Pie XII 1947 - RADIOMESSAGE AU PREMIER CONGRÈS EUCHARISTIQUE NATIONAL DE LA RÉPUBLIQUE DE CUBA


MESSAGE A SA MAJESTÉ GUSTAVE V, ROI DE SUÈDE

(1er mars 1947) 1

Au télégramme que S. M. Gustave V, roi de Suède, lui faisait parvenir le 27 février2, le Saint-Père répondit par le message suivant :


Profondément touché du geste par lequel Votre Majesté a voulu reconnaître les services que Nous Nous sommes efforcé de rendre à l'humanité souffrante en ces terribles années de guerre et d'après-guerre, Nous tenons à l'assurer de la haute satisfaction avec laquelle Nous recevons la médaille du Prince Charles qu'Elle vient de Nous conférer. Nous plaisant à y voir en même temps qu'un précieux souvenir de Votre Majesté un nouveau témoignage de ses sentiments généreux, Nous appelons de tout coeur sur Elle et sur son noble pays la continuation de la divine protection.

1 D'après le texte français de l'Osservatore Romano du 2 mars 1947.

2 Voici le texte de ce télégramme :

C'est avec une grande joie que je porte à la connaissance de Votre Sainteté que je Lui ai conféré, pour Son travail infatigable en vue de soulager la misère des victimes de la guerre, la médaille portant le nom « Prince Charles » instituée par moi et décernée une fois chaque année pour les services humanitaires éminents rendus dans le domaine national et international.


DISCOURS A S. EXC. LE Dr CHARLES HELOU ENVOYÉ EXTRAORDINAIRE ET MINISTRE PLÉNIPOTENTIAIRE DE LA RÉPUBLIQUE DU LIBAN

(17 mars 1947) 1

Recevant S. Exc. le Dr Charles Hélou, premier représentant diplomatique du Liban, venu lui présenter ses lettres de créance, Sa Sainteté prononça, en français, l'allocution de bienvenue que voici :

Voici que pour la première fois au cours de l'histoire il Nous est donné de saluer ici un fils du Liban, appelé à représenter officiellement au centre de la chrétienté cette noble patrie qui, après de longs siècles de vicissitudes les plus diverses, à la suite d'une période si chargée des événements les plus extraordinaires, vient d'obtenir la plénitude de sa liberté et de son indépendance.

Les paroles mêmes par lesquelles Votre Excellence Nous présentait, il y a un instant, ses lettres de créance sont pour Nous la preuve la plus évidente que le choix de M. le président de la République libanaise s'est arrêté sur une personnalité qui, dans les circonstances exceptionnelles de l'heure présente, sait voir en sa haute charge, par dessus même l'importante fonction qui lui est assignée, une providentielle mission.

Profondément pénétré de la grandeur du rôle qui vous incombe, vous prenez possession de votre poste d'envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire près le Saint-Siège et vous en abordez les responsabilités avec une conviction et une conscience dont tous les citoyens de la jeune République, sans distinction de communautés ethniques, sauront apprécier la juste valeur et la véritable dignité.

Dans l'inauguration des relations officielles directes et permanentes entre le Saint-Siège et le Liban, Votre Excellence tient à voir, non pas une innovation, mais bien la continuation, le progrès, en conformité avec l'esprit moderne, de rapports qui, en réalité, remontent aux premières origines de l'ère chrétienne.

Le Pape et la paix.

Les termes dans lesquels vous vous êtes exprimé Nous ont fait éprouver, Monsieur le ministre, le très vif plaisir de constater que les principes proclamés par ce Siège Apostolique et par Nous-même comme base morale d'une paix véritable et d'une équitable collaboration des peuples, y compris les petits et les faibles, ont trouvé, dans le coeur des Libanais, un profond et reconnaissant écho.

De l'issue de la lutte pour la suprématie du droit dépend la montée ou la décadence des peuples.

Il est temps, grand temps que la supputation mathématique des ressources respectives de la force matérielle cède le pas à la mesure des valeurs morales, devant lesquelles le fort lui-même n'a qu'à s'incliner, si l'on veut affranchir les nations du cauchemar de nouveaux conflits pour l'avenir et leur frayer la route vers le retour au bien-être.

Nul n'a plus d'intérêt à cette transformation de la mentalité que les Etats qu'on appelle les « petits ».

Mais ces « petits » savent montrer par de glorieux exemples que, eux aussi, et précisément comme tels, peuvent être les pionniers d'un authentique et lumineux progrès.

