Pie XII 1947 - ENCYCLIQUE « FULGENS RADIATUR » I


II Influence de l'Ordre bénédictin sur la civilisation.

Lorsque, par une pieuse mort, le très saint patriarche se fut envolé au ciel, l'Ordre des moines qu'il avait fondé, loin de tomber en décadence, sembla bien plutôt, non seulement conduit, nourri et façonné à chaque instant par ses vivants exemples, mais encore maintenu et fortifié par son céleste patronage au point de connaître d'année en année de plus larges développements.

Avec quelle force et efficacité l'Ordre bénédictin exerça son heureuse influence au temps de sa première fondation, que de nombreux et grands services il rendit aux siècles suivants, tous ceux-là doivent le connaître, qui discernent et apprécient sainement les événement humains, non selon des idées préconçues, mais au témoignage de l'histoire. Car outre que, Nous l'avons dit, les moines bénédictins furent presque les seuls, en des siècles ténébreux, au milieu d'une telle ignorance des hommes et de si grandes ruines matérielles, à garder intacts les savants manuscrits et les richesses des belles lettres, à les transcrire très soigneusement et à les commenter, ils furent encore des tout premiers à cultiver les arts, les sciences, l'enseignement, et à les promouvoir de toutes leurs industries. De la sorte, de même que l'Eglise catholique surtout pendant les trois premiers siècles de son existence se fortifia et s'accrut d'une façon merveilleuse par le sang sacré de ses martyrs, de même qu'à cette date et aux époques suivantes l'intégrité de sa divine doctrine fut sauvegardée contre les attaques perfides des hérétiques par l'activité vigoureuse et sage des saints Pères, on est de même en droit d'affirmer que l'Ordre bénédictin et ses florissants monastères furent suscités par la sagesse et l'inspiration de Dieu : cela pour qu'à l'heure même où s'écroulait l'Empire romain et où les peuples barbares, qu'excitait la furie guerrière, l'envahissaient de tous côtés, la chrétienté pût réparer ses pertes et, de plus, avec une vigilance inlassable, amener des peuples nouveaux qu'avaient domptés la vérité et la charité de l'Evangile à la concorde fraternelle, à un travail fécond, en un mot à la vertu qui est régie par les enseignements de notre Rédempteur et alimentée par sa grâce.

Car, de même qu'aux siècles passés les légions romaines s'en allaient sur les routes consulaires pour tenter d'assujettir toutes les nations à l'empire de la Ville Eternelle, ainsi des cohortes innombrables de moines, dont les armes ne « sont pas celles de la chair, mais la puissance même de Dieu » (2Co 10,4), sont alors envoyées par le Souverain Pontife pour propager efficacement le règne pacifique de Jésus-Christ jusqu'aux extrémités de la terre, non par l'épée, non par la force, non par le meurtre, mais par la croix et par la charrue, par la vérité et par l'amour.

Partout où posaient le pied ces troupes sans armes, formées de prédicateurs de la doctrine chrétienne, d'artisans, d'agriculteurs et de maîtres dans les sciences humaines et divines, les terres boisées et incultes étaient ouvertes par le fer de la charrue ; les arts et les sciences étaient éveillés ; des hommes passaient de la vie inculte des forêts à la vie sociale et à la civilisation et devant eux brillait en un vivant exemple la lumière de l'Evangile et de la vertu. Des apôtres sans nombre, qu'enflammait la céleste charité, parcoururent les régions encore inconnues et agitées de l'Europe ; ils arrosèrent celles-ci de leurs sueurs et de leur sang généreux et, après les avoir pacifiées, ils leur portèrent la lumière de la vérité catholique et de la sainteté. Si bien que l'on peut affirmer à juste titre que si Rome, déjà grande par ses nombreuses victoires, avait étendu le sceptre de son empire sur terre et sur mer, grâce à ces apôtres pourtant, « les gains que lui valut la valeur militaire furent moindres que ce que lui assujettit la paix chrétienne »40. De fait, non seulement l'Angleterre, la Gaule, les Bataves, la Frise, le Danemark, la Germanie et la Scandinavie, mais aussi de nombreux pays slaves se glorifient d'avoir été évangélisés par ces moines qu'ils considèrent comme leurs gloires et les illustres fondateurs de leur civilisation. De leur Ordre, combien d'évêques sont sortis qui gouvernèrent avec sagesse des diocèses déjà constitués ou qui en fondèrent un bon nombre de nouveaux, rendus féconds par leur labeur ! Combien d'excellents maîtres et docteurs élevèrent des chaires illustres de lettres et d'arts libéraux, éclairèrent de nombreuses intelligences qu'obnubilait l'erreur et donnèrent à travers le monde entier aux sciences sacrées et profanes une forte impulsion !

