Pie XII 1945 - LETTRE A S. ÉM. LE CARDINAL SCHUSTER ARCHEVÊQUE DE MILAN POUR LE IVe CONGRÈS EUCHARISTIQUE DE L'ARCHIDIOCÈSE DE MILAN

ALLOCUTION A DEUX PERSONNALITÉS AMÉRICAINES

(25 août 1945) 1

Le Saint-Père ayant reçu en audience l'honorable Cecil R. King, représentant de la Californie au Congrès des Etats-Unis, et M. Richard R. Brown, vice-directeur de l'U. N. R. R. A. 2, leur a adressé les paroles suivantes :

Comme Nous l'avons fait remarquer à un groupe de vos collègues il y a quelques jours, il est agréable et encourageant de constater l'intérêt personnel manifesté par les gouvernants et législateurs responsables pour réparer les dommages énormes causés par la guerre. La guerre ! Quel chapitre mélancolique et épouvantable de l'histoire de la famille humaine ! Maintenant que le terrible fléau est passé, les frères doivent aider les frères à se remettre sur pied, à faire face sans crainte à l'avenir. Mais quelque chose de plus que le simple courage sera nécessaire pour que les peuples d'Europe et de l'Extrême-Orient regardent l'avenir avec espoir. Ils doivent avoir la ferme assurance que dans toute la mesure du possible les moyens matériels nécessaires à la reconstruction de leur vie économique et culturelle ne leur feront pas défaut s'ils sont déterminés à déployer leurs propres efforts avec sérieux et persévérance pour leur propre réorganisation.

Les organismes internationaux de secours accomplissent une oeuvre vraiment noble, une oeuvre de charité chrétienne authentique,

1 D'après le texte anglais de Discorsi e Radiornessaggi, t. VII, p. 149.

2 U. N. R. R. A. : United Nations Relief and Rehabilitation Agreement, accord des Nations Unies pour le soulagement et le relèvement des populations victimes de la guerre, créé en 1943 à Atlantic City.


en s'efforçant de donner véritablement et fermement cette assurance. Dieu ne manquera pas de les bénir pour cet effort et tous ceux dont les généreux sacrifices font vivre ces organismes. Que sa bénédiction descende aussi particulièrement sur vous et sur tous les êtres aimés que vous avez laissés à la maison.



M DISCOURS AUX AUTEURS ET ARTISTES CHRÉTIENS DE ROME

(26 août 1945J 1

A l'occasion de la fête de leur patron, saint Genest, le Saint-Père a reçu un groupe d'auteurs dramatiques chrétiens du théâtre, d'artistes de cinéma et de critiques d'art et leur a rappelé la mission de l'art dramatique et la responsabilité des auteurs.

Un préjugé suranné assez répandu met en opposition, et presque en hostilité réciproque, l'Eglise et l'art dramatique. Votre présence ici, chers fils et chères filles, en la fête de saint Genest, martyr2, suivant les directives du bien méritant Centre catholique du théâtre, est un démenti catégorique à une conception si erronée, et elle Nous offre l'occasion de montrer une fois de plus combien elle est injuste et mal fondée.

C'est précisément parce que l'Eglise reconnaît et estime le pouvoir de votre art et la grandeur de votre mission, qu'elle s'élève parfois avec sévérité contre ceux qui, avilissant leur dignité personnelle et manquant à leurs devoirs particuliers, mettent le talent et l'art au service de l'erreur, de l'impiété ou de la sensualité.

Que doivent donc faire le théâtre ou le cinéma pour mener à bien leur mission bienfaisante ? Ils doivent réaliser une oeuvre d'art, dans le sens le plus large et en même temps le plus sain et le plus élevé du mot, ainsi que vous-mêmes vous en donnerez bientôt une preuve en déclamant devant Nous deux des plus belles scènes des Fiancés.

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. VII, p. 153 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. VII, p. 171.

2 Genest, comédien (début du IVe siècle), jouait à Rome sur la scène, en présence de l'empereur Dioclétien, une parodie des cérémonies chrétiennes lorsque, changé tout à coup par l'influence de la grâce divine, il demanda sérieusement le baptême et déclara devant l'empereur qu'il était chrétien. Après avoir été cruellement flagellé, il fut décapité. Le Martyrologe romain fixe sa fête au 25 août.

