'idéal supérieur de la vérité et de la justice. Cette sollicitude ne resta pas sans effet. Nous savons, en effet, que Nos messages, surtout celui de Noël 1942, malgré toutes les défenses et tous les obstacles, furent pris comme sujets dans les conférences diocésaines du clergé en Allemagne et ensuite exposés et expliqués au peuple catholique.

Mais si les dirigeants de l'Allemagne avaient résolu de détruire aussi l'Eglise catholique dans l'ancien Reich, la Providence en avait disposé autrement. Les tribulations infligées à l'Eglise par le national-socialisme se sont terminées avec la fin soudaine et tragique du persécuteur !

f) Dans les camps de concentration.

Des prisons, des camps de concentration, des bagnes affluent maintenant, avec les détenus politiques, les phalanges de ceux, tant clercs que laïques, dont l'unique crime fut la fidélité au Christ et à la foi de leurs pères ou l'accomplissement courageux des devoirs sacerdotaux. Pour eux tous, Nous avons ardemment prié et Nous Nous sommes appliqué par tous les moyens, chaque fois que ce fut possible, à leur faire parvenir Nos paroles de réconfort et les bénédictions de Notre coeur paternel.

En effet, plus se lèvent les voiles qui cachaient jusqu'à maintenant la douloureuse passion de l'Eglise sous le régime national-socialiste, plus apparaissent la fermeté, souvent inébranlable jusqu'à la mort, d'innombrables catholiques et la part glorieuse que le clergé a eue dans ce noble combat. Bien que nous ne possédions pas encore de statistiques complètes, Nous ne pouvons pas pourtant Nous abstenir de mentionner ici, à titre d'exemple, quelques-unes au moins des nombreuses nouvelles qui Nous parviennent de prêtres et de laïques internés au camp de Dachau, qui furent dignes d'endurer des affronts pour le nom de Jésus (Ac 5,41).

En première place, pour le nombre et pour la dureté des traitements subis, se trouvent les prêtres polonais. Entre 1940 et 1945, 2800 ecclésiastiques et religieux de ce pays furent emprisonnés dans ce camp, parmi lesquels l'évêque auxiliaire de Plock, qui y mourut du typhus. En avril dernier, il en restait seulement 816 ; tous les autres étaient morts, à l'exception de deux ou trois transférés dans un autre camp. Durant l'été de 1942, on y signala rassemblés 480 ministres du culte de langue allemande dont 45 protestants et tous les autres prêtres catholiques. Malgré l'afflux continuel de nouveaux internés, spécialement de quelques diocèses de Bavière, de Rhénanie et de Westphalie, leur nombre, en raison de la forte mortalité, ne dépassait pas, au début de cette année, 350. Et on ne peut passer sous silence ceux qui appartenaient aux territoires occupés : Hollande, Belgique, France (parmi eux l'évêque de Clermont), Luxembourg, Slovénie, Italie. Beaucoup de ces prêtres et de ces laïques ont eu à supporter d'indicibles tourments à cause de leur foi et de leur vocation. En une occasion, la haine des impies contre l'Eglise en vint au point de parodier sur un prêtre interné avec des fils de fer barbelés la flagellation et le couronnement d'épines du Rédempteur.

Les victimes généreuses qui, durant douze ans, depuis 1933, en Allemagne, ont fait au Christ et à son Eglise le sacrifice de leurs biens, de leur liberté, de leur vie, élèvent vers Dieu leurs mains en une oblation expiatoire. Puisse le juste Juge l'agréer en réparation de tant de crimes commis contre l'humanité, non moins qu'au détriment du présent et de l'avenir de leur propre peuple, spécialement de l'infortunée jeunesse, et abaisser finalement le bras de son ange exterminateur.