Combien enfin, rendus célèbres par leur sainteté, qui, dans les rangs de la famille bénédictine, s'efforcèrent d'atteindre selon leurs forces la perfection évangélique et propagèrent de toutes manières le règne de Jésus-Christ par l'exemple de leurs vertus, leurs saintes prédications et même les miracles que Dieu leur permit d'opérer ! Beaucoup d'entre eux, vous le savez, Vénérables Frères, furent revêtus de la dignité episcopale ou de la majesté du souverain pontificat. Les noms de ces apôtres, de ces évêques, de ces saints, de ces pontifes suprêmes, sont écrits en lettres d'or dans les annales de l'Eglise et il serait trop long de les rapporter ici nommément ; au reste, brillent-ils d'une si vivante splendeur et tiennent-ils dans l'histoire une si grande place, qu'il est facile à tous de se les rappeler.

40 Cf. S. Léon le Grand, Serm. in natali Ap. Petri et Pauli ; P. L., LIV, 423. 6

Ses possibilités d'influence à l'heure actuelle.

Nous croyons, en conséquence, très opportun que ces faits, rapidement esquissés dans Notre lettre, soient attentivement médités durant les solennités de ce centenaire et qu'à tous les regards ils revivent en pleine lumière, afin que plus aisément tous en conçoivent, non seulement le désir d'exalter et de louer ces fastueuses grandeurs de l'Eglise, mais la résolution de suivre d'un coeur prompt et généreux les exemples de vie et les enseignements qui en découlent.

Car ce n'est pas uniquement les siècles passés qui ont profité des bienfaits incalculables de ce grand patriarche et de son Ordre ; notre époque, elle aussi, doit apprendre de lui de nombreuses et importantes leçons. En tout premier lieu — Nous n'en doutons nullement — que les membres de sa très nombreuse famille apprennent à suivre ses traces avec une générosité chaque jour plus grande et à faire passer dans leur propre vie les principes et les exemples de sa vertu et de sa sainteté. Et sûrement, il arrivera que, non seulement ils correspondront magnanimement, activement et fructueusement à cette voix céleste dont ils suivirent un jour l'appel surnaturel, lorsqu'ils ont débuté dans la vie monastique ; que non seulement ils assureront la paix sereine de leur conscience et surtout leur salut éternel, mais encore qu'ils pourront s'adonner, d'une façon très fructueuse, au bien commun du peuple chrétien et à l'extension de la gloire de Dieu.


La religion fondement de la société.

De plus, si toutes les classes de la société contemplent, avec une studieuse et diligente attention, la vie de saint Benoît, ses enseignements et ses hauts faits, elles ne pourront pas ne pas être attirées par la douceur de son esprit et la force de son influence ; et elles reconnaîtront d'elles-mêmes que notre siècle, rempli et désaxé lui aussi par tant de graves ruines matérielles et morales, par tant de dangers et de désastres, peut lui demander des remèdes nécessaires et opportuns. Qu'elles se souviennent pourtant avant tout et considèrent attentivement que les principes sacrés de la religion et les normes de vie qu'elle édicté sont les fondements les plus solides et les plus stables de l'humaine société ; s'ils viennent à être renversés ou affaiblis, il s'ensuivra presque fatalement que tout ce qui est ordre, paix, prospérité des peuples et des nations sera détruit progressivement. Cette vérité, que l'histoire de l'Ordre bénédictin, comme Nous l'avons vu, démontre si éloquemment, un esprit distingué de l'antiquité païenne l'avait déjà comprise lorsqu'il traçait cette phrase : « Vous autres, pontifes..., vous encerclez plus efficacement la ville par la religion que ne le font les murailles elles-mêmes » 41. Le même auteur écrivait encore : « ... Une fois disparues (la sainteté et la religion), suit le désordre de l'existence, avec une grande confusion ; et je ne sais si, la piété envers les dieux supprimée, ne disparaîtront pas également la confiance et la bonne entente entre les mortels, ainsi que la plus excellente de toutes les vertus, la justice » 42.