Plaise à Dieu, Monsieur le ministre, que dans cet acheminement vers une morale supranationale plus pure, votre nation ait aussi à jouer un rôle bienfaisant et efficace !

La mission du Liban.

De ce rôle qui lui est réservé, Nous pouvons, croyons-Nous, signaler entre autres un trait caractéristique. Les coteaux et les terrasses, chargés d'une splendide végétation, luxuriante et variée, par lesquels le Liban s'abaisse en pente douce vers la mer, Nous semblent offrir une image de son antique civilisation qui, riche de fruits heureux, descend jusqu'à la génération actuelle depuis la lointaine et florissante époque des Phéniciens offrant à l'histoire l'exemple d'un peuple toujours, et aujourd'hui encore, très ouvert à toute saine nouveauté. Ce double caractère de parfaite maturité et de souple adaptation, joint à la fermeté du sentiment essentiellement religieux, unanime dans le culte d'un Dieu personnel, font de ce même peuple un solide rempart contre les assauts de l'athéisme, destructeur de toute civilisation. Grâce à l'heureuse conjonction de ces trois éléments à sa base spirituelle, la République du Liban, à présent dans l'épanouissement et la vigueur de sa jeunesse, forme un précieux trait d'union entre le monde de l'Occident et de l'Orient.

Ainsi votre patrie, comparable, dans la variété de ses éléments ethniques et linguistiques à l'aigle aux ailes chatoyantes de mille couleurs que le prophète Ezechiel vit planer au-dessus du Liban (Ez 17,3) semble, Monsieur le ministre, appelée par vocation singulière à réaliser cette douce et fraternelle communauté de vie, dont parle le psalmiste (Ps., CXXXII, 1), même entre membres différents par l'origine et par la pensée. L'exemple vivant d'un si précieux sentiment fraternel, si favorable au bien commun de tous, pourrait être, au milieu des agitations du Proche-Orient, d'une noble et instructive signification.

Aussi caressons-Nous la belle espérance de voir tous les catholiques libanais des différents rites, en plein accord avec les maximes de l'Evangile, et selon Nos propres intentions qui toutes visent à la réconciliation des peuples et à l'établissement d'une paix assurée, unir leurs efforts en vue de pénétrer, d'imprégner leur jeune Etat, dans la personne de tous ses fils, d'un esprit chaque jour plus conforme à cet idéal.

Le zèle des citoyens catholiques à prêter leur concours dans cet effort commun trouvera un encouragement et un stimulant puissant dans la confiance fondée qu'ils auront de voir mises à effet les assurances données au Saint-Siège à l'occasion de la reconnaissance de l'Etat libanais et tout spécialement celles qui regardent la libre pratique de la religion, l'exercice sans entrave du magistère et de la juridiction ecclésiastiques, la protection de la famille chrétienne, l'éducation intellectuelle et morale de la jeunesse en harmonie avec la doctrine catholique, le droit d'association.

Avec la ferme conviction que Votre Excellence apportera dans sa nouvelle charge toutes les énergies de son intelligence, toute l'ardeur de son coeur à renforcer et à aviver cette confiance, Nous lui donnons l'assurance que, de Notre côté, elle rencontrera un constant et bienveillant appui.

Veuillez, Monsieur le ministre, transmettre à S. Exc. M. le président de la République, à son Gouvernement, à tous les groupes constituant le peuple libanais, Notre salut et Nos voeux paternels.

Le langage biblique, passé dans le domaine spirituel commun des peuples civilisés, a fait du cèdre, dont se pare le drapeau de votre nation, le symbole de la force, de la vitalité, de la fécondité, de la résistance tranquille aux coups de la tempête.

Cette vigueur de résistance, au sein du monde convulsé par les ouragans est fonction de la force, de la profondeur, de la solidité des racines qui s'enfoncent dans le sol des principes éternels. Car, selon l'avertissement de l'apôtre des Gentils aux chrétiens de son temps, si la racine est sainte, les branches le seront aussi (cf. Rom. Rm 11,16).

En invoquant la protection du Très-Haut sur tous ceux que le cèdre du Liban abrite sous son ombre, Nous leur donnons à eux tous, Nos chers fils et filles, et d'une manière particulière à Votre Excellence, comme gage des faveurs divines, Notre Bénédiction apostolique.