Avec une insistance toujours croissante, le national-socialisme a prétendu dénoncer l'Eglise comme ennemie du peuple allemand. L'injustice manifeste de l'accusation aurait frappé au plus vif les sentiments des catholiques allemands et les Nôtres si elle était sortie d'autres lèvres ; mais sur celles de tels accusateurs, loin d'être une charge, elle est le témoignage le plus éclatant et le plus flatteur de l'opposition ferme et constante, soutenue par l'Eglise contre des doctrines et des méthodes si pernicieuses pour le bien de la vraie civilisation et du peuple allemand lui-même. A celui-ci Nous souhaitons que, délivré de l'erreur qui l'a précipité dans l'abîme, il puisse retrouver son salut aux sources pures de la vraie paix et du vrai bonheur, aux sources de la vérité, de l'humilité, de la charité, qui ont jailli avec l'Eglise du Coeur du Christ.

n REGARDS VERS L'AVENIR

Dure leçon que celle de ces dernières années ! Qu'au moins elle soit comprise et qu'elle profite aux autres nations ! « Instruisez-vous, vous qui jugez la terre ! (Ps 2,10). C'est le voeu le plus ardent de quiconque aime sincèrement l'humanité. Victime d'une exploitation impie, d'un cynique mépris de la vie et des droits de l'homme, celle-ci n'a qu'un désir, elle n'aspire qu'à une seule chose : mener une vie tranquille et pacifique dans la dignité et l'honnête labeur.

C'est pourquoi elle désire ardemment qu'on mette un terme à l'effronterie avec laquelle la famille et le foyer domestique ont été maltraités et profanés durant les années de guerre ; effronterie qui crie vers le ciel, qui s'est transformée en un des plus graves dangers non seulement pour la religion et la morale, mais aussi pour toute vie bien ordonnée de la communauté humaine ; faute qui, surtout, a créé les multitudes de déracinés, de déçus, de désolés sans espoir qui vont grossir les masses de la révolution et du désordre, à la solde d'une tyrannie non moins despotique que celle qu'on a voulu abattre.

a) Sort des nations. Victoire du droit.

Les nations, les petites et les moyennes en particulier, réclament qu'il leur soit permis de prendre en main leurs propres destins. Elles peuvent être conduites à contracter, de leur plein gré et dans l'intérêt du progrès commun, des obligations qui modifient leurs droits souverains. Mais après avoir supporté leur part, leur large part de sacrifices pour détruire le système de la violence brutale, elles sont en droit de ne pas accepter que leur soit imposé un nouveau système politique ou culturel, que la grande majorité de leurs populations repousse résolument.

Elles pensent, et avec raison, que le devoir principal des organisateurs de la paix est de mettre fin au jeu criminel de la guerre et de protéger les droits vitaux et les devoirs réciproques entre les grands et les petits, entre les puissants et les faibles.

Au fond de leur conscience, les peuples sentent que leurs dirigeants se discréditeraient si, au délire fou d'une hégémonie de la force, ils ne faisaient pas succéder la victoire du droit. La pensée d'une nouvelle organisation de la paix a jailli — personne ne pourrait en douter — du vouloir le plus droit et le plus loyal. Toute l'humanité suit, anxieuse, le progrès d'une aussi noble entreprise. Quelle amère déception ce serait si elle venait à échouer, si tant d'années de souffrances et de privations étaient rendues vaines pour laisser triompher de nouveau cet esprit d'oppression, dont le monde espérait se voir finalement libéré pour toujours ! Pauvre monde, auquel pourrait s'appliquer alors la parole de Jésus : que sa nouvelle situation est devenue pire que celle dont il était sorti avec tant de peine ! (cf. Luc, Lc 11,24-26).

Les conditions politiques et sociales mettent sur Nos lèvres ces paroles d'avertissement. Nous avons malheureusement dû déplorer, en plus d'un pays, des meurtres de prêtres, des déportations de civils, des massacres de citoyens exécutés sans procès ou par vengeance privée. Non moins tristes sont les nouvelles qui Nous sont parvenues de la Slovénie et de la Croatie.