Le premier et principal devoir est donc celui-ci : révérer la divinité, obéir en privé et en public à ses saintes lois ; celles-ci transgressées, il n'y a plus aucun pouvoir qui ait des freins assez puissants pour contenir et modérer les passions déchaînées du peuple. Car la religion seule constitue le soutien du droit et de l'honnêteté.

Notre saint patriarche nous fournit encore une autre leçon, un autre avertissement dont notre siècle a tant besoin, à savoir que Dieu ne doit pas seulement être honoré et adoré ; il doit être aimé, comme un père, d'une ardente charité. Et parce que cet amour s'est malheureusement aujourd'hui attiédi et alangui, il en résulte qu'un grand nombre d'hommes recherchent les biens de la terre plus que ceux du ciel et avec une passion si immodérée qu'elle engendre souvent des troubles, qu'elle entretient les rivalités et les haines les plus farouches. Or, puisque le Dieu éternel est l'auteur de notre vie et que de Lui nous viennent des bienfaits sans nombre, c'est un devoir strict pour tous de l'aimer par-dessus toutes choses et de tourner vers lui, avant tout le reste, nos personnes et nos biens. De cet amour envers Dieu doit naître ensuite une charité fraternelle envers les hommes que tous, à quelque race, nation ou condition sociale qu'ils appartiennent, nous devons considérer comme nos frères dans le Christ ; en sorte que de tous les peuples et de toutes les classes de la société se constitue une seule famille chrétienne, non pas divisée par la recherche excessive de l'utilité personnelle, mais cordialement unie par un mutuel échange de services rendus. Si ces enseignements qui portèrent jadis Benoît, ému par eux, à instruire, recréer, éduquer et moraliser la société décadente et troublée de son époque, retrouvaient le plus grand crédit possible, plus facilement aussi, sans nul doute, notre monde moderne pourrait émerger de son formidable naufrage, réparer ses ruines matérielles ou morales et trouver à ses maux immenses d'opportuns et efficaces remèdes.

Cicéron, De nat. deor., 2, c. 40. Ibid., 1, c. 2.


La dignité du travail.

Le législateur de l'Ordre bénédictin nous enseigne encore, Vénérables Frères, une autre vérité — vérité que l'on aime aujourd'hui à proclamer hautement, mais que trop souvent on n'applique pas comme il conviendrait et comme il faudrait — à savoir que le travail de l'homme n'est pas chose exempte de dignité, odieuse et accablante, mais bien plutôt aimable, honorable et joyeuse. La vie de travail, en effet, qu'il s'agisse de la culture des champs, des emplois rétribués ou des occupations intellectuelles, n'avilit pas les esprits, mais les ennoblit ; elle ne les réduit pas en servitude, mais plus exactement elle les rend maîtres en quelque sorte et régisseurs des choses qui les environnent et qu'ils traitent laborieusement. Jésus lui-même, adolescent, quand il vivait à l'ombre de la demeure familiale, ne dédaigna pas d'exercer le métier de charpentier dans la boutique de son père nourricier et il voulut consacrer de sa sueur divine le travail humain. Que donc, non seulement ceux qui se livrent à l'étude des lettres et des sciences, mais aussi ceux qui peinent dans des métiers manuels, afin de se procurer leur pain quotidien, réfléchissent qu'ils ont une très noble occupation, leur permettant de pourvoir à leurs propres besoins, tout en se rendant utiles au bien de la société entière. Qu'ils le fassent pourtant, comme le patriarche Benoît nous l'enseigne, l'esprit et le coeur levés vers le ciel ; qu'ils s'y adonnent non par force, mais par amour ; enfin, quand ils défendent leurs droits légitimes, qu'ils le fassent non en jalousant le sort d'autrui, non désordonnément et par des attroupements, mais d'une manière tranquille et avec droiture. Qu'ils se souviennent de la divine sentence : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front » (Gn 3,19) ; précepte que tous les hommes doivent observer en esprit d'obéissance et d'expiation.

Qu'ils n'oublient pas surtout que nous devons nous efforcer chaque jour davantage de nous élever des réalités terrestres et caduques, qu'il s'agisse de celles qu'élabore ou découvre un esprit aiguisé, ou de celles qui sont façonnées par un métier pénible, à ces réalités célestes et perdurables, dont la possession peut seule nous donner la véritable paix, la sereine quiétude et l'éternelle félicité.


Appel pour la restauration de l'abbaye du Mont-Cassin.