LETTRE ENCYCLIQUE « FULGENS RADIATUR » RAPPELANT LA GRANDE FIGURE DE SAINT BENOIT

(21 mars 1947)1

Cette encyclique a été adressée par le Saint-Père à l'occasion du quatorzième centenaire de la mort de saint Benoît pour rappeler la grande figure du « père de l'Europe » et l'oeuvre grandiose accomplie par lui.

Rayonnant comme un astre dans les ténèbres de la nuit, Benoît de Nursie honore non seulement l'Italie, mais l'Eglise entière. Celui qui observe sa vie illustre et étudie sur les documents authentiques l'époque ténébreuse et trouble qui fut la sienne éprouve sans aucun doute la vérité des divines paroles par lesquelles le Christ promit à ses apôtres et à la société fondée par lui : « Je serai avec vous tous les jours jusqu'à la fin des siècles » (Mt 27,20). Certainement, à aucune époque ces paroles et cette promesse ne perdent de leur force, mais elles se réalisent au cours de tous les siècles qui sont entre les mains de la divine Providence. Davantage quand les ennemis du nom chrétien l'attaquent avec plus de fureur, quand la barque portant le sort de Pierre est agitée par des bourrasques plus violentes, quand tout semble aller à la dérive et que ne luit plus aucun espoir de secours humain, voici qu'alors apparaît le Christ, garant consolateur, pourvoyeur de force surnaturelle par laquelle il excite ses nouveaux athlètes à défendre le monde catholique, à le renouveler, et à lui susciter, avec l'inspiration et le secours de la grâce divine, des progrès toujours plus étendus.

Parmi eux resplendit d'une vive lumière notre saint Benoît, « qui l'est et de grâce et de nom » 2, et qui, par une disposition spéciale

1 D'après le texte latin des A. A. S., 39, 1947, p. 137 ; traduction française publiée par la Documentation Catholique, t. XLIV, col. 513.

de la divine Providence, se dresse au milieu des ténèbres du siècle, à l'heure où se trouvaient très gravement compromises les conditions d'existence, non seulement de l'Eglise, mais de toute la civilisation politique et humaine. L'Empire romain qui était parvenu au faîte d'une si grande gloire et qui s'était aggloméré tant de peuples, de races et de nations grâce à la sage modération et à l'équité de son droit, de telle sorte qu'on « aurait pu l'appeler avec plus de vérité un patronat sur le monde entier qu'un empire » 3, désormais, comme toutes les choses terrestres, en était venu à son déclin ; car, affaibli et corrompu à l'intérieur, ébranlé sur ses frontières par les invasions barbares, se ruant du septentrion, il avait été écrasé dans les régions occidentales sous ses ruines immenses.

L'Eglise, gardienne de la civilisation.

Dans une si violente tempête et au milieu de tant de remous, d'où vint luire l'espérance sur la communauté des hommes, d'où se levèrent pour elle le secours et la défense capables de la sauver du naufrage, elle-même et quelques restes à tout le moins de ses biens ? Justement de l'Eglise catholique. Les entreprises de ce monde, en effet, et toutes les institutions de l'homme, l'une après l'autre, au cours des âges, s'accroissent, atteignent à leur sommet, et puis de leur propre poids, déclinent, tombent et disparaissent ; au contraire, la communauté fondée par notre divin Rédempteur tient de lui la prérogative d'une vie supérieure et d'une force indéfectible ; ainsi entretenue et soutenue par lui, elle surmonte victorieusement les injures des temps, des événements et des hommes, au point de faire surgir de leurs disgrâces et de leurs ruines une ère nouvelle et plus heureuse, en même temps qu'elle crée et élève dans la doctrine chrétienne et dans le sens chrétien une nouvelle société de citoyens, de peuples et de nations.

. Or il Nous plaît, Vénérables Frères, de rappeler brièvement et à grands traits, dans cette encyclique, la part que prit Benoît, à l'oeuvre de cette restauration et de ce renouveau, l'année même, à ce qu'il semble, du quatorzième centenaire du jour où, ayant achevé ses innombrables travaux pour la gloire de Dieu et le salut des hommes, il quitta l'exil de cette terre pour la patrie du ciel.

3 Cf. Cicéron, De O//., 2, 8.


ENCYCLIQUE « FULGENS RADIATUR » I

La jeunesse de saint Benoît.