En quoi consiste l'art véritable ?

La fonction et la mission de l'art, pratiqué comme il convient, consistent à élever l'esprit grâce à la vivacité de l'expression esthétique jusqu'à un idéal intellectuel et moral qui dépasse là capacité des sentiments et le domaine de la matière, jusqu'à Dieu, Bien suprême et Beauté absolue, d'où proviennent tout bien et toute beauté.

L'art, l'art véritable, également éloigné d'un sentimentalisme vague, dont le rêve inconsistant ou l'incompréhensible symbolisme perdent le contact de la réalité et d'un réalisme servile qui s'en tient rigoureusement à l'objet ou au fait matériel sans permettre à l'esprit de s'en séparer, cet art, par le jeu des formes, des ombres, des lumières, la mélodie du chant ou l'intonation nuancée de la voix dans la simple déclamation, rend la pensée transparente et harmonieuse, en même temps qu'il interprète ou réveille les sentiments et les passions qui dormaient ou fermentaient secrètement dans le coeur de l'homme.

Quant à l'historien (qui ne doit pas être un simple chroniqueur) et au romancier, leur art bien réalisé consiste à montrer ou plutôt à faire apercevoir dans le déroulement des faits l'enchaînement des causes et des effets, dans la trame des actions extérieures les motifs et les mobiles cachés, nobles ou bassement intéressés, les caractères, les passions en conflit, et surtout à faire entrevoir le rôle de Celui qui, sans violenter la liberté que lui-même a donnée à l'homme, demeure toujours le « protagoniste de l'histoire ».

L'art dramatique.

Supposez maintenant que l'art dramatique s'empare de l'oeuvre du romancier et de l'historien et qu'il la respecte fidèlement. Une foule de réflexions et de considérations indispensables dans l'oeuvre écrite sont remplacées et exprimées par un simple mouvement des yeux, une furtive crispation des lèvres, une inflexion légère de la voix, une pause, une prononciation quelque peu accentuée, non moins bien et souvent avec plus d'efficacité que par un geste véhément ou par l'agitation de tout le personnage. Ajoutez à tout cela les innombrables effets du décor, de la mise en scène, de l'éclairage. Entre les auteurs, les acteurs et les services les plus divers, la collaboration est si intime et si étroite que, dans l'effet produit, la participation de tous paraît se fondre en une seule action.

Cependant, il est une autre collaboration à laquelle on dirait

que tout est subordonné dans l'art dramatique. Le public, fasciné, oubliant qu'il est là pour voir et pour entendre, vit la scène dont il devient en quelque sorte un acteur bien plus qu'un témoin. Il vit, il sent, il s'agite avec toute la puissance de ses facultés, avec toute la vivacité de ses impressions. Et cette agitation de tout son être, c'est vous qui la provoquez et l'entretenez, vous auteurs, acteurs et actrices du théâtre et du cinéma. La plupart du temps, cette impression dure ; parfois elle ne s'efface jamais plus. Le spectateur sort de la salle de spectacle, emportant avec lui et au-dedans de lui des convictions profondes ou des préjugés tenaces, des aspirations élevées ou des convoitises abjectes.

La responsabilité des auteurs dramatiques.

Grande donc est votre responsabilité. Si, dans l'évocation des mêmes faits, l'histoire, maniée par des auteurs différents, peut devenir tendancieuse et partiale et servir à propager des thèses opposées, que dire du drame qui influence aussi directement l'âme du spectateur, ses sens, son imagination, son impressionnabilité encore plus que sa raison et son jugement ?

Responsabilité formidable, mais en même temps noble et élevée, que vous, chers fils et filles, vous voulez porter dignement. D'où vient alors que d'autres, par contre, la prennent à la légère et sans scrupule et ne font valoir leur action et leur influence sur l'esprit et sur le coeur humain, spécialement des jeunes gens et des adolescents, que pour les corrompre et les dégrader ?