Quand la guerre, toute récente, se porta sur les limites de la Campanie et du Latium, elle frappa violemment, vous le savez, Vénérables Frères, les hauteurs sacrées du Mont-Cassin ; et bien que, de tout Notre pouvoir, par des conseils, des exhortations, des supplications, Nous n'ayons rien omis pour qu'une si cruelle atteinte ne soit pas portée à une très vénérable religion, à de splendides chefs-d'oeuvre et à la civilisation elle-même, le fléau a néanmoins détruit et anéanti cette illustre demeure des études et de la piété qui, tel un flambeau vainqueur des ténèbres, avait émergé au-dessus des flots séculaires. C'est pourquoi, tandis que tout autour, villes, places fortes, bourgades devenaient des monceaux de ruines, il s'avéra que le monastère du Mont-Cassin lui-même, maison-mère de l'Ordre bénédictin, dût comme partager le deuil de ses fils et prendre sa part de leurs malheurs. Presque rien n'en resta intact, sauf le caveau sacré où sont très religieusement conservées les reliques du saint patriarche.

Là où l'on admirait des monuments superbes, il n'y a plus aujourd'hui que des murs chancelants, des décombres et des ruines, que de misérables ronces recouvrent ; seule une petite demeure pour les moines a été récemment élevée à proximité. Mais pourquoi ne serait-il pas permis d'espérer que, durant la commémoration du quatorzième centenaire depuis le jour où, après avoir commencé et conduit à bon terme une si grandiose entreprise, notre saint alla jouir de la céleste béatitude, pourquoi disions-Nous, ne pourrions-nous pas espérer qu'avec le concours de tous les gens de bien, surtout des plus riches et des plus généreux, cet antique monastère ne soit rétabli au plus vite dans sa primitive splendeur ? C'est assurément une dette à Benoît de la part du monde civilisé qui, s'il est éclairé aujourd'hui d'une si grande lumière doctrinale et s'il se réjouit d'avoir conservé les antiques monuments des lettres, en est redevable à ce saint et à sa famille laborieuse. Nous formons donc l'espoir que l'avenir réponde à ces voeux qui sont Nôtres ; et que pareille entreprise soit non seulement une oeuvre de restauration intégrale, mais un augure également de temps meilleurs où l'esprit de l'Institut bénédictin et ses très opportuns enseignements viennent de jour en jour à refleurir davantage.

Dans cette très douce espérance, à chacun de vous, Vénérables Frères, ainsi qu'au troupeau confié à vos soins, comme à l'universelle famille monacale qui se glorifie d'un tel législateur, d'un tel maître et d'un tel père, Nous accordons de toute Notre âme, en gage des grâces célestes et en témoignage de Notre bienveillance, la Bénédiction apostolique.


LETTRE A L'ÉPISCOPAT DE TCHÉCOSLOVAQUIE POUR LE 950e ANNIVERSAIRE DE LA MORT DE SAINT ADALBERT

(21 mars 1947)1

La lettre suivante a été adressée par le Souverain Pontife, en date du 21 mars, à l'épiscopat de Tchécoslovaquie, à l'occasion du 950e anniversaire de la mort de saint Adalbert, évêque de Prague et martyr.


En ce 950e anniversaire de la mort de saint Adalbert, vous avez décidé de célébrer sa mémoire cette année par des solennités religieuses dans tous les diocèses de la République. Cet homme eminent fut en effet le premier de votre région à occuper le siège épiscopal de Prague et il vous donna l'exemple de l'intégrité constante dans la foi catholique et du travail infatigable pour agrandir le royaume du Christ, jusqu'au martyre qu'il remporta dans son expédition sainte chez les Borusses. Son illustre mémoire est indistinctement en pieuse vénération non seulement en Bohême, Moravie et Slovaquie, mais aussi chez les Hongrois, les Polonais et les Allemands.

C'est très opportunément que les solennités prescrites s'y célébreront, puisque depuis l'an 1309 le corps même du saint martyr est enseveli dans l'église cathédrale de Prague et que saint Adalbert est compté parmi les patrons de la Bohême. C'est pourquoi, Vénérables Frères, vous souhaitez ardemment non seulement rappeler à la mémoire de vos fidèles la vie et les hauts faits de ce deuxième évêque de Prague, mais aussi vous vous attachez avec zèle par des prédications plus nombreuses de la parole de Dieu, par de saintes supplications et des pèlerinages pieux au tombeau du bienheureux, à faire progresser dans les troupeaux confiés à vos soins une intime rénovation des moeurs. De plus, la tête sainte du martyr, conservée très religieusement à Prague, sera dans la suite exposée solennellement à la vénération des fidèles dans plusieurs villes de la République.