« Né de noble race dans la province de Nursie » 4 Benoît « fut rempli de l'esprit de tous les justes » 5, et il soutint merveilleusement le monde chrétien par sa vertu, sa prudence et sa sagesse. Car, tandis que le siècle s'était vieilli dans le vice, que l'Italie et l'Europe offraient l'affreux spectacle d'un champ de bataille pour les peuples en conflit, et que les institutions monastiques elles-mêmes, souillées par la poussière de ce monde, étaient moins fortes qu'il n'aurait fallu pour résister aux attraits de la corruption et les repousser, Benoît, par son action et sa sainteté éclatantes, témoigna de l'éternelle jeunesse de l'Eglise, restaura par la parole et par l'exemple la discipline des moeurs, et entoura d'un rempart de lois plus efficaces et plus sanctifiantes la vie religieuse des cloîtres. Plus encore : par lui-même et par ses disciples, il fit passer les peuplades barbares d'un genre de vie sauvage à une culture humaine et chrétienne ; et les convertissant à la vertu, au travail, aux occupations pacifiques des arts et des lettres, il les unit entre eux par les liens des relations sociales et de la charité fraternelle.

Dès sa prime jeunesse, il se rend à Rome, pour s'occuper de l'étude des sciences libérales 6 ; mais, à sa très grande tristesse, il se rend compte que des hérésies et des erreurs de toute sorte s'insinuent, les trompant et les déformant, en beaucoup d'esprits ; il voit les moeurs privées et publiques tomber en décadence, un grand nombre de jeunes surtout, mondains et efféminés, se vautrer lamentablement dans la fange des voluptés ; si bien qu'avec raison on pouvait affirmer de la société romaine : « Elle meurt et elle rit. C'est pourquoi, dans toutes les parties du monde, des larmes suivent nos rires » 7. Cependant Benoît, prévenu par la grâce de Dieu, « ne s'adonna à aucun de ces plaisirs... mais voyant beaucoup de ses compagnons côtoyer les abîmes du vice et y tomber, il retira le pied qu'il y avait posé presque dès son entrée dans le monde... Renonçant aux études littéraires, il quitta la maison paternelle et tous ses biens, ne désirant plaire désormais qu'à Dieu, et il chercha une sainte manière de vivre » 8. Il dit un cordial adieu aux commodités de la vie et aux appâts d'un monde corrompu, de même qu'à l'attrait de la fortune et aux emplois honorables auxquels son âge mûr pouvait prétendre. Quittant Rome, il se retira dans les régions boisées et solitaires où il lui serait loisible de vaquer à la contemplation des réalités surnaturelles. Il gagna ainsi Subiaco, où s'enfermant dans une étroite caverne, il commença à mener une vie plus divine qu'humaine.

S. Grégoire le Grand, Lib. Dial., 2, Prol., loc. cit., 26.
5 Mabillon, Annales Ord. S. Bened. ; Lucques 1739, t. I, p. 106.
6 Cf. S. Grégoire le Grand, Lib. Dial., 2, Prol., loc. cit., 126.
7 Salvien, De gub. mundi, 7, 1 ; P. L., LUI, 130.
8 S. Grégoire le Grand, Lib. Dial., 2, Prol. ; loc. cit., 126.


Le solitaire de Subiaco.

Caché avec le Christ en Dieu (cf. Col 3,3), il s'efforça durant trois ans très efficacement à poursuivre cette perfection évangélique et cette sainteté auxquelles il se sentait appelé par une inspiration divine. Fuir tout ce qui est terrestre pour n'aspirer de toutes ses forces qu'à ce qui est céleste ; converser jour et nuit avec Dieu et lui adresser de ferventes prières pour son salut et celui du prochain ; réprimer et maîtriser le corps par une mortification volontaire ; réfréner et dominer les mouvements désordonnés des sens : telle fut sa règle. Dans cette manière de vivre et d'agir, il goûtait une si douce suavité intérieure qu'il prenait en suprême dégoût les richesses et les commodités de la terre et en oubliait même les charmes qu'il avait éprouvés jadis. Un jour que l'ennemi du genre humain le tourmentait des plus violents aiguillons de la concupiscence, Benoît, âme noble et forte, résista sur-le-champ avec toute l'énergie de sa volonté ; et se jetant au milieu des ronces et des orties, il éteignit par leurs piqûres volontaires le feu qui le brûlait au-dedans ; sorti de la sorte vainqueur de lui-même, il fut en récompense confirmé dans la grâce divine. « Depuis lors, comme il le raconta plus tard à ses disciples, la tentation impure fut si domptée en lui qu'il n'éprouvât plus rien de semblable... Libre ainsi du penchant au vice, il devint désormais à bon droit maître de vertus » 9.