Deux causes principales nous paraissent provoquer un si funeste désordre : la première est le manque de caractère et d'énergie qui incite à céder aux désirs et aux exigences d'un public corrompu ; à flatter ou encore à exciter ses passions et ses mauvais instincts ; à mendier en échange ses applaudissements, ses éclats de rire et surtout les nombreux profits que procurent semblables spectacles. Les succès retentissants et faciles poussent à en présenter toujours de nouveaux. Ces représentations exigent si peu d'esprit d'invention pour les produire, et si peu d'art et d'habileté quant à leur mise en scène ! Cependant que le goût déjà vulgaire, devenant peu à peu encore plus grossier, réclame un poison chaque fois plus violent, et tombe ainsi toujours plus bas.

L'autre cause du mal pourrait sembler moins dangereuse et moins nocive, tellement elle est subtile, tant elle est humaine ! La tentation est bien forte pour un auteur de mettre en relief la finesse et la profondeur de sa pénétration psychologique, en poussant à fond l'analyse des caractères et même des sentiments les plus délicats ou des passions les plus impétueuses et de prodiguer les richesses de sa palette dans la peinture des faits et des moeurs. La tentation est bien forte pour un acteur ou une actrice de forcer ou d'atténuer l'interprétation, de façon à adapter l'oeuvre d'autrui au modèle de son caractère personnel ; de frôler, au risque de les dépasser, les limites de la discrétion dans l'étalage de ses propres dons et de ses propres attraits, même physiques. Dans un roman, ces anatomies morales, ces exhibitions réalistes, ces descriptions du luxe ou de la misère sont capables de troubler le coeur du lecteur. Que sera-ce donc quand, dans le climat et dans l'excitation collective de la salle, les faits se déroulent sensiblement comme dans la réalité, mais, pour ainsi dire, condensés, comprimés, doués d'une plus grande intensité grâce aux étonnants moyens du cinéma, ou quand, au théâtre, les personnages sont là, en chair et en os, si bien identifiés avec leurs rôles que les pensées, les sentiments, les passions qui les agitent font véritablement briller, sourire ou pleurer leurs yeux et palpiter leurs coeurs ?

Cicéron raconte, dans son livre II du De Oratore 3, avoir souvent vu lui-même les yeux d'un acteur flamboyer, tandis qu'il déclamait quelques vers d'une tragédie de Pacuvius, et que ce même acteur ne prononçait jamais les mots paternum adspectum, sans que lui, Cicéron, n'éprouvât l'impression de se trouver en présence de Télamon lui-même, rendu fou de douleur par la mort de son fils. Puis, lorsque l'acteur, changeant l'inflexion de sa voix, continuait sa tirade d'un ton ému, les larmes et les sanglots se mêlaient à ses paroles. Si un acteur ne pouvait déclamer ces vers sans une vive émotion, croyez-vous — concluait le grand orateur romain — que Pacuvius ait pu demeurer calme et tranquille en les écrivant ?

Ainsi donc, il reste bien évident que tout collaborateur du spectacle dramatique qui cède aux exigences du public au lieu de les dominer, ou bien qui se laisse aller aux mesquineries de la vanité ou vaincre par la convoitise d'un gain que sa conscience réprouve, non seulement perd quelque chose de sa propre dignité, mais encore porte atteinte à l'art, à cet art qu'il montre bien ne pas aimer avec

3 Voici ce passage du De Oratore (livre II, § 46, 193) : « quum ex persona mihi ardere oculi hominis histrionis viderentur spondalia illa dicentis :

Segregare abs te ausus, aut sine Salamina ingredi, Neque paternum adspectum es veritus. Numquam illum « adspectum » dicebat quin mihi Telamon iratus fuere luctu filii videretur. »

Les deux vers cités sont tirés du Teucer, tragédie de Pacuvius. Télamon, argonaute, fut le père d'Ajax et de Teucer.

assez de courage pour résister aux caprices du mauvais goût ni avec assez de désintéressement pour le préférer aux provocations de la vaine gloire et du profit.

Malheureusement, c'est un fait indéniable qu'une certaine foule s'entasse d'ans les salles de spectacles indécents et réclame des représentations toujours plus licencieuses. Mais il serait injuste de la rendre seule responsable de semblables perversions, d'attribuer à sa nature elle-même le goût dépravé de la turpitude et du mal, ou de la croire endurcie et accoutumée aux violentes excitations des sens au point de n'être plus en mesure de goûter les plaisirs honnêtes quand ils lui sont présentés sous une forme véritablement belle. Des expériences récentes ont démontré que les oeuvres d'art vraies et saines obtiennent, aujourd'hui peut-être même davantage que dans le passé, la faveur non seulement des intellectuels, mais aussi des classes populaires.