Ces projets qui seront très prochainement exécutés, Nous les encourageons tout à fait de Nos louanges méritées et Nous les accompagnons de Nos voeux et souhaits fervents. Car Nous tenons pour assuré que ces solennités consacrées à saint Adalbert encourageront grandement vos peuples à suivre le courageux et bel exemple de cet homme apostolique et, fortifiés par son intercession auprès de Dieu, à maintenir avec intrépidité et fermeté la foi catholique qui leur a été transmise par leurs aïeux, à travailler avec beaucoup de zèle à entretenir entre eux et avec les nations voisines l'union des coeurs et des activités pour l'accroissement de la civilisation chrétienne et humaine et de leur prospérité.

Appuyés sur cette très heureuse confiance, en gage des dons célestes et en témoignage de Notre particulière affection, Nous vous accordons très affectueusement dans le Seigneur la Bénédiction apostolique, à vous tous, Vénérables Frères, et à chacun de vous en particulier, et en même temps aux fidèles confiés à chacun de vous et aussi à tous les étrangers d'autres nations qui prendront part avec vous à cette sainte célébration.


LETTRE AU R. P. GEMELLI, RECTEUR DE L'UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE MILAN A L'OCCASION DE LA « JOURNÉE UNIVERSITAIRE »

(23 mars 1947) 1

1 D'après le texte italien de VOsservatore Romano.

A la veille de la Journée universitaire qui a eu lieu le dimanche 23 mars, le Saint-Père a adressé la lettre suivante au Révérendissime Père Agostini Gemelli pour le féliciter de l'activité de l'Université catholique du Sacré-Coeur et pour attirer l'attention et la générosité des catholiques italiens sur les mérites incomparables de cette université.


La célébration imminente de la Journée universitaire grâce à laquelle la conscience éclairée des catholiques d'Italie coopère efficacement à la prospérité d'une institution qui est elle-même source bienfaisante de vie intellectuelle pour cette terre aimée, Nous offre l'occasion opportune de vous féliciter, cher fils, pour le travail que vous avez conduit avec amour et grâce auquel l'Athénée qui a tant mérité de la culture catholique italienne est revenu à la pleine efficience après les graves et nombreux dommages qu'il a soufferts dans la récente guerre.

Les blessures guéries et l'organisme remis en ordre, l'Université du Sacré-Coeur a repris durant ces dernières années avec une confiance et une ardeur nouvelles ses multiples activités culturelles, éducatives, sociales et religieuses; et Nous savons comment maîtres et élèves, dirigeants et organisateurs d'oeuvres et initiatives excellentes rivalisent d'efforts et de bonne volonté pour que la vigueur de la reprise soit proportionnée aux besoins.

Grâce à l'entière fidélité aux principes chrétiens qui sont toute sa raison d'être, l'Université catholique doit, en effet, aujourd'hui plus que jamais, veiller aux buts pour lesquels elle a été fondée ; et avec une ferme résolution rester fidèle à l'engagement pris solennellement d'introduire dans le corps social de la nation les éléments directifs et culturels d'une science et d'un savoir qui honorent en même temps la foi de l'Eglise, et qui soient au sein de l'Italie qui renaît, un levain transformateur important de son destin.

Le zèle éclairé avec lequel, cher fils, vous avez conduit jusqu'ici la destinée de l'Athénée Nous sont une sûre garantie de la haute conscience avec laquelle vous continuerez à veiller — et avec vous vos collaborateurs — afin que dans ce temps de vérité et de sagesse la doctrine soit sûre et les moeurs gardées de façon exemplaire. Que les dirigeants et les maîtres continuent à consacrer tous leurs efforts non seulement à la culture de la science qui, si elle n'est pas associée à la piété, devient facilement un orgueil vain et dangereux (scientia inflat), mais en même temps et par-dessus tout à la formation de caractères solides et résolus qui, après leurs années d'université, ne cèdent pas aux chocs de la vie et aux dangers du monde.

L'Italie catholique attend de son Université des hommes dignes de sa foi et de sa civilisation chrétienne. Les universitaires qu'elle forme se révèlent des valeurs dans le monde des études et des professions si, dans le cours de leur activité, au-delà de tout intérêt humain, ils affirment avec fermeté les principes dont fut imprégnée leur culture supérieure, afin d'en faire le fondement de leur vie professionnelle et un glorieux service apostolique pour l'élévation et la restauration spirituelles de la société qui les accueille.