Renfermé dans la grotte de Subiaco durant ce long espace de vie obscure et solitaire, notre saint se confirma et s'aguerrit dans l'exercice de la sainteté ; il jeta ces solides fondements de la perfection chrétienne sur lesquels il lui serait permis d'élever par la suite un édifice d'une prodigieuse hauteur. Comme vous le savez bien, Vénérables Frères, les oeuvres d'un saint zèle et d'un saint apostolat restent sans aucun doute vaines et infructueuses si elles ne partent pas d'un coeur riche en ces ressources chrétiennes, grâce auxquelles les entreprises humaines peuvent, avec le secours divin, tendre sans dévier à la gloire de Dieu et au salut des âmes. De cette vérité, Benoît avait une intime et profonde conviction ; c'est pourquoi, avant d'entreprendre la réalisation et l'achèvement de ces grandioses projets auxquels il se sentait appelé par le souffle de l'Esprit-Saint, il s'efforça de tout son pouvoir, et il demanda à Dieu par d'instantes prières, de reproduire excellemment en lui ce type de sainteté, composé selon l'intégrité de la doctrine évangélique, qu'il désirait enseigner aux autres.

9 S. Grégoire le Grand, Lib. Dial., 2, 3 ; loc. cit., 132.


Le rayonnement de sa sainteté.

Mais la renommée de son extraordinaire sainteté se répandait dans les environs et elle augmentait de jour en jour. Aussi non seulement les moines qui demeuraient à proximité voulurent se mettre sous sa direction, mais une foule d'habitants eux-mêmes commencèrent à venir en groupe auprès de lui, désireux d'entendre sa douce voix, d'admirer son exceptionnelle vertu et de voir ses miracles que, par un privilège de Dieu, il opérait assez souvent. Bien plus, cette vive lumière qui rayonnait de la grotte obscure de Subiaco, se propagea si loin qu'elle parvint en de lointaines régions. Aussi « nobles et personnes religieuses de la ville de Rome commencèrent à venir à lui et ils lui donnaient leurs fils à élever pour le Tout-Puissant » 10.

Notre saint comprit alors que le temps fixé par le décret de Dieu était venu de fonder un Ordre religieux et de le conformer à tout prix à la perfection évangélique. Cette oeuvre débuta sous les plus heureux auspices. Beaucoup, en effet, « furent rassemblés par lui en ce lieu pour le service du Dieu Tout-Puissant..., si bien qu'il put avec l'aide du Tout-Puissant Seigneur Jésus-Christ, y construire douze monastères, à chacun desquels il assigna douze moines sous des supérieurs désignés ; il en retint quelques-uns avec lui, ceux qu'il jugea devoir être formés en sa présence » 11.

Ibid., 2, 3 ; loc. cit., 140. Ibid., loc. cit., 140.


La fondation du Mont-Cassin.

Toutefois, au moment où — comme Nous l'avons dit — l'initiative progressait heureusement, où elle commençait à produire d'abondants fruits de salut et en promettait plus encore pour l'avenir, notre saint, avec une immense tristesse dans l'âme, vit se lever sur les moissons grandissantes une noire tempête, soulevée par une jalousie aiguë et entretenue par des désirs d'ambition terrestre. Benoît était guidé par une prudence non humaine, mais divine ; pour que cette haine qui s'était déchaînée surtout contre lui ne tournât point, par malheur, au dommage de ses fils « il céda le pas à l'envie, mit ordre à tous les lieux de prière construits par lui, en remplaçant les supérieurs et en ajoutant de nouveaux frères ; puis, ayant pris avec lui quelques moines, il changea l'endroit de sa résidence»12. C'est pourquoi, se fiant à Dieu et sûr de son très efficace secours, il s'en alla vers le sud et s'établit dans la localité « appelée Mont-Cassin, au flanc d'une haute montagne...; sur l'emplacement d'un très ancien temple où un peuple ignorant et rustique vénérait Apollon à la manière des vieux païens. Tout à l'entour, des bois consacrés au culte des démons avaient grandi et, à cette époque encore, une multitude insensée d'infidèles s'y livrait à des sacrifices sacrilèges. A peine arrivé, l'homme de Dieu brisa l'idole, renversa l'autel, incendia les bosquets sacrés ; sur le temple même d'Apollon il édifia la chapelle du bienheureux Martin et là où se trouvait l'autel du même Apollon il construisit l'oratoire de St-Jean ; enfin, par sa continuelle prédication, il convertit à la foi les populations qui habitaient aux environs » 13.