Quel magnifique champ d'activité s'offre dès lors à vous, auteurs dramatiques, à vous, régisseurs, et à vous, critiques dramatiques ! C'est à vous de rétablir le contact du public avec les belles et hautes créations du génie humain ; de travailler à la rééducation du bon goût et à l'honnêteté des sentiments ; d'enseigner aux spectateurs à découvrir eux-mêmes et à goûter les chefs-d'oeuvre dignes de ce nom, que vous offrez à leur admiration.

Quant à vous, acteurs et actrices, bien naturelle et bien compréhensible est l'intense émotion de joie et de fierté qui remplit vos âmes en présence de ce public, entièrement tendu vers vous, haletant, qui applaudit et qui vibre. Vous le voyez subjugué par votre art, vous sentez la puissance de votre action sur les esprits et sur les coeurs. Honneur à oeux et à celles qui, pénétrés de leur grande responsabilité, conscients de la noblesse de leur mission, ne voient dans leur influence sur les âmes qu'un moyen de les élever au-dessus de la terre pour les faire monter vers l'idéal ! Tels sont ces acteurs et ces actrices qui n'entrent pas en scène sans avoir élevé vers Dieu leur pensée et leur intention, et rien d'étonnant que parfois Jésus-Christ choisisse dans vos rangs quelques esprits supérieurs qu'il éclaire et guide ensuite vers les hauteurs mystiques d'une vie de perfection.

Pour Nous, à qui rien ne tient plus à coeur que de reconnaître et d'exalter l'action dans les âmes de la grâce aux formes multiples, Nous Nous réjouissons profondément de si belles victoires et Nous appelons sur vous, sur vos familles et sur tous ceux que vous aimez, l'abondance des faveurs célestes, dont est le gage la Bénédiction apostolique que Nous vous donnons avec une paternelle affection.


ALLOCUTION A DES PARLEMENTAIRES AMÉRICAINS

(27 août 1945)1

Aux membres de la Commission du Congrès des Etats-Unis venus étudier en Europe les activités des agents diplomatiques et consulaires des Etats-Unis face aux problèmes de l'après-guerre, le Saint-Père a adressé l'allocution suivante :

Même ici, dans Notre retraite studieuse, il Nous est sensiblement perceptible que le fracas des batailles s'est éteint et que les notes plus douces de la paix commencent à remplir l'air ; l'armée, Nous le voyons, cède la place aux personnalités civiles. Non pas que leur collaboration ne fût pas nécessaire pour la poursuite de la guerre, comme elle pourra l'être, un certain temps du moins, pour garantir que le terrible spectre a été réellement abattu. Mais lorsque la fin des hostilités fut proclamée, la tâche assignée à l'armée était accomplie ; maintenant le rôle principal est dévolu aux hommes d'Etat, car il reste encore des victoires à remporter avant que le monde puisse se sentir assuré de posséder la paix.

Il y a la victoire à remporter sur la haine qui surgit si facilement et s'enfle si vite entre les nations dressées les unes contre les autres dans un conflit sanglant. Sommes-Nous en droit de penser que cette végétation vénéneuse a été maîtrisée, qu'elle est, dans l'ensemble, en voie de disparition ? Le coeur humain est naturellement si riche d'affection et de généreuse charité !

Ensuite, il y a la victoire sur la méfiance et sur ce principe néfaste qui mène infailliblement à la méfiance, à savoir que la force crée le droit ; ce qui revient à dire que les nations faibles n'ont de droits que ceux que leur voisin puissant veut bien leur accorder.

Un obstacle à la concorde entre les peuples serait une inégalité excessive dans les possibilités d'accès aux richesses de ce monde, que Dieu a données pour tous ; cet obstacle doit être surmonté.

Et, plus importante que toutes les autres, il y a la victoire à remporter sur une philosophie orgueilleuse et matérialiste, résolue à éliminer Dieu de ce monde qui est à lui et à laisser l'homme sans base pour édifier un ordre de justice plus sérieux qu'un vain simulacre appuyé uniquement sur la force prépondérante de l'heure.