Nous savons combien sont aujourd'hui inadaptées à la vie et au développement ultérieur d'un secteur aussi important de l'activité des catholiques italiens les ressources qui sont venues jusqu'ici de la compréhension et de la générosité toujours croissantes de la part des classes les plus humbles et les plus indigentes. Privée comme elle est de propriétés propres, l'Université catholique du Sacré-Coeur devrait douter aujourd'hui de son avenir si l'heureuse expérience du passé ne lui garantissait pas une nouvelle solidarité, une nouvelle générosité et de nouveaux sacrifices de la part de ceux — et c'est certainement la majorité des Italiens — qui comprennent combien la fonction d'un organisme si vital pour leur culture et leur foi a aujourd'hui plus que jamais un caractère de nécessité et comment c'est pour tous un devoir solennel de le faire vivre et d'en promouvoir l'avancement.

C'est pourquoi Nous ne doutons pas que la traditionnelle Jour-

née universitaire sera dans toutes les régions d'Italie une affirmation consolante de la prise de conscience de ce devoir. Et même qu'elle rassemblera dans une mesure plus adéquate la contribution qu'on demande à tous, de même elle sera pour tous sans exception la journée de la prière et des bonnes oeuvres offertes au Seigneur pour un but aussi élevé et d'aussi pressant intérêt pour la cause de la religion et pour l'avenir de l'Italie.

C'est dans cette confiance que Nous invoquons sur la chère Université catholique les nouvelles et abondantes faveurs du ciel, et avec le plus vif désir qu'elle se développe heureusement, Nous vous accordons à vous, cher fils, au corps enseignant et aux dirigeants et à la famille universitaire tout entière, la Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION AUX DIRIGEANTS DE L' U. N. R. R. A.

(6 avril 1947) 1

Les dirigeants et les hauts fonctionnaires des différentes délégations de l'U.N.R.R.A. 2 en Europe, conduits par le major général Stein, sous-chef de la section finances et administration, ont été, le jour de Pâques 6 avril, reçus en audience par le Saint-Père qui leur a adressé en anglais les paroles suivantes :

1 D'après le texte anglais de Discorsl e Radiomessaggi, t. IX, p. 11.
2 U. N.R. R.A. : United Nations Relief and Rehabilitation Agreement, accord des Nations Unies pour le soulagement et le relèvement des populations victimes de la guerre, créé en 1943 à Atlantic City.


En accueillant ce groupe très distingué de hauts fonctionnaires de l'U.N.R.R.A., on peut aisément céder à la tentation de disserter longuement sur les mots qui forment le titre de votre organisation : « United Nations », les nations unies ; tel est sûrement l'espoir ardent et saint des mères, des épouses, des soeurs et de tous les hommes de bonne volonté, unies de plus dans le but de porter secours à leurs frères moins fortunés et ce qui vaut mieux encore, unies pour leur insufler à nouveau un courage ardent ou un sens renouvelé de respect personnel et de responsabilité, afin qu'ils reprennent leur place avec dignité parmi leurs pairs : quel précieux et noble but ! Mais le temps ne Nous permet pas de Nous attarder à ces pensées et Nous devons Nous contenter de vous exprimer à vous tous Nos souhaits de bienvenue.

Vous vous êtes réunis à Rome pour préparer le passage de votre organisation dans l'histoire de ces jours mouvementés. Son livre de vie va être fermé. Mais l'esprit qui a écrit ses plus belles pages ne doit pas mourir. Il y a encore des nations en détresse, elles ne peuvent rester sans aide. Il y a encore des peuples qui se débattent pour vivre, ils sont prêts à succomber à l'agonie qu'ils endurent dans leur corps et dans leur âme depuis longtemps déjà, durant ces années interminables de l'après-guerre, à moins que les greniers de leurs frères plus prospères ne continuent à venir leur fournir la subsistance. Nous le disons à ceux qui par expérience savent combien tragiques sont ces conditions. Nous sommes certain que ces peuples ne seront pas abandonnés.