Mont-Cassin, tout le monde le sait, a été la demeure principale du saint patriarche et le principal théâtre de sa vertu et de sa sainteté. Des sommets de ce mont, quand presque de toutes parts les ténèbres de l'ignorance et des vices se propageaient dans un effort pour tout recouvrir et pour tout ruiner, resplendit une lumière nouvelle qui, alimentée par les enseignements et la civilisation des peuples anciens et surtout échauffée par la doctrine chrétienne, éclaira les peuples et les nations qui erraient à l'aventure, les rappela et les dirigea vers la vérité et le droit chemin. Si bien qu'on peut affirmer à bon droit que le saint monastère édifié là devint le refuge et la forteresse des plus hautes sciences et de toutes les vertus, et en ces temps troublés « comme le soutien de l'Eglise et le rempart de la foi » 14.

12 Ibid., 2, 8 ; loc. cit.., 148.
13 Ibid., loc. cit., 152.
14 Pie X, lettre apost. Archicoenobium Casinense, 10 février 1913.


La règle de saint Benoît.

C'est là que Benoît porta l'institution monastique à ce genre de perfection auquel depuis longtemps il s'était efforcé par ses prières, ses méditations et ses expériences. Tel semble bien être, en effet, le rôle spécial et essentiel à lui confié par la divine Providence : non pas tant apporter de l'Orient en Occident l'idéal de la vie monastique, que de l'harmoniser et l'adapter avec bonheur au tempérament, aux besoins et aux habitudes des peuples de l'Italie et de toute l'Europe. Par ses soins donc, à la sereine doctrine ascétique qui florissait dans les monastères de l'Orient, se joignit la pratique d'une incessante activité, permettant de « communiquer à autrui les vérités contemplées » 15, et non seulement de rendre fertiles des terres incultes mais de produire par les fatigues de l'apostolat des fruits spirituels. Ce que la vie solitaire avait d'âpre, d'inadapté à tous et même parfois de dangereux pour certains, il l'adoucit et le tempéra par la communauté fraternelle de la famille bénédictine où, successivement adonnée à la prière, au travail, aux études sacrées et profanes, la douce tranquillité de l'existence ne connaît cependant ni oisiveté ni dégoût ; où l'action et le travail, loin de fatiguer l'esprit et l'âme, de les dissiper et de les absorber en futilités, les rassérènent plutôt, les fortifient et les élèvent aux choses du ciel. Ni excès de rigueur, en effet, dans la discipline, ni excès de sévérité dans les mortifications, mais avant tout l'amour de Dieu et une charité fraternellement dévouée envers tous : voilà ce qui est ordonné. Si tant est que Benoît « équilibra sa règle de manière que les forts désirent faire davantage et que les faibles ne soient pas rebutés par son austérité... Il s'appliquait à régir les siens par l'amour plutôt qu'à les dominer par la crainte »16. Prévenu un certain jour qu'un anachorète s'était lié avec des chaînes et enfermé dans une caverne pour ne plus pouvoir retourner au péché et à la vie du siècle, il le réprimanda doucement en disant : « Si tu es un serviteur de Dieu, ce n'est pas une chaîne de fer, mais la chaîne du Christ qui doit te retenir » 17.

C'est ainsi qu'aux coutumes et préceptes propres à la vie éré-mitique qui, la plupart du temps, n'étaient pas nettement fixés et codifiés mais dépendaient souvent du caprice du supérieur, succéda la règle monastique de saint Benoît, chef-d'oeuvre de la sagesse romaine et chrétienne, où les droits, les devoirs et les offices des moines sont tempérés par la bonté et la charité évangéliques, et qui a eu et a encore tant d'efficacité pour stimuler un grand nombre à la poursuite de la vertu et de la sainteté.

S. Thomas, II-II 188,6.
Mabillon, Annales Ord. S. Bened. ; Lucques 1739, t. I, p. 107. S. Grégoire le Grand, Lib. Dial. III, 16 ; P. L., LXXVII, 261.