Voilà quelques-unes des victoires à remporter par les hommes d'Etat et par le peuple que vous représentez. En vous adressant Nos salutations cordiales et en vous souhaitant la bienvenue, honorables membres du Congrès, Nous voulons vous assurer que Notre prière vous accompagne tous les jours, vous et les autres autorités civiles, dont la responsabilité est si lourde en ce moment. Nous demandons à Dieu que sa bénédiction vous donne la force de mener à bonne fin votre tâche difficile pour le constant et le plus grand intérêt de tous les hommes qui sont si chers à Notre coeur paternel. Que la bénédiction divine descende aussi sur tous ceux qui vous sont chers !


LETTRE AUX ÉVÊQUES DE TCHÉCOSLOVAQUIE POUR LE VI\2e\0 CENTENAIRE DE LA NAISSANCE DE SAINT JEAN NÉPOMUCÈNE

(28 août 1945)1

Après les évêques de France, de Hollande, de Pologne, de Bavière, les évêques de Tchécoslovaquie ont reçu du pape la lettre d'encouragement ci-dessous :

Nous estimons fort heureux le fait que vous, Vénérables Frères et les fidèles de la République tchécoslovaque, vous célébriez le VIe centenaire de la naissance de saint Jean Népomucène, alors que vous relevant de la guerre, l'aube d'une nouvelle ère se met à luire. Nous souhaitons qu'elle apporte avec elle les dons de la paix rétablie et des développements pour la religion. Aussi, Nous ne voulons pas laisser passer la célébration de cet heureux événement, sans vous être présent et uni par de salutaires prières et par Nos voeux ; c'est Notre affection paternelle envers vous et vos concitoyens qui Nous y pousse.

Les maux causés par la guerre.

Si la guerre cruelle, qui d'abord est sortie de chez vous, a ravagé par des ruines et des désastres mortels de nombreuses régions de l'univers, elle vous a apporté aussi beaucoup de maux dont le souvenir et la mémoire aggravent toujours en Nous une douleur encore inapaisée. Dans votre pays, en certains endroits, la domination étrangère a sévi, des masses d'hommes (parmi lesquels un grand nombre de clercs et de religieux) ont été emprisonnés ou relégués dans des camps de concentration, beaucoup ont été condamnés à mort ; dans d'autres endroits, ce furent des combats meurtriers, la ruine des habitations, la perte des biens, l'exil ; partout, des gémissements, des larmes, des deuils. En quelques régions de la République tchécoslovaque, l'Eglise catholique a non seulement souffert de l'hostilité de la nation occupante et subi de sa part des injustices nombreuses, mais elle s'est trouvée dans des situations particulièrement difficiles du fait que Parchidiocèse de Prague et les diocèses de Budejovice et de Brno, veufs de leurs pasteurs regrettés, demeurèrent, plusieurs années durant, privés de légitimes successeurs sur le siège épiscopal. En effet, malgré Nos inquiétudes, Nous avions décidé de surseoir à la désignation de prélats successeurs afin de maintenir dans leur intégrité des biens de la plus grande importance, à savoir la liberté de l'Eglise et vos intérêts spirituels. Mais les vicissitudes du temps, qui ont fait disparaître de chez vous beaucoup de choses pénibles, ont produit aussi des changements de situation, que les exploits qu'on va commémorer de saint Jean Népomucène et sa vie inspiratrice d'actes généreux baignent d'une lumière resplendissante et sont le présage d'heureux espoirs.

L'exemple des saints

En effet, les saints sont toujours unis à ceux qui vivent ici-bas par les liens d'un amour inaltérable ; ils sont pour ces derniers un enseignement continuel pour la pratique des vertus, ils leur tracent la voie sûre pour parvenir au salut, surtout quand il s'agit des hommes auxquels le sol, la race, la langue les unissent au premier chef. Dans les circonstances présentes, l'étoile et le patron de votre pays mérite d'être glorifié par des hommages dignes de lui ; mais il donne de sérieux avertissements qui sont un stimulant et un encouragement pour tous les groupes et classes de votre patrie : que tous, avec des forces renouvelées, se conforment aux préceptes élevés de l'Evangile qui procurent la vie éternelle, une culture et une civilisation véritables, la vigueur d'une perpétuelle jeunesse.