Aujourd'hui, Nous célébrons la fête de Pâques. Dans un quart du monde, les hommes commémorent aujourd'hui la Résurrection du Sauveur de l'humanité. Son amour embrassait tous les hommes, comme d'ailleurs l'amour de l'Eglise qu'il a fondée. Pour ses disciples, il n'y avait pas d'étrangers mais tous les hommes devaient devenir frères en Lui. Cet esprit d'amour fraternel fait toujours vibrer le coeur des hommes. Les manifestations de cet amour généreux sont un aspect radieux et élevant au milieu des épreuves d'aujourd'hui. Les hommes ne désirent pas être brutalement opposés les uns aux autres ; ils veulent s'aimer les uns les autres et ils savent que c'est par là qu'on atteint la paix. C'est dans cet amour fraternel universel que Nous plaçons Notre confiance que des secours continueront à être apportés à ceux qui sont dans le besoin.

C'est dans la capacité de cet amour à triompher de toutes les tentatives de semer la haine ou la discorde que Nous voyons le seul espoir de fonder une paix juste et durable. Que personne ne cesse d'agir et de prier afin que cette paix vienne, et vienne rapidement, cette paix du Christ dans le coeur des hommes et cette concorde parmi les nations.

Puisse Dieu vous bénir abondamment pour le bien que vous avez pu accomplir grâce à votre organisation. Comme gage de la récompense éternelle, Nous sommes heureux de vous donner Notre Bénédiction pour vous et tous ceux qui vous sont chers.


ALLOCUTION A DES ÉTUDIANTS FRANÇAIS

(7 avril 1947) 1


1 D'après le texte français de Discorsi e Radiomessaggi, t. IX, p. 15.

Le lundi de Pâques 7 avril dans la soirée, le Saint-Père a reçu en audience plus de 1500 étudiants français appartenant à divers groupes et organisations : 450 étudiants de Sorbonne, 211 de la Mission universitaire française, 260 membres de la Ligue maritime et coloniale, 150 des Echanges universitaires et 410 élèves de collèges libres ou lycées. Ils étaient accompagnés par MM. les abbés Charles, Remlinger et Guinchard et M. le professeur Bedarida.
Le Saint-Père leur a adressé les paroles suivantes :


L'apôtre saint Jean, dans sa merveilleuse lettre aux fidèles, laisse deviner sa prédilection pour la jeunesse : « Je m'adresse à vous, jeunes gens, dit-il, parce que vous êtes forts, parce que la parole de Dieu demeure en vous, parce que vous avez vaincu l'esprit du mal » (1Jn 2,14). Nous éprouvons, chers fils et chères filles, une joie semblable, en accueillant ici en vous la jeunesse, la belle jeunesse étudiante, intellectuelle, à lui exprimer dans les mêmes termes Notre singulière affection et la confiance que Nous avons en elle.


L'effort de l'esprit du mal...

L'esprit du mal, qui jamais ne désarme, redouble en ce moment ses efforts dans la lutte contre la sainte Eglise et contre toute société humaine ordonnée, contre Dieu même et contre le Christ. Et l'acharnement qu'il y met semblerait faire présager que cette lutte est à la veille d'aboutir à une solution définitive, si l'on ne savait qu'elle durera autant que le monde et qu'elle ne se résoudra que dans la victoire de Dieu et le triomphe final de son Eglise. En attendant cet esprit du mal poursuit ses ravages ; il fait d'innombrables victimes : victimes ceux qui, aveuglément, se laissent vaincre, déporter, asservir par lui ; victimes aussi, victimes fortunées celles-ci, mais douloureuses quand même, ceux qui ne se maintiennent dans la sainte liberté des enfants de Dieu qu'au prix d'héroïques sacrifices.


contre la jeunesse particulièrement...

Qui vaincra ? Les forts. Or les forts, c'est vous, vous les jeunes, les vrais jeunes, dont la jeunesse grandit, saine et vigoureuse, dont l'esprit monte tout droit dans la lumière de la parole de Dieu, dont le coeur pur, fier et généreux, a su vaincre en vous-mêmes d'abord l'esprit du mal. Fortes estis, verbum Dei manet in vobis, vicistis malignum.

On le sait bien. On le sait si bien que votre jeunesse est le premier enjeu de la dispute. C'est elle avant tout que l'on veut avoir. Si l'esprit du mal cherche à l'intimider ou à la séduire pour la conquérir, pour l'enrôler dans son armée, dans ses troupes de choc, l'Eglise aussi l'appelle à l'action ; et Nous-même, Nous vous disons bien haut que Nous comptons sur vous.


à laquelle le Pape et l'Eglise s'intéresse de très près.