Dans cette règle bénédictine, la prudence se joint à la simplicité, l'humilité chrétienne s'associe au courage généreux, la douceur tempère la sévérité et une saine liberté ennoblit la nécessaire obéissance. En elle, la correction conserve toute sa vigueur, mais l'indulgence et la bonté l'agrémentent de suavité ; les préceptes gardent toute leur fermeté mais l'obéissance donne repos aux esprits et paix aux âmes ; le silence plaît par sa gravité mais la conversation s'orne d'une douce grâce ; enfin l'exercice de l'autorité ne manque pas de force mais la faiblesse ne manque pas de soutien.18

Il n'y a donc pas à s'étonner que tous les gens sensés d'aujourd'hui exaltent de leurs louanges la « règle monastique écrite par saint Benoît, règle fort remarquable par sa discrétion et par la lumineuse clarté de son expression » 19 ; et il Nous plaît d'en souligner ici et d'en dégager les traits essentiels, avec la confiance que Nous ferons oeuvre agréable et utile non seulement à la nombreuse famille du saint patriarche, mais à tout le clergé et tout le peuple chrétien.


rôle de l'abbé.

La communauté monastique est constituée et organisée à l'image d'une maison chrétienne dont l'abbé, ou cénobiarche, comme un père de famille, a le gouvernement, et tous doivent dépendre entièrement de sa paternelle autorité. « Nous jugeons expédient — écrit saint Benoît — pour la sauvegarde de la paix et de la charité, que le gouvernement du monastère dépende de la volonté de l'abbé » 20. Aussi tous et chacun doivent-ils lui obéir très fidèlement par obligation de conscience21, voir et respecter en lui l'autorité divine elle-même. Toutefois, que celui qui, en fonction de la charge reçue, entreprend de diriger les âmes des moines et de les stimuler à la perfection de la vie évangélique, se souvienne et médite avec grand soin qu'il devra un jour en rendre compte au Juge suprême22 ; qu'il se comporte donc, dans cette très lourde charge, de manière à mériter une juste récompense « quand se fera la reddition des comptes au terrible jugement de Dieu » 23. En outre, toutes les fois que des affaires de plus grande importance devront être traitées dans son monastère, qu'il rassemble tous ses moines, qu'il écoute leurs avis librement exposés et qu'il en fasse un sérieux examen avant d'en venir à la décision qui lui paraîtra la meilleure 24.

Cf. Bossuet, Panégyrique de saint Benoît, OEuvres complètes, vol. XII, Paris 1863, p. 165.
S. Grégoire le Grand, Lib. Dial., 2, 36 ; P. L., LXVI, 220.
Reg. S. Benedicti, c. 65.
Ibid., c. 3.
Ibid., c. 2.
Ibid.., c. 2.


L'égalité des moines.

Dès les débuts pourtant, une grave difficulté et une épineuse question furent soulevées à propos de la réception ou du renvoi des candidats à la vie monastique. En effet, des hommes de toute origine, de tout pays, de toute condition sociale, accouraient dans les monastères pour y être admis : Romains et barbares, hommes libres et esclaves, vainqueurs et vaincus, beaucoup de nobles patriciens et d'humbles plébéiens. C'est avec magnanimité et délicatesse fraternelle que Benoît résolut heureusement ce problème ; « car, dit-il, esclaves ou hommes libres, nous sommes tous un dans le Christ, et sous le même Seigneur nous servons à égalité dans sa milice... Que la charité soit donc la même en tous ; qu'une même discipline s'exerce pour tous selon leurs mérites » 25. A tous ceux qui ont embrassé son Institut, il ordonne que « tout soit commun pour l'avantage de tous » 26, non par force ou contrainte en quelque sorte mais spontanément et avec une volonté généreuse. Que tous, en outre, soient maintenus dans l'enceinte du monastère par la stabilité de la vie religieuse, de telle façon pourtant qu'ils vaquent non seulement à la prière et à l'étude27, mais aussi à la culture des champs 28, aux métiers manuels29 et enfin aux saints travaux de l'apostolat. Car « l'oisiveté est l'ennemie de l'âme ; c'est pourquoi à des heures déterminées les frères doivent être occupés au travail des mains... » 30. Toutefois, que pour tous, le premier devoir, celui qu'ils doivent s'efforcer de remplir avec le plus de diligence et de soin, soit de ne rien faire passer avant l'office divin (Opus Dei)sl. Car bien que « nous sachions que Dieu est présent partout..., nous devons cependant le croire sans la plus minime hésitation quand nous assistons à l'office divin... Réfléchissons donc sur la manière qu'il convient de nous tenir en présence de Dieu et des anges et psalmodions de façon que notre esprit s'harmonise avec notre voix » 32.

24 Ibid., c. 3.
25 Ibid., c. 2.
26 Ibid., c. 33.
27 Ibid., c. 48.
28 Ibid., c. 48.
29 Ibid., c. 57.
30 Ibid., c. 48.
31 Ibid., c. 43.
32 Ibid., c. 19.