... de saint Jean Népomucène en particulier.

Cette imitation procurera de grands avantages : car si de magnifiques parures de fleurs ne manquent pas, à savoir des âmes choisies, généreuses, méritant d'être admirées en raison de l'éclat de leurs vertus, hélas ! par contre, beaucoup d'hommes se précipitent dans la fange des vices, et, méprisant la loi divine, avilissent la situation de la communauté humaine et l'exposent à des châtiments rigoureux. Avec quel propos se lève le maître qu'est saint Jean Népomucène ; la force et la suavité, la fermeté et la douceur brillent dans sa vie d'une façon remarquable : qu'il enseigne aux clercs la foi et le soin avec lesquels ils doivent remplir les fonctions du saint ministère et le devoir qu'ils ont de mépriser la mort plutôt que de négliger leur charge ; qu'il enseigne aux fidèles qu'il n'y a rien de plus précieux qu'une conscience pure et que l'on doit estimer les biens à leur juste valeur, toujours faire passer les biens divins avant les biens humains, ceux du ciel avant ceux de la terre, ceux de l'éternité avant ceux qui passent. A la vérité, on a besoin maintenant d'hommes, clercs voués au service de l'Eglise, ou laïques qui excellent par la force et l'efficacité de leur zèle à se dévouer, qui, méprisant leurs intérêts et leur gloriole, se consacrent infatigablement à la cause du salut public avec une grande constance ; pour eux saint Jean Népomucène n'est pas seulement un nom digne dë vénération, mais un exemple à imiter.

Souhaits pour la situation présente.

Sous ses auspices et sa protection, puisse régner dans votre patrie une paix durable, non pas celle qui, sous un faux nom, couvre habilement des pièges et des ruses, mais celle qui s'appuiera sur la justice unie à la charité. En effet, tout ce qui est arrivé de malheureux dans votre pays a été la conséquence de rivalité et de haine qui allument le feu des vengeances. Pour empêcher que l'agitation des esprits ne franchisse les limites de la justice et du droit, qu'intervienne, Vénérables Frères, l'action modératrice de vos conseils et de vos ordres. N'y a-t-il pas une véritable victoire à être vaincu par la justice, à être vaincu par la charité ? Que les innocents ne soient pas punis avec les coupables ; si l'on sévit contre les criminels, que ce soit selon la mesure et l'équité, de peur qu'en condamnant les hommes coupables de violence, la peine soit elle-même contaminée de façon répréhensible par la violence, de peur aussi qu'en répandant des semences de haine on cause du tort à tout le corps social. Que la charité, compagne de la justice, inspire et gouverne chez vous les moeurs publiques et privées, cette charité qui est le noble drapeau et la marque indubitable des disciples du

Christ. Puisse cette charité, après avoir émoussé le dard des colères et des vengeances, incliner les coeurs à la modération, à l'entente ! Puisse-t-elle établir entre les citoyens des rapports et des liens qui fourniront des bases solides à votre République unie et comme cimentée par la religion, par l'honnêteté et par la concorde.

Que fleurisse chez vous la liberté dans son vrai sens, liberté qui se trouve toujours jointe à la vertu et au respect de Dieu, de peur que tout en gardant le nom, elle ne dégénère en licence sans frein ou en tyrannie. « Qu'il vous soit donné — avons-Nous dit l'année dernière, dans une audience accordée à vos concitoyens résidant à Rome — une fois le tourbillon de la guerre passé, d'établir et de modeler en pleine liberté et pleine indépendance votre vie familiale, l'éducation de vos enfants, votre organisation sociale et vos institutions publiques selon les principes que Nos prédécesseurs et Nous-même avons pu exposer au monde et qui enfoncent leurs racines dans l'esprit et dans la doctrine du Christ. » 2

Les yeux fixés sur le céleste gardien de votre patrie, tous unis dans l'effort, consacrez, Vénérables Frères, vos forces et votre activité, afin que, sous les auspices de la direction de l'Evangile, votre nation ajoute à son ancienne gloire un nouvel éclat. Il s'agit de la cause de Dieu et de votre peuple. C'est pourquoi, il convient que vous-mêmes et sous votre autorité et impulsion, tous ceux qui, chez vous se considèrent comme catholiques, renoncent à toute paresse ou négligence, ne s'épargnent aucune fatigue ou travail et, dans une sainte émulation, s'enflamment d'ardeur pour les entreprises utiles à la religion et à la patrie.