Mais Nous ne voulons pas perdre courage. Les discours prononcés par des hommes autorisés et responsables au cours de ces dernières semaines laissent comprendre qu'ils ont en vue la victoire du droit, non seulement comme but politique, mais encore plus comme devoir moral.

b) Appel à la prière.

C'est pourquoi Nous adressons de grand coeur à Nos fils et à Nos filles du monde entier un chaleureux appel à la prière. Qu'il parvienne à l'oreille de tous ceux qui reconnaissent en Dieu le Père très aimant de tous les hommes créés à son image et ressemblance, de tous ceux qui savent que dans la poitrine du Christ bat un Coeur divin riche en miséricorde, source profonde et inépuisable de tout bien et de tout amour, de toute paix et de toute réconciliation.

De la trêve des armes à la paix vraie et sincère, comme Nous le disions il n'y a pas longtemps, le chemin sera ardu et long, trop long pour les aspirations anxieuses d'une humanité affamée d'ordre et de calme. Mais il est inévitable qu'il en soit ainsi. Et peut-être aussi préférable. Il faut d'abord laisser s'apaiser l'ouragan des passions surexcitées : Motos praestat componere fluctus, « mieux vaut que s'apaise l'agitation des flots » 7. Il est nécessaire que la haine, la défiance, les excitations d'un nationalisme extrême cèdent la place à l'élaboration de sages conseils, à Péclosion de desseins pacifiques, à la sérénité dans les échanges de vues et à la mutuelle compréhension fraternelle.

c) Que le Saint-Esprit guide les constructeurs de la paix!

Daigne le Saint-Esprit, lumière des intelligences, doux Maître des coeurs, exaucer les prières de son Eglise et guider dans leur travail

f Virgile, Enéide, 1, 135.

difficile ceux qui, selon leur haute mission, s'efforcent sincèrement, malgré les obstacles et les contradictions, d'arriver au terme si universellement, si ardemment désiré : la paix, la vraie paix, digne de ce nom. Une paix qui se fonde et trouve sa fermeté dans la sincérité et dans la loyauté, dans la justice et dans la réalité ; une paix d'effort loyal et résolu pour vaincre ou prévenir les conditions économiques et sociales qui pourraient, à l'avenir comme par le passé, conduire facilement à de nouveaux conflits armés ; une paix qui puisse être approuvée par tous les esprits droits de tous les peuples et de toutes les nations ; une paix que les générations futures puissent considérer avec reconnaissance comme le fruit heureux d'un temps malheureux ; une paix qui marque dans les siècles un tournant décisif dans l'affirmation de la dignité humaine et de l'ordre dans la liberté ; une paix qui soit comme la grande Charte qui a fermé l'ère sombre de la violence ; une paix qui, sous la conduite miséricordieuse de Dieu, nous fasse passer à travers la prospérité temporelle, de manière à ne pas perdre le bonheur éternel8.

Mais avant d'atteindre cette paix, il est vrai que des millions d'hommes, dans leur foyer ou à la guerre, dans la prison ou dans l'exil, doivent encore goûter l'amertume du calice. Comme il Nous tarde de voir la fin de leurs souffrances et de leurs angoisses, la réalisation de leurs désirs ! Pour eux aussi, pour toute l'humanité qui souffre avec eux et en eux, que monte vers le Tout-Puissant Notre prière humble et ardente.

En attendant, ce Nous est un immense réconfort, Vénérables Frères, de penser que vous prenez part à Nos soucis, à Nos prières, à Nos espoirs, et que dans le monde entier, évêques, prêtres, fidèles joignent leurs supplications aux Nôtres dans la grande voix de l'Eglise universelle. En témoignage de Notre profonde gratitude et comme gage des miséricordes infinies et des faveurs divines, à vous-mêmes, à eux, à tous ceux qui Nous sont unis dans le désir et dans la recherche de la paix, Nous accordons du fond du coeur Notre Bénédiction apostolique.

8 Cf. Oraison du IIIe dimanche après la Pentecôte.


Pie XII 1945 - ALLOCUTION A L'AMBASSADEUR DE FRANCE