Leur action civilisatrice.

Dans ces normes et maximes plus importantes, qu'il Nous a paru bon de déguster pour ainsi dire dans la règle bénédictine, il est facile de discerner et d'apprécier non seulement la prudence de cette règle monastique, son opportunité et sa merveilleuse conformité et accord avec la nature de l'homme, mais aussi son importance et son extrême élévation. Car, tandis qu'en ce siècle barbare et turbulent, la culture des champs, les arts mécaniques et industriels, l'étude des sciences sacrées et profanes étaient totalement dépréciés et malheureusement délaissés de tous, dans les monastères bénédictins, au contraire, alla sans cesse croissante une foule presque innombrable d'agriculteurs, d'artisans et de savants qui, chacun selon ses talents, parvinrent, non seulement à conserver intactes les productions de l'antique sagesse, mais à pacifier de nouveau, à unir et à occuper activement des peuples vieux et jeunes souvent en guerre entre eux ; et ils réussirent à les faire passer de la barbarie renaissante, des haines dévastatrices et des ruines à des habitudes de douceur humaine et chrétienne, à l'endurance dans le travail, à la lumière de la vérité et à la reprise des relations normales entre nations s'ins-pirant de la sagesse et de la charité.


Un amour de Dieu et des hommes.

Mais ce n'est pas tout ; car, dans l'Institut de la vie bénédictine, l'essentiel est que tous, autant les travailleurs manuels qu'intellectuels, aient à coeur et s'efforcent le plus possible d'avoir l'âme continuellement tournée vers le Christ et brûlant de sa très parfaite charité. En effet, les biens de ce monde, même tous rassemblés, ne peuvent rassasier l'âme humaine que Dieu a créée pour le chercher lui-même ; mais ils ont bien plutôt reçu de leur Auteur la mission de nous mouvoir et de nous convertir, comme par paliers successifs, jusqu'à sa possession. C'est pourquoi il est tout d'abord indispensable que « rien ne soit préféré à l'amour du Christ » 33, « que rien ne soit estimé de plus haut prix que le Christ » 34, « qu'absolument rien ne soit préféré au Christ qui nous conduit à la vie éternelle » 35.

33 Ibid., C. 4.
34 Ibid., c. 5.
35 Ibid., C. 72.

A cet ardent amour du divin Rédempteur doit correspondre l'amour des hommes, que nous devons tous embrasser comme des frères et aider de toute façon. C'est pourquoi, à l'encontre des haines et des rivalités qui dressent et opposent les hommes les uns aux autres, des rapines, des meurtres et des innombrables maux et misères, conséquences de cette trouble agitation des gens et des choses, Benoît recommande aux siens ces très saintes lois : « Qu'on montre les soins les plus empressés dans l'hospitalité, spécialement à l'égard des pauvres et des pèlerins, car c'est le Christ que l'on accueille davantage en eux » 36. « Que tous les hôtes qui nous arrivent soient accueillis comme le Christ car c'est Lui qui dira un jour : J'ai été étranger et vous m'avez accueilli » 37. « Avant tout et par-dessus tout, que l'on ait soin des malades afin de les servir comme le Christ lui-même, car il a dit : J'étais malade et vous m'avez visité » 38.

Inspiré et emporté de la sorte par un amour très parfait de Dieu et du prochain, Benoît conduisit son entreprise à bonne fin, jusqu'à la perfection. Et quand tressaillant de joie et rempli de mérites, il aspirait déjà les brises célestes de l'éternelle félicité et en goûtait à l'avance les douceurs, « le sixième jour avant sa mort..., il fit creuser sa tombe. Consumé bientôt par la fièvre, il commença à ressentir l'ardente brûlure du feu intérieur ; et comme la maladie s'aggravait de plus en plus, le sixième jour, il se fit porter par ses disciples à l'église ; là il se pourvut, pour l'ultime voyage, de la réception du corps et du sang du Seigneur et, entre les bras de ses fils qui soutenaient ses membres déficients, les mains levées vers le ciel, il se tint immobile et, en murmurant encore des paroles de prière, il rendit le dernier soupir » 39.

Ibid., c. 53.
Ibid., c. 53.
Ibid., c. 36.
S. Grégoire le Grand, Lib. Dial, 2, 37 ; P. L., LXXVII, 202.



Pie XII 1947 - RADIOMESSAGE AU PREMIER CONGRÈS EUCHARISTIQUE NATIONAL DE LA RÉPUBLIQUE DE CUBA