Le Collège pontifical Népomucène de Rome, que Nous ne pouvons ici passer sous silence, porte le nom glorieux du patron céleste auquel vous vous efforcez d'offrir vos hommages. Admirez, avec Nous, la moisson des prêtres distingués dont il a enrichi votre patrie. C'est pourquoi, il est grandement à souhaiter que ce Collège reçoive le plus tôt possible avec votre appui de nouvelles et abondantes recrues qui, ici, à Rome, près des restes des princes des apôtres, puiseront avec les sciences sacrées le zèle d'agir en catholiques.

Enfin, Nous prions avec instance Dieu, sans qui on ne peut rien, avec qui on peut tout, de se montrer toujours secourable à vous tous et dans vos travaux ; que par le bienfait de la douceur évangélique il adoucisse votre dure situation et ramène les jours

2 Allocution du 28 septembre 1944 ; cf. Documents Pontificaux 1944, p. 174.




heureux ! Nous le demandons par l'intercession de saint Jean Népomucène, confiant à son patronage tout ce qui Nous tient à coeur comme à vous-mêmes. En gage des dons célestes, Nous accordons avec amour la Bénédiction apostolique à vous, Vénérables Frères, au clergé et aux fidèles de la chère République tchécoslovaque.


ALLOCUTION A DES CINÉASTES AMÉRICAINS

(30 août 1945)1

A quelques directeurs de grandes sociétés cinématographiques américaines en voyage en Europe, le Saint-Père a parlé de la responsabilité des films documentaires et d'actualités.

En présence de cinéastes chargés de réaliser des films documentaires, et représentant les agences les plus influentes dans ce domaine de l'information, Nos pensées se dirigent tout naturellement vers les progrès immenses qu'a fait la science moderne dans ses efforts pour porter à la connaissance du monde entier les événements importants du jour. On ne se contente pas de rapporter simplement ce qu'on a vu, on présente les scènes elles-mêmes comme si elles se déroulaient réellement devant les yeux des spectateurs. Dans votre vaste pays, on voit exactement ce qui se passe de l'autre côté du globe.

Tout cela est-il vrai ? Tellement vrai qu'on peut, d'après les renseignements donnés, former des jugements justes et sûrs ? La caméra ne peut pas mentir, dit-on. Non, mais elle peut faire un tri soigneux parmi ce qu'elle reproduit, et ainsi, malgré sa fidélité, on peut en faire un instrument efficace pour créer des impressions fausses et propager l'esprit mauvais de la méfiance, de l'inimitié et de la haine.

C'est donc à vous, Messieurs, et à vos collègues qu'incombe la lourde responsabilité de protéger et de défendre le film d'actualités contre les hommes peu consciencieux qui voudraient s'en servir pour répandre des demi-vérités, pour donner à certains détails un relief disproportionné et déraisonnable, tout en effleurant seulement d'autres ou en les omettant, si bien que les spectateurs seront presque nécessairement amenés à des conclusions injustes et peut-être désastreuses pour la concorde qui doit régner parmi tous les membres de la chère famille humaine.

Nous sommes heureux de profiter de cette occasion pour dire le vif intérêt que Nous portons à votre travail et pour renouveler Notre prière, afin que l'aide divine puisse vous donner la force de faire beaucoup de bien pour la paix et la prospérité matérielle et spirituelle de votre prochain. Que la bénédiction de Dieu descende abondamment sur vous et sur les vôtres !