Et c'est pour cela que vous Nous voyez Nous intéresser de si près à tout ce qui vous concerne, à votre préservation, à votre sauvegarde, à votre progrès, à votre activité en tout ordre, physique, intellectuel, moral, surnaturel. Eh oui ! même physique, car tout se tient et une jeunesse fraîche et chrétienne, fortifiée par les exercices du corps, sainement entendus et pratiqués, apporte volontiers son entrain, son endurance, sa souplesse aux luttes de l'esprit, au service des saintes causes, toute prête, quand l'occasion s'en présente, à désarçonner par une réponse hardie, par un éclat de rire franc et sonore, un adversaire trop enclin à mentir, à déraisonnner, à calomnier.

L'Eglise, tout au long de son histoire, s'est toujours montrée attentive à la vie intellectuelle de la jeunesse ; et non pas seulement pour en sauvegarder l'orthodoxie, mais pour la promouvoir dans tout le domaine de la science aussi bien profane que sacrée. Les idées, les suprêmes idées philosophiques, mènent le monde, dit-on. Où le mènent-elles ? Filles de la science, mais reflets de la vérité éternelle, rayons de la lumière incréée, elles le mènent vers sa perfection, dans l'ordre, pour son bien et sa félicité. Coupées de leur foyer divin, elles ne sont plus que ténèbres : malheur au monde du jour où, trompé, il prend les ténèbres pour la lumière et la lumière pour les ténèbres (cf. Is 5,20) ; il marche dans la nuit, il court dans le désordre à sa ruine, à l'effondrement de la société, à la perte éternelle des âmes qui la composent. Qu'il luise comme les étoiles du ciel ou bien comme ces falots trompeurs que les écumeurs de mer allumaient sur les écueils pour faire leur proie de la barque qui venait s'y briser, c'est surtout aux mains de la jeunesse que brille le flambeau des idées. Jeunesse ! Vous avez l'enthousiasme qui entraîne, vous avez l'avenir ! Faites brûler en vous, faites rayonner de vous le Verbe de Dieu qui demeure en vous, lumière éternelle, pour illuminer tout homme en ce monde (Jn 1,9) ! Ainsi forts, vous vaincrez l'esprit du mal.

Mais l'esprit du mal, c'est avant tout, c'est surtout en vous que vous avez d'abord à le vaincre. Vous ne le vaincrez, et encore jamais définitivement ici-bas, que par une lutte à la fois courageuse et prudente. Ne soyez pas de ceux qui ne prennent que par la triste expérience conscience de leur propre faiblesse et de la réalité imminente du danger. Ne soyez non plus jamais de ces enfants étourdis ou présomptueux à qui semblent toujours exagérées les alarmes et les recommandations maternelles. Ne vous étonnez donc pas de celles de votre sainte Mère l'Eglise. C'est, de sa part, sagesse et non austère sévérité, si elle met la jeunesse en garde contre les divertissements dangereux qui constituent le péril des sens, contre les doctrines spécieuses, mais erronées, qui, dans les domaines scientifique, historique, philosophique, social, compromettent la rectitude et la santé des intelligences, contre les fréquentations légères et les amours précoces et faciles où se gaspillent des coeurs qui ne doivent se donner qu'une fois et pour toute la vie. Outre cette prudence, et pour être fidèles à cette prudence même, vous avez, vous aurez toujours besoin de lutte et donc de force : lutte contre l'attrait des plaisirs et contre l'horreur du sacrifice, contre les séductions et les sollicitations de l'entourage, contre la vaine curiosité et le respect humain, contre les passions et les tentations violentes ou sournoises, lutte même contre l'indolence où durant des trêves apparentes, par lui habilement ménagées, l'esprit du mal chercherait à vous endormir.

Oui, la lutte est dure et continuelle. Elle n'est pas pour effrayer votre jeunesse, pourvu que vous ayez le secret de la victoire. Et vous l'avez : Haec est victoria, quae vincit mundum, fides vestra (cf. 1Jn 5,4). Fortifiez donc, éclairez votre foi ! Vivez votre foi ! Vivez du Christ, de sa lumière, de sa force, de sa grâce. Par le sacrement de l'Eucharistie, nourrissez-vous de son corps et de son sang, vous serez forts et vous vaincrez. Vers Lui, vers le Père, par les mains et le coeur de Marie, sa Mère et votre Mère, faites monter votre prière ; par ses mains et par son coeur maternel, descendra sur vous l'abondance du secours divin, en gage duquel, chers fils et chères filles, Nous vous donnons avec tout Notre amour Notre Bénédiction apostolique.


Pie XII 1947 - ENCYCLIQUE « FULGENS RADIATUR » I