LETTRE AUX ÉVÊQUES DE L'EQUATEUR POUR LE III\2e\0 CENTENAIRE DE LA BIENHEUREUSE MARIANNE DE PAREDES DE JÉSUS

(1er septembre 1945) 1

Vénérables Frères et chers fils, trois siècles se sont heureusement écoulés depuis la mort de la bienheureuse Marianne de Paredes de Jésus ; vous n'avez pas permis qu'ils soient passés sous silence, mais sur votre initiative, des fêtes solennelles suivies par une grande foule de fidèles ont été célébrées soit à Quito, soit dans les principales villes des autres diocèses afin de présenter de dignes hommages à cette vierge illustre. Nous voulons Nous aussi rappeler avec vous la pieuse mémoire de cette fleur de choix qui, dans le pays fécond de l'Equateur, favorisée par la chaleur de la grâce céleste, brilla comme une émule de sainte Rose de Lima, ornement de l'Amérique du Sud par le charme et la perfection de ses vertus. Ce fut l'honneur de la bienheureuse Marianne d'avoir été l'exemple et le remède de ce siècle trop souvent oublieux de Dieu et de la loi suprême et emporté par l'attrait des plaisirs ; il y avait en elle un admirable amour de Dieu et du prochain, l'application à la prière et une volonté particulière de se dévouer comme victime expiatoire pour le salut et le bonheur d'autrui. Elle brilla en outre d'une telle innocence et d'une telle pudeur qu'elle eut l'honneur de recevoir le nom de « lys de Quito » ; innocence qu'elle protégea en l'entourant de la barrière d'une austère discipline qui lui faisait endurer volontairement les amères et pénibles mortifications qu'elle s'imposait elle-même ; elle portait avec joie le fardeau de la croix et, méprisant tous les biens terrestres, n'avait de désir que pour les biens du ciel.

Que les habitants de votre terre de l'Equateur lèvent leurs regards vers elle ; qu'ils suivent ses leçons ; qu'ils la vénèrent comme elle le mérite et ce ne sera pas en vain qu'ils se confieront à sa protection. Ce n'est pas tant les enseignements de la philosophie et de l'histoire que l'expérience quotidienne de la vie qui nous apprend les moyens les plus sûrs de mener une vie conforme à la nature humaine, d'acquérir un véritable sens humain et une véritable culture et d'assurer la solidité des familles et des cités : c'est la loi morale et le témoignage d'une conscience sans reproche.

Mais l'honnêteté des esprits, la constance, la pratique de la justice en attribuant à chacun ce qui lui est dû, mettant de côté tout égoïsme mesquin, la volonté courageuse de procurer le bien commun, toutes les vertus qui naissent et se fortifient dans le sacrifice, sont fausses et fragiles si la religion n'est pas en honneur auprès de tous, s'il n'y a pas au fond du coeur de tous les hommes une perpétuelle dévotion envers le Dieu souverain, auteur et vengeur de la loi morale, dévotion qui doit se manifester par des oeuvres.

Que, par l'intercession de la bienheureuse Marianne et vos exhortations, Vénérables Frères, les fidèles de l'Equateur conscients de leur ancienne gloire travaillent par de nouveaux efforts à ramener les moeurs publiques et privées à la pratique des préceptes de la religion et qu'ils méprisent et évitent tout ce qui y est étranger. Qu'ils considèrent comme un devoir sacré de nourrir par une piété et une doctrine bien cultivées la foi reçue au baptême, de régler les liens de la famille selon le dogme de l'Evangile en rejetant le divorce, source et origine de tant de maux, de maintenir avec force le droit des écdles catholiques de réclamer la liberté pour la vérité, de rechercher ce qui est conforme à l'honnêteté, à la charité, à la bonne réputation. Que si heureusement il en arrive ainsi, nul doute que ne s'ouvre pour Notre cher peuple équatorien un nouvel âge de bonheur chrétien où l'unité dans la concorde groupera les citoyens par les liens d'un amour et d'un respect réciproques et les engagera à poursuivre leurs nobles entreprises.

Pour que se réalisent Nos voeux, après avoir invoqué le secours de la bienheureuse Marianne, Nous demandons à Dieu par des prières persévérantes de vous envoyer en abondance secours et lumières ; en gage de ces faveurs célestes, Vénérables Frères et chers Fils, Nous vous accordons volontiers à vous et aux troupeaux confiés à vos soins, la Bénédiction apostolique.


Pie XII 1945 - LETTRE A S. ÉM. LE CARDINAL SCHUSTER ARCHEVÊQUE DE MILAN POUR LE IVe CONGRÈS EUCHARISTIQUE DE L'ARCHIDIOCÈSE DE MILAN